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UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
U.F.R Lettres et Sciences Humaines
Master « Sociétés, Espaces, Temps »
Mention « Histoire de l’art »
Spécialité « Histoire de l’art et de la culture »
Année universitaire 2009-2010




                                MEMOIRE DE MASTER II

                                               présenté par

                                      Romain JEANGIRARD

                                             le 23 juin 2010




   NICOLAS-VICTOR DUQUENELLE
      OU L’ANTIQUAIRE ACCOMPLI
                                       (1842-1883)




                               Sous la direction de :
              Madame Marie-Claude Genet-Delacroix (Université de Reims)
                Madame Frédérique Desbuissons (Université de Reims)
DES METHODES HISTORIQUES ET
ARCHEOLOGIQUES DE L’ANTIQUAIRE AU XIXe
                               SIECLE




               17
II.     TROIS  CLASSES    D’ANTIQUAIRES,  OU    LA
                   RECHERCHE DE « L’ANTIQUAIRE VERITABLE »

Après avoir esquissé un « aperçu de la race en général », Nicolas-Victor Duquénelle poursuit et
présente l’antiquaire sous trois variétés, de la plus à la moins nombreuse, de la plus généraliste à la
plus particulariste ; de l’amateur, du collectionneur et de l’archéologue.


                   L’antiquaire dilettante

                   Evoquant l’amateur, l’antiquaire rémois perçoit cette « variété de l’espèce
antiquaire » comme « la plus nombreuse » et « la plus inutile pour la science archéologique ». Il
perçoit également cette classe comme la plus généraliste, et dit à cet effet : « L’amateur a pour but
de réunir ce que les arts et l’industrie de toutes les époques ont pu confectionner ».
           Au cabinet de l’antiquaire qu’il sanctuarise, Nicolas-Victor Duquénelle oppose le « magasin
de bric-à-brac » de l’amateur. Puis, il continue sa démonstration par l’agencement des collections
de l’amateur, en indiquant que « les objets sont placés d’après l’effet qu’ils doivent produire ».
Autrement dit, il reproche à cette classe ou variété de l’espèce antiquaire de paraître, de faire
paraître et de présenter leur collection comme une illusion d’optique. Selon lui, la collection de
l’amateur se compose comme suit.
En premier lieu, il s’agit de copies et de reproductions. L’antiquaire décrit ces objets et dit : « on
remarque des reproductions en soufre, en plâtre, des statuettes, figurines, bas-reliefs, médailles,
auxquels le marchand a voulu donner un aspect antique par un badigeon menteur ». Outre le
reproche de l’apparence, Nicolas-Victor Duquénelle dénonce le dilettantisme de cette variété qui
acquiert par l’intermédiaire de marchands, dépeints ici en faussaires, des « reproductions
empâtées » d’antiques, qui ne présentent donc aucune valeur historique et archéologique. Evoquant
ce lien entre le marchand et l’amateur, Nicolas-Victor Duquénelle ajoute ultérieurement que « le
bon marché est toujours le point capital pour l’amateur qui a la prétention de réunir tous les genres
et toutes les époques 150 ». Il voit ainsi « l’anticomanie de l’amateur » comme un étalage d’objets
sans valeur marchande. L’illusion optique de la collection de l’amateur évoquée postérieurement est
ainsi résumée par Nicolas-Victor Duquénelle qui dit : « vues en masses et à distance, ces antiquités
font de l’effet ». D’une certaine façon, l’amateur est un imposteur. Il présente des objets reproduits


150
      DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 206.


                                                           37
vulgairement, réalisés par « quelque marchand de plâtre » et sans intérêt même esthétique puisqu’ils
n’ont pas été « exécutés par des artistes », comme authentiques.
En second lieu, il s’agit de vases antiques, cette fois authentiques, mais possédés « en petit
nombre ». Par ailleurs, l’antiquaire rémois voit ces objets comme « des plus communs ». L’amateur
amasse donc, sans se soucier de l’intérêt que présentent ces objets pour l’étude. Nicolas-Victor
Duquénelle ajoute toutefois que l’amateur « aime autant les imitations qui intactes, car il n’oserait
montrer des débris souvent curieux par leur forme ou par les dessins qu’ils représentent ».
L’amateur préfère donc la banalité à la curiosité, l’esthétisme à l’expression de particularismes
historiques et artistiques, et la quantité à la qualité.
L’antiquaire rémois, ensuite, nuance quelque peu son propos, en précisant que tel « objet curieux et
de valeur archéologique » peut orner le cabinet d’un amateur. Nicolas-Victor Duquénelle ajoute
cependant « qu’il n’y séjournera pas longtemps ; le possesseur sera toujours dispose à le céder,
surtout si, en le vendant, il peut s’indemniser des frais que lui occasionne son cabinet ».
            A l’inutilité et au dilettantisme, à l’imposture et à l’illusionnisme de cette « variété de
l’espèce antiquaire », Nicolas-Victor Duquénelle ajoute la recherche du profit et l’intéressement de
l’amateur lorsqu’il poursuit sa physiologie des amateurs en évoquant leur mépris et leur
méconnaissance des méthodes de l’histoire, de l’archéologie et de la restauration ; et leur préférence
pour la valeur marchande ou la valeur esthétique. En effet, il dit : « Heureux sera l’acquéreur, si
l’objet n’a pas subi de dépréciation par une restauration maladroite. J’ai connu un amateur qui
passait à l’acide les bronzes antiques, disant que la couleur métallique était bien préférable à ce
vert-de-gris toujours dangereux à manier ; c’est ainsi que, sans respect pour cette patine inimitable,
si recherchée des connaisseurs, il faisait, chaque année, subir à des bronzes et à des médailles le
nettoyage que réclament les ustensiles de ménage aux approches d’une grande solennité ».
A l’apparence trompeuse des collections d’amateurs étudiée ultérieurement, Nicolas-Victor
Duquénelle ajoute que les médailles, monnaies et jetons figurent au troisième plan de leurs
collections « parce que ce genre n’est pas assez apparent ». A propos de la perception de la
numismatique par l’amateur, l’antiquaire rémois dit que « ce qu’il possède d’antique est relégué
dans quelque tiroir ignoré, tandis que les médailles modernes, brillantes à la vue, sont exposées
avec ostentation, souvent sans distinction d’époque ou de localité ». Ce nouveau passage montre la
prévalence de l’amateur à l’ostentation et à la magnificence plutôt qu’à l’étude ; ce que Duquénelle
pense puisqu’il dit : « L’étude de l’histoire n’est pas de première nécessité pour certains
amateurs 151 ».


151
      Ibid., p. 206-207.


                                                      38
A ce catalogage des défauts des amateurs, l’antiquaire poursuit par leur naïveté et dit :
« aussi, les naïvetés qui leur échappent ont plus d’une fois donné la mesure de leur érudition, et,
quoiqu’il soit peu charitable de rire aux dépens d’un confrère en antiquité, je ne puis résister au
plaisir de vous citer un fait assez risible dont j’ai été témoin ». Nicolas-Victor Duquénelle énonce
une fameuse anecdote sur un amateur, qui lors de la présentation d’un objet antique, confondît Troie
et Troyes. Il explique ensuite qu’après audition de l’amateur, une restitution contextuelle et une
correction de l’erreur ont été apportées par l’auditoire ; ce à quoi l’amateur répondît que son erreur
était excusable, « attendu sa complète ignorance de l’histoire ». L’antiquaire veut donc montrer ici
que leur désintérêt pour certains amateurs ou leur méconnaissance de l’histoire pour d’autres, sont
reconnus et entendus par eux-mêmes.
Nicolas-Victor Duquénelle conclut sur cette variété et nuance son propos. Il évoque « une race
d’hommes estimables en tout point, et dont le seul tort est de partager la manie de notre époque ».
Très clairement, Nicolas-Victor Duquénelle énonce ici la contemporanéité de l’anticomanie. Il
poursuit et reconnaît qu’il existe dans la classe des amateurs « des exceptions », c'est-à-dire « des
personnes éclairées dont le bon goût et l’instruction dirigent la recherche » 152, qu’il place dans la
seconde catégorie, celle des collectionneurs.
Sur bien des points, l’analyse de Nicolas-Victor Duquénelle correspond au portrait de l’amateur
esquissé par Krzysztof Pomian à partir des dictionnaires de Furetière et de l’Académie, c'est-à-dire
celui qui amasse et forme un cabinet. Le terme de curieux est aussi utilisé. Il poursuit en définissant
la pratique de la curiosité, c'est-à-dire le désir et la passion de posséder des choses rares, comme
« la composante majeure de la culture savante des XVIe et XVIIe siècles » 153. Cette pratique est
ensuite régulée, cadrée et contenue par les institutions, étatiques et ecclésiastiques, par la mise en
place d’un « dispositif intellectuel et institutionnel », c'est-à-dire la réunion de groupes de savants et
la structuration académiste, pour crédibiliser la pratique savante 154.



                 L’antiquaire-collectionneur

                 Après avoir étudié l’amateur, Nicolas-Victor Duquénelle poursuit sa « physiologie de
l’antiquaire » avec le collectionneur.
        L’antiquaire rémois introduit son propos en montrant l’intérêt supérieur de cette « variété » à
la précédente.

152
    Ibid., p. 208.
153
    POMIAN, Krzysztof, Op.cit, 1987, p. 70-78.
154
    Ibid., p. 80.


                                                   39
Il qualifie le collectionneur de « néophyte de la science archéologique 155 » et entend ici montrer que
cette variété s’inscrit dans la modernité de la discipline. En effet, le collectionnisme est au XIXe
siècle est un phénomène de mode et un élément de modernité. Le collectionneur revendique sa
légitimité et s’inscrit dans un récit social général hérité de trois traditions : la condamnation du
comportement curieux, l’histoire de l’art et la littérature des sciences sociales, de l’économie et de
la sociologie. Sa typologie s’est renouvelée au XIXe siècle, et se concentre en trois figures dont
Nicolas-Victor Duquénelle est pour chacun de ces profils, partiellement, l’un des représentants : le
polyhistor, héritier d’une érudition locale et provinciale depuis le siècle des Lumières ; le voyageur,
qui voyage de l’échelon européen à l’échelon local pour décrire les antiquités et servir un
programme savant de prise en conscience et de conservation du patrimoine ; le secrétaire, enfin, en
lien avec « le gouvernement éclairé » et les milieux politiques, urbains, départementaux et étatiques.
Le collectionnisme au XIXe siècle devient « un espace d’affirmation collective d’intérêts partagés »
avec l’anticomanie et la celtomanie, et la vulgarisation imprimée de ses contenus par la publication
des catalogues. Dominique Poulot définit le collectionnisme sous trois aspects : d’abord comme « la
poursuite d’objets individuels formant un corpus collectif », mais aussi comme une pratique
savante, qui s’exerce dans un « espace à la fois de sociabilité et de science » et dont les institutions
« façonnent des pratiques relevant d’un corps de connaissance » par catégorisation et rapport
coutumier à l’objet, et l’antiquaire, académicien, en relève ; ensuite, la collection se définit comme
« les savoirs localisés du collectionneur, appliqués à un corpus » qu’il a organisé, ce que Nicolas-
Victor Duquénelle a fait, enfin, la collection est le lieu de production de discours significatifs 156 »
par le développement d’un objet de connaissance historique ou d’un discours artistique, dans les
perceptions et les représentations.
L’antiquaire rémois précise ensuite les missions du collectionneur, qui sont « non-seulement de
recueillir, mais encore de classer les objets que son amour de l’antiquité lui fait rechercher 157 ». Le
collectionneur, en effet, a pour tâche de collecter, puis de collectionner, et surtout de « doter l’objet
de ses coordonnées temporelles, spatiales, pour le situer, l’expliquer, l’interpréter » 158.
Il note toutefois les particularismes de cette variété dans sa diversité : certains, comme les amateurs,
« ne s’attachant à aucune spécialité, font main-basse sur tout ce qu’ils rencontrent » ; pour d’autres,
au contraire et « le plus ordinairement, ils s’occupent d’un seul genre, les objets antiques offrant des
sujets variés tels que les marbres, les vases peints, les terres cuites, les bronzes, les bas-reliefs, les

155
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208.
156
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 432-437.
157
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208.
158
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 436.


