1. Questions, réponses !
JDD à BD, JCV, BA et DVW
1. Un quotidien généraliste de qualité, c'est quoi ? Cela vous fait-il
réagir ou rugir ? Est-ce pour vous un positionnement gagnant pour
Le Soir : oui, non, pourquoi, une autre idée ?
Pour répondre à l'emporte-pièce à vos questions...
Bien sûr que ce positionnement vaut la peine d'être défendu, même si à ma
connaissance Le Soir est l'un des rares journaux en Europe à être parvenu à
l'illustrer, grâce à une exceptionnelle implantation dans la société belge
francophone - et jadis dans la société belge tout court - qui, avec le temps, a
été en partie perdu de vue. Le lecteur moyen du Soir, on avait coutume de le
dire, correspondait au Belge moyen. Ce citoyen théorique - là a partiellement
abandonné la presse écrite. Mais le Belge lecteur a lui aussi changé : il est de
plus en plus exigeant, de plus en plus cosmopolite, il est à l'image de la ville
où le Soir est implanté, et cette mutation - là, nous ne l'avons pas suivie, faute
d'y être suffisamment sensible. Bruxelles est bien plus un carrefour européen,
bien plus composite sur le plan culturel qu'avant (je prends le terme culturel
au sens large), et des publications flamandes - je pense même aux toutes-
boîtes "Brussel deze week" - en rendent d'avantage compte parce qu'il est fait
par des gens qui, à défaut peut être d'aimer Bruxelles, veulent la séduire, la
conquérir. Le Soir ne donne plus l'impression d'aimer Bruxelles, parce qu'il
est fait par une majorité de gens qui semble avoir des comptes à régler avec
cette ville. La ville s'en ressent, et se détourne d'un journal qui lui fait grise
mine. Alors qu'il est parfaitement possible d'avoir plusieurs amours : Liège,
Namur, Mons, Verviers...et Bruxelles. C'est même cette équation-là, bien
vécue, qui peut nous aider à regagner le terrain perdu...
2. Quels sont les dix points forts du Soir ?
Y en a-t-il dix ? essayons toujours...
a. La simplicité d'attitude, un coté pas du tout arrogant, mais qui ne
devrait pas devenir démagogique.
2. b. L'ouverture, mais qui devrait être réelle. Le Soir est un journal à
vocation laïque, c'est depuis qu'il a commencé à l'oublier qu'il a,
sans paradoxe aucun, commencé à perdre son âme.
c. L'impertinence de bonne compagnie, une façon de ne pas être dupe,
mais qui se lézarde aussi, notamment dans une attitude à l'égard des
pouvoirs, qui est soit trop servile, soit inutilement agressive. Un
grand journal doit être de plein pied avec les grands de ce monde,
ne fût-ce que parce que, depuis cent vingt ans à peu près, il a
prouvé qu'il était à même de leur survivre.
d. Un souci du service, qui doit toujours se perfectionner, bien sûr,
mais qui lui reste chevillé.
e. Une ambition généraliste : un journal qui parle de tout à destination
de tous. Ce n'est pas inaccessible : la preuve, c'est que nous l'avons
fait si longtemps.
f. Une situation unique sur le plan politique : celle de ne pas être
situable. Mais cela réclame une vigilance de tous les instants, qui se
relâche quelque fois.
g. Pas de prétention, de l'ambition plutôt, mais là aussi, la proportion
s'est gâtée ces derniers temps.
h. Le statut de mythe local : Le Soir est dans le folklore bruxellois au
même titre que Manneken Pis ou l'Atomium. Ça aide à ne pas
perdre tous les lecteurs...
i. L'idée toute simple qu'il n'est pas remplaçable : là aussi, il ne faut
pas trop se bercer d'illusion, mais il m'arrive de m'étonner encore
qu'on nous fasse tellement crédit, par pure inertie sans doute.
j. Le fait que quelques-uns de l'intérieur, ou presque, comme moi,
continue à l'aimer, et à lui vouloir le plus grand bien.
