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103N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
L’auteur s’interroge sur l’état de mise en œuvre du contrôle de régularité
dans les pays en développement (PED) et notamment en Afrique de
l’Ouest, ainsi que sur les outils susceptibles de permettre une amélioration
de la situation actuelle. Parmi les outils possibles, la rénovation de la
responsabilité personnelle et pécuniaire selon des procédés adaptés
aux spécificités nationales semble une voie prometteuse pour ancrer
définitivement ce type de contrôle dans les pratiques administratives
des pays de la sous-région.
La responsabilité personnelle et pécuniaire
des comptables publics :
un instrument de bonne gouvernance
pour les pays en développement ?
L
a responsabilisation des acteurs financiers
constitue un élément clé de la bonne gouver-
nance publique2
. Elle s’inscrit même pleine-
ment dans une logique démocratique3
. À l’heure
où les systèmes de contrôle et de responsabili-
sation les plus novateurs sont proposés aux PED4
,
il faut s’interroger sur l’état d’avancement du
contrôle de la régularité des finances publiques
dans ces pays. Il est en effet paradoxal d’observer
la promotion actuelle des contrôles basés sur la
performance, alors que le contrôle de régularité
n’est pas encore totalement fiabilisé dans certains
1
FMI, Staff Operational Guidelines on
dissemination of TA Information,
2009.
2
Cf. Thébault S., « La responsabilité
des gestionnaires : responsabilité
managériale et responsabilité
juridictionnelle, approche
comparée », La bonne gouvernance
des finances publiques dans le
monde, LGDJ, 2009, p.284 et s.
3
Comme l’affirme par exemple
l’article 15 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen
française.
4
Voir par exemple la promotion du
« Public internal financial control »
par l’OCDE dans les pays en
transition : Cazala F.-R., « Structures
et procédures pour le renforcement
de la discipline et de la
responsabilité financière », La bonne
gouvernance des finances publiques
dans le monde, LGDJ, 2009, p.31 et s.
International
Jean-Philippe VION
Ancien conseiller résident en gestion des finances publiques
Fonds Monétaire International (FMI)
Centre régional d’assistance technique Afritac de l’Ouest
En raison de la politique du FMI en matière de diffusion des informations relatives à l’assistance technique1
,
l’auteur n’a pu citer nommément les pays dans lesquels les pratiques décrites dans l’article ont été obser-
vées. Dans ce cas, l’article mentionne « dans un pays de la région » ou « dans certains pays de la région ».
Il s’agit néanmoins toujours de situations réelles rencontrées dans le cadre de son activité professionnelle
de conseiller à l’Afritac de l’Ouest, donc couvrant dix pays d’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, lorsque des
informations publiques étaient disponibles, elles sont utilisées et leurs sources citées, conformément aux
usages académiques. Enfin, les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur, et ne doivent
pas être attribuées au FMI, ni à son conseil d’administration, ni à sa direction.
104 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
de ces pays. Certes, il est possible d’avancer que
ces deux procédures doivent être mises en œuvre
de concert, ainsi que le soulignait l’ancien premier
Président de la Cour des comptes française :
« Si les principes d’efficience, d’efficacité et de
transparence doivent plus que jamais inspirer les
gestions publiques, les exigences d’éthique et
de régularité ne doivent pas pour autant être
considérées comme démodées. Il serait dange-
reux de les évacuer, au nom d’une prétendue
modernité qui tendrait à disqualifier le respect de
la règle de droit au nom de la recherche de la
performance »5
.
Dans le contexte actuel des PED, ceci implique
avant tout qu’il faille poursuivre le travail en ma-
tière de contrôle de régularité, car ce contrôle
pourrait être escamoté sous couvert d’une mo-
dernité mal adaptée. Il semble aujourd’hui néces-
saire de rappeler que, dans la sphère publique, le
contrôle de régularité prime les autres types de
contrôle, en raison de la nature même de l’argent
public. Le contrôle de régularité constitue le
« premier étage de la fusée », sans lequel les au-
tres types de contrôle ne peuvent être mis en
œuvre. Or, dans les pays de la sous-région, il ap-
paraît que ce type de contrôle est encore large-
ment perfectible.
