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Sur l’assistance internationale pour la préparation de
législations environnementales dans des pays à faible
gouvernance.
Laurent GRANIER
Expert en droit et politiques de la biodiversité (www.ecocy.net)
ABSTRACT
In poor governance countries, law making institutions (Parliament - Ministries-
the Judiciary) operate in an unfavorable context when to the vitality of institutions is
superimposed the strength of a presidential system. One consequence is the
monopolization of legal tools - the law and regulations - by executive powers . The
urgency characterizing contemporary environmental issues, such as the fight against
climate change, the rational management of "global public goods" or the rapid
erosion of biodiversity, call a search for effectiveness of the rule of law by
international cooperation . But at what price?
To understand these challenges around the goal of effectiveness in such
contexts, we must go back to the functionning of law-making procedures
themselves, starting with weak political impulses, followed by procedures in which
the actors of legal assistance are not necessarily pushing the same agenda (I)
Solutions emerge, including a number of conditions and minimum steps for legal
assistance in the develoment of environmental solutions. Strong, legitimate,
intergovernmental frameworks are more than ever a structural necessity for the
development of a just and efficient rule of law (II)
Dans des pays à faible gouvernance, les institutions de fabrication du
droit : Parlement – Ministères – Système judiciaire, évoluent dans un
contexte peu favorable lorsqu’à la vitalité des institutions se surimpose la
force d’un régime présidentiel. Il en résulte notamment une monopolisation
des outils juridiques que sont la loi et les règlements par le pouvoir exécutif.
L’urgence caractérisant les enjeux contemporains de l'environnement,
comme la lutte contre les changements climatiques, la gestion rationnelle
de « biens publics mondiaux » ou l’érosion rapide de la biodiversité, appelle
une recherche d’effectivité du droit par les coopérations internationales.
Mais quel prix à payer pour cette quête d'effectivité?
Pour comprendre ces enjeux autour de cet objectif apparemment
louable d'effectivité dans de tels contextes, il faut remonter au
cheminement particulier de fabrication du droit dans les pays à faible
gouvernance. C'est-à-dire partir de l’impulsion politique, puis suivre par
quelles procédures et par quels jeux d’acteurs le droit national se construit
pour répondre aux objectifs des politiques internationales (I). Des solutions
se dégagent, notamment un certain nombre de conditions et d’étapes
minimales, mais aussi des limites et des enjeux se dévoilent pour l’assistance
Laurent GRANIER
96
internationale lorsqu’elle appuie la préparation de législations
environnementales (II)
DES CONTEXTES PEU FAVORABLES
A. MONOPOLISATION DU DROIT PAR LES EXÉCUTIFS PRÉSIDENTIELS
Forts de leurs histoires et traditions juridiques, à la fois endogènes et
hérités des systèmes administratifs coloniaux de tradition socialiste ou
libérale, les pouvoirs publics d’Afrique francophone, comme dans n’importe
quel Etat, détiennent aujourd’hui cette potestas gubernandi, ce pouvoir
d’imposer aux gouvernés les règles de droit (cette « grammaire du social »1
),
sous deux formes. D'abord par le contrôle total du pouvoir exécutif à travers
la production d’actes réglementaires : décrets présidentiels, décrets et
arrêtés ministériels et autres actes administratifs. Ensuite, par le contrôle du
pouvoir législatif central, plus exactement du Parlement, chargé de conduire
l'élaboration des lois. Fédérés autour d’un gouvernement représentatif de la
« Nation » ou du « Peuple », les citoyens vivent dans l’acceptation de cette
auctoritas, de ce droit, qu'un juge vient au besoin interpréter par son
imperium, avant d’imposer, dans l’affaire qui est soumise à sa juridiction, les
solutions qui lui paraissent conformes à la légalité.
Ce que l’on nomme aujourd’hui « Bonne gouvernance »2
permet de
mesurer, par une série d’indicateurs, la réalité du jeu démocratique des
institutions. Institutions qui « fabriquent » et administrent le droit. Nous
nous intéressons ici aux pays africains francophones tout en bas de la liste
des classements de bonne gouvernance des Nations-Unies et de l’indicateur
de la facilité des transactions commerciales (Doing Business Index). Ecartons
d’entrée les régimes politiques inexistants (comme la Somalie) et ceux qui
n’offrent pas d’institutions permettant l’édiction du droit, comme par
exemple la République Centrafricaine pour cause de guerre actuellement.
Un peu schématiquement, un système « présidentiel » tel qu’on le
rencontre au Bénin, au Congo, au Cameroun, au Gabon, à Madagascar, en
République Démocratique du Congo ou au Sénégal est un système de parti
1
Monique Chemillier-Gendreau, « Droit international et démocratie mondiale : Les
raisons d’un échec », ed. Textuel, La Discorde, 2002.
2
Selon une définition généraliste, la gouvernance est « un nouveau style de
gouvernements caractérisé par la coopération multi-niveaux, des partenariats public-
privé, et des forums de discussion ouverts à la participation ». Dans sa conception la
plus large, c’est la « participation à la fois du pouvoir politique institué et de la
société civile, une hypothèse qui valorise le rôle des acteurs privés, à but lucratif, et
organisations non gouvernementales (ONG) de toute sorte» (Gaudin, 2004: L’action
publique. Sociologie et politique. Presse de sciences po et Dallos)
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
97
dominé par un Chef. Le parti au pouvoir contrôle notamment les deux
organes de production du droit que sont le Parlement et les ministères. Les
deux outils juridiques fondamentaux, la loi et le règlement, sont donc,
d’autorité, soumis au contrôle intégral de l’exécutif présidentiel. Lorsque
multipartisme il y a et que des coalitions se forment au sein du
Gouvernement et du Parlement, en général à l’issue d’élections législatives,
la ventilation des postes ministériels se fait à peu près dans des proportions
équivalentes aux poids des partis politiques présents dans l’hémicycle. Mais
cela va plus loin dans certains régimes présidentiels. En République
Démocratique du Congo par exemple, certains ministères « appartiennent »
traditionnellement à tel parti politique et les membres du cabinet du
Ministre sont même, en plus du Ministre, proposés par la direction du parti.
Les ministères sont ainsi des pré-carrés, indispensables relais politiques et
financiers3
, du pouvoir en place.
Ces ministères et secrétariats d’Etat, que l’on compte en général par
dizaines, génèrent une masse impressionnante de fonctionnaires
subalternes, parfois fictifs ou oubliés (en tout cas peu visibles) et de cadres
fonctionnaires trop vite balayés par de fréquentes alternances
ministérielles. Ce corps de fonctionnaires, dont les plus hauts responsables
sont exclusivement au service du régime en place, ne se met donc que très
peu au service de l’intérêt général. Il suffit de constater l’état des services
publics pour s’en rendre compte.
La première catégorie de règles juridiques, les actes réglementaires sont
donc, avant tout, monopolisés par les administrations des régimes en place.
Dans cette perspective, hormis l’énorme catégorie (elle non négligée) des
actes réglementaires indispensables à la régulation (autorisations de
fonctionnement, autorisations annuelles de coupe, etc.) et à la taxation des
ressources naturelles (bois, pétrole, poissons, etc.), l’action réglementaire
concernera plus fréquemment des nominations, des reconnaissances de
« bureaux de projets », la constitution des groupes de travail, etc. Et,
toujours dans le meilleur des cas, la production de normes techniques (hors
extraction) ne sera pas totalement négligée comme les seuils de pollution, la
réglementation des installations classées, la définition de plan
d’aménagement d’aire protégée, de zonages, etc. Dans cette optique de
captation de l’exécutif, il est compréhensible que tout ce qui relève du
global et du long terme (organisation et aménagement du territoire,
planification, urbanisme, changements climatiques, perte de biodiversité,
3
Il n’est un secret pour personne que la maîtrise d’un département ministériel est un
facteur important pour le financement d’un parti politique ou de ses membres.
Raison pour laquelle les partenaires techniques et financiers doivent être prudents
sur la façon dont ils engagent leurs partenariats. A moins, effectivement, que
l’efficacité de la dépense de l’aide public au développement ne soit pas le but
recherché par tous.
Laurent GRANIER
98
érosion côtière, etc.) ne soit pas des priorités des gouvernants. En un mot
certaines de ces administrations ont perdu le sens de « l’intérêt général » et
la notion de « continuité du service public ».
Mais grande est la surprise de constater que, sous ces régimes, les lois
sont aussi maîtrisées par les exécutifs présidentiels ! Et cela à trois titres.
Tout d’abord ce sont systématiquement les ministères qui préparent les
projets de lois. Les assemblées nationales tiennent ainsi plus lieu de
« chambres d’enregistrements » que de chambre du peuple4
. En second
lieu, les présidences, et de plus en plus les primatures (ou le Secrétariat
général du Gouvernement - sorte d’antichambres du pouvoir suprême),
contrôlent discrètement, mais fermement (et là également avec les moyens
nécessaires), chaque projet de loi avant qu’il soit présenté et adopté au
Parlement (ce système étant observée dans pratiquement tous les pays
d’Afrique centrale).
Mais elles contrôlent également les projets de décrets jugés
stratégiques. On peut penser aux décrets présidentiels permettant cette
même maîtrise lorsque la répartition constitutionnelle des compétences
avec le Parlement ne l’autoriserait pas.
Comme troisième aspect, les Parlements, ainsi « édifiés » par tout ce
« travail préparatoire » orchestré et ces « avis positifs » (les guillemets
permettent d’illustrer le langage utilisé) de la Primature, de la Cour
constitutionnelle ou de la Cour suprême (les mêmes qui interviennent en
cas de contentieux électoral), votent ces lois en bon ordre, si ce n’est avec
quelques amendements de forme pour faire bonne figure.
Nous ne jugeons pas les régimes présidentiels dans l’absolu (des formes
de régimes dirigistes ont pu être jugées nécessaires historiquement dans
des pays démocratiques aujourd’hui), mais nous en observons les
conséquences du point de vue de la fabrication et de l’utilisation du droit. Et
puisqu’il y a toujours des contre-exemples, le cas du Rwanda interpelle car,
de ce même centralisme (de cet autoritarisme même), semble résulter une
administration au service de l’intérêt général dans tous les domaines. Celle-
ci contribue à la forte croissance économique du pays, même si nous
n’avons pas encore assez de recul pour tirer réellement des leçons de ce
modèle, d’un point de vue social et culturel notamment.