                                                       40
médailles » 159. Mais il dresse un constat unanime sur le collectionneur : il est un connaisseur. A cet
effet, il dit : « Chez le collectionneur, un cabinet est rangé avec art et connaissance ; chaque objet
occupe la place que lui donnent son époque, sa destination, et, loin de vouloir éblouir par un luxe
d’étalage, cet antiquaire soumet à l’appréciation des connaisseurs les objets que leur rareté met au
premier rang, sans tenir compte de la nature de ces antiquités 160 ». Le collectionneur adopte donc
une méthode de classement chronologique, temporel et thématique ; et, comme pour souligner
l’intérêt historique et archéologique de sa collection, il agence en premier lieu, après avoir consulté
ses pairs, « les objets que leur rareté met au premier rang, sans tenir compte de la nature de ces
antiquités 161 », contrairement à l’amateur. Les collections sont ordonnées et agencées « au sein
d’une géographie sociale et politique », et sont envisagées par le catalogue et par l’image 162.
C’est à ce titre que l’antiquaire rédige un catalogue manuscrit de sa collection comprenant quatre-
cent-soixante-quatre feuillets 163.      L’antiquaire rémois ajoute que des études et des notions
historiques sont nécessaires pour opérer le classement d’une collection : un classement
chronologique, en premier lieu, « premier mérite d’une collection 164 » ; un classement thématique,
en second lieu, c'est-à-dire la perception de la destination des objets, « soit au culte, soit aux usages
de la vie, pour bien établir la distinction entre les productions de chaque siècle 165 ». Il énonce la
méthode typologique, engagée par les antiquaires italiens du XVe siècle tel Alberti, puis théorisée
par le comte de Caylus au XVIIIe siècle. Nicolas-Victor Duquénelle, pour contraster son propos du
précédent sur l’amateur, ajoute que l’antiquaire ne doit se contenter de « posséder des antiques »
mais « il faut qu’il connaisse l’époque qui les a produits, leur destination […] 166 » pour comprendre
l’objet dans sa représentation et dans sa perception. A ce sujet, l’antiquaire rémois évoque la
spécialité et la spécificité de la numismatique : « Pour les collections de médailles, les études sont
indispensables, ces monuments de l’antiquité rappelant des événements dont il faut chercher
l’explication dans l’histoire ». La compréhension de l’objet s’oppose à la possession.
L’antiquaire Duquénelle énonce le rapport des collectionneurs à l’historicité, par l’agencement et le
rapport des objets à des vecteurs spatio-temporels. Marc Augé définit l’in situ des collections en
trois notions que sont le retour, c'est-à-dire la recherche d’un passé perdu pour rétablir une



159
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208-209.
160
    Ibid., p. 209.
161
    Ibid., p. 209.
162
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 439.
163
    M.S.R., Fonds documentation : Duquénelle (catalogue).
164
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 209.
165
    Ibid., p. 209.
166
    Ibid., p. 209.


                                                       41
continuité ; le suspense, lorsque le présent est coupé du passé et du futur ; le commencement enfin,
s’il y a une initiation au futur en oubliant le passé 167.
Nicolas-Victor Duquénelle qualifie aussi le collectionneur, dans sa définition générique, comme
« le plus intrépide des antiquaires » et poursuit ainsi : « véritable furet, il est à la piste de toutes les
trouvailles, de toutes les découvertes ; il lui suffit d’un coup d’un coup-d’œil pour découvrir un
objet curieux ou une bonne médaille ; son idée fixe, c’est d’augmenter sa collection. Il sait bien
qu’il lui sera presque impossible de compléter telle ou telle série, mais il compte sur une bonne
chance ». Outre la démonstration que le collectionneur est à l’affût des objets et est un homme de
terrain, ce passage révèle ses qualités d’expertise, sa volonté de recueillir massivement des objets
présentant un intérêt historique, archéologique ou de rareté et de curiosité, mais surtout le manifeste
désir de présenter à travers sa collection un corpus archéologique, du moins antiquaire, complet.
Le collectionnisme est bien l’apanage du collectionneur.
        Le collectionneur a deux ennemis : « les mauvais plaisants et les faussaires ». Concernant
les faussaires, il s’agirait de marchands sans scrupules qui, « dans une intention que la législation
est impuissante à réprimer, lui font payer au poids de l’or des objets qu’un talent mal dirigé a su
reproduire ; et en troublant les jouissances de l’antiquaire, ils exploitent en véritables escrocs une
manie bien innocente. Il est peu de collectionneurs qui n’aient été victimes de ces adroits fripons ».
Si l’antiquaire-dilettante acquiert de vulgaires imitations, le collectionneur est soucieux
d’authenticité et doit ainsi affronter les experts de la copie.
A ces deux ennemis, Nicolas-Victor Duquénelle ajoute un potentiel rival, du moins concurrent, et
s’en désole : « il existe, contre les antiquaires en général, et contre les collectionneurs, un préjugé
fâcheux que partagent des personnes recommandables, c’est qu’il faut se méfier des archéologues :
on les représente comme de larrons qui ne cherchent qu’à s’enrichir aux dépens de leurs confrères.
On va même jusqu’à dire qu’ils se dérobent entre eux les objets de leur convoitise. Cette grave
accusation n’est pas admissible, et n’a pu être portée que par quelques personnes méfiantes qui
imputent à tous les antiquaires une faute commise par quelque adroit fripon ». A ces accusations,
Duquénelle répond que le désir des antiquaires d’acquérir certains objets retenant particulièrement
leur attention et abrités dans la collection d’un de leurs pairs par la flatterie, les câlineries, les
promesses ou la séduction existe, mais pas par l’abus de confiance. Il veut ainsi sauver l’honneur et
élever la « probité des antiquaires 168 ».



167
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 439.
168
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 210-213.


                                                       42
Aux ennemis et à la concurrence entre antiquaires, Nicolas-Victor Duquénelle poursuit son
étude par une typologie du marchand. Ce corps de profession est parfois utile à l’antiquaire car,
comme le disait un vieil antiquaire au jeune Duquénelle, alors encore inexpérimenté, « il est
certains objets ou certaines médailles qu’il faut désespérer de trouver ailleurs que chez les
marchands ». Il existe donc une corrélation évidente entre marchands et collectionneurs, ce que
Dominique Poulot dénote comme un lien à long terme évident entre collectionneurs et
connoisseurship 169s. L’antiquaire rémois, sur les conseils de son ancien maître, distingue, comme
pour les antiquaires, plusieurs variétés de marchands.
Certains « sont honnêtes et consciencieux, c’est le plus petit nombre, il est vrai, mais enfin il y en a
qui jouissent d’une bonne réputation. Ceux-là ne vous tromperont pas, mais ils vendent cher ».
Duquénelle propose dans sa publication une éthique de comportement de l’antiquaire face au
marchand : il ne faut ni s’enthousiasmer ni montrer un désir pour un objet au moment de la
discussion du prix car « tout honnête qu’il puisse être, il est marchand avant tout ».
D’autres, au contraire, « autres marchands de curiosités, il vaut mieux ne pas les voir ; vrais enfants
d’Israël, ils savent, tout en vous trompant, vous faire payer un objet dix fois sa valeur ».
Dans tous les cas, l’antiquaire rémois les considère comme des usurpateurs lorsqu’ils s’arrogent un
titre qui ne leur revient pas : celui d’antiquaire. A ce propos, il dit : « à propos des marchands, je me
permettrai de leur contester ce titre d’antiquaire qu’ils se donnent tous. Les objets qu’ils achètent
pour revendre n’ont à leurs yeux qu’une valeur vénale ; ne leur demandez pas sur les diverses
curiosités de leur magasin des renseignements ou des explications, leur réponse sera invariablement
le prix de vente ; quant aux notions historiques, ce serait du superflu, leur état ne les exigeant pas :
ils n’ont donc rien de ce que constitue l’antiquaire 170 ». Méconnaissant et spéculateur, le marchand
ne semble pas être un ami de l’antiquaire.
Les collectionneurs recueillent et classent. D’un certain point de vue, ils sont aussi des
conservateurs, des gardiens du passé et des médiateurs de l’histoire. C’est en tout cas ce que
suggère Nicolas-Victor Duquénelle lorsqu’il écrit : « tout en satisfaisant une passion attrayante, ils
sauvent du creuset et de la destruction les monuments curieux que nous ont légués les siècles




169
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Collections et marché de l’art en France : 1789-1848, coll. Art & Société. Actes
du colloque de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, 4-6 décembre 2003. Rennes : Presses universitaires de
Rennes, 2005, p. 435.
170
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 213-214.


                                                        43
passés 171 ». Leur authenticité, en fait, dépend de leur « capacité à recomposer des ensembles
cohérents » et à recontextualiser les objets 172.




                 L’antiquaire-archéologue

                 Nicolas-Victor Duquénelle conclut sa « Physiologie de l’antiquaire » par l’étude de
l’archéologue.
        Alors que le collectionneur est le néophyte de l’archéologie moderne, l’archéologue, « par
ses études et sa science, résume la race entière ». Nicolas-Victor Duquénelle évoque un corps
professionnalisé, du moins qualifié.
Il marque une distinction forte entre les deux variétés présentées précédemment et celle de
l’archéologue, et souhaite « établir la différence qui existe entre les véritables antiquaires, soit
archéologues, soit numismates, et les membres de cette même famille avec lesquels nous avons fait
connaissance ». Il poursuit et justifie son analyse : « l’amateur réunit, le collectionneur classe,
l’archéologue comprend et explique ». Il entend ainsi montrer que la démarche de l’archéologue est
l’étude des traces du passé par l’adoption d’une démarche historique, qui nécessite une formation.
Puis l’antiquaire ajoute à cette distinction le constat suivant : amateurs et collectionneurs sont férus
de par la possession d’objets et d’une collection, alors que l’archéologue oriente ses travaux
différemment. A ce propos, il dit « que les antiquaires des deux premières variétés font
consister leur bonheur et leur jouissance dans la possession des objets, tandis que l’archéologue,
quelle que soit la direction qu’il ait donnée à ses études, ne possède que peu d’objets antiques, si
toutefois il en possède ». ajoute que l’archéologue préféré visiter « les collections, les musées, afin
d’y trouver le sujet de recherches historiques » puis achève cette démonstration par un contraste :
« l’archéologue dirige, surveille la conservation des monuments, mais il en ambitionne peu la
possession » 173.
        L’antiquaire explique ensuite les motivations de l’archéologue dans sa conquête du passé :
« pour lui, la valeur d’un antique n’est ni dans la rareté, ni dans la matière qui le compose ; elle
réside dans la beauté du style, dans la belle exécution, dans les souvenirs qu’il évoque et surtout
dans l’explication qu’il provoque ». L’antiquaire ajoute aux aspirations de l’archéologue le souci du

171
    Ibid., p. 210.
172
    POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD,
Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Collections et marché de l’art en France : 1789-1848, coll. Art & Société. Actes
du colloque de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, 4-6 décembre 2003. Rennes : Presses universitaires de
Rennes, 2005, p. 435.
173
    Ibid., p. 215.


                                                        44
passé et de sa revivification lorsqu’il dit que « dans l’étude des monuments destinés à perpétuer le
souvenir des temps anciens, l’archéologue fait revivre les héros des siècles passés, nous initie à la
connaissance du culte, de l’administration civile et militaire, ainsi qu’aux besoins si nombreux de la
vie privée ; et rassemblant avec soin les débris épars de l’antiquité, reconstitue un ensemble que
nous admirons et où nous puisons des renseignements utiles pour tous ».             Ainsi, les vertus
premières d’un objet selon cette dernière variété d’antiquaires sont sa contextualisation historique,
sa facture artistique et esthétique et enfin son explication et sa compréhension dans un cadre global,
utile à l’éclairage historique.
La Physiologie de l’antiquaire de Nicolas-Victor Duquénelle est empreinte d’un crescendo. Si les
amateurs constituent un corps large et les collectionneurs sont un certain nombre, l’effectif des
archéologues est réduit. L’antiquaire rémois argue du fait qu’ « en raison des études sérieuses
qu’exige l’archéologie, peu d’antiquaires sont appelés à faire partie de cette utile variété ».
L’antiquaire explique que cette faiblesse tient au manque de spécialisation des antiquaires par
l’étude. Il convient d’ajouter que la discipline archéologique ne se professionnalise et ne s’enseigne
que très tardivement, à la fin du XIXe siècle. La première chaire d’archéologie est en effet créée en
France à la Sorbonne en 1876.
Nicolas-Victor Duquénelle poursuit en évoquant ce que l’on pourrait appeler le mal archéologique
français du XIXe siècle. Il dit : « les uns (les archéologues), redoutant la publicité pour leurs
travaux, n’osent faire connaître le résultat de leurs découvertes. Cette modestie est regrettable, car,
toujours au courant des trouvailles qu’ils consignent avec soin, ces antiquaires pourraient en
quelque sorte jalonner le terrain qu’explorerait à leur tour les historiens ; les renseignements exacts
qu’ils possèdent sur les gisements archéologiques de chaque localité lèveraient bien des doutes et
des hésitations. En surmontant cette timidité, les écrivains novices sont certains de rencontrer un
appui bienveillant chez les savants qui, loin de déprécier les travaux les plus modestes, les
encouragent en leur donnant place dans de savantes publications 174 ». Nicolas-Victor Duquénelle
souligne le défaut de structuration du réseau archéologique français, malgré la création du Comité
des travaux historiques et scientifiques sous la Monarchie de Juillet. Il souhaite sans doute
interpeller ses pairs sur cette faiblesse dommageable, sur une meilleure organisation et une
meilleure répartition des tâches, afin d’établir une mise en commun des travaux la plus complète
qui serait le jalon de la constitution d’un corpus archéologique exhaustif.
Pour les autres antiquaires et pour justifier leur impossibilité à faire partie de la variété des
archéologues, il dit qu’ils « n’osent affronter les difficultés qui se présentent à chaque pas, surtout


