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66 / LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014
ÊTRE RUSÉ COMME UN RENARD
LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 / 67
KEVIN DUNBAR
est professeur
de psychologie
à l’université
du Maryland,
États-Unis.
Sous forme de comparaison ou de métaphore,
l’analogie est un moyen simple et efficace pour
transmettre une idée. Ses bénéfices sont nombreux,
qu’il s’agisse de résoudre un problème ou
d’apprendre mieux. Encore faut-il savoir l’utiliser
avec pertinence et éviter ses pièges...
LA FORCE
DE L´ANALOGIE
PAR MARYSE CHABALIER
L’intelligence
en pratique
saac Newton aurait eu l’idée de la gravi-
tation universelle en voyant tomber une
pomme. Qu’elle soit véridique ou non,
cette histoire démontre comment l’ana-
logie peut se révéler utile face à une
réflexion dans l’impasse. « Le raisonne-
ment par analogie nous permet d’interpré-
ter de nouvelles situations, de faciliter
l’apprentissage, de résoudre des problèmes
efficacement et rapidement, ainsi que de
donner des explications à d’autres », note
Kevin Dunbar, professeur de psychologie
à l’université du Maryland, aux États-Unis.
Mais utiliser cette forme de logique est
plus compliqué qu’il n’y paraît.
Pour raisonner par analogie, il nous
faut une source, c'est-à-dire un concept
familier que nous allons comparer avec
un phénomène moins connu, la cible.
L’utilisation d’une analogie se déroule en
plusieurs étapes. Il faut d’abord chercher
dans notre mémoire un évènement qui
pourrait servir de référence. Vient ensuite
la cartographie. Il s’agit de répertorier ce
qui est similaire dans les deux situations,
notamment au niveau de leur structure
relationnelle. Inconsciemment, nous utili-
sons différents critères pour vérifier si la
concordance entre deux situations est
correcte : chaque objet d’une situation
doit correspondre à un objet et à un seul
de l’autre situation. De même, chaque
relation entre les éléments d’une situation
ne peut correspondre qu’à une seule rela-
tion dans l’autre situation. Par exemple, si
vous comparez le cycle du CO2 atmos-
phérique avec de l’eau qui entre et qui sort
d’une baignoire, l’émission de CO2 ne
peut correspondre qu’à un seul flux d’eau,
ici l’entrée.
I
CL/GETTYIMAGES
68 / LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014
L’intelligence
en pratique
L’AVANTAGE DE L'EXPERTISE. Une fois
l’alignement effectué, nous pouvons repor-
ter ce que nous savons de la source sur la
cible : c’est l’inférence. À partir de
l’exemple ci-dessus, vous pouvez déduire
que si les émissions de gaz sont supérieures
à la consommation, la quantité de CO2
dans l’atmosphère va augmenter, de la
même façon que la quantité d’eau augmente
lorsque qu’il y a plus d’eau entrant dans
une baignoire qu’en sortant. Par contre, il
ne vous viendrait pas à l’idée de mettre du
savon dans l’atmosphère pour vous laver.
Afin d’éviter ce type d’erreur, nous avons
tendance à préférer les inférences qui
reposent sur un maximum d’éléments
communs aux deux situations.
« L’exercice de l’analogie est souvent
difficile, car on doit extraire la structure
sous-jacente d’une situation, sans tenir
compte de ses caractéristiques superfi-
cielles, pour la reporter dans une
nouvelle situation », explique Kevin
Dunbar. Or, les ressemblances de
contenu de deux situations nous sautent
plus facilement aux yeux que celles
portant sur leur logique interne. Cela est
particulièrement vrai lorsque nous
sommes limités dans le temps ou que
nous faisons deux choses à la fois. Il faut
être suffisamment familier avec la situa-
tion de référence pour voir au-delà des
apparences. Les experts d’un domaine
auront ainsi plus de facilités à trouver
une analogie. Créer ses propres analo-
gies permet également de mieux se
concentrer sur les relations internes.
UN COUP DE POUCE BIENVENU.
Dans une étude déjà ancienne, seuls 10 %
des personnes auxquelles on a soumis un
problème complexe réussissaient à le
résoudre sans aide. Lorsque ce problème
était accompagné d’une histoire qui avait
une solution analogue, il était résolu par
30 % des participants. Enfin, quand un
indice conseillait de se servir de l’his-
toire, le taux de réussite montait à 90 %.
Bref, il nous faut parfois être guidés pour
repérer une analogie et en tirer parti.
L’âge compte également. Les enfants ont
plus de difficultés à utiliser l’analogie.
La vitesse,
c’est le diable
des temps
modernes…
La crise
d’aujourd'hui
est peut-être
la guerre de
demain
Vous, c’est
le vacarme des
mots. Nous,
c’est le courage
de l’action !
