1.
REVUE
SOCIOLOGIE
INTERVIEW
D’ALFREDO
GUEVARA
Interview
produite
par
Mason
et
Dixon,
Clément
Zablocki
en
a
assuré
la
réalisation,
preneur
de
son
:
Sergio
Muñoz
Torres
Menée
par
Ariel
Wood
et
Xavier
d’Arthuys
Alfredo
Guevara,
parlez-‐
nous
de
vous,
enfant
:
Je
ne
sais
pas
très
bien.
De
toutes
façons,
je
veux
qu’une
chose
soit
bien
claire.
Je
ne
veux
pas
de
biographie.
Cela
ne
m’intéresse
pas.
Enfant,
je
n’ai
jamais
été
très
heureux
parce
que
ma
santé
était
fragile.
Je
me
souviens
seulement
d’impressions
très
fortes:
nous
habitions
en
famille
au
bord
du
Malecón*
à
la
fin
de
la
dictature
de
Gerardo
Machado
(1925-‐1933),
j’ai
vu
le
corps
d’un
tortionnaire,
un
monstre,
traîné
derrière
une
voiture.
Ma
mère
m’a
caché
les
yeux
et
je
l’ai
entendue
me
dire
:
«c’est
un
requin,
c’est
un
requin
!».
J’ai
compris
beaucoup
de
choses
avec
mes
yeux…
mais
sur
mon
enfance
je
confonds
entre
ce
que
j’ai
vu
et
ce
qu’on
m’a
raconté…
En
tous
cas,
ce
qui
est
sûr,
c’est
qu’on
m’a
formé
à
être
rebelle.
Mon
père
était
franc-‐maçon.
Cette
génération
cubaine
était
avant
tout
franc-‐maçonne.
Je
saurai
bien
après
que
ce
réseau
m’a
sauvé
la
vie
quand
j’ai
été
au
bord
de
la
mort.
Une
partie
de
ma
famille
a
lutté
dans
les
Guerres
d’Indépendance
et
les
héros
de
notre
Patrie
étaient
maçons...
Mais
ce
sont
surtout
les
républicains
espagnols
réfugiés
à
Cuba
qui
m’ont
formé.
Ils
ont
d’ailleurs
formé
toute
ma
génération.
Et
puis,
des
gens
comme
Juan
Ramon
Jiménez,
et
en
particulier
María
Zambrano…
Ma
mère
n’était
pas
spécialement
catholique.
Elle
l’était
comme
tous
les
cubains,
pratiquante,
sans
plus.
Pouvez-‐vous
nous
parler
de
vos
Maîtres
?
Non
car
je
n’ai
pas
eu
vraiment
de
maîtres…
si,
un
:
José
Martí*.
Mais
en
fait,
ce
n’est
pas
d’abord
une
personne,
c’est
plutôt
quelque
chose
:
c’est
la
lecture
de
José
Martí.
Ses
œuvres
nous
ont
amené
à
la
conclusion
qu’il
fallait
faire
quelque
chose…
Jouer
un
rôle,
transformer
le
pays.
En
cela,
je
peux
dire
que
j’ai
toujours
voulu
être
protagoniste.
Cette
génération
s’est
formée
autour
de
Martí
(autour
de
1953,
centenaire
de
sa
naissance),
et
est
ainsi
passée
de
la
conscience
à
quelque
chose
de
plus.…
2.
A
l’âge
de
dix
neuf
ans,
je
rentre
à
l’Université
de
La
Havane
à
la
Faculté
de
Lettres
et
Philosophie
et
en
même
temps
j’étudie
l’Histoire
de
l’Art
avec
de
merveilleux
professeurs
cubains
et
aussi
des
architectes
qui
avaient
l’obsession
de
la
nouvelle
architecture.
Et
tous
ensemble,
nous
avons
«pris»
l’Université
pour
la
réformer…
En
face
de
la
Fac,
il
y
avait
le
siège
de
la
Fédération
des
Etudiants
Universitaires
(F.E.U.).
A
cette
époque,
j’avais
déjà
alors
des
plans
politiques
très
précis.
Cette
Université,
c’est
mon
royaume,
ma
source,
d’ailleurs
je
veux
que
mes
cendres
soient
dispersées
dans
le
Grand
Escalier
de
l’Université
que
j’ai
monté
et
descendu
tant
de
fois
et
qui
m’a
inspiré.
Et
c’est
là,
dans
cette
Faculté,
que
vous
commencez
à
vous
organiser
et
à
militer.
Les
premières
bagarres
que
nous
avons
livrées
à
l’Université
furent
celles
contre
les
gangsters
qui
étaient
introduits
à
la
Fac
et
payés.
Nous
avons
formé
le
Comité
du
30
septembre,
anniversaire
de
la
mort
de
Trejo*.
Nous
étions
en
train
de
fonder
un
parti
politique
étudiant.
Nous
avions
conscience
qu’il
fallait
faire
une
Révolution.
Mais
nous
n’avions
pas
de
leader.
Nous
sommes
dans
les
années
1945-‐46
:
c’est
la
fin
de
la
Guerre
Mondiale.
Ma
génération
avait
une
immense
inquiétude
politique.
La
Guerre
d’Espagne,
le
fascisme,
Roosevelt,
Churchill,
l’U.R.S.S…
Alors
naît
une
période
d’illusions.
Est
ce
qu’il
y
avait
des
dissidences
dans
les
rangs
des
étudiants
?
Non.
Il
y
avait
d’un
côté
les
gens
de
gauche
et
de
l’autre
les
phalangistes
catholiques.
Il
ne
faut
pas
oublier
qu’à
Cuba,
chaque
famille
avait
«quelque
chose»
d’espagnol…
Cuba
est
la
dernière
province
d’Amérique
à
se
séparer
de
l’Espagne.
Et
puis
il
y
avait
le
milieu
anarchiste.
Les
anarchistes,
les
dockers…
moi
je
fréquentais
ces
milieux.
Il
y
avait
aussi
des
curés
canadiens.
Mais
il
n’y
avait
pas
de
crispation,
sauf
contre
les
gangsters.
Notre
action
et
nos
sentiments
allaient
vers
la
fraternité
universelle.
Nous
voulons
vous
poser
une
question
très
personnelle,
presque
familiale.
Vous
avez
été
torturé…
Oui
et
c’est
la
souffrance
qui
m’a
transformé.
D’abord
il
faut
que
vous
sachiez
que
ce
n’est
pas
la
première
fois
que
je
suis
arrêté
par
les
sbires
de
Batista.
Quelques
fois
même
j’ai
profité
de
la
prison
pour
alphabétiser…
Quand
je
suis
arrêté,
Fidel
est
dans
la
Sierra.
J’ai
alors
un
rôle
de
passerelle
entre
le
P.S.P.
Partido
Socialista
Popular
(communiste)
et
le
Mouvement
du
26
juillet*
La
situation
est
très
conflictuelle,
un
incident
toutes
les
trois
minutes
dans
la
rue.
Les
plus
visés
étaient
les
leaders
étudiants.
Je
suis
avec
Echeverría*,
leader
étudiant
de
l’Université
de
La
Havane,
dit
«Manzanita»,
«Petite
Pomme»
et
il
rentre
là
où
j’étais,
dans
un
appartement
où
on
faisait
des
montages
de
films
pour
les
détourner
contre
la
dictature
3.
de
Batista.
Je
sors
et
je
suis
en
bas
de
l’Avenue
Presidentes.*
Une
voiture
passe
à
toute
vitesse.
Je
me
souviens
du
visage
d’une
femme
à
l’allure
épouvantable
à
la
fenêtre
du
véhicule.
Je
cherche
à
me
cacher
(toute
la
bourgeoisie
havanaise
alors
n’était
pas
partisane
de
Batista,
on
pouvait
être
caché
par
des
gens
des
beaux
quartiers).
La
voiture
fait
marche
arrière
et
freine
bruyamment.
J’ai
encore
aujourd’hui
peur
des
coups
de
freins…
Et
je
suis
à
nouveau
entre
les
mains
des
sbires
de
Batista.
On
me
conduit
au
commissariat
de
la
rue
Zapata.
Au
sous-‐sol,
ils
avaient
installé
une
salle
de
torture.
J’en
ai
encore
les
séquelles.
Et
je
n’en
dirai
pas
davantage.
Mais
un
jour,
un
policier
s’est
approché
et
m’a
dit
:
«tu
sais
qu’ils
vont
te
tuer…
Donne-‐moi
un
numéro
de
téléphone».
Celui
qui
m’est
venu
à
l’esprit
était
celui
d’une
cousine
germaine,
consul
à
Buenos
Aires.
Elle
était
à
La
Havane.
Alors,
les
femmes
liées
à
la
pensée
de
José
Martí
se
sont
mobilisées
(elles
appartenaient
à
la
grande
bourgeoisie)
et
mon
père
a
mobilisé
la
franc-‐maçonnerie.
Je
suis
sorti.
«Si
tu
retombes
dans
nos
mains…!»
m’ont-‐ils
dit
en
me
relâchant…
Alors
Fizin*,
chirurgien
esthéticien,
m’a
transformé
physiquement
mais
aussi
psychologiquement.
On
peut
aussi
tromper
l’ennemi
par
un
changement
de
comportement.
Par
la
suite,
pendant
toute
la
lutte
clandestine,
ils
ont
continué
à
intriguer
ma
famille.
Je
suis
alors
rentré
dans
la
clandestinité
profonde.
Et
je
suis
parti
à
Mexico.
Quelle
relation
entretenez-‐vous
avec
la
violence
et
les
armes
?
Aucune,
mais
elles
exercent
sur
moi
une
vraie
fascination…
Je
n’ai
jamais
eu
peur,
sauf
au
moment
de
la
souffrance.
A
côté
de
moi,
j’ai
toujours
senti
une
force…je
ne
suis
pas
religieux,
les
miracles
n’existent
pas
mais
ils
surviennent,
ils
se
donnent…
on
m’a
dit
que
j’étais
protégé
par
les
dieux
-‐
auxquels
je
ne
crois
pas
-‐
mais
s’ils
existaient
à
côté
de
moi,
je
préférerai
que
ce
soient
les
dieux
de
l’Olympe
car
ils
m’enchantent.
