présentation sur l'échafaudage dans des travaux en hauteur
Journal le monde du 1 mars 2012
1. Jeudi 1er
mars 2012 - 68e
année - N˚20874 - 1,50 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Erik Izraelewicz
Algérie 150 DA, Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤, Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,50 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,50 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,50 ¤, Malte 2,50 ¤,
Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,20 CHF, TOM Avion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL, USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA,
L
e Conseil constitutionnela
pleinementjoué son rôle,
mardi 28février: il a jugé
«contraire à la Constitution» le
texte, adopté le 23janvier par le
Parlement,qui sanctionnaitpéna-
lementla négation de génocides
reconnuspar la loi, en particulier
le génocide des Arméniens com-
mis par l’Empire ottoman en 1915.
La concision mêmede cette
décision démontreque le juge
constitutionnels’est situé sur le
plandes principes fondamen-
taux. Avec la volonté manifeste
de mettre un terme à une contro-
verse qui fait rage depuisdes
années.A cet égard, la volonté affi-
chée par le chef de l’Etat de remet-
tre immédiatementune nouvelle
loi en chantier est vouée à l’échec.
Les principes? Il en retient
deux. D’une part, «la loi a pour
vocationd’énoncer des règles et
doit,par suite, être revêtue d’une
portée normative». Elle ne peut
doncpas êtreuniquementdéclara-
toireet «mémorielle», commecel-
le de 2001 par laquelle«la France
reconnaîtpubliquement le génoci-
de arménien de 1915». C’est sur la
base de ce texteque le Parlement
a fondé la loi adoptéeen janvier.
D’autrepart, le Conseil invo-
quele principe cardinalde la liber-
té d’expression, «d’autant plus
précieuseque son exercice est une
conditionde la démocratie». Cela
n’interditau législateurni d’en
fixer les règles ni d’en réprimer
les abus, mais à conditionque ce
soit de façon «nécessaire,adaptée
et proportionnée». En l’occurren-
ce, il a jugé que ce n’était pas le
cas: en réprimantla contestation
de l’existencede crimes qu’il a lui-
mêmequalifiés comme tels, le
législateurporte atteinte à l’exer-
cice de la liberté d’expression.
En clair, les politiquesn’ont pas
à s’érigeren ministèrede la vérité,
ni le Parlementen tribunalde
l’Histoire.Comme l’avait juste-
ment déclaré le présidentJacques
Chirac, en 2005, et comme l’avait
confirméune mission parlemen-
taire sur les «lois mémorielles»
en 2008, il ne revientpas au légis-
lateur de fixer une vérité histori-
que, d’en imposer une lecture offi-
cielleet encoremoins de sanction-
ner pénalementceux qui la
contesteraient.De nombreux his-
toriensse sont d’ailleurs insurgés
contrecette judiciarisationde
leur travail.
On l’a déjà dit, ici, la loi censu-
rée n’étaitpas de nature à soula-
ger la douleurdes Arméniens qui
voientleur passétragiqueignoble-
ment réécrit, contesté ou nié,
notammentpar les autorités tur-
ques depuisprès d’un siècle.
En outre, elle prenait la cause
arménienneen otage de combats
électoraux: NicolasSarkozy avait
pesé de tout son poids pour que
son camp approuve ce geste à
l’égardde la communautéarmé-
nienne en France, et François Hol-
landeavait voté ce texte, pour des
raisonssimilaires. Enfin,elle avait
enveniméles relationsavec la Tur-
quie, dont les autorités ont beau
jeu, aujourd’hui,de saluer le
camoufletinfligé aux principaux
responsablesfrançais.
Inutileet inopportune,la loi
censuréepeut s’avérer dangereu-
se.En conduisantle Conseilconsti-
tutionnelà tranchersur la base
du principe de la liberté d’expres-
sion, elle risque de nourrir, à nou-
veau, toutes les velléitéset les
offensivesnégationnistes.p
Page5
Hausse
de la valeur
de l’entreprise
Apple en dix ans
+ 4 700 %
CAMPAGNE L’heureestàlasurenchère. Leprésident
sortantveutpayeretfairetravaillerdavantagelesprofs,
alorsquelecandidat PSveutsurtaxerlesriches. P.5-6
ENQUÊTE Son putsch raté pour porter Jean-Louis Borloo
à la tête de Veolia a fâché le patron d’EDF avec la gauche
et la droite. Portrait d’un patron trop politique. P.17
REPORTAGE Après plusieurs jours d’émeutes, le préfet
a annoncé la baisse du prix de 60produits de grande
consommation. Les Réunionnais sont dubitatifs. P.11
L
eroyaumedeSaTrèsGracieu-
se Majesté s’est fait une spé-
cialité de brasser du vent. La
plusvastefermeéoliennedumon-
de produit ses 367 mégawatts, au
large de la région de Cumbria, et le
gouvernementbritanniqueaplani-
fié une croissance exponentielle
de cette énergie. Oui, mais la crise
est passée par là et le financement
de ce plan éolien est menacé. Par
unecentaine de députésconserva-
teurs,entreautres,quiviennentde
réclamer«unebaissespectaculaire
des subventions», que les parle-
mentairesassimilentàungaspilla-
geenpleinecured’austérité.p Lire
page10
Editorial
L’austérité
inquiètel’Europe
etpèsesurla
présidentielle
Impôts,école:le«toujours
plus»deHollandeetSarkozy
HenriProglio,sesamitiés
politiquesetsesmauvaiscalculs
ALaRéunion,lagalère
desfamillescontrelaviechère
Cemonstredubusiness
qu’estdevenuApple
L’ŒIL DU MONDE Lamarque
àlapommesort,débutmars,
sonnouveliPad;dequoi
décuplersesprofits,suivant
unerecetteéprouvée.Zoom
surleprodigedumarketing,
devenuendixansl’entreprise
detouslessuperlatifs,
quifascineautantqu’elle
inquiète.Pages 18-19
WallStreet
Homs:lafuite
desFrançais
tourne
aufiasco
tTreize insurgés
auraient trouvé la mort
lors de l’exfiltration ratée
Ventscontraires
surl’industrie
éolienne
britannique
Il y a 150 ans
paraissaient Les Misérables
HORS-SÉRIE
UNE VIE, UNE ŒUVRE
Victor Hugo
L’élu du peuple
150 ans après Les Misérables, l’hommage des politiques
124 PAGES - 7,90 - EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
Portrait de Victor Hugo par Jean-François Kahn : de quelle manière l’écrivain
s’est métamorphosé au point de devenir une figure révolutionnaire du XIXe
siècle.
Une sélection de textes de l’auteur qui n’oublie ni le poète, ni l’homme de théâtre,
ni le romancier, en particulier celui des « Misérables ».
Un entretien avec Jean-Marc Hovasse, auteur de la biographie de référence
consacrée à Victor Hugo et qui assure la direction éditoriale de ce numéro.
Les textes des candidats à l’élection présidentielle et des responsables politiques
montrent à quel point les thèmes abordés par Victor Hugo sont en résonance
avec l’actualité.
EN PARTENARIAT
AVEC
V
endredi 2mars, 25 chefs d’Etat et de
gouvernement européens seront à
Bruxellespoursignerlenouveautrai-
té de discipline budgétaire européen, mis
aupointparNicolasSarkozyetAngelaMer-
kel.Mais desvoix s’élèventcontreleschoix
du tandem franco-allemand qui feraient la
part trop belle à l’austérité. Douze pays,
emmenés par le président du conseil ita-
lien,MarioMonti,demandentuneréorien-
tationenfaveurdela croissance.EnFrance,
François Hollande et trois autres candidats
affirment vouloir renégocier les traités.p
Lire pages 2 à 4
UKprice£1,50
M
ercredi 29février au matin, la
journaliste française Edith Bou-
vieretsoncompatriotephotogra-
phe William Daniels étaient toujours pié-
gésàHoms,danslequartierdeBabaAmro.
Après avoir refusé à deux reprises d’être
évacués par le Croissant-Rouge syrien,
auquel les insurgés ne font pas confiance
malgrélesgarantiesduCICR,lesdeuxFran-
çais ont tenté, dans la nuit de lundi à mar-
di, une sortie en convoi avec l’Armée
syrienne libre. Le groupe a été bombardé
enrouteettreizeinsurgésauraienttrouvé
lamort.CettefuiteratéeversleLibanasus-
cité une annonce prématurée de Nicolas
Sarkozyqui,aprèss’êtreréjouidel’évacua-
tion, a dû démentir et s’excuser.p P.7
La Bourse américaine
retrouve son niveau
d’avant la crise Page 13
LeParlementn’estpasuntribunaldel’Histoire
tLacontestationmonteenEspagneetdans11autrespays
tRéférendum en Irlandesur lepactebudgétaire
tComment Bruxelles voitlescandidats français
Edith Bouvier, blessée à
Homs. Capture d’écran
d’une vidéo filmée
par un téléphone.REUTERS
LeregarddePlantu
2. Les indégivrables Xavier Gorce
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Valence (Espagne)
Envoyée spéciale
L
esmobilisationscontrelescou-
pes budgétaires se multiplient
dans la région de Valence, en
Espagne. En un mois, les syndi-
cats y ont convoqué quatre
grandesmanifestations.Lader-
nière, dimanche 26février, a rassemblé,
selon leurs estimations, plus de
350000participants.
Ces mobilisations dépassent largement
le spectre syndical. Elles sont quotidien-
nes, spontanées, se déroulent devant les
collèges,lerectorat,leshôpitaux.Mercredi
29février, une grève des étudiants et une
grandemanifestationétaient prévues.
Valence, pourtant, n’est pas réputée
poursonactivisme.Elle fait figure de ville
docile.Maisdepuisle20février,elleesten
ébullition. La brutale répression d’une
manifestation de quelques dizaines de
lycéens a mis le feu aux poudres. Les cou-
pes budgétaires, le chômage à 25,4%, les
affairesdecorruption,lesdépensessomp-
tuaires de la région dans des bâtiments
pharaoniquesoudesévénementssportifs
ont fait le reste.
Depuis plusieurs semaines, la presse se
faisaitl’échodelasituationdecertainséta-
blissementsscolaires,dumanquedechauf-
fage dans des classes, des parents
contraintsdefaireleménagedansuncollè-
ge, du manque d’argent pour les photoco-
pies…
Pourpayercesfrais defonctionnement,
les collèges reçoivent normalement tous
les quatre mois des fonds du gouverne-
mentrégional.Maiscelui-ciestétouffépar
unedettequireprésente20%duPIBrégio-
nal, la plus élevée d’Espagne, et 3milliards
d’euros de retards de paiement aux four-
nisseurs.«Jamaisnousn’avionsconnuune
situationderetardsaussiimportantsetsys-
tématiques,expliqueleprésidentdel’asso-
ciation des directeurs de collège, Vicent
BaggettoiTorres.Certainscollègesontreçu
desavis decoupuresd’électricité.»
Dans ce contexte, une photo de lycéens
enveloppésdans des couverturespendant
les cours a été un détonateur. En signe de
protestation,lesélèvesdulycéeLuisVives,
dans le centre de Valence, décident de blo-
quer tous les jours pendant dix minutes
l’une des principales artères de la ville.
«Nousvoulionsseulementprotestercontre
les coupes, raconte Nerea Lopez, 17ans.
Nous sommes presque 40 par classe, beau-
coupde professeurs sont absents.Mais plu-
tôt que de garantir un service minimum
dansl’éducationetlasanté,larégionpréfè-
reinvestirdansun circuitde formule1.»
Au cinquième jour, lundi 20février, la
police charge, distribuant des coups de
matraques à des lycéens en pleurs. Bilan:
25arrestations et 13blessés. Des journalis-
testémoignentde laviolencede la répres-
sion. Les images circulent sur Internet où
l’événement est vite baptisé «printemps
valencien». Le lendemain, des milliers de
parents d’élèves sortent dans la rue. Et les
jours suivants, les mobilisations se pour-
suivent.
Une semaine plus tard, l’épisode conti-
nue d’agiter Valence. «La crispation socia-
leesttrèsélevée,soulignelesecrétairegéné-
ral de l’Union générale des travailleurs
(UGT), Conrado Hernandez. Les coupes
sont perçues comme une agression contre
le modèle de l’Etat-providence et nos
enfantsen ont été les premièresvictimes.»
En janvier, le gouvernement régional a
annoncé un nouveau plan d’austérité
pour économiser un milliard d’euros. Les
fonctionnaires ont perdu la moitié des
compléments de salaires versés normale-
mentparlarégion.«Lessalairesdesméde-
cins ont baissé de près de 600euros, ceux
des infirmiers et des enseignants jusqu’à
300euros», résume le syndicaliste.
