2. P.N.M. FÉV./MARS 2009
2
Carnet
Décès
Nous étions très nombreux à Bagneux,
vendredi 20 février 2009, pour témoigner notre affection et notre respect à
David DOUVETTE
disparu ce 17 février. David SZEJNBAUM
naît le 9 mai 1944 près de Tachkent où sa
famille juive polonaise se réfugie à
l’invasion de l’armée
nazie, puis rejoint la
France. Alors qu’il se
faisait
appeler
«Darry» à Tarnos, en
1956, c’est son nom
de plume que chacun
garde en mémoire, David DOUVETTE,
son nom d’historien.
L’hommage rendu par sa famille et ses
amis a été à la mesure de cet homme,
hors du commun. Que rappeler en
quelques lignes ? Le fils aimant, le frère
toujours présent, le mari attentionné, le
père qui transmettait ses valeurs à ses
filles, les faisant participer dès leur petite enfance à tous ses combats pour la
fraternité et la justice, le militant pour
un judaïsme laïque progressiste qui collabora longtemps à notre magazine
Presse Nouvelle, l’historien ennemi de
toutes les compromissions qui se battit
sans relâche contre le négationnisme et
le révisionnisme, pour la mémoire du
génocide et de la Résistance.
Il fut tout cela et bien plus, cet ami qui
fit toujours preuve d’un humour ravageur contre l’adversité, l’injustice, la
bêtise humaine, la maladie.
C’est avec le chant du ghetto de Vilno
que nous l’avons quitté : « Ne dis
jamais que tu vas ton dernier chemin...
notre pas résonnera, nous sommes là!»
Nous transmettons nos plus sincères
condoléances à son épouse Danièle, à ses
filles, Emmanuelle et Myriam, à son frère
Henri et à toute sa famille, dans cette douloureuse épreuve qu’elle traverse.
UJRE et PNM
*
Mon ami
Bernard Korolitski
alias Jacques Thélot dans la clandestinité, est décédé en ce début d'année.
C'était un ami. Il était souffrant depuis
longtemps mais sa perte est dure pour
nous, pour moi. Il était un des anciens
résistants de l’UJJ et de ses Groupes
de Combat à Lyon.
Né le 31 juillet 1923 à Paris, il refusa
de répondre à l'appel du STO. Il participa activement aux diverses actions
décidées par l'UJJ dans la région lyonnaise, en particulier à l'insurrection de
Villeurbanne. Il était titulaire de la
Carte du Combattant et de la Carte du
Combattant Volontaire de la
Résistance. Il était d'une famille de
jeunes juifs résistants dans l'UJJ à
Lyon : sa soeur Madeleine Dimet alias
Josée, son frère Ivan, et son autre
soeur Clara Clain alias Eve. Nous
pensons à sa famille et, tout particulièrement à son épouse Jeannette qui l'a
assisté et soutenu durant ces années.
Max Weinstein
Mémoire
Carnet
La famille STEINBERG demande à tous ceux qui ont connu
LUCIEN STEINBERG
d’avoir une pensée pour lui, au premier anniversaire de sa mort, le 3 mars 2008
Tauba-Raymonde Staroswiecki
a la joie de vous annoncer
la naissance d’
Agathe Michelle Tauba SAY
Un an déjà que tu nous quittais, Lucien. Ton humour, ta gentillesse, ton esprit d’à-propos,
ta présence nous ont manqués tout au long de cette année. Nous pensons à tes proches, à
ton épouse, tes enfants, tes petits-enfants et leur témoignons toute notre affection.
UJRE et PNM
Plurilogue
Bousculés par le rassemblement contre la croix gammée «bombée» au «14», par nos communiqués suite à l’offensive d’Israël sur Gaza, nous nous excusons de n’avoir pu répondre à tous
nos lecteurs. Merci d’avoir réagi ... pour nous soutenir, s’excuser de ne pouvoir manifester ou
nous accuser d’être manipulés par un fanatisme qui se réclame de l’Islam. La guerre est simplificatrice : d’un côté, les bons, de l’autre les affreux. L’instauration de la Paix est complexe ce qui
se reflète dans vos courriers. Comme nous, vous souhaitez un monde en Paix. Via la publication
de ces extraits, la parole est à nos lecteurs qui dialoguent ainsi entre eux, et avec nous. PNM
Quand le 4 janvier, l’UJRE critique les
"chant fut chanté les fusils dans les mains" ...
propos du Crif (cf PNM n° 262), certains
D’autres enfin se sentent impuissants :
d’entre vous nous soutiennent sans réserve,
Georges et Isabelle Israël est coincé totalece que Charles Dobzynski résume en ces terment, on ne peut rien contre des fanatiques
mes : La politique brutale du gouvernement
religieux ... le Hamas est un parti avec lequel
d'Israël est non seulement indéfendable
on ne transige pas alors qu'on peut le faire
humainement mais politiquement sans aveavec un parti laïque et responsable comme
nir. Maxime (Somme) ajoute : J'apprécie
le Fatah / C'est vrai, la manifestation de solivotre position claire et fondée. Nous remerdarité avec les Palestiniens n'était pas une
cient aussi Henriette et Fanny (Paris)
manifestation de soutien au Hamas. Le
pour un envoi qui vous honore / pour ce
« mur de la honte » était une mesure de
communiqué qui propose la seule alternatidéfense passive, violemment critiquée. Alors
ve respectueuse, courageuse et exigeante.
ne simplifiez pas la situation. La majorité
des Israéliens, comme des Palestiniens veuD’autres ont clairement dénoncé le silence
lent la paix, et même la Syrie, après l'Égypte
complice de l’UE et la mollesse de l’ONU si
et la Jordanie. Alors ne faites pas le jeu du
prompte à intervenir en Irak. Citons Serge :
Hamas !
l'encre n'était pas encore sèche de la résolution contre l'Irak pénétrant au Koweït que la
Quand le 8 janvier, l’UJRE publie sa
"coalition" américano-européenne envoyait
« Déclaration solennelle » (cf PNM n° 262),
ses armées et bombardait le pays : on peut
nous sommes à nouveau encouragés : Belle
comprendre le sentiment de deux poids deux
et bonne déclaration. Bravo et merci nous
mesures qui alimente le ressentiment des
dit Jean-Pierre Kahane, un autre lecteur
Palestiniens… Il dénonce aussi l’origine
développe : « Cette déclaration vous fait
colonialiste du conflit et cite Hertzl :
honneur et vous inscrit dans la grande
Israël ... le rempart de l'Occident contre les
continuité des principes fondateurs de
arabes sauvages, ces immigrés qu'il s'agit de
l'UJRE. C'est avec grand plaisir, en mémoire
refouler de nos sociétés. Henri s’interroge :
de mes grands parents internationalistes
Le prophète dit : les fils des persécutés doirésistants et assassinés pour cela, de mes
vent …être les gardiens de la justice. Ces fils
oncle et tantes FTP MOI, de l'histoire terrible
ont-ils perdu la mémoire ? Liliane
de cette gamine d'alors qui est ma mère
(Normandie) demande aussi : Que faire de
jamais guérie de ce traumatisme, que je
plus ... pour aider le camp de la paix ?
retrouve sur ces valeurs-là une organisation
qui se distingue par des choix clairs, qui cerInformer, et s’informer sans relâche !
tes vont la mettre ici ou là à l'index. Mais peu
Aujourd’hui, on ne peut gagner une guerre
importe. La rigueur de la pensée ne peut se
sans d’abord gagner l’opinion. Bush n’a-t-il
satisfaire du silence honteux. Cette déclarapas dû mentir pour faire avaler la guerre
tion de l'UJRE est juste et courageuse, elle
d’Irak au peuple américain ?
me plaît. J'en reste là en vous féliciDes reproches, aussi, concernant notre attitutant. Geneviève (Paris) est émue aux larmes
de vis-à-vis du Hamas : Julien (Paris) : votre
de cette déclaration courageuse, quand on
communiqué aurait eu tellement plus de
connaît la difficulté qu’il y a à vaincre les
force si vous aviez écrit " l'UJRE qui condamréticences juives, compréhensibles eu égard
ne évidemment les tirs de roquettes du
aux parents installés en Israël. Et Elie
Hamas sur les civils israéliens, n'a aucune(Montpellier) est de tout coeur avec nous. :
ment manifesté un quelconque soutien à
Vous faites partie de ceux qui, à mon avis,
cette organisation "
sauvent l'honneur et l'âme de ce peuple juif
Serge (Chaniers)
et Roger (Paris)
qui semble avoir oublié, comble de l'histoire,
s’interrogent : Pourquoi diable restons-nous
ce qu'est l'humanité.
au Crif ? / Je me demande si l'UJRE ne
Denis Lathuillière, au nom de l’Association
devrait pas quitter le Crif... En tout cas, il
des Amis de Janus Korczak dont il est le
faudrait faire sauter le le " r " de Crif !
Président : Je suis personnellement très heuQuestion qui ne peut évidement être tranreux de votre prise de position claire et couchée que par uneAssemblée Générale et qui
rageuse et vous en félicite. Je suis convaincu
mérite et réflexion et débat.
que les amis de Korczak, ceux qui ont comCertains d’entre vous ont des avis contraires,
pris son combat pour le respect de l’enfant
Georges Je ne comprends pas... vous défilez
et la sauvegarde de l’humanité des humains,
avec la LDH et son islamophilie - Doucha
partageront aussi votre analyse.