Mais
la
vraie
question
à
l’époque
de
la
préparation
de
la
Révolution
était
comment
on
pouvait
la
faire
avec
un
mauser,
une
carabine,
un
pistolet
45
et
un
je
ne
sais
quoi
encore
!!
Comment
à
cette
époque,
votre
génération
voyait
le
monde
?
Pensez
vous
qu’il
y
avait
une
différence
entre
la
perception
de
l’Europe
et
celle
de
l’Amérique
?
L’illusion
et
l’horreur
se
mélangeaient.
Nous
savions
les
camps
et
Hiroshima.
J’aimais
énormément
Israël
(de
jeunes
juifs
ont
lutté
avec
nous).
Bien
sûr
nous
savions
que
les
camps
de
concentration
avaient
existé,
que
des
homos,
des
handicapés,
des
gitans
avaient
été
gazés
et
j’ai
su
bien
plus
tard,
grâce
à
Semprun,
que
des
républicains
espagnols
aussi.
Alfredo
Guevara,
aujourd’hui
comment
vous
définiriez
vous
?
Anarcho-‐libertaire.
Cette
affirmation
vient
de
ma
longue
réflexion
et
expérience
de
ce
que
c’est,
de
ce
que
doit
être
le
socialisme.
Je
crois
que
le
socialisme
libertaire
est
4.
possible.
Et
si
je
réfléchis
à
ma
personnalité
aujourd’hui,
à
la
fin
de
ma
vie,
je
crois
que
par
chance,
ceci
fait
partie
de
ma
personne.
Je
me
déclare
donc
socialiste
libertaire.
C’est
à
dire
le
socialiste
qui
place
la
liberté
comme
principe
pour
parvenir
à
l’autonomie
de
la
pensée.
Figurez
vous
que
mon
premier
ami,
compagnon
de
lutte
et
de
réflexion,
Jimmy,
était
un
docker
noir
américain.
Il
m’a
avoué
un
jour
qu’il
était
communiste…
Le
premier
communiste
que
j’ai
connu
et
écouté
était
américain…(rires)
Aujourd’hui
encore
je
veux
que
l’éventail
de
mes
préoccupations
soit
le
plus
ouvert
possible.
Il
ne
faut
pas
se
laisser
enfermer
dans
une
seule
pensée,
un
seul
vecteur.
Je
crois
que
dans
la
société
cubaine
est
arrivé
le
moment
où
nous
devons
davantage
penser
à
la
science
et
à
la
technologie.
Je
me
définirai
aussi
comme
une
voix.
Je
ne
cesse
aujourd’hui
de
me
poser
des
questions
qui
n’ont
pas
de
réponses
apparentes.
Ce
sont
en
fait
les
questions
latentes
de
la
société
qui
me
dépassent.
Je
vis
dans
un
système
et
j’ai
participé
depuis
le
début
à
sa
création
avec
une
vision
spirituelle
et
intellectuelle
qui
doit
se
convertir
en
quelque
chose
de
tangible
et
viable
pour
qu’il
y
ait
plus
de
justice,
de
justice
sociale,
davantage
d’égalité
des
chances
pour
donner
les
moyens
aux
nouvelles
générations
de
croître.
Je
suis
un
témoin.
Et,
comme
quelques
personnes
m’écoutent,
je
ne
cesse
de
dire
qu’il
ne
faut
pas
nous
tromper
une
nouvelle
fois.
Je
pense
en
disant
cela
à
l’enseignement.
Je
suis
assez
optimiste.
Il
faut
laisser
tomber
ces
textes
absurdes
qui
forgent
des
contresens
dans
la
philosophie
et
conduisent
à
la
négation
de
la
philosophie.
Alfredo,
on
vous
connaît
comme
un
homme
moitié
artistique,
moitié
politique.
Vous
avez
toujours
défendu
les
deux,
comment
croyez
vous
aujourd’hui
qu’on
puisse
préserver
l’équilibre
entre
la
liberté
artistique
et
la
liberté
politique
?
Je
ne
me
sens
pas
moitié
artistique
et
moitié
politique
:
la
politique
est
culture…
Je
crois,
absolument…
le
mot
«
absolument
»
est
horrible
mais
là,
je
crois
qu’il
faut
l’employer.
Je
crois
en
termes
absolus
que
la
politique
sans
culture
n’est
pas
une
politique.
Je
veux
dire
le
politique
et
la
pratique
de
la
politique
qui
ne
partent
pas
d’une
grande
formation
intellectuelle
conduisent
tout
simplement
à
l’invasion
de
l’ignorant
ou
de
l’ignorance
qui
conduisent
à
des
terrains
vagues.
Ceci
a
eu
lieu
plusieurs
fois
dans
l’Histoire
et
même
très
récemment.
Je
crois
que
le
champ
de
la
philosophie,
est
aussi
le
champ
de
la
politique,
ou
pour
le
moins
devrait
l’être,
et
ici
je
me
réfère
à
la
culture
occidentale,
la
nôtre
ou
la
plus
proche,
depuis
les
grecs
(mais
laissons
les
grecs
pour
l’instant)
et
prenons
ce
qui
est
encore
actuel.
Les
pré-‐hégéliens
et
jusqu’à
Kant,
ont
essayé
de
donner
des
réponses
à
de
nombreuses
questions
sur
la
Raison.
Hegel
a
favorisé
un
petit
saut
et
alors,
lorsqu’apparaissent
les
neo-‐hégéliens
et
parmi
eux
principalement
Karl
Marx,
d’aucuns,
interprètes
de
la
politique,
arrivent
à
la
conclusion
de
la
fin
de
l’Histoire.
Ce
n’est
pas
vrai.
La
recherche
philosophique
va
continuer
à
être
éternelle
et
chez
Marx
même
existe
cette
idée
de
l’infini
de
la
recherche.
Et
je
crois
que
tous
les
points
de
vue
qu’on
a
donné
et
qu’a
donné
notre
système,
surtout
les
premières
années,
dans
l’étude
de
la
philosophie
politique
à
partir
de
Marx,
furent
des
erreurs.
Je
me
réjouis
de
voir
que
5.
nous
avons
entamé
une
rectification
profonde.
Il
est
tellement
absurde
de
prétendre
enseigner
les
valeurs
pour
comprendre
la
société,
les
structures
économiques
etc…
à
partir
d’un
marxisme
sclérosé
qui
ne
peut
provoquer
qu’un
bâillement.
Il
faut
tendre
vers
le
contraire
de
«j’ai
tout
trouvé»
et
aller
vers
:
«je
suis
arrivé
jusqu’ici,
continuons
à
chercher
parce
que
la
réalité
est
infinie.»
Ma
passion,
c’est
la
philosophie.
Je
veux
dire
aussi
que
j’entretiens
une
relation
très
étroite
avec
le
hasard.
Surtout
quand
je
regarde
ce
qui
m’est
arrivé
lors
de
la
Révolution
de
1930,
le
Bogotazo,
le
Coup
d’Etat
de
52
,
l’attaque
du
Moncada,
1959,
Mai
68…Les
choses
les
plus
folles
du
monde
me
sont
arrivées,
je
suis
toujours
là
où
il
se
passe
quelque
chose.
Quelle
relation
entretenez
vous
avec
la
religion
et
comment
souhaitez-‐vous
parler
de
votre
spiritualité
?
Parlons
d’abord
de
la
religion
:
Pourquoi
faut-‐il
toujours
représenter
le
Christ
mourant
la
tête
en
bas
?
Non.
Par
exemple,
j’ai
pris
une
représentation
du
Christ
pour
la
dernière
affiche
du
Festival
de
Cinéma
mais
c’est
un
Christ
qui
a
la
tête
haute.
La
spiritualité
?
Je
vous
ai
déjà
parlé
de
ma
formation
à
la
lecture
de
Saint
Augustin,
j’y
ai
trouvé
beaucoup
de
choses,
la
lecture
de
ses
œuvres
a
été
déterminante
mais
en
réalité
ma
passion
fut
d’abord
la
philosophie
grecque
et
Platon.
Et
lentement
je
suis
arrivé
à
Plotin
et
aux
neo-‐platoniciens.
C’est
Alejo
Carpentier*
qui
m’a
initié
et
conduit
à
eux.
A
Paris,
il
m’a
amené
dans
les
grandes
librairies,
surtout
à
la
Librairie
des
Belles
Lettres
à
deux
pas
de
la
Sorbonne.
Et
à
partir
de
là,
je
suis
allé
vers
la
culture
classique,
antique,
je
la
nomme
«antique»
parce
que
pour
moi
c’est
hier
et
elle
s’est
christianisée,
pas
elle
mais
l’Eglise
en
l’absorbant
et
l’enrichissant.
J’ai
fréquenté
les
théologiens,
je
ne
parle
pas
du
catéchisme.
Ce
qui
me
plaît
le
plus,
c’est
la
charge
poétique
qui
montre
comment
l’être
humain
essaye
de
s’expliquer
le
monde,
et
cela
sans
contradiction
avec
le
matérialisme
historique,
sans
le
«chi
chi
chi
cha
cha
cha».
Tout
cela
peut
vivre
ensemble
de
façon
harmonieuse.
Et
ces
lectures,
ces
rencontres,
cet
esprit
dirions
nous,
vous
conduisent
vers
le
socialisme
et
à
la
Révolution
?
D’abord,
je
vous
le
disais
en
commençant
ces
entretiens,
nous
étions
baignés
dans
le
rêve
et
l’utopie
à
partir
des
notions
et
des
projets
de
liberté
et
d’égalité.
Il
y
avait
comme
une
obligation,
je
parlerai
d’une
prédestination.
Je
tiens
beaucoup
à
cette
notion,
qui
est
pour
moi
une
définition
de
ce
que
nous
avons
voulu
faire
:
c’est
à
dire
un
socialisme
de
la
liberté.
Il
n’y
a
pas
de
socialisme
sans
liberté.
