Extraits du projet de tome 2 du Choc des Economies paru en 2007 (Editions Ellipses).
Analyses d\’un praticien de la mondialisation sur les mutations des industries "championnes d\’Europe" et réflexions sur l\’Euroland avant les "syndrôme grec"
1. 1
RAOUL CHABOT juin 2009
36 Rue des fontaines 92310 Sèvres.
01 4626 4295
raoul.chabot@polytechnique.org
L’ECONOMIE REELLE
FACE A LA CRISE
(I) La mutation de l’industrie automobile :
Adieu GM, bonjour la Chine
(II) L’industrie aéronautique sur les traces de l’automobile :
Les sites industriels Européens sont-ils condamnés ?
(III) Les dysfonctionnements de la Sphère Financière :
La spéculation va-t-elle repartir « comme avant » ?
Conclusion : L’Euroland au pied du mur
(EXTRAITS de la VERSION PROVISOIRE de juin 2009)
La présente contribution aux réflexions de X-SURSAUT, groupe de travail
« mondialisation », met à jour et approfondit les analyses présentées par « LE CHOC DES
ECONOMIES », publié par les éditions ELLIPSES en mai 2007.
2. 2
INTRODUCTION :
ECONOMIE REELLE ET SPHERE FINANCIERE
Depuis l’automne 2008, les dysfonctionnements de la « Sphère Financière »
impactent douloureusement «l’Economie Réelle » des pays développés. D’indiscutables
signes de ralentissement apparaissent dans les pays émergents les plus dynamiques. Il s’agit
donc bien d’une crise globale, qui a démarré aussi brutalement que celle de 1929. Première
question largement traitée, mais à laquelle chaque semaine apporte des éléments de réponse
nouveaux : La crise actuelle sera-t-elle aussi profonde et durable ?
Au printemps 2009 l’embellie est indiscutable pour la plupart des banques mondiales,
et les gouvernements concernés sont prêts à injecter le nombre de trillions de dollars
nécessaires pour que le système bancaire soit en état d’accompagner la reprise espérée de
l’économie réelle. La plupart des Banques Centrales pratiquent des politiques monétaires
puissamment incitatives. Et des plans de relance substantiels sont mis en œuvre dans la
plupart des pays. On peut donc raisonnablement espérer que le risque de plonger dans une
dépression analogue à celle connue dans les années 30 est écarté. En revanche le recul de
l’activité a dépassé les prévisions les plus pessimistes dans nombre de pays développés au
premier trimestre 2009 et le point bas sera atteint au mieux à l’automne 2009. La détérioration
à venir de la situation financière des entreprises et des ménages aura de douloureuses
conséquences sociales, mais risque également d’aggraver les difficultés de nombreuses
banques. La reprise risque donc d’être lente et chaotique.
A posteriori, on constate que la plupart des crises financières puis économiques qui ont
émaillées le dernier quart de siècle ont eu comme origine… les mesures - notamment les
politiques monétaires - mises en œuvre pour sortir le plus vite possible de la crise précédente.
Devant l’urgence, il fallait certes agir sur tous les leviers susceptibles d’enrayer le risque de
dépression profonde et durable. Mais certains des remèdes employés, plus ou moins efficaces
à court terme, risquent de se révéler nuisibles à moyen terme, c’est-à-dire préparer
l’éclatement d’une nouvelle crise. Seconde question, pour l’instant moins posée : saurons
nous éviter la prochaine crise, ou tout au moins en minimiser les conséquences ?
Pour tenter de répondre à ces deux questions nous proposons une double approche :
- Un diagnostic des évolutions passées permettant de déceler les « tendances
lourdes » des principales économies mondiales, et notamment approfondir les relations entre
Economie Réelle et Sphère Financière. Nous retenons la période 1997 2008, qui démarre à la
date de fixation des parités d’entrée dans l’euro pour les premiers membres de l’Euroland.
- Un horizon d’exploration portant sur au moins 5 ans, pour faire apparaître les
conséquences structurelles des tendances lourdes décelées et des mesures correctrices
décidées ou envisagées, et les déséquilibres pouvant entraîner de nouvelles péripéties. Cela
suppose évidemment de ne pas focaliser tous les efforts sur un scénario moyen détaillé mais
limité à deux ans. Nous tenterons donc d’encadrer les évolutions possibles par deux scénarios
optimiste et pessimiste couvrant le quinquennat 2009 2013.
3. 3
Les relations tumultueuses d’un couple infernal
Depuis que les hommes ont compris les limites du troc et inventé des instruments
monétaires pour faciliter leurs échanges, puis découvert les avantages et dangers du crédit, les
économistes s’interrogent sur les rapports entre “ l’économie réelle ” et la “ sphère
financière ”. La mondialisation croissante des économies a exacerbé les affrontements de ces
deux mondes si différents :
- Dix pour cent de rentabilité annuelle des capitaux sont une performance très
satisfaisante dans l’Economie Réelle, un spéculateur hésite à se contenter de dix pour
cent par mois.
- Les délais se chiffrent en années dans l’économie réelle, en jours, quand ce n’est pas
en minutes, pour la sphère financière.
Quand on parle « d’Economie Réelle », le grand public comprend sans trop de
difficultés les différentes composantes que cela recouvre : Ce sont toutes les activités de
production et utilisation de biens et services autres que financiers. Elles concourent dans les
pays développés pour 92% à 96% à la création de la richesse mesurée par le PIB et
fournissent 95% à 97% des emplois. C’est donc de sa bonne santé et de son dynamisme que
dépendent les revenus et l’emploi de l’écrasante majorité des citoyens.
Les revenus et emplois fournis par les services financiers n’ont donc qu’un poids
relativement marginal. Ce qui fait l’importance de la Sphère Financière, c’est la nature des
services qu’elle devrait rendre à l’Economie Réelle et à l’ensemble des citoyens…et sa
capacité de nuisance quand elle se consacre à d’autres priorités.
Une approche concrète de l’Economie Réelle
Ce sont les activités faisant l’objet d’échanges internationaux intenses qui ont été les
premières touchées par la crise et en assurent la transmission de pays en pays. Pour
comprendre leurs comportements et leur sensibilité à l’environnement financier, nous allons
retracer les évolutions récentes de deux composantes de l’Economie Réelle qui conservent
une importance économique et stratégique majeure pour la plupart des pays : les industries
automobile et aéronautique. Et nous tenterons de trouver les facteurs clés qui peuvent
favoriser ou contrarier leur rétablissement.
Quatre raisons guident ce choix :
- Par l’importance de leurs échanges internationaux, et leur influence sur un large
réseau de sous traitants, elles conservent un rôle d’entraînement majeur dans de nombreuses
économies, et tout particulièrement en Allemagne et en France : la résorption de surstocks
massifs et l’effondrement des exportations automobiles ont largement contribué aux
impressionnants reculs du PIB observés au premier trimestre 2009 dans des pays comme le
Japon et l’Allemagne. Et l’industrie aéronautique est une composante majeure de l’industrie
d’armement, aux Etats-Unis notamment.
- Cette importance se traduit par l’existence d’une documentation importante. Les
centres de décision mondiaux sont limités dans l’automobile à moins de trois dizaines de
grands groupes. Pour l’aéronautique, une quinzaine suffisent pour cerner correctement cette
4. 4
compétition. Tous publient des rapports annuels et trimestriels étoffés. Ce sont donc deux
industries pour lesquelles l’analyse financière classique, à base de comparaisons des
comportements et performances des grands groupes mondiaux, peut être poussée très loin. La
plupart des comptabilités nationales fournissent les comptes détaillés de leurs « branches
automobiles », et les principaux chiffres caractéristiques de leurs « branches aéronautiques »,
permettant à l’OCDE de mettre à la disposition des chercheurs une très riche banque de
données industrielles harmonisées – STAN- qui constitue la base statistique permettant
l’analyse du comportement des Sites Industriels. Le croisement de ces deux approches, par
centres de décision mondiaux et entités géographiques nationales, se révèle très riche : les
industries automobile et aéronautique constituent un champ d’observation idéal pour
comprendre les choix de localisation des ventes productions et investissements des groupes
transnationaux, et mesurer leur impact sur les « sites industriels » nationaux.
- Compte tenu de l’importance des échanges internationaux pour ces deux industries,
elles permettent d’illustrer le rôle décisif joué par l’évolution des parités dans ces choix
stratégiques. La demande de mobilité a beau être une composante majeure des besoins
fondamentaux dans tous les pays, elle n’est pas insensible au coût du pétrole. Enfin la quasi-
totalité des achats de voitures et d’avions se font par recours au crédit. Ce sont donc deux
industries qui sont déjà touchées –pour l’automobile- ou le seront inéluctablement – pour
l’aéronautique- par le renchérissement plus ou moins durable du pétrole, la chute plus ou
moins accusée du dollar –entraînant la plupart des monnaies qui lui restent liées - et le
durcissement plus ou moins marqué des conditions de crédit. Excellent champ d’observation
donc pour explorer les répercussions de ces trois variables sur la relance espérée et l’impact
désastreux de la spéculation financière en ce domaine.