Manifester au plus près possible de la banMohamed El Ghali (Cgt Dhl Desc) : La préderole de tête ... et de la LDH ! - Gisèle ... se
sence de l'UJRE ... [le] 10 janvier Place de la
joindre à d'autres organisations humanistes,
République renforce l'espoir qu'une paix
dénonçant les crimes contre l'humanité
juste, durable et fraternelle est possible entre
commis avec la complicité de l'UE, de la
deux peuples pour peu que les ambitions
France et des USA… Le terrorisme exercé
politiciennes dans cette région ne
par Israël ... rappelle d'autres temps où les
l'emportent pas sur les aspirations pacifiques
victimes étaient juives, enfermées dans un
des citoyens des deux côtés ! »
.../...
quartier bouclé et surpeuplé, privées de tout,
jusqu'au jour où n'ayant plus rien à perdre,
NDLR Nous poursuivrons ce « plurilogue »
pas même la vie, elles se sont dressées et leur
dans les prochains numéros de la PNM
le 9 février 2009
Chère Agathe,
tu fais la joie de tes parents
Anne D’ASTE BLANC
et Julien SAY
et celle de toute ta famille.
Bienvenue Agathe et Mazel tov
aux heureux parents !
AVIS
DE
R ECHERCHE
A l’UJRE, on les appelait « les JAKU ».
Elle, Dora JAKUBOWICZ, née au début
du XXe siècle, lui, Jacques, dénoncé
pendant la guerre, parti ... Ils se retrouvent par hasard dans le métro. Puis ils
habitent dans le 19e au 18 rue du Rhin,
à Paris.
Jacqueline Morell, qui rencontra Dora
en mai 1987, aimerait transmettre
l’entretien qu’elle réalisa alors aux
trois petits-enfants nés du fils de
Dora, trois garçons.
Qui pourrait l’aider à les retrouver ?
Vous ? Merci d’avance d’écrire au
journal.
*
Alain Simonnet recherche des renseignements sur la « Gestapo française »
qui sévissait rue Bassano Paris 16e
ainsi que sur les 50 fusillés du 2 octobre 1943 près du camp de
Romainville. Merci d’avance d’écrire
au journal.
LA PRESSE NOUVELLE
Magazine Progressiste Juif
édité par l’U.J.R.E.
Comité de rédaction :
Claudie Bassi-Lederman,
Jacques Dimet, Bernard Frédérick,
Jeannette Galili-Lafon, Sylvain Goldstein,
Patrick Kamenka, Nicole Mokobodzki,
T.R. Staroswiecki, Roland Wlos
N° paritaire 64825
(en cours de renouvellement)
C.C.P. Paris 5 701 33 R
Directeur de la Publication :
Jacques LEWKOWICZ
Rédaction - Administration :
14, rue de Paradis
75010 PARIS
Tel. : 01 47 70 62 16
Fax: 01 45 23 00 96
Mèl : ujre@wanadoo.fr
Site : http://ujre.monsite.wanadoo.fr
(bulletin d’abonnement téléchargeable)
Tarif d’abonnement :
France et Union européenne:
6 mois 28 euros
1 an
55 euros
Etranger, hors U.E : 70 euros
IMPRIMERIE DE CHABROL
PARIS
Je souhaite m’abonner à votre journal
“pas comme les autres”,
magazine progressiste juif.
Je vous adresse ci-joint mes nom, adresse
postale, date de naissance, mèl et téléphone
BULLETIN D’ABONNEMENT
PA R R A I N A G E
(10 € pour 3 mois)
J’ O F F R E U N A B O N N E M E N T À :
Nom et prénom ..............
Adresse .......................
Téléphone .....................
Courriel ......................
3. P.N.M. FÉV./MARS 2009
Société
3
Regard sur l’exclusion
Juifs et Sarcellois
entretien avec Norbert Haddad
Norbert Haddad est éducateur spécialisé, directeur de la maison de
retraite EHPAD Amaraggi, ancien chef du service social familial de la
Fondation CASIP-COJASOR, ancien secrétaire général adjoint du MRAP.
Le Comité d'aide et de secours aux israélites de Paris a été créé par le
Consistoire en 1909. Sa mission est de venir en aide aux israélites nécessiteux de Paris et
de Seine et Oise. Très vite, il distribuera à des juifs originaires d'Europe de l'Est des bons
de pain, de viande, de charbon et, déjà, des certificats de moralité exigés pour renouveler
les autorisations de séjour.
Propos recueillis par Sylvain Goldstein
Sylvain Goldstein : Comment voyez vous
l'évolution des personnes avec qui vous
êtes professionnellement en contact ?
Norbert Haddad : La pauvreté, la misère, l’exclusion, le mal-vivre continuent
leur progression. Cette année, cela fut
plus rapide, touchant chaque jour plus
douloureusement la population. Un véritable cancer ronge la société.
Notre époque est devenue celle des
«sans» : «sans travail», «sans logement»,
«sans soins», «sans accès à la culture»,
«sans loisirs», «sans vacances» et, aussi
quelquefois «sans papiers», bref «sans
avenir».
Vous nous parlez des « sans ... ». Qui
sont-ils ? La communauté juive donne
souvent l'image d'une communauté solidaire ?
N.H. : Nous ne pouvons pas savoir qui
est quelqu’un, à partir de ce qui lui
manque.
Quelle est votre action pour les sortir de
leur situation ?
N.H. : Quelle alternative proposer sans
isoler et enfermer les individus dans leur
manque ? Pour comprendre, pour épauler, pour aider les personnes en difficulté,
le principal «outil» des travailleurs
sociaux reste la relation humaine. La
pression sociale «normalisatrice» est de
plus en plus forte. Afin de les aider à s'en
sortir, il nous faut porter notre attention
sur les potentialités plutôt que sur les
déficiences.
Vous qui en tant que travailleur social
avez vécu au jour le jour au contact des
déshérités de la communauté juive, qu'en
pensez-vous ?
N.H. : Je trouve cela inacceptable, cette
pauvreté visible qui frappe les familles
n'est pas supportable. Mais il y a pire.
Les personnes les plus en difficulté, les
victimes les moins visibles, recroquevillées, renonçant aux dépenses les plus
élémentaires, ne se soignant qu’à toute
extrêmité, avec la peur du lendemain qui
les tenaille en permanence : ceux, en
bref, que nous n’arrivons plus à toucher,
ceux-là sont de plus en plus nombreux et
leur situation est tragique.
En 2008 quelles évolutions avez vous pu
observer ?
N.H. : Les situations sociales et économiques sont plus préoccupantes encore
que les années précédentes. La récession
économique et les disparitions d’emploi
multiplient les personnes en situation de
précarité, de pauvreté. Elles aggravent la
dépendance des plus fragiles.
Les membres de la communauté venant
des pays méditerranéens, communément
appelés séfarades ne semblent-ils pas
plus touchés ?
N.H. : Si, car l’intégration à la société
d’accueil ne s’est pas complètement
réalisée, parce que la nostalgie de «làbas» est trop forte. Les adultes se sont
enfermés dans un non-dialogue, y compris avec leurs enfants qui souffrent d’un
manque de communication.
Les transformations socio-économiques
ont bouleversé les liens sociaux et multiplié les divorces. En l’absence du père,
les mères sont absorbées par des difficultés financières et de gestion des problèmes quotidiens.
Livrés à eux-mêmes, évoluant dans une
grande solitude, les enfants ont de plus
en plus de comportements socialement
déviants et de troubles que la collectivité
ne parvient pas toujours à gérer. Le type
d’accompagnement social qui est requis
des professionnels est de plus en plus
lourd.
À court terme, une fracture sociétale
n’est-elle pas à craindre ?
N.H. : Les minima sociaux sont à l’heure
actuelle, d’un niveau scandaleux ! Les
mesures drastiques concernant l’indemnisation du chômage, le logement, la
santé excluent alors qu'elles devraient
aider à revenir au sein de la société.
Sur le logement, on observe une baisse
des crédits budgétaires pour la construction sociale, malgré une carence aiguë en
habitations de type HLM. Parallèlement,
le pourcentage de personnes qui seront
soumises au surloyer a augmenté, cela
risque tout à la fois de faire disparaître la
mixité sociale dans les quartiers et aussi
de mettre en grande difficulté des personnes déjà fragilisées. Parmi nos bénéficiaires, nombreux sont ceux qui en banlieue et grande banlieue risquent d'être
obligés de quitter leur logement social,
devenu trop cher pour eux, et de
s’éloigner de Paris. Ils se retrouveront
isolés, devenus invisibles des structures
sociales, à commencer de la nôtre.
Sur la santé, la baisse du remboursement
de certains médicaments, voire le déremboursement pur et simple, mettent en
danger les personnes les plus fragiles, les
personnes âgées, celles qui ne bénéficient pas d’une mutuelle. Sans compter
l’augmentation du forfait hospitalier et
les honoraires de médecins spécialistes.
Tout concourt à ce que les personnes se
referment sur elles-mêmes, se laissent
mourir.
