Cet article analyse deux dimensions pertinentes de l’équité sociale. La première porte sur l’effort de redistribution des subventions de la compensation et leur capacité à réduire les inégalités et à améliorer le niveau de vie de la population, tout en accordant une attention
particulière aux populations pauvres et vulnérables à la pauvreté. Quant à la seconde, elle concerne l’équité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et son impact redistributif. Les résultats obtenus montrent, même si le coût budgétaire des subventions est en escalade, que la réforme
de la compensation ne peut être simplifiée exclusivement à une question de ciblage selon une vision bipolaire pauvres versus non pauvres. D’emblée, la microsimulation de la TVA acquittée par les ménages montre son caractère quasi-proportionnel et remet en cause le
principe d’équité sociale de cet impôt. De tous les résultats proposés, retenons, essentiellement, que l’effort de réforme de la compensation, en s’appuyant
sur la réforme fiscale de la TVA, peut être recherché dans la généralisation de la TVA, la révision à la hausse des taux de TVA de 10 % et 14 %, et de la taxe sur les carburants.
Disparités spatiales de salaire et externaltés de capital humain
Equité_sociale_inégalités_maroc
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Pour une Équité Sociale au Maroc
Eléments de politiques pour cibler les inégalités et la pauvreté
Khalid SOUDI
ksoudi2002@yahoo.fr
HCP, Maroc
Conférence International sur les politiques d’équité
pour les nouvelles générations dans la région MENA
Rabat, 22-23 mai 2012
2. www.hcp.ma
Plan
Précisions conceptuelles : équité sociale et inégalité
Équité sociale, terme à définir
Inégalités de quoi?
Inégalités de revenu : étendue, structure et déterminants fonctionnels et
personnels
Inégalités de capabilités : espace de manques et privation multiple
Inégalités de chances : niveau et contribution à l’inégalité salariale
Inégalités salariales de type genre
Inégalités devant les transferts indirects. Cas de la compensation
Evaluation de l’équité sociale de la TVA
Conclusion
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Précisions conceptuelles:
Dans son acception la plus courante, l’équité sociale est un principe directeur de l’action
publique. Elle implique la lutte contre les inégalités illégitimes pour minimiser les écarts et assurer
le bien-être de tous.
Équité sociale : d’après J. Rawls «Theory of justice, 1971», cette notion renvoie à
l’ensembles des principes qui régissent le processus de répartition des droits et des devoirs
et les modes d’accès aux ressources (sociales, économiques, politiques, etc.)
L’objet de l’équité sociale est la recherche d’un idéal égalitaire. Ce qui déplace le débat
sur l’égalité vers l’égalité juste
Dès lors, la problématique de l’équité sociale se décline en:
1.La lutte contre les inégalité des droits
2.La lutte contre les inégalités des chances
3.La réduction des inégalités de situation dues à la méritocratie
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Inégalités de quoi?
Les inégalités prennent plusieurs formes et renvoient à une pluralité de
variables focales et d’espaces d’évaluation:
(i) inégalités économiques; (ii) inégalités de capabilités;
(iii) inégalités de chances; (iv) inégalités salariales gendorielles;
(v) inégalités devant les politiques publiques, etc.
Objectif global :
Quelle est la réalité de l’inégalité dans ses différentes dimensions ?
Quelles politiques faut-il favoriser pour renforcer l’équité sociale et le bien-
être de tous ?
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Inégalités de revenu et équité sociale : rôle des mécanismes du marché
Approches empiriques : (i) approche de décompositions fonctionnelle de la
répartition; et (ii) approche de décomposition par régression.