A cela s’ajoute l’augmentation des
impôts sur le revenu annoncée par
Madrid.Sans parlerdes baisses de salaires
quiavaientétéimposéesparl’anciengou-
vernement socialiste. «Nous avions déjà
perdu 8% de salaire en moyenne en 2010,
rappelleM.Baggetto.Toutlepoidsdelacri-
se repose sur les fonctionnaires.»
Danslescollèges,l’ambiances’estenco-
re tendue: pour la rentrée prochaine, les
enseignants s’attendent à une augmenta-
tion du nombre d’heures de cours, qui
aboutira de fait à de nouvelles réductions
du nombre de postes d’intérimaires, déjà
réduit de 3000 en 2010.
«Nousdemandonsunsacrificeauxfonc-
tionnaires»,reconnaîtlevice-présidentde
la région, José Ciscar, qui laisse entendre
que le gros des mesures d’austérité n’est
pas encore venu. Le gouvernement régio-
nal entend économiser 430millions d’eu-
ros en «rationalisant le secteur de la san-
té» et devra dévoiler un nouveau plan
«d’encore un milliard d’euros» pour res-
pecter l’objectif de déficit de 1,3% du PIB
que les régions ont largement dépassé en
2011.Auniveaunational,ledéficitadérapé
en 2011 pour atteindre 8,5% du PIB au lieu
des 6% prévus, suscitant de nouvelles
misesen gardede Bruxelles,mardi.
Aux mesures régionales s’ajoutent cel-
les du gouvernement central. La réforme
du marché du travail, annoncée fin jan-
vier, inquiète particulièrement les syndi-
cats car elle ouvre la voie à des licencie-
ments plus faciles et moins chers et à des
baissesgénéraliséesdessalaires.«Lasocié-
té valencienne n’est pas disposée à négo-
cier l’Etat-providence», avertit le secrétai-
re général de l’UGT, qui n’écarte pas l’ap-
pel très prochain à une grève générale à
Valenceet dans toute l’Espagne.
Lesjeunes,eux,continuentlesmobilisa-
tions,avec,enarrière-plan,unmalaisepro-
fond. «Nous voulons simplement de bon-
nes conditions d’apprentissage. Même si
on ne sait pas quoi étudier puisqu’il n’y a
pas de travail, explique Nerea, avant de
conclure,désenchantée:nousn’avonspas
de futur ici.»p
Sandrine Morel
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des publications et agences de presse n° 0712 C 81975 ISSN0395-2037
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Fax : 01-57-28-39-26
Président : Louis Dreyfus
Directrice générale :
Corinne Mrejen
«Labrutalerépression
d’unemanifestation
delycéensamislefeu
auxpoudres»
Des
centaines
de milliers
de
personnes
ont
manifesté
à plusieurs
reprises
à Valence
contre
les coupes
budgétaires
dans
les services
publics. Ici,
le 25février.
HEINO KALIS/
REUTERS
s REPORTAGE LarégiondeValencevitaurythmedescoupesbudgétaires
etdesmanifestations.Lasituationdansl’éducationéchauffelesesprits
EnEspagne,le«printemps
valencien»s’annoncechaud
I
l n’y aura pas eu de long dis-
cours ni d’effusions, à peine
quelquesapplaudissements
d’adieupour cellesqui ne vont
pas rempiler chez le repreneur,
Les Ateliers du Meygal. Mardi
28février, les «filles» de Lejaby à
Yssingeaux(Haute-Loire)se sont
réuniespour leurdernièreassem-
blée générale en tant que sala-
riéesdu fabricantde sous-vête-
mentset pour un dernier«repas
de famille». Après moult passa-
ges dansles journauxtélévisés et
plusieursvisitesd’hommespoliti-
ques, le site a été sauvé. Officielle-
ment licenciéesle 28février, la
plupartd’entre elles vont com-
mencer une formationchez un
sous-traitantde LVMH dès jeudi
1er
mars, après une seule journée
symboliquede chômage.
«Une victoire» à n’en pas dou-
terpour RaymondVacheron,délé-
gué départementalCGT. Et aussi
une belle histoirede sauvetage
commeseules les campagnes pré-
sidentiellespeuvent en offrir.
Maisles ouvrières, elles, ne
savent pas encore si elles doivent
se réjouir tout de suite de garder
un emploi ou s’inquiéter des
conditionsdans lesquelles cela se
déroulera.«Là, ça va trop vite, on
n’a pas le temps de comprendre ce
qui nous arrive», glisse Chantal,
48ans «et 32 ans de boîte», en
écoutantleur déléguéesyndicale
évoquer les points posant problè-
me dans les contrats de travail
qu’ellesont reçus.
Lorsqu’ellesévoquent le mois
de lutte qui les a réunies et qui a
rassemblétellementde gens
autourd’elles, toutes ont les yeux
qui brillent. Mais elles ont beau
avoir été reçues une par une par
leurnouveau patron, aucune ne
sait réellement en quoi consiste-
ra son futur travailni quand il va
réellementdébuter.L’usine, enco-
re vide alors qu’elles doiventy
revenirdès jeudi, leurreste fer-
mée.Tout ce qu’elles savent, c’est
qu’ellesdébuteront par cinq à
neufmois de formation, «peut-
être à coudre des doublures de
sacs ou des poignées», imaginent
certaines sans aucune certitude.
De son côté, VincentRabérin
–le repreneurqui se dit persuadé
de l’avenirdu site – assure avoir
un plan de charge,et doncdu tra-
vail pour les ouvrières, pendant
aumoins trois ans. Deux millions
d’eurosd’aides lui ont été offerts
pourla réindustrialisationdu
site et des fonds paritaires paye-
ront la formationdes ouvrières.
Retour à la pointeuse
A table, les discussionsvont
bontrain sur cette fameuse date
du 1er
mars. «Jeudi, on fait quoi?
On va travaillerou quoi?» Après
l’intensitéde la lutte, le retourà
la banalité de la pointeusesem-
blefairepeur et l’euphoriede l’an-
nonce de la reprise a laissé la pla-
ce à un léger doute.Certaines des
«filles» ne savent pas encore si
elles veulent reprendre ou pas.
Parmielles, il y a celles pour qui
le licenciementapparaît comme
une occasion de se lancer «dans
autrechose». Mais dans la région,
les emploisaccessiblesaux fem-
mes restent peu nombreux.
L’uned’elles lève son verre «à
ceux qui veulent nous baiser».
Dany, qui a débuté à l’âge de
17ans chez Lejaby,s’interroge:
«Pourquoi les politiquesnous ont
sauvées,nous, et pas les autres?
Ne faudrait-ilpas faire des élec-
tions tous les ans? Comme ça,
tout le mondeaurait du tra-
vail.»p
Antonin Sabot
(Yssingeaux, envoyé spécial)
Ledernierrepasdefamille
des«filles»deLejaby
présidentielle 2012
AilleursenEurope,lessyndicatspeinentàmobiliser
«TROP, C’EST TROP.» La Confédération
européennedes syndicats (CES) organise
une journée de mobilisation européenne
contrel’austérité, mercredi29février, à la
veille de la signaturedu nouveau traité
de discipline budgétaire.Pour la Confédé-
ration,le cas de la Grèce est exemplaire:
la cure d’austéritéimposéeau pays est
insoutenableet bafoue le droit du travail.
Reste que la mobilisationrisque de pas-
ser inaperçue dans la plupart des pays.
Laconcentrationsyndicaleprévueà
Bruxellessevoulaitplussymboliqueque
massive.FrançoisChérèque,leleaderdela
CFDT,devaityparticiper.AParis,illaissela
placelibreàBernardThibault,leleaderde
laCGT,quiorganiseunbrefdéfiléBastille-
NationavecSolidaires,l’UNSAetlaFSU,
maissanslaCFDT,inquièted’une«mobili-
sationàcaractèrepolitiquesurlesenjeux
nationaux».L’approchedel’électionprési-
dentielleetlesvacancesscolairescompro-
mettentclairementlamobilisation.
EnItalie,lesleadersdestroisplusimpor-
tantesorganisations(CGIL,CISLetUIL)ont
conviéleursadhérentsàserassemblersur
lapetiteplaceduPanthéondanslecentre
historiquedeRome…Pourexpliquercet
insuccèsannoncé,laCGILmeten avantle
manquedeculturesyndicaleunitaire.
PourtantlesItalienssontconfrontésàune
cured’austéritésansprécédent.Maisle
soutieninconditionnelduprésidentdela
République,l’anciencommunisteGiorgio
Napolitano,àMarioMontiempêchepour
l’heurelessyndicatsetlagaucheitalienne
deproposeruneréponseunitaireàla
rigueur.
Versements records en Allemagne
Lessyndicatsgrecsontappeléàun
arrêtdetravaildetroisheures,suivid’une
manifestationplaceSyntagmaàAthènes.
Lajournéed’actionintervientaprèsun
votemardiauParlementquiintroduitde
nouvellescoupesdanslessalaireset les
retraites.Maisl’affluenceestplusimpor-
tantelorsquelesrassemblementssont
aussiappeléspard’autresforces,enplus
dessyndicats.Ces dernierspâtissentd’une
mauvaiseimagedansl’opinionenraison
deleursliensaveclespartispolitiques.
EnAllemagne,le DGB,laconfédération
syndicaleallemande,devait être partie
prenantedefaçontrèsmodérée.Deux ras-
semblementsseulementsont prévus. Le
débutd’année est traditionnellementla
périodeoù se renégocientles conventions
collectiveset les accordssalariaux,et les
trèsbonsrésultatsde certainesentrepri-
sesindustriellesvont entraînerdesverse-
mentsrecord au titrede la participation,
laissantleurssalariés peusensiblesaux
discourssur l’austérité.
Au Royaume-Uni,aucunemobilisa-
tion n’est prévue du côté des syndicats.
Le TUC, la principale confédérationsyndi-
cale, va juste affréter un mini-buspour
rendre visite aux ambassadesde France,
d’Allemagneet de Grèce à Londres. L’ab-
sence d’action vient en partie du fait que
ce pays n’est pas signatairedu nouveau
traitéet qu’il est donc difficileaux syndi-
cats de s’y opposer.p
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POUR COUCHAGE QUOTIDIEN
Enda Kenny, le premier ministre irlandais, et Mario Monti, le président du conseil italien, à Rome, le 24février. ALESSANDRO DI MEO/EPA/MAXPPP
Douzepayscontestentl’austéritéenEurope
EmmenésparleprésidentduconseilitalienMarioMonti,cesgouvernementss’inquiètentdelarécessionquimenace
Bruxelles
Bureau européen
N
icolas Sarkozy l’a porté à
bout de bras, en soutien
d’Angela Merkel. François
Hollande promet de le renégocier
s’il est élu président de la Républi-
que. Le pacte budgétaire est sou-
mis à la signature de 25 chefs
d’Etat et de gouvernement euro-
péens, vendredi 2mars, à Bruxel-
les – seuls le Royaume-Uni et la
République tchèque devraient
s’abstenir –, mais le débat à son
sujet n’est pas clos pour autant.
Cette signature ouvre la voie à
une procédure de ratification qui
s’annonce délicate, à l’heure où la
crise des dettes souveraines
connaît un répit relatif en marge
du sauvetage de la Grèce. Mardi
28février,lepremierministreirlan-
daisdecentregauche,EndaKenny,
a annoncé, contre toute attente,
son intention d’organiser un réfé-
rendumpourratifierlepacte.
EnFrance,M.Sarkozys’estréso-
luànepasprécipiterlaratification
parlementaire avant les élections
présidentielle et législatives, mais
il entend y procéder au plus vite
s’ilestréélu.Aucontraire,siM.Hol-
landel’emporte,denombreuxres-
ponsables de gauche ne veulent
pas entendre parler d’une ratifica-
tion du texte en l’état. Dès le som-
met européen de juin, ils espèrent
musclerle volet croissance et gou-
vernance économique d’un traité
avant tout conçu pour inscrire
danslemarbreladisciplinebudgé-
taire chère à Mme
Merkel.
La«renégociation»quelecandi-
dat socialiste appelle de ses vœux
reçoit un accueil glacial dans les
milieux européens. « S’il veut
ouvrir ce chantier, je lui souhaite
bonne chance: ce sera impossible
trois mois après la signature»,
lâche un dirigeant européen. Her-
man Van Rompuy, le président du
Conseil européen, que les chefs
d’Etatetdegouvernementdoivent
confirmer pour deux ans et demi
dans ses fonctions, veut éviter la
mise en cause de l’autre traité, sur
le Mécanisme européen de stabili-
té(MES), en coursde ratification.
