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« Le pouvoir législatif et le Député dans la gouvernance publique et
le renforcement de la Démocratie »
Mesdames et Messieurs, Distingués participants,
De prime abord, Je voudrais remercier le Centre d'Education pour une
Société Durable d’avoir bien voulu me convier à la cérémonie de
lancement du projet intitulé « Au cœur de l’Hémicycle », en m’offrant
l’occasion de prononcer une conférence inaugurale portant sur le thème
suivant : « Le pouvoir législatif et le Député, dans la gouvernance
publique et le renforcement de la démocratie ».
Cher Magloire N’Dehi, je vous en remercie chaleureusement, tout en
espérant que ma jeune expérience de la chose politique sera suffisante
pour éclairer l’auditoire sur une thématique d’une telle complexité et
d’une telle importance.
Thématique Complexe, car pour celui qui entend traiter ce sujet dans sa
globalité, cela revient à répondre à la question de l’origine et des limites
du pouvoir politique dans la gestion des affaires publiques, à travers ses
différentes figures historiques.
Thématique Importante, car, selon la réponse que nous apporterons à
cette question, c’est de l’exigence démocratique que nous traiterons,
celle qui voudrait que le peuple soit maître de sa destinée, au lieu de
« Se livrer en aveugle au destin qui l’entraîne », comme le dit le
personnage d’Oreste dans « Phèdre » de Racine.
Je me propose de projeter quelques clartés sur ce sujet qui est toujours
d’actualité, que dis-je, qui est ici et aujourd’hui d’une brûlante actualité.
Vous m’interrogez, ce matin, sur la nature du pouvoir législatif, mais,
voyez-vous, c’est comme si, dans un cours de chimie consacré à la
synthèse de l’eau, vous ne parliez que du rôle de l’Oxygène, sans faire
référence à l’Hydrogène.
Alors, de même, le Professeur, au lycée, nous expliquait la synthèse de
l’eau, composée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule
d’oxygène, l’on ne peut traiter du rôle du législateur de façon isolée.
Voyez-vous, Chers participants, ce qui fait sens, ce sont les relations qui
doivent exister entre les différents pouvoirs, notamment celles de la
1
trilogie ‘Exécutif’, ‘Législatif’ et ‘Judiciaire’, pour que la bonne
gouvernance puisse s’exercer.
Que représente donc le pouvoir législatif, c’est-à-dire, comme vous
l’avez bien noté, quel est le rôle des Députés ?
Le Député est le représentant de la Nation toute entière, et cela quel que
soit la circonscription d’origine. Son mandat n’est pas impératif, il lui
revient donc de porter les aspirations et surtout les préoccupations de
tous les habitants de ce pays.
Résumer ainsi cela parait facile.
On pourrait imaginer que chaque Député se promène avec pour
bréviaire le fameux ‘Contrat social’ de Jean-Jacques Rousseau :
l’Honorable pourrait alors en se rendant à l’hémicycle, dans chaque
discussion, dans chaque commission, pour chaque décision, argumenter
à partir de ces principes qui sont des impératifs pour les enfants d’un
pays démocratique que nous sommes toutes et tous, et je cite :
« La souveraineté appartient au peuple » et c’est « un droit
inaliénable ». Y renoncer reviendrait donc à se situer en dehors du
groupe social auquel nous appartenons.
Relevons encore, cette formule si connue figurant dans le Préambule de
maintes constitutions:
« La démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et
pour le peuple ».
Cela constitue le triptyque de la bonne gouvernance :
1/ Gouvernement du peuple, cela signifie que, même quand il a choisi
ses représentants, en l’occurrence les Députés, le peuple peut toujours
leur retirer sa confiance ;
2/ Gouvernement par le peuple, cela veut dire que les députés qui ont
été chargés, dans leurs circonscriptions respectives, de représenter la
population, doivent le faire en se faisant l’écho des différentes
composantes de la dite population.