Le plan proposé
L’industrie automobile mondiale a été, après la construction, la branche de l’économie
réelle la plus gravement frappée par la crise. La première partie lui est donc consacrée.
La seconde partie examine les risques à moyen terme qui menacent les sites
aéronautiques de l’Euroland, très liés à l’évolution de la parité euro-dollar.
Ces deux diagnostics soulignent la forte responsabilité de la spéculation financière
dans le déclenchement et l’amplification de la crise qui frappe l’Economie Réelle. La
troisième partie approfondit les relations entre Sphère Financière et Economie Réelle. Elle
fournit des pistes pour mesurer les risques et hiérarchiser les contraintes que doivent respecter
les Modèles Nationaux pour rester sur une trajectoire de croissance durable.
La troisième phase de la crise, les drames sociaux, sera la plus douloureuse et la plus
dangereuse. Tous les Modèles Nationaux sont donc remis en cause par la crise. Mais elle
interpelle avec une urgence particulière l’Euroland, menacé d’éclatement par les dérives de
plusieurs de ses membres. Au-delà du traitement social de l’envolée du chômage, la solution
à moyen terme repose sur la restauration de sa compétitivité.
La conclusion rappelle le « Triangle Magique » sur lequel repose cette dernière, et
situe les responsabilités des décideurs, entreprises et autorités politiques et monétaires.
5. 5
PREMIERE PARTIE :
LA MUTATION DE L’INDUSTRIE AUTOMOBILE :
ADIEU GM, BONJOUR LA CHINE
CHAPITRE I : 1998 à 2007
L’ADAPTATION A LA MONDIALISATION TRIOMPHANTE
Les 10 années couvertes par ce premier chapitre n’ont pas été, pour l’économie
mondiale, un long fleuve tranquille. Mais, malgré deux crises financières qui ont
douloureusement frappé nombre de pays en développement, la croissance moyenne a été
soutenue. Dans les pays développés, elle a entraîné une progression du niveau de vie qui a
bénéficié à la majorité des citoyens et rendu tolérable l’envolée des inégalités. Mais elle a
surtout permis à plusieurs centaines de millions d’habitants des pays en développement de
sortir de la pauvreté. Bref un bilan imparfait, mais globalement positif pour la mondialisation
économique et financière.
A coup de délocalisations, l’industrie automobile a été à l’avant-garde de l’adaptation
à cette nouvelle règle du jeu. Et elle a joué, dans cette évolution globalement positive, un rôle
important : elle a par exemple été un des vecteurs du bond en avant de la Chine, et du début
de rattrapage des PECO.
Les sections A et B commenceront par développer l’approche géographique en
décrivant l’évolution des ventes et des productions des grandes zones mondiales, puis en
proposant une segmentation des données globales par grandes classes de produits,
indispensable pour comprendre la dispersion des croissances et des rentabilités.
La section C présente ensuite les centres de décision qui expliquent les évolutions
constatées, la vingtaine de grands constructeurs qui mènent une politique mondiale, en ciblant
leurs ventes vers les marchés les plus dynamiques et en localisant leurs productions dans les
sites industriels les plus compétitifs.
Ces descriptions de l’évolution du monde automobile soulignent le rôle clé joué par
les parités dans les décisions stratégiques et les performances des groupes transnationaux. La
section D approfondit cet impact des parités.
6. 6
A. LES VENTES ET LES PRODUCTIONS
1. Malgré l’envolée du prix du pétrole, la demande et la production automobile
mondiales ont encore connu en 2007 une fort belle croissance. Avec plus de 72 millions
d’immatriculations, 2007 a été pour l’industrie automobile mondiale l’une des meilleures des
dernières années : croissance de 5,4% contre 3,1% pour la moyenne 1997 à 2007.
Mais l’essentiel de cette croissance est du aux pays en voie de développement :
respectivement 18,6% et 8,4%, contre -0,1% et 1,2% pour les pays développés, avec des
performances particulièrement impressionnantes pour la Chine et l’Inde. En nombre de
véhicules, près du tiers de la demande se trouve en 2007 dans les pays accédant à l’ère de
l’automobile. Et ils ont surtout assuré la totalité de la croissance de la demande automobile en
2007, dont 39% pour la seule Chine.
2. Le tableau Ib présente le même panorama mondial en termes de production.
Mais il corrige l’hétérogénéité des produits en ajoutant une estimation de la richesse
produite. Le critère retenu est la valeur ajoutée exprimée en « Parités Structurelles ». Cet
instrument qu’expliquera la troisième partie, permet d’éliminer les amples fluctuations
conjoncturelles des monnaies, pour mesurer les tendances lourdes de leurs évolutions. Pour
les principaux pays en développement, dont Chine Inde et Brésil, les extrapolations
effectuées à partir des données fournies par leurs comptes nationaux et des informations
publiées par leurs principaux constructeurs sont fragiles, et certainement perfectibles. Les
valeurs absolues sont donc de simples ordres de grandeur, plutôt sous-estimés. Les évolutions
dans le temps sont en revanche beaucoup trop marquées pour ne pas être très significatives.
Les sites automobile des pays développés ont réussi, grâce à leurs balances
commerciales excédentaires, à maintenir une croissance de leur production un peu supérieure
à celles de leurs marchés nationaux : pour l’ensemble de la période 1998 2007, +0,6% contre -
0,1% en nombre de véhicules. Compte tenu de la montée en gamme et de l’enrichissement des
véhicules, leur valeur ajoutée a même cru en moyenne de 2,8% par an.
Mais l’essentiel de la croissance mondiale – 3% par an en nombre de véhicules, 3,8%
pour la richesse produite- a été assuré par les pays en voie de développement et en transition :
Les pays développés ont encore produit en 1997 prés des 2/3 des véhicules, et des véhicules
beaucoup plus « haut de gamme », ce qui explique qu’ils assuraient encore, en valeur, plus de
85% de la production mondiale. Avec une croissance qui a tourné autour de 20% à 25% par
an, la Chine était devenue dés 2007 la troisième puissance automobile en nombre de
véhicules–devant l’Allemagne- et la quatrième en richesse produite (valeur ajoutée).A la
cinquième place, la Corée avait largement dépassé la France. En Europe, seuls les PECO
(Républiques Tchèque et Slovaque, Pologne Hongrie Slovénie et Roumanie) connaissaient
des croissances à deux chiffres de leurs industries automobiles, qui contribuaient efficacement
à leur rattrapage en cours.
3. Au-delà de cette bonne performance globale, la demande automobile mondiale a
connu d’amples fluctuations épousant, en les amplifiant fortement, les à-coups connus par la
croissance mondiale. De 1997 à 2003, le monde a en effet connu deux crises financières puis
économiques brutales, effondrement des monnaies de plusieurs pays en développement ou en
transition puis éclatement de la bulle boursière des titres de la « nouvelle économie ». Elles
ont beaucoup impacté l’économie réelle des pays en développement dont la demande interne
globale n’a cru en moyenne que de 3,3% par an, guère mieux que les 2,5% par an des pays
7. 7
développés. En revanche l’écart s’est creusé de 2003 à 2007, avec des croissances annuelles
de la demande interne globale respectivement de 9% pour les pays en développement et 3,1%
pour les pays développés.
4. Pendant ces 10 années, il a fallu aller chercher la demande où elle était, c’est-à-dire
exporter si l’on était suffisamment compétitif ou produire sur place. Ce bouleversement
de la demande mondiale n’a pas échappé aux constructeurs français. En 2008 leur production
en France a baissé de plus de 17%, leur production à l’étranger a encore augmenté de près de
2% ; Sur 10 ans, les taux de variation sont respectivement de 0% et 9%, et dés 2008 la
production hors de France représente plus de 63% du total. De 1997 à 2003, l’envolée des
productions à l’étranger n’avait pas empêché la croissance des exportations, donc de la
production du site français : sa part dans la production mondiale avait progressé de 4,6% à
5,5%. Elle est retombée à 3,7% en 2008. La forte croissance des productions à l’étranger n’a
pu compenser, à partir de 2003 ce déclin national : Après avoir représenté un maximum de
9,6% de la production mondiale en 2003, la part des constructeurs français est retombée à
8,5% en 2008.
En utilisant l’indicateur de position conjoncturelle de l’euro qui sera présenté dans la
troisième partie on constate une forte corrélation entre les productions des constructeurs
français, leur localisation, et l’évolution du niveau de l’euro.
(2) PRODUCTION AUTOMOBILE FRANCAISE
10 15,0
Parts de la production mondiale (%)
Sous (+) ou sur (-) évaluation
8 10,0
6 5,0
4 0,0
2 -5,0
Production à l'étranger Constructeurs français
Site Français Niveau de l'euro
0 -10,0
1997 1999 2001 2003 2005 2007
Si le dollar est la monnaie de l’industrie aéronautique, le yen le won – et bientôt le
yuan- sont les monnaies de l’industrie automobile. La corrélation entre les évolutions des
parts de marché française et japonaise d’une part, et notre indicateur de sur ou sous-évaluation
de l’euro d’autre part, montre la forte sensibilité de ces deux industries à la parité euro - yen.
