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Jérôme AMIOT




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PREFACE

Petit, j'étais bien tranquille, bien gentil, tout mignon... Et j'ai grandi, peut-être trop
vite... "Ainsi va la vie", comme dirait mon ami rappeur et artiste Komo Sarcani…

J'ai avancé, déambulé dans une voie chaotique, alcoolique, narcotique... J'ai navigué
du côté obscure, j'ai traversé le néant, j'ai touché le fond et j'y suis resté
longtemps...

J'avais arrêté le temps, c'était bon, c'était tripant...

Je vivais au jour le jour, cherchant désespérément une sortie, une porte, une
échappatoire pour fuir cette putain de vie...

J'étais marié avec ma bouteille de sky et la came était ma maitresse. Quelles belles
salopes ces deux-là !!! J'aurais pu tuer pour elles tellement je les avais dans la peau,
dans mon corps et dans mon cœur... Mais voilà, un jour, elles m'ont trompé et
quand j'ai ouvert les yeux, quand j'ai eu compris, il était déjà trop tard...

Le temps avait passé et ce qui était fait, ne pouvait plus s'effacer...

On peut changer mais on ne peut pas oublier. Surtout pas !!! Ce serait trop facile,
trop aisé. Non, ça reste et ça doit rester...

Pour changer sa voie, redevenir quelqu'un, reprendre goût à la vie, c'est une
souffrance, une douleur indescriptible, qui dure pendant des années, laissant une
cicatrice qui ne peut se refermer, comme pour nous rappeler les fautes, les erreurs,
le mal que l'on a pu faire à ses parents, à ses amis, à ceux qui nous faisaient
confiance mais que l'on n'hésitait pas à baiser...

Certains ne se sont pas relevés, laissant derrière eux des pleurs, du chagrin et de la
peine... Je ne les oublies pas et ne les oublierais jamais, ils font partie de moi...

Ce livre est une partie de mon journal, de ma vie, de mes combats, de mes joies et
mes peines. C’est du vrai, c’est du vécu. C’est mon cœur qui se livre à vous, le bien
et le mal, car l’un ne va pas sans l’autre…

Merci à ma mère, Alain, José, Bertrand et Babeth !!! Vous êtes parties trop tôt mais
vous serez toujours là, en moi !!! Et si maintenant, je suis bien dans ma vie, c'est
grâce à vous. Oui, grâce à vous si je suis ce que je suis aujourd'hui...

Merci à ceux qui me comprenne, ceux qui savent mais ne disent rien. Merci à mon
père de toujours être là pour moi. Papa, je t’aime.

Merci à mon p’tit cœur, Chantal, celle qui m’a accrochée et qui donne un sens à ma
vie aujourd’hui. Je t’aime !!!

Voilà, c'est dit, c'est comme ça, c'est la vie. On continue, ça serait vraiment trop con
de ne pas continuer...
                                                          Meslay-du-Maine, Février 2012


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LE FACTEUR NE PASSE QU’UNE FOIS…

Un grand coup de klaxon et j’ouvre les yeux. Quelle heure est-il ? Je m’extirpe
péniblement des couvertures dans lesquelles je suis enroulé. J’ouvre la fenêtre qui
donne sur la rue et je pousse les volets, histoire de les coincer, juste pour faire un
peu de lumière. Je referme vite fait, ça caille ce matin. J’attrape le petit réveil
mécanique posé sur un tabouret qui fait office de table de nuit. 9h20… J’enfile un
pantalon, un tee-shirt, un pull et je sors dans le couloir. Je jette un œil quand même
pour être sûr que mes voisins ne me voient pas et je vais direct sur le panneau où
sont installés les compteurs EDF. Au-dessus du mien, j’ouvre la petite boite en
plastique et je retire mon fusible. Je n’ai plus de courant depuis quelques mois car je
n’ai pas payé. Alors, j’ai fabriqué ce fusible avec le reste d’un rouleau de PQ, enroulé
d’aluminium. Je replace le capot et je retourne dans mon appartement, je remettrai
mon truc ce soir…

J’ai à peu près 1hoo devant moi. Aujourd’hui est un grand jour. Même doublement
un grand jour. 05 Janvier 1998. D’une, c’est mon anniversaire, 28 ans et de deux,
c’est le jour du RMI. Voilà pourquoi il ne fallait pas que je me loupe. Le facteur
passant vers 10h30, je ne le raterai pour rien au monde, c’est lui qui m’amène mon
mandat. 2114 francs en liquide, cash et à domicile. Le seul jour du mois où tout bon
alcoolo et toxico se déchire la tête sans penser à autre chose. C’est aussi le seul jour
du mois où je me défonce avec le sourire. Planning du jour, prendre mes thunes,
foncer à la pharmacie, acheter des amphétamines et trainer les bars en me torchant
jusqu’en fin d’après-midi. Après, j’ai prévu de recevoir quelques potes, histoire de
fêter mon anniversaire, de délirer, de picoler, de gober, de fumer… et de tomber.
Pour demain, on verra bien.

J’habite à Rochefort sur Mer, en Charente-Maritime, dans un petit appartement
meublé situé rue Toufaire, un des quartiers le plus bas sur l’échelle sociale, où la
misère sociale transpire sur les trottoirs, sur les murs des bâtiments, remplissant les
caniveaux de bouteilles vides, de boites de médocs et de seringues usagées. Tous les
matins, je replie mon clic-clac bringuebalant pour avoir un peu de place dans ce 11
m². En meubles, pas grand-chose. Une armoire déglinguées où mes fringues sont
entassées. Un meuble récupéré quelques mois plus tôt, dans la rue, un soir
d’encombrants. Posés dessus, une télé, une console Playstation et une petite chaine
Hi-Fi. Ce sont les seuls trucs à moi ici et les seuls biens que je possède. C’est
d’ailleurs plutôt un luxe pour quelqu’un comme moi. Le reste, la table de la cuisine,
les chaises, la gazinière et le placard, c’est au proprio. Je suis installé ici depuis 4 ans
déjà. Vraiment classe la première fois que je l’avais visité. Faut dire qu’à l’époque, en
étant logé à l’auberge de jeunesse, j’avais plutôt intérêt à vite me trouver un toit,
sinon c’était retour direct dans la rue. Et puis, c’était le seul proprio qui acceptait les
dossiers FSL (Fond de Solidarité Logement) et les allocations de logement. Le pauvre
vieux, s’il avait su, je pense que ce jour-là, il ne me l’aurait jamais loué. Au tout
début, il y avait petit frigo aussi, mais je l’avais vendu une misère, juste de quoi
m’acheter une boite de médoc, un pack de bière et un bout de shit. Aucun scrupule à
le vendre, du moment que j’arrivais à me défoncer. Voilà donc mon chez moi tout
crasseux, sans chiotes, depuis que la salle de bain était condamnée, suite à ma
première « visite » en maison d’arrêt en 96.