B. AFFAIBLISSEMENT DES ASSISTANCES TECHNIQUES
Des systèmes où à la fois le législateur et l’administration sont plus
éloignés de leur fonction de gardien de l’intérêt général que de leur fonction
4
Ne nous attardons pas sur ces nouveaux Sénats que l’on dit à la mode - des
assemblées budgétivores servant tout au plus à placer quelques membres inféodés
en fin de carrière – mais auxquels semblent renoncer quelques alternances
contemporaines, comme c’est le cas au Sénégal.
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
99
de représentation des intérêts à plus ou moins court terme du régime au
pouvoir est la donnée politique de départ avec laquelle l’assistance
internationale devra s’adapter. Et si en définitive, face à l’urgence
environnementale et à la nécessité de préserver à long terme ces biens
publics mondiaux que sont la forêt, le climat, la diversité biologique, les
ressources halieutiques ou la faune sauvage, le but recherché demeure de
parvenir à des règles de droit qui fonctionnent (qui sont effectives), cela doit
se faire nécessairement dans le cadre d’un processus qui, malgré la donne
décrite plus haut, prenne en compte la science, la volonté des parties
prenantes et les forces politiques, économiques et sociales5
en jeu.
1. Impulsions politiques exogènes
Tout d’abord se pose la question de l’intention qui prévaut à l’édiction
ou à la révision d’une loi environnementale: L’impulsion politique de
départ est-elle réelle ? Par réelle nous entendons : est-elle endogène ? Est-
elle « pensée » dans des cabinets ministériels ? Par des assemblées ? A
l’issue d’assises nationales ou bien à la suite d’un évènement national
tragique, comme c’est souvent le cas en matière d’environnement ?
Écartons l’idée d’une forme chimiquement pure d’Etat qui impulserait
seul les réformes juridiques bien évidemment. Il s’agit en général de
concours de circonstances dont la forme varie selon le jeu des acteurs mais,
dans les faits, nous sommes plus souvent amenés à constater des situations
dans lesquels l'Etat, les institutions nationales dans leur diversité, sont
purement et simplement absents de cette impulsion de départ.
L’impulsion des conventions internationales et régionales est bien
connue. Par exemple, les législations sur la gestion des ressources naturelles
des années 1990 et 2000 sont une transposition de la Convention de Rio sur
la diversité biologique. Il s’agit d’une impulsion à l’échelle mondiale,
d’ailleurs relayée à juste titre (à l’époque, nous allons y revenir) par une
assistance juridique idoine des organisations internationales comme le FAO,
le PNUE ou l’UICN, qui appuyaient légitimement6
ces Etats dans la
transposition de leurs obligations internationales.
Toujours au niveau conventionnel, les accords de partenariat volontaire
(APV) entre l’Union européenne est certains pays producteurs de bois
tropicaux ont également enclenché des processus juridiques de
5
Car malgré les régimes en place ces « forces vives » demeurent. Il faut aller en
Afrique pour se rendre compte que les citoyens ne placent pas la question des abus
des hommes politiques et de la mauvaise gouvernance dans leurs priorités.
Finalement ils les laissent un peu de côté alors que ces questions semblent
absolument prioritaires du point de vue de l’occident.
6
A travers leurs Conseils propres, formés d’Etats assurant un contrôle et une
validation de leurs activités.
Laurent GRANIER
100
transposition des obligations issues de ces accords bilatéraux. Il en est de
même pour les accords de pêche.
Certains standards, comme la liste rouge des espèces menacées de
l’UICN, sans être juridiquement contraignant, parviennent également à
influencer les listes d’espèces totalement ou partiellement protégées au
niveau national.
Les formes de conditionnalité de la Banque mondiale ou du Fonds
monétaire international sont également connues. Mais ces réformes ne
concernent finalement que très peu le droit de l’environnement au niveau
technique.
Là où les choses se compliquent en revanche, c’est lorsque cette
impulsion supranationale est absente. Force est alors de constater, à
quelques exceptions près (comme ce fut le cas lors de la dernière réforme
juridique des aires protégées du Gabon), que des réformes juridiques ont
été engagées sous la pression d’acteurs extérieurs aux Etats. Dans
l’immense majorité des cas il s’agit des bailleurs de fond ou des partenaires
techniques et financiers, incluant des ONG internationales ou des
coopérations bilatérales, dont l’action se situe dans le cadre de simples
projets.
Ainsi le fait que tel projet ou telle ONG ait inscrit dans son programme le
développement d'outils juridiques, et qu’il soit doté de fonds, est souvent
suffisant pour mettre en branle le système législatif ou réglementaire d’un
Etat à faible gouvernance. Cela a quelque chose de perturbant si l’on fait le
parallèle avec les Etats développés. Penser qu’une association dotée de
quelques dizaines de milliers d’euros puisse faire évoluer le statut de la
faune protégée de France ou la loi sur les forêts d’Italie semble impensable.
Et bien dans les pays à faible gouvernance cela est pensable. C’est même
actuellement la règle.
Soit, mais les intentions de départ sont-elles alors louables ? Souvent
elles le sont. Et des deux côtés : volonté d’aider d’un côté, opportunité
d’avancer, de saisir l’opportunité d’une assistance technique de l’autre. Et
parfois elles ne le sont pas : volonté d’influencer le droit pour faire mieux
avancer son projet d’un côté, opportunité de montrer qu’on fait quelque
chose, voir simple occasion de capter quelques per diem, de l’autre. Souvent
l’amateurisme prévaut tout simplement, le projet n’ayant intrinsèquement
pas la capacité technique et financière de parvenir à produire le droit
envisagé. A ce petit jeu tout le monde part nécessairement perdant.
2. La faiblesse des moyens techniques déployés
Dans le meilleur des cas un document de concept autour duquel se
seront réunis les partenaires ainsi constitués (le partenaire technique et
financier - financeur - et le département ministériel - récipiendaire) servira
de base à des termes de référence pour l’élaboration d’un projet de texte. A
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
101
une mauvaise idée va en général suivre une mauvaise méthode consistant à
confier à un juriste l’élaboration d’un projet de texte. Cet écueil à éviter
absolument est hélas trop courant. « Un juriste seul ne fait pas de bonne
loi », voilà une maxime que l’on devrait graver sur le fronton des bureaux de
projet. Comment peut-on concevoir que confier à un juriste national ou
international (ou les deux) le soin de préparer un avant-projet de texte
permettra de jeter des bases solides dans un domaine aussi complexe que la
diversité biologique et dans des systèmes politiques et administratifs aussi
fragiles et centralisés ? Et bien c’est le plus souvent la façon dont les choses
se passent. Dans le meilleur des cas également un comité de suivi
comprendra d’autres membres que la garde rapprochée du département
ministériel partenaire : ONG locales, parlementaires et autres départements
ministériels concernés.
Or, rappelons-le, fondamentalement une loi (mais aussi un décret
ministériel ou une politique sectorielle) est un outil engageant la nation
toute entière. En principe préparée par des techniciens (le plus souvent
issus des départements ministériels concernés - des rédacteurs en général),
revue par des experts sur la base de processus de consultations formels et
informels variés (assises, colloques, etc.), le texte passera devant une
assemblée pour revue, amendement et adoption des mois après avoir
commencé son parcours dans des parafeurs ministériels. La préparation
d’un règlement, en tant qu’outil de l’administration (qui élabore décrets,
arrêtés, circulaires et toute la gamme de textes réglementaires possibles)
revient d’abord aux fonctionnaires, aux agents, qui connaissent leur
domaine, leurs besoins et savent tirer les leçons des bases juridiques
existantes. Pas à un consultant.
Abordons ici rapidement l’application des textes, puisqu’elle est
fondamentalement liée. Comment espérer qu’un fonctionnaire, un agent de
l’Etat, mette en application (comprenne même !) un règlement dont il a été
écarté lors de son l’élaboration, qu’il découvre le plus souvent ? Comment
imaginer qu’une loi pensée par d’autres, sans aucune autre forme de
consultation ou de communication, puisse être appliquée par des citoyens
et des acteurs économiques et sociaux autrement qu’en considération de
son caractère étranger et par des stratégies d’évitement ?
De ces deux étapes fondamentales que sont l’impulsion politique et la
préparation des projets de textes il est trop souvent constaté un manque
voire une absence de prise en compte dans les pays à faible gouvernance. A
l’inverse, il nous a été amené de constater, fort logiquement, que des
formes de droit effectives pouvaient émerger lorsque l’impulsion politique
de départ est sincère et lorsque certaines conditions techniques, et, dans
une moindre mesure financières, sont réunies.
A y regarder de plus près, malgré le centralisme qui caractérise les pays à
faible gouvernance, ceux-ci peuvent suivre un processus d’édiction du droit
Laurent GRANIER
102
endogène. La recherche et l’application de solutions juridiques s’impose en
tout lieu et le droit est demandé par tous en Afrique, au même plan que des
conditions sécurisantes d’exercice de la libre entreprise. Avec une impulsion
politique sincère, des premières ébauches de texte basées sur une réflexion
scientifique, par des consultations élargies, un effort d’affinement progressif
du texte dans le temps et avec le souci du suivi du texte jusqu’à son examen
par les instances consultatives et décisionnelles, la mise en œuvre de tels
textes peut être effective. Ce sont surtout les moyens mis à disposition par
les projets, d’un côté, et l’intérêt et la volonté politique, de l’autre, qui font
défaut.
Dans ces contextes où les institutions ne jouent pas pleinement leur rôle,
lorsque les groupes de lobbying ne sont pas structurés, que les commissions
parlementaires entre autres espaces de consultation qui font normalement
le jeu des démocraties sont le plus souvent absents, c’est à un travail
d’équilibriste (pour ne pas dire de « bricolage ») que l’assistance technique
doit en général s’atteler afin de recréer du sens et un semblant de jeu
démocratique en attendant mieux. Autant être clair: la plupart du temps cet
objectif de créer du droit effectif dans des conditions de faible gouvernance
n’est pas atteint. Mais ce n’est pas faute de tenter d’ouvrir des pistes à la
réflexion des partenaires pour une ébauche de conditions de
fonctionnement et d’un schéma minimal, ceci afin d’éviter tout du moins les
écueils décrits plus haut.
