1. Prendre soin de soi pour mieux soigner les autres
Une introduction à la Méthode Feldenkrais d’éducation somatique
Atelier proposé par Xavier Lainé, kinésithérapeute, praticien Feldenkrais certifié, membre de
l’association Feldenkrais France, Manosque (04) dans le cadre des Journées de formation de
Kinésithérapie la revue les 23 et 24 janvier 2009
Sites :
http://www.feldenkrais-france.org/
www.conscience-en-mouvement.com
Contact: xavier.laine081@orange.fr
1. Introduction, présentation de l’atelier
La kinésithérapie est, étymologiquement l’art de soigner par le mouvement. Son
praticien, le kinésithérapeute a longuement appris à étudier les éléments d’anatomie,
de physiologie et de pathologie qui lui permettent de mettre à la disposition de son
patient son expérience des techniques appropriées afin de lui permettre d’améliorer ou
de retrouver ses capacités de mouvement. Plus rarement, il agit pour favoriser une
meilleure adéquation entre le sens, la représentation kinesthésique et les réelles
capacités perceptives de son patient, pour une raison simple : si le lien entre ces trois
éléments est, de manière évidente, conçu comme « allant de soi », il est bien difficile à
mettre en évidence... Sauf à faire soi-même l’expérience d’une « prise de conscience »
de ses propres capacités à développer un mouvement harmonieux dans le contexte
incontournable de la gravité.
La Méthode Feldenkrais d’éducation somatique de Monsieur Moshé Feldenkrais
(1904 - 1984) est un outil qui permet d’accéder à cette « Prise de conscience ». Si tous
les soignants n’ont pas besoin de devenir des praticiens de la méthode, je suggère
l'hypothèse que chacun peut avoir besoin d’apprendre pour lui-même à mieux se
connaître sous l’angle du mouvement. C'est un moyen d'améliorer sa relation à lui-
même, et donc se préserver dans la relation d’aide qu’est la relation soignante. Par
l'apprentissage de mouvements effectués lentement et sans effort, il est mieux à même
de comprendre, par sa propre expérience, les effets des techniques qu’il entend
proposer à ses patients.
Mon atelier ne visait pas à proposer des recettes, mais à permettre de plonger un
moment dans une propre expérience sensorielle de la mise en mouvement afin de
construire un chemin vers une autre qualité d’être soignant.
2. Une expérience pratique.
Je n’ai donc proposé aucune recette. Sans doute de manière assez surprenante pour les
participants, j’ai très rapidement évacué tout aspect théorique. J’espère que ma volonté
1
2. de rester dans une praxis n’aura pas trop frustré les praticiens. Il était, de fait,
impossible, dans les quarante minutes imposées, d’aller ailleurs…
Au risque de décevoir, j’ai donc choisi un sentier buissonnier, afin que chacun puisse
conclure pour lui-même, à partir de ce vécu.
Ma conviction que quelque chose change dans la relation du soignant au patient, selon
cette même relation qu’il entretient à lui-même, n’est au fond qu’une conviction toute
personnelle. Mais chaque acte qui ponctue ma journée est nourri de ce raffinement de
mes propres sensations. Je tenais à faire partager, même de manière un peu trop
expéditive, cet enrichissement.
Il semblerait que chacun ait plus ou moins bien vécu cette mise à l’épreuve. Il y en eut
qui rentrèrent dans le jeu, d’autres qui ne le firent que timidement, avec une certaine
méfiance même, méfiance renforcée, momentanément par la réflexion d’un
photographe de passage sur l’aspect « secte », comme si s’étudier en mouvement
pouvait relever d’une démarche sectaire ! D’autres sont carrément restés en dehors,
par obligation puisque le nombre de places limité ne leur permettait pas d’entrer dans
la pièce.
Il ne s'agissait pas de théoriser sur le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur
cet autre qui entre dans nos cabinets, mais bien de rendre concret le changement qui
s'opère dès lors que notre attention à nos capacités d'être en mouvement se trouve
affinée.