Profil de la répartition du revenu total
Inégalité de revenu/dépense : ratios interquantiles et indice de Gini
Source : HCP, ENNVM 2007, calculs de l’auteur
Indices de répartition
Urbain Rural Ensemble
Revenu Dépense Revenu Dépense Revenu Dépense
Le rapport entre la valeur
moyenne des 20% les plus aisés
et celle des 20% les plus
défavorisés (Q5/Q1)
9,3 7,3 7,5 5,3 9,8 6,6
Le rapport entre la valeur
moyenne des 10% les plus aisés
et celle des 10% les plus
défavorisés (D10/D1)
16,2 12,3 12,6 8,2 17,5 10,9
Inégalité mesurée par l'indice
de Gini
0,463 0,411 0,415 0,331 0,468 0,407
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Décomposition de l’inégalité par sources de revenu : facteurs de menace
Décomposition de l’inégalité par source et élasticité revenu de
l’indice de Gini standard
Source de
revenu
Contribution relative à
l'inégalité
Elasticité inégalité-
revenu (indice de Gini)
Impact marginal d'une
variation du revenu sur
l'inégalité
Rural Urbain Ensemble Rural Urbain Ensemble Rural Urbain Ensemble
Salaires 0,149 0,354 0,338 0,61 0,87 0,87 -0,097 -0,094 -0,050
Revenu
indépendant
0,225 0,381 0,336 1,47 1,44 1,44 0,072 0,113 0,102
Revenu
agricole
0,453 0,0123 0,082 1,11 0,63 0,63 0,043 0,002 -0,048
Transferts 0,130 0,088 0,133 1,06 0,99 0,99 0,007 -0,009 -0,001
Rentes 0,028 0,1298 0,081 0,56 0,93 0,93 -0,022 -0,015 -0,006
Revenus
divers
0,015 0,035 0,030 0,84 1,13 1,13 -0,003 0,004 0,004
Source : HCP, ENNVM 2007, calculs de l’auteur
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Les enseignements qui se dégagent de ces analyses peuvent être résumés dans les points suivants :
(i) une politique créatrice de l’emploi salarié, l’amélioration des gains salariaux
notamment pour les bas salaires, l’équité salariale, jouent un rôle important dans la
maîtrise des inégalités de revenu pourvu que les inégalités salariales ne s’aggravent pas.
(ii) en milieu rural, une politique agricole ciblée sur les plus défavorisés, présente un double
dividende : (i) réduire la pauvreté des ménages ruraux; et (ii) corriger la répartition du
revenu agricole.
(iii) les actions visant à réduire les inégalités du revenu de capital, notamment
l’encouragement à l’accès aux activités entrepreneuriales, une fiscalité progressive,
l’incitation à l’investissement des revenus issus du capital au lieu de son accumulation, sont
susceptibles de décliner l’inégalité de revenu.
(iv) l’attachement aux valeurs de l’entraide sociale est un facteur crucial en matière de
lutte contre les inégalités.
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Rôle des transferts de revenu dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté
Effets redistributifs des transferts : équité verticale vs inéquité horizontale
(en points de pourcentage)
En termes de pauvreté monétaire, les transferts entre ménages résidents ont permis de
réduire le taux de pauvreté de près de 3 points de pourcentage. A défaut des ces
transferts, le taux de pauvreté aurait été de 11,8% au lieu de 8,9%.
Quant aux transferts des MRE, ils ont contribué à réduire la pauvreté de 1,4 points de
pourcentage.
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Les déterminants d’inégalité de la répartition du revenu : rôles des
caractéristiques individuelles et de l’environnement social
A partir des résultats de la décomposition de l’inégalité par régression, selon la méthode
de Shorrocks (1999), on estime la contribution relative des différents déterminants à
l’inégalité totale de revenu, et de les classer selon la pertinence de leur pouvoir
explicatif.
Les résultats obtenus montrent:
Expliquant près de 38% des inégalités de revenu, les écarts entre catégorie
socioprofessionnelle et en termes d’éducation représentent les principaux facteurs des
écarts de revenu entre les ménages urbains. En milieu rural, cette contribution demeure
non moins importante, elle est de l’ordre de 14,7%.
