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UNE CÉCITÉ MALENCONTREUSE
par Laetitia Mailhes
“Le commerce international des produits alimentaires ne doit pas être considéré comme
une activité purement économique. C’est avant tout une responsabilité éthique. Ceux qui
occupent les terres d’abondance ont une responsabilité envers ceux qui occupent les
terres de pénurie”. –Pascal Lamy
Au risque de jeter une ombre sur la vision pseudo-idyllique des échanges internationaux
affichée par le délégué-général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il
convient ici de souligner que le commerce international en général, et les flux mondiaux
de denrées alimentaires en particulier, ont spectaculairement échoué à ce jour à satisfaire
aux objectifs “éthiques” brandis par Pascal Lamy. Pire, ils ont été l’instrument de
contrôle accru des “terres d’abondance” sur les “terres de pénurie”, plus prompts à
détruire les économies locales et les communautés rurales qu’à soulager les populations
d’une pénurie éventuelle. Les petits producteurs mexicains confrontés au déferlement de
maïs aux OGM ultra-bon marché made in the USA l’ont expérimenté à leurs dépends; de
même que les producteurs indiens de graines et d’huile de moutarde balayés sous les
assauts du lobby américain du soja1
. A travers le monde, les exemples de tragédies
locales causées par l’irruption sauvage d’importations alimentaires en provenance de
“terres d’abondance” sont si nombreux et incontournables que la décision de Pascal
Lamy d’en faire purement et simplement abstraction dans son argumentaire est pour le
moins choquante.
En outre, il ne peut y avoir de débat sur le commerce international des produits
alimentaires sans référence aux assauts exercés sur le marché mondial par la poignée de
multinationales détentrices de graines brévetées OGM (organismes génétiquement
modifiés). Quelles que soient les convictions de chacun sur les avantages et la sûreté de
ces produits pour la santé des humains et l’environnement, il faudrait être atteint de cécité
pour ignorer le bras de fer exercé par le secteur privé, avec le soutien notamment du
gouvernement américain, pour s’arroger le contrôle absolu sur les récoltes de régions
entières. Même le Vatican ne s’y est pas trompé en dépit des efforts de lobbying de
Washington auprès du Saint-Siège et des rumeurs de soutien tacite du Pape Benoît XVI.
Selon le cardinal Peter Turkson, Président du Conseil Pontifical “Justice et Paix”, rendre
les producteurs dépendants de graines OGM brevetées est caractéristique du “jeu habituel
de la dépendance économique”, soit “une nouvelle forme d’esclavage”.2
1
Stolen Harvest, Vandana Shiva (South End Press, 2000), pp. 21-30
2
“GM crops breed economic dependence, new form of slavery, says cardinal”, Catholic2
“GM crops breed economic dependence, new form of slavery, says cardinal”, Catholic
News Service, 5 janvier 2011
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Grâce à WikiLeaks, on sait désormais de source sûre que le rôle du gouvernement
américain pour forcer l’ouverture du marché européen aux OGM ne ressortit pas d’une
théorie du complot. Dans un câble diplomatique du 14 décembre 2007, l'ambassadeur
américain à Paris en poste à l'époque, Craig Stapleton, a suggéré à Washington de
“renforcer [sa] position de négociation avec l'UE sur les biotechnologies agricoles
[OGM, NDLR] en publiant une liste de représailles” à l’encontre de l'Union européenne
si les négociations avec Bruxelles venaient à échouer. D'après la missive, cette liste
devait être suffisamment “douloureuse” pour toute l'Europe, en termes de “responsabilité
collective”, avec une attention particulière pour les Etats membres les plus récalcitrants
comme la France. Selon lui, cette stratégie américaine, avec un “coût réel pour les
intérêts européens” devait “aider à renforcer les voix pro-biotechnologie en Europe”.
Ironiquement, la France n’est pas le seul pays à s’être braqué contre la tentative
d’envahissement de son marché agricole par les OGM. En 2010, les tentatives de
Monsanto, secondées le cas échéant par la Fondation Gates, de secourir le Pakistan et
Haïti à grands renforts de graines OGM, ont suscité des vagues de protestation parmi les
populations locales. Les Pakistanais venaient pourtant d’essuyer des inondations
catastrophiques et le déplacement de 20 millions de personnes.3
Les Haïtiens avaient vu
leur agriculture détruite par le tremblement de terre le plus redoutable de leur histoire.4
Jeux de pouvoir mis à part, exalter la nécessité des échanges alimentaires internationaux
tout en dénigrant les efforts et revendications favorables aux marchés et circuits locaux,
comme le fait Pascal Lamy, requiert une autre cécité malencontreuse: la vulnérabilité du
modèle liée à sa dépendance absolue à l’égard du pétrole et à l’absence de redondance,
donc de résilience, de ses infrastructures globales. Une mauvaise récolte de blé en Russie
ou une augmentation du prix du pétrole et c’est le marché alimentaire mondial qui est
secoué par l’augmentation des prix, ainsi qu’on l’a observé en 2008 et 2010.