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Pendant mes vacances forcées, mon appart avait servi de squatt à tout une flopé de
pauvres lascars, défoncés du matin au soir et qui n’en avaient rien à foutre de ne pas
être chez eux et quand j’étais sorti quelques mois plus tard, j’avais récupéré mon
logement dans un état plus que pitoyable. Un véritable dépotoir. Des cadavres de
bouteilles, de piquouzes usagées, de mégots écrasés à même le lino, des journaux
déchirés et des chiotes bouchés à raz la gueule. Immonde. C’est ce jour-là que la
salle de bain a été condamnée. C’était fini, plus personne n’y mettrais les pieds et
surtout pas moi. Bref, c’était devenu un vrai taudis. Le pire dans cette histoire, c’est
que je m’en contre-foutais, du moment que je pouvais me poser pour passer la nuit.
Parce que la journée de tout façon, je n’étais pas là. Je trainais en ville, avec des
mecs dans mon genre quoi. Le genre qui picolent, qui se gavent de médocs, qui
fument des pétards et qui planent à quinze milles, errants de bouteilles en bouteilles,
de squats en squats tout au long de la journée, sans autre but que de trouver un
truc pour se défoncer. C’est trop bon la défonce, ça fait oublier dans quelle merde on
se trouve.

Depuis deux ans, je n’ai pas beaucoup changé d’habitude et ce n’est pas mon
passage par la case prison qui a arrangé les choses. Bien au contraire, ça n’a fait que
renforcer ma haine du système et de mon regard sur la société dans laquelle je suis.
Une société de merde, avec des gens de merde, des boulots de merde, une vie de
merde bref de la grosse merde à mes yeux et aucune motivation à part me
déglinguer la tête, pour m’isoler et m’éloigner de cette vie que je rejette. Quand tu
vas en taule, même pour un truc bénin ou une accumulation de petites conneries,
que la justice décide de te punir, de t’écarter de la société parce qu’elle te juge
comme « élément perturbateur », elle s’imagine que ça va te servir de leçon et que
tu vas revenir dans le droit chemin. Mais ce n’est pas le cas. Pour ma part, ça n’a fait
qu’aggraver la situation sur tous les points. Mes passages répétés devant la justice
pour des ivresses publiques et manifestes, des bastons, des violences avec armes et
quelques petits bracos à droite à gauche, ont fait de moi quelqu’un qu’il fallait
écarter car considéré comme nuisible. Tu ne passes pas par la case « départ » et tu
ne touches pas vingt milles. C’est direct prison, transport tous frais payés, prises en
charge par les surveillants pénitentiaire, « messieurs les mâtons » et ta nouvelle
famille « messieurs les taulards ». Bienvenue au club mon gars !!! Ici, c’est chez toi,
à condition de respecter les règles, les codes et les lois de l’univers carcéral. Quand
tu arrives, on te fait tout de suite comprendre que tu n’es plus en liberté. Une fois
franchi les portes, plus aucune ne s’ouvrira sans les clés d’un maton. Après un bref
passage au bureau administratif, fouille à poil complet et surtout, tu te penches bien
en avant, que l’on puisse voir si dans ton trou de balle, t’aurais pas cachés un truc,
genre shit, piquouze ou peut-être même un flingue, va savoir. Toutes tes affaires,
portefeuille, thunes, clés, bagues, colliers, c’est dans un carton et tu les retrouveras
quand tu sortiras. Après, c’est perception de ton paquetage de détenu. Un plateau
en inox pour ta bouffe, un verre, une fourchette, un petit couteau à beurre, une
petite cuillère, une petite trousse de toilette avec un savon, un rasoir « Bic », une
brosse à dent, un gant de toilette et une serviette. On n’oublie surtout pas sa paire
de drap, sa couverture verte en grosse laine qui gratte bien et le rouleau de PQ,
offert gracieusement par l’administration. Les premiers jours, t’as le droit de te
torcher gratuit. Après, si tu veux quelque chose de doux pour t’essuyer le cul, tu
payeras mon gars. Rien n’est gratuit en prison.


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Quand je suis assis sur mon canapé et que je regarde autour de moi, en fait, je ne
suis pas trop dépaysé de la taule. Mon studio n’est pas plus grand. Il manque juste
les barreaux à la fenêtre. La différence c’est qu’ici, je peux rentrer sortir comme je
veux. Même le café est pareil qu’en zonzon. Poudre et eau bouillante. Dégueulasse
mais bon, c’est mieux que rien. Ce matin, c’est froid et sans sucre.

Pas grave, je fais le fond de mes poches pour voir combien il me reste
d’amphétamines. Quatre cachetons ça fera l’affaire !!! Royal, dans une heure, je
décolle dans tous les sens du terme. Je les gobe direct, avec un fond de bière qu’il
me reste. La canette en ferraille de 50cl est posée sur la table de la cuisine. Une 8-6.
Bizarre, je n’ai pas le souvenir de l’avoir achetée mais bon, je m’en tape, du moment
que ça contient un peu d’alcool. Aller, cul-sec et hop, avalé, on en parle plus. Un
frisson me parcourt l’échine et je fais une grimace. Le goût fort et amer de la bière,
c’est un peu hardcore comme ça de bon matin. Ce sentiment s’estompe aussi vite
qu’il est venu car mon esprit est déjà en quête d’une feuille OCB et d’un fond de
tabac tout sec. Un bon mélange de fond de clopes, de tabacs blonds, bruns ou noirs,
en fait, on sait plus. Je roule et allume en tirant une grande taffe. Je tousse, ça racle
un peu mais ça fait du bien. Mon cerveau est rassasié en nicotine maintenant. Je
touille mon café mais je me rappelle que je n’ai pas de sucre alors je bois par petites
gorgées et ce n’est vraiment pas bon. Un coup d’œil sur le réveil, 9h55. Ça ne passe
vraiment pas vite. En plus, j’ai envie de pisser. Bon, j’espère qu’Alain, mon voisin est
réveillé. Je sors dans le couloir et toc à la porte juste en face de la mienne.

   -   Ouais !!!

Je donne un petit coup d’épaule dans la porte en poussant, elle est un peu dure.
Question d’habitude quoi…. Je vois Alain, assis à sa table, en train de regarder un
truc à la télé. Je lui sers la main et je lui dis que je fonce aux chiottes. Il me fait oui
d’un signe de la tête, il connait le refrain, c’est le même quasiment tous les matins. Il
est cool Alain mais pas à prendre avec des pincettes et à voir sa tronche, c’est un
lendemain de cuite. Quand je reviens vers lui, il n’a pas bougé, ne bronche pas et
fixe la télé. Je lui demande si ça va. Il me fait un oui de la tête. Je regarde autour de
moi et attrape un verre sur l’évier. Je me sers un verre de rouge de la touque posée
sur la table. Je sens déjà les picotements des amphés. Une drôle de sensation,
comme si mes yeux me grattaient et que la lumière devenait aveuglante. C’était
typique. Je pouvais savoir direct si quelqu’un était sous amphés rien qu’en regardant
ses yeux. Et inversement d’ailleurs et ça les keufs le savaient bien aussi. Je m’assois
à la table et je bois mon rouge tranquillement. Une sensation m’envahie le corps.
Une douce sensation. Je ferme les yeux et j’écoute mon corps. Je sens que la table
bouge et je rouvre les yeux. Alain me tend une cigarette. Je la prends et on ne dit
toujours rien. Je fini mon rouge, je me sens déjà mieux. Je me décide à engager la
conversation.

   -   Qu’est-ce t’as fait d’beau hier soir ?

   -   Ben on a trainé un peu en ville avec Bruno et on a ramené des trucs… Vas
       voir, c’est dans ma chambre…




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Je me lève et entre dans la chambre. Ce qui était paradoxale, c’est que malgré le fait
qu’il se dépouille la tête à l’alcool, tout était bien rangé chez lui. Sa chambre était
nickel. Dans un coin, je vois deux écrans d’ordinateurs avec deux tours, les claviers
et les souris.