Y a-t-il dans la misère, une fracture entre
ceux qui mangent du gefilte fisch et ceux
qui mangent du couscous, en bref les
ashkénazes et séfarades ont-ils face à la
misère des réactions différentes ?
N.H. : …Un individu en difficulté reste
un individu, quelle que soit la consonance de son nom ! ... Il nous faut faire référence à l’histoire de l’immigration en
France. Les ashkénazes sont arrivés en
France bien avant les séfarades (au
moins en région parisienne), ils sont intégrés depuis plus longtemps dans la société d’accueil…C’est le principe des différentes strates d’immigration… Les plus
anciens vont céder la place à ceux qui
sont arrivés plus récemment (c’est toute
l’histoire sociétale du quartier de
Belleville).
Et puis faire appel à un service social
communautaire relève d’une démarche
par Annie Peronnet
a communauté juive de
Sarcelles est arrivée massivement d’Afrique du Nord après
la décolonisation. Majoritairement
sépharades donc, les juifs de
Sarcelles ont tout laissé derrière eux.
Bénéficiant de l’aide aux rapatriés en
1961, les juifs d’Oran, Rabat ou
Tunis se sont retrouvés dans les
mêmes immeubles à loyer modéré ;
cela en dit long sur les moyens financiers
dont ils disposaient...
Aujourd’hui, certains habitent dans
des copropriétés, d’autres sont devenus chefs d’entreprise...
Pour les juifs, comme pour beaucoup
d’autres venus des quatre coins de la
terre, Sarcelles c’est la fin d’un exil,
la ville où l’on peut enfin poser ses
bagages et recommencer tout à
zéro...
C’est dans ce melting pot de déracinés que la communauté juive a pris,
à Sarcelles, un essor sans précédent.
Des années 50 où il fallait chercher
des produits casher à aujourd’hui,
où l’on ne compte plus les magasins
et restaurants arborant la cacherout,
la communauté juive de Sarcelles a
grandi avec la ville. Trois synagogues ont été construites, et le tissu
des écoles s’agrandit. Mais,
L
déjà enracinée dans le pays d’origine,
c’est le principe ancestral de la Tsédaka*
et de Guémilouth hassadim* à l’égard
des plus démunis, une forme de communisme primitif, bien antérieur à Marx et
codifié par Maimonide.
Un mot de conclusion ?
N.H. : Les militants d’associations caritatives et les travailleurs sociaux tirent la
sonnette d’alarme quant à la précarité.
Les laissés-pour-compte de notre société
sont toujours plus nombreux. A laisser
les gens sombrer, quand la rupture avec
le monde réel est trop forte, l’effort pour
se réinsérer devient quasi insurmontable.
Le principal pour le travailleur social, ce
n’est pas d’espérer un résultat visible et
efficace, mais de rétablir le lien social.
Telle est la population que nous
accueillons, avec des vies qui sont a
minima, des avenirs qui n’existent pas,
des existences qui sont niées, des identités qui sont brouillées.
Nous sommes bien sûr conscients que la
précarité ne touche pas exclusivement
les membres de la communauté juive,
mais quand nous intervenons auprès
d'eux, nous sommes mieux à même de
faire jouer les spécificités culturelles et
historiques.
* Dans le judaïsme, le terme Tsédaka
(hébr.) désigne la Justice ainsi que le principe religieux de l’aumône, celui de
Guémilouth hassadim (hébr.) représente
l’attribut de bonté, « troisième pilier sur
lequel repose le monde » selon la Mishnah,
ouvrage de littérature rabbinique.
n’oublions pas que la communauté
juive de Sarcelles est la plus pauvre
de France, dans une des villes les
plus pauvres de France aussi !
Pour autant, faut-il voir dans cette
dynamique communautaire un repli ?
Certainement pas. La communauté
juive de Sarcelles entretient des rapports étroits avec les institutions
républicaines. Pour commencer, ses
membres sont présents dans le tissu
sportif, social et associatif de la ville.
D’autres ont fait le choix de
s’investir directement en politique. A
Sarcelles, le vote de la communauté
juive n’est pas uniforme ; comme
ailleurs en France, il se partage entre
la droite et la gauche.
En local, c’est peut-être un peu différent... La communauté juive avait
présenté en 2001 sa propre liste pour
les élections municipales (liste
bleue). En 2008, ses membres ont
décidé de rejoindre, avant le premier
tour, la liste municipale d’union de la
gauche, conduite par François
Pupponi, actuel maire de Sarcelles.
Cette liste est composée de socialistes,
communistes, radicaux de gauche. Le
score obtenu a été sans appel : presque
70 % des voix !
Ainsi, trois des membres de la liste
bleue siègent au conseil municipal.
Des délégations importantes leur ont
été confiées, notamment l’action
sociale et le logement. Et les
Sarcellois ne peuvent que s’en féliciter. Depuis l’élection de mars 2008,
Gérard Uzan, élu aux questions
sociales, a fait de la lutte contre les
expulsions locatives une priorité.
Quant à Fabienne Sroussi, élue au
logement, elle mène une véritable
offensive auprès des bailleurs
sociaux ou privés afin d’élargir
l’offre locative faite aux Sarcellois ;
rappelons qu’à Sarcelles, plus de
6.000 familles, souvent à faibles
revenus, sont en attente d’un logement.
C’est un travail commun qui se construit chaque jour, dans l’intérêt de
toute la population sarcelloise. C’est
aussi un enrichissement pour tous les
élus de la majorité municipale. Nous
apprenons de l’expérience, du
savoir-faire des uns et des autres.
Nous l’avons souligné à l’occasion
de la cérémonie des vœux, pendant
que le conflit israélo-palestinien se
durcit et oppose parfois les communautés, à Sarcelles, aucun incident
n’a été observé. C’est ce qu’on
appelle préserver le vivre ensemble et
c’est le fruit d’une politique municipale faite de respect, de concertation
[5 février 2009]
et de dialogue...
NDLR Annie Peronnet est adjointe au
Maire de Sarcelles.
4. P.N.M. FÉV./MARS 2009
4
France
Un judaïsme apoCrif
Israël
Henri Levart
pocryphe : terme désignant un
écrit, une cause douteuses. Sous
le label du judaïsme sont commis
les actes les plus odieux. Et durant les
événements de Gaza, le Crif, s’octroyant
indûment la représentation du judaïsme
français, a soutenu mordicus la terreur
imposée par Israël à la population. Au
lendemain de cette horrible agression,
son président s’offre deux pages dans La
Croix sous un titre stupéfiant : Richard
Prasquier, un combat pour la perpétuation du judaïsme. Voilà le judaïsme
embarqué dans une déviance s’écartant
de ses valeurs originelles. Isaïe, Rachi,
Marx, Freud, Einstein, Politzer, Epstein,
où êtes-vous ? Jaurès avait dit : Nous
perdrions beaucoup s’il n’était pas prolongé dans la conscience française le
sérieux de ces grands juifs qui ne concevaient pas seulement la justice comme
une harmonie de beauté, mais qui la
réclamaient passionnément de toute la
ferveur de leur conscience, qui en appelaient au Dieu juste contre les puissances
de brutalité, qui évoquaient l’âge où tous
les hommes seraient réconciliés dans la
justice et où le Dieu qu’ils appelaient
suivant l’admirable mot du psalmiste ou
du prophète effacerait, essuierait les larmes de tous les visages.
Jean-Christophe Attias, directeur à
l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, le
dit avec solennité : Le judaïsme, patrimoine culturel et spirituel plurimillénaire, prodigieusement riche, complexe et
contradictoire, vaut infiniment plus que
les errements d’un Etat de fraîche date
qui, pour juif qu’il se dise, et pour légitime que soit son existence, n’est rien de
plus qu’un Etat. C’est le judaïsme qui est
un humanisme, et comme tel, c’est au
meilleur qu’il aspire… et je n’ai pu croire un seul instant que le judaïsme ne
m’oblige pas à voir comme un scandale
l’oppression dont un peuple est l’objet, la
privation totale de liberté qui est son lot
quotidien, les souffrances qui lui sont
infligées, le déni de son irréductible
humanité.
M. Prasquier s’en est violemment pris
aux communistes pour leur soutien au
peuple palestinien, les accusant de prêter
le flanc à l’antisémitisme.
Nous ignorions que Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies était
communiste. Il doit y avoir une enquête
approfondie, une explication complète…
les responsables devront rendre des
comptes devant les instances judiciaires,
a-t-il déclaré, qualifiant les bombardements d’attaques scandaleuses et totalement inacceptables.
Nous ignorions que la Congrégation des
Pères blancs était communiste : Nous
voudrions ajouter nos voix à toutes celles
qui ont eu le courage de s’élever afin que
cesse cette hécatombe, ont-ils dénoncé.
Nous ignorions que Rony Brauman,
ancien président de Médecins Sans
Frontières était communiste : C’est une
offensive menée avec un niveau de violence effroyable. Le rapport est de un à
cent entre les pertes israéliennes et
palestiniennes. Le niveau de mortalité
atteint les plus élevés que l’on connaisse
aujourd’hui à travers le monde a-t-il
commenté.
A
Nous ignorions que l’écrivain et historien israélien Shlomo Sand était communiste, s’insurgeant ainsi : Nous avions le
devoir de privilégier la diplomatie, de ne
pas commettre ce massacre de civils.