La surévaluation du won jusqu’à mi-2007 a en revanche retardé l’offensive commerciale
coréenne en Europe. La suite de notre analyse expliquera pourquoi la surévaluation de l’euro
n’a pas empêché une légère croissance des parts de marché des industries automobiles
allemande et italienne.
8. 8
(3) PERFORMANCES COMMERCIALES (VL)
15,0
30
Sous (+) ou sur(-)évaluation
Parts du marché européen (%)
25 10,0
20 5,0
de l'euro
15
0,0
10
-5,0
5 FRANCAIS ALLEMANDS ITALIENS
JAPONAIS Niveau de l'euro
0 -10,0
1997 1999 2001 2003 2005 2007
5. Une seconde indication sur la compétitivité des sites industriels automobile est
fournie par l’évolution de leurs balances commerciales. De 1997 à 2008, les excédents des
pays développés sont passés de 6% de la production à 7,1%. Mais avec une structure qui a été
totalement bouleversée. Trois pays, Japon, Allemagne et Corée, ont massivement accru leurs
excédents. Trois pays, Etats-Unis, Royaume Uni et Italie ont massivement accru leurs
déficits. Les 5 principaux PECO sont devenus fortement bénéficiaires. En sens inverse
l’Espagne a basculé dans le rouge dés 2006, et la balance commerciale française, jadis
largement bénéficiaire, est devenue structurellement déficitaire en 2008.
(4) COMMERCE EXTERIEUR AUTOMOBILE FRANCAIS
160 14
Sous(+) ou sur(-)évaluation
140 12
Base exports 1997 = 100
10
120
8
100 6
80 4
60 2
0
40 Croissance Exports
-2
20 Croissance Imports
-4
Niveau de l'euro
0 -6
1998 2000 2002 2004 2005 2005 2006 2006 2007 2007 2008 2008
T2 T4 T2 T4 T2 T4 T2 T4
De 2002 à 2007, les deux composantes des échanges ont contribué à cette chute, qui
n’est donc nullement un phénomène conjoncturel : quasi stagnation des exportations depuis
fin 2004, envolée des importations depuis fin 2005. Les importations de voitures allemandes
et japonaises en expliquent une bonne partie. Mais le recours croissant aux productions à
l’étranger de véhicules de marques françaises y contribue significativement. La vitesse de la
détérioration est impressionnante, et fort préoccupante : une fois confiée à une usine étrangère
9. 9
la production de tel ou tel modèle de grande diffusion, l’organisation de la production d’un
constructeur est figée pour plusieurs années. A partir de la mi 2008, l’effondrement des
échanges internationaux, qui touche particulièrement l’industrie automobile, transforme la
chute en effondrement.
L’évolution des monnaies contribue efficacement à l’envolée des excédents
commerciaux automobile allemands avec la France depuis 2003. A l’intérieur d’une zone
monétaire dont les membres connaissent des dérives de prix différentes les parités réelles –
parités nominales déflatées du différentiel d’inflation- fluctuent entre les membres. Et ce sont
ces parités réelles qui comptent pour la compétitivité de l’économie réelle. De 2000 à 2008
« l’euro-mark » -monnaie de l’économe réelle allemande- est passé, face à « l’euro-franc » -
monnaie de l’économe réelle française- d’une surévaluation de 3,5% à une légère sous-
évaluation. La désinflation compétitive allemande a donc apporté un supplément de
compétitivité de 4% à l’industrie allemande face à l’industrie française, qui a efficacement
contribué à la croissance des exportations automobiles allemandes vers la France, et au
plafonnement des importations automobiles en provenance de France.
(5) ECHANGES AUTOMOBILES ALLEMANDS AVEC LA FRANCE
160 2
1
Sur (-) ou sous(+)évaluation
140
Base exports 1997 = 100
1
120
0
100 -1
80 -1
60 -2
Croissance Exports
-2
40
Croissance Imports -3
20 -3
Euro-Mark / Euro-Franc
0 -4
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Pour comprendre les différences de sensibilités des constructeurs et des sites
industriels, il faut procéder à une segmentation des marchés et des productions, et constater
que les situations concurrentielles y vont de la concurrence frontale sur des marchés en faible
croissance à l’existence de quasi monopoles mondiaux sur des niches en forte croissance.
B. LA SEGMENTATION DES PRODUITS ET DES MARGES
Les statistiques automobiles regroupent des produits très différents, de la mini voiture
indienne ou japonaise, aux monstres qui assurent les Transports Internationaux Routiers, en
passant par les voitures très haut de gamme destinées aux traders gavés de bonus ou émirs
croulant sous leurs profits pétroliers. Ces divers produits connaissent des croissances et des
situations concurrentielles – donc des marges- fort différentes. Pour identifier les marchés
porteurs, et évaluer les forces et faiblesses des concurrents, il faut donc décomposer les
activités. Nous utilisons pour cela les rapports des constructeurs européens pour les années
1998 à 2008. Au-delà des seules productions en nombre de véhicules, ils permettent de
10. 10
mesurer leur taille économique, le chiffre d’affaires de leurs activités automobiles, et surtout
d’approcher la profitabilité de leurs divers segments d’activité en reconstituant la marge avant
impôts et frais financiers, et avant pertes et profits vraiment exceptionnels et non récurrents
quand ils veulent bien les mentionner. Cette approche permet de redresser deux erreurs
d’optique que commettent ceux qui se bornent à examiner les productions globales exprimées
en nombre de véhicules.
Le tableau Ie reprend les catégories généralement retenues dans la profession. Il faut
d’abord distinguer les « Véhicules Légers », additionnant Voitures Particulières et Véhicules
Utilitaires Légers, des « Véhicules Industriels », additionnant les Camions Lourds, et les Cars
et Bus. Les VI apportent aux constructeurs européens 17% de leur chiffre d’affaires, et surtout
37% de leurs profits. Dans le segment des véhicules vraiment lourds –plus de 16 tonnes-
l’Europe détient en effet, grâce à Mercédes, Man, Volvo-Renault Trucks et Scania un de ses
derniers leadership mondiaux, que ni les derniers constructeurs américains ni les groupes
japonais ne lui contestent pour l’instant.
Dans les Véhicules Légers, il faut distinguer 3 segments :
Le plus dynamique est évidemment celui des voitures simples robustes et peu
coûteuses, de production essentiellement locale, destinées pour l’essentiel à la part minoritaire
mais croissante des populations des pays en voie de développement accédant à l’age de
l’automobile. Les plus simplistes ne sont guère plus que des 2 ou 3 roues améliorées. « Un
parapluie motorisé » a-t-on surnommé la nouvelle Nano de TATA.
Dans tous les pays, la mondialisation se traduit par une envolée des inégalités, qui a de
fortes conséquences sur la croissance, et la profitabilité, des autres segments : depuis le
printemps 2007, il y a plus de millionnaires (en dollars) en Chine qu’en France. Or que fait un
nouveau riche qui n’a pas peur de le montrer : il achète une voiture prestigieuse (et très
coûteuse pour éviter que son voisin ne tente de l’imiter). Le segment des voitures haut de
gamme a donc connu jusqu’en mi 2008, dans tous les pays, une croissance beaucoup plus
rapide que celui des voitures moyennes (5,3% par an contre 2,2%, pour les constructeurs
européens), et permet de réaliser des marges beaucoup plus substantielles : En 2007, pour les
constructeurs européens, 8,5% du chiffre d’affaires, contre 2,2% seulement, pour les
constructeurs généralistes.
La pression de la concurrence des pays en voie de développement se traduit par une
faible croissance des revenus moyens, et une quasi stagnation des plus faibles. Ce sont
malheureusement les acquéreurs potentiels des voitures bas et milieu de gamme qui sont la
spécialité de la plupart des constructeurs des pays développés, et notamment des français
japonais et coréens. Pour les constructeurs européens, ces ventes représentent encore en 2007,
en nombre 85% du total, en chiffre d’affaires 61%, mais en marges 34% seulement. La faible
croissance du segment –à peine 2,2% annuels de 1998 à 2007- se traduit en effet par des
surcapacités croissantes, et une intense pression sur les prix et les marges. Elle est avivée, en
Europe, par la sous-évaluation du yen, qui s’y traduit par une envolée des parts de marché des
constructeurs japonais.
En nombre, et malgré une croissance moyenne 1998 à 2007 de 5,3%, les voitures haut
de gamme ne constituent que 16% de la production en nombre des constructeurs européens.
Mais elles leur apportent 29% de leur chiffre d’affaires, et 62% de leurs profits.
11. 11
(6) MARGES DES CONSTRUCTEURS EUROPEENS
pourcents du chiffre d'affaires 10
8
6
4
2
0
-2
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2003 à 2008
Généralistes VL Spécialistes VL VI>6T TOTALES
Cette segmentation permet de comprendre la bonne résistance des groupes
automobiles sous contrôle allemand à la force de l’euro.