DROITSRÉSERVÉS/GETTYIMAGES
LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 / 69
Ainsi, ils sont davantage influencés par
les correspondances entre des objets et
perçoivent moins les relations de causa-
lité que leurs aînés. Cela ne les empêche
pas d’utiliser un raisonnement par analo-
gie si on leur donne des exemples, et ce
dès trois ans environ.
Malgré ces limites, l’analogie est
utilisée au quotidien par les médias, les
politiques ou les chercheurs. Le choix
d’une analogie n’est pas anodin. Ainsi, un
candidat politique va utiliser des analo-
gies positives pour évoquer son camp et
négatives pour parler de son adversaire.
Le problème des analogies est qu’elles
simplifient une situation, ce qui peut
conduire à des conclusions fausses. Paul
Thibodeau et Lera Brodsky, maîtres de
conférences aux États-Unis, respective-
ment au Oberlin College et à l’université
de Californie, évoquent les propos de
l’économiste Paul Krugman. Selon lui,
comparer l’état de l’économie à une mala-
die conduit à penser qu’elle “retrouvera la
santé” rapidement, pour peu qu’elle
reçoive les soins appropriés. Les déci-
deurs politiques optent donc pour des
solutions à court terme, alors que le
problème doit être traité sur le long terme.
UN MOT QUI CHANGE TOUT. Les
métaphores nous influencent sans que
nous nous en apercevions. Deux
recherches conduites par Paul Thibodeau
et Lera Brodsky le démontrent. Lors
d’une première étude, ils ont demandé à
des personnes de proposer des solutions
pour diminuer le crime qui ravageait une
ville imaginaire. Les participants lisent
d’abord une courte description de la
situation. Un seul mot change : le crime
est soit un virus, soit une bête qui ravage
la ville. Lorsque le crime est comparé à
un virus, les personnes ont tendance à
privilégier les mesures traitant la cause
du problème, comme diminuer la
pauvreté ou améliorer l’éducation. À
l’inverse, quand le crime est envisagé
comme une bête, les mesures plus
directes sont mises en avant, tels l’empri-
sonnement des criminels ou la formula-
tion de lois plus sévères.
Dans une seconde étude, les partici-
pants doivent choisir quelle solution leur
paraît la plus adaptée parmi une liste de
propositions. Résultats, les personnes
ayant lu la comparaison du crime avec
une bête sont plus nombreuses (10 %) à
choisir une mesure coercitive que les
personnes ayant lu la métaphore du virus.
Une analogie peut donc non seulement
influencer les solutions qui nous viennent
à l’esprit en premier, mais aussi celles qui
nous paraissent les plus appropriées
parmi celles qui sont suggérées. Et cette
influence se fait à notre insu : lorsque l’on
demande aux participants quelle partie de
la description a influencé leur choix,
moins de 5 % d’entre eux citent la méta-
phore. La capacité de simplification de
l’analogie fait donc sa force... mais aussi
sa faiblesse. ●
RÉFÉRENCES
P.H. Thibodeau et L. Boroditsky,
PLoS ONE, janvier 2013.
P.H. Thibodeau et L. Boroditsky,
PLoS ONE, février 2011.
J. Fagot et R.K. Thompson,
Psychological Science, octobre 2011.
JOËL FAGOT, directeur de
recherche au CNRS, étudie
l’utilisation de l’analogie chez
les babouins.
Comment avez-vous montré que les
babouins sont capables d’un raisonne-
ment par analogie ?
Nous leur avons proposé des tâches sur un écran informatique.
On leur montre deux formes visuelles, par exemple la forme A
et la forme B. Ensuite, on leur présente deux nouvelles paires
de formes : par exemple la paire CC et la paire DE. Pour être
récompensé, le babouin doit choisir la paire qui présente la
même relation que la paire initiale. Il devait donc choisir DE
(relation de différence) si la paire initiale était de type AB
(différence), ou CC (identité) si la paire initiale était de type AA.
D’autres espèces possèdent-elles cette capacité ?
Nos travaux ont montré que le babouin peut apprendre à
résoudre cette tâche, ce qui n’a été démontré auparavant que
chez des singes anthropoïdes (chimpanzés, gorilles), qui sont
plus proches de nous.
Les singes ont-ils besoin d’un entraînement spécifique
pour utiliser le raisonnement par analogie ?
Oui, il a fallu des dizaines de milliers d’essais pour que les
babouins parviennent à résoudre le problème. Cependant,
après l’apprentissage, ils se montrent capables de répondre
correctement même si l’on utilise des formes jamais vues
auparavant.