Nous ignorions que Stéphane Hessel,
ambassadeur de France, co-auteur de la
Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme, était communiste. Halte au
feu ! En se rendant coupables d’un crime
de guerre, les dirigeants israéliens risquent de creuser la tombe de leur propre
Etat, a-t-il proclamé.
Nous ignorions que les ministres des
affaires étrangères de l’Union africaine,
que la Fédération Internationale des
Droits de l’Homme, que l’Organisation
Human Rights Watch étaient communistes, qualifiant également le massacre des
Palestiniens de crime de guerre.
Nous ignorions que les vingt-quatre
associations de femmes israéliennes
étaient communistes : La danse de mort
et de destruction doit finir ont-elles affirmé.
Nous ignorions que John Jing, directeur
des opérations de l’UNRWA à Gaza, était
communiste, démentant la présence de
militants palestiniens dans son entrepôt
d’aide humanitaire parti en fumée suite à
des bombardements.
Nous ignorions que l’ONG norvégienne
Norwac était communiste, stigmatisant
les nouveaux types d’armes utilisés par
l’armée israélienne.
Alors, Monsieur Prasquier, entendezvous ces paroles d’indignation ? Aurezvous la sagesse de les prendre en considération ? L’auteur de cette chronique,
communiste juif dont la famille a été
anéantie, dont le père est mort pour la
France, le dit aussi avec force : Pas ça,
pas au nom du judaïsme !
En ces jours sombres où un pape, dont
M. Prasquier avait fait un vibrant éloge
lors de son voyage en France, est initiateur de la béatification de Pie XII, j’ai
retenu des paroles horribles mais significatives de l’évêque négationniste réhabilité par ce même pape:Je ne suis pas
seulement l’ennemi des juifs, mais aussi
celui des communistes.
Monsieur Prasquier, ne vous trompez pas
d’adversaire. Ecoutez ces vers d’Aragon,
poète communiste, écrits en pleine clandestinité (en 1943) :
Auschwitz...
Auschwitz ! Auschwitz !
Ô syllabes sanglantes ;
Ici l’on vit, ici, l’on meurt à petit feu.
On appelle cela l’exécution lente.
Une part de nos coeurs y périt peu à peu
Des élections
sous influence
e résultat des élections israéliennes
a été indubitablement marqué par
la «guerre» que le gouvernement
israélien a menée durant trois semaines à
Gaza, affrontements les plus violents
dans la bande depuis 1967. Les élections
ont été centrées sur les questions de la
sécurité d’Israël, avec une rhétorique
nationaliste, faisant passer au deuxième
plan les questions sociales. Bref, la
«guerre» a renversé la tendance qui se
dessinait et a permis au parti Kadima de
sauver la face et d’arriver premier (28
députés contre 27 au Likoud), même si
c’est au leader de la formation de droite,
Benyamin Netanyaou, que le président
de l’Etat, Shimon Peres, a demandé de
conduire le futur gouvernement.
L’ancien Premier ministre (il avait quitté le
L
pouvoir il y a dix ans, contraint à la démission
par le «lâchage» des partis nationalistes religieux qui lui reprochaient des négociations
avec les Palestiniens) a quatre semaines
pour former son gouvernement, sachant
déjà que le «bloc de droite» possède une
courte majorité à la Knesset (65 députés
sur 120). Netanyaou voudrait élargir sa
majorité pour ne pas être «prisonnier»
de l’extrême droite, d’où sa volonté de
former un cabinet d’union nationale,
incluant le parti travailliste et Kadima.
Le Parti travailliste a, pour sa part, subi
la plus lourde défaite de son histoire (13
députés, soit six de moins qu’aux élections
précédentes) et refuse, pour le moment en
tout cas, de participer au gouvernement
tout comme Tzipi Livni. La dirigeante de
Kadima se voit en leader de l’opposition
et se pose en recours possible. Sans entrer dans le détail des résultats électoraux, il est à noter que, dans le sillage de
la défaite du parti travailliste, la gauche
israélienne a perdu des plumes.
Le nouveau Meretz (qui se situe à la gauche
du parti travailliste) a perdu deux députés.
Il paie auprès de son électorat pacifiste
juif le fait d’avoir soutenu l’offensive
contre Gaza, du moins à ses débuts.
Par contre, le Hadash (Front démocratique
pour la paix et l’égalité, animé par le parti communiste d’Israël, le Maki) progresse. S’il doit
l’essentiel de ses suffrages à l’électorat
arabe israélien, il progresse aussi chez les
jeunes intellectuels juifs (il a notamment
mené une campagne remarquée contre le raciste Lieberman). Il gagne un siège (quatre
contre trois) et obtient près de 4% des suf-
frages, mais avec des disparités. Selon un
sondage sorti des urnes du quotidien de
centre gauche Haaretz, il obtient 52% des
suffrages dans les villes arabes de plus de
50000 habitants, obtenant le même score
à Nazareth et même 55 % à Ouhm el
Fahoum, pourtant fief du mouvement islamique israélien. Il réalise 4% des voix à
Haïfa et 2% à Tel-Aviv (lors des municipales la liste conduite par le député Dov Khenin,
également membre du bureau politique du PCI,
avait obtenu 32% des suffrages).
Limites de la faim, limites de la force :
Ni le Christ n’a connu ce terrible chemin
Ni cet interminable et déchirant divorce
De l’âme humaine avec l’univers inhumain
En tout, les partis arabes et non sionistes
obtiennent onze députés.
Il est à noter que le petit parti religieux de
gauche Meimad, pour qui la paix est plus
importante qu’Eretz Israel, ne perce pas (il
Ce sont ici des Olympiques de souffrance
Où l’épouvante bat la mort à tous les coups
était associé au parti travailliste lors des dernières élections), même s’il dépasse les 2%
Contrairement aux mensonges répandus, les communistes français ont été
parmi les premiers à dénoncer
l’extermination des juifs de France.
chez les kibboutzniks et obtient son score
le plus important à Jérusalem.
C’est la poussée de l’extrême droite représentée par le parti Israel beitanou qui
inquiète. Cette formation non religieuse
par J. Dimet
ouvertement raciste et fasciste obtient
12% des suffrages et 15 sièges. C’est sa
progression (plus quatre sièges) qui fait pencher dangereusement à droite la société
israélienne.
Pour les communistes israéliens il ne fait
guère de doute que la Knesset actuelle
n’ira pas à son terme et que des élections
générales auront de nouveau lieu d’ici
deux ans. Pour Dov Khenin, il est «impératif que les citoyens arabes palestiniens
[d’Israël] et les militants de gauche
s’unissent et présentent une alternative
aux forces fascistes grandissantes dans la
société israélienne». «Une nouvelle génération de jeunes est entrée en politique, at-il également déclaré, ils sont ouverts et
critiques et ils ont trouvé dans le Hadash
et le parti communiste une réelle alternative aux vieilles politiques sionistes.»
L’élection a un peu fait oublier Gaza et ses
destructions. On se rend compte aujourd’hui, avec plus de force encore, que les
objectifs et justifications de la «guerre»
n’étaient pas réels. Les roquettes n’ont
cessé de tomber sur le territoire israélien
depuis l’instauration d’un cessez-le-feu
unilatéral le 18 janvier dernier, deux jours
avant l’investiture de Barack Obama, le
Hamas n’a pas été éradiqué.
Le choix de la date de l’offensive montre
le cynisme des dirigeants israéliens qui
ont profité du changement d’administration aux Etats-Unis pour pouvoir
mener leur sanglante campagne sans trop
risquer de réactions américaines en retour.
On rappellera que le premier coup de téléphone du nouveau président Barack
Obama a été adressé à Mahmoud Abbas,
le Président de l’Autorité palestinienne ce
qui montre plus qu’un infléchissement de
la politique américaine dans la région.
Les mots ont un sens politique. S’est-il agi
durant ces trois semaines à Gaza d’une
guerre ? Une guerre opposerait deux
armées, deux Etats – y compris lors d’une
guerre civile, deux camps, parfois plus,
s’opposent.
Il faut donc dire et répéter qu’il n’y a pas
d’Etat palestinien, pas d’armée palestinienne, pas d’industrie de défense. En
d’autres termes, ce n’est pas une armée
qui s’est opposée à une autre armée mais
tout simplement (et cela a coûté 1300 morts
côté palestinien) une armée d’occupation
qui est venue châtier une population
enserrée dans un territoire enclavé et
fermé. La résistance palestinienne (il y a eu
par moments des combats acharnés) a été le
fait des organisations armées des différentes factions palestiniennes, dépendantes
du Hamas ou du Djihad islamique pour
les organisations n’appartenant pas à
l’OLP, ou dépendantes du Fatah ou des
organisations de la gauche laïque palestinienne, comme les branches armées des
Fronts (FPLP et FDLP) ou des communistes
palestiniens, regroupés dans le parti du
peuple (le PPP). Il est à noter d’ailleurs que
fin décembre 2008 le parti communiste
d’Israël a eu une rencontre à Ramallah
(Cisjordanie) avec le FPLP, le FDLP et le PPP.
C’est le refus d’Israël, comme des EtatsUnis de George Bush et de l’Union européenne de reconnaître la réalité issue des
élections palestiniennes, le blocus de
Gaza, qui ont conduit à cette situation.