Si les divers auteurs s’accordent à louer les nou-
velles méthodes de contrôle, tout en rappelant la
nécessité de maintenir un contrôle de régularité,
les propositions concrètes pour assurer ce dernier
dans les PED sont extrêmement peu nombreuses.
Les rapports et articles s’en tiennent en général à
rappeler qu’il faut renforcer l’existant. Cette pré-
conisation trop générale ne suffira pas à faire évo-
luer une situation dégradée depuis de nom-
breuses années. Seule une connaissance intime
de la technique et de la situation de terrain peut
permettre d’apporter des solutions adaptées à
une problématique si complexe. Il importe donc
de produire une analyse fine des causes d’échec
des dispositifs existants, basée sur une expé-
rience de terrain étendue et de ne rien s’interdire
pour renouveler le modèle théorique, afin de tenir
compte de la forte spécificité locale.
Dans ce contexte, quels seraient les instruments
techniques qui permettraient concrètement la
mise en œuvre de ce contrôle ? Pour cela, il est
tentant d’évaluer la pertinence dans les PED du
plus ancien régime de responsabilité de la tradi-
tion financière francophone : la responsabilité per-
sonnelle et pécuniaire (RPP) des comptables pu-
blics. Certes, la RPP fait figure de pilier du temple,
parfois considéré comme un peu dépassé et ne
semblant pas être un parangon de modernité fi-
nancière publique6
. Mais ceci appelle deux re-
marques. Tout d’abord, il faut souligner la remar-
quable longévité du principe de séparation et de
la RPP, souvent dénoncés comme obsolètes, mais
jamais abandonnés7
. Ce principe peut donc être
jugé robuste, tout simplement parce qu’il est
utile, qu’aucun système concurrent ne s’y est ja-
mais substitué8
et qu’il est adaptable à la moder-
nité administrative9
. Ensuite, il est possible d’avan-
cer que la RPP présente encore de grands avan-
tages, notamment dans le contexte des PED,
comme nous le démontrerons.
Pour cela, il convient de revenir sur la théorie de
la RPP et sur son application en Afrique de l’Ouest
(1), avant d’envisager les voies et moyens d’une
refondation de la RPP dans nos pays (2).
5
Seguin P., « Allocution de clôture
du colloque « Les Cours des
comptes en action » des 25 et 26
juin 2007 », Revue Française de
Finances Publiques (RFFP), n°101,
mars 2008, p.178.
6
La RPP a pu se voir reprocher
plusieurs carences ou
anachronismes. Voir pour mémoire
sur ce point FONDAFIP, Quel
comptable pour les comptes
publics au XXIe
siècle, juillet
2010, p.6 et s.
7
Cf. direction du Budget, fiche
« La responsabilité personnelle et
pécuniaire des comptables
publics », site internet de la
performance publique, accessible
sur http://www.performance-
publique.budget.gouv.fr/ le
22/12/2013 : « Les dispositions
nouvelles du GBCP n’ayant pas
modifié la nature des contrôles
opérés par le comptable en
matière de dépenses et de
recettes, le juge des comptes
continuera son office dans les
mêmes conditions
qu’actuellement. Ainsi la mise en
place des services facturiers et du
contrôle partenarial n’ont pas
d’impact en termes de mise en jeu
de la responsabilité du comptable
par le juge des comptes ». Le
grand soir de la RPP annoncé avec
la réforme de la loi organique sur
les lois de finances (LOLF) n’a donc
pas eu lieu. La RPP demeure l’un
des piliers du temple financier
public en France.