En voitures, le très haut de gamme reste encore indiscutablement une spécialité
allemande et leur apporte 62% de leur chiffre d’affaires et 65% de leurs marges. Et les
Véhicules Industriels lourds contribuent pour 16% à leur chiffre d’affaires et 16% à leurs
marges. En revanche la profitabilité des constructeurs généralistes allemands (3,5% en 2007)
n’est pas significativement meilleure que celle des constructeurs français. Si on leur rajoute
les très médiocres résultats des filiales américaines installées en Allemagne, limitées aux seuls
échanges intra européens mais subissant de plein fouet la concurrence japonaise, on constate
que les performances des généralistes installés en Allemagne sont aussi médiocres que celles
des autres constructeurs européens.
(7) MARGES DES CONSTRUCTEURS ALLEMANDS
10
pourcents du chiffre d'affaires
8
6
4
2
0
-2
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2003 à 2008
Généralistes VL Spécialistes VL VI>6T TOTALES
Pour clore cette revue des marges, on constate que 2007 a été, pour la rentabilité
comme pour la croissance, l’une des meilleures des dernières années connues par l’industrie
12. 12
automobile mondiale. Le suivi trimestriel des marges présenté par le second chapitre montrera
une détérioration de la profitabilité avant même le déclenchement de la crise financière, suivie
au dernier trimestre 2008 par un véritable effondrement de la rentabilité des constructeurs,
particulièrement marqué pour les groupes américains, japonais et français.
C. LES ACTEURS DE L’INDUSTRIE AUTOMOBILE
1. Le recensement des constructeurs.
Les médias et le grand public se passionnaient périodiquement pour ce qu’ils croyaient
être le combat de Général Motors pour conserver la première place mondiale que lui
disputerait Toyota. Les informations publiées et les commentaires qui les accompagnent
étaient, jusqu’à ces dernières semaines, en dehors de la plaque. En termes de taille, le
véritable critère est le chiffre d’affaires. Mais, à moyen terme le critère majeur est la
puissance financière, qui dépend de la capacité à réaliser des marges suffisantes pour soutenir
une croissance durable. Le tableau If rappelle le résultat d’exploitation 2008, déjà perturbé
pour certains des concurrents par le début de la crise, mais classe les groupes en fonction du
total des marges 2003 à 2008.
Toyota était en 2008, et de très loin, le numéro un mondial pour la taille et surtout
pour la puissance financière : malgré le début de contre performance 2008, le groupe japonais
a réalisé tout simplement près de 40% de la marge totale 2003 2008 de l’ensemble des
constructeurs automobile mondiaux. Et Général Motors ne détenait plus qu’un seul record,
celui des pertes les plus gigantesques.
La prise de contrôle de Man et Scania par Volkswagen, et l’affrontement en cours
entre Volkswagen et Porsche pour savoir qui avalera l’autre, pourrait créer un numéro deux
mondial potentiel pour la polyvalence, la taille et la puissance financière. Il y a un an, le
même classement aurait, pour les mêmes raisons, placé en numéro deux Daimler Chrysler.
Mais ce dernier est redevenu, après l’échec de son rachat de Chrysler et Mitsubishi, un simple
spécialiste. Il faut donc être fort prudent face aux tentatives de regroupement.
Sur la base des réalisations 1998 2008 l’indiscutable numéro deux mondial est
l’alliance Renault Nissan. Et les redressements successifs de Nissan, Dacia et Samsung
prouvent que des rapprochements bien menés peuvent réussir.
Revenu à une position de simple spécialiste, mais dans deux activités très rentables,
Daimler reste tout de même, en taille mais surtout en puissance financière, au contact des 3
grands, suivi par Honda, BMW et Hyundai. La surévaluation du won a lourdement fait chuter
les marges de ce dernier de 2003 à 2007. Malgré ce handicap, le groupe coréen n’a pas
sacrifié sa croissance, et se hisse à la septième place mondiale, devant PSA, aux dépends
d’une certaine fragilité financière.
Au-delà, on trouve les groupes à problèmes. Malgré son redressement en 2007 2008,
FIAT est simplement en convalescence. La reprise des activités viables de Chrysler, même
passées à la paille de fer après mise en faillite, sera un challenge colossal. La rechute du
marché américain en 2008 fait replonger les trois groupes américains, plombés par des lignes
de produits obsolètes et les surcoûts de leurs charges sociales. GM ne gagnait d’argent qu’en
Chine – beaucoup, mais pour combien de temps ?- en Amérique du Sud et en Russie. Nous
reviendrons dans les second et troisième chapitres, sur les derniers développements de la
13. 13
tentative de sauvetage d’une industrie automobile américaine par le gouvernement, et les
enseignements que peuvent en tirer dirigeants et autorités politiques européennes.
En matière de performances, la taille et la puissance financière absolue sont loin d’être
la clé unique. En termes de rentabilité, ce sont deux spécialistes dominant leurs niches,
Porsche et Scania, qui occupent les deux premières marches du podium. En combinant les
critères de croissance à long terme et rentabilité, ce sont deux groupes émergents, SAIC
chinois et TATA indien qui se détachent. Si Toyota n’était pas déjà classé comme numéro un
absolu, il mériterait tout à fait de figurer en tète de ce classement des champions : Arriver à la
première place mondiale par pure croissance interne nécessite au moins deux décennies de
performances exceptionnelles. Il est vrai que le survol de la dernière décennie n’encourage
guère à rechercher la croissance externe. A part le véritable jack pot qu’a été –pour les deux
partenaires - le rapprochement entre Renault et Nissan, qui n’est d’ailleurs pas une fusion au
sens classique, les échecs –sanglants - abondent. Coûteux fiascos des prises de contrôle de
Chrysler et Mitsubishi par Daimler, et du rachat de Rover par BMW, échec de la tentative de
rapprochement entre GM et Fiat, coûteuses désillusions de Ford dans ses reprises de Jaguar et
Land Rover, revendus à TATA à moins de la moitié du prix d’achat, malgré les milliards
d’investissements et de pertes accumulés après la reprise.
Si l’on intègre la « capacité à prendre les bonnes décisions stratégiques » parmi les
critères de choix, Renault est un sérieux candidat au titre de champion de l’adaptation à la
mondialisation, devant Toyota et Honda. Certes la mobilisation de ses forces vives dans la
réussite de ses opérations de développement à l’étranger explique peut-être une part des
contre-performances de Renault sur son site national. Mais pour ce qui est du seul point
vraiment préoccupant, l’évolution de la profitabilité (pour l’ensemble de la période 2003
2008, Nissan a dégagé plus de 80% des marges hors activités financières de l’alliance) et les
conséquences qu’elle pourrait avoir sur les rapports de force entre les deux alliés, la
responsabilité principale est celle des autorités politiques et monétaires de l’Euroland, pour
leur absence de gestion de l’euro, et ses calamiteuses conséquences sur la compétitivité des
sites industriels de l’Euroland.
2. Les quatre pôles
Au-delà de l’analyse des trajectoires individuelles, les présentations classiques
regroupent la vingtaine des principaux groupes automobiles des pays développés en trois
pôles : Américains, Européens et Japonais. Pour mieux prendre en compte la mondialisation
de l’industrie automobile, le tableau Ig adopte une présentation exhaustive.
- En ajoutant les Coréens, les 22 principaux groupes des pays développés sont
regroupés en trois pôles, Américains, Européens et Asie développée.
- Parmi la multitude de constructeurs dans les pays en développement seuls deux
groupes semblent émerger : Tata en Inde, doublement sous les feux de l’actualité pour son
rachat de Jaguar et Land Rover et le lancement d’une « nano » voiture à 2000 dollars, SAIC
en Chine, le principal associé de GM et Volkswagen, propriétaire de la marque Rover et en
train de lancer sa propre gamme de voitures. A partir des informations relativement détaillées
publiées par ces deux groupes, et des estimations plus sommaires trouvées sur trois autres
« grands » chinois –Dongfeng, FAW et Changan - il est possible d’esquisser les contours des
industries automobiles Chinoise et Indienne. Elles comprennent encore une multitude de
petits constructeurs locaux, mais quelques grands groupes, autour desquels se fera
14. 14
probablement une consolidation de ces industries, commencent à émerger. En dehors de
TATA et Suzuki, qui est maintenant le second constructeur indien, ce sont essentiellement les
groupes chinois qui, à travers les joint ventures conclues avec les grands constructeurs
mondiaux, brûlent les étapes pour rejoindre les standards internationaux de qualité et
productivité. Ces groupes évolués forment le quatrième pole, « Asie Emergente », qui inclue
approximativement la moitié des industries automobiles chinoise et indienne.
Cette présentation fera peut être hurler les puristes. Seul Tata paraît à la fois
indépendant, grand –environ un tiers de l’industrie automobile indienne et déjà 0,5% des 4
pôles- et surtout très rentable jusqu’en 2007 et doté de bureaux d’études performants. Mais,
sans même aller jusqu’à imaginer des évolutions extrêmes transposant les nationalisations du
pétrole iranien par Mossadegh ou du canal de Suez par Nasser, on peut faire confiance aux
capacités d’imitation et d’innovation et au nationalisme chinois pour créer, dans les 5 ans à
venir, un ou plusieurs grands centres de décision mondiaux chinois dans l’automobile,
beaucoup moins dociles aux impulsions étrangères, dont SAIC sera très probablement une des
bases. Au-delà des contraintes juridiques, le tableau Ig dresse donc un état des lieux réalistes
des actuels et futurs centres de décision mondiaux.
