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                                         INTRODUCTION



Dans le cadre de cette présentation orale, je voudrais montrer quelques aspects architecturaux
mais aussi iconographiques des Espagnes médiévales. Je parle d’Espagne au pluriel car vous
savez très bien que l’Espagne politique telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait
pas au Moyen-âge. Il y a d’un côté une Espagne arabo-musulmane composée de plusieurs
entités émirales (l’Andalousie) et une Espagne chrétienne, elle aussi fragmentée en plusieurs
états. Ce qui m’intéresse aujourd’hui est la manière artistique dont les diverses communautés
religieuses de cette péninsule ibérique se racontent, se disent et s’expriment dans les
contingences de cette vie terrestre. Pour moi, il ne fait aucun doute que l’art participe de la
connaissance d’une civilisation à un moment donné de son histoire. Dans un premier temps, je
voudrais m’intéresser à l’expression monumentale et iconographique de l’art arabo-musulman
andalou. Deux éléments, qui dans la réalité andalouse est loin d’être aussi catégoriquement
distinguée, apparaitront dans notre courte recherche : 1) l’art au service du religieux et 2) l’art
au service du politique. Or comme vous le savez, d’autres communautés religieuses, ayant
leurs exigences spirituelles propres, coexistent, bon gré, mal gré, avec les musulmans dans la
péninsule ibérique et je serais fort injuste de ne pas jeter un œil sur certains exemples de leurs
« productions » artistiques, d’autant plus que la domination musulmane sur Al Andalous a
connu de profonde modification entre leur arrivée au VIIIème siècle et le XVème. Donc, dans
un deuxième temps, je voudrais vous montrer quelques photos de synagogues médiévales :
celle de Cordoue et celle de Tolède, la célèbre Santa Maria la Blanca. Nous verrons les
connivences architecturales entre Islam médiéval et le Judaïsme médiéval. Enfin, nous
quitterons l’histoire du bâti, pour l’art des enluminures chrétiennes. En effet, je trouve
intéressant de vous montrer et de vous commenter ce que je nomme une iconographie
chrétienne de combat et de défense face aux musulmans. Nous quitterons donc Al Andalous
pour l’Espagne chrétienne en abordant les célèbres copies du commentaire de l’Apocalypse de
Jean par le moine Beatus de Liebana.
2




    I)        LA DIMENSION POLITIQUE ET RELIGIEUSE DE L’ART ARABO-
              ANDALOU
Tout d’abord, je voudrais faire une remarque d’ordre général afin que nous ne tombions pas
dans la caricature. Bien que les formes artistiques utilisées par les musulmans d’Al Andalous
soient, il faut le reconnaitre, d’une grande beauté, il serait ainsi fallacieux de croire qu’ils
auraient tout inventé eux même. Ce que nous nommons « art islamique » d’Andalousie, pour
reprendre la formule de l’historien Oleg Grabar1, est né de la récupération et de la
transformation, par les musulmans, de traditions artistiques qui lui sont étrangères et souvent
antérieurs comme celles des mondes hellénistiques, romains, byzantins ou encore perses
sassanides.
Et puis, je voudrais ajouter à la suite d’illustres historiens de l’Espagne musulmane que se
trouvaient parmi les architectes et les divers artisans qui ont contribué à la construction et à
l’embellissement de certains monuments religieux comme la mosquée de Cordoue étaient
d’origine non arabe et même non musulman. Il y avait de nombreux byzantins sur ses
chantiers.2 Autre remarque que nous devons garder en mémoire est que l’entreprise artistique
monumentale des musulmans vient essentiellement d’en haut, c'est-à-dire procèdent des élites
dirigeantes et donc, lorsque nous regardons la mosquée de Cordoue ou n’importe quelle autre
mosquée ou monuments du monde musulman, nous devons garder à l’esprit que sa
construction et sa décoration dépendent de l’autorité du gouverneur, de l’Émir ou du Calife !
    La grande mosquée de Cordoue (avant sa transformation en édifice chrétien en 1236)
Je ne vais pas faire l’histoire de la fondation et du développement de l’Émirat Omeyyade de
Cordoue3 car ce serait trop long et hors propos. Ce qu’il faut retenir c’est qu’à peine deux
siècles après leurs arrivées dans la péninsule ibérique, les arabes fidèles à la dynastie orientale
(d’origine) Omeyyade accompagnés de berbères d’Afrique du Nord vont fonder, aux prix
d’efforts militaires importants, aux IXème et Xème siècles le royaume le plus puissant
d’Europe Occidentale.

1
  Voir l’ouvrage de référence suivant : Grabar Oleg, La formation de l’art islamique, Collection : « Champs »,
Flammarion, Paris, 2000.
2
  Terrasse Henri., « Les traditions romaines dans l’art musulman d’Espagne », dans Bulletin Hispanique, t. 65, n°
3-4, pp. 199-205.
3
  Magistralement étudiée par Évariste Lévi-Provençal dans son Histoire de l’Espagne musulmane, 3 t., Maison-
neuve & Larose, Paris, 1999. Pour ceux qui veulent un ouvrage rapide à lire, voir alors Clot André, L’Espagne
musulmane, Collection : « Tempus », n° 87, Les Éditions Perrin, Paris, 2004.
3


La puissance étatique d’un royaume se lit dans la somptuosité des monuments qu’il fait bâtir
et dans l’organisation urbaine de sa capitale. Cordoue, en tant que capitale de l’Empire
Omeyyade se veut la plus belle et la plus importante des villes d’Occident aux Xème-XIème
siècles. Le paysage urbain doit interpréter la gloire de l’Émirat, la gloire d’un Islam aussi
européen qu’oriental, face aussi bien aux royaumes chrétiens comme ceux issus de
l’entreprise carolingienne mais aussi face au Califat de Baghdâd. Or les divers Émirs qui se
sont succédé à la tête de l’Empire Omeyyade depuis le VIIIème siècle légitiment
religieusement leur autorité. Ils se revendiquèrent donc comme des artisans de la cause divine.
Leur politique urbaine ne pouvait donc pas faire l’économie d’édifices religieux. La gloire et
le triomphe de l’Islam est la visée principielle de l’œuvre émirale. La Grande Mezquita de
Cordoue illustre ce que je viens de dire. Elle a connue plusieurs étapes successives
d’agrandissement et d’embellissement car Cordoue, entre le VIIIème et le XIIème siècle voit
sa population augmentée très rapidement. On estime par exemple qu’au dixième siècle,
Cordoue, avec ses 100 000 habitants serait 10 fois plus peuplée que Paris. Nous avons peine à
imaginer qu’à ses origines, elle ne fut qu’une modeste salle de prière issue du partage entre
chrétiens et musulmans de l’Église dédiée à saint-Vincent. Lorsque que nous serons à
Cordoue, vous verrez à quel point cette mosquée domine la ville.
Telle que nous la voyons aujourd’hui et sans les rajouts chrétiens débutés dès le XIIIème
siècle, l’édifice forme un quadrilatère d’environs, 180 mètres sur 130 mètre de large et
provient essentiellement des travaux faramineux dictés par l’Emir Abderrahmane II (dates de
règne : 822-852).
Il faut savoir que dans les pratiques cultuelles de l’Islam, la mosquée est, bien évidemment, le
lieu de prière par excellence, or, cet édifice religieux n’est pas le seul de la ville de Cordoue.
Seulement, celui-ci est ce que nous nommons « Masjid al Jami’ ». C’est la mosquée
principale où s’effectuent en plus des prières quotidiennes, la prière du vendredi mais aussi
elle tient lieu d’espace de réunions importantes pour la direction des affaires politiques de
l’Empire Omeyyade. Ajoutons aussi que c’est dans cette mosquée, que l’Émir peut prononcer
ses discours officiels où tous les habitants de la ville pouvaient être conviés. C’est plus qu’une
mosquée, c’est un espace de vie sociale, politique et même intellectuelle puisque des
disciplines profanes et religieuses y étaient enseignées. L’autorité de l’Émir possède une
dimension religieuse, ce qui l’amène lui-même, bien souvent, à diriger les prières collectives
et à effectuer le sermon du vendredi. Je voudrais mettre l’accent sur deux éléments
architecturaux afin que vous preniez conscience de l’importance des arts dans les sociétés
musulmanes médiévales et surtout ce que je nomme : « le multiculturalisme artistique ».
4