8
La responsabilité managériale, à la
faveur des débats en marge de la
réforme de la LOLF a un temps fait
figure d’alternative possible. Il
semble que cette orientation n’ait
pas prospéré. Voir sur ce point :
Adans B., « L’évolution de la
fonction comptable et son impact
sur le régime de responsabilité des
comptables publics », Finances
publiques et responsabilité, l’autre
réforme, RFFP, n°92, novembre
2005, p.184.
9
Cf. Brenner J.-L., « La fiabilisation
des comptes publics locaux et
hospitaliers, un enjeu de plus en
plus majeur pour les finances
publiques », Gestion et finances
publiques, 2012, n°6, p.3 et s., où
M. Brenner démontre que la
séparation ordonnateurs/
comptables s’insère
harmonieusement dans la mise en
œuvre des bonnes pratiques
internationales du contrôle interne
comptable, qui prône la mise en
place de séparations
fonctionnelles pour lutter contre
les irrégularités.
10
Ministère de l’économie, Réponse
à une question parlementaire de
M. Roland Huguet, JO du Sénat
français, 24/9/1994, p.3064.
11
Cf. Direction du Budget, fiche « La
responsabilité personnelle et
pécuniaire des comptables
publics », site internet de la
performance publique, accessible
sur http://www.performance-
publique.budget.gouv.fr/ le
22/12/2013 : « Ce principe de
responsabilité personnelle et
pécuniaire fait du comptable
public le seul fonctionnaire
responsable sur ses propres
deniers des erreurs commises
dans l’exercice de sa mission, par
lui-même ou l’équipe qui lui est
confiée : déficit de caisse, non
recouvrement de recettes,
paiement non libératoire des
dépenses notamment ».
International
A. Théorie de la responsabilité
personnelle et pécuniaire
La RPP est un régime de responsabilité, applica-
ble à une certaine catégorie de fonctionnaires (les
comptables publics), second grand principe des
finances publiques francophones derrière la sé-
paration ordonnateurs/comptables, dont elle est
le corollaire10
. Le comptable public est ainsi le seul
fonctionnaire dans la tradition juridique franco-
phone qui soit responsable de ses erreurs sur ses
propres deniers. À ce titre, il est possible de parler
d’ « exceptionnalisme » du comptable public11
, ce
dernier occupe en effet une place éminente parmi
Qu’est ce que la responsabilité personnelle et pécuniaire
et comment est-elle mise en œuvre en Afrique de l’Ouest ?
1
105N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
les autres corps de fonctionnaires, car il est consi-
déré comme le gardien des deniers publics.
La RPP est le plus souvent mise en jeu lorsque le
juge financier juge les comptes – et non les comp-
tables – de manière objective12
pour mettre en
œuvre la sanction des erreurs commises par
un « débet ». Le débet est un jugement ou une
décision qui met en jeu la responsabilité d’un
comptable. Il peut être prononcé par deux auto-
rités : l’une juridictionnelle, le juge financier et
l’autre administrative, le ministre en charge des
Finances ou le ministre supérieur hiérarchique du
comptable13
.
Les irrégularités donnant lieu à l’engagement de
la RPP sont, en recettes, l’absence de diligences
du comptable en matière de recouvrement ayant
débouché sur la prescription d’une créance, l’ab-
sence de contrôle des réductions ou annulations
de recettes, et en dépenses, l’absence de mise en
œuvre des contrôles mis à la charge du compta-
ble par le RGCP14
. Le comptable public contrôle
donc la régularité de la dépense ou de la recette
publique, et non son opportunité.
Cette responsabilité est illimitée dans son mon-
tant et s’étend aux actes des agents placés sous
la responsabilité du comptable (agents du poste
comptable, régisseurs) sous certaines condi-
tions15
.
Le comptable doit, avant d’entrer en fonction,
constituer des garanties, pour pouvoir répondre
de son éventuelle responsabilité, sous la forme
d’un cautionnement (bancaire ou par affiliation à
une association de cautionnement mutuel16
) et
d’une hypothèque sur ses biens immeubles. Il a
en outre la faculté de souscrire une assurance. Le
cautionnement, obligatoire, protège la collectivité
publique, tandis que l’assurance, facultative, pro-
tège le comptable lui-même17
.