174
      Ibid., p. 215-216.


                                                  45
quand, faute de documents, ils sont obligés à un et pénible travail. Ils veulent bien être cités comme
antiquaires, mais, pour obtenir ce titre, la jouissance matérielle leur suffit : ils n’en comprennent
pas, ou ne veulent pas en chercher d’autre ». Nicolas-Victor Duquénelle évoque la paresse
intellectuelle et l’appétit matériel.
            L’antiquaire Duquénelle, complétant son raisonnement sur la variété des archéologues,
évoque leur spécialisation ainsi : « […] mais comme l’archéologie comprend diverses branches bien
distinctes, il arrive que les adeptes de cette science s’attachent à une spécialité, sans vouloir, chose
d’ailleurs presque impossible, embrasser l’archéologie toute entière ». L’archéologie, en effet, offre
un large champ d’études qui justifie une spécialisation de ceux qui la composent, selon des critères
thématiques, chronologiques ou spatiaux. Nicolas-Victor Duquénelle ajoute que ces divisions
archéologiques sont porteuses d’atouts, et dit : « Ces divisions, étudiées par des hommes érudits,
ont déjà produit d’heureux résultats. On a vu paraître des publications spéciales, qui ont rendu
d’immenses services aux historiens par la description des monuments et l’étude des mœurs ; à
l’industrie, par la découverte des ingénieux procédés dont se servaient les anciens pour la
fabrication des objets usuels ou artistiques» . L’antiquaire rémois retient les particularismes
archéologiques, constitutifs d’un corpus cohérent, qui contribuent aux progrès de la connaissance
historique et industrielle ; mais aussi le bien-fondé de ce dispositif et de cette méthode de
spécialisation, qui a permis d’obtenir d’heureux effets pour l’archéologie et les sciences auxiliaires.
D’ailleurs, souhaitant démontrant l’utilité de l’archéologue pour ces sciences, il poursuit ainsi :
« […] mais l’archéologue, loin de vouloir imposer ses convictions, provoque les discussions dont le
résultat sera l’explication d’un point historique ignoré ou mal interprété. Dans ces luttes
scientifiques, les opinions sont combattues avec autant de passions que de courtoisie, et laissant de
côté toute question d’amour-propre, le vaincu oubliera sa défaite en pensant aux progrès qu’il aura
su imprimer à la science 175 ». Bien plus que d’admettre leur transversalité et leur éventuelle mise en
rivalité, Nicolas-Victor Duquénelle souligne l’utilité de l’archéologie pour l’histoire. Il souligne
aussi son originalité qui repose sur l’étude des traces matérielles du passé. Il démontre enfin que
l’archéologie est en mouvement et est inscrite dans la modernité parce que cette discipline suscite le
renouvellement du débat scientifique des idées et des méthodes et des études. La recherche
archéologique, selon l’antiquaire, loin de renouveler exhaustivement un corpus matériel, permet
aussi de renouveler les études historiques. Comme pour se convaincre de cette utilité, l’antiquaire
rémois finalise la justification de son propos ainsi : « Devant l’érudition de l’archéologue, rien ne




175
      Ibid., p. 216-217.


                                                  46
reste ignoré, rien ne passe inaperçu ; l’histoire, les arts, l’industrie sont initiés à des connaissances
que bien des générations avaient négligées par ignorance ou par insouciance ».
Souhaitant concrétiser son propos sur la spécialisation, l’antiquaire rémois évoque l’un des corps de
l’archéologie : le numismate.
En tout premier lieu, il en montre l’originalité et dit : « le numismate, dans une sphère plus modeste,
peut aussi prétendre à quelque célébrité. Les monuments qu’il étudie n’ont pas, il est vrai, le
grandiose des constructions remarquables par leurs dimensions, mais il n’en présente pas moins un
intérêt tout aussi puissant 176 ». Le numismate appartient en effet à un corps archéologique
particulier puisqu’il recueille et étudie les médailles et monnaies. Il n’en demeure pas moins qu’il
est un archéologue, puisque l’archéologie consiste en l’étude des objets fabriqués par l’homme. Elle
désigne « la part matérielle, visible, concrète du passé » 177.
Nicolas-Victor Duquénelle prend la défense de la discipline numismatique, qui a été et est
considérée comme une « science d’agrément » et qui souffre d’un jugement injuste 178. Il dénonce à
cet effet les incertitudes historiques sur les temps primitifs, dues à l’adoption par l’historien de
textes mythologiques comme sources primaires, à la diversité des opinions, ou pis encore, à
l’obscurantisme historique, lorsqu’il ouvre ainsi son plaidoyer : « Les souvenirs primitifs de
l’antiquité se sont perpétués par des légendes et des traditions qu’exploitent à leur guise, tous les
historiens ; de là cette diversité d’opinions que l’on remarque dans leurs ouvrages, et qui jette dans
l’incertitude le lecteur curieux de connaître l’enfance d’un peuple. D’autres écrivains, plus
circonspects, ne voulant pas répéter les récits fabuleux de leurs prédécesseurs, se taisent, et alors
surgit un inconvénient plus grand encore : c’est l’obscurité ; puis vient la phrase obligée l’histoire
se perd dans la nuit des temps ».
Après ce préambule marquant un constat, l’antiquaire rémois entend prouver l’utilité de la
numismatique pour combler ces incertitudes et ces obscurités historiques. Il argue ainsi : « Eh bien !
cette obscurité, cette incertitude se dissipent aux premiers rayons de la numismatique » 179. Prenant
appui sur le cas très particulier des premières monnaies de l’antiquité, dites les monnaies muettes,
l’antiquaire    Nicolas-Victor       Duquénelle       propose     dans     sa    présentation     d’examiner       leur
représentation, et dit : « on y remarque d’abord les objets du culte, les animaux, emblèmes de la
puissance ou du commerce, les armes. Ces différents symboles sont particuliers à un peuple, et avec
ces seuls indices, on peut déjà préjuger de leurs divinités et de leurs mœurs. Si ces types présentent

176
    Ibid., p. 218.
177
    SCHNAPP, Alain, « Le patrimoine archéologique et la singularité française ». In : NORA, Pierre (dir.), Op.cit, 1997,
p. 73.
178
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 218.
179
    Ibid., p. 218.


                                                          47
quelque analogie avec ceux d’une autre nation, on peut prendre des conclusions qui leur
donneraient une origine commune, ou qui indiqueraient les transactions commerciales entre
différents peuples qui échangèrent d’abord leur industrie, puis leur civilisation, leurs coutumes et
leurs usages ».            Il montre ainsi que ces monnaies sont d’un précieux ressort pour l’histoire
puisqu’elles figurent les symboles du culte et des mœurs d’un peuple ; elles peuvent aussi permettre
de déduire, à partir des similitudes qu’elles présentent, de contacts et d’échanges entre les peuples
ou de phénomènes d’acculturation.
Nicolas-Victor Duquénelle poursuit son raisonnement sur l’utilité de l’étude numismatique par les
monnaies figurant « des noms de peuples, de cités, de personnages » et écrit que « leur découverte
et leur explication sont d’une utilité incontestable pour l’histoire et la géographie », à l’égard
notamment de l’organisation et de l’influence des peuples et des villes.
Il conclut enfin cette démonstration en affirmant l’utilité de la numismatique à l’histoire : « C’est
donc à la numismatique que s’adressent les historiens ; ils y puisent des témoignages authentiques,
grâce auxquels des faits, douteux jusque là, présentent désormais des preuves incontestables de
vérité ». L’antiquaire rémois tient surtout à souligner le discours véridique et authentique de la
numismatique, et ajoute que « la sagacité du numismate vient encore aider l’explication de
nombreuses légendes que l’on rencontre sur les monuments, les tombeaux, les pierres militaires ou
votives ; ces légendes, mises au rang des énigmes pendant longtemps, sont maintenant expliquées ;
leur interprétation, basée sur une érudition sage, a pu donner des renseignements précis sur des
localités ou des personnages célèbres 180 ».
            Dans un autre registre, Nicolas-Victor Duquénelle esquisse ensuite les missions de
description et de conservation des monuments par les archéologues, et dit que « c’est surtout vers
les monuments que l’archéologue dirige ses études ; non content de les décrire dans leurs plus petits
détails, il veut la conservation de ces souvenirs gigantesques qui attestent la puissance et la
magnificence de leurs fondateurs. Il en est qui ont reçu du temps et des hommes des atteintes bien
graves, mais un génie conservateur a su y porter remède ; et si, de nos jours, on peut les montrer
avec quelque orgueil, c’est grâce au concours désintéressé des archéologues. Leur sage prévoyance
et leur zèle infatigable ont provoqué d’heureuses restaurations qui rappellent l’ancienne splendeur
de ces glorieux vestiges […] non, l’archéologue préfère des ruines ; ce qu’il ne peut sauver de la
destruction, il le décrit, et il confie au papier le souvenir des monuments que les hommes n’ont pas
su respecter 181 ». Aloïs Riegl a défini ce rapport des monuments au temps et aux hommes – ce qu’il



180
      Ibid., p. 219-220.
181
      Ibid., p. 217.


                                                       48
appelle le culte moderne des monuments 182 – en trois concepts que sont la valeur d’ancienneté, la
valeur historique et la valeur commémorative. L’antiquaire rémois démontre aussi l’utilité de
l’archéologue dans la restauration des monuments.
       Pour conclure sur la variété de l’archéologue, Nicolas-Victor Duquénelle insiste sur l’utilité
universelle de ce dernier. Il dit : « Ainsi, vous le voyez, l’archéologue met son érudition à la
disposition de la société toute entière. Vous comprenez son utilité, et il vous sera facile d’établir
avec moi la différence immense qui existe entre lui et les autres variétés de la même famille. En
présence de la faveur que le public accorde aux travaux des archéologues, je ne crois pas que l’on
trouve exagérée l’appréciation que j’ai faite de ces hommes intelligents et laborieux 183 ».
L’antiquaire rémois souligne ici la distinction qu’il opère entre cette variété et les précédentes,
comme il l’avait annoncée en initiant sa démonstration. L’archéologue est suggéré comme un
professionnel et un spécialiste, dont les capacités de description, d’interprétation et d’explication
des traces du passé sont reconnues. Nicolas-Victor Duquénelle suggère aussi une vulgarisation de la
publication archéologique, accessible à des publics avertis certes, mais néanmoins de plus en plus
nombreux.



               La « classe » de Duquénelle

               Nicolas-Victor Duquénelle conclut la présentation des trois variétés qui complètent
la physiologie de l’antiquaire en ces termes : « Pour terminer, je risquerai une comparaison qui, si
elle n’est pas juste, aura du moins le mérite de la nouveauté. En étudiant les diverses variétés de
l’antiquaire, j’ai trouvé qu’elles avaient quelque analogie avec une famille intéressante du règne
animal : avec les lépidoptères. En effet, de même que ces insectes, soumis aux lois de la nature sont
obligés de vivre dans deux états humbles et modestes avant d’arriver à la dernière période de leur
existence, pendant laquelle seule ils brillent de quelque éclat et prouvent leur utilité, de même aussi
l’antiquaire, avant de parvenir à la renommée de l’archéologue, doit prendre place dans deux
variétés de moindre valeur ; mais, plus heureux que le lépidoptère, l’antiquaire sait se reproduire par
son travail, et toute en se tenant à distance des maitres de la science, il peut, parodiant le mot
célèbre d’un empereur romain, dire un jour : « Je n’ai pas perdu tout mon temps » » 184.
Cette comparaison est surprenante, mais instructive. A travers elle, Nicolas-Victor Duquénelle
esquisse une progression de « variétés » de l’antiquaire, de par l’ancienneté et la méritocratie ; c'est-
182
     RIEGL, Alois, BOULET, Jacques (éd.), Le culte moderne des monuments : sa nature, son origine. Paris :
L’Harmattan, 2003, 123 p.
183
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 220.
184
    Ibid., p. 220-221.