Tout d’abord, je voudrais vous montrer un des éléments fondamentaux du lieu de culte
musulman : il s’agit du mihrab, c'est-à-dire la niche qui, traditionnellement au Moyen-âge
devait servir d’espace où se mettait l’Imam pour diriger la prière collective. Elle marque
spatialement la direction de la Mecque. Lorsque l’Emir Al Hakam II arrive au pouvoir en 961,
il décide d’agrandir la mosquée, ce qui va conduire à la mise en place d’un nouveau mihrab.
Nous observons, tout d’abord, que cette niche s’inscrit dans un arc en fer de cheval à
l’intérieur de plusieurs carrés emboités. Pour être plus technique, l’ouverture en fer à cheval
du mihrab est dans un encadrement rectangulaire mouluré, qu’on nomme en arabe « alfiz ».
Elément architectural et décoratif identique aux portes sud-ouest de la Mezquita. Nous avons
là une des caractéristiques majeures de l’art omeyyade d’Occident. Nous voyons aussi les
fondements de l’iconographie arabo-andalouse religieuse sont essentiellement des entrelacs
géométriques, des motifs floraux et des inscriptions calligraphiques. Fondement
iconographique bâti sur la répétition et l’emboitement des motifs. En effet, les différents
claveaux de mosaïques composant l’arc en fer à cheval (nommé aussi arc à plein cintre
outrepassé) sont décorés d’arabesque de feuilles, de fleurs et de fruits, dans une sorte de
rappels paradisiaques. Nous avons, par exemple, en fonction des claveaux la représentation
de rinceaux, de fleurons à six pétales, de palmettes. Concernant le nombre de claveaux, Il y
en a 9 de part et d’autre du claveau central, bleu clair, appelé la clé. (Petit rappel : nous avons
là des claveaux fictifs imitant les vraies pierres taillées en biseau). Pour l’anecdote aussi, nous
savons par des sources anciennes telle la chronique de l’historien marocain du XIVème siècle
Ibn Idhari al Marrakushi (Kitāb al-bayān al-mughrib fī ākhbār mulūk al-andalus wa'l-
maghrib que l’Emir Al Hakam II reçut de la part du Basileus (Nicéphore Phocas) 320
quintaux de cubes de mosaïques de verres et aussi l’envoi du plus grand mosaïste byzantin
pour la Mezquita. A noter aussi, la polychromie des différents claveaux. Les artistes ont
soigné le moindre détail de ce mihrab. Il suffit d’imaginer la précision nécessaire pour
assembler toutes ces petites pièces de différentes couleurs de mosaïques4. La mosaïque
polychrome est appelée par les arabes « fusaifisa’ » du grec « ψήφωσις » Les couleurs
utilisées, couleurs chaleureuses majoritairement participent de la dimension célestielle,
paradisiaque du décor. En effet, les claveaux de part et d’autre de la clé sont symétriques et
sont alternativement rouge, or, bleu, or…
Tout autour de l’arc en fer à cheval, sur la façade du mihrab, à plusieurs niveaux, vous pouvez
voir de la calligraphie coranique en couleur bleu sur fond jaune, puis dorée sur fond bleu.

4
 Stern Henri, Les mosaïques de la grande mosquée de Cordoue, W. de G., Berlin, 1976. L’auteur décrit, un par
un les différents claveaux.
5


Cette épigraphie arabe en style coufique (reconnaissable aux angles droit des lettres et aux
hautes hampes) reproduit des versets du livre saint des musulmans. Nous sommes dans une
mosquée et donc, il convient de rappeler aux fidèles l’objet de leur présence : l’adoration de
Dieu et le propriétaire de ce lieu, c'est-à-dire : Dieu. Un terme que vous pouvez retenir aussi
concernant l’art religieux des omeyyades d’Occident est l’aniconisme, c'est-à-dire, la non
utilisation d’une ornementation zoomorphe ou utilisant des images humaines. Il est très
difficile de reconstituer les inscriptions originelles car il y aurait eu, à un moment non
déterminé de l’histoire, des retouches. L’historien Evariste Lévi-Provençal, après maintes
recherches, prouvent que cette épigraphie commémore l’élargissement de la mosquée en
combinant deux ensembles de passages du Coran, les versets 5 et 6 de la sourate 32 (sourate
La prosternation) et le verset 65 de la sourate 40 (sourate Le Pardonneur) mais aussi en
rappelant les noms des cinq directeurs de travaux : Dja’far ibn Abdarrahman, Muhammad Ibn
Tamlikh, Ahmed Ibn Nasr, Khalid Ibn Hashim et Mutarrif ibn ‘Abdarrahman. Nous aurions
donc, pour l’épigraphie sainte, donc ceci :
« Du ciel à la terre, il administre l’affaire, laquelle ensuite monte vers Lui en un jour
équivalent à mille de votre calcul. C’est Lui le connaisseur des mondes inconnus et visibles, le
Puissant, le Miséricordieux. » (S. 35, v. 5-6) et « C’est Lui le Vivant. Point de divinité à part
Lui. Appelez le donc, en lui vouant un culte exclusif. Louange à Dieu, Seigneur de l’univers. »
(S. 40, v. 65)
L’inscription centrale de la façade du mihrab est plus simple à déchiffrer, il s’agit du verset 23
de la sourate L’Exode (n° 59) :
« C’est Lui Dieu, Nulle divinité autre que Lui, le Connaisseur de l’Invisible tout comme du
visible. C’est Lui le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. »
Ce qui est intéressant, c’est que les Emirs, en l’occurrence, ici, Al Hakam II fait inscrire pour
l’éternité la volonté spirituelle de sa politique architecturale. Son autorité émirale provient,
selon lui de Dieu et agrandir et embellir une mosquée, serait donc pour lui la marque de sa
reconnaissance.
Enfin, en ce qui concerne, la façade de cette espace octogonale qu’est le mihrab, je voudrais
attirer l’attention sur l’arcature aux sept niches surmontées d’arcs trilobés. Nous sommes là
en présence d’une arcade feinte. (Volonté d’imiter une porte, le mihrab, porte vers Dieu ?)
C’est une constante décorative de la Mezquita. Là encore, nous avons une reproduction plus
raffinée, plus travaillée des portes extérieures de la mosquée. Le fond de chacune de ses
niches est formé de mosaïque dont les thèmes végétaux de l’ornementation reproduisent
différemment ceux des fonds de claveaux. Certains historiens de l’art parlent d’« arbres de
6