Sous pression pour augmenter
la force de frappe de ce fonds de
secourspermanent,l’Allemagnea
insistépourlierpolitiquementles
deux textes. D’où l’abstention des
socialistesfrançaislorsdelaratifi-
cationduMESàl’Assembléenatio-
nale, le 21février, puis au Sénat,
mardi.
Sur le fond, l’opposition entre
M. Sarkozy et M.Hollande sur le
nouveau traité reflète le débat du
moment entre les Vingt-Sept.
Après avoir donné la priorité à
l’austérité, sous la pression des
marchés, ils doivent discuter de la
meilleure façon de soutenir leurs
économies sans creuser davanta-
ge les déficits. Les plans d’austéri-
té, en vigueur un peu partout sur
le continent, sont de plus en plus
contestés par les syndicats et par
les opinions publiques, sur fond
de montée du chômage dans les
pays les plus fragiles. Ils risquent
de surcroît, de l’avis de nombreux
dirigeants, d’aggraver la récession
qui menace. «En ce moment, on
insiste trop sur les pénalités finan-
cières et les paquets d’austérité», a
jugé le socialiste Martin Schulz,
présidentduParlementeuropéen,
lors d’une visite à Athènes, mardi.
Les mises en garde en ce sens se
sont multipliées. Douze pays,
dont l’Italie, l’Espagne, les Pays-
Bas,le Royaume-Uniet la Pologne,
demandent de réorienter la politi-
que économique défendue par le
tandem Merkel-Sarkozy. «La crise
àlaquellenousfaisonsfaceestaus-
si une crise de croissance», ont-ils
fait valoir dans un courrier rédigé
àl’initiativedeMarioMonti,prési-
dentduconseilitalien.Lessocialis-
tes français y voient la preuve que
leurs demandes procèdent d’un
souci qui s’impose à tous. Mais,
dans l’esprit des douze signataires
de cette lettre, le remède passe par
davantagedelibéralisations,parla
réforme du marché du travail
dans chacun des Etats et par une
plusgrandeouverturecommercia-
leducontinent.Cenesontpasvrai-
ment les solutions préconisées
par la gauche française!
La récession qui menace les
Vingt-Sept inquiète de surcroît
leurs partenaires internationaux.
Pascal Lamy, directeur général de
l’Organisation mondiale du com-
merce, devait appeler lui aussi,
mercredi, à la mise en place d’un
«plan de croissance commun» en
Europe. «Le nouveau traité lui-
même, avec ses règles strictes pour
les politiquesbudgétairesnationa-
les, va susciter une demande en
faveur d’un budget européenéten-
du», devait-il expliquer à Bruxel-
les. Pour M.Lamy, membre du PS
français, ce plan devrait compor-
ter trois axes: investir dans des
infrastructures communes, pro-
mouvoir la recherche ou l’éduca-
tion, aider les Etats européens à
adapter leurs outils productifs,
leurs systèmes de sécurité sociale
et leurs marchésdu travail.
A plus court terme, l’enjeu est
aussi–etpeut-êtresurtout–depré-
ciser les modalités d’application
dupacte de stabilitéet de croissan-
ce,telquerenforcédepuisl’autom-
ne.L’Espagnedemandeàrevoiràla
baisse les objectifs qui lui sont
fixés, demande repoussée d’un
revers de main par la Commission
etlaBanquecentraleeuropéennes.
Avecunsouciquirisquedecom-
pliquerledébutdemandatdupro-
chain président français: protéger
la crédibilité du dispositif de sur-
veillancecollectivequiémergepeu
àpeu dela crisedela zoneeuro.p
Philippe Ricard
LesIrlandaisserontconsultésparréférendumsurletraité
L’oppositionentre
M.Sarkozy
etM.Hollandesurle
nouveautraitéreflète
ledébatdumoment
entrelesVingt-Sept
Le Parlement a définitivement
adopté, mardi 28février, les
deux projets de loi autorisant la
création du Mécanisme euro-
péen de stabilité (MES). Le
Sénat a approuvé la ratification
du traité instituant le MES par
169voix contre 35. L’UMP et
l’Union centriste et républicaine
ont voté pour. Le groupe commu-
niste républicain et citoyen et la
majorité du groupe écologiste
ont voté contre. Le groupe socia-
liste et le Rassemblement démo-
cratique et social européen
(RDSE) se sont abstenus. Quel-
ques voix se sont cependant dis-
persées. Trois sénateurs socia-
listes (Jean-Pierre Godefroy,
Marie-Noëlle Lienemann et
Daniel Percheron) et trois RDSE,
dont Jean-Pierre Chevènement,
ont voté contre, tandis que deux
écologistes ont voté pour.
A Paris, le Parlement ratifie le Mécanisme de stabilité
Londres
Correspondance
EndaKennyaurapristoutle mon-
deparsurprise.Lepremierminis-
treirlandaisaannoncé,mardi
28février,au Parlement,qu’ilorga-
niseraunréférendumpourrati-
fierletraitéquelesdirigeantseuro-
péensdoiventsignervendredi2
mars.Cette consultationaurait
lieuenmaiou enjuin,etsonrésul-
tatparaîtactuellementtrèsincer-
tain.Unsondageréaliséenjanvier
indiquait40%de«oui»,36%de
«non»et 24%d’indécis.
Le nouveaupacte budgétaire
peut certesentrer en vigueurdès
lors que 12 des 17 Etats de la zone
euro l’auront ratifié. Toutefois,la
possibilitéd’un vote négatifrepré-
sente une menace pour l’Union
monétaire,car un tel vote risque
de priver l’Irlande, sous assistance
depuisnovembre2010, de l’éven-
tuel soutien du Mécanisme euro-
péen de stabilité (MES). L’Allema-
gne a en effet conditionnétoute
nouvelleaide à la ratification du
pacte budgétaire.
Les 4,5millions d’Irlandaistien-
nent ainsi, une fois de plus, le sort
de l’Europe entre leurs mains. La
Constitutiondu pays obligeant
les changements de traitéeuro-
péen à être soumis au vote, les
Irlandaisont été consultés sur le
traitéde Nice en 2001 et sur celui
de Lisbonne en 2008. A chaque
fois, ils ont voté «non». Il aura fal-
lu ensuite des renégociations– et
des clauses d’exception – pour
qu’ils approuventfinalement le
texte, sans enthousiasme.
Cette fois-ci, il avait sembléini-
tialementque le même scénario
pouvaitêtre évité. Technique-
ment,le texte qui sera signé ven-
dredi n’est pas un traitéeuro-
péen, puisque deux pays en sont
déjà exclus: le Royaume-Uniet la
Républiquetchèque.Les négocia-
tionsse font hors du cadre juridi-
que européen. Pourtant,après
avoir demandé conseilà son gar-
de des sceaux, M.Kenny a jugé
que la Constitution ne lui laissait
pasle choix. «Les Irlandaisseront
invités à autoriser, par référen-
dum, le traité européen de stabili-
té», a-t-il expliqué.
Sept budgets de rigueur
Le premier ministre appelle
bien entendu à voter «oui». «Je
croisfortement que c’est dans l’in-
térêt nationalde l’Irlande.» Il sou-
ligne que le pays a réussi à stabili-
ser son économie depuis le plan
de sauvetage de la fin 2010, la
croissance,très légère, étant au
rendez-vous,en 2011, pour la pre-
mière fois en quatre ans. Selon
lui, rejeter ce texte mettrait cette
améliorationen danger.
Deplus,mêmesiM.Kennyne
leditpas, l’Irlande,paradoxale-
ment,appliquedéjàlenouveau
traité,quimet lesbudgetsnatio-
nauxsous surveillancedesautres
Etats.Al’automne,leprojetdebud-
getdupaysavaitfuitédanslapres-
seenAllemagneoù unecommis-
siondu Bundestagl’examinait.
Ces argumentséconomiques
pourraientcependant ne pas
peserlourd face à la colère gran-
dissantedes Irlandaiscontre l’aus-
térité.Le pays a connusept bud-
gets de rigueur en troisans, et de
plus en plus d’habitantsestiment
que l’Europe ne fait qu’aggraver
les choses, en imposant des mesu-
res encore plus duresque celles
voulues par le Fondsmonétaire
international(FMI).
«Cela va être un référendum
sur l’austérité», estime Elaine Byr-
ne,politologueà l’universitéTrini-
ty College.Or, le soutien au Sinn
Fein, le parti le plus opposé à la
rigueur, atteint actuellement
25%, un sommethistorique.p
Eric Albert
30123
Jeudi 1er
mars 2012
4. N
’écoutezpaslaBanquecentraleeuropéenne,regardezce
qu’ellefait,dit-onparfois.L’institutiondeFrancfortestélève
desjésuites: inflexiblesurladoctrine,casuistelorsqu’ils’agit
d’éviterle pire.C’estcettetâchequ’elleaccomplitdepuisledébutde
lacriseen2007: endépitd’undiscoursorthodoxe,ellenecessede
sauverl’Europedelafaillite,inondantlesbanquesdeliquidités.
Ne négligeons pas la doctrine pour autant. Alors que s’engage
un débat sur le bien-fondé de la rigueur en Europe, il convient
d’écouter son président. L’Italien Mario Draghi rappelle quelques
évidences sur l’Europe: «Les impôts sont élevés, et les dépenses
des gouvernements sont concentrées sur des dépenses courantes.»
En langage clair, l’Etat dépense trop et mal. Selon Eurostat, le taux
de dépenses publiques en France atteignait 56% du PIB en 2010
contre 46% en Allemagne.
M.Draghi appelle à distinguer la mauvaise dépense de la bonne.
«La mauvaise consolidation[budgétaire]est la plus facile à réaliser,
parcequ’on peut afficher de bons chiffres en augmentantles impôts
et en réduisant les investissements,ce qui est beaucoupplus facile
que de réduire les dépenses courantes», dit-il, avant de trancher:
«Cela réduit le potentiel de croissance.»
Bref, orthodoxiebudgétaire et croissance vont de pair. Mais
pourquoi M.Draghi a-t-il donné sa leçon au Wall Street Journal
et pas au «20heures» de TF1? p
H
uit heures. C’est le temps
que devait passer François
Hollande à Londres, mer-
credi29février.Moinsquelaveille
au Salon de l’agriculture de la por-
tedeVersailles.Maisassezpourfai-
re une conférence au prestigieux
King’s College, saluer les Français
installés dans la capitale britanni-
que, et surtout rencontrer Ed Mili-
band, chef du Parti travailliste et à
ce titre leader de l’opposition au
gouvernement conservateur de
David Cameron.
Accompagné notamment de
deux anciens ministres des affai-
res européennes, Pierre Moscovi-
ci, son directeur de campagne, et
Elisabeth Guigou, chargée des
questions institutionnelles euro-
péennes dans son équipe, Fran-
çois Hollande devrait trouver en
Ed Miliband un interlocuteur
attentif.
S’il s’est quelque peu assagi
depuis qu’il a pris la direction du
Parti travailliste, en 2010, «Ed le
rouge», comme le surnommait
naguère la presse britannique, n’a
pas hésité à se démarquer du New
Labour de Tony Blair. Son «droit
d’inventaire» assumé à l’égard de
la«troisièmevoie»blairiste,jugée
trop centriste et trop oublieuse
des catégories populaires, fait
échoaupositionnementdeM.Hol-
lande,quientendluiaussirenouer
les liens entre le PS et les classes
laborieuses.
Avec M.Miliband, le candidat
socialiste à l’élection présidentiel-
le ne partage pas que cela. En
février2011, lechefde l’opposition
travailliste a prononcé l’un de ses
discoursles plusimportantssur le
thème de la «promesse britanni-
que».M.Hollande,quiassurevou-
loir faire de la jeunesse la priorité
de ses priorités, a des centaines de
fois prononcé les mêmes mots
que M.Miliband ce jour-là: «C’est
pour nous une mission nationale
de faire en sorte que la génération
suivante vive mieux que la précé-
dente.»
D’accord sur le diagnostic, d’ac-
cord sur la priorité, les deux hom-
mes ont néanmoins des divergen-
ces. Elles portent notamment sur
la régulation de la finance. Fran-
çois Hollande est favorable à l’ins-
tauration d’une taxe sur les tran-
sactions financières à l’échelle
européenne. Ed Miliband, lui, est
d’accordsur le principe d’unetelle
taxe, mais à condition qu’elle soit
mondiale.«Lestravaillistesbritan-
niques sont travaillistes mais ils
sont d’abord britanniques. Tout ce
qui peut affaiblir la City par rap-
port à Wall Street les inquiète»,
commente un proche de M.Hol-
lande.