Il est donc nécessaire aujourd’hui d’obtenir la
levée du blocus et de s’engager véritablement,
sans faux fuyant, vers la création d’un Etat
palestinien viable, disposant de tous les
moyensrégaliensd’unEtat. [23 février 2009]
5. P.N.M. FÉV./MARS 2009
Israël
Retour de Gaza
5
Tribune libre
Entretien avec Patrick Kamenka
La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a mené avec la Fédération des journalistes arabes (FAJ) et plusieurs responsables de syndicats de journalistes d'Europe et du monde
arabe ont terminé une mission de deux jours à Gaza, en faveur d'une action urgente pour
améliorer la sécurité des journalistes et de la presse dans la région, pour un journalisme professionnel. PNM interroge notre collaborateur Pierre Kamenka, membre de cette mission..
Peu après la fin de l’offensive israélienne, tu t’es rendu à Gaza avec une
mission de la Fédération Internationale des Journalistes. Quelles sont tes
impressions ?
ès la frontière égyptienne passée à
Rafah, c’est un spectacle tragique. Des impacts de tirs de F16,
d’obus de l’artillerie ont éventré les
immeubles désormais vides de leurs
habitants. Le long des routes, il y a
d’énormes cratères de bombes. Ici,
une usine s’est effondrée comme un
château de cartes. Là, des chars ont
tiré, les marques noires sur les façades
des habitations frappent l’œil. Les
bulldozers ont recouvert les gravats
des maisons comme près de Zeitoun,
dans la banlieue de Gaza, où une
famille de paysans a été décimée après
avoir été enfermée par les soldats
israéliens. Les survivants nient toute
présence de combattants. Alentour, les
champs sont inutilisables, hachés par
les chenilles des blindés. L’impression
de tirs à l’aveugle est très nette notamment au centre de Gaza ville. Des
quartiers semblent avoir échappé aux
aviateurs ou artilleurs de Tsahal,
ailleurs en revanche ce sont des rues
ravagées où les immeubles ne tiennent
que par les structures en fer. La vie
reprend néanmoins et les magasins
sont ouverts avec des victuailles difficilement accessibles en raison de la
hausse vertigineuse des prix. Bon
nombre de produits continuent à venir
de l’extérieur par les tunnels car le
blocus se poursuit. L’aide des ONG
étrangères est visible. Mais quel avenir pour ce peuple enfermé dans cette
enclave avec l’une des densités les
plus importantes au monde après cette
nouvelle “guerre” qui a fait des
milliers de victimes, dont des civils et
en particulier des femmes et des
enfants ?
D
Quelles conséquences sur le plan
intérieur après cette agression ?
l semble clair que l’attaque israélienne qui était planifiée de longue
date était surtout destinée à faire
remonter dans les sondages le ministre
de la Défense Ehud Barak, candidat
des Travaillistes, face au Kadima et au
Likoud en vue des législatives. Il fallait aussi faire pression sur
Washington avant l’arrivée de Barack
Obama à la Maison Blanche ; et puis
montrer ses forces pour rétablir
l’image de Tsahal amoindrie après la
guerre du Liban et aussi mettre en
garde l’Iran. Militairement, il semble
que les bombardements n’aient pas
atteint leur but, puisque le Hamas
d’après de nombreux témoignages,
s’est mis à l’abri et que les tirs des
missiles sur le sud d’Israël se poursuivent. Politiquement, le Hamas apparaît désormais comme le seul mouve-
I
ment à avoir affronté Tsahal sans compromis ; même si là encore des récits
indiquent que les dirigeants israéliens
ont souvent communiqué avec les
chefs du Hamas pour les prévenir
d’attaques contre leur QG. Résultat, le
Hamas a été remis en selle dans le but
de diviser et affaiblir les mouvements
palestiniens proches du Fatah ...
Quelles sont les conséquences
pour le mouvement palestinien ?
ur le plan intérieur, les luttes interpalestiniennes ne désarment pas
avec des arrestations de militants du
Fatah à Gaza, y compris semble-t-il,
pendant l’invasion israélienne. Le
Hamas accuse le Fatah de pourchasser ses militants en Cisjordanie. Les
medias sont aussi un enjeu des luttes
d’influence, le Hamas tentant de
contrôler les moyens d’information
locaux et les journalistes. Visiblement
l’opinion publique à Gaza ne semble
pas partager totalement les positions
les plus dures des leaders de ce mouvement islamiste face à Israël. L’OLP
de Mahmoud Abbas risque d’être de
plus en plus marginalisée et de ce fait,
le dialogue politique pour l’édification
d’un Etat palestinien dans le cadre des
résolutions de l’ONU à nouveau gelé
après les coups portés au processus
d’Oslo.
S
Quelle a été la mission de la F IJ à
Gaza?
a mission de la FIJ a été non seulement d’apporter une solidarité
humanitaire aux journalistes palestiniens mais aussi de mener une enquête sur les atteintes éventuelles de
l’armée israélienne aux lois internationales, dont la résolution 1738 du
Conseil de Sécurité concernant la protection des journalistes lors de conflits
armés et de saisir le secrétaire général
de l’ONU. « Nous saluons le courage
dont les journalistes locaux ont fait
preuve en face des attaques délibérées
qui ont, dans plusieurs cas, fait des
morts », a déclaré Aidan White,
Secrétaire général de la FIJ et chef de
la délégation à Gaza.
« Nous soutenons la demande du
Secrétaire général des Nations Unies
pour le respect du droit international
lors de conflits armés », a-t-il ajouté,
Aidan White condamnant également
« le sectarisme et les divisions » dont
sont victimes les journalistes palestiniens. Il a appelé ainsi à ce que la FIJ
forte de 600.000 journalistes (qui
L
adhèrent à 120 organisations présentes
dans une centaine de pays) contribue à
« assurer que les journalistes [à
Gaza] soient protégés et qu’il soit
mis un terme aux tentatives politiques de contrôle des medias et des
[8 février 2009]
journalistes ».
RFI
Non à l’amalgame !
Nos amis Claudie Bassi et Roland Wlos ont publié une Tribune libre dans l’Humanité du
4 février 2009. Nous la publions ici, compte tenu de l’intérêt qu’elle nous paraît présenter pour les lecteurs de la PNM.
militaire. Une paix juste et durable passe
ous sommes consternés par les
par la reconnaissance des droits natiopropos tenus sur RFI par
naux des Palestiniens, ce qui implique un
M. Prasquier, Président du
Etat libre et viable sur la base des résoluCrif, concernant la participation du Parti
tions de l’ONU et le droit à la sécurité
Communiste Français aux manifestad’Israël.
tions condamnant l’acharnement destructeur et inhumain de l’armée israélienLes murs, quels qu’ils soient, n’ont
ne, exigeant un cessez-le-feu et exprijamais garanti la sécurité. Ils étouffent
mant notre solidarité avec le peuple maraussi ceux qui se croient protégés.
tyr palestinien.
La sécurité ne peut être assurée que dans
Bien loin, comme ose le suggérer M.
le cadre d’autres rapports et du respect
Prasquier, de "défendre un mouvement
mutuel, comme le précise Théo Klein
qui est reconnu comme un mouvement
« ... le gouvernement d’Israël brise un
terroriste", le sens de notre participation,
avenir qu’il prétend défendre. On ne
en tant que citoyens français, communiscasse pas un peuple arc-bouté à sa terre.
tes, juifs, n'a rien à voir avec ce que proIl faut chercher à le comprendre et à le
clament les islamistes radicaux. Cela n’a
respecter… » Il ajoute « ... seuls la parorien à voir non plus avec un quelconque
le, le dialogue, la reconnaissance mutuelsoutien au terrorisme ni avec la moindre
le peuvent sauver l’avenir de ces deux
mansuétude envers l’intégrisme.
peuples… » **.
Notre action ne souffre aucune ambiguïIl est indispensable de faire respecter le
té. Nous sommes ulcérés de voir autant
droit international dans son intégralité,
d’enfants, de civils innocents, de
cela passe aussi par le jugement des crivieillards tués. La désolation et le champ
mes de guerre qui ne doivent pas rester
de ruines de Gaza maintenant que les
impunis. Il ne peut y avoir de paix sans
armes se sont tues nous affligent. Cela ne
justice.
signifie pas pour autant que nous approuLes négociations doivent reprendre et
vions les tirs des Qassam ou que nous
aboutir à la sécurité pour les deux peurenvoyions dos à dos l’Etat d’Israël et les
ples.
[4 février 2009]
Palestiniens. On ne peut ignorer que le
Claudie Bassi-Lederman, universitaire
gouvernement israélien n’a appliqué
Roland Wlos, ancien conseiller de Paris
aucune des résolutions de l’ONU (plus
d’une soixantaine).
* Avram Burg, Vaincre Hitler, Ed. Fayard
Avram Burg, ancien président de la
** Théo Klein, Petit Traité d’éthique et de
Knesset, a écrit «... et il reste encore
belle humeur, Ed. Liana Levi
beaucoup à dire sur les barrages militaires, les mauvais traitements, les coups,
les confiscations de maisons et de biens,
le vol des terres, les mesures administratives qui brisent des familles entières, la
violence des fanatiques, la capitulation
de l’armée face aux bandes de colons et
l’aspiration perpétuelle à la force …»,
«... mépris pour la vie de nos voisins ... » *.