                                                   49
à-dire d’une part le temps d’exercice de la passion devenue profession, et d’autre part la progression
dans la hiérarchie de « la race en général » par l’étude et le travail fourni.
A partir de cette étude sur l’antiquaire et de documents transversaux, en reprenant point par point
les diverses variétés en présence, la place occupée par l’antiquaire rémois dans cette hiérarchie des
genres peut être déterminée. Avant cela, il convient d’analyser la place de sa collection.
        Le collectionnisme est un héritage de la tradition antiquaire, obéissant à des méthodes, que
Nicolas-Victor Duquénelle applique. Dans la préface de sa Description historique du cabinet d’un
antiquaire rémois 185, Nicolas-Victor Duquénelle adopte un cycle ternaire pour présenter sa
collection : sa genèse, sa vie et son aboutissement.
Evoquant la naissance de sa collection, il dit : « En 1828 (c’est presque de l’histoire ancienne) je me
suis trouvé possesseur d’un sac contenant environ un kilogramme de vieilles monnaies de toutes
espèces : ce don provenait des offrandes et des quêtes d’une paroisse de Reims ; le trésorier, dans
l’impossibilité, d’en tirer aucun parti, voulut bien s’en débarrasser en ma faveur : j’acceptai avec
l’insouciance de mon âge, et pendant cinq ans ces monnaies et médailles restèrent, sans exciter ma
curiosité, reléguées dans le fond d’un meuble. Plus tard, en 1833, cherchant à utiliser les loisirs que
me donnait ma profession sédentaire (j’étais pharmacien), je pensai à mes vieux sous, comme je les
appelais alors, et, dans mon ignorance, j’avoue que de prime abord je fus peu séduit à l’aspect de
cet assemblage de monnaies de tous les pays et de toutes les époques. Mais, en les examinant, je
remarquai des noms, des portraits d’empereurs romaines ; je me souvins des leçons d’histoire
romaine que j’avais eues au collège de Reims, et que j’avais suivies à une attention mêlée de plaisir
(c’était peut-être une première vocation), je résolus de les étudier, de les connoître, et grâce aux
conseils et à la bienveillance de deux savants collectionneurs rémois, Messieurs Grassière et Lucas-
Dessain, qui me donnèrent les premières notions de numismatique, je devins un adepte zélé de cette
science si intéressante. Tels furent mes premiers débuts dans la carrière archéologique 186 ».
L’antiquaire y admet donc que sa collection s’est formée au hasard d’un don de monnaies et
médailles, qu’il n’exploita que cinq ans après. Ce passage révèle également que son goût de l’objet
et l’éveil de sa curiosité ne réside pas dans sa possession mais de son étude. On y apprend enfin que
Nicolas-Victor Duquénelle a reçu une initiation et une instruction sur la numismatique, dispensées
par deux maitres que sont Grassières et Lucas-Dessain.
Il évoque ensuite la « vie » de sa collection et dit : « Ce que je possédais n’avait pas une grande
valeur ; la série des monnaies romaines était peu nombreuse, et je voulus l’augmenter ; c’était chose

185
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Description historique du cabinet d’un antiquaire rémois ». In : JADART, Henri,
Victor Duquénelle, antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sue sa Vie, ses Travaux et ses Collections avec diverses
œuvres posthumes publiées par l'Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 25-30 ; Annexe 2.
186
    Ibid., p. 27-28.


                                                       50
facile, en raison des fréquentes et nombreuses découvertes que l’on faisait alors et qui se sont
succédé jusqu’à notre époque ; une circonstance bien favorable était le petit nombre d’amateurs qui,
loin de se faire concurrence comme aujourd’hui, se voyaient et s’enrichissaient leurs collections par
des échanges mutuels. Je songeais à donner à ma suite une unité plus facile à compléter, et j’ai
adopté l’époque romaine, et cela avec d’autant plus de raison que, depuis près de cinquante ans, j’ai
constaté que les découvertes archéologiques faites sur le sol rémois se rattachent pour le plus grand
nombre à cette époque. On rencontre quelquefois des objets mérovingiens et du moyen-âge, mais
c’est accidentellement, tandis que l’on ne peut donner un coup de pioche à Reims sans mettre à jour
des souvenirs de l’occupation et de la civilisation romaines. Aussi, je puis affirmer que ma
collection, à part quelques exceptions, est vraiment locale, et qu’elle provient des fouilles faites à
Reims et dans les environs ; j’ai dû cependant avoir recours aux marchands, surtout pour la série
numismatique, pour combler quelques lacunes, mais c’était en hésitant, car il fallait passer sous les
fourches caudines de ces messieurs, et je me disais : qu’un plaisir qui coûte cher n’est pas toujours
un vrai plaisir ; j’ajouterai que, malgré la confiance dont ils sont dignes, on peut douter de
l’authenticité d’une monnaie ont on ne peut que difficilement constater l’origine, tandis que l’on
doit une confiance absolue à un terrassier laborieux qui vous vend, quelquefois un peu cher, il est
vrai, ce que le hasard lui a fait découvrir, mais là il y a certitude 187 ». Nicolas-Victor Duquénelle a
en effet complété sa collection au fil des années pour former un corpus d’objets cohérent et lisible,
plus souvent par le résultat des fouilles et découvertes, plus exceptionnellement par l’acquisition
d’objets rares auprès des marchands. Il évoque aussi l’adoption d’une méthode, c'est-à-dire la
spécialisation de sa collection, tant au niveau de l’espace puisque sa collection est locale, tant au
niveau du temps puisque sa collection est largement consacrée à l’époque romaine.
Il évoque enfin l’aboutissement de sa collection, c'est-à-dire son passage du cabinet privé au musée
public. Cette étude est l’objet d’une partie 188.
La collection de Nicolas-Victor Duquénelle se consacre largement à la numismatique. L’antiquaire
recense en effet dans son catalogue trois cent quatre vingt six familles de médailles et monnaies,
dont très majoritairement des monnaies consulaires – au nombre de cent quatre vingt quatorze
familles – et des médailles impériales – au nombre de cent soixante familles – 189. Elle est ensuite
consacrée, comme précédemment indiquée, à l’étude des antiquités gallo-romaines. Des objets en




187
    Ibid., p. 28-29.
188
    Voir Le legs de Duquénelle : ses conditions et son but. p. 146.
189
    M.S.R, Fonds documentation : Duquénelle (catalogue) ; Annexe 3.


                                                        51
terre, verre, bronze, fer, ivoire et os, mais aussi des médaillons et cachets d’oculiste, constituent le
second versant de cette collection 190.
          Une place de Nicolas-Victor Duquénelle parmi la variété de l’antiquaire-amateur est à
exclure. Il dénonce en effet en cette variété un agencement des collections illusoire alors que la
sienne,     d’après    son    catalogue 191,    est    organisée     chronologiquement,         spatialement      ou
thématiquement ; un recours facile au marchand, alors que d’après la préface d’une de ses
publications, il n’en est que coutumier pour les besoins exceptionnels, même si, selon Henri
Jadart 192, il correspondait avec les marchands parisiens Jean-Henry Hoffmann, Claude-Camille
Rollin et Félix Feuardent ; la préférence de l’esthétisme à l’authenticité alors qu’il prône une
préférence de la qualité, de l’authenticité et de la véracité à la quantité ; la recherche du gain et du
profit ; une absence absolue de raisonnement ou de recours historique, alors qu’il se considère lui-
même comme un « historien véridique » 193.                Il réfute lui-même d’une certaine façon cette
hypothétique filiation avec cette première variété, lorsqu’il dit : « j’attendrai votre jugement et votre
appréciation impartiale ; mais il faut que je raconte comment je suis devenu, sinon un archéologue,
du moins un zélé collectionneur 194 ».
Toutefois, il partage, du moins partiellement, un point commun avec cette variété. Par le poids
antagoniste mais existentiel de la tradition antiquaire et de la modernité archéologique, il a lui aussi
fléchi à la passion de la collection, à la manie de l’antique ou anticomanie, et à la mode ; ces trois
critères qui prennent toute leur place dans l’histoire du goût.
Nicolas-Victor Duquénelle semble en réalité à la croisée entre le collectionneur et l’archéologue.
Des caractéristiques du collectionneur, l’antiquaire rémois possède la méthodologie de
l’ordonnancement de la collection et du classement des objets selon des critères chronologiques,
thématiques et de rareté. Il possède également des notions historiques pour établir l’ordre
chronologique des objets collectionnés. Il détient enfin des traits du collectionneur l’intrépidité,
c'est-à-dire l’inlassable recherche d’objets recueillis de fouilles, dans le but d’augmenter sa
collection. Nicolas-Victor Duquénelle est en effet cité, selon Henri Jadart 195, dans la liste « des
principaux collectionneurs du XIXe siècle par Ernest Bosc 196. Ce dernier évoque une « superbe



190
    Ibid., p. 95.
191
    Ibid., p. 95
192
    JADART, Henri, Victor Duquénelle, antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sur sa Vie, ses Travaux et ses Collections
avec diverses Œuvres posthumes publiées par l’Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 4.
193
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 214.
194
    DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Description historique du cabinet d’un antiquaire rémois ». In : JADART, Henri,
Op.cit, 1884, p. 27.
195
    JADART, Henri, Op.cit, 1884, p. 4.
196
    BOSC, Ernest, Dictionnaire de l’art, de la curiosité et du bibelot. Paris : Firmin-Didot, 1883, 695 p.


                                                         52
collection d’antiquités romaines. (émaux, médailles, poteries, verreries, etc.) 197 ». Cette réputation
est telle que l’abbé Nicolas Valentin, évoquant une pièce d’or à l’effigie de l’empereur Anastase de
Constantinople retrouvée en 1863 dans le canton de Fismes 198, suppose qu’elle est désormais en
possession de l’antiquaire rémois. Dans ce même esprit de renommée locale et d’intrépidité pour
l’accroissement de la collection, Charles Loriquet dit : « Depuis tant d’années que les monuments
de l’antiquité rémoise s’accumulaient dans le cabinet de M[onsieur] Duquénelle, les curieux dont il
se faisait si volontiers le guide, avaient plus d’une fois manifesté le désir d’être renseignés par une
notice spéciale sur l’importance de sa collection, sur l’origine des objets qui la composent et sur les
particularités qui les distinguent 199. Nicolas-Victor Duquénelle est un homme de terrain, à l’image
du collectionneur intrépide et à l’inlassable recherche de matériaux authentiques. Charles Loriquet
évoque à cet effet son contemporain en ces termes : « En mai 1859, M[onsieur] Duquénelle, qui est
toujours le premier averti des découvertes qu’on fait à Reims, parce qu’il a le soin persévérant de
parcourir la ville dans tous les sens et d’interroger toutes les fouilles qui s’y pratiquent, eut
connaissance qu’on venait de mettre à découvert une mosaïque […] 200 ». Du collectionneur enfin,
l’antiquaire rémois a hérité du recours mesuré aux marchands pour compléter sa série.
Des caractéristiques de l’archéologue, Nicolas-Victor Duquénelle dispose de méthodes historiques
et d’une démarche archéologique, partagées par le souci de tenir un discours historique véridique. Il
« comprend et explique », du moins tente-t-il de restituer chaque objet dans un contexte historique.
Puis, il propose dans ses publications, après chaque description d’un objet, une interprétation sur
son usage et sa datation. De cette variété, l’antiquaire rémois possède ensuite la spécialisation
puisqu’il est numismate. Faustin Poey-d’Avant, dans son troisième volume sur les monnaies
féodales de France édité en 1862, évoque cette démarche d’historicité et de spécialisation de
l’antiquaire lorsqu’il présente quelques objets de la collection numismatique de Nicolas-Victor
Duquénelle et qu’il évoque un raisonnement déduit par son contemporain, de par sa démarche. Il
dit : « En publiant celui que j’ai donné sous le n°6061, M[onsieur] Duquénelle opine pour son
attribution à Massanès Ier, et place l’autre à Massanès II. Il se base particulièrement sur le mot
Archipresul qui se trouve sur la première de ces monnaies, et qui est remplacé sur l’autre par
Archiepiscopus. Les raisons alléguées par le numismate rémois me semblent devoir être prises en



197
    BOSC, Ernest, Op.cit, 1883, p. 678.
198
    VALENTIN, Nicolas (abbé), « Notice historique et descriptive des monuments historiques et religieux du canton de
Fismes ». Travaux de l’Académie impériale de Reims, 1863-1864, vol. 40, n° 3-4, p. 242.
199
    LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1875-1875 ». Travaux de l’Académie nationale de
Reims, 1874-1875, vol. 57, n° 1-2, p. 13-14.
200
    LORIQUET, Charles, La mosaïque des Promenades et autres trouvées à Reims, étude sur les mosaïques et sur les
jeux de l’amphithéâtre. Reims : Brissart-Binet, 1862, p. 101.