Selon le quotidien britannique
The Guardian, qui cite l’entoura-
ge de M. Miliband, celui-ci ne
devrait pas non plus approuver
l’idée d’élever à 75% le taux d’im-
position des très hauts revenus,
proposéelundisoirparM.Hollan-
de sur TF1.
Après Madrid, en octobre2011,
puis Rome, Bruxelles et Berlin, en
décembre, Londres est la cinquiè-
me capitale européenne visitée
par M.Hollande depuis sa victoire
àlaprimairesocialiste.D’iciaupre-
mier tour de l’élection présiden-
tielle, le 22avril, le candidat socia-
liste se rendra à Varsovie, le
9mars, où il sera notamment reçu
par le premier ministre, Donald
Tusk. Une semaine après la signa-
turedutraitérenforçantladiscipli-
ne budgétaire au sein de l’Union
européenne, les deux hommes
auront tout loisir de ferrailler
contrecetraitéauquelilssonttous
deuxfortement opposés.
M. Hollande, qui a annulé
«pour des raisons de calendrier»
un déplacement à Copenhague et
d’autres déplacements hors d’Eu-
rope qu’il préfère déléguer à ses
lieutenants, pourrait se rendre à
nouveau à Bruxelles d’ici au pre-
mier tour. C’est à Paris, le 17mars,
probablement au Cirque d’hiver,
qu’ildevraitpréciserlecontenude
son «pacte européen de responsa-
bilité, de croissance et de gouver-
nance»dontlesgrandeslignesont
été exposées le 5décembre 2011
lors du congrès du SPD à Berlin.
Ce discours, annoncé par
M. Moscovici comme « un
moment particulièrement impor-
tantdelacampagne»,concluraun
séminaire de deux jours auquel
participeront plusieurs figures ou
dirigeants sociaux-démocrates
européens,commel’ItalienMassi-
mo D’Alema ou l’Allemand Sig-
mar Gabriel. p
Thomas Wieder
sLEBILLET
par Arnaud Leparmentier
MarioDraghi,lejésuite
présidentielle 2012
Nicolas Sarkozy avec le premier ministre belge, Elio Di Rupo, qui soutient François Hollande. E. FEFERBERG/AFP
LecandidatPS
rendvisiteàson
alteregobritannique
M.HollandeserendraàVarsoviedébutmars
etpourraitretourneràBruxellesd’iciau22avril
Le17mars,M.Hollande
devraitpréciser
son«pacteeuropéen
deresponsabilité,
decroissanceet
degouvernance»
Bruxelles,
Bureau européen
L
e premier s’est dépensé sans
compter pour assurer « le
retour de la France en Euro-
pe», le second est un nouveau
venu, attendu au tournant par les
Européens. Le duel entre Nicolas
Sarkozy et François Hollande
interpellelesdirigeantsdesVingt-
Sept, même si rares sont ceux qui,
àl’instardelachancelièrealleman-
de, Angela Merkel, ont pris claire-
ment parti pour le président sor-
tant, ou choisi, comme le socialis-
te belge Elio Di Rupo, de soutenir
son challenger.
Nicolas Sarkozy a su surfer sur
lescrisesàrépétitionsubiesparles
Vingt-Septpourasseoirsonautori-
té dès la présidence française de
l’Union européenne, au second
semestre 2008. Crise financière,
médiation entre la Géorgie et la
Russie, sa réactivité lui a permis
d’imprimer sa marque, avant que
le séisme qui ébranle depuis plus
de deux ans la zone euro ne mette
commejamaisàl’épreuvel’impro-
bable tandem qu’il constitue avec
la chancelière allemande. Le cou-
ple franco-allemand – la Merko-
zy– s’est alors imposé comme le
véritable pilote de l’Union euro-
péenne,endépitdestensionsmul-
tiples suscitées entre Paris et Ber-
lin par le sauvetage des maillons
faibles de l’union budgétaire, et le
reformatagede cette dernière.
Chef de file des pays du Sud,
Nicolas Sarkozy a pu pousser des
idéesquiluitenaientà cœur,com-
me le gouvernement économi-
que, mais c’est Angela Merkel qui
en a déterminé la substance, en
exportant sa «culture de stabili-
té». Dans la foulée, M.Sarkozy a
cherché à limiter les transferts de
souveraineté, pour placer au cen-
tredujeulessommetsdes17chefs
d’Etat et de gouvernement de la
zoneeuro,tandis que lachanceliè-
re prône désormais une véritable
«Union politique», de type fédé-
ral, pour surmonterla crise.
Le style peu diplomatique et les
méthodestrès intergouvernemen-
tales deNicolas Sarkozyont cepen-
dant dérouté une bonne partie de
ses homologues européens.
«Quand nous nous appelons au
téléphone, nous nous racontons
d’abordlesméchancetésqueSarko-
zy a pu dire dans notre dos »,
confiait, fin 2011, un habitué du
Conseileuropéen.
Plus fondamental, M.Sarkozy
a,selonsesdétracteurs,beaucoup
fait pour transformerle fonction-
nement des Vingt-Sept, en don-
nant le premier rôle aux Etats,
quitte à marginaliser les institu-
tions européennes, la Commis-
sion comme le Parlement.
Il a multiplié les passes d’armes
plus ou moins discrètes avec Jean-
Claude Trichet, l’ancien président
de la Banque centrale européenne,
dontlerôledanslacrisedesdettesa
pourtantétédéterminant.
En cas de passage de relais à
l’Elysée,l’attitudedeFrançoisHol-
lande, peu connu sur la scène
européenne, est jugée moins pré-
visible. « Personne ne sait vrai-
ment ce qu’il a en tête, même si sa
lointaine filiation avec Jacques
Delors est plutôt encourageante»,
dit un haut responsable bruxel-
lois. Ce dernier espère que les
socialistes français ont bel et bien
surmonté les divisions apparues
en2005,lorsduréférendumnéga-
tif contre la Constitution. Sans
être vraiment rassuré à ce stade
parleurabstentionlorsdelaratifi-
cationduMécanismeeuropéende
stabilité, le fonds de secours per-
manent mis en place contre la
volonté initiale de l’Allemagne
poursoutenirlespaysdanslecolli-
mateurdes marchés.
Les premières prises de posi-
tionducandidatsocialistesurl’Eu-
ropenelaissentpasnonplusindif-
férents. Son intention de renégo-
cier le pacte budgétaire pour
adjoindre au volet «budgétaire»
unvoletplusorientésurlesoutien
àlacroissancepasse mal.Selonun
dirigeant européen, elle tiendrait
même du «vœu pieux», alors que
le nouveau traité doit être signé
vendredi 2mars, et sera donc en
phasede ratification.
« Nous ne sommes certaine-
ment pas en faveur d’une renégo-
ciation», a estimé Jan Kees de
Jager, le très orthodoxe ministre
néerlandais des finances, un des
alliés de l’Allemagne dans la ges-
tiondelacrisedesdettessouverai-
nes. «En revanche, si M.Hollande
veut mener davantage de réfor-
mes, alors nous serons à ses côtés,
qu’ils’agissedelalibéralisationdes
servicesoudesréformesdumarché
du travail», a-t-il ajouté.
«Le paradoxeest que M.Hollan-
de entend donner des gages de son
sérieux budgétaire, mais il s’en
prend à l’instrument qui est juste-
mentcensédonnerducorpsàladis-
cipline collective mise en place par
lescapitaleseuropéennes»,consta-
te pour sa part Yves Bertoncini, le
secrétaire général de la fondation
Notre Europe, créée par Jacques
Delors. p
Philippe Ricard
LematchSarkozy-Hollandeestsuivi
deprèsdanslescapitaleseuropéennes
VusparlespartenairesdelaFrancedansl’UE,NicolasSarkozyagace,FrançoisHollandeintrigue
François Bayrou
MoDem
FrançoisBayroune remeten cau-
se nile traitéeuropéennile méca-
nismeeuropéende stabilité(MES).
Enrevanche,le candidatcentriste
estimequeces mesuressont timo-
réesou troptardives,etne pren-
nentpasassez encomptela néces-
sitéde croissance.«Imaginerque
l’onpuisse renégocierletraité, c’est
impossible, jugesa directricede
campagne,Mariellede Sarnez,
mêmesi ce traité estloind’être l’al-
phaet l’omégadela politiqueeuro-
péenne.» Au MoDem,on milite
pourla création d’obligations
européennes(eurobonds)etpour
unrôle accru dela Banque centra-
leeuropéenne,prêteuren dernier
recours.M.Bayrouestimequ’il
fautrenforcerla gouvernancede
la zoneeuro.Concernantle MES,
Mme
de Sarnezfaitce constat: «S’il
étaitarrivéplustôt, celaaurait été
mieux.Toutcelan’est pastrès bien
gérédepuisdeuxanset demi.»p
Pierre Jaxel-Truer
Traitéeuropéen,MES…Cequ’enpensentlesautrescandidats
Leduelinterpelleles
dirigeantseuropéens,
mêmesiraressont
ceuxquiontprisparti
Jean-Luc Mélenchon
Front de gauche
Ill’aditetredit:Jean-LucMélen-
chonest opposéauMécanisme
européendestabilité(MES),tout
commeautraitésurlastabilité,la
coordinationet lagouvernance
dansl’unionéconomiqueetmoné-
taire(TSCG).Deuxtextesqui,selon
lui,portentatteinteàlasouverai-
netédelaFranceetquiconstituent
un«coupdeforcecontreladémo-
cratie».LecandidatduFrontde
gauche,quiveuts’imposerenlea-
derdu«non»àl’Europedel’austé-
rité,aappelélessocialistesàvoter
contrele MESàl’Assembléenatio-
nalecommeauSénat.«Aucune
politiquedegauchen’estpossible
danslecadredecestraités»,a-t-il
dénoncédansLibérationle20jan-
vier.Celuiquiavaitvoté«non»au
référendumsurletraitéconstitu-
tionneleuropéenen 2005souhai-
tequelesFrançaissoientencore
consultéssurleTSCG.Unesolu-
tionrejetéeparl’UMPetle PS.p
Raphaëlle Besse Desmoulières
Eva Joly
Europe Ecologie-Les Verts
Autantletraitéeuropéen,perçu
commeuncorsetbudgétaire
menantàlarécession,faitl’objet
d’unecondamnationunanime
chezlesécologistes,autantleMES
suscitedesfractures.Lepartiet sa
candidateEvaJolyontprisposi-
tioncontrece mécanisme,s’atti-
rant,enretour,unetribunetrèscri-
tiquedeDanielCohn-Bendit,de
l’économisteAlainLipietzetdu
députéeuropéenJean-PaulBesset
appelant,eux,àle soutenir.Dans
une-mailàsesamis,M.Cohn-Ben-
dits’estdit«consterné» parEELV,
leMESpermettant,àsesyeux,
«d’aiderconcrètementdespaysde
lazoneeuroquinepeuventplus
emprunter».Cettefracturese
retrouveauSénat,oùLeilaAïchiet
AndréGattolinontsoutenuleMES
contreleurprésidentdegroupe
Jean-VincentPlacé.Etdansl’entou-
ragedeMme
Joly,lâchéeparledépu-
téeuropéenPascalCanfin.p
Anne-Sophie Mercier
Marine Le Pen
Front national
Sans surprise, Marine Le Pen
condamnedans un même mouve-
ment les deux dispositifs euro-
péensqui, estime-t-elle,devraient
être soumisà référendum.La can-
didate du FN, qui veut prendre la
tête de l’oppositionà «l’Europe de
Bruxelles», estime que le Mécanis-
me européende stabilité (MES) est
la «mise en place d’un FMI euro-
péen», lequel placerait la zone
euro sous «la dictature de la finan-
ce». «C’est l’austéritéà vie, c’est la
prisondes peuples», ajoute-t-elle.
Quant au traité européen,
Mme
Le Pen juge qu’il «retirera à la
Francesa souverainetébudgétaire
et condamneranos nations à l’aus-
térité permanente». Pour Mm
Le
Pen, «avec cet accord,l’équilibre
des finances publiquesn’est plus
un moyen pour la croissance, mais
une fin en soi, pour sauver l’euro».
«Si je suis élue, je reviendrai sur cet
accord», promet-elle. p
Abel Mestre
4 0123
Jeudi 1er
mars 2012
5. achetezdanslaboutiqueenlignegucci.com
L
e Conseil constitutionnel
ajugé contraire à la Constitu-
tion, mardi 28février, la loi
visant à réprimer la contestation
des génocides reconnus par la loi,
dont, en premier lieu, le génocide
arméniende 1915. Ce texte, adopté
parleParlementle23janvier,avait
été à l’origine de vives tensions
entrela Franceet la Turquie.