Je donnerai un peu plus loin le texte de la leçon donnée, afin qu'elle puisse être
revécue par ceux qui hélas, demeurant debout, n'ont pu la vivre en direct.
Je vais toutefois maintenant donner quelques pistes de réflexions qui peuvent être
utiles.
3. Neurones miroirs, empathie: vers une neuro physiologie de la relation.
Si la neuro physiologie ne permet pas d'expliquer la totalité des comportements (et
heureusement), son évolution, ces vingt dernières années, permet de mieux connaître
quelques éléments neuronaux qui peuvent nous éclairer sur le thème que j'ai
délibérément choisi de présenter.
On sait, avec Antonio Damasio, dès les années 1990, qu'il existe ce qu'il a appelé des
« récepteurs somatiques » qui sont les relais entre le système nerveux central et
l'espace corporel pour ce que nous appelons les émotions. Je ne reviendrai pas ici dans
le détail sur les fonctions et relations mises en évidence dans les ouvrages de ce
dernier. Chacun pourra avantageusement se faire une opinion par la lecture directe des
ouvrages de Damasio1.
1 Antonio R. Damasio, L'erreur de Descartes, 1994; Le sentiment même de soi, 1999; Spinoza avait raison,
2005, tous chez Odile Jacob.
2
3. Établissons toutefois qu'avant de mettre un nom sur ce que nous appelons
communément nos « émotions », il nous vient, à travers nos récepteurs sensoriels, une
cartographie des modifications corporelles vécues lors d'un événement, cartographies
dont la géographie, encartées dans notre système nerveux central par des agencements
neuronaux acquis à travers notre expérience, nous permet d'établir et de nommer nos
émotions. Cette acquisition est bien entendu appelée à ce modifier par ce que les
neurophysiologistes appellent désormais notre neuroplasticité pour tenir compte sans
cesse des nouvelles expériences traversées.
Par ailleurs, dans son laboratoire, Alain Berthoz, met en évidence ce qu'il nomme un
sixième sens qui serait notre sens du mouvement. Il nous explique comment nos
mouvements sont tout à la fois un outil à notre disposition dans notre exploration de
notre environnement, mais aussi comment leur orgaisation se transforme au fil de ces
explorations, y compris comment notre mouvement peut avoir un lien direct avec nos
façons de nous émouvoir et de penser. Nous ne fonctionnons pas par une façon
moyenne de nous mouvoir mais par des évaluations approximatives qui tiennent
compte des nécessités de notre adaptation à notre environnement, donc de la
perception que nous en avons. Cette adaptation joue bien entendu dans notre
perception de l'autre. Si notre relation à l'autre modifie notre manière d'être en
mouvement, chacun de nos gestes, de nos modes d'organisation dans le mouvement et
dans l'action est imprégné de nos adaptations successives et en dit donc long, sans que
nous en ayant toujours conscience sur ce que nous sommes. Ce qui permet à Alain
Berthoz d'affirmer: « Nous devons nous intéresser à la perception et à l'action non
seulement parce que nous sommes pédagogues, ou ergonomes, ou médecins, mais
surtout parce que nous devons combattre la haine de l'autre »2.
Cette question de la conscience du substrat émotionnel de nos organisations
comportementales (sans chercher à faire du « comportementalisme ») et de la trace
laissée par notre appréhension de l'espace et des évènements à travers notre sens du
mouvement est encore éclairée par la découverte récente des neurones miroirs, établie
par l'équipe de recherche en neurophysiologie de Parme, autour de Giacomo
Rizzolatti3.
Cette découverte, qui vient compléter la notion de plasticité neuronale déjà évoquée ici
vient montrer que non content d'être dans l'action, notre système nerveux est capable
d'imaginer l'action, voire de la compléter lorsque cette action est accomplie par l'autre
sous notre regard.