vie ». Nous sommes, à mon avis, plus en présence de rinceaux et de plantes dressées. Disons
que le dessin délicat et la palette raffinée font de ces fonds de niches et de claveaux une œuvre
de grande qualité à laquelle il faudrait consacrer plusieurs heures d’études.
Avant de quitter la grande mosquée de Cordoue pour l’architecture synagogale, je voudrais
rappeler la marque politique de cet édifice religieux puisque chose rare au Moyen Age et
même dans l’histoire de l’Islam, nous trouvons en avant du mihrab un espace réservé
exclusivement à l’Émir et à ses proches, créant ainsi une sorte de ségrégation spatiale entre les
fidèles, pourtant égaux au regard de la loi musulmane. Elle a été ajoutée par l’Emir Al
Mundhir (886-888).Cette zone se nomme la maqsura.5 Cette construction complexe en
marbre sculpté est faite d'arcs polylobés superposés et entrecroisés. Nous observons aux
dessus des arcs, des panneaux de marbres sculptés de motifs atauriques (de l’arabe tawik :
entrelacs et motifs végétaux).
Enfin, l’impression de légèreté, d’espace ouvert vers le céleste, qui de se dégage de cette
mosquée vient de l’utilisation massive de la colonnade de marbre à deux étages d’arc
outrepassé. Deux éléments doivent vous marquer : la présence, ici, de chapiteaux de type
plutôt corinthien (il y a d’autres types de chapiteau dans cette mosquée et puis, le style
corinthien tel que nous le connaissons dans le monde hellénistique et romain n’est pas
respecté intégralement, peut-être serait-il plus juste de parler de chapiteaux composites voire
de chapiteaux typiquement arabo-andalou, nous voyons dans les chapiteaux en questions des
feuilles d’acanthes dont la découpe est très fine, avec du relief, un brin luxuriant)6 et
l’alternance dans l’arc en fer à cheval et en plein cintre de briques rouge et bloc de pierres
blanches. Pour vous montrer aussi que la mosquée de Cordoue est aussi une œuvre politique,
dans le sens qu’elle entend chanter la louange de Dieu à travers les émirs illustres qui l’ont
décoré et aménagé, je mets sous vos yeux un chapiteau en marque finement travaillé. Ce que
nous relevons est l’inscription, la dédicace émirale sur le mince bandeau du sommet de la
corbeille. Nous pouvons y lire :
« Au nom de Dieu, bénédictions complètes de la part de Dieu et faveur entière à l’imam al
Mustan’sir billah, l’esclave de Dieu Al Hakam, l’émir des croyants, que Dieu prolonge sa
vie ! Parmi ce qu’il a ordonné de faire. Et cela fut terminé, par la puissance de Dieu sous la


5
  Grabar Oleg, op. cit., p. 171 ; Lévi-Provençal, L’Espagne musulmane au Xème siècle, Maisonneuse & Larose,
Paris, 2002, p. 213.
6
  Il y a dans cette mosquée plusieurs types de chapiteaux : wisigothiques se caractérisant par un relief plat et
une géométrisation des formes végétales (nef centrale), romain corinthien (plus grande magnificence
ornemental ou encore d’autres de facture orientale, plus aérés, plus « vivants », nommés « arabes ou
« chapiteau émiral ».
7


direction de son affranchi, son ‘hagib7 et le glaive de son gouvernement, Ga’far ibn
Abdarrahmane, que Dieu l’assiste »
Tout cet enchevêtrement de formes et de couleurs manifeste un grand sens de l'équilibre et de
l'harmonie mais également a permis de résoudre le problème du soutènement d'un édifice
aussi haut, majestueux et massif, sans alourdir sa vision. Il permet de garder l'aspect de
légèreté et luminosité nécessaire à l’épanchement spirituel.


    II)     Les synagogues de Tolède et de Cordoue


Vous avez vu, grâce à l’intervention de mon collègue Christophe Cailleaux, que l’Espagne
médiévale, du moins, l’Andalousie médiévale est une terre pluriculturelle où se côtoient, pour
le meilleur et pour le pire, différentes communautés religieuses. Il est très difficile de
s’intéresser à l’histoire médiévale de la péninsule ibérique si nous faisons l’économie de la
question juive. A cet égard, je ne peux que vous conseiller l’ouvrage du grand spécialiste
Haïm Zafrani, intitulé Juifs d’Andalousie et du Maghreb8.
Malgré des moments très difficiles, lors de la conquête et la domination musulmanes, la
communauté juive andalouse a connu un certain épanouissement culturel, intellectuel,
artistique et religieux. Difficile de s’intéresser, par exemple, à la philosophie néoplatonicienne
médiévale si nous ne nous penchons pas sur Salomon Ibn Gabirol                    (auteur du Meqqor
Hayyim : « le livre de la source de vie », 1020-1058) ou encore, pour l’aspect aristotélicien de
la philosophie médiévale, sur l’œuvre du célèbre médecin-métaphysicien Maimonide (auteur
du Moré Mévoukhim, le célèbre Guide des Egarés)
Ce qui est frappant est que la langue utilisée par ces philosophes et même par les autres
intellectuels issus de la communauté juive est l’arabe. Cette arabisation culturelle se double
aussi de l’utilisation d’un decorum arabo-andalou dans l’espace cultuel par excellence du
Judaïsme espagnol : la synagogue. Ce que nous avons vu précédemment au sujet des
caractéristiques de l’art omeyyade, nous le retrouvons, avec quelques ajustements à l’intérieur
de certaines synagogues9. Ce qui m’amène à dire que la personne qui ne connait rien à
l’histoire des religions et à la richesse de l’architecture religieuse pourrait facilement se
méprendre et confondre une mosquée avec une synagogue.

7                       er
  Sorte de chef du palais, 1 homme de main de l’Emir.
8
  Aux Editions Maisonneuve & Larose, Paris, 2002.
9
   Voir Ruiz Souza, J. C., « Sinagogas sefardíes monumentales en el contexto de la arquitectura medieval
hispana », dans Memoria de Sefarad, Madrid, 2002, p. 225-239
8


Comme cela vous a surement été expliqué, ils existent dans les villes médiévales musulmanes
une ségrégation spatiale ethno-religieuse. Les juifs ont leur quartier (Juderia en Andalousie,
Mellah au Maghreb). A Cordoue, nous trouvons dans la rue « Judios », la vieille synagogue
du XIVème siècle. Gardons à l’esprit qu’à ce moment là de l’histoire andalouse, Cordoue
n’est plus sous domination musulmane mais sous domination chrétienne. Elle n’a pas d’accès
direct à la rue et elle est de taille très modeste, ce qui pourrait être lié aux restrictions
imposées par le pouvoir chrétien, sous Alphonse XI de Castille. Cependant, son extériorité
discrète cache une merveille décorative intérieure. Nous pouvons dater sa construction vers
1315 puisque nous avons une inscription célébrant son chef de projet : Is’haq Moheb. La
modestie de ce lieu provient aussi des matériaux de sa construction et de sa décoration
(brique, bois).
Tout d’abord, nous pouvons relever que nous avons un plafond en bois à caissons ornés
d’entrelacs (artesonados). Notons aussi, mais de manière moins ostentatoire que les mosquées
andalouses, la décoration des murs intérieurs est essentiellement constituée de plâtre sculpté
(le stuc) de motifs végétaux, géométriques et nous voyons courir le long des murs quelques
inscriptions en hébreu dont certains passages des Psaumes. Du fait de la présence massive des
arabesques, les historiens de l’art nomment cela l’art mudéjar, provenant du mot
« mudajjan », qui veut dire « soumis, domestiqué ». Cet art émane des musulmans sous
domination chrétienne et en effet, il ne fait aucun doute aujourd’hui, qu’Ishaq Moheb avait
sous sa direction, pour la décoration intérieur de la synagogue, de nombreux musulmans.
Nous trouvons par exemple, sur le mur intérieur ouest, ce que nous avons déjà vu à la
meszquita, la présence d’un arc polylobé (7 lobes) entouré d’une frise épigraphique, avec tout
autour du plâtre sculpté de motifs géométriques se répétant, ressemblant à une fleur de lys
avec au centre de chacun d’entre eux des cercles rosacées. Nous pouvons même dire que nous
sommes en présence d’arc recticurvilignes (successions de lobes et d’angles droit). On
nomme cela « sebka ». Des ciselures imitent, de part et d’autre, un épanchement végétal.
L’arabesque a le don d’unir la précision géométrique à la légèreté des traits floraux. Sur le
mur est, nous trouvons la niche où se plaçait le « aron ha qodesh », c'est-à-dire la réplique de
l’ « Arche d’Alliance » contenant les rouleaux de Loi, de la Torah.
Je voudrais maintenant m’attarder quelques instants sur une autre des grandes synagogues
médiévales espagnoles : la célèbre Santa Maria la Blanca de Tolède construite à la fin du
XIIème siècle et transformée en église en 1405. Elle est composée de 5 nefs. Sa ressemblance
avec une mosquée est encore plus frappante. D’ailleurs, beaucoup d’historiens du siècle
précédent et même maintenant disent que cette synagogue appartient, par sa décoration et son
9


architecture, au estilo del califato (art califal). Nous sommes dans une illustration touchante
de l’art mudéjar.
La diapo-18 : quels types d’arc avons-nous au premier niveau ? et au second niveau en guide
de décoration ?
Nous avons des piliers octogonaux en briques avec des socles en carreaux de faïences. Il y
aurait dans la finition octogonale des piliers un apport de l’art épuré de la dynastie
maghrébine Almohade (Al muwahiddun). Cela ne serait pas étonnant puisque beaucoup
d’historiens pensent que celui qui a financé la construction de cette synagogue est Abraham
Ibn Alfachar, conseilleur du roi Alphonse VIII et ambassadeur du roi espagnol auprès de la
cour de l’Emir Almohade. Ce qui me retient est la présence de chapiteaux originaux, tous
uniques et un brin exotique.
Les historiens de l’art parlent de chapiteaux en tiges d’ananas avec des volutes rhomboïdales,
qui rappelle les chapiteaux de type ionique. Pour anecdote, dans la description de leur voyage
à Tolède de Gustave Doré et du baron Charles Davilliers à la fin du XIXème siècle, ils
décrivent les chapiteaux synagogaux de la Santa Maria la Blanca comme « étranges »10. En
effet, la géométrie de la sculpture s’associe étroitement avec les courbes végétales.