Ilavaitdonnélieu,lorsdesadis-
cussion à l’Assemblée nationale,
puis au Sénat, à des manifesta-
tions rivales d’organisations tur-
ques et arméniennes. Deux
recours, signés par 77sénateurs et
65députés de toutes sensibilités,
avaient été déposés.
Dans sa décision, le Conseil
considère que la loi du 29janvier
2001 reconnaissant le génocide
arménienn’apasdeportéenorma-
tive. Il l’assimile en quelque sorte
àune résolution. Partant de là, il
estime que, « en réprimant la
contestation de l’existence et de la
qualification juridique de crimes
qu’il aurait lui-même reconnus et
qualifiés comme tels, le législateur
aportéuneatteinteinconstitution-
nelle à l’exercice de la liberté d’ex-
pressionet de communication».
Nicolas Sarkozy, qui avait affir-
mé sa volonté de légiférer pour
pénaliser la négation du génocide
arménienetappuyécetteproposi-
tion de loi, «a pris acte de la déci-
sionrendueparle Conseilconstitu-
tionnel». «Il mesure, indique un
communiquédel’Elysée,l’immen-
sedéceptionetlaprofondetristesse
de ceux qui avaient accueilli avec
reconnaissance et espoir l’adop-
tion de cette loi.» Le chef de l’Etat
aaussitôtchargélegouvernement
de préparer un nouveau texte.
Celui-ci n’a cependant guère de
chancesd’aboutiravantlasuspen-
sion des travaux parlementaires,
prévue à partir du 7mars.
Ankara se réjouit
De son côté, François Hollande,
qui s’était aussi prononcé en
faveur de la pénalisation de la
négation du génocide arménien,
s’est engagé,s’il est présidentde la
République, à «reprendre ce sujet
dansl’apaisement,danslaconcilia-
tion et, en même temps, dans la
volonté d’aboutir». «Je veux dire
ici toute ma solidarité aux Armé-
niens de France parce que je sais ce
qu’ils attendaient, a-t-il déclaré. Je
veuxdireaussiauxTurcsdeFrance
qui s’étaient mobilisés, qu’ils
avaient finalement tort d’imagi-
ner que c’étaitcontre eux.»
Les autorités turques ont
accueilli cette censure comme une
victoire couronnant «une lutte
menée avec sang-froid et détermi-
nation». «Nous félicitons les mem-
bres du Conseil constitutionnel.
C’est un refus de la politisation de
l’histoire», a réagi le ministre des
affairesétrangères,AhmetDavuto-
glu. «Cette décision évite une très
grave crise entre la France et la Tur-
quie», acommentéle vice-premier
ministre, Bülent Arinç. La presse
turque se délectait, mercredi
matin,de«lagifleconstitutionnelle
àSarkozy».p
Patrick Roger (avec
Guillaume Perrier à Istanbul)
Montpellier
Envoyé spécial
C
emardi28févrierdevaitêtre
la journée où Nicolas Sarko-
zy allait imposer son thème
de la semaine, l’éducation. Et puis,
il y a eu ce coup de Jarnac, lundi
soir: la proposition de François
Hollande de taxer les plus hauts
revenusà hauteur de 75%.
Dèslepetit-déjeunerdelamajo-
rité, mardi, M.Sarkozy dénonce
une «improvisation dangereuse»
ducandidatsocialiste.Maisc’estla
droite, totalement prise de court,
quidoitimproviser.CarM.Hollan-
fait, à gauche, un coup gagnant
similaire à celui joué par M.Sarko-
zy en 2007, lorsqu’il avait proposé
un ministère de l’immigration et
de l’identité nationale et parve-
nant ainsi à dominer le débat.
AMontpellier,alorsqueleprési-
dent-candidatdébutesavisitedans
un internatd’excellence,c’est… sur
la taxe à 75% qu’il est interrogé. Il
glisse trois mots, mais insiste: il
veut parler éducation. Il s’éternise
dans sa visite, refuse un match de
ping-pong proposé par des élèves.
Et fait une bourde: il confirme que
la journaliste française blessée
Edith Bouvier a été exfiltrée de
Syrie. L’affirmation est erronée, et
M.Sarkozy doit faire marche arriè-
re. «Je me suis montré imprécis, je
m’en excuse auprès de vous», dit-il
auxjournalistes.
Puisvientunetroisièmedécon-
venue, la censure par le Conseil
constitutionnel de la loi pénali-
santlesgénocides,adoptéedansla
précipitationpours’attirerlesbon-
nes grâces de la communauté
arménienne.Volontariste,l’Elysée
indiquequelechefdel'Etatdeman-
de au gouvernement de préparer
un nouveautexte.
Recyclage
Enfin,legranddiscourssurl’édu-
cation peut débuter. Le secrétaire
général de l’UMP, Jean-François
Copé a chauffé la salle, qualifiant
M.Hollande de «Monsieur 75%».
Arrivelecandidat,dansunemerde
drapeaux tricolores. Il commence
parjouerlesparentscontrelespro-
fesseurs. « L’école appartient
d’abordàtouteslesfamillesdeFran-
cequiluiconfientleurenfant»,assè-
ne M.Sarkozy, qui dénonce «ceux
qui ne voient l’école qu’à travers le
prismeducorporatisme».Ilrecycle
ses idées de 2007 sur l’autorité et
finitparquelquesannonces.
Le candidat propose aux ensei-
gnants de travailler plus pour
gagner plus. C’est déjà le cas, puis-
qu’ils sont de grands consomma-
teurs d’heures supplémentaires
défiscalisées. Au lieu de donner
18heures de cours par semaine,
M.Sarkozy les invite à assurer
26heures de présence au collège,
payées 25 % de plus. « Près de
500eurosparmois»,préciselepré-
sident.Sur la base duvolontariat.
Vientensuitelacritiqueducollè-
ge unique, accusé d’avoir aggravé
lesinégalités.«Nousdevonspasser
de l’école pour tous à l’école pour
chacun», estime M.Sarkozy. Pour
lesélèvesdesixièmeetdecinquiè-
me, il propose d’avoir moins de
professeurs, mais polyvalents, et
de regrouper l’enseignement des
disciplines littéraires d’une part,
scientifiques de l’autre. À partir de
la quatrième,les élèvespourraient
choisir un début d’orientation. Le
discours s’achève sur une critique
dubaccalauréat.
M.Sarkozy n’a pas prononcé le
passagedesondiscoursoùilgèlela
réductiondespostesenmaternelle
et primaire. Mais l’écrit fait foi, et
l’Elysée fait savoir que l’engage-
mentvaut.Pourconclure,M.Sarko-
zy reprendla suppliquedu général
de Gaulle lors du putsch d’Alger de
1961: «Françaises, Français, j’ai
besoindevous.Aidez-moi!»p
Arnaud Leparmentier
Desprofsmieuxpayésouplusnombreux?
Laloisurlesgénocidesest
contraireàlaConstitution
Lechefdel’Etatannonceunnouveautexte,
lecandidatsocialistepromet«l’apaisement»
NicolasSarkozyproposederémunérer
laprésencedesenseignantsàl’école
Leprésident-candidataconnuunejournéedifficilesouslapressiondesonadversairesocialiste
DEVENIR un «flexi-prof» et aug-
menter son salaire de 25%, ou res-
ter un professeur classique dont
le métier est défini par le nombre
d’heures de cours à assurer? Le
choix sera entre les mains de cha-
que enseignant si le candidat
Sarkozy reste à l’Elysée après
mai2012.
Depuis2007, le chef de l’Etat
construitpas à pas son école. Le
conseillerd’Etat Marcel Pochard
avait dès 2008 esquissé ce «flexi-
prof» dans un rapport que lui
avait commandéXavier Darcos,
alors ministre de l’éducation.
Mais le sujet n’était pas politique-
ment mûr, et le travail est resté
dansles tiroirs.
L’enseignant«nouveau» assu-
rera ses cours, mais devra aussi
répondre aux missionsdiverses
que son chef d’établissementesti-
meraêtre nécessairespour faire
réussirlesélèvesqu’il reçoitet ren-
dre son collège ou son lycée per-
formant.Au total, il sera astreint à
26heures de présence,mais cha-
que enseignant pourra se voir
confier des taches différentes, en
fonctiondes besoinslocaux. Ce
modèle va avec une forte autono-
mie des établissements– portée
par le candidatSarkozy – et un
choix des enseignantspar le
«patron» du lieu qu’est le provi-
seur ou le principal.
Nombre d’enseignantsétaient
déjà présentsdans les établisse-
ments par-delàleur temps de
cours.La propositionles réconci-
liera-t-elleavec un candidatque
seuls 12,5% d’entre eux avaient
l’intentionde choisir au premier
tour,selon le sondage réalisé par
l’IFOP? Préfèrent-ilsêtre 60000
de plus ou être mieux payés?p
Maryline Baumard
50123
Jeudi 1er
mars 2012
6. Les militants de la cause
[homosexuelle],par
cooptation,prolifèrent
dans nos rangs»
Christian Vanneste, député UMP du Nord, dans une lettre adressée
au président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob.
Violence
AudreyPulvaretArnaudMontebourg
agressésàParis
La journalistede France Télévisions Audrey Pulvar et son compagnon,
le député (PS, Saône-et-Loire)Arnaud Montebourg,ont été pris à partie,
mardi 28février, vers 22heures,boulevard Murat,dans le 16e
arrondisse-
ment de Paris, par une quinzained’individus qui scandaient des mots
d’ordreen faveur de Jean-MarieLePen. Des injures racistesont été pro-
féréeset deux verres ont été jetés dans leur direction, sans les atteindre.
«On sortait du resto, ils étaient devant un bar», a racontéla journaliste,
qui fait aussi état de cris, comme«juden, juden,juden» («juifs») ou
encore«la France aux Français» et autres «LePen président». «Je n’ai
pas été blessée», a indiqué Mme
Pulvar. Dans la soirée, la journaliste et
ArnaudMontebourg ont déposéplainte au commissariatdu 16e
arron-
dissementoù ils ont été pris en charge par une équipede la brigade anti-
criminalité(BAC) de nuit, avec laquelleils ont effectuéun tour du quar-
tier pour tenter de retrouver la bande. En vain. Interrogée sur Europe1,
mercredimatin, Marine LePen a condamnécette agressiontout en
jetantune suspicionsur «les accusations très graves de Mme
Pulvar».
«S’il suffit d’aller agresser quelqu’un en criant “Le Pen président”pour
que je sois responsable,l’Etat de droit s’est dégradé(…). Vous ne pouvez
pas, avant même une enquête de police, dire qu’il s’agit de membres du
FN», a déclaré la candidate du Front national.p Yves Bordenave
CommentFrançoisHollandeapréparé
sasurprisesurl’impositiondesplusriches
Leprinciped’unenouvelletrancheaétéactéelorsd’une«réunionstratégique»le25février
s LA QUESTION
Quelimpactpourunimpôtà75%?
présidentielle 2012
I
ls y réfléchissaient depuis plu-
sieursjours.Depuisquelecabi-
net Proxinvest, le 14février,
aestiméà34%la haussedesrému-
nérations moyennes des patrons
du CAC40, François Hollande et
sonpremiercercleplanchaientsur
une mesure symboliquement for-
te, frappant à la fois les plus hauts
salaires et les esprits. «On s’est dit
qu’onn’allaitpaslaisserpasserça»,
indiqueStéphaneLeFoll,responsa-
ble de l’organisation de la campa-
gnedu candidatsocialiste.
Le principe politique était
acquis, restait le débat technique.
Plafonnement des rémunérations
ou mesure fiscale particulière sur
les très hauts revenus? La premiè-
re option ayant été abandonnée,
c’est la seconde qui s’est progressi-
vement imposée, samedi, lors
d’une « réunion stratégique»
regroupant autour de M.Hollande
lestroishommesfortsdesacampa-
gne: Pierre Moscovici, Manuel
Valls et Stéphane Le Foll. Puis défi-
nitivement, lundi 27février, dans
l’après-midi, quelques heures
avantlepassageducandidatsocia-
listeà l’émissionde TF1.