Bien entendu, le modèle contient pourtant des leviers destinés officiellement à réduire
une telle volatilité: les marchés des produits de base. Néanmoins, ces marchés ont
davantage montré au fil des années leur capacité à enrichir spéculateurs et gros acteurs
agro-alimentaires qu’à soulager producteurs et consommateurs.
N’en déplaise à Pascal Lamy, les flux internationaux de denrées alimentaires sont moins
le ressort de relations bienveillantes entre nations que l’objet de convoitises et stratégies
financières dénuées de considérations éthiques. Suggérer qu’un peuple peut être mieux
servi par une chaîne alimentaire anonyme, tentaculaire et hors d’atteinte de ses lois, que
par ses propres ressources, c’est offrir une justification cynique des innombrables dérives
économiques, sociales et écologiques liées à l’alimentation et à l’agriculture, observées à
travers la planète.
Il est temps d’avoir un véritable débat, un honnête débat, sur ce qui fonctionne. Les
réponses, on les connaît puisqu’elles sont été formulées en 2008 au terme de trois ans de
3
“Seed Aid is Big Business”, Global Research, 7 décembre 2010.
4
“Le vautour Monsanto plane au-dessus d'Haïti”, www.eco-citoyen.org, 29 mai 2010
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recherches par 450 scientifiques du monde entier dans le rapport IAASTD (International
Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development)
financé par la Banque Mondiale: développer un tissus dense de petites exploitations
familiales dont les écosystèmes incorporent animaux et arbres et dont les polycultures
excluent usage d’intrans chimiques et forte dépendance pétrolière. Une recette
relativement simple et peu onéreuse dont la réalisation dépend essentiellement d’un
ingrédient miracle qui fait encore défaut: la volonté politique.

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  • 1. Extrait  ~  Seule,  la  diversité  cultivée  peut  nourrir  le  monde  –  Réponses  à  l’OMC  (Editions  du  Linteau,  Paris,  Mars  2011)   1 UNE CÉCITÉ MALENCONTREUSE par Laetitia Mailhes “Le commerce international des produits alimentaires ne doit pas être considéré comme une activité purement économique. C’est avant tout une responsabilité éthique. Ceux qui occupent les terres d’abondance ont une responsabilité envers ceux qui occupent les terres de pénurie”. –Pascal Lamy Au risque de jeter une ombre sur la vision pseudo-idyllique des échanges internationaux affichée par le délégué-général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il convient ici de souligner que le commerce international en général, et les flux mondiaux de denrées alimentaires en particulier, ont spectaculairement échoué à ce jour à satisfaire aux objectifs “éthiques” brandis par Pascal Lamy. Pire, ils ont été l’instrument de contrôle accru des “terres d’abondance” sur les “terres de pénurie”, plus prompts à détruire les économies locales et les communautés rurales qu’à soulager les populations d’une pénurie éventuelle. Les petits producteurs mexicains confrontés au déferlement de maïs aux OGM ultra-bon marché made in the USA l’ont expérimenté à leurs dépends; de même que les producteurs indiens de graines et d’huile de moutarde balayés sous les assauts du lobby américain du soja1 . A travers le monde, les exemples de tragédies locales causées par l’irruption sauvage d’importations alimentaires en provenance de “terres d’abondance” sont si nombreux et incontournables que la décision de Pascal Lamy d’en faire purement et simplement abstraction dans son argumentaire est pour le moins choquante. En outre, il ne peut y avoir de débat sur le commerce international des produits alimentaires sans référence aux assauts exercés sur le marché mondial par la poignée de multinationales détentrices de graines brévetées OGM (organismes génétiquement modifiés). Quelles que soient les convictions de chacun sur les avantages et la sûreté de ces produits pour la santé des humains et l’environnement, il faudrait être atteint de cécité pour ignorer le bras de fer exercé par le secteur privé, avec le soutien notamment du gouvernement américain, pour s’arroger le contrôle absolu sur les récoltes de régions entières. Même le Vatican ne s’y est pas trompé en dépit des efforts de lobbying de Washington auprès du Saint-Siège et des rumeurs de soutien tacite du Pape Benoît XVI. Selon le cardinal Peter Turkson, Président du Conseil Pontifical “Justice et Paix”, rendre les producteurs dépendants de graines OGM brevetées est caractéristique du “jeu habituel de la dépendance économique”, soit “une nouvelle forme d’esclavage”.2 1 Stolen Harvest, Vandana Shiva (South End Press, 2000), pp. 21-30 2 “GM crops breed economic dependence, new form of slavery, says cardinal”, Catholic2 “GM crops breed economic dependence, new form of slavery, says cardinal”, Catholic News Service, 5 janvier 2011