                                                        53
considération 201 ». La démarche historique du numismate tient au fait du recours aux sources écrites
et à l’étymologie et à l’usage des vocables. Enfin, l’antiquaire-archéologue Duquénelle, loin
d’étudier exhaustivement les monuments, a une mission de conservation 202.




201
      POEY-D’AVANT, Faustin, Monnaies féodales de France, vol.3. Paris : Rollin, 1862, p.269.
202
      Voir L’ANTIQUAIRE ET SON IMPLICATION DANS LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE REMOIS, p. 122.


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  • 1. UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE U.F.R Lettres et Sciences Humaines Master « Sociétés, Espaces, Temps » Mention « Histoire de l’art » Spécialité « Histoire de l’art et de la culture » Année universitaire 2009-2010 MEMOIRE DE MASTER II présenté par Romain JEANGIRARD le 23 juin 2010 NICOLAS-VICTOR DUQUENELLE OU L’ANTIQUAIRE ACCOMPLI (1842-1883) Sous la direction de : Madame Marie-Claude Genet-Delacroix (Université de Reims) Madame Frédérique Desbuissons (Université de Reims)
  • 2. DES METHODES HISTORIQUES ET ARCHEOLOGIQUES DE L’ANTIQUAIRE AU XIXe SIECLE 17
  • 3. II. TROIS CLASSES D’ANTIQUAIRES, OU LA RECHERCHE DE « L’ANTIQUAIRE VERITABLE » Après avoir esquissé un « aperçu de la race en général », Nicolas-Victor Duquénelle poursuit et présente l’antiquaire sous trois variétés, de la plus à la moins nombreuse, de la plus généraliste à la plus particulariste ; de l’amateur, du collectionneur et de l’archéologue. L’antiquaire dilettante Evoquant l’amateur, l’antiquaire rémois perçoit cette « variété de l’espèce antiquaire » comme « la plus nombreuse » et « la plus inutile pour la science archéologique ». Il perçoit également cette classe comme la plus généraliste, et dit à cet effet : « L’amateur a pour but de réunir ce que les arts et l’industrie de toutes les époques ont pu confectionner ». Au cabinet de l’antiquaire qu’il sanctuarise, Nicolas-Victor Duquénelle oppose le « magasin de bric-à-brac » de l’amateur. Puis, il continue sa démonstration par l’agencement des collections de l’amateur, en indiquant que « les objets sont placés d’après l’effet qu’ils doivent produire ». Autrement dit, il reproche à cette classe ou variété de l’espèce antiquaire de paraître, de faire paraître et de présenter leur collection comme une illusion d’optique. Selon lui, la collection de l’amateur se compose comme suit. En premier lieu, il s’agit de copies et de reproductions. L’antiquaire décrit ces objets et dit : « on remarque des reproductions en soufre, en plâtre, des statuettes, figurines, bas-reliefs, médailles, auxquels le marchand a voulu donner un aspect antique par un badigeon menteur ». Outre le reproche de l’apparence, Nicolas-Victor Duquénelle dénonce le dilettantisme de cette variété qui acquiert par l’intermédiaire de marchands, dépeints ici en faussaires, des « reproductions empâtées » d’antiques, qui ne présentent donc aucune valeur historique et archéologique. Evoquant ce lien entre le marchand et l’amateur, Nicolas-Victor Duquénelle ajoute ultérieurement que « le bon marché est toujours le point capital pour l’amateur qui a la prétention de réunir tous les genres et toutes les époques 150 ». Il voit ainsi « l’anticomanie de l’amateur » comme un étalage d’objets sans valeur marchande. L’illusion optique de la collection de l’amateur évoquée postérieurement est ainsi résumée par Nicolas-Victor Duquénelle qui dit : « vues en masses et à distance, ces antiquités font de l’effet ». D’une certaine façon, l’amateur est un imposteur. Il présente des objets reproduits 150 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 206. 37
  • 4. vulgairement, réalisés par « quelque marchand de plâtre » et sans intérêt même esthétique puisqu’ils n’ont pas été « exécutés par des artistes », comme authentiques. En second lieu, il s’agit de vases antiques, cette fois authentiques, mais possédés « en petit nombre ». Par ailleurs, l’antiquaire rémois voit ces objets comme « des plus communs ». L’amateur amasse donc, sans se soucier de l’intérêt que présentent ces objets pour l’étude. Nicolas-Victor Duquénelle ajoute toutefois que l’amateur « aime autant les imitations qui intactes, car il n’oserait montrer des débris souvent curieux par leur forme ou par les dessins qu’ils représentent ». L’amateur préfère donc la banalité à la curiosité, l’esthétisme à l’expression de particularismes historiques et artistiques, et la quantité à la qualité. L’antiquaire rémois, ensuite, nuance quelque peu son propos, en précisant que tel « objet curieux et de valeur archéologique » peut orner le cabinet d’un amateur. Nicolas-Victor Duquénelle ajoute cependant « qu’il n’y séjournera pas longtemps ; le possesseur sera toujours dispose à le céder, surtout si, en le vendant, il peut s’indemniser des frais que lui occasionne son cabinet ». A l’inutilité et au dilettantisme, à l’imposture et à l’illusionnisme de cette « variété de l’espèce antiquaire », Nicolas-Victor Duquénelle ajoute la recherche du profit et l’intéressement de l’amateur lorsqu’il poursuit sa physiologie des amateurs en évoquant leur mépris et leur méconnaissance des méthodes de l’histoire, de l’archéologie et de la restauration ; et leur préférence pour la valeur marchande ou la valeur esthétique. En effet, il dit : « Heureux sera l’acquéreur, si l’objet n’a pas subi de dépréciation par une restauration maladroite. J’ai connu un amateur qui passait à l’acide les bronzes antiques, disant que la couleur métallique était bien préférable à ce vert-de-gris toujours dangereux à manier ; c’est ainsi que, sans respect pour cette patine inimitable, si recherchée des connaisseurs, il faisait, chaque année, subir à des bronzes et à des médailles le nettoyage que réclament les ustensiles de ménage aux approches d’une grande solennité ». A l’apparence trompeuse des collections d’amateurs étudiée ultérieurement, Nicolas-Victor Duquénelle ajoute que les médailles, monnaies et jetons figurent au troisième plan de leurs collections « parce que ce genre n’est pas assez apparent ». A propos de la perception de la numismatique par l’amateur, l’antiquaire rémois dit que « ce qu’il possède d’antique est relégué dans quelque tiroir ignoré, tandis que les médailles modernes, brillantes à la vue, sont exposées avec ostentation, souvent sans distinction d’époque ou de localité ». Ce nouveau passage montre la prévalence de l’amateur à l’ostentation et à la magnificence plutôt qu’à l’étude ; ce que Duquénelle pense puisqu’il dit : « L’étude de l’histoire n’est pas de première nécessité pour certains amateurs 151 ». 151 Ibid., p. 206-207. 38
  • 5. A ce catalogage des défauts des amateurs, l’antiquaire poursuit par leur naïveté et dit : « aussi, les naïvetés qui leur échappent ont plus d’une fois donné la mesure de leur érudition, et, quoiqu’il soit peu charitable de rire aux dépens d’un confrère en antiquité, je ne puis résister au plaisir de vous citer un fait assez risible dont j’ai été témoin ». Nicolas-Victor Duquénelle énonce une fameuse anecdote sur un amateur, qui lors de la présentation d’un objet antique, confondît Troie et Troyes. Il explique ensuite qu’après audition de l’amateur, une restitution contextuelle et une correction de l’erreur ont été apportées par l’auditoire ; ce à quoi l’amateur répondît que son erreur était excusable, « attendu sa complète ignorance de l’histoire ». L’antiquaire veut donc montrer ici que leur désintérêt pour certains amateurs ou leur méconnaissance de l’histoire pour d’autres, sont reconnus et entendus par eux-mêmes. Nicolas-Victor Duquénelle conclut sur cette variété et nuance son propos. Il évoque « une race d’hommes estimables en tout point, et dont le seul tort est de partager la manie de notre époque ». Très clairement, Nicolas-Victor Duquénelle énonce ici la contemporanéité de l’anticomanie. Il poursuit et reconnaît qu’il existe dans la classe des amateurs « des exceptions », c'est-à-dire « des personnes éclairées dont le bon goût et l’instruction dirigent la recherche » 152, qu’il place dans la seconde catégorie, celle des collectionneurs. Sur bien des points, l’analyse de Nicolas-Victor Duquénelle correspond au portrait de l’amateur esquissé par Krzysztof Pomian à partir des dictionnaires de Furetière et de l’Académie, c'est-à-dire celui qui amasse et forme un cabinet. Le terme de curieux est aussi utilisé. Il poursuit en définissant la pratique de la curiosité, c'est-à-dire le désir et la passion de posséder des choses rares, comme « la composante majeure de la culture savante des XVIe et XVIIe siècles » 153. Cette pratique est ensuite régulée, cadrée et contenue par les institutions, étatiques et ecclésiastiques, par la mise en place d’un « dispositif intellectuel et institutionnel », c'est-à-dire la réunion de groupes de savants et la structuration académiste, pour crédibiliser la pratique savante 154. L’antiquaire-collectionneur Après avoir étudié l’amateur, Nicolas-Victor Duquénelle poursuit sa « physiologie de l’antiquaire » avec le collectionneur. L’antiquaire rémois introduit son propos en montrant l’intérêt supérieur de cette « variété » à la précédente. 152 Ibid., p. 208. 153 POMIAN, Krzysztof, Op.cit, 1987, p. 70-78. 154 Ibid., p. 80. 39
  • 6. Il qualifie le collectionneur de « néophyte de la science archéologique 155 » et entend ici montrer que cette variété s’inscrit dans la modernité de la discipline. En effet, le collectionnisme est au XIXe siècle est un phénomène de mode et un élément de modernité. Le collectionneur revendique sa légitimité et s’inscrit dans un récit social général hérité de trois traditions : la condamnation du comportement curieux, l’histoire de l’art et la littérature des sciences sociales, de l’économie et de la sociologie. Sa typologie s’est renouvelée au XIXe siècle, et se concentre en trois figures dont Nicolas-Victor Duquénelle est pour chacun de ces profils, partiellement, l’un des représentants : le polyhistor, héritier d’une érudition locale et provinciale depuis le siècle des Lumières ; le voyageur, qui voyage de l’échelon européen à l’échelon local pour décrire les antiquités et servir un programme savant de prise en conscience et de conservation du patrimoine ; le secrétaire, enfin, en lien avec « le gouvernement éclairé » et les milieux politiques, urbains, départementaux et étatiques. Le collectionnisme au XIXe siècle devient « un espace d’affirmation collective d’intérêts partagés » avec l’anticomanie et la celtomanie, et la vulgarisation imprimée de ses contenus par la publication des catalogues. Dominique Poulot définit le collectionnisme sous trois aspects : d’abord comme « la poursuite d’objets individuels formant un corpus collectif », mais aussi comme une pratique savante, qui s’exerce dans un « espace à la fois de sociabilité et de science » et dont les institutions « façonnent des pratiques relevant d’un corps de connaissance » par catégorisation et rapport coutumier à l’objet, et l’antiquaire, académicien, en relève ; ensuite, la collection se définit comme « les savoirs localisés du collectionneur, appliqués à un corpus » qu’il a organisé, ce que Nicolas- Victor Duquénelle a fait, enfin, la collection est le lieu de production de discours significatifs 156 » par le développement d’un objet de connaissance historique ou d’un discours artistique, dans les perceptions et les représentations. L’antiquaire rémois précise ensuite les missions du collectionneur, qui sont « non-seulement de recueillir, mais encore de classer les objets que son amour de l’antiquité lui fait rechercher 157 ». Le collectionneur, en effet, a pour tâche de collecter, puis de collectionner, et surtout de « doter l’objet de ses coordonnées temporelles, spatiales, pour le situer, l’expliquer, l’interpréter » 158. Il note toutefois les particularismes de cette variété dans sa diversité : certains, comme les amateurs, « ne s’attachant à aucune spécialité, font main-basse sur tout ce qu’ils rencontrent » ; pour d’autres, au contraire et « le plus ordinairement, ils s’occupent d’un seul genre, les objets antiques offrant des sujets variés tels que les marbres, les vases peints, les terres cuites, les bronzes, les bas-reliefs, les 155 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208. 156 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 432-437. 157 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208. 158 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 436. 40