SOLUTIONS, LIMITES ET ENJEUX
A. OBTENIR LES MOYENS DE TRAVAILLER ET AVOIR UNE MÉTHODE
1. Temps, financement et soutien politique : Des ingrédients
indispensables
Le facteur temps est le plus important. Bien avant les moyens financiers,
de combien de temps le projet ou l’assistance technique bénéficient-t-ils ?
En général pas assez à l’échelle d’un projet conçu autour de résultats
annuels dans des cycles de programmes allant d’un à trois ou quatre ans.
Bien souvent le projet vise l’objectif d’un projet de texte mais rarement d’un
texte adopté. Or il peut se passer quelques années avant qu’un projet de
texte soit adopté par le ministère de tutelle et encore plus par le Parlement.
Un projet de texte est une activité, l’aboutissement d’une première étape.
En aucun cas il n’est un impact affichable dans un rapport d’activité et
encore moins sur le terrain.
Le suivi d’un projet de texte est décisif : s’assurer que le texte n’est pas
« détricoté » dans quelque cabinet ministériel, qu’il survit à un changement
d’administration (voir au simple changement du fonctionnaire qui en
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
103
assurait le suivi – raison parfois suffisante à son oubli dans un tiroir), prévoir
du temps pour suivre (voire relancer) le dossier auprès des organes
consultatifs (Primature, etc.). Ou tout simplement pour informer les
parlementaires sur l’économie du texte et les raisons qui ont prévalu à sa
préparation, l’environnement étant une matière souvent technique.
Les organisations internationales citées plus haut ont les moyens
d’assurer ce suivi. Les projets de moins en moins. Surtout à une époque de
communication où les partenaires au développement se doivent de
présenter des résultats visibles, rapides, attractifs.
Le facteur financement ensuite. Pour l’élaboration d’une loi
environnementale selon une approche participative, il convient de prévoir
une fourchette de 200 à 300 000 Euros.
Si nous prenons pour exemple le développement de l’avant-projet de Loi
forestière en République du Congo, l’Agence Française de Développement
qui a financé ce travail a pensé et prévu, à la faveur d’une direction
ambitieuse et d’un chargé de projet responsable (le succès d’une activité en
coopération est souvent le fruit de quelques individus motivés), ensemble
avec l’assistance technique sélectionnée qui en avait fait la proposition, un
véritable processus de consultation à la hauteur des ambitions nationales. Il
a fallu compter la mise en place et les nécessaires réunions régulières d’un
comité de suivi national rassemblant l’ensemble des parties prenantes
concernées (ministères, ONG, opérateurs économiques, observateur
indépendant, notamment), la tenue de réunions de consultation au niveau
de chaque département afin de capter les besoins locaux, l’expertise
technique de juristes et d'experts forestiers internationaux, les réunions et
commissions techniques spécifiques (afin de trouver des solutions à tel ou
tel thème, comme les montants des amendes et des peines), les
contributions directes de dizaines de partenaires sur le texte, le nettoyage
juridique et la tenue d’un grand atelier national de validation de l’avant-
projet de texte, le suivi du texte… le montant de la « facture » monte vite.
Mais il restera toujours dérisoire à côté des moyens déployés par n’importe
quelle nation européenne dans laquelle fonctionnaires, experts et
parlementaires sont mis à contribution par le jeu naturel des institutions.
Par ailleurs, le recours à des bureaux d’études internationaux ne favorise
pas toujours la mise en place de procédures souvent jugées longues ou trop
complexes.
Le soutien politique nécessaire est double : Soutien en amont des
acteurs politiques nationaux à haut niveau (Ministre voire Présidence
comme c’était le cas pour la Loi sur les parcs nationaux au Gabon) qui
doivent croire et réellement désirer le texte à préparer. Soutien politique du
partenaire technique et financier qui doit également mobiliser les autres
partenaires techniques et diplomatiques. Ce soutien est plus limité lorsque
la réforme est portée par un projet derrière lequel s'adosse une ONG ou un
Laurent GRANIER
104
bureau d’étude.
2. Procédure minimale pour un processus participatif
Cette méthode, sorte de « recette minimale » en cinq étapes, a été
développée dans le journal d’Ecocy7
(Granier, 2013, avec l’aimable revue
d’Ali Mekouar et de Yacouba Savadogo). L’idée du présent article est partie
de là.
Que ce soit pour une loi ou pour une série de décrets, l'assistance
juridique chargée d'accompagner l'élaboration d'un texte environnemental
dans un pays à faible gouvernance devra inscrire son action de préparation
(donc hors suivi du texte et adoption) sur une durée supérieure ou égale
à quatre mois.
La première étape est de préparer son travail. Pour cela il faudra :
- s’inscrire dans l'histoire juridique nationale : Prendre connaissance des
textes anciens et en vigueur sur le thème qui est traité et se renseigner sur
les motifs et les procédures (Parlement, décret présidentiel ou autre) ayant
conduit à leur adoption et aux problèmes de mise en œuvre qui conduisent
à leur révision.
- mettre sur pied un groupe de suivi de haut niveau au sein de
l'administration compétente (cabinet, directeurs). Compte tenu du
centralisme évoqué plus haut, dans tous les cas l’administration compétente
devra à un moment où un autre porter le texte (projet de loi ou de
règlement) vers les autorités d’adoption compétentes.
Vient ensuite l’étape de la consultation. Elle consiste à :
- consulter largement sur les problèmes et les questions à régler, avant
d'entrer dans le droit. Cela revient à écouter d'abord et avant tout les
fonctionnaires en charge de l'administration. Ils ont eu à gérer ces questions
et auront à le faire dans l'avenir. Ce sont les premiers concernés. Ensuite à
consulter aux moyens de groupes de suivi, de réunions, d’échanges de
documents, etc. les autres acteurs concernés par la mise en œuvre du futur
texte : usagers, secteur privé, recherche, société civile, organismes
professionnels, communautés locales, autres départements ministériels, etc.
- identifier les besoins (questions à couvrir), les enjeux, les limites et les
risques dans un rapport de diagnostic juridique et institutionnel.
- présenter le diagnostic et proposer des options de solutions et de
mécanismes au groupe de suivi. Nous entrons alors de plein pied dans le
droit.
Ce n’est qu’en troisième étape que vient le temps de la rédaction
proprement dite et pour laquelle il convient :
- d’utiliser les solutions existantes qui ont fait leurs preuves. Il ne sert à
rien de « réinventer la roue» sur certaines questions ou mécanismes.
- de s’inspirer de ce qui s'est fait ailleurs sans pour autant faire du
7
www.ecocy.net
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
105
plagiat.
- d’innover sur le reste, c’est-à-dire écrire (ou faire écrire, voir ci-
dessous) des articles simples dans des chapitres ordonnés de façon logique
et claire. Les juristes seuls ne faisant pas de bons textes, ne pas hésiter à
faire rédiger des parties de textes par les techniciens, en particulier les
fonctionnaires ou administrateurs publics qui en ont l'habitude.
La quatrième étape est celle du partage des avant-projets de textes :
- Au sein du groupe de suivi, qui va revoir les textes ces réunions sont
dirigées de façon semi-structurée. Le (ou les) rédacteur(s) présentent
l'économie du texte proposé et les membres du groupe réagissent de façon
générale (commentaires) ou spécifique (modification des articles). Il est
préférable que ceux-ci aient pris connaissance des textes à revoir avant les
réunions, afin d’être bien préparés à cet exercice de relecture. Ces groupes
ou comité de suivi sont absolument indispensables dans le cadre de
préparation de projets de loi, pour pallier le manque de structuration des
groupes d’influence (Lobby), l'absence ou l'insuffisance des commissions
parlementaires, etc. Cela peut être aussi utile (mais pas forcément
nécessaire), même s'ils ont été consultés informellement en amont, pour
des projets de textes réglementaires.
Enfin, cinquième étape : Préparer et soumettre les avant-projets finaux.
Les textes ainsi révisés à la suite des revues par le groupe de suivi sont livrés
à l'administration qui se charge de les porter vers l'autorité compétente
chargée de leur revision ou de leur adoption.
Si cela est possible, le(s) rédacteur(s) devra(ont) rester en appui à
l'administration, à la Primature/Présidence ou au Parlement, ceci afin
d'expliquer ou de présenter éventuellement l'économie du texte, ou bien de
procéder aux derniers ajustements avant son adoption. Il est le garant de la
cohérence globale du texte.
L'appropriation pour l'administration, gage d’une meilleure application
du texte dans des contextes de régimes présidentiels, c'est donc d’abord :
d’être écouté dès le départ, d’être dans le groupe de suivi, de participer à la
rédaction puis à la validation du texte avant de le porter devant l'Exécutif ou
le Parlement.
B. LIMITES ET ENJEUX
1. Du côté des assistances techniques
1.1. Les limites du « tout participatif »
L’avantage des processus participatifs, que ce soit au niveau local avec
l’avènement des « conventions locales » par exemple, ou au niveau national,
est qu’ils viennent réintroduire des mécanismes de démocratie participative
dans des systèmes de démocratie représentative plus ou moins effectifs
Laurent GRANIER
106
avec le cas extrême des régimes présidentiels.
Alors qu’il y a encore dix ans de cela, les administrations criaient à
l’atteinte de leur souveraineté de leur domaine de compétence, il y a
aujourd’hui des exemples contraires où ce sont les administrations elles-
mêmes qui réclament plus de participation des acteurs. Encore une fois il
faut poser la question des motivations réelles : est-ce pour faire bonne
figure vis-à-vis du partenaire technique et financier qui voit en général la
participation comme une condition sine qua non ? Est-ce un calcul politicien
populiste ? Est-ce en pleine conscience que les consultations passées, le
texte sera de toutes les façons modifié à la grâce de l’administration
centrale ? Il y a plusieurs scenarii et, en réalité, il est difficile de dégager une
tendance unique.
Il en va ainsi de tel pays d’Afrique centrale qui, après avoir ouvert à la
consultation large son projet de révision de Loi sur les forêts et les aires
protégées, la ferme ensuite progressivement aux partenaires pour finir en
comité ministériel restreint. Tel autre pays d’Afrique centrale qui, conscient
des faiblesses de son administration, fait appel à une large participation des
acteurs (ONG notamment) pour leur expertise technique. Tel pays d’Afrique
de l’ouest sahélienne qui a institué de façon systématique des ateliers
départementaux et un grand atelier national dans son processus
d’élaboration législatif.