   -   Putain !!! Vous avez pé-cho ça où ?

   -   Alors là, j’en sais rien… Me rappelle plus…

me répond-il en rigolant. Je ris aussi parce qu’après tout, on s’en fout. Il me
demande si ça vaut des sous, parce qu’il sait que je m’y connais en ordinateur. Je
regarde le matériel de plus près. Les deux sont des Pentium 120. Je lui dis que oui,
c’est du bon matos. S’il compte les revendre, je serais bien intéressé, histoire de me
prendre une comm au passage. Je lui demande donc ce qu’il veut en faire. Il me dit
qu’il veut les vendre bien-sûr et que si je connais un plan, ce serait le bienvenue. Je
reviens m’assoir à la table et que c’est ok, je vais voir ça mais pas aujourd’hui, plutôt
demain. Il me ressert un verre de rouge et je ne dis pas non. Je lui dis que je bois
mon verre vite-fait et que je file, il ne faut surtout pas que je loupe le facteur pour
mon mandat, c’est mon anniversaire aujourd’hui. J’en profite pour lui dire que si il
veut venir boire deux trois coups ce soir, il serait le bienvenue. Il me répond qu’il
passera peut-être, que ce n’était pas sûr, il avait des trucs à faire et ne savait pas s’il
serait là... J’englouti mon verre cul-sec, faut que je bouge.

   -   Bon ben merci Alain, j’te laisse… Peut-être à ce soir alors…

   -   Ouais ok, bonne journée Jéjé, a plus…

Je retourne donc chez moi et la première chose que je fais, c’est de regarder le
réveil. Je me rapproche un peu parce que les amphés commencent à bien agir et j’ai
la vue un peu floue. 10h15… Plus beaucoup à attendre mais c’est encore trop long,
j’ai la bougeotte. Impossible de rester en place. J’attrape une feuille OCB et je me
roule une clope, ça fera passer le temps. Je regarde une fois de plus le réveil.
10h20… ça approche. Je jette un œil dans le haut de la rue par ma fenêtre, en
écartant les volets disposés en tuile. La lumière du jour pique les yeux. Je cherche le
vélo du facteur du regard mais je ne le vois pas. Il ne devrait pas tarder mais comme
c’est le jour du RMI, c’est toujours un peu plus long. Je ne suis pas le seul à le
toucher en mandat. Je referme la fenêtre et je m’assois sur mon canapé en allumant
la télé. Les images défilent mais je ne capte rien alors je zappe de chaine en chaine.
Me voilà reparti à me rouler une cigarette alors que je n’ai même pas fini l’autre.
C’est encore une fois un des effets des amphétamines. Je ne me rappelle plus de ce
que je viens de faire, de ce que je viens de dire ou de ce que je dois faire. Je plane à
dix mille, les yeux écarquillés, errant dans un monde de brume, je n’entends pas, je
ne sens rien… mais malgré tout ça, j’en prends, tous les jours parce que je ne
conçois pas la vie sans. Pourtant c’est faux, c’est une impression. En fait, je suis
accro, je suis dépendant de cette saloperie. Mon cerveau est aseptisé par cette
merde et je ne contrôle rien, je ne suis qu’un fantôme, je suis un toxico…




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Coup d’œil par la fenêtre et là, ho joie !!! Je vois enfin le vélo du facteur. C’est bon
ça. Dans quelques minutes, ça va frapper à la porte et je vais pouvoir toucher mes
caillasses. Je tourne et je vire dans l’appart, tirant sur ma clope éteinte, la mâchoire
crispée.

Toc toc toc !!! J’ouvre précipitamment la porte. Devant moi, le facteur, mon meilleur
ami de cette matinée. Il me dit bonjour et me tend un petit carnet avec un stylo.

   -   Une p’tite signature… juste là… me demande-t-il.

   -   Ouais bien-sûr

Pendant que je signe, il ouvre la poche de son blouson et commence à compter les
billets. Je lui redonne son carnet.

   -   Allez-y, rentrez, ce sera plus cool pour compter. Lui dis-je.

   -   Merci.

Il fait un pas et commence à disposer les billets sur la table de la cuisine. Je pousse
la porte, impatient d’empocher les biftons et de ma casser d’ici.

   -   2000… 2050… 2100…

Il cherche dans sa poche de pantalon. Il en sort un tas de pièces et reprend son
comptage en posant une pièce de dix francs et deux pièces de deux francs.

   -   2110 et… 2114 francs !!! Voilà le compte y est…

Il me salut, me dit de passer une bonne journée et s’en va. Je ferme la porte derrière
lui et j’empoche mes sous. Je vais enfin pouvoir bouger.

J’enfile mon blouson et je sors en fermant à clé. Me voilà parti pour une bonne
journée. Je remonte la rue, me dirigeant vers le centre-ville. Ma première étape sera
le bar-tabac « Le Marigny ». Je vais enfin fumer une vraie clope et m’enquiller une
bonne bière pression. J’avance d’un pas alerte, ne calculant même pas les gens
autour de moi, je suis comme télécommandé. Il commence à pleuvoir un peu et il
fait quand même un peu froid mais ces sensations sont masquées par l’effet des
amphétamines. Je me dis que je fumerai bien un bon gros pétard. Avec un peu de
chance, je vais tomber sur un type qui pourra me vendre un morceau. De toute
façon, je sais bien où trouver du matos, ce n’est pas un problème. Il faudra aussi
que je passe à la pharmacie pour reprendre une boite de Mercalm. Après, je vais
faire la tournée des potes, boire des bières, fumer des pets, gober des cachetons. Ça
va être une journée de défonce totale et la soirée qui s’annonce va prendre une
tournure dramatique… mais ça, je ne le sais pas encore.




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Et la journée passe. J’ai vu quelques potes, j’ai acheté du shit, un peu de came,
picolé des bières, du rouge, du whisky… Une journée de défonce classique quoi.
C’est la fin d’après-midi, je n’ai rien vu passé et je de retour au Marigny, histoire de
continuer dans ma lancé.

   -   Ce soir si tu veux passer, j’fais un p’tit truc pour mon anniv…

   -   Non mais Jéjé, ça fait trois fois que tu me le dit…

Mon verre de bière à la main, je regarde Jo sur son tabouret à côté de moi qui se
marre. Du coup, ça me fait marrer aussi parce que je sais que là, je suis bien
défoncé. J’en profite pour faire signe à Christian, le barman pour qu’il nous remette
une tournée, on ne va pas partir boiteux quand même. Je sors mon paquet de feuille
OCB et je commence à faire un collage en L, pour préparer un pétard. Mon pote me
tape sur l’épaule en me disant d’arrêter car on est au comptoir. Il se marre pendant
que je chiffonne les feuilles en regardant autour de moi si quelqu’un d’autre a capté
ce que j’étais en train de faire.

   -   Holala, j’suis def de chez def… J’capte plus rien là… dis-je à Jo.

   -   Ouais tu m’étonnes, j’vois ça. Tu ferais bien de te calmer Jéjé, parce que
       sinon ce soir tu ne vas pas assurer… surtout que je t’ai dit que Soso veut
       passer chez toi et foutre le bordel… c’est pour ça que je t’ai dit tout à l’heure
       que je ne passerai pas…

Ce que vient de me dire Jo résonne dans ma tête. « Soso veut passer chez toi et
foutre le bordel ». Là, c’est la merde quoi…

Soso, c’est un gars que je n’ai pas trop envie de voir chez moi. Deux semaines
auparavant, dans la soirée, ça avait frappé chez moi. J’étais tranquille devant la télé.
Quand j’avais ouvert, Soso était appuyé contre le montant de ma porte, un sourire
aux lèvres, les yeux à moitié fermés. Rien qu’en le voyant, j’ai tout de suite compris
qu’il était complètement bourré. Il devait même avoir certainement pris de la came,
c’était son truc ça.