  • 7. médailles » 159. Mais il dresse un constat unanime sur le collectionneur : il est un connaisseur. A cet effet, il dit : « Chez le collectionneur, un cabinet est rangé avec art et connaissance ; chaque objet occupe la place que lui donnent son époque, sa destination, et, loin de vouloir éblouir par un luxe d’étalage, cet antiquaire soumet à l’appréciation des connaisseurs les objets que leur rareté met au premier rang, sans tenir compte de la nature de ces antiquités 160 ». Le collectionneur adopte donc une méthode de classement chronologique, temporel et thématique ; et, comme pour souligner l’intérêt historique et archéologique de sa collection, il agence en premier lieu, après avoir consulté ses pairs, « les objets que leur rareté met au premier rang, sans tenir compte de la nature de ces antiquités 161 », contrairement à l’amateur. Les collections sont ordonnées et agencées « au sein d’une géographie sociale et politique », et sont envisagées par le catalogue et par l’image 162. C’est à ce titre que l’antiquaire rédige un catalogue manuscrit de sa collection comprenant quatre- cent-soixante-quatre feuillets 163. L’antiquaire rémois ajoute que des études et des notions historiques sont nécessaires pour opérer le classement d’une collection : un classement chronologique, en premier lieu, « premier mérite d’une collection 164 » ; un classement thématique, en second lieu, c'est-à-dire la perception de la destination des objets, « soit au culte, soit aux usages de la vie, pour bien établir la distinction entre les productions de chaque siècle 165 ». Il énonce la méthode typologique, engagée par les antiquaires italiens du XVe siècle tel Alberti, puis théorisée par le comte de Caylus au XVIIIe siècle. Nicolas-Victor Duquénelle, pour contraster son propos du précédent sur l’amateur, ajoute que l’antiquaire ne doit se contenter de « posséder des antiques » mais « il faut qu’il connaisse l’époque qui les a produits, leur destination […] 166 » pour comprendre l’objet dans sa représentation et dans sa perception. A ce sujet, l’antiquaire rémois évoque la spécialité et la spécificité de la numismatique : « Pour les collections de médailles, les études sont indispensables, ces monuments de l’antiquité rappelant des événements dont il faut chercher l’explication dans l’histoire ». La compréhension de l’objet s’oppose à la possession. L’antiquaire Duquénelle énonce le rapport des collectionneurs à l’historicité, par l’agencement et le rapport des objets à des vecteurs spatio-temporels. Marc Augé définit l’in situ des collections en trois notions que sont le retour, c'est-à-dire la recherche d’un passé perdu pour rétablir une 159 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 208-209. 160 Ibid., p. 209. 161 Ibid., p. 209. 162 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 439. 163 M.S.R., Fonds documentation : Duquénelle (catalogue). 164 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 209. 165 Ibid., p. 209. 166 Ibid., p. 209. 41
  • 8. continuité ; le suspense, lorsque le présent est coupé du passé et du futur ; le commencement enfin, s’il y a une initiation au futur en oubliant le passé 167. Nicolas-Victor Duquénelle qualifie aussi le collectionneur, dans sa définition générique, comme « le plus intrépide des antiquaires » et poursuit ainsi : « véritable furet, il est à la piste de toutes les trouvailles, de toutes les découvertes ; il lui suffit d’un coup d’un coup-d’œil pour découvrir un objet curieux ou une bonne médaille ; son idée fixe, c’est d’augmenter sa collection. Il sait bien qu’il lui sera presque impossible de compléter telle ou telle série, mais il compte sur une bonne chance ». Outre la démonstration que le collectionneur est à l’affût des objets et est un homme de terrain, ce passage révèle ses qualités d’expertise, sa volonté de recueillir massivement des objets présentant un intérêt historique, archéologique ou de rareté et de curiosité, mais surtout le manifeste désir de présenter à travers sa collection un corpus archéologique, du moins antiquaire, complet. Le collectionnisme est bien l’apanage du collectionneur. Le collectionneur a deux ennemis : « les mauvais plaisants et les faussaires ». Concernant les faussaires, il s’agirait de marchands sans scrupules qui, « dans une intention que la législation est impuissante à réprimer, lui font payer au poids de l’or des objets qu’un talent mal dirigé a su reproduire ; et en troublant les jouissances de l’antiquaire, ils exploitent en véritables escrocs une manie bien innocente. Il est peu de collectionneurs qui n’aient été victimes de ces adroits fripons ». Si l’antiquaire-dilettante acquiert de vulgaires imitations, le collectionneur est soucieux d’authenticité et doit ainsi affronter les experts de la copie. A ces deux ennemis, Nicolas-Victor Duquénelle ajoute un potentiel rival, du moins concurrent, et s’en désole : « il existe, contre les antiquaires en général, et contre les collectionneurs, un préjugé fâcheux que partagent des personnes recommandables, c’est qu’il faut se méfier des archéologues : on les représente comme de larrons qui ne cherchent qu’à s’enrichir aux dépens de leurs confrères. On va même jusqu’à dire qu’ils se dérobent entre eux les objets de leur convoitise. Cette grave accusation n’est pas admissible, et n’a pu être portée que par quelques personnes méfiantes qui imputent à tous les antiquaires une faute commise par quelque adroit fripon ». A ces accusations, Duquénelle répond que le désir des antiquaires d’acquérir certains objets retenant particulièrement leur attention et abrités dans la collection d’un de leurs pairs par la flatterie, les câlineries, les promesses ou la séduction existe, mais pas par l’abus de confiance. Il veut ainsi sauver l’honneur et élever la « probité des antiquaires 168 ». 167 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Op.cit, 2005, p. 439. 168 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 210-213. 42
  • 9. Aux ennemis et à la concurrence entre antiquaires, Nicolas-Victor Duquénelle poursuit son étude par une typologie du marchand. Ce corps de profession est parfois utile à l’antiquaire car, comme le disait un vieil antiquaire au jeune Duquénelle, alors encore inexpérimenté, « il est certains objets ou certaines médailles qu’il faut désespérer de trouver ailleurs que chez les marchands ». Il existe donc une corrélation évidente entre marchands et collectionneurs, ce que Dominique Poulot dénote comme un lien à long terme évident entre collectionneurs et connoisseurship 169s. L’antiquaire rémois, sur les conseils de son ancien maître, distingue, comme pour les antiquaires, plusieurs variétés de marchands. Certains « sont honnêtes et consciencieux, c’est le plus petit nombre, il est vrai, mais enfin il y en a qui jouissent d’une bonne réputation. Ceux-là ne vous tromperont pas, mais ils vendent cher ». Duquénelle propose dans sa publication une éthique de comportement de l’antiquaire face au marchand : il ne faut ni s’enthousiasmer ni montrer un désir pour un objet au moment de la discussion du prix car « tout honnête qu’il puisse être, il est marchand avant tout ». D’autres, au contraire, « autres marchands de curiosités, il vaut mieux ne pas les voir ; vrais enfants d’Israël, ils savent, tout en vous trompant, vous faire payer un objet dix fois sa valeur ». Dans tous les cas, l’antiquaire rémois les considère comme des usurpateurs lorsqu’ils s’arrogent un titre qui ne leur revient pas : celui d’antiquaire. A ce propos, il dit : « à propos des marchands, je me permettrai de leur contester ce titre d’antiquaire qu’ils se donnent tous. Les objets qu’ils achètent pour revendre n’ont à leurs yeux qu’une valeur vénale ; ne leur demandez pas sur les diverses curiosités de leur magasin des renseignements ou des explications, leur réponse sera invariablement le prix de vente ; quant aux notions historiques, ce serait du superflu, leur état ne les exigeant pas : ils n’ont donc rien de ce que constitue l’antiquaire 170 ». Méconnaissant et spéculateur, le marchand ne semble pas être un ami de l’antiquaire. Les collectionneurs recueillent et classent. D’un certain point de vue, ils sont aussi des conservateurs, des gardiens du passé et des médiateurs de l’histoire. C’est en tout cas ce que suggère Nicolas-Victor Duquénelle lorsqu’il écrit : « tout en satisfaisant une passion attrayante, ils sauvent du creuset et de la destruction les monuments curieux que nous ont légués les siècles 169 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Collections et marché de l’art en France : 1789-1848, coll. Art & Société. Actes du colloque de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, 4-6 décembre 2003. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 435. 170 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 213-214. 43
  • 10. passés 171 ». Leur authenticité, en fait, dépend de leur « capacité à recomposer des ensembles cohérents » et à recontextualiser les objets 172. L’antiquaire-archéologue Nicolas-Victor Duquénelle conclut sa « Physiologie de l’antiquaire » par l’étude de l’archéologue. Alors que le collectionneur est le néophyte de l’archéologie moderne, l’archéologue, « par ses études et sa science, résume la race entière ». Nicolas-Victor Duquénelle évoque un corps professionnalisé, du moins qualifié. Il marque une distinction forte entre les deux variétés présentées précédemment et celle de l’archéologue, et souhaite « établir la différence qui existe entre les véritables antiquaires, soit archéologues, soit numismates, et les membres de cette même famille avec lesquels nous avons fait connaissance ». Il poursuit et justifie son analyse : « l’amateur réunit, le collectionneur classe, l’archéologue comprend et explique ». Il entend ainsi montrer que la démarche de l’archéologue est l’étude des traces du passé par l’adoption d’une démarche historique, qui nécessite une formation. Puis l’antiquaire ajoute à cette distinction le constat suivant : amateurs et collectionneurs sont férus de par la possession d’objets et d’une collection, alors que l’archéologue oriente ses travaux différemment. A ce propos, il dit « que les antiquaires des deux premières variétés font consister leur bonheur et leur jouissance dans la possession des objets, tandis que l’archéologue, quelle que soit la direction qu’il ait donnée à ses études, ne possède que peu d’objets antiques, si toutefois il en possède ». ajoute que l’archéologue préféré visiter « les collections, les musées, afin d’y trouver le sujet de recherches historiques » puis achève cette démonstration par un contraste : « l’archéologue dirige, surveille la conservation des monuments, mais il en ambitionne peu la possession » 173. L’antiquaire explique ensuite les motivations de l’archéologue dans sa conquête du passé : « pour lui, la valeur d’un antique n’est ni dans la rareté, ni dans la matière qui le compose ; elle réside dans la beauté du style, dans la belle exécution, dans les souvenirs qu’il évoque et surtout dans l’explication qu’il provoque ». L’antiquaire ajoute aux aspirations de l’archéologue le souci du 171 Ibid., p. 210. 172 POULOT, Dominique, « L’histoire des collections entre l’histoire de l’art et l’histoire ». In : PRETI-HAMARD, Monica, SENECHAL, Philippe (dir.), Collections et marché de l’art en France : 1789-1848, coll. Art & Société. Actes du colloque de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, 4-6 décembre 2003. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 435. 173 Ibid., p. 215. 44
  • 11. passé et de sa revivification lorsqu’il dit que « dans l’étude des monuments destinés à perpétuer le souvenir des temps anciens, l’archéologue fait revivre les héros des siècles passés, nous initie à la connaissance du culte, de l’administration civile et militaire, ainsi qu’aux besoins si nombreux de la vie privée ; et rassemblant avec soin les débris épars de l’antiquité, reconstitue un ensemble que nous admirons et où nous puisons des renseignements utiles pour tous ». Ainsi, les vertus premières d’un objet selon cette dernière variété d’antiquaires sont sa contextualisation historique, sa facture artistique et esthétique et enfin son explication et sa compréhension dans un cadre global, utile à l’éclairage historique. La Physiologie de l’antiquaire de Nicolas-Victor Duquénelle est empreinte d’un crescendo. Si les amateurs constituent un corps large et les collectionneurs sont un certain nombre, l’effectif des archéologues est réduit. L’antiquaire rémois argue du fait qu’ « en raison des études sérieuses qu’exige l’archéologie, peu d’antiquaires sont appelés à faire partie de cette utile variété ». L’antiquaire explique que cette faiblesse tient au manque de spécialisation des antiquaires par l’étude. Il convient d’ajouter que la discipline archéologique ne se professionnalise et ne s’enseigne que très tardivement, à la fin du XIXe siècle. La première chaire d’archéologie est en effet créée en France à la Sorbonne en 1876. Nicolas-Victor Duquénelle poursuit en évoquant ce que l’on pourrait appeler le mal archéologique français du XIXe siècle. Il dit : « les uns (les archéologues), redoutant la publicité pour leurs travaux, n’osent faire connaître le résultat de leurs découvertes. Cette modestie est regrettable, car, toujours au courant des trouvailles qu’ils consignent avec soin, ces antiquaires pourraient en quelque sorte jalonner le terrain qu’explorerait à leur tour les historiens ; les renseignements exacts qu’ils possèdent sur les gisements archéologiques de chaque localité lèveraient bien des doutes et des hésitations. En surmontant cette timidité, les écrivains novices sont certains de rencontrer un appui bienveillant chez les savants qui, loin de déprécier les travaux les plus modestes, les encouragent en leur donnant place dans de savantes publications 174 ». Nicolas-Victor Duquénelle souligne le défaut de structuration du réseau archéologique français, malgré la création du Comité des travaux historiques et scientifiques sous la Monarchie de Juillet. Il souhaite sans doute interpeller ses pairs sur cette faiblesse dommageable, sur une meilleure organisation et une meilleure répartition des tâches, afin d’établir une mise en commun des travaux la plus complète qui serait le jalon de la constitution d’un corpus archéologique exhaustif. Pour les autres antiquaires et pour justifier leur impossibilité à faire partie de la variété des archéologues, il dit qu’ils « n’osent affronter les difficultés qui se présentent à chaque pas, surtout 174 Ibid., p. 215-216. 45