     III)   L’enluminure chrétienne d’espérance dans les royaumes chrétiens du Nord : Les
            « Beatus de Liebana »
Je voudrais, pour conclure mon travail, quitter l’art monumental pour l’art livresque des
enluminures. Je n’apprends rien à personne en rappelant que l’enluminure représente
l’ensemble des décorations qui ornent un texte, qu’elles soient anthropomorphes, zoomorphes,
végétales etc. Il s’agit donc de décoration peinte, de miniatures peintes11. Bien évidemment, la
décoration peut être d’essence religieuse ou d’essence profane, cela dépend souvent du thème
du manuscrit. Je voudrais m’arrêter sur des enluminures religieuses espagnoles du haut
Moyen-âge que l’on nomme, par commodité, les « Beatus », qui sont des commentaires
illustrés de l’Apocalypse de Jean. En effet, ce livre biblique a toujours passionné les chrétiens
car les récits qu’ils relatent sont très variés, utilisent énormément de thèmes et d’images
symboliques, mettent en action le Christ ressuscité sous la forme d’un agneau, menant ses
fidèles, son Eglise, à la Jérusalem Céleste, c'est-à-dire, le royaume éternel de Dieu. Grosso
modo, ce livre expose métaphoriquement le plan de Dieu pour les hommes, c'est-à-dire les


10
    « Voyage en Espagne », dans Le tour du monde. Nouveau journal des voyages, (dir. Edouard Charton),
Hachette, Paris, 1868.
11
   Je ne peux que renvoyer à l’excellent site www. enluminures. cultures.fr.
10


principales étapes que l’histoire humaine devrait suivre avant d’arrivée à son point ultime où
les méchants seront liquidés (image du dragon multicéphale, de la bête marine, de la bête
terrestre…) et les bons, les croyants, après plusieurs souffrances rejoindront le royaume
céleste de Dieu. Bref, ce livre ouvre la porte à l’imaginaire et restent très difficile à interpréter
et à comprendre. Beatus de Liebana, comme nombres de théologiens chrétiens avant lui
(Victorin de Poetovio (fin IIIème siècle), Césaire d’Arles (≈470-542) ou encore Bede le
Vénérable (≈672-735)) donna à la fin du VIIIème siècle un commentaire de la vision de
Patmos. Beatus est un moine du monastère montagnard espagnol de San Martin de Turieno
dans la région de Cantabrie12, qui rédige son commentaire apocalyptique, en partie, à cause
des musulmans. En effet, pour tous ces commentateurs, la question qui se pose est de savoir
quand se fera l’avènement du Royaume de Dieu et sur qui doit-on appliquer les figures du mal
que l’Apocalypse de Jean contient. Les musulmans, dont la conquête de la péninsule ibérique
au VIIIème siècle est rapide, trop irrationnelle pour être normale apparaissent pour les
théologiens chrétiens comme l’avatar et la marque du mal.
Or, dans cette période troublée, comme dans de nombreuses périodes troublées qu’ait connu
le christianisme, les chrétiens se tournent vers le livre de l’Apocalypse car ce livre est
essentiellement une leçon d’espérance, une leçon de patience, où malgré les vicissitudes du
temps, c’est le bien et les fidèles du Christ qui devraient triompher. C’est dans cette optique
que Beatus rédige son commentaire. Ce dernier va connaitre un certain succès puisqu’il sera
souvent recopié entre le Xème et XIème siècle, aussi bien en terres ibériques qu’en terres
franques. Il est même plus que recopié, il est « agrémenté » d’enluminures, c’est cela que l’on
nomme les « beatus »13.
Ces commentaires participent de la résistance religieuse contre les musulmans, ils sont, d’une
certaine manière, chez les clercs, une œuvre d’édification spirituelle, l’image d’une foi qui
résiste face à une autre foi14. Ce qui est paradoxal, c’est que les plus importants « beatus »,
comme le codex de Gérone (fin Xème) avec ses 114 miniatures enrichies d’or contiennent
des éléments décoratifs arabo-andalous mais aussi carolingiens. Je voudrais vous montrer tout
d’abord la dénonciation des musulmans. Les « beatus » relèvent généralement de l’art
mozarabe15. Ce qui marque tout d’abord est l’emploi de couleurs vives et chaudes, ce qui est

12
    Région espagnole comprise à l’est par la Communauté autonome du pays basque, à l’ouest par les
Asturies, au sud par la Castille-et-Léon et au nord par l’océan atlantique.
13
     Se reporter, par exemple, à Ludivine Allegue Fuschini, La miniature chrétienne dans l’Espagne des trois
cultures. Le béatus de Gérone, Arts et sciences de l’art, Harmattan, Paris, 2008.
14
   Voir l’analyse de Guy Lobrichon dans La Bible au Moyen Age, Éditions A. et J. Picard, Paris, 2003, p. 112.
15
   Voir Cyril Aillet, Les « Mozarabes » : islamisation, arabisation et christianisme en péninsule Ibérique (IXe-XIIe
siècles), Casa de Vélasquez, Madrid, 2010.
11


généralement leur estampille. Nous avons, tout d’abord, la représentation de la Bête aux sept
têtes. Son origine scripturaire se trouve dans Ap. 13, 10 :
«Alors, je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes, sur ses cornes dix
diadèmes et sur ses têtes un nom blasphématoire ». A partir du passage d’Ap. 17, 9, les
chrétiens appliquèrent initialement ce symbole à la Rome « païenne » mais aussi à plusieurs
empires considérés comme sectateurs du Diable, considérés donc comme ennemi du Christ.
Nous savons par de nombreuses sources antiques que de nombreux clercs chrétiens
considéraient les musulmans comme des égarés, des hérétiques, des suppôts de Satan, que
Dieu utilisait à des fins pédagogiques pour la solidification de la foi des chrétiens. Ils étaient
considérés comme un fléau de Dieu. Nous voyons aussi sur cette image, le Dragon, ce grand
serpent, image du Mal absolu (voir le chapitre XII de l’Apocalypse), expulsé du ciel par
l’archange Mickaël (Michel). Ce qui me retient dans cette miniature est l’image des
adorateurs du mal. Le teint hâlé, la chevelure brune, il est très plausible d’y reconnaitre des
Maures ou des Sarrazins, bref des musulmans. Ce qui pourrait aussi appuyer cette piste est
leur posture, qui ressemble énormément à deux des moments clés de la prière musulmane (le
roukou’, l’inclinaison ou le soujoud, sorte de proskynèse).
Dans la deuxième image, provenant surement d’un monastère des Asturies au XI siècle, que
je vous livre, nous voyons les chrétiens en plein reconquête d’une ville occupée par les
musulmans, reconnaissables à leurs cheveux crépus et leurs légères barbes. Ils se font battre à
pleine couture, normal car l’imagerie chrétienne tient à montrer la puissance des fidèles du
Christ, qui, s’ils le veulent, pourraient ébranler n’importe lequel des empires terrestres.
Malgré la gaité des couleurs, la scène est violente, des têtes gisent à même le sol. Il
semblerait, par contre que les personnages à l’intérieur de la ville miniaturée soient des
chrétiens, car ils ont un air placide, plutôt heureux. Nous avons l’image de chrétiens allant
libérer leurs frères chrétiens d’une ville possédée par des musulmans. Image de la
reconquête !