   -   Salut Jéjé, tu me laisse rentrer ? Me demande-t-il.

Je n’étais vraiment pas chaud pour le laisser entrer. Dans un état comme ça, on ne
savait jamais comment il allait réagir. C’est le genre de gars très violent et sur
Rochefort, il était connu comme le loup blanc. Ces multiples incarcérations, ces
coups tordus, je les connaissais trop bien justement… et je connaissais trop bien le
personnage. Si le diable existait, alors c’était lui. C’est dire à quel point il était
mauvais. De toute façon, sa seule présence contribuait à rendre l’atmosphère
oppressante. Ce mec, c’était le mal.

   -   Ben tu sais Soso, j’allais me coucher là… donc…

Je n’eus même pas le temps de finir ma phrase qu’il m’avait poussé et était rentré. Je
n’avais plus le choix maintenant, le diable était chez moi.



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Aussitôt, son attitude changea. Son comportement devient tout de suite agressif et il
tapa d’un grand coup de poing sur la table, faisant voler les verres et les canettes
vides.

   -   Ho ho ho Soso !!! Calme-toi là !!! Dis-je en tentant de le raisonner.

   -   J’AI PLUS DE FAMILLE !!! MON COUSIN, MON ONCLE !!! C’EST DES
       ENCULES !!! cria-t-il, le regard plein de rage et de haine.

   Un regard que je connaissais bien. Instinctivement, je reculais d’un pas, restant
   sur la défensive. Son regard plongé dans le mien, je n’ai même pas eu le temps
   de comprendre qu’il venait de m’empoigner par le col en me décrochant un coup
   de boule. Je n’ai vu qu’un grand flash lumineux et je fus projeté en arrière. Je
   m’écroulais sur mon canapé et une douleur intense m’envahie le visage.
   Instinctivement, j’ai porté mes mains au visage et en les retirant, j’ai tout de suite
   vu que je saignais.

   -   PUTAIN SOSO!!! Hurle-je en me relevant, malgré la douleur. TU M’AS
       DEFONCE LE NEZ MERDE !!!

   Il me regardait, ne semblant pas trop capter ce qui venait de se passer. Il tenta
   de s’excuser, qu’il n’avait pas fait exprès, que ce n’était pas de sa faute… mais
   moi, j’en avais rien à foutre de ses excuses. J’avais mal au nez, je pissais le sang
   et je n’avais qu’une seule envie, c’est qu’il dégage. D’ailleurs c’est ce que je me
   suis empressé de lui dire en criant. Qu’il dégage de chez moi !!! Je lui ouvris la
   porte en gueulant de foutre le camp. Il ne chercha pas à rester. Il s’était rendu
   compte qu’il avait fait une connerie quand même. Il sorti donc sans protester
   mais tout en se retournant, il tenta encore de s’excuser, mais fermement, je lui ai
   dit de dégager en claquant la porte, le laissant comme le gros connard qu’il était,
   dans le couloir.

   En me regardant dans la glace, j’ai tout de suite compris que mon nez était bien
   fracturé. Il saignait et était même de travers. Je pouvais déjà voir les deux
   cocards se dessiner sous mes yeux. J’ai immédiatement mis mon nez entre mes
   mains et j’ai tiré d’un coup sec, pour le remettre le plus droit possible. La douleur
   me fît monter les larmes aux yeux. Je cherchais un mouchoir, un chiffon, un truc
   pour me le mettre sous le nez qui pissait le sang. J’en avais foutu partout. Je me
   maudissais en me disant que je n’aurais jamais dû le laisser entrer. Je me
   regardais une fois de plus dans la glace, pleurant. Cette fois, les cocards étaient
   bien là…

   C’est cette image que je vois dans les glaces au-dessus des étagères, en face du
   comptoir où je suis accoudé avec mon pote Jo. Mes cocards avaient diminués
   mais ils étaient encore voyants. Le souvenir de cette soirée me revint en
   mémoire… douloureusement… alors ce soir, pas question qu’il vienne gâcher ma
   soirée. Il ne rentrera pas, je lui interdirai, il ne passera pas la porte cet enfoiré…

   Jo tendit son verre dans ma direction, pour trinquer en me souhaitant quand
   même un joyeux anniversaire et on but nos verres cul-sec. Ce soir, Jo ne viendra


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pas car la famille qu’avait maudite Soso ce fameux soir, chez moi, c’était lui et J-
C, son père. Alors, Jo me dit de faire très attention, parce que Soso l’avait crié sur
tous les toits qu’il se passerait quelque chose chez moi, ce soir. Et comme il
n’était pas invité, c’était le bon prétexte pour qu’il vienne foutre la merde.

La nuit tombe sur Rochefort. Les lumières des lampadaires brillent comme des
milliers d’éclats dans mes yeux imbibés d’alcool, de came et de shit. Il est grand
temps d’aller chercher le ravitaillement au Prisunic. J’avance vite, je suis speed
mais bien défoncé quand même. Je rentre dans le magasin et comme par
provocation, je regarde le vigile et lui fait un petit sourire. Mais aujourd’hui, pas
de rapine. J’ai du fric alors je payes. Ce soir, Je vais faire la fête et je n’ai pas trop
envie de me faire griller pour terminer au commissariat, alors pas question de
faire le con, il faut que je contrôle mes mains pour ne pas qu’elles chourent une
bouteille de sky. J’empoigne un panier et je me dirige directement au rayon
alcool, comme par automatisme. Je prends une bouteille de whisky, une bouteille
de Ricard, deux bouteilles de pineau blanc et deux de rosé. Il me faut de la bière
aussi et de la sangria. Je prends également des chips, des biscuits d’apéro et
roule ma poule, direction la caisse.

5 minutes plus tard, je suis dehors, en direction de chez moi. Il est presque 18H
et je n’ai pas beaucoup de temps devant moi. Je passe devant la pharmacie en
me demandant si j’ai acheté ma boite de Mercalm. Je m’arrête, pose mes sacs
par terre et cherche dans mes poches de blouson. « Putain de merde » que je me
dis. Je cherche mais je ne trouve rien. J’ai pourtant un vague souvenir d’être
passé mais par précaution, je vais reprendre une boite. De toute façon, ce n’est
pas perdu. Je reprends mes sacs où les bouteilles s’entrechoquent et j’entre dans
la pharmacie. J’ai la bouche sèche. Je m’approche d’un comptoir. Une
préparatrice se pointe devant moi et instinctivement, j’essaye d’être le plus
naturel possible. J’allais ouvrir la bouche quand elle me dit directement en me
regardant droit dans les yeux :

-   une boite de Mercalm ? C’est non monsieur… Vous en avez déjà acheté deux
    aujourd’hui…