Je
parle
de
socialisme
libertaire
à
partir
de
«la»
personne
avec
une
autonomie
de
la
pensée.
Ce
socialisme
doit
être
construit
par
l’être
cultivé
qui
se
doit
à
l’obligation
du
savoir,
obligation
merveilleuse.
Les
gens
ont
le
droit
d’être
ignorants
mais
quand
les
ignorants
ont
le
Pouvoir,
ils
deviennent
des
monstres
!
Je
le
répète,
la
politique
sans
culture
n’est
rien.
Combien
de
fois
avez
vous
rencontré
Karl
Marx
?
6.
De
très
nombreuses
fois
(rires
!)
Le
marxisme
est
une
vraie
pensée
qu’on
a
voulu
scléroser.
Marx
est
un
des
premiers
penseurs
de
la
science.
Et
la
philosophie,
c’est
aussi
la
science
:
Descartes,
Pascal,
Leibnitz…
Fidel
a
écrit
qu’il
me
reprochait
de
ne
pas
lui
avoir
mis
Marx
entre
les
mains
dès
le
début,
mais
au
début,
je
ne
connaissais
pas
Marx,
pas
plus
que
lui.
Après,
oui,
quand
l’inquiétude
philosophique
s’est
convertie
en
préoccupation
politique,
J’ai
avalé
Le
Capital.
Littéralement
«
avalé
»,
c’est
pas
facile
!
Et
je
l’ai
«
repris
»
récemment
pour
des
raisons
idéologiques
car
je
ne
pouvais
pas
laisser
dire
certaines
choses
sur
la
justification
du
stalinisme.
Je
suis
toujours
prêt
pour
la
polémique
…
nous
sommes
encerclés
de
chiens.
Entre
parenthèses,
la
réflexion
de
Marx
sur
Bonaparte
est
extraordinaire.
Parlons
maintenant
de
Fidel
Castro
et
d’abord
racontez-‐nous
votre
première
rencontre
Ce
fut
à
la
Fac,
face
à
la
F.E.U.
(Fédération
des
Etudiants
Universitaires).
Il
faut
d’abord
que
je
vous
parle
d’un
émissaire,
l’archange
par
qui
le
mystère
s’est
accompli,
j’avais
dix-‐
neuf
ans
et
un
jeune
homme
vient
me
voir
«Alfredo,
tu
ne
me
connais
pas
mais
moi
je
te
connais.
Fidel
veut
te
rencontrer».
Fidel
était
rentré
à
la
Fac
de
Droit
et
venait
souvent
dans
notre
Fac
car
il
y
était
amoureux
d’une
fille
qui
était
dans
notre
classe.
J’ai
décidé
d’aller
à
la
Fac
de
Droit
et
d’aller
voir
ÇA.
Et
«
çà,
»,
c’était
Fidel.
Je
suis
sorti
de
cette
toute
première
rencontre
en
me
disant
:
«Il
sera
le
prochain
José
Martí
ou
le
pire
des
gangsters…»
C’était
un
grand
agitateur,
un
bagarreur.
Et
nous
avons
commencé
à
le
«capter»
avec
la
question
:
«qui
va
capter
qui
?»
Il
s’est
imposé.
Nous
l’avons
accepté,
nous
l’avons
suivi.
Nous
allions
dans
des
maisons
d’hôtes,
des
lieux
de
rencontres.
«
La
Bombonera
»
par
exemple.
Nous
nous
rencontrions
tous
les
soirs
calle
(rue)
Infanta.
Fidel
arrivait
et
embarquait
l’un
de
nous
pour
la
«conspiradera»
(la
«
conspiration).
Il
était
toujours
en
train
de
préparer
un
coup.
Nous
nous
réunissions
aussi
dans
«una
casa
de
comida»
(un
bistrot),
celui
de
«las
Gallegas»
(«des
Galiciennes»).
C’est
ainsi
que
surgit
un
leader…
Ce
n’est
pas
satisfaisant
(
?)
mais…
La
meilleure
définition
est
peut
être
celle
de
l’homme
lucide.
Une
lucidité
permanente.
Après
et
toujours
s’est
établie
une
proximité
amicale
entre
nous
deux.
Le
mot
qui
me
vient
à
l’esprit
est
celui
de
complicité.
Je
peux
vous
raconter
l’anecdote
du
premier
voyage
de
Fidel
à
Moscou.
Je
le
vois
tout
à
coup
apparaître
dans
ma
chambre
d’hôtel.
Vous
pouvez
imaginer
la
perplexité
des
services
de
Sécurité.
«J’en
peux
plus…»,
s’exclame-‐t-‐il…
il
s’allonge
sur
le
lit
et
fait
une
sieste.
(rires).
Il
est
resté
quatre
heures
avec
moi
ce
qui
a
fait
qu’on
a
mis
à
mes
côtés
un
général
soviétique
parce
qu’on
s’est
dit
là
bas
que
j’étais
quelqu’un
de
très
important.
7.
Mais
peut
être
faut
il
revenir
en
arrière
et
revenir
à
ce
qui
a
été
votre
première
action
et
en
tout
cas
«coup
d’éclat»
avec
Fidel,
à
Bogota,
en
1948,
lors
de
ce
qu’on
nomme
le
«Bogotazo»
?
Encore
le
hasard.
Un
sénateur
du
Pérou
est
venu
pour
que
nous
participions
à
un
mouvement
contre
la
présence
anglaise
en
Argentine.
Cette
conférence
était
organisée
par
les
péronistes.
Et
en
plus,
c’était
important
de
sortir
Fidel
de
Cuba
pour
des
raisons
de
sécurité.
Cette
conférence
se
faisait
en
marge
de
la
réunion
de
l’Organisation
des
Etats
américains
(O.E.A.)
Et
tous
ces
étudiants
commencent
à
manifester
dans
les
rues
de
manière
très
intempestive.
C’est
à
cet
instant
que
Gaitán,
le
leader
du
Parti
libéral
colombien,
candidat
à
la
Présidence
de
la
République
est
assassiné.
En
45
minutes,
la
folie,
le
chaos
s’emparent
de
la
ville.
L’insurrection
explose
en
moins
de
24
heures.
La
panique
s’installe.
Et
soudain,
nous
perdons
Fidel.
La
foule
scandait
:
«Gaitán,
Gaitán
…
!»
Fidel
passe
devant
un
commissariat
et
prend
une
arme
et
disparaît…Quand
je
le
retrouve,
je
lui
prends
son
arme
et
la
jette
dans
un
égout…Il
ne
veut
pas
la
lâcher…
Je
sais
qu’il
a
raconté
les
choses
différemment
mais
moi
je
vous
dis
que
çà
s’est
passé
comme
çà.
Nous
fuyons
dans
un
avion
improbable.
Avec
une
troupe
de
théâtre,
nous
faisant
passer
pour
deux
acteurs.
Selon
vous,
comment
Fidel
Castro
s’est-‐il
converti
au
communisme
?
Et
pourquoi
ne
pas
employer
le
mot
«socialisme»
?
Au
départ
et
jusqu’au
Bogotazo,
Fidel
était
un
justicier.
C’est
pourquoi
il
séduisait.
Il
avait
des
idées
libertaires.
Ma
pensée
sur
la
société
était
plus
structurée
que
la
sienne.
Chez
lui,
on
assiste
à
un
long
processus.
Dans
l’avion
qui
nous
ramène
de
Bogota,
(cette
histoire
que
je
ne
voulais
pas
vous
raconter
avant
hier,
aujourd’hui
pour
la
première
fois
je
vais
la
raconter).
Fidel
me
dit
qu’il
veut
aller
lire
à
Birán*
et
lire
le
marxisme.
Cela
ne
veut
pas
dire
que
je
lui
ai
donné
des
livres…
Moi
même,
je
vous
l’ai
dit,
je
n’avais
pas
beaucoup
lu
ces
livres
là…
Je
ne
peux
pas
dire
si
c’est
ce
moment
celui
de
sa
conversion
mais
le
Bogotazo,
c’est
un
peu
comme
le
voyage
du
Che
à
moto…
Et
c’est
surtout
à
Bogota
que
nous
prenons
conscience
de
l’état
pratiquement
colonial
des
pays
d’Amérique
latine.
Fidel
prend
alors
conscience
que
le
triomphe
est
possible.
Toute
cette
histoire
est
le
développement
de
notre
conscience.
Le
long
chemin
de
la
déroute*
à
la
victoire
de
1959.
8.
A
la
suite
de
cela
et
accompagné
de
livres,
Castro
vit
et
travaille
avec
un
groupe
très
restreint
de
personnes.
Arrive
Ernesto
Guevara
qui
va
bientôt
être
appelé
El
Che,
à
Mexico,
donc
pendant
l’exil
de
Fidel
et
après
la
prison.
Je
n’étais
pas
là.
Alors
là
oui,
on
peut
dire
que
Fidel
est
devenu
marxiste.
Martí
écrit
:
«…
pour
pouvoir
les
réaliser,
certaines
choses
se
doivent
d’être
occultes
et
si
on
les
proclamait
pour
ce
qu’elles
sont,
elles
soulèveraient
de
très
rudes
difficultés…
»
En
effet,
Martí
a
tu
certains
éléments
essentiels
de
sa
stratégie,
unissant
les
différents
secteurs
de
la
Guerre
d’Indépendance
pour
nourrir
le
nouveau
soulèvement
et
c’est
seulement
tout
à
la
fin
qu’il
dit
:
(c’est
pratiquement
son
testament
politique),
«
je
ferai
tout
pour
empêcher
à
temps,
par
l’Indépendance
de
Cuba,
que
les
Etats
Unis
ne
s’étendent
dans
les
Antilles
et
ne
retombent,
avec
cette
force
de
plus,
sur
nos
terres
d’Amérique.»
Il
faut
comprendre
que
tous
les
proches
de
Martí
étaient
prêts
à
penser
en
termes
socialistes.
Non
pas
parce
que
Martí
fut
socialiste
ou
eut
des
tendances
socialistes.
Même
les
chrétiens
étaient
prêts,
les
vrais.