C’est pourquoi beaucoup, dans
l’équipe, ont été cueillis par surpri-
separl’annoncedeM.Hollande,de
la création d’une nouvelle tranche
d’impôt pour les rémunérations
dépassant le million d’euros
annuel. A commencer par Jérôme
Cahuzac,leresponsabledupôlefis-
calité dans le staff. «Je ne sais trop
que vous dire», admettait le prési-
dentdelacommissiondesfinances
de l’Assemblée, pris au dépourvu
quelques instants plus tard sur
France2.«Maintenant,ilestaucou-
rant», aévacué M.Hollande,mardi
28février, en marge de sa visite au
Salon de l’agriculture. «Il est nor-
mal que je prenne un certain nom-
bred’initiatives.Jesuislecandidat.»
Faire acte d’autorité
L’objectifstratégiquedeM.Hol-
lande qui, depuis l’entrée en cam-
pagneduchefdel’Etat,sembledis-
posé à proposer quelques surpri-
sesprogrammatiqueset àinnover
par rapport au socle de proposi-
tions contenu dans son projet, est
bien de faireacte d’autorité.
Face aux Français les plus aisés,
d’abord: «Je voulais dire qu’il y
avait là une façon de faire qui n’est
plus acceptable. Un dirigeant ne
peutgagneren un an cequ’unsmi-
card mettra 100 ans à gagner»,
explique M.Hollande, qui brandit
l’argument de l’intérêt général:
«C’est un signal qui est envoyé, un
message de cohésion sociale (…)
C’est du patriotisme d’accepter de
payer un impôt supplémentaire
pour redresser le pays.»
Face à Nicolas Sarkozy, ensuite.
Le président-candidat avait, au
moment du dévoilement du pro-
jet de M.Hollande, lancé l’offensi-
vefiscale,accusantlePartisocialis-
te de matraquage des classes
moyennes. Puis, lors de son inter-
vention télévisée du mercredi
22février, le président-candidat
s’en était pris aux abus des
patrons,assurant qu’il agirait à cet
endroit,si réélu.
Au chef de l’Etat qui, depuis
Montpellier, a évoqué sur ce point
une «impression d’improvisation,
de précipitation, pour tout dire
d’amateurisme qui est assez
consternante» de la part du candi-
datsocialiste,M.Hollandea ferme-
mentrépliqué:«Moi,jeconnaisun
professionneldesfaveursaccordées
aux plus favorisés, c’est le candidat
sortant,dontlapolitiquesetermine
par une baisse de l’impôt sur la for-
tuneaprès lebouclierfiscal.»
La mesure présente aussi le
mérite tactique de réinstaller le
débat autour des positions et pro-
positions du candidat socialiste,
commeentémoigneletirdebarra-
ge venu de l’UMP. «Inflation fisca-
le» pour la ministre du budget,
ValériePécresse,«courseàl’échalo-
te» selon le ministre de l’écono-
mie, François Baroin, «confisca-
tion fiscale», selon le ministre des
affairesétrangères,Alain Juppé.
Benoît Hamon constate «une
levéedeboucliershallucinantedela
droite, qui n’a aucun état d’âme
pour augmenterla TVA de 1,6 point
mais qui maintenant tire le signal
d’alarme de l’évasion fiscale »,
moque le porte-parole du parti.
Lequel, reprenant une comparai-
sonhistoriqueenvoguedansl’équi-
pe,comparelecandidatHollandeà
FranklinD.Roosevelt,qui,selonlui,
«avaitcrééen1941unetranched’im-
pôt de 91% pour les revenus de plus
de200000dollars». p
David Revault d’Allonnes
s
L’image
ValérieTrierweilersedit«sidérée»
parlesattaquesdeNicolasSarkozy
ValérieTrierweilerse dit«sidérée» parla chargequ’a menéecontreelle,
lundi27 février,surRTL, NicolasSarkozy.«Je suissurprisequ’il aitfait ça
lui-même.Ce n’est pasdu niveaud’unprésidentde la République», assu-
reau Mondela compagnedeFrançoisHollande.Mme
Trierweilerse trou-
vaitd’ailleursaveclecandidatsocialistequand elleaentendule chefde
l’Etat,quitente d’infléchirsonimagede«présidentdesriches»,s’interro-
gersurles ondesface auxjournalistesde RTL: «Est-cemoi quitravaille
dansle groupede [Vincent]Bolloré ? (…) Parceque personnen’a une émis-
sionde télévisiondans legroupede M.Bolloré ?» Uneallusiondirecteau
magazine«Itinéraires», diffusésur la chaînetéléviséedu groupeBol-
loréDirect 8et consacréauxtrajectoiresd’artistes.Un magazinedont
Mme
Trierwieleraenregistréles deux derniersnuméros,vendredi.
«Jamaisil ne seraitvenua l’idéede Françoisd’attaquerCarla [Bruni-
Sarkozy].Moi nonplus.J’aidu respectpour ce qu’elleest», assureValérie
Trierweiler(PHOTO: PATRICK KOVARIK/AFP). p D. R. A.
Le candidat socialiste, François Hollande, a visité le Salon de l’agriculture,
porte de Versailles à Paris, pendant douze heures, mardi 28février.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR «LE MONDE»
UNE TRANCHEd’imposition à
75% pourles revenusau-delà du
milliond’euros. La propositionde
François Hollande a surpris jus-
qu’à son propre camp. L’UMP a
sembléhésiter, dans sa riposte,
fustigeant,comme François
Baroin,«un message de spolia-
tion» pour les plus riches, ou
minimisant,comme Valérie
Pécresse,«un rendementfiscal
epsilon», donc nul. Qu’en est-il en
réalité?
Comment s’appliquerait la mesu-
re?
Oncompteactuellementcinq
tranchesd’imposition,qui vont
de 0% (jusqu’à6088eurosde
revenusannuels) à41% (au-delà
de 72317euros).Elles ne détermi-
nentpas le taux d’impositionglo-
bal,mais celui quis’appliquesur
lesrevenuscorrespondant,en
tenantcomptedu quotient fami-
lial: on est imposéà 0% sur les
premiers6088 euros, à5,5% sur la
tranchesuivante(de 6088 à 12146
euros),à 14% sur la suivante…
M.Fillonavaitintégréauplan
derigueurdel’été2011unesur-
taxede3%et5%àpartirde
250000et500000eurospar
mois,quelePSconserverait.Le
socialisteproposait,enoutre,dans
sonprogramme,decréerunetran-
che,à45%, pourlesrevenussupé-
rieursà150000euros.Ilévoque
désormaisunetranchesupplé-
mentaire,quiprélèveraitdonc
75%des revenussitués au-dessus
de1milliond’eurosparan.
Qui serait concerné, et pour quel
montant?
Le nombre de contribuables
potentiellementtouchés par cette
mesuren’est pas certain. Le PS
évoque de 7000à 30000 person-
nes.Selon Vincent Drezet, secrétai-
re national du Syndicat national
unifiédes impôts (Snuip), entre
15000et 20000 foyers fiscaux
seraient potentiellementconcer-
nés. Bercy parle de 3000 foyers à
peine.
Cette imprécisions’explique
sans doute par la multiplication
des niches et des mesures permet-
tant de réduirel’imposition,qui
permet à nombre de contribua-
bles fortunés d’échapperà une
partie de l’impôt dû, rendant l’im-
pôt dégressifpour les «très
riches». En 2009, les 0,01% les
plus riches, soit 3523 foyers fis-
caux gagnant plus de 1,2million
d’euros, étaient imposés en
moyenneà 17,5%, contre 20%
pourles 0,1% les plus riches(plus
de 360309 euros).
Quel effet aurait la taxe?
Le montant final serait comple-
xe à établir. M.Drezet évoque
«200 à 250millions d’euros» de
gainpour l’Etat. Un chiffre faible,
pourune taxe à l’impact avant
tout symbolique.
La réforme aurait surtout
valeur de signal politique, même
sielle ne constitueraitpas une pre-
mière historique.Le taux margi-
nal supérieur de l’impôt a déjà été
aussihaut, jusqu’à 90% dans les
années1920 ou l’après-guerre.Il
était encore supérieurà 60% au
débutdes années 1980.Les Etats-
Unisont gardé des taux sembla-
bles jusqu’aux années1960. Il
serait en revanche le plus élevé
d’Europe.En 2007, le Danemark
était le pays avec le plus fort taux
marginalsupérieur de l’impôt, à
59%.
Quant au risque d’«exil fiscal»
dénoncépar l’UMP, alors que le
candidatsocialiste compte aussi
releverles taux de l’impôt sur la
fortune, réduireles plafonds du
quotientfamilial et plafonnerles
niches, M.Drezet le minimise:
«Même si certains s’en vont à
l’étranger,la réforme ne concerne
pas assez de monde pour mettre
l’économieen danger.» Pour lui,
cetteréforme aurait le méritede
la pédagogie, dans le cadred’un
mouvementplus vaste de retour
à la progressivité de l’impôt. p
Samuel Laurent
Opérationséduction
deFrançoisBayrouauSénat
Lecandidat centristeestallé, mardi28février,à larencontre d’uneving-
taine de sénateursissus du groupeUnion centristeet républicaine(qui
comprend31élus MoDem, Alliancecentriste, NouveauCentre, radicaux,
diversdroite)pour défendresa candidature.Un texte de soutien de ces
sénateurs,dontcertainshésitentencoreà rendre publicleur choix,est
attenduen milieude semaine prochaine.«J’appartiensau courantdu
centre,qui s’est pendant longtempsdivisé, dansdesconditions parfois
attristantes,il est en trainde se refonder», se féliciteM.Bayrou.«La ques-
tiondes alliancesaprès la présidentiellen’apas été évoquée», raconteun
participant.Au mêmemoment, un autresénateur du groupecentriste,
Jean-MarieBockel (Gauchemoderne),a lancé un «comitéde soutien»,
mais cettefoisà Nicolas Sarkozy.M.Bockel,orphelin de lacandidature
de Jean-LouisBorloo,qu’il soutenait,veut convaincreles électeurs«qui
neveulentpas voter FrançoisHollande mais ne sontpas encoreprêts à
franchirle pas vers Nicolas Sarkozy». p Pierre Jaxel-Truer
La « loi Petroplus» adoptée par l’Assemblée nationale
L’Assembléenationalea adopté,dans la nuit de mardi 28 à mercredi
29février, un texte porté par l’UMP destiné à empêcherle détourne-
ment d’actifs d’une entreprisedéfaillante.Inspiré de la situation de la
raffineriePetroplus de Petit-Couronne(Seine-Maritime),il a été voté
avec le soutiendu PS. En revanche, une série d’amendementsinspirés
du cas du site de Florange(Moselle) d’ArcelorMittalont été rejetés.
Jean-Pierre Raffarin ouvre la porte à François Bayrou
Le référendumsur la moralisationde la politique proposé par François
Bayrou,s’il était élu, est «tout à fait acceptable», a déclaré, mardi
28février, sur Radio classiqueet la chaîne Public Sénat l’ex-premier
ministreJean-Pierre Raffarin.Il a estimé qu’il n’était «pas impossible»
que M. Bayroupuisse devenir le premierministre de Nicolas Sarkozy.
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De jeunes combattants de l’Armée syrienne libre (ASL), à Sarmin, dans la province d’Idlib (nord-ouest), lundi 27 février. RODRIGO ABD/AP
L
esortdesjournalistesocciden-
taux pris au piège à Homs,
assiégéeetbombardéeparl’ar-
mée syrienne, a fait l’objet d’infor-
mations contradictoires et de
démentis, mardi 28février 2012.
Seul, finalement, le Britannique
Paul Conroy, blessé dans l’attaque
quiavaitcoûtélavieàlajournaliste
américaineduSundayTimesMarie
Colvin et au photographe français
Rémy Ochlik le 22février dans le
quartierdeBabaAmro,apuquitter
la Syrie clandestinement pour le
Libanvoisin,oùilaétéprisenchar-
gepar l’ambassadebritannique.
La Française Edith Bouvier,
dontlajambeestfracturée,lepho-
tographefrançais William Daniels
etlejournalisteespagnold’ElMun-
do Javier Espinosa sont toujours à
Homs.
Aprèsl’échecdeplusieurstenta-
tivesd’évacuationvialeCroissant-
Rouge syrien et le Comité interna-
tionalde la Croix-Rouge(CICR), les
insurgésde l’Arméesyrienne libre
(ASL)ontmenéunepérilleuseopé-
ration d’exfiltrationlundi soir.
Selon Abou Raed, directeur du
bureau du Comité de secours
syrien au Liban, la brigade
Al-Farouqdel’ASL(principalgrou-
pe armé présent à Baba Amro) a
tentéunesortiedanslanuitdelun-
di à mardi. « A 3 km d’Homs, le
convoi a été l’objet de bombarde-
ments de l’armée syrienne. Des
combatsontégalementopposédes
hommes de la brigade Al-Farouk à
l’armée syrienne, raconte Abou
Raed au Monde. Javier Espinosa a
été légèrement blessé. Le convoi
s’est alors scindé en deux. Un grou-
pe a poursuivi vers le Liban, avec le
photographe britannique Paul
Conroy, parvenu à Beyrouth mar-
di. L’autre groupe s’est replié vers
Baba Amro.» Il s’y trouvait tou-
joursmercredi matin.