Je me retrouve à court d’arguments, ne savant pas quoi lui répondre. Pourtant,
j’insiste en prétextant que c’est en vente libre mais rien, c’est nada, niet, quedal…
Je ressors de la pharmacie, fais quelques pas et m’arrête. « Vous en avez acheté
deux aujourd’hui ». Je cherche encore dans mes poches de blousons et
effectivement, je trouve deux plaquettes, du shit et un gramme de brown, de
l’héroïne brune, d’où son nom quoi… Je me dis que c’est cool, j’ai tout ce qu’il
faut pour ce soir. Rassuré et content, je reprends la direction de mon studio.
J’avance en me contrefoutant de la pluie. Je n’ai qu’une seule idée en tête, faire
la fête avec mes potes. Ce sera une soirée inoubliable, j’en suis persuadé. Et
j’avais bien raison de le penser car je ne l’oublierais jamais plus…




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  • 2. PREFACE Petit, j'étais bien tranquille, bien gentil, tout mignon... Et j'ai grandi, peut-être trop vite... "Ainsi va la vie", comme dirait mon ami rappeur et artiste Komo Sarcani… J'ai avancé, déambulé dans une voie chaotique, alcoolique, narcotique... J'ai navigué du côté obscure, j'ai traversé le néant, j'ai touché le fond et j'y suis resté longtemps... J'avais arrêté le temps, c'était bon, c'était tripant... Je vivais au jour le jour, cherchant désespérément une sortie, une porte, une échappatoire pour fuir cette putain de vie... J'étais marié avec ma bouteille de sky et la came était ma maitresse. Quelles belles salopes ces deux-là !!! J'aurais pu tuer pour elles tellement je les avais dans la peau, dans mon corps et dans mon cœur... Mais voilà, un jour, elles m'ont trompé et quand j'ai ouvert les yeux, quand j'ai eu compris, il était déjà trop tard... Le temps avait passé et ce qui était fait, ne pouvait plus s'effacer... On peut changer mais on ne peut pas oublier. Surtout pas !!! Ce serait trop facile, trop aisé. Non, ça reste et ça doit rester... Pour changer sa voie, redevenir quelqu'un, reprendre goût à la vie, c'est une souffrance, une douleur indescriptible, qui dure pendant des années, laissant une cicatrice qui ne peut se refermer, comme pour nous rappeler les fautes, les erreurs, le mal que l'on a pu faire à ses parents, à ses amis, à ceux qui nous faisaient confiance mais que l'on n'hésitait pas à baiser... Certains ne se sont pas relevés, laissant derrière eux des pleurs, du chagrin et de la peine... Je ne les oublies pas et ne les oublierais jamais, ils font partie de moi... Ce livre est une partie de mon journal, de ma vie, de mes combats, de mes joies et mes peines. C’est du vrai, c’est du vécu. C’est mon cœur qui se livre à vous, le bien et le mal, car l’un ne va pas sans l’autre… Merci à ma mère, Alain, José, Bertrand et Babeth !!! Vous êtes parties trop tôt mais vous serez toujours là, en moi !!! Et si maintenant, je suis bien dans ma vie, c'est grâce à vous. Oui, grâce à vous si je suis ce que je suis aujourd'hui... Merci à ceux qui me comprenne, ceux qui savent mais ne disent rien. Merci à mon père de toujours être là pour moi. Papa, je t’aime. Merci à mon p’tit cœur, Chantal, celle qui m’a accrochée et qui donne un sens à ma vie aujourd’hui. Je t’aime !!! Voilà, c'est dit, c'est comme ça, c'est la vie. On continue, ça serait vraiment trop con de ne pas continuer... Meslay-du-Maine, Février 2012 2
  • 3. LE FACTEUR NE PASSE QU’UNE FOIS… Un grand coup de klaxon et j’ouvre les yeux. Quelle heure est-il ? Je m’extirpe péniblement des couvertures dans lesquelles je suis enroulé. J’ouvre la fenêtre qui donne sur la rue et je pousse les volets, histoire de les coincer, juste pour faire un peu de lumière. Je referme vite fait, ça caille ce matin. J’attrape le petit réveil mécanique posé sur un tabouret qui fait office de table de nuit. 9h20… J’enfile un pantalon, un tee-shirt, un pull et je sors dans le couloir. Je jette un œil quand même pour être sûr que mes voisins ne me voient pas et je vais direct sur le panneau où sont installés les compteurs EDF. Au-dessus du mien, j’ouvre la petite boite en plastique et je retire mon fusible. Je n’ai plus de courant depuis quelques mois car je n’ai pas payé. Alors, j’ai fabriqué ce fusible avec le reste d’un rouleau de PQ, enroulé d’aluminium. Je replace le capot et je retourne dans mon appartement, je remettrai mon truc ce soir… J’ai à peu près 1hoo devant moi. Aujourd’hui est un grand jour. Même doublement un grand jour. 05 Janvier 1998. D’une, c’est mon anniversaire, 28 ans et de deux, c’est le jour du RMI. Voilà pourquoi il ne fallait pas que je me loupe. Le facteur passant vers 10h30, je ne le raterai pour rien au monde, c’est lui qui m’amène mon mandat. 2114 francs en liquide, cash et à domicile. Le seul jour du mois où tout bon alcoolo et toxico se déchire la tête sans penser à autre chose. C’est aussi le seul jour du mois où je me défonce avec le sourire. Planning du jour, prendre mes thunes, foncer à la pharmacie, acheter des amphétamines et trainer les bars en me torchant jusqu’en fin d’après-midi. Après, j’ai prévu de recevoir quelques potes, histoire de fêter mon anniversaire, de délirer, de picoler, de gober, de fumer… et de tomber. Pour demain, on verra bien. J’habite à Rochefort sur Mer, en Charente-Maritime, dans un petit appartement meublé situé rue Toufaire, un des quartiers le plus bas sur l’échelle sociale, où la misère sociale transpire sur les trottoirs, sur les murs des bâtiments, remplissant les caniveaux de bouteilles vides, de boites de médocs et de seringues usagées. Tous les matins, je replie mon clic-clac bringuebalant pour avoir un peu de place dans ce 11 m². En meubles, pas grand-chose. Une armoire déglinguées où mes fringues sont entassées. Un meuble récupéré quelques mois plus tôt, dans la rue, un soir d’encombrants. Posés dessus, une télé, une console Playstation et une petite chaine Hi-Fi. Ce sont les seuls trucs à moi ici et les seuls biens que je possède. C’est d’ailleurs plutôt un luxe pour quelqu’un comme moi. Le reste, la table de la cuisine, les chaises, la gazinière et le placard, c’est au proprio. Je suis installé ici depuis 4 ans déjà. Vraiment classe la première fois que je l’avais visité. Faut dire qu’à l’époque, en étant logé à l’auberge de jeunesse, j’avais plutôt intérêt à vite me trouver un toit, sinon c’était retour direct dans la rue. Et puis, c’était le seul proprio qui acceptait les dossiers FSL (Fond de Solidarité Logement) et les allocations de logement. Le pauvre vieux, s’il avait su, je pense que ce jour-là, il ne me l’aurait jamais loué. Au tout début, il y avait petit frigo aussi, mais je l’avais vendu une misère, juste de quoi m’acheter une boite de médoc, un pack de bière et un bout de shit. Aucun scrupule à le vendre, du moment que j’arrivais à me défoncer. Voilà donc mon chez moi tout crasseux, sans chiotes, depuis que la salle de bain était condamnée, suite à ma première « visite » en maison d’arrêt en 96. 3