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  • 1. 1 INTRODUCTION Dans le cadre de cette présentation orale, je voudrais montrer quelques aspects architecturaux mais aussi iconographiques des Espagnes médiévales. Je parle d’Espagne au pluriel car vous savez très bien que l’Espagne politique telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas au Moyen-âge. Il y a d’un côté une Espagne arabo-musulmane composée de plusieurs entités émirales (l’Andalousie) et une Espagne chrétienne, elle aussi fragmentée en plusieurs états. Ce qui m’intéresse aujourd’hui est la manière artistique dont les diverses communautés religieuses de cette péninsule ibérique se racontent, se disent et s’expriment dans les contingences de cette vie terrestre. Pour moi, il ne fait aucun doute que l’art participe de la connaissance d’une civilisation à un moment donné de son histoire. Dans un premier temps, je voudrais m’intéresser à l’expression monumentale et iconographique de l’art arabo-musulman andalou. Deux éléments, qui dans la réalité andalouse est loin d’être aussi catégoriquement distinguée, apparaitront dans notre courte recherche : 1) l’art au service du religieux et 2) l’art au service du politique. Or comme vous le savez, d’autres communautés religieuses, ayant leurs exigences spirituelles propres, coexistent, bon gré, mal gré, avec les musulmans dans la péninsule ibérique et je serais fort injuste de ne pas jeter un œil sur certains exemples de leurs « productions » artistiques, d’autant plus que la domination musulmane sur Al Andalous a connu de profonde modification entre leur arrivée au VIIIème siècle et le XVème. Donc, dans un deuxième temps, je voudrais vous montrer quelques photos de synagogues médiévales : celle de Cordoue et celle de Tolède, la célèbre Santa Maria la Blanca. Nous verrons les connivences architecturales entre Islam médiéval et le Judaïsme médiéval. Enfin, nous quitterons l’histoire du bâti, pour l’art des enluminures chrétiennes. En effet, je trouve intéressant de vous montrer et de vous commenter ce que je nomme une iconographie chrétienne de combat et de défense face aux musulmans. Nous quitterons donc Al Andalous pour l’Espagne chrétienne en abordant les célèbres copies du commentaire de l’Apocalypse de Jean par le moine Beatus de Liebana.
  • 2. 2 I) LA DIMENSION POLITIQUE ET RELIGIEUSE DE L’ART ARABO- ANDALOU Tout d’abord, je voudrais faire une remarque d’ordre général afin que nous ne tombions pas dans la caricature. Bien que les formes artistiques utilisées par les musulmans d’Al Andalous soient, il faut le reconnaitre, d’une grande beauté, il serait ainsi fallacieux de croire qu’ils auraient tout inventé eux même. Ce que nous nommons « art islamique » d’Andalousie, pour reprendre la formule de l’historien Oleg Grabar1, est né de la récupération et de la transformation, par les musulmans, de traditions artistiques qui lui sont étrangères et souvent antérieurs comme celles des mondes hellénistiques, romains, byzantins ou encore perses sassanides. Et puis, je voudrais ajouter à la suite d’illustres historiens de l’Espagne musulmane que se trouvaient parmi les architectes et les divers artisans qui ont contribué à la construction et à l’embellissement de certains monuments religieux comme la mosquée de Cordoue étaient d’origine non arabe et même non musulman. Il y avait de nombreux byzantins sur ses chantiers.2 Autre remarque que nous devons garder en mémoire est que l’entreprise artistique monumentale des musulmans vient essentiellement d’en haut, c'est-à-dire procèdent des élites dirigeantes et donc, lorsque nous regardons la mosquée de Cordoue ou n’importe quelle autre mosquée ou monuments du monde musulman, nous devons garder à l’esprit que sa construction et sa décoration dépendent de l’autorité du gouverneur, de l’Émir ou du Calife ! La grande mosquée de Cordoue (avant sa transformation en édifice chrétien en 1236) Je ne vais pas faire l’histoire de la fondation et du développement de l’Émirat Omeyyade de Cordoue3 car ce serait trop long et hors propos. Ce qu’il faut retenir c’est qu’à peine deux siècles après leurs arrivées dans la péninsule ibérique, les arabes fidèles à la dynastie orientale (d’origine) Omeyyade accompagnés de berbères d’Afrique du Nord vont fonder, aux prix d’efforts militaires importants, aux IXème et Xème siècles le royaume le plus puissant d’Europe Occidentale. 1 Voir l’ouvrage de référence suivant : Grabar Oleg, La formation de l’art islamique, Collection : « Champs », Flammarion, Paris, 2000. 2 Terrasse Henri., « Les traditions romaines dans l’art musulman d’Espagne », dans Bulletin Hispanique, t. 65, n° 3-4, pp. 199-205. 3 Magistralement étudiée par Évariste Lévi-Provençal dans son Histoire de l’Espagne musulmane, 3 t., Maison- neuve & Larose, Paris, 1999. Pour ceux qui veulent un ouvrage rapide à lire, voir alors Clot André, L’Espagne musulmane, Collection : « Tempus », n° 87, Les Éditions Perrin, Paris, 2004.
  • 3. 3 La puissance étatique d’un royaume se lit dans la somptuosité des monuments qu’il fait bâtir et dans l’organisation urbaine de sa capitale. Cordoue, en tant que capitale de l’Empire Omeyyade se veut la plus belle et la plus importante des villes d’Occident aux Xème-XIème siècles. Le paysage urbain doit interpréter la gloire de l’Émirat, la gloire d’un Islam aussi européen qu’oriental, face aussi bien aux royaumes chrétiens comme ceux issus de l’entreprise carolingienne mais aussi face au Califat de Baghdâd. Or les divers Émirs qui se sont succédé à la tête de l’Empire Omeyyade depuis le VIIIème siècle légitiment religieusement leur autorité. Ils se revendiquèrent donc comme des artisans de la cause divine. Leur politique urbaine ne pouvait donc pas faire l’économie d’édifices religieux. La gloire et le triomphe de l’Islam est la visée principielle de l’œuvre émirale. La Grande Mezquita de Cordoue illustre ce que je viens de dire. Elle a connue plusieurs étapes successives d’agrandissement et d’embellissement car Cordoue, entre le VIIIème et le XIIème siècle voit sa population augmentée très rapidement. On estime par exemple qu’au dixième siècle, Cordoue, avec ses 100 000 habitants serait 10 fois plus peuplée que Paris. Nous avons peine à imaginer qu’à ses origines, elle ne fut qu’une modeste salle de prière issue du partage entre chrétiens et musulmans de l’Église dédiée à saint-Vincent. Lorsque que nous serons à Cordoue, vous verrez à quel point cette mosquée domine la ville. Telle que nous la voyons aujourd’hui et sans les rajouts chrétiens débutés dès le XIIIème siècle, l’édifice forme un quadrilatère d’environs, 180 mètres sur 130 mètre de large et provient essentiellement des travaux faramineux dictés par l’Emir Abderrahmane II (dates de règne : 822-852). Il faut savoir que dans les pratiques cultuelles de l’Islam, la mosquée est, bien évidemment, le lieu de prière par excellence, or, cet édifice religieux n’est pas le seul de la ville de Cordoue. Seulement, celui-ci est ce que nous nommons « Masjid al Jami’ ». C’est la mosquée principale où s’effectuent en plus des prières quotidiennes, la prière du vendredi mais aussi elle tient lieu d’espace de réunions importantes pour la direction des affaires politiques de l’Empire Omeyyade. Ajoutons aussi que c’est dans cette mosquée, que l’Émir peut prononcer ses discours officiels où tous les habitants de la ville pouvaient être conviés. C’est plus qu’une mosquée, c’est un espace de vie sociale, politique et même intellectuelle puisque des disciplines profanes et religieuses y étaient enseignées. L’autorité de l’Émir possède une dimension religieuse, ce qui l’amène lui-même, bien souvent, à diriger les prières collectives et à effectuer le sermon du vendredi. Je voudrais mettre l’accent sur deux éléments architecturaux afin que vous preniez conscience de l’importance des arts dans les sociétés musulmanes médiévales et surtout ce que je nomme : « le multiculturalisme artistique ».
