1. Les eaux changeantes du lac Nokoué1
Situé au Sud du Bénin, séparé de lʼAtlantique par un long et large cordon littoral sur
lequel sʼest bâti la ville de Cotonou, le lac Nokoué couvre durant la saison sèche une
superficie de quelque 160 km². Celle-ci triple, voire plus, en période de crues, si lʼon
tient compte des vastes espaces de marais bordant le lac proprement dit, qui sont
recouverts dʼeau durant quelques semaines par an. Le lac est alimenté par lʼOuémé,
un fleuve qui prend sa source dans le Nord du pays, à 450 kilomètres de
lʼembouchure. Bénéficiant de lʼapport de nombreux affluents, il se déverse dans la
lagune de Porto-Novo, à lʼEst du lac. Celui-ci reçoit aussi, dans sa partie Nord, les
eaux dʼune rivière plus courte, la Sô.
Carte de situation du lac Nokoué.
1 D’après l’article d’André Linard, . "Les Toffinous, hommes de l'eau" / André Linard /
Chasse-marée N°130 publié dans le n° 130 du Chasse-Marée de janvier 2000, réactualisé en
janvier 2012.
Les eaux changeantes du lac Nokoué, Présentation par André Linard 1/5
2. Photo : Arnaud de la Cotte
Le débit de ces cours dʼeau est tributaire des pluies, réparties en saisons dʼinégales
durée. Le Sud du Bénin en connaît deux, la grande, de fin avril à juillet, et la petite,
dʼoctobre à décembre. Le Nord du pays connaît une seule saison humide, de juin à
octobre, dont une période de fortes précipitations en août. Les pluies gonflent
rapidement le débit des rivières, ce qui provoque en aval une élévation de 1,20 m à
1,40 m des eaux du lac, entre juillet et septembre, avant quʼelles ne décroissent pour
retrouver en novembre le niveau dʼétiage, correspondant à une profondeur moyenne
de 1,50 à 1,80 m.
Dʼorigine lagunaire, le lac Nokoué était sans doute salé aux premiers âges de sa
formation. Mais depuis des siècles, ses eaux devenues douces sʼécoulaient
naturellement vers lʼEst à travers la lagune de Porto-Novo, pour rejoindre, après un
parcours dʼune centaine de kilomètres à travers un dédale de canaux, la lagune qui
borde Lagos – capitale du Nigeria – en communication avec la mer. Mais les
caprices des crues du lac, conjuguées aux fortes précipitations de caractère tropical,
provoquaient jadis de fréquentes et importantes inondations dans certains quartiers
de Cotonou, ville en pleine expansion déjà du temps de la présence française au
Dahomey (1851-1960) – le pays reprendra le nom de Bénin en 1975, soit quinze ans
après lʼindépendance. Lʼévacuation des eaux pluviales reste dʼailleurs aujourdʼhui un
problème majeur de cette agglomération de près de huit cent mille habitants. Ainsi,
au cours de lʼautomne 2010, de très importantes précipitations ont entraîné des
crues exceptionnelles des cours dʼeau alimentant le lac. La surcote a entraîné des
inondations catastrophiques à Cotonou et même dans les villages lacustres, lʼeau
recouvrant des jours durant le plancher des cases, pourtant remarquablement
adaptées au milieu. Ces inondations ont provoqué la mort dʼune quarantaine de
personnes et des dégâts considérables.
Les eaux changeantes du lac Nokoué, Présentation par André Linard 2/5
3. Photo : André O.Todjé
En 1885, afin de limiter ces effets dévastateurs, lʼadministration française de ce qui
deviendra neuf ans plus tard la « colonie » du Dahomey a entrepris le percement, à
la pelle et à la pioche, dʼune tranchée de 4 kilomètres de longueur dans le sable du
cordon littoral, pour évacuer plus rapidement une partie des eaux lacustres vers la
mer. Résultat : sous la pression de ce flux dʼeau douce, en quelques jours, la rigole
dʼà peine 2 mètres sʼest transformée en un chenal de 400 mètres de large. On
imagine les conséquences écologiques, car, une fois lʼeau douce évacuée, cʼest
lʼocéan qui est venu envahir le lac. Ce qui a entraîné des modifications de la flore et
de la faune, lʼeau salée stérilisant des zones périodiquement exondées, jusquʼalors
cultivées, et favorisant la venue dʼespèces marines au détriment de celles dʼeau
douce.