Et
je
crois
que
dans
l’Evangile,
il
y
a
déjà
tout
çà.
Beaucoup
plus
tard,
Chavez
s’en
servira.
Fidel
moins
mais
n’oublions
pas
qu’il
a
été
éduqué
par
les
jésuites…qui
sont
des
guerriers…
Cuba
est
une
petite
île
forte
de
son
identité.
A
Mexico,
avec
l’équipe
du
Granma*
Fidel
avait
alors
avancé
et
il
était
socialiste.
Avec
toute
la
complexité
du
socialisme.
Et
pas
un
pouce
de
stalinisme.
Considérez-‐vous
que
vos
deux
chemins
fûrent
parallèles
?
Nos
caractères,
non,
les
«
idées
»,
oui.
Je
préfère
employer
ce
mot,
plutôt
que
«idéologie»,
et
les
idées
se
sont
converties
en
solution.
Nous
avons
été
unis
par
les
idées.
Il
fallait
suivre
Fidel.
C’est
le
moment
où
Fidel
se
transforme
en
leader.
On
commence
à
attaquer
le
gouvernement
corrompu.
L’Université
était
une
force
incontournable
et
le
gouvernement
en
avait
peur.
Nous
devions
chasser
les
gangsters
avec
des
armes,
vraies
ou
fausses…
C’est
alors
que
Fidel
a
eu
l’idée
des
cloches
de
La
Demajagua.*Je
peux
raconter
aujourd’hui
pour
la
première
fois
que
ce
jour
là,
il
pensait
au
soulèvement…en
disant
cela,
je
dis
des
choses
que
je
n’ai
jamais
dites…
Mon
travail
était
à
ce
moment
là
de
trouver
des
armes.
C’était
une
folie
mais
on
y
croyait…
Et
votre
relation
avec
Raúl
?
C’est
un
homme
très
discret
qui
laisse
connaître
peu
de
choses
de
lui…c’est
peut
être
une
clé
pour
le
comprendre.
Dès
qu’il
est
arrivé
à
La
Havane,
Fidel
me
dit
:
«il
faut
que
nous
nous
occupions
de
lui»
Raúl
était
très
sympathique,
blagueur,
drôle,
plein
d’humour.
Et
une
fois
Président,
il
est
resté
votre
ami
?
Vous
êtes
un
de
ses
conseillers
?
Il
vous
convoque
?
9.
Il
ne
m’a
jamais
convoqué.
Il
s’assoit
là,
où
vous
êtes,
chez
moi
et
nous
parlons.
Nous
pensons
de
la
même
façon.
Bien
sûr
je
m’exprime
mais
il
n’y
a
pas
de
contradictions.
C’est
une
amitié
qui
se
poursuit.
Raul
et
Vilma,
sa
femme,
menaient
une
vie
très
familiale
et
discrète.
Je
suis
tombé
amoureux
de
la
vie
familiale
de
Raúl
avec
ses
enfants,
ses
petits
enfants,
ses
arrières…
Pour
mon
anniversaire
de
70
ou
75
ans
je
ne
sais
plus,
Raul
m’a
offert
une
maquette,
réplique
du
Granma
et
puis
pour
mes
85,
une
autre,
celle
que
vous
voyez
ici
(il
rit).
Ce
jour
là,
j’ai
dit
à
Raúl
:
«Avec
toutes
ces
inepties,
tout
va
partir
à
la
dérive…».
Il
me
répond
:
«tu
te
rends
compte
qu’en
disant
cela,
tu
m’insultes
!
Comment
tu
peux
penser
que
je
puisse
être
d’accord
avec
toutes
ces
inepties
?»
Mais
chaque
pas
doit
être
très
prudent.
Il
ne
faut
pas
se
précipiter.
Peut-‐on
comparer
les
deux
frères
?
Non,
je
refuse
la
comparaison
et
d’entrer
dans
ce
débat.
Ce
sont
deux
personnes
distinctes
et
complices
dans
l’Histoire.
La
meilleure
preuve
:
Raul
est
resté
avec
son
étiquette
de
pro-‐soviétique
mais
au
moment
de
la
crise
des
missiles
(1962)
le
Parti
cubain
a
rompu
avec
le
P.C.de
l’U.R.S.S.
Et
c’est
Raúl
qui
l’a
proposé.
Et
cela
a
été
accepté.
Raúl
a
joué
le
rôle
qu’il
devait
jouer.
Et
le
Che
?
Pour
moi,
c’est
une
rencontre
merveilleuse.
Dès
le
début
de
notre
travail
collectif
ce
fut
comme
si
nous
nous
étions
connus
depuis
toujours…
Comment
expliquer
que
les
quatre
:
Fidel,
Raul,
le
Che
et
vous…
ont
pu
si
bien
s’entendre
?
Je
ne
comprends
pas
non
plus.
Le
Che
a
su
comprendre
très
vite.
Il
faut
dire
que
Fidel
est
un
grand
pédagogue.
Sept,
huit
heures
de
discours,
çà
forme
!
Il
faut
bien
comprendre
qu’au
début
de
la
Révolution,
il
s’adressait
à
un
peuple
analphabète
et
il
le
fascinait.
Avec
son
aura
de
légendes…
Mais
vous
savez,
dans
les
Révolutions,
çà
s’est
toujours
passé
comme
çà
entre
ce
genre
d’hommes
et
de
caractères.
C’est
peut
être
un
miracle.
(il
rit)
Le
Che
ne
nous
a
jamais
trompé.
On
a
toujours
su
dès
le
début
qu’il
voulait
aller
partout
dans
le
monde.
N’oubliez
pas
que
Masetti,
le
fondateur
de
Prensa
Latina,
argentin
comme
lui,
était
déjà
rentré
en
Argentine
et
que
la
Bolivie
n’était
pas
loin
…
Nous
avons
découvert
ensemble
le
rôle
décisif
de
la
Raison
pour
interpréter
l’Histoire
et
que
pour
faire
un
pas,
il
faut
la
liberté.
La
liberté
pour
vivre,
faire
et
transformer…
Et
le
Che
est
arrivé
bien
préparé
après
son
voyage
à
moto
et
sa
prise
de
conscience
au
Guatemala
lors
du
Coup
d’Etat
contre
le
Président
Arbenz.
Nous
nous
sommes
entendus
sur
la
lutte
des
classes
et
quelque
fois
même
sur
les
petites
luttes
internes.
10.
Raul
et
lui
étaient
aussi
très
amis.
On
se
voyait
tous
les
jours.
Vous
avez
donné
comme
titre
à
un
de
vos
livres,
«La
Révolution,
c’est
la
lucidité».
Mais
à
vingt
deux
ans,
comment
vous
sentiez-‐vous
?
On
avait
l’impression
d’être
des
dieux.
Nous
avions
le
Pouvoir.
…
Et
nous
avons
appris
avec
Fidel
que
c’est
seulement
en
prenant
le
Pouvoir
qu’on
peut
faire
la
Révolution.
Il
fallait
détruire
d’abord
tous
les
instruments
de
l’ancien
Pouvoir.
Fidel
décida
de
tout
détruire,
tout
de
l’Etat
bourgeois
en
commençant
par
l’Armée
qui
était
aux
bottes
des
USA.
Mais
attention,
ces
changements
profonds
ne
représentent
pas
le
socialisme.
C’est
tout
simplement
le
programme
du
Moncada*.
Fidel
était
socialiste.
Il
n’appartenait
pas
au
Parti
communiste.
Oui,
nous
sentions
un
pouvoir
absolu
et
en
même
temps
une
grande
fragilité.
Au
lendemain
du
«
Triunfo*
»,
Fidel
est
encore
à
Matanzas
après
avoir
emprunté
en
jeep
la
longue
route
depuis
Santiago
à
l’extrême
Est
de
Cuba.
Avant
même
d’arriver
à
La
Havane,
de
Matanzas,
il
me
fait
appeler.
Bientôt,
nous
commençons
à
nous
réunir,
un
tout
petit
groupe,
dans
la
maison
du
Che
à
Tarará
au
bord
de
la
mer
à
côté
de
La
Havane.
Nous
n’avions
pas
idée
à
quel
point
cela
allait
être
dur
!
Et
en
particulier
le
travail
sur
la
Réforme
Agraire.
Fidel
savait
qu’elle
allait
déterminer
ses
relations
avec
les
U.S.A.
C’est
le
Che
qui
a
compris
plus
tard,
comme
Ministre
de
l’Industrie,
qu’il
fallait
former
les
gens,
les
dirigeants,
avec
des
méthodes.
On
improvisait
:
mon
frère
Juan
était
doyen
de
la
Faculté
de
psychologie.
Je
lui
ai
demandé
de
jeunes
techniciens
pour
l’I.C.A.I.C.
(L’Institut
de
cinéma)
pour
former
des
ingénieurs
du
son.
Fidel
me
les
a
piqués…
pour
les
usines
sucrières
!
Dans
la
foulée,
on
s’est
attaqué
à
la
loi
de
la
marine
marchande.
Comme
si
j’y
connaissais
quelque
chose…
(il
rit)
On
s’est
aperçu
qu’on
ne
savait
rien
mais
il
fallait
s’y
coller.
Notamment
dans
le
monde
agraire
:
c’était
quoi
une
coopérative
?
Nous
avons
découvert
que
nous
ne
savions
ni
que
faire
ni
comment
le
faire.
Par
exemple
avec
les
grandes
centrales
sucrières.
Nous
étions
face
à
une
classe
d’ouvriers
paysans…Et
nous
avions
30
ans.
Il
faut
bien
avoir
conscience
qu’il
y
avait
trois
organisations
:
26
de
Julio
–
El
Directorio
–
el
Partido
Socialista
Popular.*
Le
P.S.P.,
lui,
était
sous
l’influence
de
l’U.R.S.S.
mais
l’U.R.S.S,
nom
d’une
pipe,
c’était
pas
non
plus
n’importe
quoi
!
Surtout
au
lendemain
de
la
Guerre.
On
ne
peut
pas
le
nier
malgré
les
monstruosités.