  • 12. quand, faute de documents, ils sont obligés à un et pénible travail. Ils veulent bien être cités comme antiquaires, mais, pour obtenir ce titre, la jouissance matérielle leur suffit : ils n’en comprennent pas, ou ne veulent pas en chercher d’autre ». Nicolas-Victor Duquénelle évoque la paresse intellectuelle et l’appétit matériel. L’antiquaire Duquénelle, complétant son raisonnement sur la variété des archéologues, évoque leur spécialisation ainsi : « […] mais comme l’archéologie comprend diverses branches bien distinctes, il arrive que les adeptes de cette science s’attachent à une spécialité, sans vouloir, chose d’ailleurs presque impossible, embrasser l’archéologie toute entière ». L’archéologie, en effet, offre un large champ d’études qui justifie une spécialisation de ceux qui la composent, selon des critères thématiques, chronologiques ou spatiaux. Nicolas-Victor Duquénelle ajoute que ces divisions archéologiques sont porteuses d’atouts, et dit : « Ces divisions, étudiées par des hommes érudits, ont déjà produit d’heureux résultats. On a vu paraître des publications spéciales, qui ont rendu d’immenses services aux historiens par la description des monuments et l’étude des mœurs ; à l’industrie, par la découverte des ingénieux procédés dont se servaient les anciens pour la fabrication des objets usuels ou artistiques» . L’antiquaire rémois retient les particularismes archéologiques, constitutifs d’un corpus cohérent, qui contribuent aux progrès de la connaissance historique et industrielle ; mais aussi le bien-fondé de ce dispositif et de cette méthode de spécialisation, qui a permis d’obtenir d’heureux effets pour l’archéologie et les sciences auxiliaires. D’ailleurs, souhaitant démontrant l’utilité de l’archéologue pour ces sciences, il poursuit ainsi : « […] mais l’archéologue, loin de vouloir imposer ses convictions, provoque les discussions dont le résultat sera l’explication d’un point historique ignoré ou mal interprété. Dans ces luttes scientifiques, les opinions sont combattues avec autant de passions que de courtoisie, et laissant de côté toute question d’amour-propre, le vaincu oubliera sa défaite en pensant aux progrès qu’il aura su imprimer à la science 175 ». Bien plus que d’admettre leur transversalité et leur éventuelle mise en rivalité, Nicolas-Victor Duquénelle souligne l’utilité de l’archéologie pour l’histoire. Il souligne aussi son originalité qui repose sur l’étude des traces matérielles du passé. Il démontre enfin que l’archéologie est en mouvement et est inscrite dans la modernité parce que cette discipline suscite le renouvellement du débat scientifique des idées et des méthodes et des études. La recherche archéologique, selon l’antiquaire, loin de renouveler exhaustivement un corpus matériel, permet aussi de renouveler les études historiques. Comme pour se convaincre de cette utilité, l’antiquaire rémois finalise la justification de son propos ainsi : « Devant l’érudition de l’archéologue, rien ne 175 Ibid., p. 216-217. 46
  • 13. reste ignoré, rien ne passe inaperçu ; l’histoire, les arts, l’industrie sont initiés à des connaissances que bien des générations avaient négligées par ignorance ou par insouciance ». Souhaitant concrétiser son propos sur la spécialisation, l’antiquaire rémois évoque l’un des corps de l’archéologie : le numismate. En tout premier lieu, il en montre l’originalité et dit : « le numismate, dans une sphère plus modeste, peut aussi prétendre à quelque célébrité. Les monuments qu’il étudie n’ont pas, il est vrai, le grandiose des constructions remarquables par leurs dimensions, mais il n’en présente pas moins un intérêt tout aussi puissant 176 ». Le numismate appartient en effet à un corps archéologique particulier puisqu’il recueille et étudie les médailles et monnaies. Il n’en demeure pas moins qu’il est un archéologue, puisque l’archéologie consiste en l’étude des objets fabriqués par l’homme. Elle désigne « la part matérielle, visible, concrète du passé » 177. Nicolas-Victor Duquénelle prend la défense de la discipline numismatique, qui a été et est considérée comme une « science d’agrément » et qui souffre d’un jugement injuste 178. Il dénonce à cet effet les incertitudes historiques sur les temps primitifs, dues à l’adoption par l’historien de textes mythologiques comme sources primaires, à la diversité des opinions, ou pis encore, à l’obscurantisme historique, lorsqu’il ouvre ainsi son plaidoyer : « Les souvenirs primitifs de l’antiquité se sont perpétués par des légendes et des traditions qu’exploitent à leur guise, tous les historiens ; de là cette diversité d’opinions que l’on remarque dans leurs ouvrages, et qui jette dans l’incertitude le lecteur curieux de connaître l’enfance d’un peuple. D’autres écrivains, plus circonspects, ne voulant pas répéter les récits fabuleux de leurs prédécesseurs, se taisent, et alors surgit un inconvénient plus grand encore : c’est l’obscurité ; puis vient la phrase obligée l’histoire se perd dans la nuit des temps ». Après ce préambule marquant un constat, l’antiquaire rémois entend prouver l’utilité de la numismatique pour combler ces incertitudes et ces obscurités historiques. Il argue ainsi : « Eh bien ! cette obscurité, cette incertitude se dissipent aux premiers rayons de la numismatique » 179. Prenant appui sur le cas très particulier des premières monnaies de l’antiquité, dites les monnaies muettes, l’antiquaire Nicolas-Victor Duquénelle propose dans sa présentation d’examiner leur représentation, et dit : « on y remarque d’abord les objets du culte, les animaux, emblèmes de la puissance ou du commerce, les armes. Ces différents symboles sont particuliers à un peuple, et avec ces seuls indices, on peut déjà préjuger de leurs divinités et de leurs mœurs. Si ces types présentent 176 Ibid., p. 218. 177 SCHNAPP, Alain, « Le patrimoine archéologique et la singularité française ». In : NORA, Pierre (dir.), Op.cit, 1997, p. 73. 178 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, art.cit, 1849, p. 218. 179 Ibid., p. 218. 47
  • 14. quelque analogie avec ceux d’une autre nation, on peut prendre des conclusions qui leur donneraient une origine commune, ou qui indiqueraient les transactions commerciales entre différents peuples qui échangèrent d’abord leur industrie, puis leur civilisation, leurs coutumes et leurs usages ». Il montre ainsi que ces monnaies sont d’un précieux ressort pour l’histoire puisqu’elles figurent les symboles du culte et des mœurs d’un peuple ; elles peuvent aussi permettre de déduire, à partir des similitudes qu’elles présentent, de contacts et d’échanges entre les peuples ou de phénomènes d’acculturation. Nicolas-Victor Duquénelle poursuit son raisonnement sur l’utilité de l’étude numismatique par les monnaies figurant « des noms de peuples, de cités, de personnages » et écrit que « leur découverte et leur explication sont d’une utilité incontestable pour l’histoire et la géographie », à l’égard notamment de l’organisation et de l’influence des peuples et des villes. Il conclut enfin cette démonstration en affirmant l’utilité de la numismatique à l’histoire : « C’est donc à la numismatique que s’adressent les historiens ; ils y puisent des témoignages authentiques, grâce auxquels des faits, douteux jusque là, présentent désormais des preuves incontestables de vérité ». L’antiquaire rémois tient surtout à souligner le discours véridique et authentique de la numismatique, et ajoute que « la sagacité du numismate vient encore aider l’explication de nombreuses légendes que l’on rencontre sur les monuments, les tombeaux, les pierres militaires ou votives ; ces légendes, mises au rang des énigmes pendant longtemps, sont maintenant expliquées ; leur interprétation, basée sur une érudition sage, a pu donner des renseignements précis sur des localités ou des personnages célèbres 180 ». Dans un autre registre, Nicolas-Victor Duquénelle esquisse ensuite les missions de description et de conservation des monuments par les archéologues, et dit que « c’est surtout vers les monuments que l’archéologue dirige ses études ; non content de les décrire dans leurs plus petits détails, il veut la conservation de ces souvenirs gigantesques qui attestent la puissance et la magnificence de leurs fondateurs. Il en est qui ont reçu du temps et des hommes des atteintes bien graves, mais un génie conservateur a su y porter remède ; et si, de nos jours, on peut les montrer avec quelque orgueil, c’est grâce au concours désintéressé des archéologues. Leur sage prévoyance et leur zèle infatigable ont provoqué d’heureuses restaurations qui rappellent l’ancienne splendeur de ces glorieux vestiges […] non, l’archéologue préfère des ruines ; ce qu’il ne peut sauver de la destruction, il le décrit, et il confie au papier le souvenir des monuments que les hommes n’ont pas su respecter 181 ». Aloïs Riegl a défini ce rapport des monuments au temps et aux hommes – ce qu’il 180 Ibid., p. 219-220. 181 Ibid., p. 217. 48
  • 15. appelle le culte moderne des monuments 182 – en trois concepts que sont la valeur d’ancienneté, la valeur historique et la valeur commémorative. L’antiquaire rémois démontre aussi l’utilité de l’archéologue dans la restauration des monuments. Pour conclure sur la variété de l’archéologue, Nicolas-Victor Duquénelle insiste sur l’utilité universelle de ce dernier. Il dit : « Ainsi, vous le voyez, l’archéologue met son érudition à la disposition de la société toute entière. Vous comprenez son utilité, et il vous sera facile d’établir avec moi la différence immense qui existe entre lui et les autres variétés de la même famille. En présence de la faveur que le public accorde aux travaux des archéologues, je ne crois pas que l’on trouve exagérée l’appréciation que j’ai faite de ces hommes intelligents et laborieux 183 ». L’antiquaire rémois souligne ici la distinction qu’il opère entre cette variété et les précédentes, comme il l’avait annoncée en initiant sa démonstration. L’archéologue est suggéré comme un professionnel et un spécialiste, dont les capacités de description, d’interprétation et d’explication des traces du passé sont reconnues. Nicolas-Victor Duquénelle suggère aussi une vulgarisation de la publication archéologique, accessible à des publics avertis certes, mais néanmoins de plus en plus nombreux. La « classe » de Duquénelle Nicolas-Victor Duquénelle conclut la présentation des trois variétés qui complètent la physiologie de l’antiquaire en ces termes : « Pour terminer, je risquerai une comparaison qui, si elle n’est pas juste, aura du moins le mérite de la nouveauté. En étudiant les diverses variétés de l’antiquaire, j’ai trouvé qu’elles avaient quelque analogie avec une famille intéressante du règne animal : avec les lépidoptères. En effet, de même que ces insectes, soumis aux lois de la nature sont obligés de vivre dans deux états humbles et modestes avant d’arriver à la dernière période de leur existence, pendant laquelle seule ils brillent de quelque éclat et prouvent leur utilité, de même aussi l’antiquaire, avant de parvenir à la renommée de l’archéologue, doit prendre place dans deux variétés de moindre valeur ; mais, plus heureux que le lépidoptère, l’antiquaire sait se reproduire par son travail, et toute en se tenant à distance des maitres de la science, il peut, parodiant le mot célèbre d’un empereur romain, dire un jour : « Je n’ai pas perdu tout mon temps » » 184. Cette comparaison est surprenante, mais instructive. A travers elle, Nicolas-Victor Duquénelle esquisse une progression de « variétés » de l’antiquaire, de par l’ancienneté et la méritocratie ; c'est- 182 RIEGL, Alois, BOULET, Jacques (éd.), Le culte moderne des monuments : sa nature, son origine. Paris : L’Harmattan, 2003, 123 p. 183 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 220. 184 Ibid., p. 220-221. 49