Il existe par ailleurs deux dispositifs d’atténuation
de la responsabilité du comptable, la décharge
de responsabilité et la remise gracieuse. La dé-
charge en responsabilité vise à reconnaître que
l’engagement de la responsabilité découle d’un
événement extérieur, imprévisible et irrésistible
(par ex. une catastrophe naturelle qui endomma-
gerait le bâtiment abritant le poste comptable et
empêcherait de ce fait la reddition des comptes).
La remise gracieuse correspond à l’appréciation
subjective de la situation du comptable (par ex.
sous-effectif chronique empêchant une exécution
correcte des tâches). C’est le ministre qui pro-
nonce ces deux types de décisions, qui peuvent
effacer tout ou partie du débet mis à la charge du
comptable18
.
B. Pratique de la responsabilité
personnelle et pécuniaire en Afrique
de l’Ouest
La pratique de la RPP des comptables publics en
Afrique de l’Ouest apparaît dégradée. En effet, si
les États disposent d’une législation et d’une rè-
glementation conformes à la tradition financière
francophone19
, il importe de noter que l’applica-
tion des règles est perfectible.
S’agissant du cadre de mise en œuvre de la
RPP, il souffre de nombreuses carences. En effet,
les obligations pesant sur les comptables sont
rarement respectées : peu ou pas de prestation
de serment, des cautionnements rarement consti-
tués et absence de souscriptions d’assurances
personnelles, parce qu’aucune compagnie d’as-
surance locale n’accepterait de garantir ce type
de risque.
Par ailleurs, la pratique de la RPP est elle aussi dé-
ficiente. La reddition des comptes est perfectible :
les comptes sont en général rendus avec retard,
voire pas du tout. Et l’absence de reddition n’en-
traîne que très rarement, contrairement à la régle-
mentation, une condamnation à une peine
d’amende.
Ensuite, le contrôle juridictionnel devrait être ren-
forcé. Les Cours des comptes nationales rendent
en général peu de jugements. Les procédures de
contrôle sont parfois hétérodoxes, plutôt axées
sur un contrôle de la qualité de la gestion que sur
la régularité des opérations au sens strict20
. Enfin
et de fait, le prononcé de sanctions peut se révé-
ler rare.
Enfin, l’Administration ne recourt que très
rarement à la mise en jeu de la responsabilité
des comptables incriminés. Même la mise en
évidence de fraudes donne rarement lieu à
la mise en jeu de la RPP du comptable concerné.
Si, par exception, les comptes relatifs aux débets
sont mouvementés, il y a de fortes chances que
ceux-ci ne soient jamais régularisés et finissent par
être apurés sans versement par le comptable,
après des années d’inaction administrative. Plus
grave encore, la menace de mise en débet,
qui devrait être un puissant garde-fou et une
stimulation pour les comptables, est en général
considérée avec légèreté par les comptables du
fait de la faiblesse du contrôle exercé par les
Cours des comptes.
12
La responsabilité objective (fondée sur
la causalité prouvée) s’oppose à la
responsabilité subjective (fondée sur la
faute prouvée).
13
Akhoune F., Le statut du comptable en
droit public financier, LGDJ, 2008,
p.350 et s.
14
En France, les contrôles incombant au
comptable public figurent désormais
aux articles 19 et 20 du décret sur la
gestion budgétaire et comptable
publique (GBCP) (décret n°2012-1246
du 7 novembre 2012).
15
Cour des comptes, Rapport public
annuel 2012, février 2012, p.24 et s.