C’est
une
pierre
énorme
dans
la
roue
du
capitalisme.
«
El
Imperio
*»
était
capable
de
tout…
J’avoue
qu’à
ce
moment
là
et
vis
à
vis
de
l’U.R.S.S,
je
n’avais
pas
conscience
du
«
mal
».
De
ce
qui
allait
arriver.
N’oublions
pas
que
la
dérive
de
l’U.R.S.S.,
n’arrive
qu’après
1923.
11.
C’est
à
Paris
dans
les
années
80
que
je
découvre
tout
ce
que
Staline
avait
interdit.
Je
ne
voulais
pas
qu’il
arrive
la
même
chose
à
Cuba.
Y
a
t’il
eu
des
dissensions
à
l’intérieur
du
régime
sur
la
soviétisation
du
régime
cubain
?
Ne
me
parlez
plus
de
soviétisation.
C’est
une
expression
facile
qu’emploie
les
pre-‐post
révolutionnaires
ou
les
contre
révolutionnaires.
Je
la
nie.
Cuba
ne
fut
jamais
un
bloc
monolithe.
L’Ile
a
toujours
été
multi-‐couleurs
(je
parle
des
tendances
politiques).
Je
ne
veux
plus
entendre
le
mot
«
soviétisation
»…
Baladez
vous
dans
Cuba…
Où
sont
les
traces
des
soviétiques
?
L’Ambassade
?
Quelle
horreur
!
Aucune
trace…Il
y
a
des
traces
de
l’Espagne,
de
la
France,
même
de
la
Chine
mais
de
la
Russie…
Rien
!
J’ai
eu
une
forte
Polémique
avec
Blas
Roca*.
Une
terrible
polémique.
Les
vieux
cadres
ont
cru
que
le
modèle
soviétique
devait
être
suivi.
Je
m’y
suis
opposé.
Le
«je»,
moi
même
qui,
je
le
reconnais,
était
privilégié,
s’est
affronté
à
la
Commission
Idéologique
du
Parti.
Et
c’est
là
où
j’ai
perdu
une
petite
bataille
mais
je
l’ai
gagnée
après.
De
cette
commission,
il
ne
reste
personne.
Quelques
uns
vivent
encore
plantant
des
tournesols
dans
leur
jardin.
On
a
évité
que
nous
soit
imposé
le
réalisme
socialiste.
Et
sachez
que
j’ai
une
immense
admiration
pour
Julio
Antonio
Mella,
Fondateur
du
Parti
communiste
de
Cuba.
J’étais
encore
bébé
quand
arrive
l’ordre
à
Cuba
de
créer
des
soviets.
Quelle
connerie
pas
croyable,
idée
folle
!
Ils
pensaient
quoi,
qu’ici
c’est
une
province
de
l’Union
Soviétique
?
Que
nous
vivions
dans
les
faubourgs
de
Sébastopol
?
Avant
59,
Le
Parti
Socialiste
Populaire
recevait
ses
ordres
de
l’Internationale.
Il
ont
pris
l’usine
sucrière
Mabay
à
Cuba
et
ont
hissé
le
drapeau
rouge
et
ont
créé
un
Soviet.
Ça
a
duré
un
quart
d’heure.
En
ce
temps-‐là,
Rubén
Martínez
Villena
était
mourant,
c’était
lui
le
véritable
Secrétaire
Général
du
Parti
Communiste
et
il
condamne
ce
n’importe
quoi.
Cà,
c’est
pas
dans
l’Histoire,
mon
Dieu,
çà
n’y
est
pas
!
Et
Rubén
Villena
condamne
cette
ineptie.
Mella
connaît
peu
d’années
de
lutte,
quatre
cinq
ou
six
et
il
arrive
vite
à
Mexico.
Mexico
est
alors
le
centre
de
l’Internationale
et
Mella
commence
à
écrire
dans
la
revue
Machete.
Je
vais
dire
quelque
chose
de
politiquement
incorrect,
sur
l’éviction
de
Mella
du
Parti
:
C’est
un
camarade
cubain
d’origine
juive
polonaise
qui
m’a
dit
«ah
Alfredo,
le
monde
est
complexe…
Mella,
il
était
si
beau
et
intelligent,
si
audacieux
que
tous
ces
vieux
ne
pouvaient
pas
le
supporter…»
Et
pourquoi
Mella
a
eu
cette
indépendance
?
Parce
qu’il
a
découvert
Martí.
Le
socialisme
à
Cuba
ne
peut
exister
sans
Martí.
Un
jour
on
pourra
vraiment
lire
l’Histoire.
Pour
comprendre
cette
bataille,
il
faut
accéder
aux
papiers
de
l’Internationale.
Quand
sortiront
les
docs
de
l’Internationale,
on
comprendra
beaucoup
de
choses.
Le
problème
est
que
le
Parti
Communiste
s’est
conçu
comme
un
Parti
lié
à
l’Internationale.
12.
Et
Mella
est
assassiné
quand
il
s’apprête
à
mener
l’expédition
(à
la
fin
des
années
20)
contre
le
dictateur
Machado
à
Cuba.
Il
faut
savoir
qu’à
cette
époque
le
Mexique
est
l’épicentre
de
l’Internationale.
Un
jour
j’ai
pris
conscience
qu’une
stratégie
militaire
est
semblable
à
une
production
cinématographique.
Si
tu
as
besoin
de
deux
acteurs
chers,
quelles
sont
les
scènes
qu’il
faut
filmer
ensemble
pour
économiser
?
Où
sont
les
chevaux
?
Et
les
cavaliers
?
Et
comment
on
les
nourrit
et
comment
nourrir
les
cavaliers
?
Et
la
météo…
Vous
semblez
dire
que
la
Révolution
cubaine
a
eu
un
bon
scénario
avec
de
bons
acteurs…
»
Oui
et
nous
avons
perdu
les
meilleurs
acteurs.
C’est
vrai
que
vous
êtes
allé
à
Moscou
négocier
avec
Nikita
Khrouhtchev.
au
moment
de
la
crise
des
missiles
en
1962
?
(silence
troublé)
Oui,
c’est
Raul
qui
me
l’a
proposé.
Nous
étions
en
pleine
Guerre
Froide.
Je
peux
dire
que
dans
les
réunions
à
haut
niveau
certains
s’y
sont
même
opposés,
ils
avaient
la
trouille.
Je
suis
parti
de
Cuba
avec
un
message
de
Fidel
appris
par
cœur.
Je
l’ai
fait
de
nombreuses
fois.
Je
connaissais
le
message
mot
à
mot.
Un
long
voyage
clandestin
:
La
Havane
Caracas,
Pointe
à
Pitre,
Paris,
Moscou…La
rencontre
avec
Nikita
fut
très
rapide
car
tout
était
déjà
su
et
organisé.
Parlons
de
la
répression
à
Cuba,
notamment
au
moment
de
la
mise
en
place
des
U.M.A.P
(Unité
Militaires
d’Appui
à
la
Production)
qui
dans
les
années
62
ont
envoyé
les
intellectuels,
homosexuels,
religieux
et
autres
«déviants»
aux
champs
?
C’est
complexe.
Il
faut
d’abord
rappeler
que
ce
genre
d’organisations
naît
dans
les
pays
qui
veulent
construire
le
socialisme.
C’est
au
départ
une
imitation
de
l’Armée.
C’est
du
«n’importe
quoi».
Ca
existe
partout.
En
fait
les
U.M.A.P,
ce
sont
les
petits
commandants
et
caporals
qui
haïssaient
les
petits
pédés…C’est
çà
l’explication.
C’est
pareil
dans
tous
les
pays
non
?
Dans
un
premier
temps,
Fidel
a
envoyé
des
gens
pour
enquêter.
Je
ne
vais
pas
dire
les
noms
des
crétins,
de
ceux
qui
se
sont
très
mal
comportés…
en
fait
ce
n’étaient
pas
des
crétins,
c’était
des
gens
qui
se
sont
très
mal
comportés.
Nous
avons
été
plusieurs
à
nous
opposer
aux
U.M.A.P.
et
à
accueillir
les
victimes.
Et
enfin,
Fidel
a
commandé
une
enquête
sérieuse
qu’il
a
confiée
à
quelqu’un
aujourd’hui
oublié
:
Quintin
Pino.
On
s’est
quelquefois
frotté
tous
les
deux
mais
il
faut
reconnaître
que
c’est
lui
qui
a
rapporté
la
vérité,
et
dès
que
Fidel
a
eu
sous
les
yeux
la
même
vision
que
celle
que
nous
avions,
il
a
dissout
les
U.M.A.P.
Les
U.M.A.P.
ont
été
dissoutes
mais
pas
la
souffrance.
13.
Des
victimes
comme
le
Cardinal
Ortega
qui
a
été
envoyé
dans
les
camps
ont
la
hauteur
et
l’intelligence
d’oublier,
en
tous
cas
de
tourner
la
page.
Et
puis
il
y
a
eu
le
film
Fraise
et
Chocolat.
:
j
ai
dit
à
Fidel
«
ce
film
nous
permettra
de
tourner
la
page
».
On
m’a
invité
à
présenter
le
film
au
Comité
Central.
Et
un
type
m’a
fait
le
cadeau
du
siècle
:
«ce
film
m’a
transpercé
le
cœur,
j’ai
été
un
persécuteur
et
j’ai
honte…»
Comment
le
public
a
t’il
reçu
le
film
?
Avec
applaudissements
et
émotion.
Sans
préjugé.
Comme
un
air
frais
qui
nettoyait
et
libérait
mais
les
virus
existent
toujours…
D’autres
films
cubains
ont
eu
cet
impact
?
»
Oui
mais
pas
aussi
fort.
Now
de
Santiago
Alvarez.
Et
puis
un
documentaire
sur
l’alphabétisation
qui
a
joué
sur
l’âme
cubaine
un
rôle
majeur.
Aucun
pays
au
monde
n’a
un
million
d’universitaires
sur
une
population
de
douze
millions.
La
campagne
d’alphabétisation
fut
notre
seconde
épopée.
Et
votre
relation
à
la
littérature
?