L’apprentissage de cette tâche est également difficile chez
l’enfant, même à l’âge de huit ans. Cependant, le fait d’utiliser
des mots pour décrire les paires d’objets aide à résoudre le
problème, et dans ces conditions des enfants de quatre-
cinq ans peuvent y arriver.
L´ANALOGIE N´EST PAS LE PROPRE DE L´HOMME

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  • 1. 66 / LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 ÊTRE RUSÉ COMME UN RENARD
  • 2. LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 / 67 KEVIN DUNBAR est professeur de psychologie à l’université du Maryland, États-Unis. Sous forme de comparaison ou de métaphore, l’analogie est un moyen simple et efficace pour transmettre une idée. Ses bénéfices sont nombreux, qu’il s’agisse de résoudre un problème ou d’apprendre mieux. Encore faut-il savoir l’utiliser avec pertinence et éviter ses pièges... LA FORCE DE L´ANALOGIE PAR MARYSE CHABALIER L’intelligence en pratique saac Newton aurait eu l’idée de la gravi- tation universelle en voyant tomber une pomme. Qu’elle soit véridique ou non, cette histoire démontre comment l’ana- logie peut se révéler utile face à une réflexion dans l’impasse. « Le raisonne- ment par analogie nous permet d’interpré- ter de nouvelles situations, de faciliter l’apprentissage, de résoudre des problèmes efficacement et rapidement, ainsi que de donner des explications à d’autres », note Kevin Dunbar, professeur de psychologie à l’université du Maryland, aux États-Unis. Mais utiliser cette forme de logique est plus compliqué qu’il n’y paraît. Pour raisonner par analogie, il nous faut une source, c'est-à-dire un concept familier que nous allons comparer avec un phénomène moins connu, la cible. L’utilisation d’une analogie se déroule en plusieurs étapes. Il faut d’abord chercher dans notre mémoire un évènement qui pourrait servir de référence. Vient ensuite la cartographie. Il s’agit de répertorier ce qui est similaire dans les deux situations, notamment au niveau de leur structure relationnelle. Inconsciemment, nous utili- sons différents critères pour vérifier si la concordance entre deux situations est correcte : chaque objet d’une situation doit correspondre à un objet et à un seul de l’autre situation. De même, chaque relation entre les éléments d’une situation ne peut correspondre qu’à une seule rela- tion dans l’autre situation. Par exemple, si vous comparez le cycle du CO2 atmos- phérique avec de l’eau qui entre et qui sort d’une baignoire, l’émission de CO2 ne peut correspondre qu’à un seul flux d’eau, ici l’entrée. I CL/GETTYIMAGES
  • 3. 68 / LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 L’intelligence en pratique L’AVANTAGE DE L'EXPERTISE. Une fois l’alignement effectué, nous pouvons repor- ter ce que nous savons de la source sur la cible : c’est l’inférence. À partir de l’exemple ci-dessus, vous pouvez déduire que si les émissions de gaz sont supérieures à la consommation, la quantité de CO2 dans l’atmosphère va augmenter, de la même façon que la quantité d’eau augmente lorsque qu’il y a plus d’eau entrant dans une baignoire qu’en sortant. Par contre, il ne vous viendrait pas à l’idée de mettre du savon dans l’atmosphère pour vous laver. Afin d’éviter ce type d’erreur, nous avons tendance à préférer les inférences qui reposent sur un maximum d’éléments communs aux deux situations. « L’exercice de l’analogie est souvent difficile, car on doit extraire la structure sous-jacente d’une situation, sans tenir compte de ses caractéristiques superfi- cielles, pour la reporter dans une nouvelle situation », explique Kevin Dunbar. Or, les ressemblances de contenu de deux situations nous sautent plus facilement aux yeux que celles portant sur leur logique interne. Cela est particulièrement vrai lorsque nous sommes limités dans le temps ou que nous faisons deux choses à la fois. Il faut être suffisamment familier avec la situa- tion de référence pour voir au-delà des apparences. Les experts d’un domaine auront ainsi plus de facilités à trouver une analogie. Créer ses propres analo- gies permet également de mieux se concentrer sur les relations internes. UN COUP DE POUCE BIENVENU. Dans une étude déjà ancienne, seuls 10 % des personnes auxquelles on a soumis un problème complexe réussissaient à le résoudre sans aide. Lorsque ce problème était accompagné d’une histoire qui avait une solution analogue, il était résolu par 30 % des participants. Enfin, quand un indice conseillait de se servir de l’his- toire, le taux de réussite montait à 90 %. Bref, il nous faut parfois être guidés pour repérer une analogie et en tirer parti. L’âge compte également. Les enfants ont plus de difficultés à utiliser l’analogie. La vitesse, c’est le diable des temps modernes… La crise d’aujourd'hui est peut-être la guerre de demain Vous, c’est le vacarme des mots. Nous, c’est le courage de l’action ! DROITSRÉSERVÉS/GETTYIMAGES
