1. Le broc' des Clapas.
La lecture de nombreux récits relatant la chasse à l'approche du chevreuil m'a
décidé de m'y mettre également. Le seul hic, étant que dans ma région, cette chasse
est souvent ressentie comme du braconnage autorisé. Tout pratiquant de cette
discipline est soupçonné de tirer tout ce qui se présente à lui, et, circonstance
aggravante, en plus pendant la fermeture générale de la chasse.
Il se trouve que sur le territoire privé où je chasse le sanglier en battue et au
chien courant, nous avons interdit le tir du chevreuil, pour préserver la créance des
chiens. Le corolaire étant que désormais, le petit diable roux a tendance à se
multiplier, et donc à titiller trop souvent le nez de nos chiens.
Dans le courant du mois de mars, le propriétaire du territoire me dit:
« j'ai envie de demander l'attribution de 4 bracelets pour faire du tir à l'approche ».
A ces mots, j'ouvre un large bec et dit: « je prends! ». La vente des trois autres
bagues ne fut qu'une formalité.
Donc, le 1 juillet, muni du précieux sésame, et équipé de pied en cape,
j'entamais à l'aube ma première sortie qui se solda par: « rien vu, rien entendu ».
Qu'a cela ne tienne faisant mienne la maxime « cent fois sur le métier... » je me
rendais matin et soir, deux fois par semaine, sur plusieurs lieux susceptibles
d'héberger un chevreuil. Toutes ces tentatives s'avérèrent vaines. A plusieurs reprises,
je me suis trouvé en présence des animaux, mais à chaque fois, la déception était au
bout. Chevrette, chevrillard figuraient au menu, mais jamais de brocard.
Mon inexpérience de l'approche, mais aussi le biotope de ce territoire ne
jouaient pas en ma faveur. La marche sur des milliers de petites pignes de pin,
occasionnant un concert bruyant que vient conclure les aboiements moqueurs du
gibier convoité.
Toutefois, ces nombreuses approches ponctuées d'arrêt pour jumeler, m'ont
permis d'observer des scènes de la vie de la nature qui m'ont enchanté. Voir la
nombreuse progéniture des sangliers, s'ébattre, se courser, se défier dans de folles
joutes guerrières a bien souvent occupé mon temps. En effet, que faire d'autre
qu'observer, sous peine de provoquer le « Waoof » de la laie meneuse, synonyme de
fuite éperdue et bruyante.
Un soir, pourtant, alors que je fais une halte pour jumeler, bien dissimulé dans
une pointe de bois, en lisière d'un champ de lavande, je décide de tester la grande
focale de mon appareil photographique.
Une compagnie de sanglier avait décidé de ne pas attendre le crépuscule pour venir
dans la culture à gibier située au bout des lavandes. Concentré sur les réglages de
mon appareil, je ne prête pas cas au bruit que je viens d'entendre derrière moi. Encore
des sangliers qui vont surement sortir sur ma gauche. Un nouveau bruit me décide
alors à tourner la tête: et là, mon cœur vacille.
2. A vingt mètres tout au
plus, un brocard,
magnifique, progresse
dans ma direction. J'ai
vraiment l'air fin avec
mon « bridge » à la
main et ma carabine
appuyée contre le fût du
pin sensé me dissimuler
à la vue du gibier.
Du coin de l’œil, je
continue à épier mon
brocard, pendant que
subrepticement, j'essaye
de laisser glisser l'apn
sur le sac et de le
remplacer par la carabine. Mes mouvements lents, masqués par mon corps, n'ont pas
l'air d'inquiéter outre mesure le brocard qui continue d'avancer lentement. Il ne faut
tout de même pas exagérer; arrivé à dix mètres, il commence à se retourner et à
repartir d'où il vient, mais toujours avec son train de sénateur. Inutile de vous parler
de mon rythme cardiaque à ce moment. Un ponte en cardiologie ne me donnerait à ce
moment là que quelques secondes à vivre.
Profitant de la volte face de l'animal, je me retourne lentement et le cadre dans
la lunette. Évidemment, j'ai comme cible le fameux haricot amplement décrit dans
tous les bons écrits cynégétiques. Grr, grr, grr et encore grr!
J'aurais pu conclure, si, au bout du « courradou » qu'il suivait, il avait tourné à
gauche vers un petit dégagement permettant un tir plein profil, hélas, « mossieur »
était de droite et provocateur. En effet, comme pour me narguer, il s'arrêta derrière un
gros pin, ne m'offrant à la vue que sa croupe.
Je t'aurai brocard, je t'aurai.
Une autre de nos rencontres se termina par des aboiements rageurs ou
provocateurs qui renforcèrent mon désir d'aboutir à la récolte de cet animal à
l'approche ou à l'affut.
Plus que jamais déterminé à tirer ce brocard, je décidais de multiplier mes
chances en pratiquant l'approche le matin et le soir. Habitant à une heure trente de
route de mon terrain de jeu préféré, je décidais de passer la nuit sous la tente.
Direction Décathlon, achat de la tente magique qui se déplie en deux secondes et qui
se replie en.... beaucoup plus de temps. Ma première nuit fut fort agitée en raison des
aboiements continuels des chiens de mon éleveur de copain. Il faut dire que les
sangliers pullulent, au point de venir vérifier la marque de ma tente. Plusieurs nuits
d'inconfort ainsi que des approches et des affuts infructueux me dissuaderont de
continuer dans cette voie. J'ai même essayé le « butolo » et appliqué à la lettre les
leçons de l'ami Hallaou. Je n'ai surement pas utilisé le bon mode d'emploi, car ma
3. seule tentative avec cet appeau se solda par la fuite effrénée d'une chevrette et de son
faon. Je crois que leur effroi les pousse à courir encore.