Et
en
particulier
aux
personnages
de
fiction.
Je
les
fréquente
mais
à
condition
qu’ils
me
disent
quelque
chose
:
le
Siècle
des
Lumières
d’Alejo
Carpentier
par
exemple.
Chez
moi
ici,
j’ai
onze
mille
livres.
Dans
ma
chambre
je
suis
entouré
de
livres.
Je
garde
précieusement
à
côté
de
moi
une
correspondance
nourrie.
Il
y
a
quelques
livres
que
je
ne
sortirai
pas
de
ma
chambre,
ni
de
sous
mon
oreiller
mais
je
ne
dirai
pas
lesquels.
Alfredo
Guevara,
en
1959,
dès
le
«Triomphe
de
la
Révolution»,
juste
après
le
travail
sur
la
Réforme
agraire,
vous
créez
l’I.C.A.I.C.
(Institut
Cubain
d’Art
et
d’Industrie
Cinématographique.)
Votre
première
préoccupation
a
été
d’aider
des
créateurs
ou
de
donner
des
possibilités
de
faire
du
cinéma
et
de
le
divulguer
?
Mais
de
quels
créateurs
parlons
nous
?
Il
n’y
avait
pas
de
créateurs
ici…
Ce
qui
était
clair
dans
notre
esprit
était
que
ce
n’est
pas
l’Etat
qui
peut
créer
un
mouvement
artistique.
Une
fois
de
plus
je
fais
référence
au
hasard,
la
chance
a
joué
un
grand
rôle.
Nous
avons
ratissé
large
:
le
ciné
club
«Visor»,
celui
de
«Nuestro
Tiempo»
et
le
ciné
club
catholique.
Le
cinéma
est
un
art.
Je
n’ai
pas
peur
du
commerce
mais
premièrement,
il
fallait
faire
du
cinéma
et
former.
L’Etat
ne
pouvait
pas
être
«artistique».
Avec
l’Etat,
on
peut
seulement
s’occuper
de
méthode.
J’étais
déjà
lié
au
cinéma
mais
c’est
le
Mexique
qui
m’a
vraiment
lancé.
N’oublions
pas
que
le
cinéma
mexicain
était
très
proche
de
notre
Révolution.
On
ne
peut
pas
créer
un
Art.
On
peut
juste
organiser
les
conditions.
En
1959,
le
peuple
avait
besoin
de
cinéma
?
14.
Je
vous
l’ai
déjà
dit,
ce
n’était
pas
la
priorité
des
priorités
mais
Fidel…
et
moi,
avions
une
idée
claire
:
l’alphabétisation
était
le
début
du
chemin
vers
la
culture
:
D’abord
la
connaissance
puis
le
savoir
et
après
l’information.
Tout
était
déjà
pensé
pour
le
cinéma
avant
59.
Titón
(Gutiérrez
Alea),
García
Espinosa
et
moi,
avions
tout
dessiné.
Nous
parlions
de
la
nécessaire
élévation
des
nouvelles
générations.
Et
il
fallait
avoir
un
moyen
d’information
entre
nos
mains.
Le
Noticiero*
est
alors
né
:
le
plus
original
du
siècle
dernier.
Certains
spectateurs
rentraient
dans
la
salle,
regardaient
le
Noticiero,
applaudissaient
et
sortaient
sans
attendre
le
film.
Cette
complémentarité
entre
le
cinéma
et
le
Noticiero
c’est
que
vous
appelez
en
français,
le
«savoir
faire.»
Le
cinéma
enchante
Fidel.
Il
a
été
toujours
passionné
par
les
moyens
de
communication.
Il
n’intervenait
jamais
mais
venait
souvent
sur
les
tournages.
Un
jour,
je
m’ennuyais
ferme
au
Conseil
des
Ministres.
On
tournait
«Notre
Agent
à
La
Havane»
et
j’avais
envie
d’aller
voir.
Je
me
lève,
Fidel
me
lance
:
«irresponsable»…
Et
vingt
minutes
après
:
«c’est
vrai
qu’on
s’ennuie
terriblement…
»
Et
on
y
est
allé.
Fidel
s’est
fait
installer
une
salle
de
projection
à
l’I.C.A.I.C.
et
y
passait
des
heures.
La
question
de
la
diffusion
?
Elle
se
voit
dans
la
loi.
Il
ne
s’agissait
pas
seulement
d’avoir
du
cinéma
mais
aussi
un
public.
Nous
avons
créé
cent
vingt
et
une
salles
de
cinéma.
N’oublions
pas
que
nous
sommes
dans
les
années
de
la
campagne
d’alphabétisation.
Et
le
«ciné
mobil»*
va
dans
les
coins
les
plus
reculés
du
pays
en
avion,
barque,
camion,
à
dos
de
mule…
«Por
primera
vez»*
est
un
film
d’Octavio
Cortázar
(c’est
lui
qui
anime
l’Encyclopédie
populaire.)
Et
il
nous
emmène
dans
les
montagnes
de
Baracoa
à
l’extrême
Est
de
l’Ile.
Nous
y
avons
projeté
et
filmé.
Mais
je
ne
vous
cache
pas
qu’il
y
avait
une
lutte
interne
sur
cette
question
de
prise
de
pouvoir
des
moyens
d’information.
Parlez
nous
davantage
du
Noticiero.
C’est
l’histoire
de
trois
fous…Gutiérrez
Alea
(dit
Titón),
Julio
García
Espinosa
et
moi.
Il
fallait
créer
un
mouvement
cinématographique
parallèle
à
l’Etat.
Et
cette
idée
précède
la
Révolution.
C’est
tout
d’abord
des
gens
comme
Zavattini
et
Buñuel
qui
nous
persuadent.
«Ne
perdez
pas
l’image
de
cette
page
de
l’Histoire».
Et
puis
il
y
a
eu
Santiago
Alvarez
et
Saul
Yelín.
Santiago
Alvarez
était
un
type
sans
aucun
préjugé
et
complètement
fou.
C’est
un
type
qui
voulait
faire.
L’idée
de
cette
mémoire
de
tout
s’est
matérialisée
en
un
instant.
Et
puis
nous
avons
invité
les
cinéastes
du
monde
entier
mais
il
n’était
pas
question
qu’on
nous
impose
quoique
ce
soit.
Je
me
souviens
de
Gérard
Philipe
qui
a
adhéré
très
tôt
à
la
Révolution.
Il
a
servi
de
contact.
Raul
et
lui
avaient
une
très
étroite
relation.
Un
jour
on
a
même
dit
que
Gérard
pourrait
faire
le
rôle
de
Raúl…
(Raúl
avec
sa
queue
de
cheval,
Vilma,
très
maigre.)
Je
les
15.
ai
emmené
voir
le
Che
et
chez
Saul
Yelín,
voyant
Fidel
faire
un
discours
fleuve,
Anne
Philippe
dit
«quel
dramaturge»
(en
français),
et
Gérard
:
«quel
acteur»
(en
français).
Et
puis
Jori
Ivens
et
Gatti,
et
Varda
et
Marker…
Et
puis
il
y
a
eu
la
visite
de
Sartre
et
de
Simone
de
Beauvoir.
Et
Godard:
l’obsédé
des
nouvelles
technologies.
Les
brouillons,
les
essais…Varan,
le
Super
8
et
l’influence
de
Jacques
Demy
(qui
n’est
pas
venu)…
Le
photographe
de
Soy
Cuba
qui
a
conforté
notre
conscience
de
la
plastique.
Et
puis
au
Chili,
le
Festival
de
cinéma
de
Viña
del
Mar
en
1967.
Tous
les
cinéastes
arrivant
en
stop,
à
moto
:
là
nous
avons
découvert
que
nous
étions
en
train
d’accompagner
l’émergence
d’une
identité.
A
Viña
del
Mar,
nous
savions
qu’il
se
passait
quelque
chose
autour
du
Che.
Nous
l’avons
nommé
Président
d’honneur
du
Festival.
Ce
ne
sont
pas
les
cubains
qui
l’ont
décidé.
Les
latinos
ont
compris
que
nous
devions
avoir
un
Festival.
Au
départ,
l’idée
était
qu’il
soit
itinérant.
Et
puis
les
dictatures
ont
menacé
le
cinéma
et
toute
la
création.
Beaucoup
de
cinéastes
venaient
se
réfugier
à
Cuba
pour
terminer
leurs
films
:
Glauber
Rocha,
Solanas…
De
là,
nous
avons
inventé
«l’Encyclopédie
populaire».
Nous
allions
filmer
tout
Cuba.
Objectif
:
offrir.
Assimiler,
accumuler
pour
les
cinéastes
qui
venaient,
les
images
de
Cuba.
Dès
notre
première
rencontre
après
la
victoire,
Fidel
me
dit
:
«tu
ne
peux
pas
seulement
penser
au
cinéma.
Il
y
d’autres
priorités.»
Mais
un
jour,
je
visitais
des
«bases
navales»
avec
Raúl,
Fidel
a
appelé
:
«laissez-‐moi
Alfredo
au
premier
port,
j’ai
besoin
de
lui…»
Et
toujours
cette
idée
fixe
:
«quelle
image
voulions
nous
donner
de
la
Révolution.
?»
Nous
ne
la
construisions
pas,
nous
voulions
d’abord
la
conserver.
Je
ne
veux
pas
être
paternaliste.
Nous
voulions
tout
garder.
Que
ne
se
perde
pas
l’image
de
la
Révolution
car
cela
va
aider
à
construire
l’identité
de
l’Amérique
latine.
J’aime
bien
les
anthropologues
mais
on
veut
montrer
les
cultures
vivantes
après
le
processus
de
destruction.
Non.
Nous,
nous
nous
sommes
construits
à
partir
de
l’Europe
et
nous
sommes
d’ici.
Ceci
s’est
aussi
manifesté
dans
la
littérature,
le
théâtre,
les
arts
plastiques.
Et
c’est
vrai,
notamment
avec
Gabo
(García
Marquez)
nous
avons
aidé
des
groupes
de
cinéastes
militants
dans
leurs
luttes
clandestines.