  • 4. Pendant mes vacances forcées, mon appart avait servi de squatt à tout une flopé de pauvres lascars, défoncés du matin au soir et qui n’en avaient rien à foutre de ne pas être chez eux et quand j’étais sorti quelques mois plus tard, j’avais récupéré mon logement dans un état plus que pitoyable. Un véritable dépotoir. Des cadavres de bouteilles, de piquouzes usagées, de mégots écrasés à même le lino, des journaux déchirés et des chiotes bouchés à raz la gueule. Immonde. C’est ce jour-là que la salle de bain a été condamnée. C’était fini, plus personne n’y mettrais les pieds et surtout pas moi. Bref, c’était devenu un vrai taudis. Le pire dans cette histoire, c’est que je m’en contre-foutais, du moment que je pouvais me poser pour passer la nuit. Parce que la journée de tout façon, je n’étais pas là. Je trainais en ville, avec des mecs dans mon genre quoi. Le genre qui picolent, qui se gavent de médocs, qui fument des pétards et qui planent à quinze milles, errants de bouteilles en bouteilles, de squats en squats tout au long de la journée, sans autre but que de trouver un truc pour se défoncer. C’est trop bon la défonce, ça fait oublier dans quelle merde on se trouve. Depuis deux ans, je n’ai pas beaucoup changé d’habitude et ce n’est pas mon passage par la case prison qui a arrangé les choses. Bien au contraire, ça n’a fait que renforcer ma haine du système et de mon regard sur la société dans laquelle je suis. Une société de merde, avec des gens de merde, des boulots de merde, une vie de merde bref de la grosse merde à mes yeux et aucune motivation à part me déglinguer la tête, pour m’isoler et m’éloigner de cette vie que je rejette. Quand tu vas en taule, même pour un truc bénin ou une accumulation de petites conneries, que la justice décide de te punir, de t’écarter de la société parce qu’elle te juge comme « élément perturbateur », elle s’imagine que ça va te servir de leçon et que tu vas revenir dans le droit chemin. Mais ce n’est pas le cas. Pour ma part, ça n’a fait qu’aggraver la situation sur tous les points. Mes passages répétés devant la justice pour des ivresses publiques et manifestes, des bastons, des violences avec armes et quelques petits bracos à droite à gauche, ont fait de moi quelqu’un qu’il fallait écarter car considéré comme nuisible. Tu ne passes pas par la case « départ » et tu ne touches pas vingt milles. C’est direct prison, transport tous frais payés, prises en charge par les surveillants pénitentiaire, « messieurs les mâtons » et ta nouvelle famille « messieurs les taulards ». Bienvenue au club mon gars !!! Ici, c’est chez toi, à condition de respecter les règles, les codes et les lois de l’univers carcéral. Quand tu arrives, on te fait tout de suite comprendre que tu n’es plus en liberté. Une fois franchi les portes, plus aucune ne s’ouvrira sans les clés d’un maton. Après un bref passage au bureau administratif, fouille à poil complet et surtout, tu te penches bien en avant, que l’on puisse voir si dans ton trou de balle, t’aurais pas cachés un truc, genre shit, piquouze ou peut-être même un flingue, va savoir. Toutes tes affaires, portefeuille, thunes, clés, bagues, colliers, c’est dans un carton et tu les retrouveras quand tu sortiras. Après, c’est perception de ton paquetage de détenu. Un plateau en inox pour ta bouffe, un verre, une fourchette, un petit couteau à beurre, une petite cuillère, une petite trousse de toilette avec un savon, un rasoir « Bic », une brosse à dent, un gant de toilette et une serviette. On n’oublie surtout pas sa paire de drap, sa couverture verte en grosse laine qui gratte bien et le rouleau de PQ, offert gracieusement par l’administration. Les premiers jours, t’as le droit de te torcher gratuit. Après, si tu veux quelque chose de doux pour t’essuyer le cul, tu payeras mon gars. Rien n’est gratuit en prison. 4
  • 5. Quand je suis assis sur mon canapé et que je regarde autour de moi, en fait, je ne suis pas trop dépaysé de la taule. Mon studio n’est pas plus grand. Il manque juste les barreaux à la fenêtre. La différence c’est qu’ici, je peux rentrer sortir comme je veux. Même le café est pareil qu’en zonzon. Poudre et eau bouillante. Dégueulasse mais bon, c’est mieux que rien. Ce matin, c’est froid et sans sucre. Pas grave, je fais le fond de mes poches pour voir combien il me reste d’amphétamines. Quatre cachetons ça fera l’affaire !!! Royal, dans une heure, je décolle dans tous les sens du terme. Je les gobe direct, avec un fond de bière qu’il me reste. La canette en ferraille de 50cl est posée sur la table de la cuisine. Une 8-6. Bizarre, je n’ai pas le souvenir de l’avoir achetée mais bon, je m’en tape, du moment que ça contient un peu d’alcool. Aller, cul-sec et hop, avalé, on en parle plus. Un frisson me parcourt l’échine et je fais une grimace. Le goût fort et amer de la bière, c’est un peu hardcore comme ça de bon matin. Ce sentiment s’estompe aussi vite qu’il est venu car mon esprit est déjà en quête d’une feuille OCB et d’un fond de tabac tout sec. Un bon mélange de fond de clopes, de tabacs blonds, bruns ou noirs, en fait, on sait plus. Je roule et allume en tirant une grande taffe. Je tousse, ça racle un peu mais ça fait du bien. Mon cerveau est rassasié en nicotine maintenant. Je touille mon café mais je me rappelle que je n’ai pas de sucre alors je bois par petites gorgées et ce n’est vraiment pas bon. Un coup d’œil sur le réveil, 9h55. Ça ne passe vraiment pas vite. En plus, j’ai envie de pisser. Bon, j’espère qu’Alain, mon voisin est réveillé. Je sors dans le couloir et toc à la porte juste en face de la mienne. - Ouais !!! Je donne un petit coup d’épaule dans la porte en poussant, elle est un peu dure. Question d’habitude quoi…. Je vois Alain, assis à sa table, en train de regarder un truc à la télé. Je lui sers la main et je lui dis que je fonce aux chiottes. Il me fait oui d’un signe de la tête, il connait le refrain, c’est le même quasiment tous les matins. Il est cool Alain mais pas à prendre avec des pincettes et à voir sa tronche, c’est un lendemain de cuite. Quand je reviens vers lui, il n’a pas bougé, ne bronche pas et fixe la télé. Je lui demande si ça va. Il me fait un oui de la tête. Je regarde autour de moi et attrape un verre sur l’évier. Je me sers un verre de rouge de la touque posée sur la table. Je sens déjà les picotements des amphés. Une drôle de sensation, comme si mes yeux me grattaient et que la lumière devenait aveuglante. C’était typique. Je pouvais savoir direct si quelqu’un était sous amphés rien qu’en regardant ses yeux. Et inversement d’ailleurs et ça les keufs le savaient bien aussi. Je m’assois à la table et je bois mon rouge tranquillement. Une sensation m’envahie le corps. Une douce sensation. Je ferme les yeux et j’écoute mon corps. Je sens que la table bouge et je rouvre les yeux. Alain me tend une cigarette. Je la prends et on ne dit toujours rien. Je fini mon rouge, je me sens déjà mieux. Je me décide à engager la conversation. - Qu’est-ce t’as fait d’beau hier soir ? - Ben on a trainé un peu en ville avec Bruno et on a ramené des trucs… Vas voir, c’est dans ma chambre… 5