Une autre limite, technique celle-là, est de maîtriser l’économie et la
cohérence du texte. Il est aisé d’imaginer qu’un texte qui passe par de
nombreuses réunions, qui est revu par de nombreuses parties prenantes
aux intérêts divergents, subira de profonds bouleversements de fond et de
forme. Un nettoyage sera nécessaire, sans pour autant trahir les positions
des uns et des autres (qui demeurent vigilants à la survie de leurs ajouts ou
modifications).
A l’heure des compromis (politiques cette fois), du temps et une
direction des débats appropriée seront nécessaires à l’adoption de solutions
consensuelles. Ajouter à cela qu’à la faveur d’un atelier national, chaque
acteur aura tendance à suivre quelques thèmes privilégiés (la participation
pour les ONG, les taxes pour les sociétés privés, etc.) mais que des pans
entiers d’un texte peuvent faire l’objet d’un désintérêt total alors qu’ils
demeurent très importants (comme les peines ou les montants des
amendes).
1.2. Réinventer les coopérations juridiques institutionnalisées
PNUE, UICN, universités, francophonie : Telles sont les institutions qui
devraient reprendre le flambeau des coopérations (il n’est volontairement
pas fait mention des « assistances ») juridiques institutionnalisées.
A la baisse générale du multilatéralisme, du droit international et de la
justice internationale, qui se sont accélérés depuis les évènements du 11
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
107
septembre 20018
, est venu s’ajouter un terrible coup d’arrêt du droit
international de l’environnement avec l’échec de la Conférence de
Copenhague. Les grandes conventions internationales des « années Rio »
pour la plupart transposées, les conférences des parties peinent à trouver
un second souffle, et à l’exception de l’accord sur le mercure de 2013,
aucune nouvelle convention ou traité global important n’a été adopté ces 20
dernières années ou n’est prévu actuellement.
Au cours des dernières années un changement de cap s’est opéré dans
les politiques d’assistance juridique aux Etats. Alors qu’au PNUE un
programme entier était consacré au droit de l’environnement en Afrique
depuis le milieu des années 1990, qui comprenait notamment des
assistances directes à la préparation de textes, ce programme s’est
réorienté vers le « renforcement des capacités » (formations, information /
Education / communication) pour ensuite progressivement disparaître. Une
autre division du PNUE assure encore l'assistance juridique ponctuelle, mais
elle le fait plus rarement. Globalement, le PNUE a subi, comme l’ensemble
des agences et programmes onusiens, une crise politique au milieu des
années 2000 qui l’a amené à réorienter son activité vers la promotion d’une
prise de conscience mondiale aux questions environnementales et aux
tendances émergentes comme l'économie verte.
L’UICN, elle, a complètement raté le coche d’un grand programme en
droit et politiques et gouvernance de l’environnement en Afrique en 2008.
Conscient de ce besoin de « coller au terrain » dans le domaine du droit le
« Centre de Droit de l’Environnement » (CDE) de l’UICN à Bonn appuyait
fortement l’idée d’interventions et de soutiens juridiques ciblés, à travers
ses projets et programmes des bureaux nationaux et régionaux. Mais la
régionalisation, notamment la fusion des régions de l’UICN d’Afrique
centrale et de l’Ouest, et surtout ce passage conceptuel autour de grands
« programmes thématiques » forêts, eau, etc. a drainé énergies et moyens.
Détaché de ses bureaux nationaux, sans moyens de fonctionnement
propres, le programme « Droit, politiques et Gouvernance de
l’environnement » à l’origine pensé pour faire du qualitatif en appuyant les
projets et programmes de l’UICN dans les pays, n’a jamais décollé.
La FAO a été la pionnière en matière d’assistance en droit de
l’environnement, soutenant de développement de centaines de lois et de
règlements sur les forêts et la pêche. En Afrique notamment, il n’est pas une
loi forestière entre les années 1970 et 2000 qui n’ait bénéficié du soutien
juridique de la FAO. Aujourd’hui les Etat ont toujours le réflexe de faire
appel à la FAO, mais ses moyens humains propres, et surtout financiers, sont
beaucoup plus limités.
8
Philippe Sands QC, “Lawless world”, Penguin Ed. 2005
Laurent GRANIER
108
Ces repositionnements dus à la crise politique globale et à la logique de
la communication rapide sur des produits visibles, avec le changement de
profil des fonctionnaires internationaux également (on compte de moins en
moins de juristes de l’environnement capables ou désireux de faire de la
rédaction juridique dans ces organisations), ont finalement laissé le champ
libre aux ONG, bureaux d’étude et consultants indépendants. Or ces
derniers ne bénéficient pas de l’assise politique offerte par des institutions
dont les décisions sont légitimées par des décisions de conseils de
gouvernement, des congrès ou d’assemblées d’Etats membres. Surtout ils
n’ont pas, structurellement, les moyens permettant de travailler dans le
temps et avec des ressources financières suffisantes.
Cette section débute en affirmant qu’il est crucial, si l’on ne veut assister
à une libéralisation totale du secteur, de voir se recréer des formes de
coopération juridiques internationales institutionnalisées. Nous pensons
tout d’abord à la Francophonie, aux pays ayant la langue et la culture
juridique positiviste en partage. La coopération juridique internationale est
également une tradition ancienne. Les universités ensuite, à travers les
échanges Nord-Sud et Sud-Sud. Les Etats n’y font pas assez recours et celles-
ci doivent pouvoir se positionner sur les appels d’offre. Le CDE de l’UICN
enfin, qui doit entretenir sa base de données ECOLEX9
, la populariser et
reconstruire autour, petit à petit, des assistances juridiques aux Etats. Dans
la lignée de ses guides explicatifs des conventions internationales et de ses
lignes de conduite d’élaboration du droit10
, le CDE doit pouvoir jouer ce rôle
d’assistance technique de qualité aux Etats à faible gouvernance afin de
refixer le cap de l’assistance juridique internationale en droit de
l’environnement.
2 Du côté des pays en développement
Nous avons commencé par décrire quelques réalités de leurs
administrations et de leurs régimes que caractérise la faible gouvernance
pour les citoyens. Mais ce n’est pas à cela que se réduisent leur réalité
sociale, économique et culturelle. Fort heureusement ! Aussi tout en
affirmant que c’est à eux de les définir, nous souhaiterions conclure cet
essai par simplement deux points.
2.1. Redonner leur place aux fonctionnaires
Cela s’applique surtout à la préparation des règlements (décrets, arrêtés
ou autres). Quelle surprise, dans le cadre de la préparation de décrets
d’application à la loi-cadre sur l’environnement de tel pays d’Afrique
9
www.ecolex.org
10
Nous pensons notamment aux excellentes « Guidelines for Protected Areas
Legislation » par Barbara Lausche et Françoise Burhenne, régulièrement mis à jour et
disponibles gratuitement en téléchargement sur le site de l’IUCN.
Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales
109
centrale, de découvrir dans quelques bureaux fort éloigné des ministères
centraux, des fonctionnaires (de plus de 50 ans) capables et désireux de
rédiger des textes réglementaires. Ils n’avaient pas été sollicités depuis des
années. Ainsi, c’est à la faveur de la mise en place de comités
d’administrateurs notamment que de bons textes réglementaires peuvent
être préparés. Les fonctionnaires sont la mémoire du droit administratif, de
ce qui a été fait, de ce qui a plus ou moins bien fonctionné, de ce dont ils ont
besoin pour mettre en œuvre la loi au service de l’intérêt général. Au lieu de
quoi, ce type de texte souvent jugé technique est généralement confié à un
seul consultant qui, s’il ne prend la peine de s’appuyer sur l’administration
et les orientations techniques qu’elle lui donnera pour avancer ensemble,
ira chercher l’inspiration dans quelque réglementation analogue. Le coût de
telles consultations « maison » est d’ailleurs moindre, l’administration
apportant salles de réunions, personnel et temps. Hélas beaucoup de ces
fonctionnaires particulièrement compétents et bien formés partent à la
retraite...
2.2. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Et bien pas toujours, et loin de là. Si les moyens et le processus minimal
décrits ci-dessus ne sont pas réunis, et surtout si les intentions de départ,
l’impulsion politique, n’est pas forte et sincère, il n’est pas responsable pour
un gouvernement ou une ONG d'un côté et pour un partenaire national
technique et financier de l'autre de s’engager dans une innovation ou une
réforme qu'il n'a pas les moyens de conduire et de maîtriser.
Laissons en revanche aux Etats le temps de se préparer, demandons
qu’un audit soit mené sur le texte précédent ou bien encore menons en
interne une étude d’impact du projet ou programme de réforme juridique
envisagé par le projet ou l’ONG.
Il est évidemment tentant pour un Etat de prendre ce qui est offert, il est
même de bonne guerre pour certains partenaires peu attentifs (ou
consentants) de se faire abuser. Mais quel dommage pour le pays !
L’aide au développement a vocation à disparaître en Afrique, comme
cela a été le cas au Brésil, en Inde ou chez les dragons asiatiques. Nous
espérons qu’encore plus de juristes nationaux prendront alors le relais pour
penser l’élaboration du droit de leurs Etats avec un regard endogène,
innovant, pratique. Plutôt que de se mettre, comme c’est si souvent le cas,
dans la position du consultant juriste scolaire, à théoriser (surtout lorsqu’il
s’agit de théorie du droit français) sur tel ou tel terme juridique, happé par
l’« approche projet », alors que le pays tout entier est à la recherche d’un
souffle nouveau.
Aussi, en raison notamment de la disparition, dans le domaine du droit,
des assistances techniques internationales institutionnalisée (FAO, PNUE,
UICN), qui travaillaient sous le contrôle des Etats, et avec le recours de plus
Laurent GRANIER
110
en plus fréquent à des bureaux d’étude privés, il est urgent de poser la
question de la responsabilité des partenaires techniques et financiers, de
certains projets, mais également de la responsabilité professionnelle de
consultants et de bureaux d’étude qui agissent de façon trop légère face à
ces états fragiles sur le plan de leurs institutions.
Alors, lorsque les conditions ne sont pas réunies, vaut-il mieux renoncer
à l’assistance technique pour les partenaires ? La réponse est clairement
affirmative.
Il existe dans ces Etats un empilement de législations environnementales
souvent contradictoires (voire concurrentes entre ministères), la nouvelle
chassant la précédente, mais dont l’application ne sera pas meilleure.