Et
avec
Cortázar,
qui
avait
une
vraie
conscience
politique.
On
tourne
alors
à
Cuba
la
grande
production
soviétique
«Soy
Cuba.»
Le
film
et
en
premier
lieu
le
tournage,
sont
au
début
très
mal
perçus.
Il
y
a
deux
co-‐scénaristes
:
Pineda
Barnet
et
Stuchenkov.
Dans
une
lettre,
j’ai
posé
mes
conditions
:
tout
le
matériel
de
tournage
devait
rester
à
Cuba.
16.
En
plus
Stuchenkov
était
comme
le
poète
maudit
:
je
lui
ai
montré
une
bibliothèque
où
il
y
avait
tous
les
livres
interdits
en
U.R.S.S.
Il
en
est
devenu
fou.
Car
il
faut
dire
que
c’est
seulement
jusqu’à
Lénine
que
la
Russie
a
été
un
foyer
extraordinaire
d’Art.
Comment
vous
êtes-‐vous
organisé
pour
et
à
votre
retour
de
Paris
à
La
Havane
en
1992
?
Raúl
était
malade.
Vilma
m’a
emmené
le
voir.
Il
m’a
dit
que
je
devais
faire
attention
à
mes
bonnes
relations
avec
le
Parti.
Et
Fidel
est
arrivé.
Le
lendemain
je
suis
arrivé
à
L’I.C.A.I.C.
Je
me
suis
assis
avec
les
cinéastes.
Les
plus
virulents.
Le
lendemain
je
suis
rentré
dans
le
bureau
du
Président.
«Retirez-‐vous,
maintenant
c’est
moi
le
Président».
Le
soir,
j’ai
revu
Fidel
et
Raul
qui
étaient
morts
de
rire.
Je
leur
disais
qu’il
ferait
mieux
de
me
nommer
officiellement.
Aldana*
faisait
alors
le
guignol
rigolo
au
Comité
Central
faisant
semblant
d’avoir
Fidel
au
bout
du
fil
:
«si
Comandante,
no
Fidel…»
Finalement
j’ai
eu
un
titre
:
«mission
spéciale
du
Comandante»
Et
ils
ont
signé
pour
dix
ans
violant
les
lois
et
chaque
fois
que
je
le
leur
racontais,
Fidel
et
Raul
étaient
morts
de
rire.
Ce
que
je
voulais
était
redonner
à
l’I.C.A.I.C.
sa
splendeur
perdue.
C’était
très
complexe,
le
contexte
était
difficile.
La
polémique
autour
du
film
Alice
au
Pays
des
merveilles
de
Daniel
Diaz
Torres
a
été
montée
par
Aldana.
Si
aujourd’hui,
vous
aviez
la
possibilité
de
refaire
l’ICAIC,
avec
les
nouvelles
technologies,
internet,
les
productions
indépendantes,
plus
simples,
peut
être
un
cinéma
plus
pauvre…
J’ai
dessiné
l’I.C.A.I.C.
et
aujourd’hui
cela
ne
sert
plus
à
rien.
C’est
obsolète.
Il
faut
quelque
chose
d’utile
à
l’heure
de
la
Révolution
technologique.
Mais
rien
du
tout
de
«pauvre».
Ne
me
parlez
pas
de
pauvreté
!
Il
ne
faut
rien
faire
de
pauvre,
tout
ce
qui
milite
en
faveur
de
la
pauvreté
et
de
la
misère
ne
sert
à
rien…
il
ne
faut
pas
créer
des
prétextes
pour
justifier
la
mauvaise
qualité
du
cinéma.
Nous
devons
tendre
vers
le
haut,
avec
ce
qu’il
y
a
de
mieux.
Le
point
de
départ
doit
être
le
meilleur.
Aucun
haillon…
Revenons
à
votre
départ
à
Paris
en
1981.
Votre
relation
avec
Paris
est
d’ordre
amoureux
:
Ah
Paris,
Paris
vaut
bien
une
deux,
trois,
infinies
messes...
Je
n’irai
pas
jusqu’à
ma
conversion
mais
je
la
simulerai.
C’est
ma
ville
préférée
avec
La
Havane.
Mais
je
dois
avouer
que
je
ne
suis
pas
parti
de
Cuba
très
heureux.
J’avais
perdu
une
bataille.
Au
départ,
çà
a
été
très
dur
et
puis
merveilleux.
17.
Je
peux
dire
qu’il
s’agissait
d’un
châtiment
heureux.
J’arrive
au
moment
de
l’élection
de
François
Mitterrand.
Et
puis
Danielle
Mitterrand
me
fait
connaître
le
milieu
de
l’art
plastique
et
des
galeries
parisiennes.
Et
des
rencontres
extraordinaires,
des
gens
comme
Ugné
Karvelis,
Julio
Cortázar,
Payita,
camarade
de
Salvador
Allende,
Jacques
d’Arthuys,
le
peintre
Mata
et
Julio
Le
Parc
et
bien
d’autres.
Je
me
sentais
très
bien
à
Paris.
Ah,
Paris
!
Saul
Yelín,
Michèle
et
Costa
Gavras.
Et
le
Cabaret
«Le
requin
chagrin.
Ce
sont
pour
moi
dix
ans
de
recyclage
intellectuel.
Et
puis
Marker
et
Jacques
Vergés…
Ce
que
je
suis
doit
beaucoup
à
Paris
et
à
la
France.
Et
avec
les
cubains
de
Paris
?
Très
peu
de
rencontres
avec
les
latinos…
Non,
j’avais
décidé
de
vivre
avec
les
français.
Certes
ma
porte
était
ouverte.
Severo
Sarduy
?
Oui,
aujourd’hui,
en
le
relisant,
je
découvre
des
choses.
Certes
j’ai
eu
beaucoup
de
mal
à
me
séparer
de
l’I.C.A.I.C.
J’avais
perdu
une
bataille
mais
je
ne
sortais
pas
le
mouchoir.
J’ai
toujours
été
courageux.
Une
étape
se
fermait
et
une
autre
s’ouvrait.
Et
puis
Paris,
c’est
Paris…
A
quelques
jours
de
mon
départ,
Fidel
me
dit
:
«Partir
à
Paris
ce
n’est
pas
comme
partir
à
Cayenne».
Mais
j’étais
persuadé
que
je
ne
retournerai
jamais
au
monde
du
cinéma.
Je
voulais
être
professeur.
Mais
un
jour,
à
Paris
j’ai
reçu
un
appel
de
Fidel
:
«tu
dois
revenir
à
la
Havane
et
à
l’I.C.A.I.C.»
Pourquoi
?
Demandez-‐le
lui
!
Je
peux
me
battre
avec
quiconque
mais
pas
avec…
(rires)
Avant
mon
retour,
Fidel
s’est
réuni
avec
40
intellectuels.
Fidel
leur
a
dit
:
«je
l’avais
prêté
aux
services
extérieurs
mais
je
dois
le
récupérer»…
Aujourd’hui
les
réformes
et
l’évolution
du
régime,
c’est
pour
vous
une
«
réalité
tangible
»
pour
reprendre
vos
souhaits
de
socialiste
?
Bien
sûr
et
çà
va
se
faire.
En
commençant
par
la
nouvelle
réforme
agraire.
Je
ne
sais
pas
bien
où
nous
allons
aller
mais
les
changements
seront
radicaux,
même
vers
un
ajustement
de
la
Constitution.
Comment
Alfredo
Guevara
voudrait
il
que
ses
petits
enfants
se
souviennent
de
lui
?
Je
ne
sais
pas.
Ce
sont
tous
les
jeunes
cubains
qui
sont
mes
petits
enfants.
Je
veux
écouter
les
jeunes.
C’est
une
obsession.
Dans
mon
âme,
c’est
une
préoccupation
majeure.
L’avant
18.
garde.
Et
surtout
je
refuse
de
porter
un
jugement,
ni
sur
leur
comportement
ni
sur
ce
qu’ils
pensent.
Aujourd’hui,
vous
vous
sentez
absolument
libre
?
Absolument
et
toujours.
Surtout
dans
les
moments
les
plus
difficiles.
Surtout
et
toujours.
Je
ne
suis
pas
religieux
mais
je
connais
bien
le
catholicisme.
Un
jour,
si
la
Résurrection
des
morts
survenait,
je
voudrais
avoir
entre
vingt
cinq
et
trente
cinq
ans
mais
pour
vivre
autre
chose.
Je
ne
veux
pas
revenir
en
arrière.
Redites-‐nous,
à
la
fin
de
ces
journées
d’entretiens
le
sens
qu’a
pour
vous
«
la
Révolution,
c’est
la
lucidité
?
»
La
Révolution
n’a
rien
d’abstrait.
Et
en
plus
c’est
une
commotion
éblouissante,
un
choc…
Fidel
l’a
dit
et
Raul
le
dit
:
il
faut
prendre
conscience
la
réalité
édulcorée
n’est
pas
la
réalité.
Nous
les
marxistes,
nous
voulons
transformer
et
pour
cela
il
faut
connaître
cette
réalité.
Tout
ce
qui
est
sclérosé
doit
disparaître.
Vous
croyez
à
l’âme
?
Je
ne
sais
pas.
Je
ne
crois
pas.
Je
ne
suis
pas
croyant.
Je
ne
sais
pas,
l’âme,
je
ne
la
connais
pas.
Je
sais
pourtant
qu’au
fil
de
ma
vie
je
me
suis
construit
une
âme
mais
ce
qui
va
advenir
de
cette
âme,
çà,
je
ne
le
sais
pas.
Nous
sommes
prisonniers
de
mystères.
Pourquoi
existons-‐
nous
?
Pourquoi
faisons-‐nous
tout
ce
que
nous
faisons
?
C’est
un
mystère.
C’est
un
mystère
qui
a
surgi
dans
la
nature.
Un
être
qui
se
pense
et
se
vit
et
un
jour,
il
disparaît.
Peut
être
oui,
peut
être
non
!
En
ce
moment
je
lis
Nabokov.
Il
a
une
réflexion
extraordinaire.