J’ai souvent eu l’impression que certains députés ont du mal à accepter
l’idée que, dès l’instant où ils sont élus, ils ne sont plus seulement
chargés de représenter les franges de la population qui ont voté pour
eux, leurs militants et leurs électeurs mais tout l’ensemble des membres
de la communauté.
2
C’est difficile à accepter, mais c’est pourtant si facile à comprendre : c’est
à lui de représenter les opposants qui ont voté contre lui, au même titre
qu’il parle et défend les positions de celles et ceux qui l’ont soutenu. Car,
pour mémoire, son mandat n’est pas impératif.
Je comprends bien que nos penchants naturels nous incitent à accorder
davantage d’importance et de considération qu’à nos intérêts partisans.
Il y a d’ailleurs un remède très efficace qui, à mon avis, pourrait conjurer
les méfaits de ce favoritisme, c’est de penser aux prochaines élections.
Un Député qui n’a pas su être équitable et juste subira la sanction
suprême : le verdict des urnes !
3/ Gouvernement pour le peuple, cette troisième et dernière injonction
est peut-être la plus importante, car il s’agit d’éviter que les détenteurs
transitoires du pouvoir considèrent leur mandat comme une occasion
inespérée de satisfaire leurs aspirations.
Ce qui prendra la forme de la corruption, ce véritable virus de la bonne
gouvernance, ce serpent de mer toujours renaissant, cette hydre à mille
têtes qui ne cesse de se régénérer à mesure que l’on tente d’en éviter
les désastreuses morsures.
En termes économiques, on peut exprimer la même idée en disant qu’un
bon gouvernement n’est pas seulement celui qui encourage la création
de richesses, mais est aussi celui qui en garantit la répartition équitable.
Vous me direz que l’on ne peut distribuer que la richesse qu’on a d’abord
créée, j’en conviens volontiers, mais il n’en demeure pas moins que
l’éthique doit guider la politique et qu’il faut admettre que l’on ne crée de
richesses que pour mieux les répartir.
Le but de la politique devant être toujours le même : parvenir finalement
à améliorer le sort des populations, dans toutes les composantes qui la
constituent ou, comme on le dit si souvent même si j’ai bien peur que
ceux qui utilisent cette formule en aient oublié le sens, dans toute la
richesse de sa diversité !
Un responsable politique qui ne parviendrait pas à montrer que son
action s’est traduite par un plus pour le plus grand nombre, en termes
d’espérance et de qualité de vie, ne serait pas, comme Houphouët-
Boigny ne cessait de nous le répéter, « digne de ce nom » !
Finalement, il me reste à aborder le second et dernier volet de mon
exposé; je veux parler du rôle du pouvoir législatif, dans ses rapports
3
avec les autres pouvoirs qui s’exercent dans la sphère politique. Car
comme je vous le disais plus tôt sa source, sa signification et sa portée,
n’ont de sens que par rapport aux autres figures du pouvoir qui
cohabitent au sein de l’espace politique.
Cela me donne l’occasion de souligner que le pouvoir politique est loin
d’être la seule forme de pouvoir et, selon les époques, il a plus ou moins
d’importance, par rapport aux autres pouvoirs, qu’ils soient religieux,
associatifs, syndicaux, culturels ou ésotériques.
Pour définir les composantes et les variables de ce fameux pouvoir
politique, source de tant de convoitise et auréolé de tant de mystères, ce
n’est pas d’une autre conférence dont j’aurais besoin, cette fois-ci, mais
d’une décennie pour écrire une thèse d’État sur ce thème, tant il est
vaste et sujet à controverse.
Qu’il me suffise ici de revenir à une seconde source d’inspiration qui
pourrait alimenter les réflexions et les actions des responsables
politiques.
Je veux parler de Montesquieu et de son magistral ouvrage, « L’esprit
des lois ».
Avouez que l’on ne peut être davantage dans le sujet, vu que nous les
Députés sommes précisément chargés de voter les Lois !
L’idée clef de Montesquieu est partie d’un constat : les hommes qui
disposent d’un pouvoir ont tendance à en abuser.