Posons donc d’abord la question du niveau d’application du texte précédent
(car en général il y en existe un) : Qu’est-ce qui a marché ? Qu’est-ce qui a
moins marché ? Pourquoi ?11
Car la priorité n’est plus de fabriquer plus de
droit mais de s’assurer qu’il le soit dans les meilleures conditions possibles,
comme le permettraient les recommandations qui précèdent.
Somone, aout 2014.
Cet article a fait l’objet d’une relecture par Francis Lauginie, Dr es
sciences (Afrique Nature International) et Denis Ruysschaert, Dr en sociologie
(Chercheur associé Centre Travail, Organisation, Pouvoir (CERTOP), Toulouse
Jean-Jaurès). Qu’ils en soient ici remerciés.
11
Les rapports de l’Observateur Indépendants de la législation et de la Gouvernance
forestière sont excellents pour cela.

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  • 1. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales dans des pays à faible gouvernance. Laurent GRANIER Expert en droit et politiques de la biodiversité (www.ecocy.net) ABSTRACT In poor governance countries, law making institutions (Parliament - Ministries- the Judiciary) operate in an unfavorable context when to the vitality of institutions is superimposed the strength of a presidential system. One consequence is the monopolization of legal tools - the law and regulations - by executive powers . The urgency characterizing contemporary environmental issues, such as the fight against climate change, the rational management of "global public goods" or the rapid erosion of biodiversity, call a search for effectiveness of the rule of law by international cooperation . But at what price? To understand these challenges around the goal of effectiveness in such contexts, we must go back to the functionning of law-making procedures themselves, starting with weak political impulses, followed by procedures in which the actors of legal assistance are not necessarily pushing the same agenda (I) Solutions emerge, including a number of conditions and minimum steps for legal assistance in the develoment of environmental solutions. Strong, legitimate, intergovernmental frameworks are more than ever a structural necessity for the development of a just and efficient rule of law (II) Dans des pays à faible gouvernance, les institutions de fabrication du droit : Parlement – Ministères – Système judiciaire, évoluent dans un contexte peu favorable lorsqu’à la vitalité des institutions se surimpose la force d’un régime présidentiel. Il en résulte notamment une monopolisation des outils juridiques que sont la loi et les règlements par le pouvoir exécutif. L’urgence caractérisant les enjeux contemporains de l'environnement, comme la lutte contre les changements climatiques, la gestion rationnelle de « biens publics mondiaux » ou l’érosion rapide de la biodiversité, appelle une recherche d’effectivité du droit par les coopérations internationales. Mais quel prix à payer pour cette quête d'effectivité? Pour comprendre ces enjeux autour de cet objectif apparemment louable d'effectivité dans de tels contextes, il faut remonter au cheminement particulier de fabrication du droit dans les pays à faible gouvernance. C'est-à-dire partir de l’impulsion politique, puis suivre par quelles procédures et par quels jeux d’acteurs le droit national se construit pour répondre aux objectifs des politiques internationales (I). Des solutions se dégagent, notamment un certain nombre de conditions et d’étapes minimales, mais aussi des limites et des enjeux se dévoilent pour l’assistance
  • 2. Laurent GRANIER 96 internationale lorsqu’elle appuie la préparation de législations environnementales (II) DES CONTEXTES PEU FAVORABLES A. MONOPOLISATION DU DROIT PAR LES EXÉCUTIFS PRÉSIDENTIELS Forts de leurs histoires et traditions juridiques, à la fois endogènes et hérités des systèmes administratifs coloniaux de tradition socialiste ou libérale, les pouvoirs publics d’Afrique francophone, comme dans n’importe quel Etat, détiennent aujourd’hui cette potestas gubernandi, ce pouvoir d’imposer aux gouvernés les règles de droit (cette « grammaire du social »1 ), sous deux formes. D'abord par le contrôle total du pouvoir exécutif à travers la production d’actes réglementaires : décrets présidentiels, décrets et arrêtés ministériels et autres actes administratifs. Ensuite, par le contrôle du pouvoir législatif central, plus exactement du Parlement, chargé de conduire l'élaboration des lois. Fédérés autour d’un gouvernement représentatif de la « Nation » ou du « Peuple », les citoyens vivent dans l’acceptation de cette auctoritas, de ce droit, qu'un juge vient au besoin interpréter par son imperium, avant d’imposer, dans l’affaire qui est soumise à sa juridiction, les solutions qui lui paraissent conformes à la légalité. Ce que l’on nomme aujourd’hui « Bonne gouvernance »2 permet de mesurer, par une série d’indicateurs, la réalité du jeu démocratique des institutions. Institutions qui « fabriquent » et administrent le droit. Nous nous intéressons ici aux pays africains francophones tout en bas de la liste des classements de bonne gouvernance des Nations-Unies et de l’indicateur de la facilité des transactions commerciales (Doing Business Index). Ecartons d’entrée les régimes politiques inexistants (comme la Somalie) et ceux qui n’offrent pas d’institutions permettant l’édiction du droit, comme par exemple la République Centrafricaine pour cause de guerre actuellement. Un peu schématiquement, un système « présidentiel » tel qu’on le rencontre au Bénin, au Congo, au Cameroun, au Gabon, à Madagascar, en République Démocratique du Congo ou au Sénégal est un système de parti 1 Monique Chemillier-Gendreau, « Droit international et démocratie mondiale : Les raisons d’un échec », ed. Textuel, La Discorde, 2002. 2 Selon une définition généraliste, la gouvernance est « un nouveau style de gouvernements caractérisé par la coopération multi-niveaux, des partenariats public- privé, et des forums de discussion ouverts à la participation ». Dans sa conception la plus large, c’est la « participation à la fois du pouvoir politique institué et de la société civile, une hypothèse qui valorise le rôle des acteurs privés, à but lucratif, et organisations non gouvernementales (ONG) de toute sorte» (Gaudin, 2004: L’action publique. Sociologie et politique. Presse de sciences po et Dallos)
  • 3. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 97 dominé par un Chef. Le parti au pouvoir contrôle notamment les deux organes de production du droit que sont le Parlement et les ministères. Les deux outils juridiques fondamentaux, la loi et le règlement, sont donc, d’autorité, soumis au contrôle intégral de l’exécutif présidentiel. Lorsque multipartisme il y a et que des coalitions se forment au sein du Gouvernement et du Parlement, en général à l’issue d’élections législatives, la ventilation des postes ministériels se fait à peu près dans des proportions équivalentes aux poids des partis politiques présents dans l’hémicycle. Mais cela va plus loin dans certains régimes présidentiels. En République Démocratique du Congo par exemple, certains ministères « appartiennent » traditionnellement à tel parti politique et les membres du cabinet du Ministre sont même, en plus du Ministre, proposés par la direction du parti. Les ministères sont ainsi des pré-carrés, indispensables relais politiques et financiers3 , du pouvoir en place. Ces ministères et secrétariats d’Etat, que l’on compte en général par dizaines, génèrent une masse impressionnante de fonctionnaires subalternes, parfois fictifs ou oubliés (en tout cas peu visibles) et de cadres fonctionnaires trop vite balayés par de fréquentes alternances ministérielles. Ce corps de fonctionnaires, dont les plus hauts responsables sont exclusivement au service du régime en place, ne se met donc que très peu au service de l’intérêt général. Il suffit de constater l’état des services publics pour s’en rendre compte. La première catégorie de règles juridiques, les actes réglementaires sont donc, avant tout, monopolisés par les administrations des régimes en place. Dans cette perspective, hormis l’énorme catégorie (elle non négligée) des actes réglementaires indispensables à la régulation (autorisations de fonctionnement, autorisations annuelles de coupe, etc.) et à la taxation des ressources naturelles (bois, pétrole, poissons, etc.), l’action réglementaire concernera plus fréquemment des nominations, des reconnaissances de « bureaux de projets », la constitution des groupes de travail, etc. Et, toujours dans le meilleur des cas, la production de normes techniques (hors extraction) ne sera pas totalement négligée comme les seuils de pollution, la réglementation des installations classées, la définition de plan d’aménagement d’aire protégée, de zonages, etc. Dans cette optique de captation de l’exécutif, il est compréhensible que tout ce qui relève du global et du long terme (organisation et aménagement du territoire, planification, urbanisme, changements climatiques, perte de biodiversité, 3 Il n’est un secret pour personne que la maîtrise d’un département ministériel est un facteur important pour le financement d’un parti politique ou de ses membres. Raison pour laquelle les partenaires techniques et financiers doivent être prudents sur la façon dont ils engagent leurs partenariats. A moins, effectivement, que l’efficacité de la dépense de l’aide public au développement ne soit pas le but recherché par tous.
  • 4. Laurent GRANIER 98 érosion côtière, etc.) ne soit pas des priorités des gouvernants. En un mot certaines de ces administrations ont perdu le sens de « l’intérêt général » et la notion de « continuité du service public ». Mais grande est la surprise de constater que, sous ces régimes, les lois sont aussi maîtrisées par les exécutifs présidentiels ! Et cela à trois titres. Tout d’abord ce sont systématiquement les ministères qui préparent les projets de lois. Les assemblées nationales tiennent ainsi plus lieu de « chambres d’enregistrements » que de chambre du peuple4 . En second lieu, les présidences, et de plus en plus les primatures (ou le Secrétariat général du Gouvernement - sorte d’antichambres du pouvoir suprême), contrôlent discrètement, mais fermement (et là également avec les moyens nécessaires), chaque projet de loi avant qu’il soit présenté et adopté au Parlement (ce système étant observée dans pratiquement tous les pays d’Afrique centrale). Mais elles contrôlent également les projets de décrets jugés stratégiques. On peut penser aux décrets présidentiels permettant cette même maîtrise lorsque la répartition constitutionnelle des compétences avec le Parlement ne l’autoriserait pas. Comme troisième aspect, les Parlements, ainsi « édifiés » par tout ce « travail préparatoire » orchestré et ces « avis positifs » (les guillemets permettent d’illustrer le langage utilisé) de la Primature, de la Cour constitutionnelle ou de la Cour suprême (les mêmes qui interviennent en cas de contentieux électoral), votent ces lois en bon ordre, si ce n’est avec quelques amendements de forme pour faire bonne figure. Nous ne jugeons pas les régimes présidentiels dans l’absolu (des formes de régimes dirigistes ont pu être jugées nécessaires historiquement dans des pays démocratiques aujourd’hui), mais nous en observons les conséquences du point de vue de la fabrication et de l’utilisation du droit. Et puisqu’il y a toujours des contre-exemples, le cas du Rwanda interpelle car, de ce même centralisme (de cet autoritarisme même), semble résulter une administration au service de l’intérêt général dans tous les domaines. Celle- ci contribue à la forte croissance économique du pays, même si nous n’avons pas encore assez de recul pour tirer réellement des leçons de ce modèle, d’un point de vue social et culturel notamment. B. AFFAIBLISSEMENT DES ASSISTANCES TECHNIQUES Des systèmes où à la fois le législateur et l’administration sont plus éloignés de leur fonction de gardien de l’intérêt général que de leur fonction 4 Ne nous attardons pas sur ces nouveaux Sénats que l’on dit à la mode - des assemblées budgétivores servant tout au plus à placer quelques membres inféodés en fin de carrière – mais auxquels semblent renoncer quelques alternances contemporaines, comme c’est le cas au Sénégal.