Cette mise en évidence de notre capacité neuronale à imaginer l'action avant même de
l'accomplir, ou de nous mettre à la place de l'autre est venue compléter, sous le regard
de Alain Berthoz et Gérard Jorland4, les dispositifs déjà mis en évidence par Damasio
et Berthoz. Travaillant sur la notion désormais bien connue d'empathie. Notre
intention n'est pas tant d'anticiper sur les réactions de l'autre, mais bien de nous
confirmer que nous sommes bien dans le même monde que lui, que ce que nous
2 Alain Berthoz, Le sens du mouvement, 1997, Odile Jacob
3 Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, Les neurones miroirs, 2008, Odile Jacob
4 Alain Berthoz, Gérard Jorland et al, L'Empathie, 2004, Odile Jacob
3
4. ressentons n'est pas une hallucination mais la prolongation d'une « communication »
directe, de système nerveux à système nerveux.
Notre cerveau agit donc comme un organe de prédiction et de prévision, capable à la
fois d'ajuster nos mouvements aux évènements que nous rencontrons, mais aussi
d'anticiper sur les réactions des autres. Ces phénomènes, bien entendu, n'ont pas
besoin d'être conscients pour exister. Nombre d'entre nous vivons chaque jour cette
« Phénoménologie et physiologie de l'action5 » sans éprouver le besoin d'en prendre
conscience.
Si j'insiste un peu lourdement sur ces notions récentes des neurosciences, ce n'est pas
pour réduire l'ensemble de la relation soignant soigné à une « neurophysiologie » de la
relation. Il conviendrait d'ajouter au tableau les relations inconscientes qui s'établissent
et qui relèvent du « transfert », au sens freudien du terme et qu'il convient de ne pas
négliger. Ceci n'atténue en rien l'importance d'établir combien notre relation à nous
mêmes, la prise de conscience de notre état d'être somatique peut avoir un intérêt dans
la relation que nous établissons à cette autre souffrant qui vient nous implorer, à
travers notre empathie, d'apporter des solutions aux dysfonctionnements dont il
éprouve la douleur.
4. L'apport pertinent des méthodes d'éducation somatique et de la Méthode
Feldenkrais en particulier.
Le champ émergent de l'éducation somatique vise à regrouper toutes les méthodes
dont l'action porte sur le corps comme entité somatique, englobant la personne en
mouvement dans son environnement.
Elle inclut, outre la Méthode Feldenkrais, des méthodes telles que l'Eutonie Gerda
Alexander, la Méthode Matthias Alexander, les gymnastiques holistiques,
l'antigymnastique de Thérèse Bertherat, etc...
Il s'agit à partir d'une perception de notre organisation en mouvement, de prendre
conscience combien nos apprentissages, nos conditionnements nous entraînent à
construire des processus qui nous brident et nous restreignent dans nos capacités et nos
libertés, et à découvrir, par des mouvements lents, répétés de nouvelles adaptations
plus en harmonie avec cette constante physique constitutive de notre physiologie: la
gravité.
Modifiant notre rapport à la gravité, dans un mouvement plus harmonieux et
nécessitant moins d'effort, l'éducation somatique nous permet de mieux nous
comprendre, cernant avec plus de précision les « conditionnements » inconscients,
émotionnels, acquis qui nous façonnent.
5. Conclusion
Mes propos ici ne peuvent, hélas qu'effleurer un sujet fort vaste.
5 Alain Berthoz, Jean-Luc Petit, Phénoménologie et physiologie de l'action, 2006, Odile Jacob
4
5. On peut cependant, dans une conclusion qui n'en sera pas une mais qui se voudrait une
ouverture au débat et à la recherche, constater que les pédagogies de l'éducation
somatique, si elles nous permettent de mieux comprendre, à travers l'étude de nos
organisations dans le mouvement, rendant ainsi à notre conscience une appréhension
de ce que peuvent induire nos récepteurs somatiques décrits par Damasio à travers nos
émotions, et de comprendre comment nos actions influencent en retour notre manière
de nous mouvoir (A Berthoz), elles nous permettent aussi de nous rendre plus apte à
saisir ce qui se trame chez cet autre qu'est le patient.