  • 6. Je me lève et entre dans la chambre. Ce qui était paradoxale, c’est que malgré le fait qu’il se dépouille la tête à l’alcool, tout était bien rangé chez lui. Sa chambre était nickel. Dans un coin, je vois deux écrans d’ordinateurs avec deux tours, les claviers et les souris. - Putain !!! Vous avez pé-cho ça où ? - Alors là, j’en sais rien… Me rappelle plus… me répond-il en rigolant. Je ris aussi parce qu’après tout, on s’en fout. Il me demande si ça vaut des sous, parce qu’il sait que je m’y connais en ordinateur. Je regarde le matériel de plus près. Les deux sont des Pentium 120. Je lui dis que oui, c’est du bon matos. S’il compte les revendre, je serais bien intéressé, histoire de me prendre une comm au passage. Je lui demande donc ce qu’il veut en faire. Il me dit qu’il veut les vendre bien-sûr et que si je connais un plan, ce serait le bienvenue. Je reviens m’assoir à la table et que c’est ok, je vais voir ça mais pas aujourd’hui, plutôt demain. Il me ressert un verre de rouge et je ne dis pas non. Je lui dis que je bois mon verre vite-fait et que je file, il ne faut surtout pas que je loupe le facteur pour mon mandat, c’est mon anniversaire aujourd’hui. J’en profite pour lui dire que si il veut venir boire deux trois coups ce soir, il serait le bienvenue. Il me répond qu’il passera peut-être, que ce n’était pas sûr, il avait des trucs à faire et ne savait pas s’il serait là... J’englouti mon verre cul-sec, faut que je bouge. - Bon ben merci Alain, j’te laisse… Peut-être à ce soir alors… - Ouais ok, bonne journée Jéjé, a plus… Je retourne donc chez moi et la première chose que je fais, c’est de regarder le réveil. Je me rapproche un peu parce que les amphés commencent à bien agir et j’ai la vue un peu floue. 10h15… Plus beaucoup à attendre mais c’est encore trop long, j’ai la bougeotte. Impossible de rester en place. J’attrape une feuille OCB et je me roule une clope, ça fera passer le temps. Je regarde une fois de plus le réveil. 10h20… ça approche. Je jette un œil dans le haut de la rue par ma fenêtre, en écartant les volets disposés en tuile. La lumière du jour pique les yeux. Je cherche le vélo du facteur du regard mais je ne le vois pas. Il ne devrait pas tarder mais comme c’est le jour du RMI, c’est toujours un peu plus long. Je ne suis pas le seul à le toucher en mandat. Je referme la fenêtre et je m’assois sur mon canapé en allumant la télé. Les images défilent mais je ne capte rien alors je zappe de chaine en chaine. Me voilà reparti à me rouler une cigarette alors que je n’ai même pas fini l’autre. C’est encore une fois un des effets des amphétamines. Je ne me rappelle plus de ce que je viens de faire, de ce que je viens de dire ou de ce que je dois faire. Je plane à dix mille, les yeux écarquillés, errant dans un monde de brume, je n’entends pas, je ne sens rien… mais malgré tout ça, j’en prends, tous les jours parce que je ne conçois pas la vie sans. Pourtant c’est faux, c’est une impression. En fait, je suis accro, je suis dépendant de cette saloperie. Mon cerveau est aseptisé par cette merde et je ne contrôle rien, je ne suis qu’un fantôme, je suis un toxico… 6
  • 7. Coup d’œil par la fenêtre et là, ho joie !!! Je vois enfin le vélo du facteur. C’est bon ça. Dans quelques minutes, ça va frapper à la porte et je vais pouvoir toucher mes caillasses. Je tourne et je vire dans l’appart, tirant sur ma clope éteinte, la mâchoire crispée. Toc toc toc !!! J’ouvre précipitamment la porte. Devant moi, le facteur, mon meilleur ami de cette matinée. Il me dit bonjour et me tend un petit carnet avec un stylo. - Une p’tite signature… juste là… me demande-t-il. - Ouais bien-sûr Pendant que je signe, il ouvre la poche de son blouson et commence à compter les billets. Je lui redonne son carnet. - Allez-y, rentrez, ce sera plus cool pour compter. Lui dis-je. - Merci. Il fait un pas et commence à disposer les billets sur la table de la cuisine. Je pousse la porte, impatient d’empocher les biftons et de ma casser d’ici. - 2000… 2050… 2100… Il cherche dans sa poche de pantalon. Il en sort un tas de pièces et reprend son comptage en posant une pièce de dix francs et deux pièces de deux francs. - 2110 et… 2114 francs !!! Voilà le compte y est… Il me salut, me dit de passer une bonne journée et s’en va. Je ferme la porte derrière lui et j’empoche mes sous. Je vais enfin pouvoir bouger. J’enfile mon blouson et je sors en fermant à clé. Me voilà parti pour une bonne journée. Je remonte la rue, me dirigeant vers le centre-ville. Ma première étape sera le bar-tabac « Le Marigny ». Je vais enfin fumer une vraie clope et m’enquiller une bonne bière pression. J’avance d’un pas alerte, ne calculant même pas les gens autour de moi, je suis comme télécommandé. Il commence à pleuvoir un peu et il fait quand même un peu froid mais ces sensations sont masquées par l’effet des amphétamines. Je me dis que je fumerai bien un bon gros pétard. Avec un peu de chance, je vais tomber sur un type qui pourra me vendre un morceau. De toute façon, je sais bien où trouver du matos, ce n’est pas un problème. Il faudra aussi que je passe à la pharmacie pour reprendre une boite de Mercalm. Après, je vais faire la tournée des potes, boire des bières, fumer des pets, gober des cachetons. Ça va être une journée de défonce totale et la soirée qui s’annonce va prendre une tournure dramatique… mais ça, je ne le sais pas encore. 7
  • 8. Et la journée passe. J’ai vu quelques potes, j’ai acheté du shit, un peu de came, picolé des bières, du rouge, du whisky… Une journée de défonce classique quoi. C’est la fin d’après-midi, je n’ai rien vu passé et je de retour au Marigny, histoire de continuer dans ma lancé. - Ce soir si tu veux passer, j’fais un p’tit truc pour mon anniv… - Non mais Jéjé, ça fait trois fois que tu me le dit… Mon verre de bière à la main, je regarde Jo sur son tabouret à côté de moi qui se marre. Du coup, ça me fait marrer aussi parce que je sais que là, je suis bien défoncé. J’en profite pour faire signe à Christian, le barman pour qu’il nous remette une tournée, on ne va pas partir boiteux quand même. Je sors mon paquet de feuille OCB et je commence à faire un collage en L, pour préparer un pétard. Mon pote me tape sur l’épaule en me disant d’arrêter car on est au comptoir. Il se marre pendant que je chiffonne les feuilles en regardant autour de moi si quelqu’un d’autre a capté ce que j’étais en train de faire. - Holala, j’suis def de chez def… J’capte plus rien là… dis-je à Jo. - Ouais tu m’étonnes, j’vois ça. Tu ferais bien de te calmer Jéjé, parce que sinon ce soir tu ne vas pas assurer… surtout que je t’ai dit que Soso veut passer chez toi et foutre le bordel… c’est pour ça que je t’ai dit tout à l’heure que je ne passerai pas… Ce que vient de me dire Jo résonne dans ma tête. « Soso veut passer chez toi et foutre le bordel ». Là, c’est la merde quoi… Soso, c’est un gars que je n’ai pas trop envie de voir chez moi. Deux semaines auparavant, dans la soirée, ça avait frappé chez moi. J’étais tranquille devant la télé. Quand j’avais ouvert, Soso était appuyé contre le montant de ma porte, un sourire aux lèvres, les yeux à moitié fermés. Rien qu’en le voyant, j’ai tout de suite compris qu’il était complètement bourré. Il devait même avoir certainement pris de la came, c’était son truc ça. - Salut Jéjé, tu me laisse rentrer ? Me demande-t-il. Je n’étais vraiment pas chaud pour le laisser entrer. Dans un état comme ça, on ne savait jamais comment il allait réagir. C’est le genre de gars très violent et sur Rochefort, il était connu comme le loup blanc. Ces multiples incarcérations, ces coups tordus, je les connaissais trop bien justement… et je connaissais trop bien le personnage. Si le diable existait, alors c’était lui. C’est dire à quel point il était mauvais. De toute façon, sa seule présence contribuait à rendre l’atmosphère oppressante. Ce mec, c’était le mal. - Ben tu sais Soso, j’allais me coucher là… donc… Je n’eus même pas le temps de finir ma phrase qu’il m’avait poussé et était rentré. Je n’avais plus le choix maintenant, le diable était chez moi. 8