Il
emploie
une
métaphore,
la
mort
est
une
fenêtre
et
nous
voyons
à
travers
elle
ce
qu’il
nous
est
donné
de
voir.
C’est
comme
traverser
un
mur.
Et
rentrer
dans
un
autre
plan,
une
autre
dimension.
Je
ne
sais
pas
si
derrière
le
mur
il
existe
quelque
chose.
Nous
verrons
bien.
Le
jour
de
ma
mort
je
ne
me
poserai
aucune
question.
Je
pense
que
l’Art
est
ainsi,
la
vraie
œuvre
artistique
et
en
particulier
la
musique,
ce
sont
des
fenêtres
qui
cassent
les
murs,
et
je
ne
sais,
je
ne
sais
pas
si
derrière
ce
mur
il
existe
quelque
chose,
nous
le
verrons
bien.
C’est
pour
çà
que
je
me
suis
souvent
dit
que
le
jour
où
je
viendrai
à
mourir,
à
disparaître,
je
me
poserai
aucune
question.
Je
réserve
la
réponse.
Sartre
dit
qu’il
n’y
a
rien
après
la
mort,
mais
comment
concevoir
le
rien
?
Et
je
crois
en
la
Beauté.
La
Beauté,
c’est
Dieu,
c’est
la
perfection
et
quand
on
s’en
approche,
on
se
brûle.
Dieu
pour
moi,
c’est
tout.
Si
ce
«tout»
renforce
tous
les
possibles,
alors
la
mort
n’existe
pas.
Elle
existe
mais
elle
n’existe
pas.
Les
êtres
vous
intéressent
t’ils
plus
que
les
fantômes.
?
Evidemment.
Y
a-‐t-‐il
des
fantômes
?
Je
ne
sais
pas.
Ils
ne
m’ont
jamais
touché.
19.
(Trois
semaines
plus
tard,
Alfredo
Guevara
mourrait
à
La
Havane
à
l’âge
de
87
ans)
*1
:
promenade
du
front
de
mer
à
La
Havane
*2
:
José
Martí
:
José
Julián
Martí
y
Pérez
(1853-‐1895)
homme
politique,
philosophe,
penseur,
journaliste
et
poète
cubain.
Il
est
le
Fondateur
du
Parti
Révolutionnaire
cubain.
*3
:
leader
étudiant,
assassiné
par
la
police
de
Gerardo
Machado.
*4
:
Mouvement
du
26
juillet
:
créé
et
dirigé
par
Fidel
après
l’attaque
de
la
caserne
du
Moncada
à
Santiago
de
Cuba
le
26
juillet
1953.
*5
:
Echeverría
:
leader
étudiant
de
l’Université
de
La
Havane
et
Président
du
Directorio
revolucionario.
*6
:
une
des
grandes
avenues
Nord
Sud
de
La
Havane.
*7
:
le
même
qui
a
transformé
le
Che
des
années
plus
tard.
*8
:
écrivain
cubain,
auteur
du
Siècle
des
Lumières.
Longtemps
Conseiller
culturel
à
l’Ambassade
de
Cuba
en
France.
*9
:
le
lieu
de
naissance
et
d’adolescence
de
Fidel
Castro
dans
les
montagnes
de
la
pré-‐
sierra
à
l’Est
de
Cuba
*10
:
signifie
l’échec
de
l’attaque
de
la
caserne
du
Moncada
à
Santiago
de
Cuba
en
1953.
*11
le
bateau
qui
emmène
Fidel
et
ses
compagnons
du
Mexique
au
Sud
de
Cuba
pour
commencer
la
guérilla.
*12
:
propriété
de
Carlos
Manuel
de
Céspedes
à
l’Est
de
Cuba
grand
propriétaire
terrien,
franc-‐maçon,
qui
décide
de
libérer
ses
esclaves
le
10
octobre1868
et
s’oppose
par
là-‐
même
au
pouvoir
espagnol.
Fidel
Castro
ira
chercher
les
cloches
de
la
propriété
de
La
Demajagua,
celles
qui
avaient
sonner
l’appel
à
l’Indépendance,
pour
les
amener
à
l’Université
de
La
Havane.
*13
:
dans
sa
plaidoirie
lors
de
son
procès
à
la
suite
de
l’échec
de
l’attaque
de
la
caserne
du
Moncada
en
1953,
l’Histoire
m’acquittera,
Fidel
Castro
dénonce
la
situation
à
laquelle
la
Révolution
s’attaquera
et
énonce
six
points
qui
seront
les
fondements
de
la
Révolution
et
qui
deviendront
par
la
suite
le
«programme
du
Moncada»
*14.
:
el
«Triunfo»
:
littéralement
«
le
Triomphe
»
:
désigne
pour
les
cubains
l’avènement
de
la
Révolution
de
1959.
*15
:
Le
Parti
communiste
de
Cuba
a
adopté
à
certaines
périodes
le
nom
du
Partido
Socialista
Popular.
*16
:
l’Empire
américain
au
sens
critique
du
terme.
«Force
maléfique»
qui
a
toujours
milité
pour
la
destruction
de
la
Révolution
cubaine.
*
17
:
Blas
Roca
:
homme
politique
(1909
-‐1987)
:
Secrétaire
Général
du
P.C.
de
Cuba
(1934-‐1939)
et
du
P.S.P.
(1942-‐1960).
*
18
:
Noticiero
:
crée
par
Alfredo
Guevara
et
animé
par
Santiago
Alvarez,
le
Noticiero
désigne
les
1490
«actualités
politiques
filmées»
à
Cuba
et
dans
le
monde
entier.
Aujourd’hui
en
voie
de
restauration
et
de
numérisation
par
l’Institut
National
de
l’Audiovisuel
français.
*19
:
le
«ciné
mobil»
désigne
les
équipes
et
le
matériel
de
projection
qui
présentaient
des
films
de
tous
les
pays
et
genres
dans
l’ensemble
du
territoire
de
l’Ile.
Ces
équipes
circulaient
en
avion,
par
route,
en
barque
et
à
dos
de
mule.
*20
:
Ce
film
montre
la
population
d’un
village
de
la
Sierra
qui
regarde
pour
la
première
fois
du
cinéma.
*21
:
Directeur
du
Département
idéologique
du
Parti.
20.
ALFREDO
GUEVARA
:
UN
REVOLUTIONNAIRE
HERETIQUE
A
Ariel,
Gretchen
et
Jean-‐Marc.
«Je
vous
le
dis,
il
faut
avoir
encore
du
chaos
en
soi
pour
enfanter
une
étoile
dansante»
Nietzsche
«Je
ne
sais
pas
qui
je
suis,
si
on
me
le
demande,
je
tremble».
Alfredo
Guevara
Dans
la
semaine
du
11
mars
2013,
pendant
quatre
jours
et
pour
aboutir
à
neuf
heures
d’entretiens,
nous
avons
partagé
temps,
idées
et
mémoire
avec
un
homme
pressé.
Un
homme
seul
aussi
face
aux
silences
de
l’Histoire,
à
une
famille
désormais
absente,
partie
vers
d’autres
horizons,
un
homme
face
à
ses
doutes,
contradictions
et
arrogantes
certitudes,
avec
ses
rires
et
ses
peines
et
en
tête
à
tête
avec
ce
qu’il
reste,
vivant
et
éternel,
de
l’Utopie.
Alfredo
Guevara
se
savait
mourant.
Il
voulait
dire
et
encore
dire,
avancer,
raconter
et
surtout
essayer
de
ne
rien
oublier.
Lui
qui
refusait
d’écrire
mémoires
et
biographie,
avait
accepté
très
volontiers
ce
long
entretien,
«le
premier
et
le
dernier»
nous
a
t’il
dit
«il
est
grand
temps,
avant
de
mourir
que
je
dise
des
choses
que
je
n’ai
jamais
dites
et
surtout
que
je
pense
essentielles
afin
que
je
sois
en
paix
avec
ma
conscience
dans
cette
réflexion
que
j’ai
toujours
voulu
mener
sur
le
pourquoi
et
le
comment
de
la
Révolution
cubaine
et
en
fait
de
toute
Révolution».
Alfredo
Guevara
est
né
un
31
décembre
1926.
Sous
la
Dictature
de
Gerardo
Machado*
qui
livre
à
nouveau
Cuba
aux
américains
du
Nord.
Ce
31
décembre,
ce
dernier
jour
de
l’année
est
aussi,
en
1959,
la
veille
de
ce
que
les
cubains
appellent
encore
aujourd’hui
le
Triomphe
de
la
Révolution.*
Je
souhaitais
le
revoir
une
dernière
fois
pour
préciser
quelques
idées
et
termes
de
cet
entretien.
Le
lendemain
de
mon
arrivée
à
La
Havane,
Alfredo
Guevara
mourrait.
Ses
cendres
ont
été
réparties
autour
de
l’Alma
Mater
en
haut
de
l’escalier
de
l’Université
de
La
Havane
qu’il
a
monté
et
descendu
tant
de
fois.
L’Escalinata*
était
son
chemin,
celui
de
Damas
mais
aussi
celui
des
luttes,
des
mensonges
et
de
la
solitude,
celui
de
la
recherche
du
savoir,
de
la
sagesse
et
de
la
prise
du
Pouvoir.
Celui
de
l’inquiétude
et
de
la
quête.
Celui
de
la
transmission.
Dés
son
plus
jeune
âge,
en
contact
avec
les
républicains
espagnols
réfugiés
à
Cuba
et
les
francs
maçons,
Alfredo
Guevara
est
rebelle.
Il
le
restera
toute
sa
vie,
tant
dans
ses
appréciations
que
dans
ses
prises
de
position,
ses
humeurs,
ses
engagements,
ses
violences
et
ses
«têtes».
Il
devient
artisan
d’une
utopie.
Deux
mots
qui
peuvent
paraître
antinomiques.
Façonner
quelque
chose
qui
n’existera
sans
doute
pas
mais
en
tous
cas
le
faire.
Avec
«savoir
faire»
expression
qu’il
disait
toujours
en
français,
dans
ce
français
si