  • 5. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 99 de représentation des intérêts à plus ou moins court terme du régime au pouvoir est la donnée politique de départ avec laquelle l’assistance internationale devra s’adapter. Et si en définitive, face à l’urgence environnementale et à la nécessité de préserver à long terme ces biens publics mondiaux que sont la forêt, le climat, la diversité biologique, les ressources halieutiques ou la faune sauvage, le but recherché demeure de parvenir à des règles de droit qui fonctionnent (qui sont effectives), cela doit se faire nécessairement dans le cadre d’un processus qui, malgré la donne décrite plus haut, prenne en compte la science, la volonté des parties prenantes et les forces politiques, économiques et sociales5 en jeu. 1. Impulsions politiques exogènes Tout d’abord se pose la question de l’intention qui prévaut à l’édiction ou à la révision d’une loi environnementale: L’impulsion politique de départ est-elle réelle ? Par réelle nous entendons : est-elle endogène ? Est- elle « pensée » dans des cabinets ministériels ? Par des assemblées ? A l’issue d’assises nationales ou bien à la suite d’un évènement national tragique, comme c’est souvent le cas en matière d’environnement ? Écartons l’idée d’une forme chimiquement pure d’Etat qui impulserait seul les réformes juridiques bien évidemment. Il s’agit en général de concours de circonstances dont la forme varie selon le jeu des acteurs mais, dans les faits, nous sommes plus souvent amenés à constater des situations dans lesquels l'Etat, les institutions nationales dans leur diversité, sont purement et simplement absents de cette impulsion de départ. L’impulsion des conventions internationales et régionales est bien connue. Par exemple, les législations sur la gestion des ressources naturelles des années 1990 et 2000 sont une transposition de la Convention de Rio sur la diversité biologique. Il s’agit d’une impulsion à l’échelle mondiale, d’ailleurs relayée à juste titre (à l’époque, nous allons y revenir) par une assistance juridique idoine des organisations internationales comme le FAO, le PNUE ou l’UICN, qui appuyaient légitimement6 ces Etats dans la transposition de leurs obligations internationales. Toujours au niveau conventionnel, les accords de partenariat volontaire (APV) entre l’Union européenne est certains pays producteurs de bois tropicaux ont également enclenché des processus juridiques de 5 Car malgré les régimes en place ces « forces vives » demeurent. Il faut aller en Afrique pour se rendre compte que les citoyens ne placent pas la question des abus des hommes politiques et de la mauvaise gouvernance dans leurs priorités. Finalement ils les laissent un peu de côté alors que ces questions semblent absolument prioritaires du point de vue de l’occident. 6 A travers leurs Conseils propres, formés d’Etats assurant un contrôle et une validation de leurs activités.
  • 6. Laurent GRANIER 100 transposition des obligations issues de ces accords bilatéraux. Il en est de même pour les accords de pêche. Certains standards, comme la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, sans être juridiquement contraignant, parviennent également à influencer les listes d’espèces totalement ou partiellement protégées au niveau national. Les formes de conditionnalité de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international sont également connues. Mais ces réformes ne concernent finalement que très peu le droit de l’environnement au niveau technique. Là où les choses se compliquent en revanche, c’est lorsque cette impulsion supranationale est absente. Force est alors de constater, à quelques exceptions près (comme ce fut le cas lors de la dernière réforme juridique des aires protégées du Gabon), que des réformes juridiques ont été engagées sous la pression d’acteurs extérieurs aux Etats. Dans l’immense majorité des cas il s’agit des bailleurs de fond ou des partenaires techniques et financiers, incluant des ONG internationales ou des coopérations bilatérales, dont l’action se situe dans le cadre de simples projets. Ainsi le fait que tel projet ou telle ONG ait inscrit dans son programme le développement d'outils juridiques, et qu’il soit doté de fonds, est souvent suffisant pour mettre en branle le système législatif ou réglementaire d’un Etat à faible gouvernance. Cela a quelque chose de perturbant si l’on fait le parallèle avec les Etats développés. Penser qu’une association dotée de quelques dizaines de milliers d’euros puisse faire évoluer le statut de la faune protégée de France ou la loi sur les forêts d’Italie semble impensable. Et bien dans les pays à faible gouvernance cela est pensable. C’est même actuellement la règle. Soit, mais les intentions de départ sont-elles alors louables ? Souvent elles le sont. Et des deux côtés : volonté d’aider d’un côté, opportunité d’avancer, de saisir l’opportunité d’une assistance technique de l’autre. Et parfois elles ne le sont pas : volonté d’influencer le droit pour faire mieux avancer son projet d’un côté, opportunité de montrer qu’on fait quelque chose, voir simple occasion de capter quelques per diem, de l’autre. Souvent l’amateurisme prévaut tout simplement, le projet n’ayant intrinsèquement pas la capacité technique et financière de parvenir à produire le droit envisagé. A ce petit jeu tout le monde part nécessairement perdant. 2. La faiblesse des moyens techniques déployés Dans le meilleur des cas un document de concept autour duquel se seront réunis les partenaires ainsi constitués (le partenaire technique et financier - financeur - et le département ministériel - récipiendaire) servira de base à des termes de référence pour l’élaboration d’un projet de texte. A
  • 7. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 101 une mauvaise idée va en général suivre une mauvaise méthode consistant à confier à un juriste l’élaboration d’un projet de texte. Cet écueil à éviter absolument est hélas trop courant. « Un juriste seul ne fait pas de bonne loi », voilà une maxime que l’on devrait graver sur le fronton des bureaux de projet. Comment peut-on concevoir que confier à un juriste national ou international (ou les deux) le soin de préparer un avant-projet de texte permettra de jeter des bases solides dans un domaine aussi complexe que la diversité biologique et dans des systèmes politiques et administratifs aussi fragiles et centralisés ? Et bien c’est le plus souvent la façon dont les choses se passent. Dans le meilleur des cas également un comité de suivi comprendra d’autres membres que la garde rapprochée du département ministériel partenaire : ONG locales, parlementaires et autres départements ministériels concernés. Or, rappelons-le, fondamentalement une loi (mais aussi un décret ministériel ou une politique sectorielle) est un outil engageant la nation toute entière. En principe préparée par des techniciens (le plus souvent issus des départements ministériels concernés - des rédacteurs en général), revue par des experts sur la base de processus de consultations formels et informels variés (assises, colloques, etc.), le texte passera devant une assemblée pour revue, amendement et adoption des mois après avoir commencé son parcours dans des parafeurs ministériels. La préparation d’un règlement, en tant qu’outil de l’administration (qui élabore décrets, arrêtés, circulaires et toute la gamme de textes réglementaires possibles) revient d’abord aux fonctionnaires, aux agents, qui connaissent leur domaine, leurs besoins et savent tirer les leçons des bases juridiques existantes. Pas à un consultant. Abordons ici rapidement l’application des textes, puisqu’elle est fondamentalement liée. Comment espérer qu’un fonctionnaire, un agent de l’Etat, mette en application (comprenne même !) un règlement dont il a été écarté lors de son l’élaboration, qu’il découvre le plus souvent ? Comment imaginer qu’une loi pensée par d’autres, sans aucune autre forme de consultation ou de communication, puisse être appliquée par des citoyens et des acteurs économiques et sociaux autrement qu’en considération de son caractère étranger et par des stratégies d’évitement ? De ces deux étapes fondamentales que sont l’impulsion politique et la préparation des projets de textes il est trop souvent constaté un manque voire une absence de prise en compte dans les pays à faible gouvernance. A l’inverse, il nous a été amené de constater, fort logiquement, que des formes de droit effectives pouvaient émerger lorsque l’impulsion politique de départ est sincère et lorsque certaines conditions techniques, et, dans une moindre mesure financières, sont réunies. A y regarder de plus près, malgré le centralisme qui caractérise les pays à faible gouvernance, ceux-ci peuvent suivre un processus d’édiction du droit
  • 8. Laurent GRANIER 102 endogène. La recherche et l’application de solutions juridiques s’impose en tout lieu et le droit est demandé par tous en Afrique, au même plan que des conditions sécurisantes d’exercice de la libre entreprise. Avec une impulsion politique sincère, des premières ébauches de texte basées sur une réflexion scientifique, par des consultations élargies, un effort d’affinement progressif du texte dans le temps et avec le souci du suivi du texte jusqu’à son examen par les instances consultatives et décisionnelles, la mise en œuvre de tels textes peut être effective. Ce sont surtout les moyens mis à disposition par les projets, d’un côté, et l’intérêt et la volonté politique, de l’autre, qui font défaut. Dans ces contextes où les institutions ne jouent pas pleinement leur rôle, lorsque les groupes de lobbying ne sont pas structurés, que les commissions parlementaires entre autres espaces de consultation qui font normalement le jeu des démocraties sont le plus souvent absents, c’est à un travail d’équilibriste (pour ne pas dire de « bricolage ») que l’assistance technique doit en général s’atteler afin de recréer du sens et un semblant de jeu démocratique en attendant mieux. Autant être clair: la plupart du temps cet objectif de créer du droit effectif dans des conditions de faible gouvernance n’est pas atteint. Mais ce n’est pas faute de tenter d’ouvrir des pistes à la réflexion des partenaires pour une ébauche de conditions de fonctionnement et d’un schéma minimal, ceci afin d’éviter tout du moins les écueils décrits plus haut. SOLUTIONS, LIMITES ET ENJEUX A. OBTENIR LES MOYENS DE TRAVAILLER ET AVOIR UNE MÉTHODE 1. Temps, financement et soutien politique : Des ingrédients indispensables Le facteur temps est le plus important. Bien avant les moyens financiers, de combien de temps le projet ou l’assistance technique bénéficient-t-ils ? En général pas assez à l’échelle d’un projet conçu autour de résultats annuels dans des cycles de programmes allant d’un à trois ou quatre ans. Bien souvent le projet vise l’objectif d’un projet de texte mais rarement d’un texte adopté. Or il peut se passer quelques années avant qu’un projet de texte soit adopté par le ministère de tutelle et encore plus par le Parlement. Un projet de texte est une activité, l’aboutissement d’une première étape. En aucun cas il n’est un impact affichable dans un rapport d’activité et encore moins sur le terrain. Le suivi d’un projet de texte est décisif : s’assurer que le texte n’est pas « détricoté » dans quelque cabinet ministériel, qu’il survit à un changement d’administration (voir au simple changement du fonctionnaire qui en