L’organisation Avaaz, proche
des insurgés, avance que treize
membres de l’ASL auraient perdu
laviedanscetteopérationrisquée.
Selon Abou Raed, la raison de
cetteopérationd’exfiltrationtient
dans le fait que l’ASL «n’a aucune
confiance dans le Croissant-Rouge
syrien, infiltré par des personnes
du régime. L’ASL a de l’estime pour
le CICR, mais il n’est pas parvenu à
faireadopterunetrêve.Cette orga-
nisation a des résultats très limités
aujourd’hui en Syrie». Il récuse
l’idéequel’ASLespéraittirerbéné-
ficedecesnégociationspourpren-
dre un avantage militaire.
Depuis une semaine, l’évacua-
tion des journalistes étrangers à
Homs bute sur la défiance des
insurgés syriens envers le Crois-
sant-Rouge,soutenuparleCICR.
Selon Saleh Dabbakeh, porte-
parole du CICR à Damas, joint par
téléphone mardi soir, les équipes
du Croissant-Rouge «étaient prê-
tesàévacuerlesjournalistes»lundi
soir. «Des ambulances étaient à
Baba Amro. Elles ne sont reparties
qu’avec trois blessés syriens». Mar-
di, «la situation était très tendue à
Baba Amro», a-t-il ajouté. Le CICR
continue d’appeler les autorités
syriennesàunetrêvehumanitaire.
Selon une source de l’opposi-
tion syrienne proche de l’ASL, «les
journalistes avaient peur d’être
bombardés par le régime à peine
sortisduquartieravecleCroissant-
Rouge. Ils s’inquiètent aussi que le
matérielqu’ilsontaccumulésurles
atrocités commises par le régime à
Homssoit confisqué.»
L’ASL accuse le pouvoir d’avoir
arrêté neuf blessés évacués récem-
mentparleCroissant-Rougesyrien.
LeCroissant-Rougearéfutépoursa
part «les allégations répétées met-
tant en cause sa neutralité, son
impartialité». Pour le moment, les
négociations semblent rompues
aveclesassiégésdeBabaAmro.
Selon un membre de la brigade
Al-Farouk, contacté par Le Monde,
l’opérationd’évacuationavaitune
dimension politique: «C’est un
messageaurégimesyrien.Onpeut
pénétrer dans les zones où il sévit,
onpeutconvoyerdesjournalistesà
l’intérieur du pays.» Il reconnaît
toutefoisquel’opérationauraiteu
plusderetombéessielleavaitcom-
plètementabouti.
D’aprèslui,lavidéod’EdithBou-
vier, mise en ligne la semaine der-
nière, «visait à envoyer un messa-
ge à la communautéinternationa-
lepourattirerl’attentionsurlesort
des civils à Baba Amro », dont
5000 seraient encore présents
dansle quartier.
Pour un dirigeant de l’opposi-
tion syrienne en exil, «les oppo-
sants d’Homs sont très faibles, ils
manquent de tout. Ils savent que
quand les journalistes seront par-
tis, ils serontlivrés à leur sort.»
Desinformationsfaisaientétat,
mardi soir, de l’envoi à Homs de
troupes supplémentaires de la
4e
division de l’armée syrienne,
une unité d’élite commandée par
Maher Al-Assad, le frère du prési-
dent syrien.
En France, l’exfiltration ratée
d’Edith Bouvier a occasionné un
gros ratage de la part de Nicolas
Sarkozy, en pleine campagne élec-
torale à Montpellier: après s’être
réjoui, mardi après-midi, devant
lescamérasdeBFM-TV,desonéva-
cuation, il a été contraint de
démentir et de s’excuser. Une pré-
cipitationquicontrasteaveclapru-
dence du Figaro, pour qui Edith
Bouvierétaiten mission,ainsi que
des diplomates à Beyrouth, à
Damas et à Paris. En l’absence de
preuves directes, le quotidien n’a
jamais confirmé l’arrivée d’Edith
Bouvier et de ses compagnons au
Liban, annoncée par des sources
anonymes de l’opposition syrien-
ne et un responsable libanais.p
Christophe Ayad,
Benjamin Barthe et
Laure Stephan (à Beyrouth)
L’ASL«n’aaucune
confiancedans
leCroissant-Rouge
syrien,[quiserait]
infiltrépardes
personnesdurégime»
Un hélicoptère abattu,
selon les insurgés
Syrie:troisjournalistesrestentbloquésàHoms
LephotographebritanniquePaulConroyapugagnerclandestinementBeyrouth,contrairementàsesconfrères
LesOccidentauxs’activentpourprésenter
unenouvellerésolutiondevantl’ONU
Un hélicoptère militaire syrien
aurait été abattu par l’Armée
syrienne libre (ALS) dans la
région d’Alep, selon une source
digne de foi proche de l’opposi-
tion syrienne. Aucune précision
n’a pu être obtenue sur le lieu, la
date et le bilan exacts de cette
opération. Si elle était confir-
mée, il s’agirait d’une première
et la preuve que des armes
sophistiquées commencent à
arriver aux insurgés syriens. Le
Qatar et l’Arabie saoudite n’ont
pas caché leur intention d’en
fournir à l’opposition syrienne
depuis la mise en échec par des
veto russe et chinois d’une réso-
lution au Conseil de sécurité de
l’ONU, début février.
Nationsunies
(Correspondante)
Alorsqueles Nationsunies esti-
mentdésormaisà «beaucoupplus
de7500morts» lebilande la
répressionenSyrie,plusieurspays
membresdu Conseildesécurité
travaillentàl’élaborationd’une
actiondiplomatiquepourrépon-
dreàl’urgencehumanitaire.Selon
unesourceprochedu dossier,l’ini-
tiativevientdesEtats-Unis,et des
«travauxexploratoires» sont
menésavecla Franceet la Grande-
Bretagne,lebutétant deprésenter
unprojet derésolutionsuscepti-
blede fairel’unanimitéet de«sor-
tirleConseilde soninaction».
Aprèsavoiressuyédeuxdou-
blesvetorusso-chinoisenquatre
mois,lesOccidentauxprivilégient
l’approchehumanitaire.«Ilestde
notredevoird’explorerlapossibili-
téd’uneactionduConseil(…)C’est
ceà quoinousallonstravailler.Ce
serasansdouteunetâchedifficile
maisjepensequenousavonsl’obli-
gationdenousyatteler»,adéclaré,
mardi28février,l’ambassadeur
allemandPeterWittig.Unpeuplus
tard,les 15paysmembresdu
Conseilentendaientlesecrétaire
généraladjointdel’ONUpourles
affairespolitiques,LynnPascoe.Le
hautresponsableamentionnédes
«informationscrédiblesselonles-
quelleslebilandésormaisexcède
souventlescentmortscivilspar
jour,dontbeaucoupdefemmeset
d’enfants».Enéchouant«danssa
missiondemettrefin aucarnage»,
lacommunautéinternationale
«sembleavoirencouragéle régime
[syrien]à croireensonimpunité»,
ainsistéLynnPascoe.
Cessez-le-feu quotidien
Lesdeuxseulesprioritéssurles-
quellesleConseilsembleaujour-
d’huiunanimesontl’arrêtdesvio-
lenceset l’accèshumanitaireaux
villesetzonesassiégées.LaRussie
auraitsoulevélaquestiondel’ac-
cèshumanitairedevantleConseil
desécuritélasemainepassée.Mos-
cous’estdepuisprononcéen
faveurd’uncessez-le-feuquoti-
diendedeuxheures,allantjusqu’à
appelerDamasàcoopéreravecle
ComitéinternationaldelaCroix-
Rouge.«LesRussescherchentà sor-
tirdel’isolementdanslequelleurs
vetolesontplongés,ilssesontmis
lemondearabeà dosetsouhaitent
sortirdecetteimpasse»,faitremar-
querunesourcediplomatique.
Maissielleest prèsdecédersur
levolethumanitaire,laRussien’ac-
ceptepaspourautantd’yassocier
unvoletpolitique.L’absencede
touteréférenceauplandesortie
decrisedelaLiguearabe–quipré-
voitnotammentletransfertdes
pouvoirsdeBacharAl-Assadàson
vice-président–, équivaudraità
laisserlesmainslibresaurégime
syrien,soulignentdesdiplomates.
Lenouvelémissairedel’ONUet
delaLiguearabepourlaSyrie,Kofi
Annan,devaitrencontrersonsuc-
cesseuràlatêtedesNationsunies,
BanKi-moon,mercrediàNew
York,ainsique desmembresdu
Conseildesécurité.LaSyrieadéjà
faitsavoirquel’anciensecrétaire
généraldel’ONUétaitpersona
nongrata,Damasn’ayantpasété
consultépoursanomination.p
Alexandra Geneste
70123
Jeudi 1er
mars 2012
8. Le chef de file de l’opposition Macky Sall, interviewé à son domicile, à Dakar, le 27février. Y.BOUDLAL/REUTERS
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Unrapportdénonce,unanaprèslalevéedel’étatd’urgence,unemesureen«trompel’œil»
Portrait
Dakar
Envoyé spécial
L
’élève Macky Sall (50ans)
savoure sa revanche sur le
maître Abdoulaye Wade
(86ans), qu’il pourrait bien terras-
ser lors du second tour de la prési-
dentielle qui se dessine au Séné-
gal, à la fin du mois de mars. Selon
les résultats provisoires du pre-
mier tour de dimanche 26février,
le président sortant et son ancien
premierministre, un temps décrit
commesondauphin,devraienten
effetseretrouverpourleduelélec-
toral final. Un duel de générations
et de caractères plus que d’idéolo-
gie entre ces deux libéraux.
Rencontrédanssavastedemeu-
re du quartier résidentiel de Fenê-
treMermozàDakar,aulendemain
du premier tour, Macky Sall se
montreavectoutcequiledifféren-
cie de son maître: sérénité et sim-
plicité, faute de charisme, et res-
pect de l’adversaire. Tout juste
ose-t-il: «Il est évident qu’on a nos
chances de gagner, et ce n’est pas
ma faute si je suis jeune, ce n’est
pas un handicap.» Là où d’autres
candidats ont raillé l’âge avancé
du président, Macky Sall évite de
blesser.
Ilpourraitpourtantavoirlesuc-
cès plus démonstratif. Abdoulaye
Wade, élu une première fois en
2000,claironnedepuisdes semai-
nes qu’il remportera un troisième
mandat au premier tour du scru-
tin. L’argument s’inscrit dans un
discours de campagne. Il reflète
aussi le profond dédain de
M.Wade envers des adversaires
politiques dont il dit qu’aucun ne
luiarriveàlacheville.Et sûrement
pas Macky Sall, à propos duquel il
doit se dire aujourd’hui qu’il
aurait mieux fait de ne pas se lais-
ser abuser par ses rondeurs et ses
silences.Nisous-estimerl’acharne-
ment d’un homme dont il avait
blessél’orgueil.
C’était en 2007. Macky Sall
venait de conduire la campagne
victorieusedesonmentoràlapré-
sidentielle. Interrogé par un jour-
naliste sur la personnalité qui
pourrait lui succéder, le président
réélu lâche: «Je ne vois personne
autour de moi.» Macky Sall est
assis à ses côtés.
Cet ingénieur géologue et géo-
physicien, diplômé, entre autres,
de l’Institut français du pétrole,
avait pourtant gravi tous les éche-
lons durant les années 2000 :
ministre des mines puis de l’inté-
rieur, premier ministre, président
de l’Assemblée nationale, numéro
deux du Parti démocratique séné-
galais (PDS). Le coup de 2007 est
rude pour Macky Sall, faute d’être
surprenant. Son nom s’ajoute sur
lalonguelistededauphinsécartés
par le président lorsqu’ils com-
mençaientàluifairetropd’ombre.
Outre ses ambitions, M.Sall a
aussi commis un crime de lèse-
majesté: s’attaquer au jeune fils
du président, Karim, étoile mon-
tante du «wadisme» népotique.