Bertolt Brecht disait « ... on parle de la
violence du torrent mais on ne dit mot de
la violence des rives qui l’enserrent ».
Les propos de M. Prasquier peuvent laisser entendre que la condamnation de la
politique israélienne s’apparenterait à de
l’antisémitisme. Rien dans l’histoire de
L’U JRE communique...
notre parti n’autorise de tels propos.
Notre parti n’a jamais cautionné
Réintégration dans l’Eglise
d’un négationniste
l’antisémitisme, le racisme, en France et
partout comme dans l’ex-URSS et dans les
L’UJRE a appris avec consternation que
pays se réclamant du socialisme. Pour les
communistes, l’antisémitisme et le racisl’Eglise catholique s’apprêtait à réintéme ne constituent pas des opinions mais
grer un évêque dissident négateur de
des délits, ainsi que l’affirme la législal’existence du génocide des juifs pention de notre pays, et l’incitation à la
dant la deuxième guerre mondiale. S’il
haine raciale constitue une infraction plus
prétend attendre des preuves, nos
grave encore. En outre, M. Prasquier
aînés, eux, dont certains sont encore
connaît le rôle de premier plan joué par
parmi nous, n’en ont pas besoin pour
deux communistes juifs, Adam Rayski et
savoir ce qu’ils ont subi. Au surplus ces
Charles Lederman, dans la création du
Crif pendant les années de feu et de sang
«preuves» ont été fournies de nomde la seconde guerre mondiale.
breuses fois par les historiens les plus
Rappelons ce que disait Jean Kahn, préqualifiés. En fait, cette volonté de réinsident du consistoire israélite de France à
tégration constitue pour toutes les vicpropos de l’engagement de juifs dans le
times du génocide et leurs familles,
Pcf : « ... en réalité, c’est un humanisme
ainsi que pour l’humanité toute entière,
juif millénaire qui les incitait à lutter
une injure sans pareille, totalement
contre l’injustice, une servitude dont ils
inacceptable.
[12 février 2009]
avaient l’expérience inoubliable ». C’est
dans cette fidélité qu’aujourd’hui nous
(voir aussi p. 6 «L’évêque négationniste persiste et
affirmons notre message de paix pour
signe », et dans la PNM n° 262 - Janv./Fév. 2009 cette région. Il ne peut y avoir de solution
en p. 6 : «Faurisson, Ratzinger, même combat ?»)
N
6. P.N.M. FÉV./MARS 2009
6
Mémoire
Enjeux de mémoire
par Maurice Cling
n dépit des contorsions officielles, la réhabilitation de prélats
révisionnistes confirme une
inquiétante réécriture de l’Histoire.
Le contenu qui est souvent donné à la
Déportation apparaît profondément
réducteur. Il est fréquemment le reflet
de la « pensée correcte » actuelle plaquée sur la réalité historique dont nous
sommes les garants. « Nous n’avons
pas les mêmes valeurs », selon la formule consacrée.
Nazis et pétainistes n’éprouvaient nullement « la haine de l’autre », notion
empruntée à la psychanalyse, mais
plus précisément celle des « rouges »,
des « métèques », des pauvres, des faibles, etc.
Les résistants éprouvaient la haine du
fascisme et de la barbarie : le premier
numéro du Patriote Résistant associait
barbarie nazie et vichyste.
Ils ne brandissaient pas les « droits de
l’homme » comme un slogan, mais les
valeurs concrètes de la République
chèrement acquises.
Ils ne se référaient pas à des termes
bibliques tels que « Shoah »,
« Holocauste », le « Mal », les
« Justes », etc. - aux majuscules significatives - mais, comme on peut le lire
dans la presse clandestine, aux
« valets », aux « traîtres », aux « bandits hitlériens », aux « barbares », aux
« bourreaux ».
Notons qu’à Paris, lors de la dernière
commémoration de la rafle du Vel
d’Hiv, le régime de Vichy ne fut même
pas mentionné... Eux appelaient un
chat un chat, et Pétain un criminel.
Dans le même ordre d’idées, on constate que seul le racisme semble désormais caractériser le nazisme, voire la
Déportation tout entière, ce qui induit
une occultation abusive de la complexité de l’événement, des autres
cibles de la persécution et de la répression, de l’importance de la Résistance
française (combattants juifs compris),
dans le cadre de la Résistance européenne.
La persécution « raciale » menée par les
nazis et leurs « kollabos » français constituait fondamentalement un instrument
au service de leur politique générale, de
prétendue « révolution nationale » dans
le cas du régime de Vichy.
Le génocide - le crime le plus grave doit être situé dans ce cadre et occuper
sa place essentielle, sans s’opposer,
comme certains le suggèrent, à celle
de la répression de la Résistance, mais
au contraire se révéler complémentaire, puisque les deux politiques étaient
dirigées par les mêmes maîtres de
Berlin.
Qu’on songe à Klaus Barbie qui torturait
Jean Moulin et faisait arrêter les enfants
d’Izieu au service de la même cause.
Les « Premières Rencontres internationales de la mémoire partagée » patronnées par le gouvernement français en
2006 préconisaient le « respect
mutuel » des anciens combattants
(Wehrmacht et SS compris) « qui se
sont investis au service de leur
patrie », « sont allés jusqu’au sacrifice
suprême pour défendre leur pays, pour
défendre leurs idéaux » (sic, Hamlaoui
E
Mekachera, ancien ministre délégué aux
Anciens Combattants). Tel quel.
Tandis que la ministre de la Défense
de l’époque, Madame Alliot-Marie,
déclarait pour sa part : « A la repentance, je préfère la réconciliation sincère », opposant hypocritement la
condamnation du fascisme à une
« réconciliation » nationaliste, style
« paix des braves », balayant d’un trait
de plume le verdict de Nuremberg.
Le combat politique des résistants y était
baptisé « sacrifice », comme dans
l’opération Guy Môquet de l’actuel président de la République escamotant
l’engagement communiste du jeune
homme et la responsabilité écrasante du
régime de Vichy qui l’avait désigné et
livré à ses complices nazis pour être
fusillé.
Tout comme le massacre de Maillé
relevait dans le discours du président,
lors de la commémoration du 25 août
dernier [NDLR anniversaire de la
Libération de Paris], de la même barbarie que celle des talibans, pour justifier
l’envoi de troupes supplémentaires en
Afghanistan. Quel rapport avec le
combat antinazi ?
Ajoutons le fait qu’après la contestable
exposition française du Musée
d’Auschwitz, le Mémorial de
Compiègne, pourtant initié par la FMD
(Fédération pour la Mémoire de la
Déportation), présente une image défor-
mée de l’histoire de la Résistance :
notamment la quasi absence de référence à l’appel du 18 juin, aux discours du
général de Gaulle, tandis qu’on y
entend maints discours de Pétain.
Dans la foulée des Rencontres, le
« manuel franco-allemand » mis alors
officiellement sur
orbite illustre les
orientations nouvelles largement
inspirées de celles
de la RFA durant la
guerre
froide:
banalisation du
nazisme, dévalorisation
de
la
Résistance
(notamment des antifascistes allemands), amalgame des souffrances
des civils allemands et européens.
On se bornera ici à citer la présentation
révélatrice du massacre d’Oradour
aux élèves français (ce qui est le comble) : « des opérations de sabotage et
de harcèlement [de la Résistance] qui
provoquent parfois la riposte sanglante de l’occupant contre la population
civile » (p. 350 du tome 2).
Triple mensonge :
- Il n’y avait pas d’actes de résistance
à Oradour.
- On oublie de mentionner femmes et
enfants brûlés vifs dans l’église.
- On adopte le point de vue de la SS
agressée qui « riposte », ce que confirme la formulation des attentats « perpétrés » (sic) par les résistants.
C’est le langage des occupants.
Dans ce contexte, la provocation de
Dieudonné honorant Faurisson au
Zénith (avec la mascarade ignoble du
déporté juif) montre à l’évidence
l’accentuation de l’entreprise de
décervelage du peuple français, frontale ou oblique, au prétexte d’une prétendue « liberté d’expression » d’un
côté, par la voix des pouvoirs publics
de l’autre, dans le cadre français
comme dans le cadre européen.
L’évêque négationniste persiste et signe
La PNM avait réagi par un communiqué
de presse et signalé, dans son dernier
numéro, la scandaleuse réhabilitation de
l’évêque négationniste qui déclarait à une
chaîne publique de la télévision suédoise:
« Pas un seul juif n’est mort dans une
chambre à gaz ». L’épiscopat italien
s’était alors signalé par sa mollesse. Le
porte-parole de l’épiscopat allemand,
aidant ainsi la chancelière allemande à
faire preuve de fermeté à l’égard du pape,
avait inversement exigé la rétractation de
l’évêque. Il l’attendra longtemps. Tout au
plus Williamson a-t-il dit qu’il lui faudrait
se pencher à nouveau sur la question à la
lumière d’évidences nouvelles ! Né en
1940 et diplômé de Cambridge, il a
l’aplomb de plaider l’ignorance ?
Depuis lors, l’évêque a précisé que sa
détestation des juifs s’étend aussi aux
communistes et aux francs-maçons.