Cette présentation permet de constater :
- La montée en puissance des deux pôles asiatiques, qui réalisent en 2008 près de 50%
de la production et 45% du chiffre d’affaires total. Malgré les premiers impacts de la
crise, leurs marges restaient en 2008 largement positives.
- Le déclin du pole européen qui ne réalise plus en 2008 que 30% de la production
mondiale - contre 34% en 1998 - et 36% du chiffre d’affaires. Ses marges restaient en
2008 nettement supérieures à celles de ses concurrents asiatiques, grâce à ses
spécialistes haut de gamme voitures et VI.
- La descente aux enfers du pole américain dont les pertes d’exploitation 2008 sont
équivalentes aux profits des trois autres pôles : pour la première fois dans l’histoire
la marge d’exploitation globale des constructeurs des quatre pôles est nulle.
(8) MARGES DES CONSTRUCTEURS EUROPEENS
10
8
pourcents du chiffre d'affaires
6
4
2
0
-2
-4
-6
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2003 à 2008
SUEDOIS (VI) ALLEMANDS ITALIENS FRANCAIS
15. 15
Les groupes Français ne font, comme les autres généralistes européens, que des
marges très faibles (moins de 2% du chiffre d’affaires, pour le résultat d’exploitation hors
activités financières, hors quote-part des résultats de Nissan pour Renault). Les marges
européennes sont réalisées par les spécialistes allemands et suédois du très haut de gamme,
voitures et camions. La convalescence du groupe Fiat mérite d’être soulignée, car elle
intervient malgré un marché national atone, et une surévaluation particulièrement marquée de
la monnaie nationale, en raison de la forte inflation italienne. Nous nous interrogerons plus
loin sur les raisons de ces mutations.
3. Il ne faut pas oublier les fournisseurs
Globalement, les chambres syndicales estiment que 75% du prix de revient des
véhicules est réalisé par l’ensemble des fournisseurs, dont 30% par les fournisseurs
d’équipement. En comparant les chiffres d’affaires, valeurs ajoutées et marges réalisés par les
constructeurs sur leur marchés nationaux et ce que les comptables nationaux appellent les
« branches automobiles », on constate un écart variable suivant les postes et les pays.
Cet écart n’est déjà pas négligeable pour le chiffre d’affaires, car une partie de la
production des fournisseurs d’équipement n’est pas destinée à leurs constructeurs nationaux,
mais directement aux clients finaux –marché de la rechange- ou à l’exportation. Mais pour la
valeur ajoutée et les effectifs, un quart à un tiers des chiffres des branches automobiles sont
fournis par les fournisseurs d’équipement. Ces écarts sont particulièrement importants pour
l’Allemagne qui dispose d’équipementiers très puissants capables de rivaliser avec leurs
concurrents japonais et américains. L’industrie française des équipementiers est la seconde
d’Europe, mais loin derrière l’allemande.
Rares sont les fournisseurs dont la taille, la diversification des clients et la puissance
financière sont suffisantes pour maintenir des relations commerciales et financières
équilibrées avec les grands constructeurs. Quand ces derniers s’enrhument, beaucoup de
fournisseurs sont atteints de congestion pulmonaire, quand ce n’est pas d’infarctus mortels.
D. L’IMPACT DES PARITES SUR L’ECONOMIE REELLE
1. PARITES ET POLITIQUE SOCIALE : LE « COIN MONETAIRE »
Dans l’industrie automobile, les carnets de commande et les couvertures de change
dépassent rarement quelques mois. Les fluctuations de parité peuvent donc entraîner, en
quelques mois, des variations des politiques de prix, des performances commerciales et des
résultats financiers. Elle repose d’autre part sur des productions de grande série, très
automatisées, pour lesquelles la main d’œuvre peut être formée assez vite. Et le rythme de
renouvellement des modèles est relativement rapide, et crée des occasions de délocalisation.
Toutes ces caractéristiques ont poussé les grands constructeurs à créer des unités de
production proches de leurs clients, ce qui, à long terme, constitue la meilleure des protections
contre le risque de change. Et l’étape suivante, délocaliser les bureaux d’étude, a commencé.
En économie mondialisée, le juge de paix de la compétitivité est l’évolution des coûts
exprimée en monnaie internationale. Pour le facteur travail, c’est le « coût unitaire » (contenu
en travail d’une unité produite). Pour toutes ces comparaisons internationales ce sont des
« années –hommes », et en « équivalent temps plein » qu’il faut mettre au dénominateur.
Ainsi évaluées, et exprimées dans un premier temps en monnaies nationales, les évolutions
16. 16
1997 à 2009 du site allemand, catastrophiquement mal placé jusqu’en 2006 ont fini par
rejoindre puis dépasser le site français. Il est vrai que le premier a additionné restructurations
et austérité salariale, alors que le second, bien placé jusqu’en 2005, a ensuite connu une dérive
impressionnante. De toute manière la concurrence intra européenne n’est qu’un
épiphénomène régional. Le vrai problème est le gouffre vertigineux qui s’est creusé depuis
2005 face aux sites japonais et chinois.
(9a) COUT UNITAIRE NATIONAL DU TRAVAIL
130
120
110
100
Base 1997 = 100
90
80
70
60
FRANCE JAPON
50
Allemagne CHINE
40
1997 1999 2001,00 2003 2005 2007 2009 2011
Si les parités étaient au service de l’économie réelle, leur évolution devrait contribuer
à réduire ce gap. Ce n’est pas le cas pour l’Euroland. Exprimées en « Parités de Marché », le
gap s’accroît au contraire du montant de l’appréciation de l’euro.
L’évolution du coût unitaire national du travail résulte de la hausse du coût du travail
déflatée par la hausse de la productivité. Première et principale raison de la perte de
compétitivité du site automobile français, il est depuis 2005 lanterne rouge en matière de
productivité face à ses grands concurrents et le site allemand fait à peine moins mal.
La productivité apparente du travail n’est qu’une approche très imparfaite, dans une
industrie où le coût du travail ne représente qu’une part très minoritaire de prix de revient,
moins de 10% pour le site automobile français. En dehors du coût et de la productivité
apparente du seul travail les constructeurs peuvent améliorer leurs prix de revient en
concevant et utilisant plus intelligemment leurs moyens de production et surtout en
« optimisant » leur consommation intermédiaire, souvent au détriment de leurs fournisseurs
nationaux. Il faut donc calculer la productivité globale de ces trois facteurs de production.
Hélas, même dans cette approche plus exhaustive, la productivité du site automobile français
s’effondre à partir de 2006. Et le site allemand rejoint simplement le site japonais. Malgré le
plongeon essuyé en 1998 à la suite de la crise financière qui a très durement affecté
l’économie réelle coréenne, son site automobile a fait infiniment mieux que ses concurrents
des pays automobiles plus matures. Pour la Chine, une estimation portant sur l’ensemble de
l’industrie manufacturière suggère que, malgré une intensité capitalistique très rapidement
croissante et un probable surinvestissement dans les années récentes, la productivité globale a
connu sur l’ensemble de la période des progressions annuelles tournant autour des 10%. Cet
indicateur est très sensible au rythme de croissance, ce qui participe aux remarquables
17. 17
performances coréenne et chinoise et explique largement la contre-performance du site
français, en sous activité croissante en raison de la délocalisation intensive précédemment
soulignée.
(10b) PRODUCTIVITE GLOBALE DES FACTEURS
170 FRANCE JAPON
Allemagne COREE
150
Base 1997 = 100
130
110
90
70
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013
Les évolutions divergentes de la croissance et de la productivité ont une première
conséquence sur la croissance des effectifs des différents sites. Les effectifs japonais croissent
régulièrement depuis 2001. Les effectifs allemands ont commencé à décroître depuis 2003,
mais restent en 2007 à 10% au dessus de 1997. Sur le site français la chute a atteint 15% de
2003 à 2007, les ramenant 10% au dessous du niveau 1997. Et cela est loin d’avoir suffi à
rétablir la productivité.
(11) EVOLUTION DES EFFECTIFS
140
130
120
Base 1997 = 100
110
100
90
80
FRANCE JAPON
70
Allemagne CHINE
60
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013
Pour SAIC, la très forte croissance suffit à peine à stabiliser le niveau des effectifs. Il
en va de même pour l’ensemble de l’industrie manufacturière chinoise : les gains de la
18. 18
productivité apparente du travail sont du même ordre de grandeur que la très forte croissance.
Nous avons donc extrapolé cette constatation pour l’ensemble du site automobile chinois.
Deux phénomènes conduisent à tempérer le jugement porté sur l’effondrement de la
productivité en 2008 2009, en France notamment.
- L’industrie automobile en général, et les constructeurs en particulier, recouraient
intensivement à des intérimaires pour faire tourner leurs chaînes de montage. En six
mois ils en ont réduit le nombre de 30 000. Or ces personnels ne sont pas recensés
dans les effectifs et frais de personnel des constructeurs, mais dans la consommation
intermédiaire de services. La productivité de l’ensemble de la main d'œuvre employée
a donc chuté moins spectaculairement.