  • 9. Aussitôt, son attitude changea. Son comportement devient tout de suite agressif et il tapa d’un grand coup de poing sur la table, faisant voler les verres et les canettes vides. - Ho ho ho Soso !!! Calme-toi là !!! Dis-je en tentant de le raisonner. - J’AI PLUS DE FAMILLE !!! MON COUSIN, MON ONCLE !!! C’EST DES ENCULES !!! cria-t-il, le regard plein de rage et de haine. Un regard que je connaissais bien. Instinctivement, je reculais d’un pas, restant sur la défensive. Son regard plongé dans le mien, je n’ai même pas eu le temps de comprendre qu’il venait de m’empoigner par le col en me décrochant un coup de boule. Je n’ai vu qu’un grand flash lumineux et je fus projeté en arrière. Je m’écroulais sur mon canapé et une douleur intense m’envahie le visage. Instinctivement, j’ai porté mes mains au visage et en les retirant, j’ai tout de suite vu que je saignais. - PUTAIN SOSO!!! Hurle-je en me relevant, malgré la douleur. TU M’AS DEFONCE LE NEZ MERDE !!! Il me regardait, ne semblant pas trop capter ce qui venait de se passer. Il tenta de s’excuser, qu’il n’avait pas fait exprès, que ce n’était pas de sa faute… mais moi, j’en avais rien à foutre de ses excuses. J’avais mal au nez, je pissais le sang et je n’avais qu’une seule envie, c’est qu’il dégage. D’ailleurs c’est ce que je me suis empressé de lui dire en criant. Qu’il dégage de chez moi !!! Je lui ouvris la porte en gueulant de foutre le camp. Il ne chercha pas à rester. Il s’était rendu compte qu’il avait fait une connerie quand même. Il sorti donc sans protester mais tout en se retournant, il tenta encore de s’excuser, mais fermement, je lui ai dit de dégager en claquant la porte, le laissant comme le gros connard qu’il était, dans le couloir. En me regardant dans la glace, j’ai tout de suite compris que mon nez était bien fracturé. Il saignait et était même de travers. Je pouvais déjà voir les deux cocards se dessiner sous mes yeux. J’ai immédiatement mis mon nez entre mes mains et j’ai tiré d’un coup sec, pour le remettre le plus droit possible. La douleur me fît monter les larmes aux yeux. Je cherchais un mouchoir, un chiffon, un truc pour me le mettre sous le nez qui pissait le sang. J’en avais foutu partout. Je me maudissais en me disant que je n’aurais jamais dû le laisser entrer. Je me regardais une fois de plus dans la glace, pleurant. Cette fois, les cocards étaient bien là… C’est cette image que je vois dans les glaces au-dessus des étagères, en face du comptoir où je suis accoudé avec mon pote Jo. Mes cocards avaient diminués mais ils étaient encore voyants. Le souvenir de cette soirée me revint en mémoire… douloureusement… alors ce soir, pas question qu’il vienne gâcher ma soirée. Il ne rentrera pas, je lui interdirai, il ne passera pas la porte cet enfoiré… Jo tendit son verre dans ma direction, pour trinquer en me souhaitant quand même un joyeux anniversaire et on but nos verres cul-sec. Ce soir, Jo ne viendra 9
  • 10. pas car la famille qu’avait maudite Soso ce fameux soir, chez moi, c’était lui et J- C, son père. Alors, Jo me dit de faire très attention, parce que Soso l’avait crié sur tous les toits qu’il se passerait quelque chose chez moi, ce soir. Et comme il n’était pas invité, c’était le bon prétexte pour qu’il vienne foutre la merde. La nuit tombe sur Rochefort. Les lumières des lampadaires brillent comme des milliers d’éclats dans mes yeux imbibés d’alcool, de came et de shit. Il est grand temps d’aller chercher le ravitaillement au Prisunic. J’avance vite, je suis speed mais bien défoncé quand même. Je rentre dans le magasin et comme par provocation, je regarde le vigile et lui fait un petit sourire. Mais aujourd’hui, pas de rapine. J’ai du fric alors je payes. Ce soir, Je vais faire la fête et je n’ai pas trop envie de me faire griller pour terminer au commissariat, alors pas question de faire le con, il faut que je contrôle mes mains pour ne pas qu’elles chourent une bouteille de sky. J’empoigne un panier et je me dirige directement au rayon alcool, comme par automatisme. Je prends une bouteille de whisky, une bouteille de Ricard, deux bouteilles de pineau blanc et deux de rosé. Il me faut de la bière aussi et de la sangria. Je prends également des chips, des biscuits d’apéro et roule ma poule, direction la caisse. 5 minutes plus tard, je suis dehors, en direction de chez moi. Il est presque 18H et je n’ai pas beaucoup de temps devant moi. Je passe devant la pharmacie en me demandant si j’ai acheté ma boite de Mercalm. Je m’arrête, pose mes sacs par terre et cherche dans mes poches de blouson. « Putain de merde » que je me dis. Je cherche mais je ne trouve rien. J’ai pourtant un vague souvenir d’être passé mais par précaution, je vais reprendre une boite. De toute façon, ce n’est pas perdu. Je reprends mes sacs où les bouteilles s’entrechoquent et j’entre dans la pharmacie. J’ai la bouche sèche. Je m’approche d’un comptoir. Une préparatrice se pointe devant moi et instinctivement, j’essaye d’être le plus naturel possible. J’allais ouvrir la bouche quand elle me dit directement en me regardant droit dans les yeux : - une boite de Mercalm ? C’est non monsieur… Vous en avez déjà acheté deux aujourd’hui… Je me retrouve à court d’arguments, ne savant pas quoi lui répondre. Pourtant, j’insiste en prétextant que c’est en vente libre mais rien, c’est nada, niet, quedal… Je ressors de la pharmacie, fais quelques pas et m’arrête. « Vous en avez acheté deux aujourd’hui ». Je cherche encore dans mes poches de blousons et effectivement, je trouve deux plaquettes, du shit et un gramme de brown, de l’héroïne brune, d’où son nom quoi… Je me dis que c’est cool, j’ai tout ce qu’il faut pour ce soir. Rassuré et content, je reprends la direction de mon studio. J’avance en me contrefoutant de la pluie. Je n’ai qu’une seule idée en tête, faire la fête avec mes potes. Ce sera une soirée inoubliable, j’en suis persuadé. Et j’avais bien raison de le penser car je ne l’oublierais jamais plus… 10