En milieu rural, la structure démographique des ménages ruraux apparait également
être à l’origine d’une part importante de l’inégalité de revenu, soit une contribution à
hauteur de 14,8%.
Les écarts territoriaux expliquent une part non moins importante de l’inégalité de
revenu (10,2%). Cette contribution est plus pertinente en milieu rural (11,3%) qu’en
milieu urbain (9,9%).
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Contribuant à hauteur de 8,0% de l’inégalité du revenu en milieu urbain, les
opportunités du revenu (accès au crédit, diversification des sources de revenu) jouent un
rôle non moins important dans la détermination de l’inégalité totale du revenu.
Ces résultats montrent bel et bien que l’inégalité du revenu n’est pas exclusivement
irréductible aux mécanismes du marché. Dans toute sa complexité, la répartition du
revenu dépend également des facteurs personnels et contextuels.
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Inégalités de capabilités: espace de manques et privation multiple
En se référant aux approches de l’équité sociale de J. Rawls et A. Sen, l’inégalité n’est
pas exclusivement irréductible à la dimension revenu/dépense, mais également en termes de
défauts de capacités, d’opportunités ou de libertés, permettant à un individu de mener le
style de vie qu’il souhaite (Stewart, 1995 ; Sen, 2000).
les inégalités de capabilités « inégalités de manques » mettent l’emphase sur l’étendue
des privations dans l’absolu et des pénuries de capacités en élargissant le champ des
variables focales à l’accessibilité aux biens premiers et aux capacités des individus.
L’espace de privation retenu dans l’analyse est fondé sur 6 dimensions : (i) inégalités de
revenu; (ii) emploi; (iii) éducation; (iv) santé; (v) consommation courante; et (vi) qualité de
vie.
L’approche d’Alkire & Foster (2007, 2009) fait partie des approches développées pour
mesurer l’étendue et la sévérité des manques dont souffre simultanément la population.
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les personnes exposées au risque de la pauvreté multidimensionnelle, qu’elles relèvent du
milieu urbain (3,9%) ou rural (21,9%), se caractérisent par une intensité de privation
significativement similaire, à savoir un nombre moyen de privation de près de 4 éléments
parmi 12 (4,5 en milieu rural et 4,1 en milieu urbain).
Inégalités de manques : part de la population privée selon le nombre d’attributs de
privation
Nombre de
privation Urbain Rural National
0 71,6 35,7 56,0
1 12,9 24,6 17,3
2 11,7 17,7 15,0
3 2,0 9,0 5,0
4 0,9 5,7 3,0
5 0,6 3,1 1,7
6 0,3 2,1 1,1
7 0,1 1,3 0,6
8 0,0 0,6 0,3
9 ou plus 0,0 0,1 0,1
Source : données de base de l’ENNVM 2007
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L’un des vertus de l’approche d’Alkire & Foster (2009) est qu’elle permet aussi de calculer
la contribution de chaque dimension de l’espace de manques à la privation multiple.
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Inégalités de chances : niveau et contribution à l’inégalité salariale
Par définition, on considère qu'il y a inégalités de chances si les conditions de réussite
sont prédéterminées pour l’individu et échappent à son contrôle.
A l’échelle nationale, les inégalités de chances contribuent à hauteur de 26,4% de
l’inégalité des revenus salariaux. Par milieu de résidence, cette contribution s’élève à 25,8%
en milieu urbain et à 8,7% en milieu rural.
Contribution des inégalités de chances à l’inégalité salariale
30,2
22,5
17,4
15,0
9,0
4,5
32,5
25,5
16,2
50 ans
et plus
35-49
ans
15-34
ans
50 ans
et plus
35-49
ans
15-34
ans
50 ans
et plus
35-49
ans
15-34
ans
Urbain Rural Ensemble
(%)
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Inégalités salariales de type genre
Estimées en termes de discrimination salariale liée au genre, les inégalités salariales
s’expliquent essentiellement par l’octroi de salaires plus élevés aux hommes qu’aux femmes
pour un travail égal et à exigences pareilles.
