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De la conscience et de la prise de conscience
Roslyn Young
J’ai envie d’écrire au sujet de la conscience et de la prise de conscience parce que l’anglais et
le français me permettent des entrées très différentes dans le domaine de la conscience et, par
conséquent, elles me fournissent des prises de conscience très différentes quant à la nature de
la conscience et des prises de conscience.
Depuis quelque temps, je me suis trouvée au contact de la différence entre la conscience en
tant qu’état – « awareness » en anglais – et les prises de conscience – « awarenesses ».
Nous pouvons facilement comprendre cette différence à l’aide du croquis ci-dessous.
Au point à gauche du croquis, la question et la réponse sont simultanées. Là, nous sommes
dans le domaine de l’état de conscience et l’anglais demande que nous parlions de
« awareness ». Cet état de conscience est même caractérisé par la simultanéité de la question
et de la réponse. Quand je cherche à décrire cet état en moi, je décris les déplacements de ma
présence.
En effet, dès que je cesse, pendant quelques instants, de vaquer à mes occupations pour
regarder en dedans de moi-même, je ne peux pas éviter de remarquer que j’ai une vie
intérieure faite de pensées, de réception d’impacts venant de l’extérieur, de reconnaissance ou
non de leur(s) signification(s), d’émotions et de sentiments – bref, de toutes les activités, les
transactions intérieures, les qualités qui me permettent de vivre une vie.
Mon accès à ma vie intérieure et extérieure se fait à travers ma présence qui est en constante
mouvance, se dirigeant tantôt par-ci, tantôt par-là pour saisir ce qui lui est accessible de mon
environnement. Une observation de ma façon d’opérer me montre que ma présence est portée
sur n’importe quelle activité qui m’occupe l’esprit pendant le moindre instant, n’importe
quelle activité dont je prends conscience. Elle se déplace pour tenir compte des impressions
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qui l’affectent ou qui la touchent. Chaque fois que ma présence se déplace, elle engendre un
ou plusieurs faits de conscience. (Nous savons, la science le démontre, que beaucoup
d’impressions entrent en nous sans être passées dans le champ de la conscience et que, par
conséquent, il y a en nous tous une vaste quantité de « faits inconscients ». Ce qui nous
concerne ici, ce sont les « faits de conscience », les faits dont nous avons pris conscience.)
Je peux être présente dans ma conscience comme je peux avoir conscience de ma présence, ce
qui me dit que la présence n’est pas identique à la conscience. Dans les deux langues, ce
qu’on appelle « la présence » est caractérisé par une certaine focalisation, ce qui n’est pas
toujours le cas pour la conscience.
Tous les faits que je sais être en moi sont des faits de conscience. Je m’arrête de taper ce texte
un instant pour porter ma conscience, mon attention, sur le monde autour de moi et
immédiatement j’entends les voitures dans la rue, certains bruits du voisinage. Je me remets à
taper et, au lieu de porter ma présence sur le contenu de mon esprit, je la porte sur le contenu
de mes oreilles. Aussitôt, j’entends le bruit que font les touches de ma machine quand elles
s’enfoncent jusqu’au fond du clavier. Je déplace de nouveau ma présence et j’entends une
voiture démarrer pas très loin d’ici; un bus passe. Je porte ma présence vers l’intérieur et
retrouve instantanément le goût d’une banane que j’ai mangée il y a une demi-heure, la
sensation de mes pieds sur le sol, de mon pull qui me démange à un endroit précis où il me
touche. Chacun de ces goûts, de ces sensations, de ces bruits, constitue un fait de conscience,
car j’en suis devenue consciente.
Dans cette description de mon état intérieur, c’est un artifice que de vouloir distinguer les
questions des réponses. Je peux, si je le veux, dégager à chaque fois une question : qu’entend
mon oreille en cet instant ? Et maintenant ? Et maintenant ? Et ma conscience me dit
immédiatement la réponse. Mais, en fait, les lieux des déplacements de ma conscience
constituent à la fois la question et la réponse.
Mais dès que nous nous déplaçons vers la droite de l’échelle ci-dessus, nous nous situons de
telle manière que la question et la réponse n’ont pas lieu au même moment dans le temps. Ici,
le français nous permet une compréhension plus profonde que l’anglais. En effet, c’est le
domaine de prédilection des prises de conscience. Mais d’abord, pourquoi le mot « prise » ?
Ce mot est utilisé aussi pour la gelée qui « prend » quand elle passe de son état liquide à son
état solide. De même, quand les éléments d’un problème se présentent à la conscience sous
une forme tangible, on parle de « prise ». Quand on quitte le point à gauche, Gattegno invite
les anglophones à utiliser les termes « awarenesses » ou « becoming aware », malgré le fait
que « awarenesses » n’est pas réellement susceptible d’être utilisé au pluriel. Le français
« prise de conscience » attire notre attention sur les transactions énergétiques qui ont lieu, la
coagulation de faits nécessaire pour créer des prises de conscience. Nous sommes plus
touchés par la tension créée par la question qui croît en nous jusqu’à ce que la réponse
jaillisse. La libération de la tension qui en résulte est accompagnée par un « Ah ! » si
caractéristique d’une prise de conscience et la force du « Ah ! » est en rapport avec la quantité
de tension associée à la question.
Ainsi, à droite de l’échelle, nous pouvons donner comme exemple la prise de conscience
d’Archimède qui l’a incité à courir à travers la ville en criant « Euréka ! » si fort que nous en
entendons l’écho 2 400 ans plus tard.
Archimède avait une question : comment pouvait-il mesurer le volume de la couronne toute
tarabiscotée sans la réduire à un bloc d’or ? Il était avec cette question depuis quelque temps,