16
Comme l’Association Française de
Cautionnement Mutuel (AFCM) en
France. Association fondée en 1908,
elle a pour objet de garantir au moyen
d’un acte collectif de cautionnement
les obligations contractées vis-à-vis du
Trésor public par les comptables et
autres agents publics astreints dans
leurs fonctions à la constitution d’un
cautionnement (par ex. régisseurs
d’avances et de recettes). L’adhésion à
l’AFCM permet de disposer d’un
cautionnement sans devoir constituer
un cautionnement réel.
17
Ibid.
18
La loi n°2011-1978 du 28 décembre
2011 de finances rectificative pour 2011
a encadré, en France, le pouvoir de
remise du ministre, mais ces évolutions
n’apparaissent pas souhaitables dans la
sous-région, et n’entrent pas de ce fait
dans le champ de notre étude.
19
Cette réglementation se trouve pour
l’essentiel dans les dispositions des
Règlements généraux de la
comptabilité publique (RGCP) de
chaque pays, qui sont assez semblables
les uns aux autres. Le mouvement
d’harmonisation régionale, par le biais
de la directive UEMOA
n°07/2009/CM/UEMOA portant RGCP
au sein de l’UEMOA du 26 juin 2009
prolonge cette dynamique.
20
Les deux modalités de contrôle
(contrôle juridictionnel et contrôle de
gestion) coexistent au sein du système
francophone, sans que l’exercice du
second ne doive hypothéquer la mise
en œuvre du premier. Le contrôle
juridictionnel consiste à juger les
comptes des comptables publics,
tandis que le contrôle de gestion
s’assure à la fois du respect des règles
de la comptabilité publique et de la
qualité de la gestion des ordonnateurs.
Voir Bouvier M., Esclassan M.-C.,
Lassale J.-P., Finances publiques, LGDJ,
10éme
édition, 2010, p.545 et s.
International
106 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
A. Certes, de nombreux arguments
semblent s’opposer à la mise en
œuvre pleine et entière de la
responsabilité personnelle et
pécuniaire
De nombreux arguments contraires semblent
aujourd’hui militer pour une impossibilité de
mettre en œuvre une RPP efficace dans nos pays.
Les arguments suivants peuvent être cités.
La faiblesse des Cours des comptes :
Les Cours nationales apparaissent en effet trop
faibles à la fois en termes de rendement et de
capacité à imposer leurs décisions. En tant
qu’institution de contrôle d’essence démocra-
tique, elles ont bénéficié de nombreux appuis de
la part des partenaires techniques et financiers
(PTF) depuis le milieu des années 1980. Mais il
semble que le contrôle par les Cours des comptes
peine à s’enraciner dans les réalités adminis-
tratives nationales21
. Aussi, la revitalisation de la
RPP ne pourra se faire sans le soutien de Cours
efficientes, soutenues et respectées.
L’impossibilité de recourir à une
assurance privée :
Comme nous l’avons vu précédemment, le
système de RPP n’est possible en pratique que
si des assurances viennent atténuer le risque qui
pèse sur le patrimoine du comptable public. Bien
évidemment, si les sanctions prévues étaient
appliquées dans leurs dernières conséquences et
sans dispositif assuranciel, certains comptables se
retrouveraient saisis de tout ou partie de leur
patrimoine, ce qui déboucherait nécessairement
sur un blocage du système. Des dispositifs d’atté-
nuation sont donc nécessaires, et notamment un
dispositif assuranciel. Il est bien clair à ce stade
qu’aucune compagnie d’assurance privée locale
n’accepterait d’endosser un tel risque, à la fois mal
évalué et très élevé. Pourtant, il est impossible
d’envisager de redéployer une RPP sans assurance
descomptables.Unesolutionoriginaleestproposée
ci-après.
L’inertie des administrations sur ces
questions :
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent,
l’Administration nationale ne fait pas jouer à la
RPP tout le rôle que lui reconnaissent les textes
officiels.