Le temps des battues au sanglier étant arrivé, je mis fin temporairement à mes
approches « brocard ».
13 octobre 2011
La date de la première grande battue au sanglier sur notre territoire privé
approche à grands pas. Je décide donc de passer en revue les lignes de poste et de
vérifier une dernière fois le balisage des sentiers d'accès. Joignant l'utile à l'agréable,
je décide de prendre ma carabine, qui pour l'occasion sera la Sauer 303 en 300 WM
équipée de sa lunette Z6i 1-6x24. Je sais, ce n'est pas l'idéal pour ce genre de chasse,
mais j'apprécie de pouvoir me déplacer avec la carabine chargée, mais non armée. De
plus, le réticule lumineux me sera d'un grand secours si je fais l'affut.
Ma tournée des postes s'étant terminée vers 17 heures, je décide de prolonger
ma journée sur un mirador de ma construction.
Lentement, le temps s'égrène. 18 heures, dix neuf heures, vingt heures...aucun animal
n'est sorti du bois. Les battues pratiquées aux alentours ont vraisemblablement
aiguisé la vigilance des animaux.
Toutefois, vers les vingt et une heure, un sanglier d'une quarantaine de kilos
daigne sortir du bois sur ma gauche et se met à retourner le sol à environ cinquante
mètres de moi. Je teste mon optique et mon réticule sur lui et reste surpris de la clarté
de cette lunette non utilisée dans sa vocation d'origine. Tout à coup, le sanglier lève la
4. tète, pointe son groin vers le ciel, redresse sa queue; un souffle d'air a dû lui porter
mon odeur. Inquiet, il rentre au bois, mais sans hâte et surtout en silence. Je reprend
mon observation silencieuse.
Il est vingt et une heure quinze, et pour la dernière fois, mon regard balaie le
champ qui est devant moi. Je me dis qu'il commence à faire aussi clair que...et que je
vais plier mes gaules; quand soudain, je le vois. C'est lui, j'en suis sur. Un brocard est
là, sur ma droite, à environ soixante mètres. Dans cette faible lumière il me semble
qu'il porte un beau trophée. Lentement les jumelles montent à mes yeux et là, il n'y a
plus de doute; c'est lui, celui qui m'a si souvent ridiculisé.
En silence, la carabine monte à l'épaule, le réticule se stabilise sur l'animal.
Boum! Aveuglé par la flamme de bouche et assourdi par la détonation, je perds un
instant la vision de ma proie, qui au lieu de s'écrouler sur place, gravit le petit talus
qui me fait face. Quel c.. j'ai manqué! Pourtant, rapidement je reprends mes esprits et
tente de me persuader qu'il n'est pas possible d'avoir manqué à cette distance, en tir
appuyé. Dix longues minutes se sont écoulées et je me rends enfin sur le lieu du
« crime ».
J'avais raison; à la lueur de ma frontale, je distingue une large flaque rouge
foncé et des débris mous entourant l'impact de la balle sur le sol. Il est touché et
vraisemblablement mortellement. Je suis la piste de sang jusqu'au haut du talus, et ne
voyant pas le corps du brocard, je décide d'abandonner la recherche et d'appeler un
conducteur de recherche au sang.
Ma nuit sera courte et agitée; peuplée d'interrogations concernant le succès de
la recherche, le placement de la balle, la beauté du trophée...
Sept heures quinze, Claude est pile au rendez-vous fixé. Après les salutations
d'usage le conducteur me redemande les circonstances de ce tir.
Nous nous rendons sur les lieux et « Douglas » le teckel est « mis à la botte ».
5. Un deuxième chien « forceur » m'est confié avec consigne de ne le lâcher que
sur ordre express.
Arrivés à l'anchuss,
Claude me confirme
que comme je l'avais
pressenti, il semble bien
que la matière
sanguinolente que j'ai
trouvée soit du foie.
Immédiatement,
« Doug » empaume la
voie et tire son
conducteur vers le haut
du talus.
Comme convenu, je
reste en arrière avec la
« bombe jagd » qui tire
comme un damné sur la
longe. Il s'agite
tellement, que j'aurais
de grandes difficultés
pour prendre des
photos. Au fur et à
mesure de la
progression de
« Doug », le conducteur
vérifie la piste et m'annonce les indices (fort ténus) qui la jalonnent.
6. Après plusieurs crochets
et environ 200 mètres
parcourus, c'est la
délivrance.
Claude m'annonce; il
est là et c'est un
magnifique trophée pour
notre région. Très ému,
je le rejoins et découvre
le »spectacle ».
Dans la nuit, les sangliers ont littéralement curé et dévoré mon brocard.
Qu'importe,
l'acte de
chasse se
termine de la
meilleure des
façons.
La chasse,
acte de
partage, n'en
déplaise aux
détracteurs,
aura ici
trouvé tout
son sens. La
nature m'a offert cet animal, cet animal m'a offert son trophée, Douglas et son
conducteur ont pu faire montre de leur savoir et de leur talent, et enfin les sangliers
ont eu leur part de venaison. Que dire de plus!
7. PS:
Au travers de ce récit, je voudrais remercier plus particulièrement Gardavou,
Cerf30 et Vulcain qui m'ont fait découvrir la recherche au sang du gibier blessé à
l'occasion des journées de formation au BCGG, Claude conducteur agréé et son
partenaire Doug, ainsi que Gaoulin et Hallaou (même si celui ci m'a donné une
mauvaise bande son pour l'utilisation du butolo), qui par leurs récits m'ont initié à
cette passionnante forme de chasse.