2. 3 journées particulières
La Love parade de Duisbourg (Allemagne) est un festival de musique techno qui réunit chaque année plusieurs
centaines de milliers de personnes.
Le festival se tient sur l'ancienne gare de marchandises de la ville et il faut passer par un tunnel de 200 mètres de long
sur 30 de large pour la rejoindre.
C'est dans ce tunnel que s'est déroulé le drame, le dimanche 25 juillet 2010. À la suite d'un mouvement de foule, des
centaines de personnes ont été piétinées. 21 sont décédées et plusieurs centaines blessées.
L'émotion en Allemagne a été considérable et les journaux ont largement couvert l'événement. Ils l'ont fait chacun à
leur manière, choc pour Bild, plus mesuré pour d'autres quotidiens.
Voici donc un regard sur les unes de ces quotidiens à travers 3 journées particulières :
1. le lendemain du drame, lundi 26 juillet, jour où chaque rédaction a du réagir à chaud
2. le surlendemain, mardi 27 juillet, période des premiers bilans, des premières questions et des premières mises
en cause
3. une semaine après, dimanche 1er août. La veille s'est tenue à Duisbourg une messe en présence de Christian
Wulff, Président, et d'Angela Merkel, chancelière d'Allemagne.
4. Titre: Le protocole de mort
Le titre est un simple constat. Il double en quelque sorte la
photo. Pour Bild, le temps n'est pas aux interrogations
La photo est terriblement forte. Elle occupe toute la Une.
C'est un close up sur le drame en train de se jouer.
L'image fera l'objet de plaintes auprès du Deutscher
Presserat (Conseil de Presse).
Outre que des victimes peuvent être reconnues, l'article
11 du Code de la Presse stipule que les organes de
presse doivent s'abstenir "d'une représentation trop
sensationnelle et inappropriée de la violence, de la
brutalité et de la souffrance."
5. Titre : 19 morts - pourquoi Duisbourg a-t-il voulu
faire des économies ?
Le titre n'est pas dans le registre émotionnel(à la
différence de Bild). Derrière la question, il ouvre une
première piste sur la recherche des responsabilités
La photo, moins saisissante que celle de Bild, est extraite
d'une vidéo qui montrait le sauvetage in-extremis de la
jeune femme en blanc, qui est tirée de la foule.
Mais on est bien dans le traitement photo "tabloïd"* avec
l'accent mis sur le drame humain.
6. Titre : 19 morts - la recherche des coupables
Le titre de la Süddeutsche Zeitung est sans équivoque.
Le temps de l'enquête est venu.
Mais à la différence de ses concurrents "sérieux" (FAZ
et Die Welt), il choisit de montrer le drame.
Pour cela il utilise une photo sur laquelle figure la jeune
femme hissée au dessus de la foule. Mais son choix est
plus "esthétisant" que celui du Hamburger Morgenpost.
En premier lieu parce que le corps de la jeune femme
épouse le dessin de l'escalier, mais surtout parce que
cette image renvoie à d'autres images "iconiques"
comme cette représentation, par Rubens, de la descente
du Christ de la croix
(Cette photo sera choisie par de nombreux autres
quotidiens)
(photo tableau de Rubens, Remi Jouan, Wikimedia commons)
7. Titre : Duisbourg, Questions sur la sécurité
Le titre de la FAZ "va de soi" en ce sens qu'il donne l'angle
retenu par le grand quotidien de Francfort pour traiter le
sujet.
La FAZ a choisi une photo prise "après" le drame. Elle est
dans des tonalités très froides (gris, bleu…), et met de la
distance avec le lieu de l'événement. On le voit à travers une
barrière, symbole d'éloignement.
C'est le même escalier que dans le Hamburger Morgenpost,
mais ici, le drame se lit en creux: les bâches bleues disposées
au pied de cet escalier dissimulent les corps des victimes
La photo accompagne le choix éditorial. Inutile de représenter
la tragédie,il faut déjà en aborder les raisons.
8. Titre : Après le vide
Le titre et la photo choisis par la Frankfurter Rundschau se
répondent.
Le quotidien a refuse de montrer le drame dans son
déroulement et a choisi d'exprimer le deuil, tel qu'il est
ressenti alors en Allemagne, à travers une photo certes
"vide", mais dont l'imaginaire est très fort. C'est dans ce
tunnel gris, éclairé à la lumière dure et blanche des néons
que ce sont engouffrés des milliers de personnes, 21 d'entre
elles allant vers la mort.
9. Titre : L'Allemagne pleure
Rarissime de voir à la Une d'un quotidien économique, un
titre trahissant une émotion. Ce choix du Handelsblatt
traduit bien celle qui s'est emparée de l'Allemagne
Pour le choix de la photo, le quotidien, a fait un choix
similaire à celui de la Frankfurter Rundschau, mais l'image
qu'il a retenue est loin d'avoir la même force expressive, car
le tunnel n'est pas "vide": son entrée est barrée par un ruban
de police et par un étrange bouquet de fleurs, trop apprêté
pour ne pas sentir la mise en scène.