  • 4. 4 Tout d’abord, je voudrais vous montrer un des éléments fondamentaux du lieu de culte musulman : il s’agit du mihrab, c'est-à-dire la niche qui, traditionnellement au Moyen-âge devait servir d’espace où se mettait l’Imam pour diriger la prière collective. Elle marque spatialement la direction de la Mecque. Lorsque l’Emir Al Hakam II arrive au pouvoir en 961, il décide d’agrandir la mosquée, ce qui va conduire à la mise en place d’un nouveau mihrab. Nous observons, tout d’abord, que cette niche s’inscrit dans un arc en fer de cheval à l’intérieur de plusieurs carrés emboités. Pour être plus technique, l’ouverture en fer à cheval du mihrab est dans un encadrement rectangulaire mouluré, qu’on nomme en arabe « alfiz ». Elément architectural et décoratif identique aux portes sud-ouest de la Mezquita. Nous avons là une des caractéristiques majeures de l’art omeyyade d’Occident. Nous voyons aussi les fondements de l’iconographie arabo-andalouse religieuse sont essentiellement des entrelacs géométriques, des motifs floraux et des inscriptions calligraphiques. Fondement iconographique bâti sur la répétition et l’emboitement des motifs. En effet, les différents claveaux de mosaïques composant l’arc en fer à cheval (nommé aussi arc à plein cintre outrepassé) sont décorés d’arabesque de feuilles, de fleurs et de fruits, dans une sorte de rappels paradisiaques. Nous avons, par exemple, en fonction des claveaux la représentation de rinceaux, de fleurons à six pétales, de palmettes. Concernant le nombre de claveaux, Il y en a 9 de part et d’autre du claveau central, bleu clair, appelé la clé. (Petit rappel : nous avons là des claveaux fictifs imitant les vraies pierres taillées en biseau). Pour l’anecdote aussi, nous savons par des sources anciennes telle la chronique de l’historien marocain du XIVème siècle Ibn Idhari al Marrakushi (Kitāb al-bayān al-mughrib fī ākhbār mulūk al-andalus wa'l- maghrib que l’Emir Al Hakam II reçut de la part du Basileus (Nicéphore Phocas) 320 quintaux de cubes de mosaïques de verres et aussi l’envoi du plus grand mosaïste byzantin pour la Mezquita. A noter aussi, la polychromie des différents claveaux. Les artistes ont soigné le moindre détail de ce mihrab. Il suffit d’imaginer la précision nécessaire pour assembler toutes ces petites pièces de différentes couleurs de mosaïques4. La mosaïque polychrome est appelée par les arabes « fusaifisa’ » du grec « ψήφωσις » Les couleurs utilisées, couleurs chaleureuses majoritairement participent de la dimension célestielle, paradisiaque du décor. En effet, les claveaux de part et d’autre de la clé sont symétriques et sont alternativement rouge, or, bleu, or… Tout autour de l’arc en fer à cheval, sur la façade du mihrab, à plusieurs niveaux, vous pouvez voir de la calligraphie coranique en couleur bleu sur fond jaune, puis dorée sur fond bleu. 4 Stern Henri, Les mosaïques de la grande mosquée de Cordoue, W. de G., Berlin, 1976. L’auteur décrit, un par un les différents claveaux.
  • 5. 5 Cette épigraphie arabe en style coufique (reconnaissable aux angles droit des lettres et aux hautes hampes) reproduit des versets du livre saint des musulmans. Nous sommes dans une mosquée et donc, il convient de rappeler aux fidèles l’objet de leur présence : l’adoration de Dieu et le propriétaire de ce lieu, c'est-à-dire : Dieu. Un terme que vous pouvez retenir aussi concernant l’art religieux des omeyyades d’Occident est l’aniconisme, c'est-à-dire, la non utilisation d’une ornementation zoomorphe ou utilisant des images humaines. Il est très difficile de reconstituer les inscriptions originelles car il y aurait eu, à un moment non déterminé de l’histoire, des retouches. L’historien Evariste Lévi-Provençal, après maintes recherches, prouvent que cette épigraphie commémore l’élargissement de la mosquée en combinant deux ensembles de passages du Coran, les versets 5 et 6 de la sourate 32 (sourate La prosternation) et le verset 65 de la sourate 40 (sourate Le Pardonneur) mais aussi en rappelant les noms des cinq directeurs de travaux : Dja’far ibn Abdarrahman, Muhammad Ibn Tamlikh, Ahmed Ibn Nasr, Khalid Ibn Hashim et Mutarrif ibn ‘Abdarrahman. Nous aurions donc, pour l’épigraphie sainte, donc ceci : « Du ciel à la terre, il administre l’affaire, laquelle ensuite monte vers Lui en un jour équivalent à mille de votre calcul. C’est Lui le connaisseur des mondes inconnus et visibles, le Puissant, le Miséricordieux. » (S. 35, v. 5-6) et « C’est Lui le Vivant. Point de divinité à part Lui. Appelez le donc, en lui vouant un culte exclusif. Louange à Dieu, Seigneur de l’univers. » (S. 40, v. 65) L’inscription centrale de la façade du mihrab est plus simple à déchiffrer, il s’agit du verset 23 de la sourate L’Exode (n° 59) : « C’est Lui Dieu, Nulle divinité autre que Lui, le Connaisseur de l’Invisible tout comme du visible. C’est Lui le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. » Ce qui est intéressant, c’est que les Emirs, en l’occurrence, ici, Al Hakam II fait inscrire pour l’éternité la volonté spirituelle de sa politique architecturale. Son autorité émirale provient, selon lui de Dieu et agrandir et embellir une mosquée, serait donc pour lui la marque de sa reconnaissance. Enfin, en ce qui concerne, la façade de cette espace octogonale qu’est le mihrab, je voudrais attirer l’attention sur l’arcature aux sept niches surmontées d’arcs trilobés. Nous sommes là en présence d’une arcade feinte. (Volonté d’imiter une porte, le mihrab, porte vers Dieu ?) C’est une constante décorative de la Mezquita. Là encore, nous avons une reproduction plus raffinée, plus travaillée des portes extérieures de la mosquée. Le fond de chacune de ses niches est formé de mosaïque dont les thèmes végétaux de l’ornementation reproduisent différemment ceux des fonds de claveaux. Certains historiens de l’art parlent d’« arbres de
  • 6. 6 vie ». Nous sommes, à mon avis, plus en présence de rinceaux et de plantes dressées. Disons que le dessin délicat et la palette raffinée font de ces fonds de niches et de claveaux une œuvre de grande qualité à laquelle il faudrait consacrer plusieurs heures d’études. Avant de quitter la grande mosquée de Cordoue pour l’architecture synagogale, je voudrais rappeler la marque politique de cet édifice religieux puisque chose rare au Moyen Age et même dans l’histoire de l’Islam, nous trouvons en avant du mihrab un espace réservé exclusivement à l’Émir et à ses proches, créant ainsi une sorte de ségrégation spatiale entre les fidèles, pourtant égaux au regard de la loi musulmane. Elle a été ajoutée par l’Emir Al Mundhir (886-888).Cette zone se nomme la maqsura.5 Cette construction complexe en marbre sculpté est faite d'arcs polylobés superposés et entrecroisés. Nous observons aux dessus des arcs, des panneaux de marbres sculptés de motifs atauriques (de l’arabe tawik : entrelacs et motifs végétaux). Enfin, l’impression de légèreté, d’espace ouvert vers le céleste, qui de se dégage de cette mosquée vient de l’utilisation massive de la colonnade de marbre à deux étages d’arc outrepassé. Deux éléments doivent vous marquer : la présence, ici, de chapiteaux de type plutôt corinthien (il y a d’autres types de chapiteau dans cette mosquée et puis, le style corinthien