La séparation des pouvoirs a donc justement pour fonction de faire taire
ces ambitions hégémoniques, de tempérer chacun des pouvoirs par les
autres formes de pouvoir, qui en constituent autant de contre-pouvoirs.
Le pouvoir exécutif, correspondant au pouvoir du Président de la
République et de ses Ministres, a pour fonction d’administrer la
République.
Mais il est contrebalancé par le pouvoir législatif, qui est chargé de voter
les lois.
Ce dernier a donc une fonction de contrôle sur l’exécutif, comme par
exemple quand il s’agit, comme en ce moment, d’examiner le projet de
budget présenté par le Gouvernement.
Ce qui compte pour que la démocratie soit respectée, c’est que chaque
pouvoir respecte celui des autres, je dis des autres, car il y a aussi le
troisième pouvoir qui est le pouvoir judiciaire, (dont je ne parlerai pas ici,
4
sauf pour dire que, selon le même principe d’équilibre des pouvoirs, il
doit être indépendant).
C’est que chaque pouvoir, dis-je, fonctionne tout à la fois en parfaite
autonomie pour ce qui le concerne, et en parfaite complémentarité avec
tous les autres, pour ce qui ne le concerne pas.
Une fois encore, c’est d’une analyse systémique dont nous aurions
besoin, pour faire ressortir l’idée que le corps social est un ensemble
d’éléments qui doivent collaborer, coexister, afin que l’ensemble soit bien
réglé et bien régulé.
Montesquieu parle en ce sens de l’équilibre des pouvoirs et on
comprend mieux ce qu’il entend par là.
Le peuple doit veiller à ce que les pouvoirs législatif, exécutif et judicaire
soient équilibrés, justes et équitables.
Quand le pouvoir exécutif veut monopoliser tous les pouvoirs, il sacrifie
la démocratie sur l’autel de l’absolutisme, comme si le rêve des
Présidents de nos Républiques était de se retrouver dans les habits
d’apparat d’un Empereur ou d’un Roi !
Réciproquement, quand le pouvoir législatif outrepasse ses fonctions, il a
tendance à vouloir faire la grenouille qui voudrait être aussi grosse que
le bœuf, prenant plaisir à renverser les gouvernements tous les 6 mois et
à condamner ainsi leurs pays à l’inaction.
Le juste milieu a toujours été un équilibre difficile à atteindre et à
préserver.
Le juste milieu entre le régime présidentiel et le régime parlementaire,
cela s’appelle la République, une, indivisible, studieuse et ambitieuse,
que nous appelons de tous nos vœux.
Chers auditeurs, chers amis, nul n’ignore que nous vivons en Côte
d'Ivoire depuis quelque temps une actualité assez particulière, suscitée
et entretenue par plusieurs débats, et qui est celle de la modification
constitutionnelle.
Permettez-moi de vous dire que si aujourd’hui je ne me suis pas
prononcée sur la question du Oui ou du Non au référendum, c’est parce
que je souhaite vous encourager à vous faire vous-mêmes votre propre
opinion.
Le système politique ivoirien est-il conforme à cet équilibre
institutionnel ?
5
Sommes-nous dans une situation caractérisée par un trop plein de
puissance accordé à l’EXÉCUTIF ?
Est-ce au contraire le LÉGISLATIF qui dispose de pouvoirs
disproportionnés ?
Faites-vous votre propre idée, à la lumière de vos expériences et de vos
convictions !
Et s’il s’avère que l’équilibre souhaité n’est pas respecté, dans quelle
direction, selon vous, devrait s’orienter la formulation d’un projet de
réforme de la Constitution : limiter le pouvoir présidentiel ou le
renforcer ? Réduire le pouvoir des Députés ou le renforcer ?
Tels sont les enjeux actuels, et puisque c’est au peuple souverain d’en
décider, chacune et chacun d’entre vous doit se prononcer, avec un sens
aigu de ses responsabilités citoyennes.