Franco et Pétain doivent le bénir ! En
outre, il est apparu que les quatre évêques
réhabilités et leur "Fraternité" sont tous
négationnistes. Ce que le Père Alain de la
Morandais a posément expliqué lors
d’une émission de Michel Drucker. Ils
sont contre la Révolution, contre la
République, contre les juifs, contre les
communistes, contre les francs-maçons,
contre le modernisme, contre l'avortement,
et bien entendu, contre Vatican II.
Ne pas sous -estimer. Ces gens sont dans
l’action, pas dans l’opinion. Leur objectif
est bien la reconquête. Ainsi vient-on
d'apprendre que Williamson vivait depuis
trois ans en Argentine où il dirigeait un
séminaire. Déclaré le 19 février persona
non grata en raison de ses propos négationnistes, Williamson est arrivé le 25 à
Londres. Feuille de route inconnue à cette
heure. Mais l’on apprend, via l’agence de
presse Zenit qu’à peine arrivé, il aurait
adressé au Vatican une lettre dans laquelle il demanderait pardon. A qui ? Mais à
Dieu ! Et de quoi ? Non de ses propos,
mais de leurs conséquences. « Je regrette
d’avoir fait ces déclarations et si j’avais
su à l’avance tout le mal et les blessures
qu’elles allaient susciter spécialement
pour l’Eglise, mais également pour les
survivants et les proches des victimes
d’injustices sous le IIIème Reich. »
Ne cherchez pas le mot de génocide :
vous ne le trouverez pas ! L’incident n’est
pas clos car ce n’est pas un incident.
Z 32 d’Avi Mograbi
Sorti le 18 février, ce film a également été présenté en ouverture
du festival Cinéastes contre la Guerre et l’Occupation.
Les documentaires dequide veulent
témoigner des crimes
guerre
choisissent, en général, faire entendre la parole des victimes et rarement la
voix du coupable. Avi Mograbi, cinéaste
israélien en contact avec un groupe
A ce sujet - cerise sur le gâteau - rappelons que la nouvelle loi allemande
dite loi Neumann exclut pratiquement
la participation des déportés étrangers
aux destinées des mémoriaux des
camps nazis, alors qu’en 1944, 90%
des déportés n’étaient pas allemands.
On y trouve aussi un amalgame entre
IIIe Reich et RDA, en se référant à
l’internement des nazis d’après guerre,
prévu cependant par les accords internationaux ; sans parler de l’aspect
financier, puisque les crédits prévus
par cette loi sont dégagés pour la
transmission de la mémoire des
« deux dictatures » (sic).
La banalisation du nazisme est patente.
Aujourd’hui, le danger essentiel, sous
prétexte de « réconciliation » francoallemande, vise en fait à remodeler la
mémoire collective du combat antifasciste et de la Résistance.
NDLR
Maurice Cling est membre de la
présidence de la Fédération Nationale des
Déportés, Internés, Résistants et Patriotes.
Cet article « Enjeux de mémoire » est
extrait du numéro de février 2009 du
Patriote Résistant, magazine mensuel de la
FNDIRP.
Maurice Cling qui fut
déporté à seize ans a
récemment réédité et
complété son témoignage, « Vous qui entrez ici », paru aux
Editions de l’Atelier
sous le titre « Un
enfant à Auschwitz »
Cf. La PNM a reçu du
n° 259 (oct. 2008) et aussi in PNM n° 247
(septembre 2007) la tribune libre de M.
Cling sur la “Mémoire partagée”.
d’anciens soldats d’Hébron,
a monté l’organisation
« Breaking the silence »
(Rompre le silence) dans le
but de montrer, expliquer, dénoncer les
exactions de l’armée israélienne. Il choisit la démarche inverse : faire témoigner
un criminel. Le film Z32 s’inscrit dans
un projet d’ensemble où le cinéaste souhaite filmer plusieurs de ces anciens soldats pour constituer les archives d’une
mémoire criminelle utile pour témoigner
de l’Histoire. Dans Z32, il s’agit du
récit d’un soldat d’une unité d’élite de
l’armée israélienne qui a participé à une
expédition punitive au cours de laquelle
deux policiers palestiniens furent assassinés. Mais, comment filmer ce témoignage sans cautionner ce crime ? Les
dispositifs choisis par le cinéaste, s’ils ne
convainquent pas toujours, ont le mérite
d’imposer une distance et de poser la
question. Avi Mograbi floute, masque ou
déforme le visage du témoin qui a exigé
l’anonymat ainsi que le visage de la
compagne de celui-ci, qui aide par ses
questions à faire naître le récit de son
ami. En alternance avec ces séquences
de témoignage, le cinéaste propose des
intermèdes musicaux dans son salon où,
accompagné d’un petit orchestre, nous
le voyons chanter le récit du soldat et
nous livrer ses propres réflexions. Enfin,
le fait de faire répéter le récit par
l’ancien soldat, à la demande de sa compagne ou du cinéaste, participe d’une
théâtralisation de la forme de ce récit.
Tout cela contribue à livrer un film déstabilisant qui interroge sur ce qui
est raconté par le soldat et au-delà sur
la société israélienne. Une société qui
paraît schizophrène entre les assassinats et
les exactions que l’Etat et l’armée imposent à sa jeunesse de perpétrer et
l’apparente banalité de cette même jeunesse. Il y a lieu de s’inquiéter sur les ravages qu’une société tout entière fondée sur
le sécuritaire et la militarisation produit.
Quelle conscience, quelle morale, quel
avenir, pour une jeunesse éduquée à
accomplir de tels crimes ? Laura Laufer
7. P.N.M. FÉV./MARS 2009
Littérature
7
Romain Rolland
et l’antisémitisme
LES JUIFS AMÉRICAINS
vus par André K ASPI
(1/2)
par François MATHIEU
romanesque en dix volumes qui constitue un appel à l’entente entre les
nations, les Juifs sont très présents.
uels furent les sentiments de
Romain Rolland envers les
Romain Rolland ne répugne pas aux
Juifs ? demande Antoinette
portraits qui, sous une autre plume que
Blum dans un article récent publié par
la sienne, seraient reçus comme des
la revue Europe*, dont il fut en 1923
clichés antisémites. Telle cette desl’un des fondateurs. Selon certains,
cription de Franz Mannheim, jeune
poursuit-elle, il fut antisémite. Selon
Juif admirateur de la musique de Jeand’autres, au contraire, un défenseur
Christophe : Il avait les cheveux noirs
des Juifs. C’est qu’évoluent, en raison
et bouclés, de beaux yeux intelligents,
de l’histoire de la première moitié du
un nez assez volumineux, qui, arrivé
XXe siècle, les dires et l’action d’un
près du bout, ne pouvait se décider à
des successeurs des empereurs des letaller ni à droite ni à gauche, et plutôt
tres et conducteurs d’idées, Voltaire,
que d’aller tout droit,
Victor Hugo, Anatole
allait des deux côtés à la
France ; d’un humaniste
fois, les lèvres grosses, et
qui présente bien des
une physionomie spiritraits communs avec les
tuelle et mobile. Ou le
illustres créateurs, intelportrait de Judith, la
lectuels et penseurs dont
sœur de Franz : On senil a écrit la biographie :
tait en elle une forte
Michel Ange, Haendel,
race, et, dans le moule
Goethe, Tolstoï, Beethoven
de cette race, jetés
(outre une Vie de
confusément, des éléBeethoven, publiée en
ments multiples, dispa1903, il rédige, entre
rates, de très beaux et de
1928 et 1945, un essai en
très vulgaires. […] Il eût
sept volumes, Beethoven,
fallu être plus habitué
les grandes époques
que Christophe à ces
créatrices),
Gandhi,
yeux, qui sont ceux d’une
Péguy.
Portrait de Romain ROLLAND (Paris, 1938) race plus que d’un indipar Masereel, Frans.
vidu, pour lire sous leur
Son chef d’œuvre, c’est
d’abord sa vie. Né à (1889 Blankenberghe - 1971 Avignon) voile humide et ardent
l’âme réelle de la femme qui était
Clamecy en 1866, devenu universitaire
devant lui. C’était l’âme du peuple
par l’École Normale Supérieure,
d’Israël qu’il découvrait dans ces yeux
l’École française d’archéologie de
brûlants et mornes.