- Le solde des effectifs de production subit, depuis l’automne 2008, de longues
semaines de chômage technique. La productivité horaire de l’ensemble du personnel
de production n’a donc pas chuté dans les mêmes proportions.
A défaut de productivité il faut limiter la hausse des coûts salariaux. Sur ce plan, le site
français fait nettement « mieux » que les sites allemand et japonais. Au grand dam de ses
personnels puisque ce ratio mesure l’évolution du pouvoir d’achat de l’ensemble des
rémunérations versées : il avait cru –très modérément- de 2001 à 2004, pendant les bonnes
années vécues par le site automobile français. Il a chuté de 10% pendant les trois années
suivantes, pour revenir au dessous du niveau 1997.
(12) POUVOIR D'ACHAT NATIONAL
140
130
Base 1997 = 100
120
110
100
FRANCE JAPON Allemagne CHINE
90
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
Les marges sur les ventes à l’étranger sont égales à la différence entre la valeur ajoutée
et le coût international du travail, mesurés en parités structurelles pour ne retenir que les
tendances lourdes. En exprimant ces deux grandeurs par personne et en les comparant à celles
de l’ensemble des sites automobiles des pays développés, on mesure l’efficacité dont font
preuve les sites dans leur utilisation du personnel. On constate
-Le décrochage du site français pour les deux critères, qui explique la plongée de sa
profitabilité.
19. 19
-La montée en puissance de la création de richesse du site chinois, qui n’est que très
partiellement répercutée au personnel, mais est consacrée prioritairement à
l’amélioration des marges, indispensable pour financer un colossal effort
d’investissement.
(13) VALEUR AJOUTEE INTERNATIONALE / EMPLOI
170
150
Base PAYS DEVELOPPES = 10
130
110
90
70 FRANCE JAPON
50 Allemagne CHINE
30
10
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
(14) COUT INTERNATIONAL DU TRAVAIL / EMPLOI
160
Base PAYS DEVELOPPES = 100
140
120
100
80
60 FRANCE JAPON Allemagne CHINE
40
20
0
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
2. LES PARITES, LES PRIX ET LES MARGES
Comment expliquer le redressement indiscutable des marges des constructeurs
européens observé en 2007, alors que l’amélioration semble beaucoup plus limitée pour les
sites automobiles nationaux ?
Il faut d’abord rappeler que les fabricants d’équipement sont inclus dans le périmètre
des sites au sens « comptabilité nationale. Or ces derniers ont été particulièrement pressurés
20. 20
par leurs clients constructeurs. Il faut ensuite souligner la part rapidement croissante des
profits des constructeurs réalisés par leurs filiales étrangères, en Chine, Europe Centrale et
Amérique du Sud. Mais surtout, dans le cas des constructeurs allemands, il a été possible ces
dernières années, de beaucoup mieux répercuter la hausse de leurs coûts nationaux dans le
prix auquel ils parviennent à vendre leur valeur ajoutée. La valeur ajoutée est la différence
entre le chiffre d’affaires et la consommation intermédiaire. L’évolution de son prix combine
donc les variations des prix de ces deux agrégats :
- La première raison est le résultat de l’organisation industrielle. En se spécialisant
dans l’assemblage final, les usines allemandes ont pu baisser le coût de leurs achats par un
recours accru aux importations, notamment en provenance de leurs filiales étrangères : le
« contenu en importations » des exportations automobiles allemandes est de l’ordre de 40%,
et ces importations à bas coût font baisser les prix des achats. Il sera de plus en plus difficile
de pousser plus loin ce processus : l’étape suivante sera de confier la totalité de la production
d’un modèle à une filiale étrangère, comme le font déjà Renault Peugeot et d’ailleurs
Volkswagen.
- Ensuite les constructeurs allemands ont réussi à répercuter en partie la hausse
de l’euro dans leurs prix de vente à l’étranger. Cette agressivité sur les prix
est essentiellement le fait des constructeurs haut de gamme. La troisième
partie s’interrogera sur la pérennité de ce comportement.
-
(15) PRIX DE LA VALEUR AJOUTEE DES SITES
130
120
110
Base 1997 = 100
100
90
80
FRANCE JAPON
70 Allemagne COREE
CHINE
60
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
La troisième partie explicitera les hypothèses volontaristes qui sous tendent le
redressement espéré, mais en définitive bien modeste, des marges du site automobile français.
3. RENTABILITE ET LOCALISATION DES INVESTISSEMENTS
Périodiquement, les thuriféraires de l’euro fort se désolent du manque
d’investissement qui serait à leurs yeux la cause principale du manque de compétitivité du site
français. La comparaison des comportements des sites et des constructeurs apporte en ce
domaine une fort intéressante information. Depuis 1998, les investissements du site
automobile français décrochent par rapport à ceux de leurs concurrents allemands et japonais.
21. 21
(16) INVESTISSEMENTS CORPORELS DES SITES
10
Allemagne JAPON
9
Pourcents du Chiffre d'affaires
FRANCE COREE
8
7
6
5
4
3
1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
Mais, pour les groupes constructeurs, la constatation est fort différente : les français
sont largement en tète pour l’intensité de leurs investissements corporels mondiaux. Il suffit
de parcourir la presse pour comprendre cette divergence : les investissements de capacité
étaient jusqu’en 2007en totalité consacrés au développement des implantations à l’étranger,
Europe centrale, Chine, Amérique du Sud, Turquie, et bientôt Maroc Russie et Inde. Sur le
site Français, les investissements étaient limités à l’adaptation au lancement de quelques
nouveaux modèles.
(17) INVESTISSEMENTS CORPORELS DES GROUPES
6,5
pourcents du chiffre d'affaires
6,0
5,5
5,0
4,5
AMERICAINS EUROPEENS JAPONAIS 4 POLES
4,0
2004 2005 2006 2007 2008 2003 à 2008
On ne peut donc accuser les constructeurs français de manque de dynamisme, ils sont
tout simplement à l’avant-garde de la double adaptation qui s’impose aux groupes industriels
de l’Euroland : Aller chercher la demande mondiale où elle se trouve et, ayant constaté
que la compétitivité de l’économie est – dans les faits- le cadet des soucis des autorités
22. 22
monétaires et politiques de l’Euroland, le faire par implantations locales chaque fois que
le site national n’est pas compétitif face à ses concurrents.
On constate de même qu’au niveau des groupes l’effort mondial en recherche et
développement des européens se situe nettement au dessus des 3 autres pôles.
(18) INVESTISSEMENTS R&D DES GROUPES
5,2
pourcents du chiffre d'affaires
4,8
4,4
4,0
AMERICAINS
3,6 EUROPEENS
JAPONAIS
4 POLES
3,2
2004 2005 2006 2007 2008 2003 à 2008
Dans les choix rationnels de localisation des investissements, c’est « l’espérance de
gain », écart entre le taux de rentabilité interne et le coût de l’argent qui est le critère de
choix ; On peut estimer que cet écart doit être d’au moins 2 à 3% pour justifier les risques
pris. Pour un grand groupe transnational maîtrisant l’accès aux instruments offerts par les
marchés financiers le coût de l’argent est du même ordre dans tous les pays. C’est donc le
taux de rentabilité interne qui fait la différence. Et il suffit d’admirer la belle rentabilité passée
du site industriel et des groupes japonais pour vérifier que la parité de combat du yen face au
dollar et à l’euro avait été un atout majeur jusqu’en fin d’année 2007.
Au vu du graphique suivant on comprend que Toyota et Honda envisageaient –en
2007 – de construire de nouvelles usines d’assemblage au japon, mais que les constructeurs
européens, notamment les français, ne faisaient plus que de simples investissements de
renouvellement et productivité sur leurs sites nationaux, implantant toutes leurs créations de
capacités à l’étranger. Et que beaucoup de fournisseurs d’équipement disparaissaient, ou
« votaient avec leurs pieds » en abandonnant également leur site national.
Malgré des hypothèses volontaristes, pour ne pas dire, optimistes, la rentabilité de
l’ensemble du site automobile français reviendrait, compte tenu du chemin à parcourir, à
peine à l’équilibre, et pas avant 2011. En revanche les deux constructeurs pourraient, avec ces
hypothèses retrouver l’équilibre dès 2010, grâce à l’apport de leurs filiales étrangères.
23. 23
(19) TAUX DE RENTABILITE INTERNE DES SITES DES SITES
11
Résultat d'exploitation / Capitaux mis en
9
7
5
oeuvre (%)
3
1
-1
-3
Allemagne JAPON FRANCE
-5
1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
4. PRODUCTIVITE et RENTABILITE dans les PAYS EMERGENTS
Il est beaucoup plus difficile d’estimer productivité et rentabilité des capitaux dans des
pays émergents comme la Chine et l’Inde. Dans le cas de TATA et SAIC toutefois les
informations publiées permettent de cerner correctement les ordres de grandeurs pour les six
derniers exercices.
Pour TATA, croissance annuelle du chiffre d’affaires de 24%, des effectifs de 2,3%.