  • 16. à-dire d’une part le temps d’exercice de la passion devenue profession, et d’autre part la progression dans la hiérarchie de « la race en général » par l’étude et le travail fourni. A partir de cette étude sur l’antiquaire et de documents transversaux, en reprenant point par point les diverses variétés en présence, la place occupée par l’antiquaire rémois dans cette hiérarchie des genres peut être déterminée. Avant cela, il convient d’analyser la place de sa collection. Le collectionnisme est un héritage de la tradition antiquaire, obéissant à des méthodes, que Nicolas-Victor Duquénelle applique. Dans la préface de sa Description historique du cabinet d’un antiquaire rémois 185, Nicolas-Victor Duquénelle adopte un cycle ternaire pour présenter sa collection : sa genèse, sa vie et son aboutissement. Evoquant la naissance de sa collection, il dit : « En 1828 (c’est presque de l’histoire ancienne) je me suis trouvé possesseur d’un sac contenant environ un kilogramme de vieilles monnaies de toutes espèces : ce don provenait des offrandes et des quêtes d’une paroisse de Reims ; le trésorier, dans l’impossibilité, d’en tirer aucun parti, voulut bien s’en débarrasser en ma faveur : j’acceptai avec l’insouciance de mon âge, et pendant cinq ans ces monnaies et médailles restèrent, sans exciter ma curiosité, reléguées dans le fond d’un meuble. Plus tard, en 1833, cherchant à utiliser les loisirs que me donnait ma profession sédentaire (j’étais pharmacien), je pensai à mes vieux sous, comme je les appelais alors, et, dans mon ignorance, j’avoue que de prime abord je fus peu séduit à l’aspect de cet assemblage de monnaies de tous les pays et de toutes les époques. Mais, en les examinant, je remarquai des noms, des portraits d’empereurs romaines ; je me souvins des leçons d’histoire romaine que j’avais eues au collège de Reims, et que j’avais suivies à une attention mêlée de plaisir (c’était peut-être une première vocation), je résolus de les étudier, de les connoître, et grâce aux conseils et à la bienveillance de deux savants collectionneurs rémois, Messieurs Grassière et Lucas- Dessain, qui me donnèrent les premières notions de numismatique, je devins un adepte zélé de cette science si intéressante. Tels furent mes premiers débuts dans la carrière archéologique 186 ». L’antiquaire y admet donc que sa collection s’est formée au hasard d’un don de monnaies et médailles, qu’il n’exploita que cinq ans après. Ce passage révèle également que son goût de l’objet et l’éveil de sa curiosité ne réside pas dans sa possession mais de son étude. On y apprend enfin que Nicolas-Victor Duquénelle a reçu une initiation et une instruction sur la numismatique, dispensées par deux maitres que sont Grassières et Lucas-Dessain. Il évoque ensuite la « vie » de sa collection et dit : « Ce que je possédais n’avait pas une grande valeur ; la série des monnaies romaines était peu nombreuse, et je voulus l’augmenter ; c’était chose 185 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Description historique du cabinet d’un antiquaire rémois ». In : JADART, Henri, Victor Duquénelle, antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sue sa Vie, ses Travaux et ses Collections avec diverses œuvres posthumes publiées par l'Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 25-30 ; Annexe 2. 186 Ibid., p. 27-28. 50
  • 17. facile, en raison des fréquentes et nombreuses découvertes que l’on faisait alors et qui se sont succédé jusqu’à notre époque ; une circonstance bien favorable était le petit nombre d’amateurs qui, loin de se faire concurrence comme aujourd’hui, se voyaient et s’enrichissaient leurs collections par des échanges mutuels. Je songeais à donner à ma suite une unité plus facile à compléter, et j’ai adopté l’époque romaine, et cela avec d’autant plus de raison que, depuis près de cinquante ans, j’ai constaté que les découvertes archéologiques faites sur le sol rémois se rattachent pour le plus grand nombre à cette époque. On rencontre quelquefois des objets mérovingiens et du moyen-âge, mais c’est accidentellement, tandis que l’on ne peut donner un coup de pioche à Reims sans mettre à jour des souvenirs de l’occupation et de la civilisation romaines. Aussi, je puis affirmer que ma collection, à part quelques exceptions, est vraiment locale, et qu’elle provient des fouilles faites à Reims et dans les environs ; j’ai dû cependant avoir recours aux marchands, surtout pour la série numismatique, pour combler quelques lacunes, mais c’était en hésitant, car il fallait passer sous les fourches caudines de ces messieurs, et je me disais : qu’un plaisir qui coûte cher n’est pas toujours un vrai plaisir ; j’ajouterai que, malgré la confiance dont ils sont dignes, on peut douter de l’authenticité d’une monnaie ont on ne peut que difficilement constater l’origine, tandis que l’on doit une confiance absolue à un terrassier laborieux qui vous vend, quelquefois un peu cher, il est vrai, ce que le hasard lui a fait découvrir, mais là il y a certitude 187 ». Nicolas-Victor Duquénelle a en effet complété sa collection au fil des années pour former un corpus d’objets cohérent et lisible, plus souvent par le résultat des fouilles et découvertes, plus exceptionnellement par l’acquisition d’objets rares auprès des marchands. Il évoque aussi l’adoption d’une méthode, c'est-à-dire la spécialisation de sa collection, tant au niveau de l’espace puisque sa collection est locale, tant au niveau du temps puisque sa collection est largement consacrée à l’époque romaine. Il évoque enfin l’aboutissement de sa collection, c'est-à-dire son passage du cabinet privé au musée public. Cette étude est l’objet d’une partie 188. La collection de Nicolas-Victor Duquénelle se consacre largement à la numismatique. L’antiquaire recense en effet dans son catalogue trois cent quatre vingt six familles de médailles et monnaies, dont très majoritairement des monnaies consulaires – au nombre de cent quatre vingt quatorze familles – et des médailles impériales – au nombre de cent soixante familles – 189. Elle est ensuite consacrée, comme précédemment indiquée, à l’étude des antiquités gallo-romaines. Des objets en 187 Ibid., p. 28-29. 188 Voir Le legs de Duquénelle : ses conditions et son but. p. 146. 189 M.S.R, Fonds documentation : Duquénelle (catalogue) ; Annexe 3. 51
  • 18. terre, verre, bronze, fer, ivoire et os, mais aussi des médaillons et cachets d’oculiste, constituent le second versant de cette collection 190. Une place de Nicolas-Victor Duquénelle parmi la variété de l’antiquaire-amateur est à exclure. Il dénonce en effet en cette variété un agencement des collections illusoire alors que la sienne, d’après son catalogue 191, est organisée chronologiquement, spatialement ou thématiquement ; un recours facile au marchand, alors que d’après la préface d’une de ses publications, il n’en est que coutumier pour les besoins exceptionnels, même si, selon Henri Jadart 192, il correspondait avec les marchands parisiens Jean-Henry Hoffmann, Claude-Camille Rollin et Félix Feuardent ; la préférence de l’esthétisme à l’authenticité alors qu’il prône une préférence de la qualité, de l’authenticité et de la véracité à la quantité ; la recherche du gain et du profit ; une absence absolue de raisonnement ou de recours historique, alors qu’il se considère lui- même comme un « historien véridique » 193. Il réfute lui-même d’une certaine façon cette hypothétique filiation avec cette première variété, lorsqu’il dit : « j’attendrai votre jugement et votre appréciation impartiale ; mais il faut que je raconte comment je suis devenu, sinon un archéologue, du moins un zélé collectionneur 194 ». Toutefois, il partage, du moins partiellement, un point commun avec cette variété. Par le poids antagoniste mais existentiel de la tradition antiquaire et de la modernité archéologique, il a lui aussi fléchi à la passion de la collection, à la manie de l’antique ou anticomanie, et à la mode ; ces trois critères qui prennent toute leur place dans l’histoire du goût. Nicolas-Victor Duquénelle semble en réalité à la croisée entre le collectionneur et l’archéologue. Des caractéristiques du collectionneur, l’antiquaire rémois possède la méthodologie de l’ordonnancement de la collection et du classement des objets selon des critères chronologiques, thématiques et de rareté. Il possède également des notions historiques pour établir l’ordre chronologique des objets collectionnés. Il détient enfin des traits du collectionneur l’intrépidité, c'est-à-dire l’inlassable recherche d’objets recueillis de fouilles, dans le but d’augmenter sa collection. Nicolas-Victor Duquénelle est en effet cité, selon Henri Jadart 195, dans la liste « des principaux collectionneurs du XIXe siècle par Ernest Bosc 196. Ce dernier évoque une « superbe 190 Ibid., p. 95. 191 Ibid., p. 95 192 JADART, Henri, Victor Duquénelle, antiquaire rémois, 1807-1883. Notice sur sa Vie, ses Travaux et ses Collections avec diverses Œuvres posthumes publiées par l’Académie de Reims. Reims : Michaud, 1884, p. 4. 193 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, Op.cit, 1849, p. 214. 194 DUQUENELLE, Nicolas-Victor, « Description historique du cabinet d’un antiquaire rémois ». In : JADART, Henri, Op.cit, 1884, p. 27. 195 JADART, Henri, Op.cit, 1884, p. 4. 196 BOSC, Ernest, Dictionnaire de l’art, de la curiosité et du bibelot. Paris : Firmin-Didot, 1883, 695 p. 52
  • 19. collection d’antiquités romaines. (émaux, médailles, poteries, verreries, etc.) 197 ». Cette réputation est telle que l’abbé Nicolas Valentin, évoquant une pièce d’or à l’effigie de l’empereur Anastase de Constantinople retrouvée en 1863 dans le canton de Fismes 198, suppose qu’elle est désormais en possession de l’antiquaire rémois. Dans ce même esprit de renommée locale et d’intrépidité pour l’accroissement de la collection, Charles Loriquet dit : « Depuis tant d’années que les monuments de l’antiquité rémoise s’accumulaient dans le cabinet de M[onsieur] Duquénelle, les curieux dont il se faisait si volontiers le guide, avaient plus d’une fois manifesté le désir d’être renseignés par une notice spéciale sur l’importance de sa collection, sur l’origine des objets qui la composent et sur les particularités qui les distinguent 199. Nicolas-Victor Duquénelle est un homme de terrain, à l’image du collectionneur intrépide et à l’inlassable recherche de matériaux authentiques. Charles Loriquet évoque à cet effet son contemporain en ces termes : « En mai 1859, M[onsieur] Duquénelle, qui est toujours le premier averti des découvertes qu’on fait à Reims, parce qu’il a le soin persévérant de parcourir la ville dans tous les sens et d’interroger toutes les fouilles qui s’y pratiquent, eut connaissance qu’on venait de mettre à découvert une mosaïque […] 200 ». Du collectionneur enfin, l’antiquaire rémois a hérité du recours mesuré aux marchands pour compléter sa série. Des caractéristiques de l’archéologue, Nicolas-Victor Duquénelle dispose de méthodes historiques et d’une démarche archéologique, partagées par le souci de tenir un discours historique véridique. Il « comprend et explique », du moins tente-t-il de restituer chaque objet dans un contexte historique. Puis, il propose dans ses publications, après chaque description d’un objet, une interprétation sur son usage et sa datation. De cette variété, l’antiquaire rémois possède ensuite la spécialisation puisqu’il est numismate. Faustin Poey-d’Avant, dans son troisième volume sur les monnaies féodales de France édité en 1862, évoque cette démarche d’historicité et de spécialisation de l’antiquaire lorsqu’il présente quelques objets de la collection numismatique de Nicolas-Victor Duquénelle et qu’il évoque un raisonnement déduit par son contemporain, de par sa démarche. Il dit : « En publiant celui que j’ai donné sous le n°6061, M[onsieur] Duquénelle opine pour son attribution à Massanès Ier, et place l’autre à Massanès II. Il se base particulièrement sur le mot Archipresul qui se trouve sur la première de ces monnaies, et qui est remplacé sur l’autre par Archiepiscopus. Les raisons alléguées par le numismate rémois me semblent devoir être prises en 197 BOSC, Ernest, Op.cit, 1883, p. 678. 198 VALENTIN, Nicolas (abbé), « Notice historique et descriptive des monuments historiques et religieux du canton de Fismes ». Travaux de l’Académie impériale de Reims, 1863-1864, vol. 40, n° 3-4, p. 242. 199 LORIQUET, Charles, « Compte-rendu des travaux de l’année 1875-1875 ». Travaux de l’Académie nationale de Reims, 1874-1875, vol. 57, n° 1-2, p. 13-14. 200 LORIQUET, Charles, La mosaïque des Promenades et autres trouvées à Reims, étude sur les mosaïques et sur les jeux de l’amphithéâtre. Reims : Brissart-Binet, 1862, p. 101. 53
  • 20. considération 201 ». La démarche historique du numismate tient au fait du recours aux sources écrites et à l’étymologie et à l’usage des vocables. Enfin, l’antiquaire-archéologue Duquénelle, loin d’étudier exhaustivement les monuments, a une mission de conservation 202. 201 POEY-D’AVANT, Faustin, Monnaies féodales de France, vol.3. Paris : Rollin, 1862, p.269. 202 Voir L’ANTIQUAIRE ET SON IMPLICATION DANS LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE REMOIS, p. 122. 54