C'est à une ébauche de cette ouverture que j'ai convié les participants à cet atelier,
faisant le pari que la qualité des interventions thérapeutiques des uns et des autres ne
pourrait que gagner à cette prise de conscience.
Je serai bien entendu vivement intéressé des retours qui pourront m'être fait et des
suggestions que cette trop courte expérience aura pu suggérer.
Manosque, 29 janvier 2009
Xavier Lainé
Annexe 1. Bibliographie non exhaustive
Outre les ouvrages déjà cités, on pourra avantageusement consulter:
- Gerald M. Edelman, Biologie de la conscience, Odile Jacob
- Jean-Didier Vincent, Voyage extraordinaire au centre du cerveau, Odile Jacob
- Richard Shusterman, Conscience du corps, éditions de l'éclat
- Bonnie Bainbridge Cohen, Sentir, ressentir et agir, L'anatomie expérimentale du Body-
Mind Centering, Nouvelles de Danse, Bruxelles
- Bernard Andrieu, Toucher, éditions Les belles lettres
- Moshe Feldenkrais, La puissance du moi, éditions Robert Laffont
- Moshe Feldenkrais, Le cas Doris, éditions Espace du temps présent
- Moshe Feldenkrais, L'être et la maturité du comportement, éditions Espace du temps
présentation
- Lawrence Wm Goldfarb, Articuler le changement, éditions Espace du temps présentation
- Thérèse Bertherat et Carol Bernstein, Le corps a ses raisons, éditions du Seuil
- Moshe Feldenkrais, L'évidence en question, éditions L'inhabituel
5
6. - Thierry Janssen, La solution intérieure, éditions Fayard
- Francisco Varella, Evan Thompson, Eleanor Rosch, L'inscription corporelle de l'esprit,
éditions du Seuil
- Norman Doidge, Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau, éditions Belfond
- Alain Berthoz, La décision, Odile Jacob
On pourra aussi faire un détour par Hegel et sa phénoménologie de l'esprit, par Merleau-
Ponty et tant d'autres que j'oublie ici...
Annexe 2. Une courte leçon de prise de conscience par le mouvement de la Méthode
Feldenkrais d'éducation somatique (Source: Sens-Habileté journal de l'association
québecuoise des praticiens de la Méthode Feldenkrais, Volume 1, numéro 3).
Asseyez-vous confortablement sur une chaise, les pieds à plat sur le sol.
1. Tournez votre tête vers la droite sans forcer. Remarquez jusqu’où vous pouvez tourner la
tête. Revenez au centre. Répétez le mouvement pour vous assurer de votre zone de confort
dans le mouvement.
2. Prenez votre main gauche et placez-la sur votre cou, en-dessous de votre oreille droite.
Appuyez ou serrez le gros muscle situé en-dessous de votre oreille (le sternocléïdomastoïdien)
sur le côté droit, avec vos doigts de la main gauche. Cela limitera l’action de ce muscle.
3. Expirez pendant que vous tournez la têt lentement à droite vers votre main, et puis tournez
votre tête vers la gauche. Répétez 2 ou 3 fois.
4. Laissez tomber votre main gauche et tournez vers la droite. Remarquez le changement dans
a capacité de rotation.
5. Levez votre main gauche et tenez de nouveau le muscle. Cette fois, en expirant et tournant
la tête, gardez vos yeux fixés au centre. Répétez 2 ou 3 fois.
6. Laissez tomber votre main gauche et tournez encore vers la droite. Remarquez
l’augmentation de la capacité de rotation.
Changez de côté et répétez. Le Changement est-il le même des deux côtés?
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