C’est cela la souveraineté du peuple, elle ne se divise pas, elle ne
s’achète pas parce qu’elle ne se vend pas !
Je vous remercie de votre attention.
Yasmina OUEGNIN
6

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  • 1. « Le pouvoir législatif et le Député dans la gouvernance publique et le renforcement de la Démocratie » Mesdames et Messieurs, Distingués participants, De prime abord, Je voudrais remercier le Centre d'Education pour une Société Durable d’avoir bien voulu me convier à la cérémonie de lancement du projet intitulé « Au cœur de l’Hémicycle », en m’offrant l’occasion de prononcer une conférence inaugurale portant sur le thème suivant : « Le pouvoir législatif et le Député, dans la gouvernance publique et le renforcement de la démocratie ». Cher Magloire N’Dehi, je vous en remercie chaleureusement, tout en espérant que ma jeune expérience de la chose politique sera suffisante pour éclairer l’auditoire sur une thématique d’une telle complexité et d’une telle importance. Thématique Complexe, car pour celui qui entend traiter ce sujet dans sa globalité, cela revient à répondre à la question de l’origine et des limites du pouvoir politique dans la gestion des affaires publiques, à travers ses différentes figures historiques. Thématique Importante, car, selon la réponse que nous apporterons à cette question, c’est de l’exigence démocratique que nous traiterons, celle qui voudrait que le peuple soit maître de sa destinée, au lieu de « Se livrer en aveugle au destin qui l’entraîne », comme le dit le personnage d’Oreste dans « Phèdre » de Racine. Je me propose de projeter quelques clartés sur ce sujet qui est toujours d’actualité, que dis-je, qui est ici et aujourd’hui d’une brûlante actualité. Vous m’interrogez, ce matin, sur la nature du pouvoir législatif, mais, voyez-vous, c’est comme si, dans un cours de chimie consacré à la synthèse de l’eau, vous ne parliez que du rôle de l’Oxygène, sans faire référence à l’Hydrogène. Alors, de même, le Professeur, au lycée, nous expliquait la synthèse de l’eau, composée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène, l’on ne peut traiter du rôle du législateur de façon isolée. Voyez-vous, Chers participants, ce qui fait sens, ce sont les relations qui doivent exister entre les différents pouvoirs, notamment celles de la 1
  • 2. trilogie ‘Exécutif’, ‘Législatif’ et ‘Judiciaire’, pour que la bonne gouvernance puisse s’exercer. Que représente donc le pouvoir législatif, c’est-à-dire, comme vous l’avez bien noté, quel est le rôle des Députés ? Le Député est le représentant de la Nation toute entière, et cela quel que soit la circonscription d’origine. Son mandat n’est pas impératif, il lui revient donc de porter les aspirations et surtout les préoccupations de tous les habitants de ce pays. Résumer ainsi cela parait facile. On pourrait imaginer que chaque Député se promène avec pour bréviaire le fameux ‘Contrat social’ de Jean-Jacques Rousseau : l’Honorable pourrait alors en se rendant à l’hémicycle, dans chaque discussion, dans chaque commission, pour chaque décision, argumenter à partir de ces principes qui sont des impératifs pour les enfants d’un pays démocratique que nous sommes toutes et tous, et je cite : « La souveraineté appartient au peuple » et c’est « un droit inaliénable ». Y renoncer reviendrait donc à se situer en dehors du groupe social auquel nous appartenons. Relevons encore, cette formule si connue figurant dans le Préambule de maintes constitutions: « La démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Cela constitue le triptyque de la bonne gouvernance : 1/ Gouvernement du peuple, cela signifie que, même quand il a choisi ses représentants, en l’occurrence les Députés, le peuple peut toujours leur retirer sa confiance ; 2/ Gouvernement par le peuple, cela veut dire que les députés qui ont été chargés, dans leurs circonscriptions respectives, de représenter la population, doivent le faire en se faisant l’écho des différentes composantes de la dite population. J’ai souvent eu l’impression que certains députés ont du mal à accepter l’idée que, dès l’instant où ils sont élus, ils ne sont plus seulement chargés de représenter les franges de la population qui ont voté pour eux, leurs militants et leurs électeurs mais tout l’ensemble des membres de la communauté. 2