  • 4. LE MONDE DE L’INTELLIGENCE – N° 39 – NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2014 / 69 Ainsi, ils sont davantage influencés par les correspondances entre des objets et perçoivent moins les relations de causa- lité que leurs aînés. Cela ne les empêche pas d’utiliser un raisonnement par analo- gie si on leur donne des exemples, et ce dès trois ans environ. Malgré ces limites, l’analogie est utilisée au quotidien par les médias, les politiques ou les chercheurs. Le choix d’une analogie n’est pas anodin. Ainsi, un candidat politique va utiliser des analo- gies positives pour évoquer son camp et négatives pour parler de son adversaire. Le problème des analogies est qu’elles simplifient une situation, ce qui peut conduire à des conclusions fausses. Paul Thibodeau et Lera Brodsky, maîtres de conférences aux États-Unis, respective- ment au Oberlin College et à l’université de Californie, évoquent les propos de l’économiste Paul Krugman. Selon lui, comparer l’état de l’économie à une mala- die conduit à penser qu’elle “retrouvera la santé” rapidement, pour peu qu’elle reçoive les soins appropriés. Les déci- deurs politiques optent donc pour des solutions à court terme, alors que le problème doit être traité sur le long terme. UN MOT QUI CHANGE TOUT. Les métaphores nous influencent sans que nous nous en apercevions. Deux recherches conduites par Paul Thibodeau et Lera Brodsky le démontrent. Lors d’une première étude, ils ont demandé à des personnes de proposer des solutions pour diminuer le crime qui ravageait une ville imaginaire. Les participants lisent d’abord une courte description de la situation. Un seul mot change : le crime est soit un virus, soit une bête qui ravage la ville. Lorsque le crime est comparé à un virus, les personnes ont tendance à privilégier les mesures traitant la cause du problème, comme diminuer la pauvreté ou améliorer l’éducation. À l’inverse, quand le crime est envisagé comme une bête, les mesures plus directes sont mises en avant, tels l’empri- sonnement des criminels ou la formula- tion de lois plus sévères. Dans une seconde étude, les partici- pants doivent choisir quelle solution leur paraît la plus adaptée parmi une liste de propositions. Résultats, les personnes ayant lu la comparaison du crime avec une bête sont plus nombreuses (10 %) à choisir une mesure coercitive que les personnes ayant lu la métaphore du virus. Une analogie peut donc non seulement influencer les solutions qui nous viennent à l’esprit en premier, mais aussi celles qui nous paraissent les plus appropriées parmi celles qui sont suggérées. Et cette influence se fait à notre insu : lorsque l’on demande aux participants quelle partie de la description a influencé leur choix, moins de 5 % d’entre eux citent la méta- phore. La capacité de simplification de l’analogie fait donc sa force... mais aussi sa faiblesse. ● RÉFÉRENCES P.H. Thibodeau et L. Boroditsky, PLoS ONE, janvier 2013. P.H. Thibodeau et L. Boroditsky, PLoS ONE, février 2011. J. Fagot et R.K. Thompson, Psychological Science, octobre 2011. JOËL FAGOT, directeur de recherche au CNRS, étudie l’utilisation de l’analogie chez les babouins. Comment avez-vous montré que les babouins sont capables d’un raisonne- ment par analogie ? Nous leur avons proposé des tâches sur un écran informatique. On leur montre deux formes visuelles, par exemple la forme A et la forme B. Ensuite, on leur présente deux nouvelles paires de formes : par exemple la paire CC et la paire DE. Pour être récompensé, le babouin doit choisir la paire qui présente la même relation que la paire initiale. Il devait donc choisir DE (relation de différence) si la paire initiale était de type AB (différence), ou CC (identité) si la paire initiale était de type AA. D’autres espèces possèdent-elles cette capacité ? Nos travaux ont montré que le babouin peut apprendre à résoudre cette tâche, ce qui n’a été démontré auparavant que chez des singes anthropoïdes (chimpanzés, gorilles), qui sont plus proches de nous. Les singes ont-ils besoin d’un entraînement spécifique pour utiliser le raisonnement par analogie ? Oui, il a fallu des dizaines de milliers d’essais pour que les babouins parviennent à résoudre le problème. Cependant, après l’apprentissage, ils se montrent capables de répondre correctement même si l’on utilise des formes jamais vues auparavant. L’apprentissage de cette tâche est également difficile chez l’enfant, même à l’âge de huit ans. Cependant, le fait d’utiliser des mots pour décrire les paires d’objets aide à résoudre le problème, et dans ces conditions des enfants de quatre- cinq ans peuvent y arriver. L´ANALOGIE N´EST PAS LE PROPRE DE L´HOMME