  • 9. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 103 assurait le suivi – raison parfois suffisante à son oubli dans un tiroir), prévoir du temps pour suivre (voire relancer) le dossier auprès des organes consultatifs (Primature, etc.). Ou tout simplement pour informer les parlementaires sur l’économie du texte et les raisons qui ont prévalu à sa préparation, l’environnement étant une matière souvent technique. Les organisations internationales citées plus haut ont les moyens d’assurer ce suivi. Les projets de moins en moins. Surtout à une époque de communication où les partenaires au développement se doivent de présenter des résultats visibles, rapides, attractifs. Le facteur financement ensuite. Pour l’élaboration d’une loi environnementale selon une approche participative, il convient de prévoir une fourchette de 200 à 300 000 Euros. Si nous prenons pour exemple le développement de l’avant-projet de Loi forestière en République du Congo, l’Agence Française de Développement qui a financé ce travail a pensé et prévu, à la faveur d’une direction ambitieuse et d’un chargé de projet responsable (le succès d’une activité en coopération est souvent le fruit de quelques individus motivés), ensemble avec l’assistance technique sélectionnée qui en avait fait la proposition, un véritable processus de consultation à la hauteur des ambitions nationales. Il a fallu compter la mise en place et les nécessaires réunions régulières d’un comité de suivi national rassemblant l’ensemble des parties prenantes concernées (ministères, ONG, opérateurs économiques, observateur indépendant, notamment), la tenue de réunions de consultation au niveau de chaque département afin de capter les besoins locaux, l’expertise technique de juristes et d'experts forestiers internationaux, les réunions et commissions techniques spécifiques (afin de trouver des solutions à tel ou tel thème, comme les montants des amendes et des peines), les contributions directes de dizaines de partenaires sur le texte, le nettoyage juridique et la tenue d’un grand atelier national de validation de l’avant- projet de texte, le suivi du texte… le montant de la « facture » monte vite. Mais il restera toujours dérisoire à côté des moyens déployés par n’importe quelle nation européenne dans laquelle fonctionnaires, experts et parlementaires sont mis à contribution par le jeu naturel des institutions. Par ailleurs, le recours à des bureaux d’études internationaux ne favorise pas toujours la mise en place de procédures souvent jugées longues ou trop complexes. Le soutien politique nécessaire est double : Soutien en amont des acteurs politiques nationaux à haut niveau (Ministre voire Présidence comme c’était le cas pour la Loi sur les parcs nationaux au Gabon) qui doivent croire et réellement désirer le texte à préparer. Soutien politique du partenaire technique et financier qui doit également mobiliser les autres partenaires techniques et diplomatiques. Ce soutien est plus limité lorsque la réforme est portée par un projet derrière lequel s'adosse une ONG ou un
  • 10. Laurent GRANIER 104 bureau d’étude. 2. Procédure minimale pour un processus participatif Cette méthode, sorte de « recette minimale » en cinq étapes, a été développée dans le journal d’Ecocy7 (Granier, 2013, avec l’aimable revue d’Ali Mekouar et de Yacouba Savadogo). L’idée du présent article est partie de là. Que ce soit pour une loi ou pour une série de décrets, l'assistance juridique chargée d'accompagner l'élaboration d'un texte environnemental dans un pays à faible gouvernance devra inscrire son action de préparation (donc hors suivi du texte et adoption) sur une durée supérieure ou égale à quatre mois. La première étape est de préparer son travail. Pour cela il faudra : - s’inscrire dans l'histoire juridique nationale : Prendre connaissance des textes anciens et en vigueur sur le thème qui est traité et se renseigner sur les motifs et les procédures (Parlement, décret présidentiel ou autre) ayant conduit à leur adoption et aux problèmes de mise en œuvre qui conduisent à leur révision. - mettre sur pied un groupe de suivi de haut niveau au sein de l'administration compétente (cabinet, directeurs). Compte tenu du centralisme évoqué plus haut, dans tous les cas l’administration compétente devra à un moment où un autre porter le texte (projet de loi ou de règlement) vers les autorités d’adoption compétentes. Vient ensuite l’étape de la consultation. Elle consiste à : - consulter largement sur les problèmes et les questions à régler, avant d'entrer dans le droit. Cela revient à écouter d'abord et avant tout les fonctionnaires en charge de l'administration. Ils ont eu à gérer ces questions et auront à le faire dans l'avenir. Ce sont les premiers concernés. Ensuite à consulter aux moyens de groupes de suivi, de réunions, d’échanges de documents, etc. les autres acteurs concernés par la mise en œuvre du futur texte : usagers, secteur privé, recherche, société civile, organismes professionnels, communautés locales, autres départements ministériels, etc. - identifier les besoins (questions à couvrir), les enjeux, les limites et les risques dans un rapport de diagnostic juridique et institutionnel. - présenter le diagnostic et proposer des options de solutions et de mécanismes au groupe de suivi. Nous entrons alors de plein pied dans le droit. Ce n’est qu’en troisième étape que vient le temps de la rédaction proprement dite et pour laquelle il convient : - d’utiliser les solutions existantes qui ont fait leurs preuves. Il ne sert à rien de « réinventer la roue» sur certaines questions ou mécanismes. - de s’inspirer de ce qui s'est fait ailleurs sans pour autant faire du 7 www.ecocy.net
  • 11. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 105 plagiat. - d’innover sur le reste, c’est-à-dire écrire (ou faire écrire, voir ci- dessous) des articles simples dans des chapitres ordonnés de façon logique et claire. Les juristes seuls ne faisant pas de bons textes, ne pas hésiter à faire rédiger des parties de textes par les techniciens, en particulier les fonctionnaires ou administrateurs publics qui en ont l'habitude. La quatrième étape est celle du partage des avant-projets de textes : - Au sein du groupe de suivi, qui va revoir les textes ces réunions sont dirigées de façon semi-structurée. Le (ou les) rédacteur(s) présentent l'économie du texte proposé et les membres du groupe réagissent de façon générale (commentaires) ou spécifique (modification des articles). Il est préférable que ceux-ci aient pris connaissance des textes à revoir avant les réunions, afin d’être bien préparés à cet exercice de relecture. Ces groupes ou comité de suivi sont absolument indispensables dans le cadre de préparation de projets de loi, pour pallier le manque de structuration des groupes d’influence (Lobby), l'absence ou l'insuffisance des commissions parlementaires, etc. Cela peut être aussi utile (mais pas forcément nécessaire), même s'ils ont été consultés informellement en amont, pour des projets de textes réglementaires. Enfin, cinquième étape : Préparer et soumettre les avant-projets finaux. Les textes ainsi révisés à la suite des revues par le groupe de suivi sont livrés à l'administration qui se charge de les porter vers l'autorité compétente chargée de leur revision ou de leur adoption. Si cela est possible, le(s) rédacteur(s) devra(ont) rester en appui à l'administration, à la Primature/Présidence ou au Parlement, ceci afin d'expliquer ou de présenter éventuellement l'économie du texte, ou bien de procéder aux derniers ajustements avant son adoption. Il est le garant de la cohérence globale du texte. L'appropriation pour l'administration, gage d’une meilleure application du texte dans des contextes de régimes présidentiels, c'est donc d’abord : d’être écouté dès le départ, d’être dans le groupe de suivi, de participer à la rédaction puis à la validation du texte avant de le porter devant l'Exécutif ou le Parlement. B. LIMITES ET ENJEUX 1. Du côté des assistances techniques 1.1. Les limites du « tout participatif » L’avantage des processus participatifs, que ce soit au niveau local avec l’avènement des « conventions locales » par exemple, ou au niveau national, est qu’ils viennent réintroduire des mécanismes de démocratie participative dans des systèmes de démocratie représentative plus ou moins effectifs
  • 12. Laurent GRANIER 106 avec le cas extrême des régimes présidentiels. Alors qu’il y a encore dix ans de cela, les administrations criaient à l’atteinte de leur souveraineté de leur domaine de compétence, il y a aujourd’hui des exemples contraires où ce sont les administrations elles- mêmes qui réclament plus de participation des acteurs. Encore une fois il faut poser la question des motivations réelles : est-ce pour faire bonne figure vis-à-vis du partenaire technique et financier qui voit en général la participation comme une condition sine qua non ? Est-ce un calcul politicien populiste ? Est-ce en pleine conscience que les consultations passées, le texte sera de toutes les façons modifié à la grâce de l’administration centrale ? Il y a plusieurs scenarii et, en réalité, il est difficile de dégager une tendance unique. Il en va ainsi de tel pays d’Afrique centrale qui, après avoir ouvert à la consultation large son projet de révision de Loi sur les forêts et les aires protégées, la ferme ensuite progressivement aux partenaires pour finir en comité ministériel restreint. Tel autre pays d’Afrique centrale qui, conscient des faiblesses de son administration, fait appel à une large participation des acteurs (ONG notamment) pour leur expertise technique. Tel pays d’Afrique de l’ouest sahélienne qui a institué de façon systématique des ateliers départementaux et un grand atelier national dans son processus d’élaboration législatif. Une autre limite, technique celle-là, est de maîtriser l’économie et la cohérence du texte. Il est aisé d’imaginer qu’un texte qui passe par de nombreuses réunions, qui est revu par de nombreuses parties prenantes aux intérêts divergents, subira de profonds bouleversements de fond et de forme. Un nettoyage sera nécessaire, sans pour autant trahir les positions des uns et des autres (qui demeurent vigilants à la survie de leurs ajouts ou modifications). A l’heure des compromis (politiques cette fois), du temps et une direction des débats appropriée seront nécessaires à l’adoption de solutions consensuelles. Ajouter à cela qu’à la faveur d’un atelier national, chaque acteur aura tendance à suivre quelques thèmes privilégiés (la participation pour les ONG, les taxes pour les sociétés privés, etc.) mais que des pans entiers d’un texte peuvent faire l’objet d’un désintérêt total alors qu’ils demeurent très importants (comme les peines ou les montants des amendes). 1.2. Réinventer les coopérations juridiques institutionnalisées PNUE, UICN, universités, francophonie : Telles sont les institutions qui devraient reprendre le flambeau des coopérations (il n’est volontairement pas fait mention des « assistances ») juridiques institutionnalisées. A la baisse générale du multilatéralisme, du droit international et de la justice internationale, qui se sont accélérés depuis les évènements du 11