tel que nous le connaissons dans le monde hellénistique et romain n’est pas respecté intégralement, peut-être serait-il plus juste de parler de chapiteaux composites voire de chapiteaux typiquement arabo-andalou, nous voyons dans les chapiteaux en questions des feuilles d’acanthes dont la découpe est très fine, avec du relief, un brin luxuriant)6 et l’alternance dans l’arc en fer à cheval et en plein cintre de briques rouge et bloc de pierres blanches. Pour vous montrer aussi que la mosquée de Cordoue est aussi une œuvre politique, dans le sens qu’elle entend chanter la louange de Dieu à travers les émirs illustres qui l’ont décoré et aménagé, je mets sous vos yeux un chapiteau en marque finement travaillé. Ce que nous relevons est l’inscription, la dédicace émirale sur le mince bandeau du sommet de la corbeille. Nous pouvons y lire : « Au nom de Dieu, bénédictions complètes de la part de Dieu et faveur entière à l’imam al Mustan’sir billah, l’esclave de Dieu Al Hakam, l’émir des croyants, que Dieu prolonge sa vie ! Parmi ce qu’il a ordonné de faire. Et cela fut terminé, par la puissance de Dieu sous la 5 Grabar Oleg, op. cit., p. 171 ; Lévi-Provençal, L’Espagne musulmane au Xème siècle, Maisonneuse & Larose, Paris, 2002, p. 213. 6 Il y a dans cette mosquée plusieurs types de chapiteaux : wisigothiques se caractérisant par un relief plat et une géométrisation des formes végétales (nef centrale), romain corinthien (plus grande magnificence ornemental ou encore d’autres de facture orientale, plus aérés, plus « vivants », nommés « arabes ou « chapiteau émiral ».
  • 7. 7 direction de son affranchi, son ‘hagib7 et le glaive de son gouvernement, Ga’far ibn Abdarrahmane, que Dieu l’assiste » Tout cet enchevêtrement de formes et de couleurs manifeste un grand sens de l'équilibre et de l'harmonie mais également a permis de résoudre le problème du soutènement d'un édifice aussi haut, majestueux et massif, sans alourdir sa vision. Il permet de garder l'aspect de légèreté et luminosité nécessaire à l’épanchement spirituel. II) Les synagogues de Tolède et de Cordoue Vous avez vu, grâce à l’intervention de mon collègue Christophe Cailleaux, que l’Espagne médiévale, du moins, l’Andalousie médiévale est une terre pluriculturelle où se côtoient, pour le meilleur et pour le pire, différentes communautés religieuses. Il est très difficile de s’intéresser à l’histoire médiévale de la péninsule ibérique si nous faisons l’économie de la question juive. A cet égard, je ne peux que vous conseiller l’ouvrage du grand spécialiste Haïm Zafrani, intitulé Juifs d’Andalousie et du Maghreb8. Malgré des moments très difficiles, lors de la conquête et la domination musulmanes, la communauté juive andalouse a connu un certain épanouissement culturel, intellectuel, artistique et religieux. Difficile de s’intéresser, par exemple, à la philosophie néoplatonicienne médiévale si nous ne nous penchons pas sur Salomon Ibn Gabirol (auteur du Meqqor Hayyim : « le livre de la source de vie », 1020-1058) ou encore, pour l’aspect aristotélicien de la philosophie médiévale, sur l’œuvre du célèbre médecin-métaphysicien Maimonide (auteur du Moré Mévoukhim, le célèbre Guide des Egarés) Ce qui est frappant est que la langue utilisée par ces philosophes et même par les autres intellectuels issus de la communauté juive est l’arabe. Cette arabisation culturelle se double aussi de l’utilisation d’un decorum arabo-andalou dans l’espace cultuel par excellence du Judaïsme espagnol : la synagogue. Ce que nous avons vu précédemment au sujet des caractéristiques de l’art omeyyade, nous le retrouvons, avec quelques ajustements à l’intérieur de certaines synagogues9. Ce qui m’amène à dire que la personne qui ne connait rien à l’histoire des religions et à la richesse de l’architecture religieuse pourrait facilement se méprendre et confondre une mosquée avec une synagogue. 7 er Sorte de chef du palais, 1 homme de main de l’Emir. 8 Aux Editions Maisonneuve & Larose, Paris, 2002. 9 Voir Ruiz Souza, J. C., « Sinagogas sefardíes monumentales en el contexto de la arquitectura medieval hispana », dans Memoria de Sefarad, Madrid, 2002, p. 225-239
  • 8. 8 Comme cela vous a surement été expliqué, ils existent dans les villes médiévales musulmanes une ségrégation spatiale ethno-religieuse. Les juifs ont leur quartier (Juderia en Andalousie, Mellah au Maghreb). A Cordoue, nous trouvons dans la rue « Judios », la vieille synagogue du XIVème siècle. Gardons à l’esprit qu’à ce moment là de l’histoire andalouse, Cordoue n’est plus sous domination musulmane mais sous domination chrétienne. Elle n’a pas d’accès direct à la rue et elle est de taille très modeste, ce qui pourrait être lié aux restrictions imposées par le pouvoir chrétien, sous Alphonse XI de Castille. Cependant, son extériorité discrète cache une merveille décorative intérieure. Nous pouvons dater sa construction vers 1315 puisque nous avons une inscription célébrant son chef de projet : Is’haq Moheb. La modestie de ce lieu provient aussi des matériaux de sa construction et de sa décoration (brique, bois). Tout d’abord, nous pouvons relever que nous avons un plafond en bois à caissons ornés d’entrelacs (artesonados). Notons aussi, mais de manière moins ostentatoire que les mosquées andalouses, la décoration des murs intérieurs est essentiellement constituée de plâtre sculpté (le stuc) de motifs végétaux, géométriques et nous voyons courir le long des murs quelques inscriptions en hébreu dont certains passages des Psaumes. Du fait de la présence massive des arabesques, les historiens de l’art nomment cela l’art mudéjar, provenant du mot « mudajjan », qui veut dire « soumis, domestiqué ». Cet art émane des musulmans sous domination chrétienne et en effet, il ne fait aucun doute aujourd’hui, qu’Ishaq Moheb avait sous sa direction, pour la décoration intérieur de la synagogue, de nombreux musulmans. Nous trouvons par exemple, sur le mur intérieur ouest, ce que nous avons déjà vu à la meszquita, la présence d’un arc polylobé (7 lobes) entouré d’une frise épigraphique, avec tout autour du plâtre sculpté de motifs géométriques se répétant, ressemblant à une fleur de lys avec au centre de chacun d’entre eux des cercles rosacées. Nous pouvons même dire que nous sommes en présence d’arc recticurvilignes (successions de lobes et d’angles droit). On nomme cela « sebka ». Des ciselures imitent, de part et d’autre, un épanchement végétal. L’arabesque a le don d’unir la précision géométrique à la légèreté des traits floraux. Sur le mur est, nous trouvons la niche où se plaçait le « aron ha qodesh », c'est-à-dire la réplique de l’ « Arche d’Alliance » contenant les rouleaux de Loi, de la Torah. Je voudrais maintenant m’attarder quelques instants sur une autre des grandes synagogues médiévales espagnoles : la célèbre Santa Maria la Blanca de Tolède construite à la fin du XIIème siècle et transformée en église en 1405. Elle est composée de 5 nefs. Sa ressemblance avec une mosquée est encore plus frappante. D’ailleurs, beaucoup d’historiens du siècle précédent et même maintenant disent que cette synagogue appartient, par sa décoration et son