3. Quels sont les dix points faibles du Soir ?
Il y en a sans doute plus que dix, mais ne l'accablons pas.
a. Une attitude que je qualifierais de tiède vis-à-vis du réel. C'est
l'envers de son positionnement moyen. La société francophone
de Belgique pourrait bien être en plein essor, mais ce n'est pas
Le Soir qui nous le dit, ni ne l'inspire. Alors que ce devrait être
son rôle. Les journaux flamands, de façon excessive parfois
forgent la société flamande. Nous ne sommes pas conscient de
ce rôle, c'est à croire que nous ne savons même pas que nous
3. sommes des faiseurs d'opinion. L'être de manière inconsciente
est pire que l'être délibérément.
b. Nous manquons de style, de goût, de ce quelque chose qui fait "
la patte" d'un journal, qui est aussi un objet culturel quoi que
l'on fasse.
c. Nous écrivons de plus en plus mal. Soit n'importe comment, soit
en nous regardant écrire, ce qui est également dommageable. J'
ai parfois l'impression qu'on lance des nouveaux-venus dans la
mêlée sans les avoir testé sur ce plan au préalable. Mais même
chez les ainés, on perçoit la contagion. Du coup, les meilleures
plumes se perdent dans la masse.
d. On pourrait croire que nous manquons de talents. C'est faux,
évidemment. Mais un talent, cela ne tombe pas du ciel. Cela se
travaille, s'entraîne, se cultive. Où en sommes-nous de
l'encadrement sur ce plan ?
e. Nous sommes vite contents. Le lecteur, lui, l'est de moins en
moins. L'un résulte de l'autre.
f. Nous n'approfondissons pas, nous ne suivons pas les sujets, ne
les creusons pas assez . On attend de nous, pourtant, que nous
nous acharnions.
g. Nous n'avons pas assez d'imagination, de fantaisie, nous ne nous
amusons pas assez. Or, un journal qui manifestement s'amuse
amuse le lecteur.
h. Nous ne nous insérons pas assez dans la société, par des
animations, des clubs, des associations de lecteurs. Cette
interactivité est cependant très importante aujourd'hui : elle
compense la grande solitude anonyme face à la toile...
i. Nous sommes trop modeste. Nous sommes le premier journal de
la ville stratégiquement la plus importante d'Europe et nous
nous comportons comme si nous étions implantés dans une
sous-préfecture.
j. Nous n'avons pas de réseau international : nous pourrions
collaborer avec El Pais, La Reppublica, The Independent, le
Dagens Nyheter, Het Parool, tous journaux qui ont, je l'ai
expérimenté, plus d'estime pour nous que nous n'en avons pour
nous-mêmes.
4. Quelles questions aimeriez-vous poser à BM et DVW ?
4. Une question toute simple : êtes-vous des réanimateurs ou des
terminateurs ? Le Soir est dans cette position unique de permettre encore
le choix entre les deux méthodes, la fatale et la salvatrice. On sait quelle
est la plus noble, et la plus payant à long terme. On sait aussi quelle est la
plus commode, et la plus payante à court terme. Tout est à faire, ici
comme ailleurs, de talent, d'imagination et d'ambition. On a vu les plus
médiocres être pris soudainement, comme sur un chemin de Damas, par la
volupté de l'honneur...
5. Quelles sont vos dix suggestions ?
Là aussi, je vais m'efforcer de compter jusqu'à dix.
a. Il faut être crédible pour les Européens de Bruxelles, dont plusieurs m'ont
déjà dit : on lit Le Soir parce que nous n'avons pas le temps d'apprendre
le néerlandais, sans quoi nous nous serions depuis longtemps tourner vers
la presse flamande.
b. Il faut devenir le premier journal francophone hors de France, comme
l'était le Journal de Genève à un moment donné de son histoire.
c. Il faut être convaincu qu'un média de presse écrite ne survivra que par la
qualité. La qualité en tout : le sérieux, le léger, le grave, le frivole, le
populaire, le classieux... Nous devons être bon dans tous les registres.
d. Nous devons capitaliser sur nos suppléments, que nous avons trop
tendance à négliger ces derniers temps, et être beaucoup plus " dans le
coup" avec Victor, qui n'a, jusqu'à présent, pas prouvé grand chose. Même
La Libre essentiel me donne des complexes. Sans parler de l'offre de la
presse étrangère dans le domaine.
e. Nous devons nous parler plus, nous critiquer plus, nous débriefer plus, en
laissant toutes susceptibilités au vestiaire. Qui aime bien fustige bien. Et
nous nous aimons tous bien n'est-ce pas ?
f. Nous devons préférer notre journal à tous les autres, et ne pas faire Le
Soir et puis lire Libé ou Le Monde pour notre plaisir personnel. Il faut
tenir Le Soir pour un concurrent possible du Monde ou de Libé, qui a en
plus l'avantage de paraitre au cœur de l'Europe, et pas dans cette réserve
culturelle dépassée qui est Paris...
g. Il faut oublier les années de plomb que nous avons traversées depuis
1990. Il faut les objectiver, les analyser. Ne plus retomber dans les mêmes
ornières. La décennie fatale, celle du "déjà bon comme cela" nous a
menés à l'impasse.
5. h. Il faut vouloir prendre son pied en travaillant. Il suffit parfois de ne plus
marcher du même pas...
i. Il faut désirer un Soir heureux.