Dommage, la photo affaiblit le titre.
10. Titre : Loveparade: Maintenant la recherche des
coupables
Les sens du titre et de la photo sont soigneusement
décalés à la Une de Die Welt.
Avec le titre, le quotidien tourne la page du drame
proprement dit. Il est déjà dans l'enquête. Ce faisant, il ne
peut pas dans sa photo de Une montrer l'événement lui-
même. Il lui faut donc trouver une photo symbolique.
Ce sera cette image quasi abstraite (même si l'on peut y
lire un visage) d'une paire de lunettes abandonnée sur le
sol. La froideur des couleurs (gris, blanc, bleu)exprime la
tristesse de l'événement.
11. Titre : Recherche des coupables
Le Welt Kompakt est une version plus ramassée du Welt,
destiné expressément à un public jeune.
Si les choix éditoriaux sont les mêmes, le titre de
manchette est plus court et plus direct.
Pour la photo de Une, la rédaction a choisi une photo
moins abstraite que celle de de son grand frère. On y voit
les "empreintes" des corps des victimes, dessinées par la
police à la craie. Un moyen de montrer les victimes sans
le faire réellement, en laissant place à l'imagination.
(Le Financial Times Deutschland choisira la même photo)
Un dessin qui tranche avec tous les menus objets très
colorés abandonnés par les participants à la Loveparade.
12. Titre: Duisbourg - Le risque était connu
La Une du journal est réussie en ce sens que l'éditorial et
l'iconographie se marient efficacement.
Pour illustrer le "risque", le Tagesspiegel a choisi une
photo prise du haut de ce qui semble être un entonnoir
(ou un chaudron), en bas duquel la foule est prise au
piège.
Les fumées que l'on aperçoit à droite de la photo renforce
encore l'aspect anxiogène.
14. Surtitre: Les victimes de la Loveparade
Titre : Qui va expier pour leur mort ?
Avec Bild titres et photos sont toujours étroitement
imbriqués, et les uns ne se lisent pas sans les autres.
En montrant les visages des victimes, en donnant
leur âge (avec la petite croix "signe" que la
personne est décédée) cette Une se veut clairement
un acte d'accusation contre X.
Pour mieux appuyer son "effet", le Bild oublie de
publier les photos de victimes plus âgées (le
Hamburger Morgenpost le fera)
15. Titre: Ils accusent
La Une du Hamburger Morgenpost est composée dans le
même esprit que celle du Bild, avec un titre encore plus
explicite.
Mais, la mise en page trop régulière est beaucoup moins
efficace.
Les photos n'ont pas été retravaillées en particulier les
cadrages.
16. Titre : 20 morts, 510 blessés
Difficile de faire un titre plus factuel. Délibérement, la
Süddeutsche Zeitung refuse tout sensationnalisme.
Ce refus se retrouve dans le choix de l'image de Une: deux
personnes qui se recueillent dans le tunnel devant un
reposoir improvisé avec une dizaine de bougie.
Ici, l'image, dans sa froideur accentue le factuel du titre.
Pour le quotidien l'heure est au bilan et il est terrible.
17. Titre : À la Love Parade plus de blessés que l'on ne le
pensait
La FAZ est fidèle à sa ligne de conduite: le titre est
purement factuel, tout comme l'est le sous-titre où il est dit
que le maire "refuse de démissionner face aux critiques".
Le choix de la photo est tout aussi intéressant. C'est le seul
quotidien qui montre une deuxième fois le lieu du drame
dans sa nudité. Tout est lugubre, le gris du béton et du
macadam, la pluie, les pauvres petits bouquets de fleurs
accrochés au grillage qui barre la route.
La force de l'image tient dans le femme en jupe rouge et
parapluie rouge. Le contraste des couleurs fait ressortir la
tristesse des lieux, mais surtout, elle nous donne un point
de vue. Le lecteur peut s'identifier: nous sommes du même
côté, celui de la vie, et nous pouvons partager son
émotion.
18. Titre : La ville accusée par la police
Deux jours après le drame, les responsabilités
commencent à se préciser, mais le quotidien local
qu'est le Rheinische Post reste prudent et
informatif.
En revanche, pour la photo de Une, il prend
délibérément le parti-pris de l'émotion avec cette
photo de "deux femmes en pleurs" (c'est la
légende). Photo explicite avec la croix en avant-
plan, qui rappelle que ce drame a fait des morts.
Cette croix (sous un autre angle) figurera en Une
du Berliner Morgenpost
19. Titre : Erreur sur erreur
Pour cet autre quotidien rhénan, la page commence à se
tourner et l'important devient les Championnats d'Europe de
Barcelone.
Toutefois, la Loveparade fait encore le "ventre" du journal
avec six colonnes sur sept.
Le titre "donne" le contenu de l'article, centré sur les
"erreurs" successives qui ont conduit à la catastrophe. Ici, il
n'y a pas —du moins dans le titre— de coupable désigné.