  • 9. 9 architecture, au estilo del califato (art califal). Nous sommes dans une illustration touchante de l’art mudéjar. La diapo-18 : quels types d’arc avons-nous au premier niveau ? et au second niveau en guide de décoration ? Nous avons des piliers octogonaux en briques avec des socles en carreaux de faïences. Il y aurait dans la finition octogonale des piliers un apport de l’art épuré de la dynastie maghrébine Almohade (Al muwahiddun). Cela ne serait pas étonnant puisque beaucoup d’historiens pensent que celui qui a financé la construction de cette synagogue est Abraham Ibn Alfachar, conseilleur du roi Alphonse VIII et ambassadeur du roi espagnol auprès de la cour de l’Emir Almohade. Ce qui me retient est la présence de chapiteaux originaux, tous uniques et un brin exotique. Les historiens de l’art parlent de chapiteaux en tiges d’ananas avec des volutes rhomboïdales, qui rappelle les chapiteaux de type ionique. Pour anecdote, dans la description de leur voyage à Tolède de Gustave Doré et du baron Charles Davilliers à la fin du XIXème siècle, ils décrivent les chapiteaux synagogaux de la Santa Maria la Blanca comme « étranges »10. En effet, la géométrie de la sculpture s’associe étroitement avec les courbes végétales. III) L’enluminure chrétienne d’espérance dans les royaumes chrétiens du Nord : Les « Beatus de Liebana » Je voudrais, pour conclure mon travail, quitter l’art monumental pour l’art livresque des enluminures. Je n’apprends rien à personne en rappelant que l’enluminure représente l’ensemble des décorations qui ornent un texte, qu’elles soient anthropomorphes, zoomorphes, végétales etc. Il s’agit donc de décoration peinte, de miniatures peintes11. Bien évidemment, la décoration peut être d’essence religieuse ou d’essence profane, cela dépend souvent du thème du manuscrit. Je voudrais m’arrêter sur des enluminures religieuses espagnoles du haut Moyen-âge que l’on nomme, par commodité, les « Beatus », qui sont des commentaires illustrés de l’Apocalypse de Jean. En effet, ce livre biblique a toujours passionné les chrétiens car les récits qu’ils relatent sont très variés, utilisent énormément de thèmes et d’images symboliques, mettent en action le Christ ressuscité sous la forme d’un agneau, menant ses fidèles, son Eglise, à la Jérusalem Céleste, c'est-à-dire, le royaume éternel de Dieu. Grosso modo, ce livre expose métaphoriquement le plan de Dieu pour les hommes, c'est-à-dire les 10 « Voyage en Espagne », dans Le tour du monde. Nouveau journal des voyages, (dir. Edouard Charton), Hachette, Paris, 1868. 11 Je ne peux que renvoyer à l’excellent site www. enluminures. cultures.fr.
  • 10. 10 principales étapes que l’histoire humaine devrait suivre avant d’arrivée à son point ultime où les méchants seront liquidés (image du dragon multicéphale, de la bête marine, de la bête terrestre…) et les bons, les croyants, après plusieurs souffrances rejoindront le royaume céleste de Dieu. Bref, ce livre ouvre la porte à l’imaginaire et restent très difficile à interpréter et à comprendre. Beatus de Liebana, comme nombres de théologiens chrétiens avant lui (Victorin de Poetovio (fin IIIème siècle), Césaire d’Arles (≈470-542) ou encore Bede le Vénérable (≈672-735)) donna à la fin du VIIIème siècle un commentaire de la vision de Patmos. Beatus est un moine du monastère montagnard espagnol de San Martin de Turieno dans la région de Cantabrie12, qui rédige son commentaire apocalyptique, en partie, à cause des musulmans. En effet, pour tous ces commentateurs, la question qui se pose est de savoir quand se fera l’avènement du Royaume de Dieu et sur qui doit-on appliquer les figures du mal que l’Apocalypse de Jean contient. Les musulmans, dont la conquête de la péninsule ibérique au VIIIème siècle est rapide, trop irrationnelle pour être normale apparaissent pour les théologiens chrétiens comme l’avatar et la marque du mal. Or, dans cette période troublée, comme dans de nombreuses périodes troublées qu’ait connu le christianisme, les chrétiens se tournent vers le livre de l’Apocalypse car ce livre est essentiellement une leçon d’espérance, une leçon de patience, où malgré les vicissitudes du temps, c’est le bien et les fidèles du Christ qui devraient triompher. C’est dans cette optique que Beatus rédige son commentaire. Ce dernier va connaitre un certain succès puisqu’il sera souvent recopié entre le Xème et XIème siècle, aussi bien en terres ibériques qu’en terres franques. Il est même plus que recopié, il est « agrémenté » d’enluminures, c’est cela que l’on nomme les « beatus »13. Ces commentaires participent de la résistance religieuse contre les musulmans, ils sont, d’une certaine manière, chez les clercs, une œuvre d’édification spirituelle, l’image d’une foi qui résiste face à une autre foi14. Ce qui est paradoxal, c’est que les plus importants « beatus », comme le codex de Gérone (fin Xème) avec ses 114 miniatures enrichies d’or contiennent des éléments décoratifs arabo-andalous mais aussi carolingiens. Je voudrais vous montrer tout d’abord la dénonciation des musulmans. Les « beatus » relèvent généralement de l’art mozarabe15. Ce qui marque tout d’abord est l’emploi de couleurs vives et chaudes, ce qui est 12 Région espagnole comprise à l’est par la Communauté autonome du pays basque, à l’ouest par les Asturies, au sud par la Castille-et-Léon et au nord par l’océan atlantique. 13 Se reporter, par exemple, à Ludivine Allegue Fuschini, La miniature chrétienne dans l’Espagne des trois cultures. Le béatus de Gérone, Arts et sciences de l’art, Harmattan, Paris, 2008. 14 Voir l’analyse de Guy Lobrichon dans La Bible au Moyen Age, Éditions A. et J. Picard, Paris, 2003, p. 112. 15 Voir Cyril Aillet, Les « Mozarabes » : islamisation, arabisation et christianisme en péninsule Ibérique (IXe-XIIe siècles), Casa de Vélasquez, Madrid, 2010.
  • 11. 11 généralement leur estampille. Nous avons, tout d’abord, la représentation de la Bête aux sept têtes. Son origine scripturaire se trouve dans Ap. 13, 10 : «Alors, je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes, sur ses cornes dix diadèmes et sur ses têtes un nom blasphématoire ». A partir du passage d’Ap. 17, 9, les chrétiens appliquèrent initialement ce symbole à la Rome « païenne » mais aussi à plusieurs empires considérés comme sectateurs du Diable, considérés donc comme ennemi du Christ. Nous savons par de nombreuses sources antiques que de nombreux clercs chrétiens considéraient les musulmans comme des égarés, des hérétiques, des suppôts de Satan, que Dieu utilisait à des fins pédagogiques pour la solidification de la foi des chrétiens. Ils étaient considérés comme un fléau de Dieu. Nous voyons aussi sur cette image, le Dragon, ce grand serpent, image du Mal absolu (voir le chapitre XII de l’Apocalypse), expulsé du ciel par l’archange Mickaël (Michel). Ce qui me retient dans cette miniature est l’image des adorateurs du mal. Le teint hâlé, la chevelure brune, il est très plausible d’y reconnaitre des Maures ou des Sarrazins, bref des musulmans. Ce qui pourrait aussi appuyer cette piste est leur posture, qui ressemble énormément à deux des moments clés de la prière musulmane (le roukou’, l’inclinaison ou le soujoud, sorte de proskynèse). Dans la deuxième image, provenant surement d’un monastère des Asturies au XI siècle, que je vous livre, nous voyons les chrétiens en plein reconquête d’une ville occupée par les musulmans, reconnaissables à leurs cheveux crépus et leurs légères barbes. Ils se font battre à pleine couture, normal car l’imagerie chrétienne tient à montrer la puissance des fidèles du Christ, qui, s’ils le veulent, pourraient ébranler n’importe lequel des empires terrestres. Malgré la gaité des couleurs, la scène est violente, des têtes gisent à même le sol. Il semblerait, par contre que les personnages à l’intérieur de la ville miniaturée soient des chrétiens, car ils ont un air placide, plutôt heureux. Nous avons l’image de chrétiens allant libérer leurs frères chrétiens d’une ville possédée par des musulmans. Image de la reconquête !