B. Mais il existe par ailleurs de
puissants arguments en faveur
d’une revitalisation de la RPP…
Mais il importe aussi de considérer les arguments
en faveur d’un retour de la RPP au premier plan
comme outil de responsabilisation des acteurs
financiers publics dans les PED. Il est ainsi possi-
ble de citer les arguments suivants.
Une responsabilité simple et
objective :
Dans des systèmes administratifs fragiles, où
les considérations politiques ou de personnes
viennent souvent empiéter sur l’action adminis-
trative, la RPP présente l’avantage d’être un
régime de responsabilité objective. L’automaticité
de la mise en débet peut ainsi présenter un
avantage pour les juridictions financières, dont la
crédibilité pourrait sortir grandie de l’utilisation
d’un instrument incontestable et équitable.
De même, contrairement à des dispositifs plus
récents axés sur le contrôle de la performance,
la RPP apparaît comme un dispositif simple et
robuste, peu consommateur en ressources. En
effet, la mise en œuvre de la RPP ne met pas en
branle un grand nombre d’acteurs, mais seule-
ment le comptable et son juge (ou son ministre
de tutelle et son juge). De même, le phasage de
la procédure et les échanges d’informations sont
assez simples : le comptable produit un compte
de gestion, qu’il adresse ensuite sous forme
papier (et parfois déjà dématérialisée dans
certains pays) à la Cour dans un certain délai fixé
par la réglementation et la Cour juge le compte,
en général au moyen d’un arrêt provisoire, puis
d’un arrêt définitif, après réception des éven-
tuelles réponses du comptable. La dilution des
responsabilités est donc limitée, dans la mesure
où le comptable est seul responsable de toute
irrégularité.
Un régime qui s’accommode du
poids de l’exécutif :
Même si la théorie officielle fait souvent l’écono-
mie de cette explication, il importe de reconnaître
le grand pragmatisme de la tradition financière
francophone. En effet, l’une des justifications de
la RPP réside dans la reconnaissance implicite de
la difficulté à mettre en œuvre une responsabilité
financière des élus. C’est pourquoi la séparation
21
Dans l’un de nos pays, la Cour
des comptes n’a, selon les
informations recueillies,
jamais rendu d’arrêt sur les
comptes d’un comptable de
collectivités locales et le
dernier arrêt provisoire sur les
comptes du comptable
principal unique de l’État
remonte à plus de dix ans.
Cette situation n’est pas
unique. De même, les
concepts sont appliqués avec
latitude. Ainsi, dans ce même
pays, la Cour pratique surtout
une forme de contrôle de
gestion, mais sans prononcer
de sanction.
International
L’intérêt pour la bonne gouvernance de renforcer
la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables
publics dans les pays en développement
2
107N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
des fonctions d’ordonnateur et de comptable a
été édictée, de façon à responsabiliser l’acteur
le plus facile à incriminer, qui sait qu’il encourra
pleinement la sanction en cas de manquement :
le comptable public22
.
L’existence d’instruments d’atténuation
de la responsabilité qui concilient
affirmation de la responsabilité et
limitation des conséquences
pécuniaires pour les agents :
Le système de RPP apparaît très rigoureux à l’œil
non averti. En réalité, comme nous l’avons vu,
il existe des mécanismes d’atténuation de la
responsabilité, qui maintiennent le degré de
responsabilisation tout en rendant le système
supportable pour les justiciables. Dans des pays
où la culture du contrôle est en voie d’enracine-
ment, c’est un fait très important de pouvoir
mettre en place un contrôle qui concilie le rappel
de la règle (le contrôle « objectif »), tandis que
les conséquences sur le patrimoine des agents
doivent être limitées, du moins dans un premier
temps (par la combinaison de la remise gracieuse
et de l’assurance). Il pourrait ainsi être envisagé de
débuter la remise en œuvre de la RPP par une
phase pédagogique où le régime de responsabilité
serait fortement atténué, voire sans conséquence.