Rome et des études de musicologie – il
enseignera l’histoire de l’art à l’ENS,
Mais on se rend compte très vite que
puis l’histoire de la musique à la
ces portraits sont un procédé
Sorbonne – ; Prix Nobel en 1916 ;
d’écrivain, d’autant que, après eux, il
défenseur de la civilisation contre la
décrit des comportements et, par le
guerre (Au-dessus de la mêlée, 1915) ;
biais de son personnage, s’en distanpuis militant révolutionnaire, lançant
cie. Le grand-père de Jean-Christophe
de Suisse ses messages de justice et de
n’aimait pas les Juifs, mais ce profesfraternité ; en relation épistolaire avec
seur de musique finissait par embrasles plus grands esprits, Tolstoï, Gorki,
ser ses deux meilleurs élèves juifs ;
Gandhi, Richard Strauss, Rilke, Hesse,
son père avait moins de scrupules à
Zweig, Freud, Einstein, Tagore ; miliprendre l’argent des Juifs ; et il troutant contre le fascisme et le nazisme
vait même cela très bien ; mais il faiqui menacent la paix dans le monde ; il
sait d’eux des gorges chaudes, et il les
se retire ultimement à Vézelay en 1937
méprisait. Jean-Christophe, lui n’avait
où l’occupant allemand n’ose
aucun de ces préjugés. Et Romain
l’inquiéter, pour y mourir en 1944 dans
Rolland d’accuser les antisémites
une sorte de recueillement mystique.
français de faire une mauvaise action
et une sottise, en décourageant par
Dans la première partie de sa vie,
leurs soupçons injurieux les senticomme en réaction au milieu de la
ments français des Juifs établis en
haute bourgeoisie intellectuelle juive
France. En dehors des raisons qui font
parisienne dans lequel il est entré par
que toute famille s’attache nécessaireson mariage avec Clotilde Bréal, fille
ment, au bout d’une ou deux générad’un professeur renommé de philolotions, au sol où elle s’est fixée, les
gie classique au Collège de France,
Juifs ont des raisons spéciales d’aimer
fondateur de la sémantique, il veille
le peuple qui représente en Occident
jalousement sur sa propre indépendanles idées les plus avancées de liberté
ce d’esprit. En pleine affaire Dreyfus,
intellectuelle. Ils l’aiment d’autant
il refuse toute pression de ses amis
plus qu’ils ont contribué à le faire
dreyfusards. Ma répugnance à
ainsi, depuis cent ans, et que cette
m’associer [aux Juifs] fit que je
liberté est en partie leur œuvre.
m’obstinai à rester en dehors de cette
Comment donc ne la défendraient-ils
bataille impure, écrit-il dans l’un de
pas contre les menaces de toute réacses Carnets. Pourtant, quand, dans sa
tion féodale ? C’est faire le jeu de
pièce Les Loups, où il transpose
l’ennemi, que tâcher – comme le voul’affaire à l’époque de la Révolution
draient une bande de fous criminels, –
française, il prétend conserver son
de briser les liens qui attachent à la
impartialité, les partisans du capitaine
France ces Français d’adoption. .../...
applaudissent à la pièce et, à son corps
* Antoinette Blum, Romain Roland et la
défendant, voient en lui l’un des leurs.
question juive, in Romain Roland,
Dans son roman-fleuve – expression
“EUROPE” n° 942, oct. 2007
dont il est l’inventeur – rédigé entre
1903 et 1912 – Jean-Christophe, cycle
(Suite au prochain numéro)
Le parcours d’un humaniste vigilant
Q
par Olivier GEBUHRER
LES JUIFS AMÉRICAINS par André
KASPI (Plon), critique d’ouvrage
e livre dont nous allons
parler comporte un double
titre ; celui déjà indiqué et,
en bandeau : Ont-ils réellement
le pouvoir qu’on leur prête ?
D’une part une étude socio-historique, d’autre part une réponse à
des clichés antisémites.
Sur le premier des deux plans, l’auteur,
historien réputé des Etats–Unis
d’Amérique, livre une mine de données
fouillées et de mises en relation toutes
intéressantes dont beaucoup sont novatrices. Sur le plan socio-historique,
l’ouvrage constitue et restera une référence sur la collectivité humaine qu’il
appelle LES JUIFS AMÉRICAINS ; inversion
caractéristique : pas les AMÉRICAINS
JUIFS ; reprend-il là à son corps défendant
une façon de voir qu’il critique par
ailleurs ou se plonge-t-il volontairement
dans la conception Nord-américaine des
« communautés » ? On ne sait.
L’autre aspect est infiniment plus problématique et c’est sur ce point que ma critique portera. On ne peut ici être aussi
détaillé que nécessaire.
L’auteur ne fait pas mystère de sa profonde sympathie pour la civilisation nordaméricaine ; il le fait clairement en tentant
de relier son approche à celle d’ Alexis de
Tocqueville revenu à la mode dans le débat
franco-français ; pour ce dernier, la démocratie n’est pas une création continue, c’est
un état diffusant inéluctable ; c’est le point
oméga de toute société auquel selon lui, la
société Nord–américaine est déjà parvenue en son principe ; Tocqueville ne fait
pas qu’ignorer les luttes de tout ordre, il
voudrait les reléguer à une sorte de phase
barbare de la civilisation humaine ; mais
ce qui est concevable en 1835 l’est beaucoup moins en 2009 ; André Kaspi
l’ignore superbement ; Capitalisme ? mot
quasi ignoré. L’important selon lui est de
savoir comment et si la « richesse »,
l’accès aux biens matériels, l’ascension
sociale diffusent ou non. On dira :
l’objet n’est pas l’étude du capitalisme
américain. Or, on ne peut prétendre étudier
la collectivité des « juifs américains » sans
parler de la stratégie nord-américaine de
leadership dans les affaires mondiales.
Seront ainsi exclusivement étudiés les rapports de la collectivité en question avec la
politique israélienne ; il n’est pas difficile
de démontrer que le cliché de la toute-puissance du « lobby juif », lequel est par
ailleurs un mode d’expression politique
légal reconnu aux Etats-Unis, est grossièrement faux. La question de savoir si « le
lobby juif » est utilisé au gré des objectifs
stratégico-politiques de la classe dominante n’est pas vraiment posée. André Kaspi
ne peut être passé à côté de la question ; il
préfère l’éluder, courant ainsi deux lièvres : tordre le coup aux idées toutes faites
empreintes d’antisémitisme et glorifier la
société nord-américaine. Quelque part,
c’est chose impossible.
La chose atteint son apogée sur plusieurs
points : lorsque A. Kaspi parle des « étranges » alliés que sont les « chrétiens sionistes » des Etats-Unis qui ont envahi
l’administration de Georges Bush, il est à
la fois préoccupé et indulgent ; il a bien
conscience que ce compagnonnage ultra
nourrit l’antisémitisme comme aucun
autre carburant, de l’autre il considère avec
philosophie l’attitude « pragmatique de
L
l’AIPAC » qui fait avec « des alliés
encombrants ».
L’antisémitisme, donnée permanente de la politique nord-américaine
jusque dans les années 1960, a reculé nous dit Kaspi ; on s’en félicite ;
on se félicite beaucoup moins de
savoir que c’est largement dû au
glissement à droite (pas nécessairement traduisible en termes de choix
partisan) d’une partie non négligeable des « Juifs Américains » ; c’est là semble-t-il, une sorte de condition tacite pour
« l’assimilation », qui ne gêne aucunement
notre auteur.
Les « Juifs Américains », nous dit-il, sont
beaucoup moins qu’auparavant des soutiens indéfectibles de la politique israélienne ; il ne s’en félicite nullement ; en cela il
est conséquent avec son point de vue politique ; quant à savoir si la tendance inverse serait un aliment de l’antisémitisme,
n’est pas la préoccupation d’André Kaspi.
De même, les Juifs Américains
« s’américanisent » ; voilà pour notre
auteur « un danger de dilution d’identité » .
C’est que pour Kaspi, il y a une parenté
entre le « sionisme militant » et la démocratie nord-américaine ; pour les organisations juives américaines aussi ; tout recul
du premier menacerait l’autre ; que le sionisme sous sa forme prosélyte puisse être
un aliment d’antisémitisme ne préoccupe
ni l’un ni les autres. Que cela prouve que le
« lobby juif » ne peut prétendre à la représentation de la collectivité des « Juifs
Américains » est pour notre auteur un sujet
de préoccupation implicite.
On est donc en droit de se poser la question : peut–on aujourd’hui attaquer de
façon convaincante l’antisémitisme en
pactisant avec les représentations idéologiques qui l’alimentent ?
Plus généralement, est-il possible de prétendre lutter contre l’antisémitisme et
d’être à ce point indifférent au sort du
monde ?
Peut-on ne rien voir de la tragédie qui
s’accumule au Proche-Orient (à l’époque où
le livre fut écrit, on ne parlait pas de Gaza ; on
n’en fera pas reproche à l’auteur) et des
responsabilités écrasantes des dirigeants
nord-américains et israéliens tout en prétendant lutter contre l’antisémitisme ?
A ces questions qui doivent hanter tout
humaniste, la réponse apportée par
l’auteur est OUI. C’est dramatique.
S P E C TA C L E A L P H A B É T I Q U E
Vendredi 27 & samedi
28 mars à 21h
Dimanche 29 mars
à 17h30
Dans un castelet évoquant un
théâtre portatif, un déroulant
d'images sert de fil conducteur à
une suite de contes, blagues,
chansons et paraboles sur le
thème des lettres hébraïques,
des mots, de la mémoire, qui
s'entrelacent le temps d'une ballade fluviale.
Le Marchand de temps - c’est le héros - pose
des questions simples mais fondamentales,
des contes malicieux mais profonds lui répondent, les lettres de l'Aleph-Beit, de l'Alpha-Bet
font la ronde pour s'inscrire au livre de l'oralité.
Théâtre de la Vieille Grille - Paris 5° M° Place Monge - Réservation : http://
vieille.grille.free.fr ou tél : 01 47 07 22 11
Anne Quesemand (texte, accordéon)
Laurent Berman (dessins, bugle)
Yannick Thépault (clarinette)
La Fiancée d’Aleph (Ed. Alternatives)