Les prix de vente semble avoir légèrement baissé, la productivité apparente du travail est
certainement supérieure à 20% par an, dont la moitié seulement rétrocédée aux employés
(croissance annuelle des frais de personnel par personne de 11%). Avec un résultat
d’exploitation proche de 10% du chiffre d’affaires, le Taux de Rentabilité Interne est compris
entre 15 et 20%.
Pour SAIC, le nombre de véhicules a cru de 28% par an, le chiffre d’affaires de 22%
seulement, les effectifs de 2,8%. Belle illustration du cercle vertueux d’une industrie en cours
de décollage : très forte productivité apparente du travail – proche de 25%- permettant à la
fois des hausses non négligeables des rémunérations (18% par an), des baisses substantielles
des prix de vente ( de l’ordre de 5% par an) contribuant efficacement à l’envolée de la
demande, et une rentabilité plantureuse : le Taux de Rentabilité Interne doit être proche de
20%. « Le choc des économies » a consacré quelques paragraphes aux méthodes utilisées par
les groupes transnationaux pour prélever une partie des marges réelles, au-delà de dividendes
souvent fort limités, sous des formes diverses. Il est donc probable que les marges officielles
de SAIC ne sont pas surestimées, et que les joint ventures de Volkswagen et GM en Chine
contribuent très significativement aux résultats consolidés de ces deux groupes.
Il est peu probable que ces deux cas particuliers soient représentatifs de l’ensemble des
industries automobiles de la Chine et de l’Inde, et a fortiori des autres pays en voie de
développement. Nous avons donc procédé à de forts abattements pour estimer l’ensemble des
industries automobiles chinoise et indienne, et a fortiori de la masse des autres pays en voie de
développement. Les évaluations présentées sont donc des ordres de grandeur plausibles, et
largement perfectibles.
24. 24
CHAPITRE II : 2008 2009
LA PLONGEE AUX ENFERS
Pour mieux comprendre le déroulement de la crise qui a frappé l’industrie automobile
dans les pays développés, et l’enchaînement de ses conséquences sur la profitabilité et les
structures financières des constructeurs, il faut pratiquer un suivi trimestriel des années
charnières 2008 et 2009. C’est l’objet de la section A.
Pour au moins deux des constructeurs suivis, Chrysler et GM, la détérioration des
comptes a franchi début 2009 le seuil de l’irréparable. Après quelques mois de bouche à
bouche financier le gouvernement américain s’est résolu à prendre la situation en mains pour
imposer aux entreprises et à leurs bailleurs de fonds une restructuration industrielle et
financière drastique. La section B décrit les derniers développements financiers connus de
cette prise en mains. Les leçons à en tirer sur le plan industriel, pour les dirigeants et autorités
politiques de l’Euroland, seront traitées dans le chapitre suivant.
A. LE SUIVI TRIMESTRIEL DE LA CRISE
Tous les grands groupes automobiles cotés en bourse publient et commentent des
comptes trimestriels qui permettent de mesurer la brutalité et l’ampleur du retournement de
marchés automobiles, de leurs performances et de leurs situations financières. Pour cette
analyse, nous nous appuyons sur les informations fournies par 14 groupes, 2 français, 3
allemands, 2 suédois, 1 italien, 2 américains –Chrysler n’était plus coté depuis sa prise de
contrôle par le fonds Cerbérus- et 4 japonais. Ils constituent l’essentiel de l’industrie
automobile des pays développés qui, en ce début de crise, subissent l’essentiel des dommages.
Sur tous les graphiques qui vont suivre sont repris, à partir du second trimestre 2009, les
projections découlant du scénario macroéconomique dit « optimiste » que présentera la
troisième partie.
1. L’évolution des ventes, des stocks et de la production
Les ventes publiées par les constructeurs récapitulent en général les véhicules placés
dans leurs réseaux de vente et peuvent différer plus ou moins sensiblement des
immatriculations finales. Les reculs des ventes annoncés par les constructeurs, compris entre
15 et 25% au quatrième trimestre 2008 et premier trimestre 2009, ne surestiment certainement
pas l’effondrement des ventes finales réelles. A partir des premiers mois 2009, ces ventes
sont gonflées, dans un nombre croissant de pays, par des « primes à la casse » plus ou moins
généreuses. L’alibi écologique de ces primes les réserve à l’acquisition de voitures peu
gourmandes en pétrole donc accroît la distorsion en défaveur des voitures haut de gamme.
Même la Chine a recours depuis février 2009 à des incitations fiscales également ciblées sur
le bas de gamme pour enrayer un recul du marché qui prenait des allures de catastrophe dans
un pays qui a besoin d’une croissance soutenue pour éviter une crise sociale. Nous
expliciterons, dans le chapitre suivant les hypothèses retenues pour les effets immédiats et
différés, de ces incitations.
25. 25
(25) VENTES MONDIALES DES CONSTRUCTEURS
10
5
Variation/ année précédente (%)
0
-5
-10
-15
2 Groupes Français
-20
3 Groupes Allemands
-25 4 Groupes Japonais
2 Groupes Américains
-30
Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009 Q3 2009 Q1 2010 Q3 2010
Les stocks restant au bilan des constructeurs ont atteint fin 2008 un point haut. Ces
stocks trop abondants sont doublement dangereux :
- Pour les écouler, il faut consentir des « sacrifices commerciaux » d’autant plus
importants que certains sont des véhicules dont la crise a fortement réduit la demande
ou qui sont déclassés par les performances de nouveaux concurrents apparus sur le
marché, sacrifices qui achèvent d’amputer les marges.
- Leur gonflement contribue largement à l’envolée de l’endettement financier que nous
constaterons plus loin.
(26) LES STOCKS DES CONSTRUCTEURS
24
22 2 Groupes Français
En valeur (% du chiffre d'affaires)
3 Groupes Allemands
20 4 Groupes Japonais
2 Groupes Américains
18
16
14
12
10
8
6
Q1 2007 Q3 2007 Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009 Q3 2009 Q1 2010 Q3 2010
26. 26
Résorber ces surstocks est donc la priorité absolue de tous les constructeurs en 2009,
ce qui nécessite malheureusement des réductions de productions encore plus importantes que
celles précédemment constatées pour les ventes. Nous expliciterons, dans le chapitre suivant
les hypothèses retenues pour la mesure et la résorption de ces surstocks.
2. L’évolution des marges
Le résultat net final est un très mauvais indicateur pour comparer des constructeurs
dont la structure financière, les politiques de provisionnement des risques et fiscale sont fort
différentes. De plus certains ont des filiales financières dont les profits peuvent rester non
négligeables, alors que d’autres ont été contraints de les céder pour boucher les trous. Nous
utilisons donc le résultat du seul groupe industriel, en excluant chiffre d’affaires et marges
des filiales financières. Et nous reconstituons le résultat courant avant frais financiers, impôts
et produits et charges exceptionnels, du moins quand ces derniers sont mentionnés.
- Au quatrième trimestre 2008, seuls les trois constructeurs allemands restent
légèrement bénéficiaires – 2% de marge sur chiffre d’affaires – mais venant de +7% jusqu’au
second trimestre 2008.
- Les deux constructeurs français passent d’un maigre +2% à une perte supérieure à
8% du chiffre d’affaires.
- Au niveau du résultat courant, les japonais passent de +8% à -4%.
- Toujours au niveau du résultat courant les deux constructeurs américains passent du
simple équilibre à une perte supérieure à 12% du chiffre d’affaires
Tous les groupes observés sont au premier trimestre 2009 en perte d’exploitation,
Toyota et Volkswagen compris. Les seuls constructeurs du monde développé restant
bénéficiaire seraient Scania et Hyundai, malgré un marché national en grave crise, grâce à la
forte dépréciation du won.
(27) LA PROFITABILITE DES CONSTRUCTEURS
(hors activités financières)
8
Résultat d'exploitation/ chiffre
4
d'affaires (%)
0
-4
2 Groupes
Français
-8 3 Groupes
Allemands
4 Groupes
-12 Japonais
2 Groupes
Américains
-16
Q1 2007 Q3 2007 Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009 Q3 2009 Q1 2010 Q3 2010
27. 27
3. La détérioration des structures financières
Pour juger l’évolution des difficultés des constructeurs et comprendre la réticence
croissante des banques à accroître ou même simplement maintenir leur soutien, il faut
examiner l’évolution de l’endettement financier des seuls groupes industriels, excluant les
filiales financières. On comprend la réticence des banques en observant l’envolée de
l’endettement financier de la totalité des groupes aux troisième et quatrième trimestres 2008.
(28) L'ENDETTEMENT FINANCIER DES CONSTRUCTEURS
(groupe industriel, hors filiales de financement des ventes)
30
25
Pourcentsdu chiffre d'affaires
20
15
10
5
2 Groupes Français
0
3 Groupes Allemands
-5 4 Groupes Japonais
2 Groupes Américains
-10
Q1 2007 Q3 2007 Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009 Q3 2009 Q1 2010 Q3 2010
Cette dérive est très largement du au gonflement des besoins en fonds de roulement
c’est-à-dire au dérèglement transitoire du cycle « achat production vente » :
- Gonflement des stocks constructeurs déjà souligné,
- Mais également effondrement du crédit fournisseur du, à délais de règlement
inchangés, à la forte réduction des approvisionnements entraînée par la révision des
programmes de production. A laquelle se rajoute, dans certains cas, l’obligation de
soutenir la trésorerie de fournisseurs exsangues en réduisant les délais de règlement.