La sacralisation de l’argent public :
La RPP ne doit pas être seulement considérée
d’un point de vue technique. Elle recouvre aussi
une dimension symbolique forte. Les obligations
faites au comptable peuvent paraître désuètes ou
hypertrophiées (prestation de serment, déclara-
tion de patrimoine, cautionnement etc…). En
réalité, elles servent aussi à créer un univers sym-
bolique : le comptable fait partie d’un groupe à
part, garant de la probité du système financier
public, et il sait que les sanctions qu’il encourt
sont proportionnées à la place exceptionnelle
qu’il occupe dans le dispositif. La réactivation de
la RPP dans les PED peut ainsi participer à une
entreprise positive et très souhaitable : la « dé-ba-
nalisation », l’ « exceptionnalisation » de l’argent
public. Dans des contextes nationaux fragiles où
la distinction entre argent public et argent privé
doit parfois être consolidée ou restaurée, les
procédures spécifiques à la RPP peuvent amener
une prise de conscience de la part des acteurs du
caractère extraordinaire, au sens premier du
terme, de l’argent public.
C. … à condition de mettre en place
un dispositif adapté
Si les arguments précités emportent la décision
de revitaliser la RPP, il est important de rester
lucide sur la situation de départ : le système doit
être repensé et rebâti, car le fonctionnement de
ses différents compartiments doit être amélioré.
1. Rétablir l’État de droit en matière
de RPP (le cautionnement,
l’assurance, la prestation de serment)
et rendre le système viable dans un
contexte de PED
Concernant le retour de l’État de droit en matière
de RPP, le formalisme juridique doit être restauré.
Tout d’abord, pour permettre de mener à bien les
procédures de mise en jeu de la responsabilité
des comptables (en permettant de faire jouer le
cautionnement et l’assurance), mais aussi en
raison de la forte charge symbolique qu’il véhi-
cule, de façon à responsabiliser les acteurs et à
rendre effective ou incontestable toute sanction
future.
Il importe donc de faire prêter serment devant
la Cour, de vérifier la constitution des caution-
nements et d’encourager la souscription d’une
assurance préalablement à toute prise de fonc-
tions. Tous les acteurs de la procédure doivent
être convaincus de son bien fondé23
.
Il faut ensuite rendre le système des garanties
financières viable dans un contexte de PED.
Comme nous l’avons déjà souligné, aucune
compagnie d’assurance n’accepterait de garantir
le risque lié à la RPP, considéré comme élevé,
nouveau et non maîtrisable sans doute aux yeux
d’un assureur privé.
Concernant le cautionnement, une association de
cautionnement mutuel semble la solution la plus
indiquée. En échange d’une cotisation annuelle
modique, payée avant le début de l’exercice
concerné, proportionnelle aux fonds maniés par
le poste comptable, le comptable est en règle
de son obligation. Cela évite une mise de fonds
importante liée à un cautionnement réel (c’est-à-
dire par dépôt de la somme en question sous
forme d’une consignation) et permet une certaine
surveillance mutuelle des comptables les uns
par les autres : en effet, la mise en jeu du caution-
nement d’un comptable deviendrait un événe-
ment néfaste pour l’ensemble du corps et plus
seulement pour le comptable mis en cause.
En matière d’assurance, l’action publique et
collective est encore plus nécessaire qu’en
matière de cautionnement dans un contexte de
PED. Dans ce cas, une caisse collective pourrait
être mise en place. Un compte de dépôt de fonds
au Trésor pourrait recueillir les fonds collectés. La
cotisation serait précomptée, de manière obliga-
toire, dans un premier temps, sur les indemnités
de caisse des comptables. Le temps de constituer
22
Un auteur a ainsi fait
remarquer que la RPP du
comptable représente « un
palliatif de l’irresponsabilité
des ordonnateurs pour les
faits de leur fonction,
seulement tempérée par
l’existence de la Cour de
Discipline Budgétaire et
Financière [en France] ». Voir
Montagnier G., Principes de
comptabilité publique, Ed.
Dalloz, 1981, p.71.