  • 13. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 107 septembre 20018 , est venu s’ajouter un terrible coup d’arrêt du droit international de l’environnement avec l’échec de la Conférence de Copenhague. Les grandes conventions internationales des « années Rio » pour la plupart transposées, les conférences des parties peinent à trouver un second souffle, et à l’exception de l’accord sur le mercure de 2013, aucune nouvelle convention ou traité global important n’a été adopté ces 20 dernières années ou n’est prévu actuellement. Au cours des dernières années un changement de cap s’est opéré dans les politiques d’assistance juridique aux Etats. Alors qu’au PNUE un programme entier était consacré au droit de l’environnement en Afrique depuis le milieu des années 1990, qui comprenait notamment des assistances directes à la préparation de textes, ce programme s’est réorienté vers le « renforcement des capacités » (formations, information / Education / communication) pour ensuite progressivement disparaître. Une autre division du PNUE assure encore l'assistance juridique ponctuelle, mais elle le fait plus rarement. Globalement, le PNUE a subi, comme l’ensemble des agences et programmes onusiens, une crise politique au milieu des années 2000 qui l’a amené à réorienter son activité vers la promotion d’une prise de conscience mondiale aux questions environnementales et aux tendances émergentes comme l'économie verte. L’UICN, elle, a complètement raté le coche d’un grand programme en droit et politiques et gouvernance de l’environnement en Afrique en 2008. Conscient de ce besoin de « coller au terrain » dans le domaine du droit le « Centre de Droit de l’Environnement » (CDE) de l’UICN à Bonn appuyait fortement l’idée d’interventions et de soutiens juridiques ciblés, à travers ses projets et programmes des bureaux nationaux et régionaux. Mais la régionalisation, notamment la fusion des régions de l’UICN d’Afrique centrale et de l’Ouest, et surtout ce passage conceptuel autour de grands « programmes thématiques » forêts, eau, etc. a drainé énergies et moyens. Détaché de ses bureaux nationaux, sans moyens de fonctionnement propres, le programme « Droit, politiques et Gouvernance de l’environnement » à l’origine pensé pour faire du qualitatif en appuyant les projets et programmes de l’UICN dans les pays, n’a jamais décollé. La FAO a été la pionnière en matière d’assistance en droit de l’environnement, soutenant de développement de centaines de lois et de règlements sur les forêts et la pêche. En Afrique notamment, il n’est pas une loi forestière entre les années 1970 et 2000 qui n’ait bénéficié du soutien juridique de la FAO. Aujourd’hui les Etat ont toujours le réflexe de faire appel à la FAO, mais ses moyens humains propres, et surtout financiers, sont beaucoup plus limités. 8 Philippe Sands QC, “Lawless world”, Penguin Ed. 2005
  • 14. Laurent GRANIER 108 Ces repositionnements dus à la crise politique globale et à la logique de la communication rapide sur des produits visibles, avec le changement de profil des fonctionnaires internationaux également (on compte de moins en moins de juristes de l’environnement capables ou désireux de faire de la rédaction juridique dans ces organisations), ont finalement laissé le champ libre aux ONG, bureaux d’étude et consultants indépendants. Or ces derniers ne bénéficient pas de l’assise politique offerte par des institutions dont les décisions sont légitimées par des décisions de conseils de gouvernement, des congrès ou d’assemblées d’Etats membres. Surtout ils n’ont pas, structurellement, les moyens permettant de travailler dans le temps et avec des ressources financières suffisantes. Cette section débute en affirmant qu’il est crucial, si l’on ne veut assister à une libéralisation totale du secteur, de voir se recréer des formes de coopération juridiques internationales institutionnalisées. Nous pensons tout d’abord à la Francophonie, aux pays ayant la langue et la culture juridique positiviste en partage. La coopération juridique internationale est également une tradition ancienne. Les universités ensuite, à travers les échanges Nord-Sud et Sud-Sud. Les Etats n’y font pas assez recours et celles- ci doivent pouvoir se positionner sur les appels d’offre. Le CDE de l’UICN enfin, qui doit entretenir sa base de données ECOLEX9 , la populariser et reconstruire autour, petit à petit, des assistances juridiques aux Etats. Dans la lignée de ses guides explicatifs des conventions internationales et de ses lignes de conduite d’élaboration du droit10 , le CDE doit pouvoir jouer ce rôle d’assistance technique de qualité aux Etats à faible gouvernance afin de refixer le cap de l’assistance juridique internationale en droit de l’environnement. 2 Du côté des pays en développement Nous avons commencé par décrire quelques réalités de leurs administrations et de leurs régimes que caractérise la faible gouvernance pour les citoyens. Mais ce n’est pas à cela que se réduisent leur réalité sociale, économique et culturelle. Fort heureusement ! Aussi tout en affirmant que c’est à eux de les définir, nous souhaiterions conclure cet essai par simplement deux points. 2.1. Redonner leur place aux fonctionnaires Cela s’applique surtout à la préparation des règlements (décrets, arrêtés ou autres). Quelle surprise, dans le cadre de la préparation de décrets d’application à la loi-cadre sur l’environnement de tel pays d’Afrique 9 www.ecolex.org 10 Nous pensons notamment aux excellentes « Guidelines for Protected Areas Legislation » par Barbara Lausche et Françoise Burhenne, régulièrement mis à jour et disponibles gratuitement en téléchargement sur le site de l’IUCN.
  • 15. Sur l’assistance internationale pour la préparation de législations environnementales 109 centrale, de découvrir dans quelques bureaux fort éloigné des ministères centraux, des fonctionnaires (de plus de 50 ans) capables et désireux de rédiger des textes réglementaires. Ils n’avaient pas été sollicités depuis des années. Ainsi, c’est à la faveur de la mise en place de comités d’administrateurs notamment que de bons textes réglementaires peuvent être préparés. Les fonctionnaires sont la mémoire du droit administratif, de ce qui a été fait, de ce qui a plus ou moins bien fonctionné, de ce dont ils ont besoin pour mettre en œuvre la loi au service de l’intérêt général. Au lieu de quoi, ce type de texte souvent jugé technique est généralement confié à un seul consultant qui, s’il ne prend la peine de s’appuyer sur l’administration et les orientations techniques qu’elle lui donnera pour avancer ensemble, ira chercher l’inspiration dans quelque réglementation analogue. Le coût de telles consultations « maison » est d’ailleurs moindre, l’administration apportant salles de réunions, personnel et temps. Hélas beaucoup de ces fonctionnaires particulièrement compétents et bien formés partent à la retraite... 2.2. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Et bien pas toujours, et loin de là. Si les moyens et le processus minimal décrits ci-dessus ne sont pas réunis, et surtout si les intentions de départ, l’impulsion politique, n’est pas forte et sincère, il n’est pas responsable pour un gouvernement ou une ONG d'un côté et pour un partenaire national technique et financier de l'autre de s’engager dans une innovation ou une réforme qu'il n'a pas les moyens de conduire et de maîtriser. Laissons en revanche aux Etats le temps de se préparer, demandons qu’un audit soit mené sur le texte précédent ou bien encore menons en interne une étude d’impact du projet ou programme de réforme juridique envisagé par le projet ou l’ONG. Il est évidemment tentant pour un Etat de prendre ce qui est offert, il est même de bonne guerre pour certains partenaires peu attentifs (ou consentants) de se faire abuser. Mais quel dommage pour le pays ! L’aide au développement a vocation à disparaître en Afrique, comme cela a été le cas au Brésil, en Inde ou chez les dragons asiatiques. Nous espérons qu’encore plus de juristes nationaux prendront alors le relais pour penser l’élaboration du droit de leurs Etats avec un regard endogène, innovant, pratique. Plutôt que de se mettre, comme c’est si souvent le cas, dans la position du consultant juriste scolaire, à théoriser (surtout lorsqu’il s’agit de théorie du droit français) sur tel ou tel terme juridique, happé par l’« approche projet », alors que le pays tout entier est à la recherche d’un souffle nouveau. Aussi, en raison notamment de la disparition, dans le domaine du droit, des assistances techniques internationales institutionnalisée (FAO, PNUE, UICN), qui travaillaient sous le contrôle des Etats, et avec le recours de plus
  • 16. Laurent GRANIER 110 en plus fréquent à des bureaux d’étude privés, il est urgent de poser la question de la responsabilité des partenaires techniques et financiers, de certains projets, mais également de la responsabilité professionnelle de consultants et de bureaux d’étude qui agissent de façon trop légère face à ces états fragiles sur le plan de leurs institutions. Alors, lorsque les conditions ne sont pas réunies, vaut-il mieux renoncer à l’assistance technique pour les partenaires ? La réponse est clairement affirmative. Il existe dans ces Etats un empilement de législations environnementales souvent contradictoires (voire concurrentes entre ministères), la nouvelle chassant la précédente, mais dont l’application ne sera pas meilleure. Posons donc d’abord la question du niveau d’application du texte précédent (car en général il y en existe un) : Qu’est-ce qui a marché ? Qu’est-ce qui a moins marché ? Pourquoi ?11 Car la priorité n’est plus de fabriquer plus de droit mais de s’assurer qu’il le soit dans les meilleures conditions possibles, comme le permettraient les recommandations qui précèdent. Somone, aout 2014. Cet article a fait l’objet d’une relecture par Francis Lauginie, Dr es sciences (Afrique Nature International) et Denis Ruysschaert, Dr en sociologie (Chercheur associé Centre Travail, Organisation, Pouvoir (CERTOP), Toulouse Jean-Jaurès). Qu’ils en soient ici remerciés. 11 Les rapports de l’Observateur Indépendants de la législation et de la Gouvernance forestière sont excellents pour cela.