Durant des décennies, le nouveau chenal sʼest obstrué à plusieurs reprises, parfois
pour de longues durées, suite aux déplacements du cordon littoral. Mais les
événements ont repris une tournure spectaculaire à la fin des années cinquante, lors
de la construction du port en eau profonde de Cotonou. Ces travaux ont à nouveau
bouleversé le littoral et le chenal sʼest rouvert en grand. Lʼédification, en 1978, dʼun
barrage – resté inachevé – a favorisé temporairement le colmatage de lʼexutoire.
Dʼautres travaux seront repris sept ans plus tard pour limiter, autant que faire se
peut, la pénétration de lʼeau salée, qui domine néanmoins dans la partie Sud du lac,
la salinité diminuant dans le Nord. Mais quand vient la crue, le lac retrouve sa nature
dʼantan, lʼeau douce chassant lʼeau de mer. Alors, tandis que les espèces bien
adaptées à lʼeau saumâtre subsistent quelque soit lʼépoque, dʼautres,
essentiellement marines – en particulier les crevettes –, repartent vers le large,
remplacées par celles dʼeau douce descendant les rivières. Et à la fin de la crue, le
phénomène sʼinverse. Aujourdʼhui, les espèces les plus couramment pêchées dans
le lac sont les tilapias (appelées communément carpes), les aloses, les silures
blancs, les mulets, les gobies, toutes plus ou moins abondantes selon leur
acceptation du degré de salinité de lʼeau saumâtre (entre 5 et 30 0/00).
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4. Photo : Arnaud de la Cotte
Un fragile équilibre
Soumis à la pression démographique des villages lacustres et de Cotonou, totalisant
plusieurs centaines de milliers dʼhabitants, le lac frôle périodiquement lʼasphyxie. La
forte densité des pêcheries fixes, en particulier les akadjas dont les clôtures
ralentissent le cours de lʼeau, et les tonnes de déchets végétaux quʼelles génèrent,
favorisent une forte sédimentation. Le lac sʼensable avec lʼapport des rivières et
sʼenvase rapidement. Extrait au seau par des plongeurs en apnée, ce sable est
utilisé pour la construction. Par endroits, le fond sʼest rehaussé de près dʼun mètre en
une trentaine dʼannées. A cet effet de sédimentation sʼajoute le problème de la
qualité de lʼeau. Les villages lacustres sont fortement dépourvus dʼinstallations
sanitaires et dʼépuration. Dans une forte proportion, les déjections humaines et
animales se retrouvent dans le lac, qui, sʼil a pu digérer durant des siècles ces
apports organiques, en est moins capable aujourdʼhui.
Depuis une douzaine dʼannées, des projets sont menés pour doter les villages de
latrines collectives et dʼusage payant. Progressivement, des équipements conçus
chacun pour une centaine de personnes sont édifiés, à la satisfaction de tous. Mais
construire de tels ensembles en milieu inondable rencontre de grandes difficultés,
tant sur le plan technique que financier, et lʼaide de la communauté internationale
sʼavère souvent nécessaire.
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5. Photo : Arnaud de la Cotte
La pollution organique nʼa heureusement que peu dʼeffet sur la faune aquatique, sauf
exception, quand la conjugaison dʼune élévation excessive de la température de
lʼeau, une salinité trop élevée et des pluies violentes entraînant de grandes masse de
déchets, aboutit à une dégradation rapide et exceptionnelle du milieu.
En période de crues, lʼeau radoucie est efficacement épurée par les jacinthes dʼeau
qui prolifèrent alors. Nettoyeur redoutable, ce tapis végétal présente néanmoins
quelques inconvénients : il gêne la navigation des pirogues en frottant les coques, se
prend dans les hélices de moteurs des chalands, empêche la lumière de pénétrer
lʼeau. Et sʼil disparaît rapidement de la surface avec le retour de lʼeau salée, il
participe au phénomène dʼenvasement en se décomposant.
Lʼeau du lac nʼest pas utilisée pour la consommation. Naguère, lʼeau pour la cuisine
ou la boisson était puisée dans des trous creusés dans les marais. Ces réserves,
souvent éloignées des villages, obligeaient à dʼinterminables trajets en pirogue,
tâches dévolues par tradition aux femmes et à leurs filles. Cette situation sʼest
améliorée dès 1956 quand furent creusés les premiers puits artésiens. Encore rares,
ils nʼévitaient pas les longs trajets en pirogue mais donnaient une eau de bonne
qualité. Le changement fut radical à partir de 1984, grâce au forage de captages
réalisés à une centaine de mètres de profondeur. La nappe souterraine fournit une
eau dʼexcellente qualité distribuée par des stations munies de compteurs, quʼon paie
sur le champ en venant se servir.
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André Linard