Président de l’Assemblée, Macky
Sall avait convoqué Karim Wade
devant une commission parle-
mentaire,sans en informerle chef
de l’Etat, pour lui demander des
comptes sur sa gestion opaque et
dispendieusede l’Agence nationa-
lede l’organisationde laconféren-
ce islamique. «Je voulais savoir ce
qu’il avait fait du milliard de dol-
lars consacré à cet événement»,
nous explique-t-il. Le président se
fâche,«m’accused’inquisition»,se
rappelle-t-il. Abdoulaye Wade exi-
gesadémission.Ilrefuse.Qu’àcela
ne tienne, le chef de l’Etat change
la Constitution et ramène à un an,
contrecinqauparavant,lemandat
du président de l’Assemblée. La
ruptureest consommée.
Macky Sall avait-il calculé son
coup? Du jour au lendemain, en
attaquant un fils impopulaire et
en tenant tête au « Vieux », il
gagne ses lettres de noblesse d’op-
posant. Dorénavant, il va tracer,
seul, son chemin. En 2008, il
démissionne du PDS, fonde l’Al-
liance pour la République (APR) et
sillonne inlassablement le pays à
la rencontre des habitants, aux-
quels il présente un programme
économique et social d’inspira-
tion libérale destiné à charmer le
mêmeélectorat que M.Wade.
Objectif, la présidentielle de
2012. Et pour cette campagne, cet
homme qui se décrit lui-même
comme «solitaire» montre une
nouvellefoisqu’ilestunfauxindé-
cis.Quandlelargefrontanti-Wade
regroupé au sein du Mouvement
du 23juin (M23) appelle à occuper
laruepourempêcherlacandidatu-
reduprésident,jugéeanticonstitu-
tionnelle par le M23, MackySall
sait que rien ne fera reculer un
chef de l’Etat fier et entêté. Il fait
donc cavalier seul et se lance dans
unecampagneélectoraledeproxi-
mité à l’intérieurdu pays.
Sa stratégie est gagnante. Qua-
treans,seulement,aprèssaruptu-
re avec le président, Macky Sall est
à deux doigts de faire tomber le
maître. Sans esprit de vengeance.
«Entre Wade et moi, dit-il, c’est un
problèmedeconceptiondegouver-
nancedel’Etat,sinonilafaitdebon-
nes choses, dans la construction
d’infrastructuresnotamment.»
Finconnaisseurdes hommeset
dupartiaupouvoir,issudumême
moule libéral, il sait qu’en cas de
victoire il suffira d’attendre les
défections et les ralliements. «Je
formerai un gouvernement élargi
pourattirertouteslescompétences
auservicedudéveloppement.Iln’y
aura pas de chasse aux sorcières»,
précise-t-il. En attendant, Macky
Sall doit d’abord remporter le
second tour de l’élection. «Ce sera
facile», lâche-t-il.
«Wade, ancien opposant pro-
metteur, a tellement trahi d’an-
ciens alliés et déçu la population
qu’il ne dispose plus vraiment de
réservoir de voix pour le second
tour», avance l’avocat Babacar
Gueye.
Avec une rare pointe d’hu-
mour, Macky Sall propose une
voie de sortie au président: «Il a
dit qu’il était mon maître. Quand
votre élève vous met au tapis, le
plus sage est parfois d’abandon-
ner. Il devrait peut-être appeler à
voterpour moi.»p
Christophe Châtelot
L
a levée de l’état d’urgence en
Algérie,annoncéeilyaunan,
le 24février 2011, est un leur-
re. «Un trompe-l’œil», assure le
Réseau euro-méditerranéen des
droits de l’homme (REMDH) qui
dresse dans un rapport le bilan de
cettemesuredécidéeparlesautori-
tés algériennes dans le sillage du
«printemps arabe», dix-neuf ans
après son instauration.
«Le harcèlement des militants
par la police, l’interdiction injusti-
fiée des manifestations et des réu-
nions publiques, de même que le
recours à des pratiquesadministra-
tivesabusivespourentraverlacréa-
tion des associations: ces tactiques
continuent d’être communément
utiliséespouraffaiblirlasociétécivi-
le et entraver son action», accuse le
réseau de plus de 60 organisations
desdroitsdel’homme,crééen1997.
Dans les faits, poursuit-il, «la
plupart des dispositions de l’état
d’urgence ont en réalité été inté-
grées dans la législation ordinai-
re». Ainsi, la nouvelle loi sur les
associations,promulguéele12jan-
vier, «menace d’aggraver encore
les difficultés d’exercice du droit
d’association».
La création d’association est
conditionnéeàl’autorisationpréa-
labledesautorités,etnonplussou-
mise au régime déclaratif, le nom-
bre de membresfondateursnéces-
saire a été sensiblement augmen-
té, et le contrôle du financement
renforcé, en particulier pour les
associations étrangères.Ces dispo-
sitions, dénonce le REMDH, «ne
réflètent pas les demandes de la
société civile» exprimées lors des
consultations menées en juin2011
par le Conseil national économi-
que et social. Les restrictions les
plussévèresconcernentlesassocia-
tions de droits de l’homme. Et les
nouvelles demandes déposées par
certainesd’entreelles,commeSOS
Disparus,sontrestéeslettremorte.
Interdiction de manifester
La levée de l’état d’urgence n’a
rien changé non plus à l’interdic-
tion de manifester à Alger, en
vigueur depuis 2001, cependant
bravée plusieurs fois, ces derniers
mois, dans la capitale algérienne,
des gardes communaux aux étu-
diants.Surleresteduterritoire,qui
n’est désormais plus concerné par
l’interdiction, il n’est toutefois pas
aisé de manifester. Le 16octobre
2011, à Laghouat, des chômeurs,
qui ont dû affronter les forces de
sécurité,enont faitl’expérience.
Instauréle9février1992,dansla
fouléedel’annulationdesélections
législativesremportéesaupremier
tourparleFrontislamiquedusalut
(FIS),l’étatd’urgenceenAlgérieaeu
un profond impact sur la société
civile «systématiquement affai-
blie». La lutte antiterroriste pen-
dant les années de guerre civile a
ainsi permis de réprimer toute
voix critique.
«Toutefois,préciseleREMDH,la
persistance et le renforcement des
organisations de la société civile
malgré les obstacles auxquels elles
fontetcontinuentdefairefacepour-
raientconstituerlemoteurdechan-
gementsimportants.»
En vue des élections législatives
prévuesle10mai,Algervientégale-
ment d’autoriser près d’une ving-
tainedepartis,dontcertainspatien-
taientdepuisplusdedixans.p
Isabelle Mandraud
Moscou
Correspondante
A
quelques jours de la prési-
dentielle du 4 mars, le
Kremlin a mis fin, mardi
28 février, aux fonctions de
SergueïDarkine,49ans, le gouver-
neur de la Province maritime
(Extrême-Orient), officiellement
pour«raisondesanté».Alatêtede
la région depuis 2001, le gouver-
neur était impopulaire parmi ses
administrés, outrés par ses liens
avec le monde interlope et son
implication dans quelques affai-
res de corruption.
Sergueï Darkine semblait indé-
boulonnable.Depuis2004,lesgou-
verneurs ne sont plus élus au suf-
frage universel, ils sont nommés
par le Kremlin qui les jauge à leur
loyauté.Malgré son impopularité,
il avait réussi, en 2010, à se faire
reconduire à son poste pour cinq
ansparleprésidentDmitriMedve-
dev. La population de la Province
maritimeen avait pris son parti.
Le 15décembre 2011, la gestion
désastreuse de M.Darkine appa-
rut au grand jour devant des mil-
lions de téléspectateurs. C’était au
moment de la séance annuelle de
«questions-réponses» entre les
Russes et le premier ministre Vla-
dimir Poutine, retransmise par
toutes les chaînes de télévision.
L’exercice, intervenant onze jours
après les législatives du 4décem-
breentachéesdefraudes,étaitnet-
tement moins guindé qu’à l’ordi-
naire.
Aumomentoùlaliaisonfutéta-
blie avec Vladivostok, la capitale
régionale, à 9000km de Moscou,
laparoleéchutàunpetitentrepre-
neur, Andreï Goldobine: «Vladi-
mir Vladimirovitch! Combien de
temps encore Sergueï Darkine va
resteràsonpostealorsquesesfonc-
tionnairesn’arrêtentpasdeserem-
plirlespochesavecl’argentdubud-
get et celui des entrepreneurs?»
Visage crispé, M.Poutine écouta,
pritfébrilementquelquesnoteset
répondit: «Il n’y a pas que la cor-
ruption,ilyaunegrandecriminali-
té dans cette région bien plus
qu’ailleurs.»
Etpuisplusrien.Ilsemblaitévi-
dentquelebaronduPacifiques’en
étaittiréavecunlégerblâme,com-
meen2008,lorsqu’ilaéchappéde
justesse à une mise en examen
(sonbureauavaitétéperquisition-
né) en venant plaider sa cause à
Moscou après une alerte cardia-
que. Il avait donc été épargné. Ses
adjoints n’ont pas pu échapper
aux poursuites judiciaires mais le
nom de Sergueï Darkine n’a
jamais été mentionné au cours
desaudiences.Leprincipalbénéfi-
ciaire du groupe criminel jugé fut
décrit comme «une personne non
identifiée».
Son brusque limogeage à quel-
ques jours de la présidentielle du
4mars a pris de court la plupart
des commentateurs. A Moscou
comme à Vladivostok, personne
ne peut croire que la corruption,
véritable pilier du système, est la
vraie raison de sa disgrâce.
Certes, M.Darkine y est allé un
peu fort. Récemment, il a acquis,
au nom de sa femme, Larissa
Belobrovaïa, la base de pêche de
Nakhodka, dirigée par son frère,
Oleg Darkine. Pour ne rien arran-
ger, il s’est brouillé avec un puis-
sant homme d’affaires du cru,
Rouslan Kondratov, le fils d’un
général de l’ex-KGB, ce qui n’est
jamais bon, vu que les «hommes
enépaulettes» tirent lesficelles de
l’économie.
Enréalité, SergueïDarkinea été
écarté en raison du mauvais score
(33%) réalisé par le parti Russie
unie aux législatives du 4décem-
bre. A Vladivostok, le grand port
russe du Pacifique, le parti de
M.Poutine,quiaremportélamajo-
rité absolue des sièges à la Cham-
brebasseduParlement(Douma),a
faitunscorede23%,soitunchiffre
nettementinférieur à la moyenne
du pays (49,23%).
Alarméparlavaguedecontesta-
tion, Vladimir Poutine, candidat à
untroisièmemandatprésidentiel,
mise désormais sur une victoire
dès le premier tour. Avec ce limo-
geage,leKremlinenvoieunmessa-
ge à ses barons régionaux.
Ceux qui n’obtiendront pas le
score requis le 4mars, soit plus de
50%, ont du souci à se faire. «Ils
doivent songer à leur retraite», a
prévenuM.Poutine.D’oresetdéjà,
les gouverneurs de Vologda,
d’Arkhangelsk, de Volgograd et de
Tomsk, où les scores de Russie
unieétaient particulièrementbas,
ont dû rendre leur tablier. Pour
«raison de santé» bien sûr.p
Marie Jégo
«Quandvotreélève
vousmetautapis,
leplussageestparfois
d’abandonner»
Macky Sall
Le camp du président sénégalais,
Abdoulaye Wade, candidat
contesté à un troisième mandat,
a reconnu, mardi 28février, qu’il
serait contraint de disputer un
second tour face à son ancien pre-
mier ministre Macky Sall. «Tout
indique qu’il y aura un second
tour: ce sont les chiffres qui le
disent», a déclaré, mardi, El Hadj
Amadou Sall, un des responsa-
bles de la campagne électorale
de M.Wade. D’après une estima-
tion de l’Agence France-Presse
portant sur 39 des 45départe-
ments sénégalais, M.Wade arrive
en tête avec 32,6% des voix,
contre 25,8% à M.Sall, qui devan-
ce Moustapha Niasse, un autre
ex-premier ministre (14,3%), le
chef du Parti socialiste Ousmane
Tanor Dieng (11,7%) et un troisiè-
me ancien premier ministre, Idris-
sa Seck (7,5%). – (AFP.)
Le camp Wade admet qu’un second tour aura bien lieu
MackySall,l’élèvequirêvedeterrasser
lemaîtreàlaprésidentielleduSénégal
Leprobableadversaired’AbdoulayeWadeausecondtourdel’électionavaitétésonbrasdroit
«Vladimir
Vladimirovitch!
Combiendetemps
encoreSergueï
Darkinevarester
àsonposte?»
Un petit entrepreneur
LeKremlinécarte
ungouverneur
del’estdelaRussie
LepartiRussieunien’aobtenuque33%desvoix
auxlégislativesdanslaProvincemaritime
8 0123
Jeudi 1er
mars 2012