La photo (de l'agence allemande DPA) dépassionnée illustre
le travail de deuil que connaissent les Allemands, en
montrant une personne se recueillant devant les gerbes de
fleurs déposées sur le lieu du drame
20. Titre: 20 morts, plus de 500 blessés - le maire restera*
La photo ne répond qu'à la première partie du titre, celle
qui rappelle le terrible bilan du drame (il est en
augmentation par rapport à la veille).
Un choix logique, il paraissait difficile de mettre en une la
photo du maire. Pour le Tagesspiegel, deux jours après
l'évènement c'est le temps du deuil et du recueillement
nota: OB est l'abréviation de Oberbürgermeister
21. Titre : Loveparade: il y a eu assez
d'avertissements
La Loveparade ne mérite plus la manchette ni une
illustration. Il descend dans le "ventre" du journal.
On ne saurait plus clairement indiquer que Die
Welt n'est pas un journal de faits-divers.
Le titre annonce le thème de l'article : récit d'une
catastrophe annoncée.
22. Titre : Il y a eu assez d'avertissements
Sans surprise Welt Kompakt reprend le titre de son grand
frère, mais c'est dans la mise en page et l'iconographie qu'il
s'en démarque et qu'il affirme son positionnement auprès
d'un lectorat plus jeune.
Il installe sur un bon tiers de la page une photo qui montre
l'émotion ressentie par la jeunesse allemande, avec cette
image d'un jeune homme visiblement effondré devant un
parterre de fleurs.
23. Titre : Le responsable de la Loveparade
charge la police
Alors que Handelsblatt a déjà tourné la page
(vignette ci-contre), le FT Deutschland continue
de traiter le sujet et d'en faire sa manchette.
Il publie une photo tirée de la même série que
celle du Welt Kompakt, mais qui est moins forte
sur le plan émotionnel.
24. une semaine plus tard…
les journaux du dimanche
dimanche 1er août 2010
25. Titre : L'Allemagne prend congé des 21 victimes de la
Loveparade
Terrible loi de l'actualité qu'applique avec rigueur Bild. Une
information chasse une autre.
Bild (ici son édition du dimanche) a privilégié la sortie de
prison d'un animateur vedette de la télévision accusé de viol
avec violence sur les suites de la Loveparade. Il est vrai
qu'en terme d'information, il n'y avait pas de scandale, mais
seulement à parler d'une cérémonie œcuménique à laquelle
assistaient les principaux dirigeants du pays.
Le sujet de la Loveparade est encore en Une, mais de
justesse. Le titre pourrait presque être pris au pied de la
lettre.
26. Titre : Les pleurs après la danse macabre
Le Berliner Kurier est un tabloïd. Tout comme le Bild
am Sonntag, il privilégie l'information récente, car côté Lovep
il ne se passe rien de spectaculaire.
Résultat, le journal se contente du service minimum:
un petit encadré en haut à gauche avec une photo des
amies des victimes tenant chacune un cœur.
27. Titre : "La Loveparade est devenue une danse de la
mort"
Le Berliner Morgenpost reprend en titre la phrase
prononcée par le pasteur Nikolaus Schneider lors de
l'office œcuménique du samedi 30 juin.
Un titre "d'émotion" auquel répond l'image d'un homme
enlaçant deux jeunes femmes.
Signe de deuil, l'ensemble du sujet
sur la Love Parade est inscrit sur un fond noir.
28. Titre : Adieu à Duisbourg
Difficile d'imaginer choix plus opposé et plus radical à
celui du Bild et des autres tabloïds que celui fait par la
Frankfurter Allgemeine.
La manchette (7 colonnes à la Une!) est consacrée à la
commémoration du drame et au compte-rendu de la
cérémonie de samedi.
Trois photos montrent différents aspects de cette journée:
foule rassemblée, officiels alignés lors de l'office
œcuménique, moment de recueillement devant une croix,
etc. Cette petite séquence raconte l'histoire de la journée,
ou plutôt la fait ressentir.
La mise en page très horizontale, le gris du texte, font
ressortir les trois images aux couleurs fraîches et vives:
vert tendre, violet de la soutane du prêtre auquel répond de
l'autre côté la tache violette d'un manteau.
29. Titre : Un pays fait ses adieux
Welt am Sonntag a choisi de rendre compte de la cérémonie
par une photo, dans laquelle le titre est incrusté.
Une manière de rendre compte de l'événement en douceur,
mais qui rend le choix de la photo essentiel, car c'est elle —et
elle seule— qui porte l'information.
Pour traduire l'événement, Welt am Sonntag a donc retenu
cette image où l'on voit un jeune homme l'air grave et pensif,
tenant une rose blanche à la main. Une manière de boucler la
boucle: ce jeune homme "qui dit adieu" aurait pu faire partie
des victimes.
30. Titre : Se souvenir - Deuil - Rage
L'édition dominicale du Tagesspiegel résume en trois mots
l'état d'esprit des participants aux cérémonies du samedi.
La photo montre la douleur des sauveteurs venu se
recueillir. Le journal a choisi de privilégier cette photo (les
anonymes, les sans grades) sur celle représentant les
personnalités venues assister à la cérémonie œcuménique,
car elle traduisait mieux le titre.