  • 3. C’est difficile à accepter, mais c’est pourtant si facile à comprendre : c’est à lui de représenter les opposants qui ont voté contre lui, au même titre qu’il parle et défend les positions de celles et ceux qui l’ont soutenu. Car, pour mémoire, son mandat n’est pas impératif. Je comprends bien que nos penchants naturels nous incitent à accorder davantage d’importance et de considération qu’à nos intérêts partisans. Il y a d’ailleurs un remède très efficace qui, à mon avis, pourrait conjurer les méfaits de ce favoritisme, c’est de penser aux prochaines élections. Un Député qui n’a pas su être équitable et juste subira la sanction suprême : le verdict des urnes ! 3/ Gouvernement pour le peuple, cette troisième et dernière injonction est peut-être la plus importante, car il s’agit d’éviter que les détenteurs transitoires du pouvoir considèrent leur mandat comme une occasion inespérée de satisfaire leurs aspirations. Ce qui prendra la forme de la corruption, ce véritable virus de la bonne gouvernance, ce serpent de mer toujours renaissant, cette hydre à mille têtes qui ne cesse de se régénérer à mesure que l’on tente d’en éviter les désastreuses morsures. En termes économiques, on peut exprimer la même idée en disant qu’un bon gouvernement n’est pas seulement celui qui encourage la création de richesses, mais est aussi celui qui en garantit la répartition équitable. Vous me direz que l’on ne peut distribuer que la richesse qu’on a d’abord créée, j’en conviens volontiers, mais il n’en demeure pas moins que l’éthique doit guider la politique et qu’il faut admettre que l’on ne crée de richesses que pour mieux les répartir. Le but de la politique devant être toujours le même : parvenir finalement à améliorer le sort des populations, dans toutes les composantes qui la constituent ou, comme on le dit si souvent même si j’ai bien peur que ceux qui utilisent cette formule en aient oublié le sens, dans toute la richesse de sa diversité ! Un responsable politique qui ne parviendrait pas à montrer que son action s’est traduite par un plus pour le plus grand nombre, en termes d’espérance et de qualité de vie, ne serait pas, comme Houphouët- Boigny ne cessait de nous le répéter, « digne de ce nom » ! Finalement, il me reste à aborder le second et dernier volet de mon exposé; je veux parler du rôle du pouvoir législatif, dans ses rapports 3
  • 4. avec les autres pouvoirs qui s’exercent dans la sphère politique. Car comme je vous le disais plus tôt sa source, sa signification et sa portée, n’ont de sens que par rapport aux autres figures du pouvoir qui cohabitent au sein de l’espace politique. Cela me donne l’occasion de souligner que le pouvoir politique est loin d’être la seule forme de pouvoir et, selon les époques, il a plus ou moins d’importance, par rapport aux autres pouvoirs, qu’ils soient religieux, associatifs, syndicaux, culturels ou ésotériques. Pour définir les composantes et les variables de ce fameux pouvoir politique, source de tant de convoitise et auréolé de tant de mystères, ce n’est pas d’une autre conférence dont j’aurais besoin, cette fois-ci, mais d’une décennie pour écrire une thèse d’État sur ce thème, tant il est vaste et sujet à controverse. Qu’il me suffise ici de revenir à une seconde source d’inspiration qui pourrait alimenter les réflexions et les actions des responsables politiques. Je veux parler de Montesquieu et de son magistral ouvrage, « L’esprit des lois ». Avouez que l’on ne peut être davantage dans le sujet, vu que nous les Députés sommes précisément