Heureusement cette hémorragie du bas de bilan est en voie de tarissement chez la
plupart des constructeurs : une fois les surstocks résorbés, les rythmes de la production et des
ventes redeviendront identiques et le crédit des fournisseurs retrouvera son rôle de
financement structurel des constructeurs.
Tous les constructeurs réduisant drastiquement leurs investissements, les
amortissements suffiront à les financer. Dans quelques mois il ne restera donc plus que les
pertes ou profits pour faire varier l’endettement financier, et les banquiers et préteurs à long
terme pourront revenir à leur métier traditionnel : apprécier les chances et les délais d’un
retour à une situation bénéficiaire, et juger si la situation financière est assez solide pour tenir
jusque là.
28. 28
Quel que soit l’imperfection de ce critère, un des éléments d’appréciation pour ce faire
est l’examen du niveau des fonds propres comptables. Il fait apparaître :
- Une situation relativement confortable pour les 4 constructeurs japonais et les 3
allemands pris dans leur ensemble : ratio d’endettement financier net de l’ordre de 45% du
chiffre d’affaires fin 2009 et 40% fin 2010.
- Une situation deux fois plus tendue pour les deux constructeurs français – ratio
d’endettement financier net de l’ordre de 20% du chiffre d’affaires fin 2009. Ils auront ainsi
perdu en deux ans un tiers de leur matelas de sécurité.
Pour GM la disparition –et bien au delà - des fonds propres décrit une situation qui
allait, dès les derniers mois 2008, bien au-delà de la « commandite bancaire » classique où
une entreprise ne survit plus que par le soutien de ses bailleurs de fonds, pour passer en
régime de « commandite publique ». Ses auditeurs ont donc prudemment refusé de fournir
l’attestation de viabilité, le fameux « going concern » aux comptes 2008, qui n’ont donc pu
être arrêtés, même à l’issue des délais de grâce accordés par la Sécurity and Exchange
Commission Le Trésor Américain a donc du se résoudre à monter en première ligne pour
piloter les opérations.
(29) LES FONDS PROPRES DES CONSTRUCTEURS
60
50
40
Pourcentsdu chiffre d'affaires
30
20
10
2 Groupes Français
0
3 Groupes Allemands
-10 4 Groupes Japonais
-20 2 Groupes Américains
-30
-40
-50
-60
Q1 2007 Q3 2007 Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009 Q3 2009 Q1 2010 Q3 2010
CHAPITRE III : 2010 à 2013
L’ADAPTATION A LA MONDIALISATION EN CRISE
Comme toujours en période de crise, le plus dur est de prévoir la date et l’ampleur du
creux. C’est particulièrement redoutable dans le cas des marchés automobiles, car les
évolutions chaotiques de la production sont perturbées par la nécessaire résorption des
surstocks existant fin 2008, et le coup de fouet transitoire qu’apportent les « primes à la
casse » qui se généralisent. La section A est consacrée à ce périlleux exercice.
29. 29
Mais l’incertitude est également grande sur les évolutions à 3 et 5 ans, car elles
dépendront beaucoup de l’environnement économique et financier. La section B, qui s’appuie
sur les prévisions les plus récentes du FMI de l’OCDE et les comptes du premier trimestre
2009 des principaux pays mondiaux que ne connaissaient pas encore ces deux organismes,
tente d’encadrer les évolutions possibles de l’environnement macro économique entre deux
scénarios optimiste et pessimiste.
Même si on exclut que la récession actuelle se transforme progressivement en
dépression, la section C montre que la fourchette des scénarios automobiles correspondant
aux scénarios macroéconomique et financier est encore plus ouverte. Le seul point commun
de ces variantes est que le niveau 2007 des marchés mondiaux ne sera pas retrouvé avant
2013 au plus tôt. Et avec une accentuation de la distorsion géographique : même dans le
scénario optimiste les marchés des pays développés seraient encore en 2013 à -10% de leur
niveau 2007, contre +25% pour ceux des. Pays en développement
Les surcapacités de production en place dans les pays développés resteront donc
massives au minimum jusqu’en 2013 à 2015. La section D en déduit qu’au-delà des mesures
conjoncturelles de chômage technique il faudra se résoudre à de douloureuses restructurations
dont les plans américains en cours de lancement situent l’échelle. Les pays qui chercheront à
les freiner compromettront définitivement la compétitivité de leurs sites industriels.
A. HORIZON AUTOMOBILE 2009 2010 : FORTS COUPS D’ACCORDEON EN VUE
1. La résorption des surstocks
En plus des stocks dits « constructeurs », il existe également des stocks importants
dans les réseaux commerciaux qui n’apparaissent pas au bilan des constructeurs, bien qu’ils
soient souvent largement financés par leurs filiales financières. A ma connaissance PSA et
Renault sont les seuls à fournir les évolutions en nombre de voitures de ces deux types de
stocks. Opération de communication positive d’ailleurs, car elle permet aux analystes de
vérifier la crédibilité de leurs efforts actuels d’assainissement des stocks globaux, alors que
nombre de leurs concurrents se sont bornés, dans un premier temps, à déverser leurs
excédents de voitures dans leurs réseaux.
Les données détaillées publiées par le Bureau of Economic Analysis américain
permettent d’illustrer les variations des flux de voitures dont résulte l’évolution des stocks
globaux, constructeurs + réseau, pour les seules activités aux Etats Unis.
Les immatriculations ont commencé à ralentir dès le début de l’année 2008, pour
s’effondrer à partir du troisième trimestre 2008. La production n’a commencé à baisser qu’au
quatrième trimestre 2008, et les importations des filiales étrangères mexicaines et canadiennes
qu’au premier trimestre 2009. Les stocks globaux de voitures ont donc augmenté, en valeur
absolue au second semestre 2008.
Pour vérifier que le système ne déraille pas, en accumulant des voitures dont la
demande s’effondre, il faut mesurer le volume des stocks en nombre de mois de ventes
futures. Du début 2007 au printemps 2008 les stocks réels américains ne se sont guère
éloignés de 2,45 mois de ventes futures. On peut donc considérer que ces 2,45 mois
définissent aux Etats Unis, dans la structure du réseau commercial surdimensionné antérieur,
30. 30
l’optimum à respecter. Et tout ce qui est au-delà est donc un surstock. Ainsi calculés, ces
derniers ont grimpé à un maximum de 600 000 voitures fin 2008, et se montent encore à 400
000 fin mars 2009. On comprend pourquoi les constructeurs américains annoncent la
poursuite de très fortes réductions de production au moins au deuxième trimestre 2009. Et
peut-être au-delà si la demande ne repart pas à l’automne.
(31) STOCKS DE VOITURES AUX ETATS UNIS
Données désaisonnalisées, source BEA
1400
1200
1000
milliers de voitures )
800
600 Stock réel
Stock optimum
400
Surstock
200
0
-200
Q1 2007 Q3 2007 Q1 2008 Q3 2008 Q1 2009
On retrouve un ratio légèrement inférieur -2,35 mois de ventes- pour la moyenne des
deux constructeurs français, pour l’ensemble de leurs stocks mondiaux et pas seulement
nationaux. Au passage saluons la rigueur de la gestion des constructeurs français : dès fin
mars 2009 ils étaient parvenus à ramener globalement leurs stocks à l’optimum, avec l’aide il
est vrai des primes à la casse qui ont dopé les ventes dans nombre de pays européens. Une
façon indirecte de juger la situation des autres concurrents est d’examiner les évolutions
divergentes de la production et des immatriculations. Il semble que les constructeurs japonais
et allemands ont commencé l’ajustement de leurs productions aux véritables ventes finales
plus tardivement, et qu’il leur reste encore, à la fin du premier trimestre, pas mal de chemin à
faire pour revenir à l’optimum. Interprétation suggérée : quand on est profondément persuadés
de faire les voitures les plus attrayantes du monde, en qualité ou en prix, on commence par
bourrer les stocks des concessionnaires –les ventes au réseau – avant de se résigner à réduire
la production ? A en juger par le brutal freinage de la production automobile chinoise depuis
la fin 2008, les surstocks n’auraient pas épargnés des constructeurs obnubilés par la conquête
de parts d’un marché dont ils ne voulaient pas voir le ralentissement ?
Un ajustement économétrique de la production et des immatriculations mondiales
suggère que :
- Les stocks mondiaux réels auraient fluctués autour de 20% de la production annuelle,
avec une tendance plutôt ascendante peut-être due à la croissance des exportations qui rendent
la gestion des stocks et l’ajustement production ventes plus délicats ?
- Ils auraient continué à croître très rapidement en 2007 et 2008, alors que le tassement
puis l’effondrement des ventes réduisaient brutalement le niveau des stocks optimum. Cette