En ne considérant que la population salariée en milieu urbain, l’écart de salaire estimé
entre hommes et femmes provient essentiellement de la discrimination salariale, soit une
contribution relative de 60.6%.
Selon les tranches d’âge, la discrimination salariale explique 51% de l’écart salarial pour
les personnes âgées de moins de 30 ans, et 67% pour leurs homologues de 30 à 50 ans.
Analysée par classes de salaires, la discrimination salariale est plus éminente dans le bas
de la distribution que dans le haut. En effet, elle explique 65% de l’écart salarial parmi les
50% des salariés les moins rémunérés, et 33,3% parmi les 50% les plus rémunérés.
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Inégalités devant les transferts indirects. Cas de la compensation
L’analyse de l’impact des subventions de la caisse de compensation porte sur leurs efforts
de redistribution des subventions de la compensation et leur capacité à réduire les inégalités
et améliorer le niveau de vie de la population.
En 2007, l’effet redistributif des subventions a réduit la pauvreté de près de 2,4 points de
pourcentage et l’inégalité de dépense de près de 1 point de pourcentage.
Etant donné le caractère non pro-pauvres des subventions, le Maroc a tout l’intérêt de
revoir le système de répartition actuel en adoptant, à défaut d’un ciblage parfait, une
répartition uniforme. Telle répartition permet de réduire davantage : (i) le taux de pauvreté
de près de 2 points de pourcentage ; (ii) l’inégalité de dépense de 1,1 points de pourcentage.
Répartition des avantages tirés de la subvention
Produits
subventionnés
Quintiles de dépenses par personne
Total
Pauvreté
Milieu de
résidence
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5 Pauvre
Non
pauvre
Urbain Rural
2 001 11.1 15.2 18.4 22.5 32.9 100.0 8.0 92.0 57.9 42.1
2 007 10.7 14.5 18.2 22.7 33.9 100.0 3.8 96.2 61.0 39.0
Source : données de base de l’ENCDM 2000/01 et l’ENNVM 2006/07
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Evaluation de l’équité sociale de la TVA
• Progressivité de la TVA
Taux apparent de la TVA selon les classes de dépenses
2007 2001
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Synthèse des résultats
Eu égard à la réalité plurielle des inégalités au Maroc, aux déterminants sous-jacents à
la répartition, l’équité sociale au Maroc constitue un défit crucial.
L’étendue et les facteurs déterminants des différentes formes d’inégalité soulignent trois
défis de l’équité sociale :
le premier défi se réfère au rôle des mécanismes du marché et de la rémunération
des facteurs sur la répartition du revenu.
Le deuxième concerne l’investissement en capital humain, les habilités individuelles,
les opportunités, la réduction des écarts sociaux et territoriaux, etc. pour rendre la
répartition du revenu plus équitable, lutter contre les inégalités de capabilités et les
inégalités de chances.
Le troisième défi concerne le ciblage des transferts indirects et l’équité fiscale pour
améliorer l’efficacité des mécanismes de redistribution en matière de lutte contre
l’inégalité et la pauvreté absolue.
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Briser le cercle vicieux des inégalités, agir sur leurs causes originelles, devraient relever
d’une approche systémique de lutte contre les différentes formes d’inégalités.
Les mécanismes du marché et la rémunération des facteurs de production sont appelés à
être anti-inégalité.
Le renforcement de l’entraide familiale et des différentes formes de la solidarité sociale
constitue une opportunité pour l’équité sociale.
L’investissement dans le capital humain, l’accès à l’emploi, tout comme la réduction des
disparités professionnelles, sociales et territoriales, et le ciblage des effets redistributifs
des programmes sociaux, sont autant de facteurs sur lesquels l’Etat peut agir pour
lutter contre les différentes formes des inégalités entre les individus, les groupes sociaux
et les territoires.