chargés de voter les Lois ! L’idée clef de Montesquieu est partie d’un constat : les hommes qui disposent d’un pouvoir ont tendance à en abuser. La séparation des pouvoirs a donc justement pour fonction de faire taire ces ambitions hégémoniques, de tempérer chacun des pouvoirs par les autres formes de pouvoir, qui en constituent autant de contre-pouvoirs. Le pouvoir exécutif, correspondant au pouvoir du Président de la République et de ses Ministres, a pour fonction d’administrer la République. Mais il est contrebalancé par le pouvoir législatif, qui est chargé de voter les lois. Ce dernier a donc une fonction de contrôle sur l’exécutif, comme par exemple quand il s’agit, comme en ce moment, d’examiner le projet de budget présenté par le Gouvernement. Ce qui compte pour que la démocratie soit respectée, c’est que chaque pouvoir respecte celui des autres, je dis des autres, car il y a aussi le troisième pouvoir qui est le pouvoir judiciaire, (dont je ne parlerai pas ici, 4
  • 5. sauf pour dire que, selon le même principe d’équilibre des pouvoirs, il doit être indépendant). C’est que chaque pouvoir, dis-je, fonctionne tout à la fois en parfaite autonomie pour ce qui le concerne, et en parfaite complémentarité avec tous les autres, pour ce qui ne le concerne pas. Une fois encore, c’est d’une analyse systémique dont nous aurions besoin, pour faire ressortir l’idée que le corps social est un ensemble d’éléments qui doivent collaborer, coexister, afin que l’ensemble soit bien réglé et bien régulé. Montesquieu parle en ce sens de l’équilibre des pouvoirs et on comprend mieux ce qu’il entend par là. Le peuple doit veiller à ce que les pouvoirs législatif, exécutif et judicaire soient équilibrés, justes et équitables. Quand le pouvoir exécutif veut monopoliser tous les pouvoirs, il sacrifie la démocratie sur l’autel de l’absolutisme, comme si le rêve des Présidents de nos Républiques était de se retrouver dans les habits d’apparat d’un Empereur ou d’un Roi ! Réciproquement, quand le pouvoir législatif outrepasse ses fonctions, il a tendance à vouloir faire la grenouille qui voudrait être aussi grosse que le bœuf, prenant plaisir à renverser les gouvernements tous les 6 mois et à condamner ainsi leurs pays à l’inaction. Le juste milieu a toujours été un équilibre difficile à atteindre et à préserver. Le juste milieu entre le régime présidentiel et le régime parlementaire, cela s’appelle la République, une, indivisible, studieuse et ambitieuse, que nous appelons de tous nos vœux. Chers auditeurs, chers amis, nul n’ignore que nous vivons en Côte d'Ivoire depuis quelque temps une actualité assez particulière, suscitée et entretenue par plusieurs débats, et qui est celle de la modification constitutionnelle. Permettez-moi de vous dire que si aujourd’hui je ne me suis pas prononcée sur la question du Oui ou du Non au référendum, c’est parce que je souhaite vous encourager à vous faire vous-mêmes votre propre opinion. Le système politique ivoirien est-il conforme à cet équilibre institutionnel ? 5
  • 6. Sommes-nous dans une situation caractérisée par un trop plein de puissance accordé à l’EXÉCUTIF ? Est-ce au contraire le LÉGISLATIF qui dispose de pouvoirs disproportionnés ? Faites-vous votre propre idée, à la lumière de vos expériences et de vos convictions ! Et s’il s’avère que l’équilibre souhaité n’est pas respecté, dans quelle direction, selon vous, devrait s’orienter la formulation d’un projet de réforme de la Constitution : limiter le pouvoir présidentiel ou le renforcer ? Réduire le pouvoir des Députés ou le renforcer ? Tels sont les enjeux actuels, et puisque c’est au peuple souverain d’en décider, chacune et chacun d’entre vous doit se prononcer, avec un sens aigu de ses responsabilités citoyennes. C’est cela la souveraineté du peuple, elle ne se divise pas, elle ne s’achète pas parce qu’elle ne se vend pas ! Je vous remercie de votre attention. Yasmina OUEGNIN 6