  • 2. Extrait  ~  Seule,  la  diversité  cultivée  peut  nourrir  le  monde  –  Réponses  à  l’OMC  (Editions  du  Linteau,  Paris,  Mars  2011)   2 Grâce à WikiLeaks, on sait désormais de source sûre que le rôle du gouvernement américain pour forcer l’ouverture du marché européen aux OGM ne ressortit pas d’une théorie du complot. Dans un câble diplomatique du 14 décembre 2007, l'ambassadeur américain à Paris en poste à l'époque, Craig Stapleton, a suggéré à Washington de “renforcer [sa] position de négociation avec l'UE sur les biotechnologies agricoles [OGM, NDLR] en publiant une liste de représailles” à l’encontre de l'Union européenne si les négociations avec Bruxelles venaient à échouer. D'après la missive, cette liste devait être suffisamment “douloureuse” pour toute l'Europe, en termes de “responsabilité collective”, avec une attention particulière pour les Etats membres les plus récalcitrants comme la France. Selon lui, cette stratégie américaine, avec un “coût réel pour les intérêts européens” devait “aider à renforcer les voix pro-biotechnologie en Europe”. Ironiquement, la France n’est pas le seul pays à s’être braqué contre la tentative d’envahissement de son marché agricole par les OGM. En 2010, les tentatives de Monsanto, secondées le cas échéant par la Fondation Gates, de secourir le Pakistan et Haïti à grands renforts de graines OGM, ont suscité des vagues de protestation parmi les populations locales. Les Pakistanais venaient pourtant d’essuyer des inondations catastrophiques et le déplacement de 20 millions de personnes.3 Les Haïtiens avaient vu leur agriculture détruite par le tremblement de terre le plus redoutable de leur histoire.4 Jeux de pouvoir mis à part, exalter la nécessité des échanges alimentaires internationaux tout en dénigrant les efforts et revendications favorables aux marchés et circuits locaux, comme le fait Pascal Lamy, requiert une autre cécité malencontreuse: la vulnérabilité du modèle liée à sa dépendance absolue à l’égard du pétrole et à l’absence de redondance, donc de résilience, de ses infrastructures globales. Une mauvaise récolte de blé en Russie ou une augmentation du prix du pétrole et c’est le marché alimentaire mondial qui est secoué par l’augmentation des prix, ainsi qu’on l’a observé en 2008 et 2010. Bien entendu, le modèle contient pourtant des leviers destinés officiellement à réduire une telle volatilité: les marchés des produits de base. Néanmoins, ces marchés ont davantage montré au fil des années leur capacité à enrichir spéculateurs et gros acteurs agro-alimentaires qu’à soulager producteurs et consommateurs. N’en déplaise à Pascal Lamy, les flux internationaux de denrées alimentaires sont moins le ressort de relations bienveillantes entre nations que l’objet de convoitises et stratégies financières dénuées de considérations éthiques. Suggérer qu’un peuple peut être mieux servi par une chaîne alimentaire anonyme, tentaculaire et hors d’atteinte de ses lois, que par ses propres ressources, c’est offrir une justification cynique des innombrables dérives économiques, sociales et écologiques liées à l’alimentation et à l’agriculture, observées à travers la planète. Il est temps d’avoir un véritable débat, un honnête débat, sur ce qui fonctionne. Les réponses, on les connaît puisqu’elles sont été formulées en 2008 au terme de trois ans de 3 “Seed Aid is Big Business”, Global Research, 7 décembre 2010. 4 “Le vautour Monsanto plane au-dessus d'Haïti”, www.eco-citoyen.org, 29 mai 2010
  • 3. Extrait  ~  Seule,  la  diversité  cultivée  peut  nourrir  le  monde  –  Réponses  à  l’OMC  (Editions  du  Linteau,  Paris,  Mars  2011)   3 recherches par 450 scientifiques du monde entier dans le rapport IAASTD (International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development) financé par la Banque Mondiale: développer un tissus dense de petites exploitations familiales dont les écosystèmes incorporent animaux et arbres et dont les polycultures excluent usage d’intrans chimiques et forte dépendance pétrolière. Une recette relativement simple et peu onéreuse dont la réalisation dépend essentiellement d’un ingrédient miracle qui fait encore défaut: la volonté politique.