23
Ainsi, un pays de la sous-
région a créé de nouveaux
postes comptables supérieurs
au sein du réseau de la
Direction générale du Trésor
et de la comptabilité
publique (DGTCP), mettant
ainsi en œuvre le grand
chantier de la
déconcentration comptable.
Le DGTCP national a eu la
surprise de constater qu’il
éprouvait les plus grandes
difficultés à faire prêter
serment à ses nouveaux
comptables supérieurs en
raison des procédures
dilatoires mises en œuvre par
la Cour des comptes, qui
n’était sans doute plus
habituée à être sollicitée par
l’Administration dans cette
matière.
International
108 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques
un pied de compte suffisamment important pour
être crédible, des mesures transitoires pourraient
être mises en œuvre. Par exemple, l’État pourrait
abonder le fonds dans un premier temps, et une
phase de « RPP pédagogique » pourrait être
convenue avec la Cour : les débets pourraient
être rendus « à blanc »24
pendant une certaine
période de façon à familiariser les comptables
avec le fonctionnement intégral de la RPP et à
relativiser les résistances à la réforme. Il va de soi
qu’une fois le système installé et reconnu viable,
le système d’assurance pourrait évoluer vers
davantage de volontariat et ouvrir la voie à l’assu-
rance privée.
2. Sécuriser la pratique des
comptables publics : le Conseil
supérieur de la fonction comptable
La gestion des ressources humaines publiques
peut sembler perfectible dans certains pays de la
sous-région25
. Elle peut en effet être dégradée
par la politisation de la fonction publique, la
non-application du principe de carrière, le fait
du prince en matière de nomination, voire la
corruption ou le népotisme lors des concours
d’entrée dans la fonction publique.
Dans ce contexte, comment garantir les préro-
gatives et l’indépendance du comptable public ?
La situation générale de la fonction publique est
parfois dégradée, à tel point qu’il n’est pas
envisageable d’attendre une amélioration du
contexte général, avant de mener une restau-
ration de la fonction de comptable public. En
revanche, un exemple de réforme réussie en
matière de gestion des carrières des comptables
publics pourrait aider à moraliser la pratique dans
le reste de la fonction publique. C’est pourquoi,
en raison du contexte actuel peu favorable et du
rôle exceptionnel du comptable public comme
gardien des deniers publics, une réforme spéci-
fique et volontariste peut être envisagée concer-
nant ce corps de fonctionnaires.
Pour cela, il serait souhaitable d’instituer un
Conseil supérieur de la fonction comptable
(CSFC), chargé de rendre un avis sur les actes de
gestion de la carrière des comptables publics26
. Il
importe en effet d’éviter qu’un comptable trop
vigilant ou trop indépendant ne soit sanctionné
dans sa carrière. Bien entendu, il importe tout
autant de rendre acceptable cette réforme par le
pouvoir exécutif en place, peu habitué à ce type
de contrôle de sa gestion des ressources
humaines administratives. Dans ce but, le Conseil
serait chargé de rendre des avis obligatoires,
c’est-à-dire que l’autorité de nomination est
obligée de demander ces avis, publiés au Journal
officiel pour leur assurer le maximum de publicité,
mais non-conformes, c’est-à-dire que l’autorité
peut aller contre le sens des avis. Les avis concer-
neraient les nominations, mises à la retraite,
mutations et promotions des comptables publics.
Le périmètre des avis pourrait être étendu aux
remises gracieuses prononcées par le ministre en
charge des Finances. Le Conseil serait composé
pour un tiers de représentants des organisations
syndicales des comptables, pour un tiers de
personnalités qualifiées issues des associations
d’usagers et de la société civile, et pour le dernier
tiers, de représentants de l’Administration. Le pré-
sident du CSFC serait obligatoirement choisi
parmi les comptables supérieurs à la retraite.
* *
*
En conclusion, il importe de souligner la situation
actuelle perfectible en matière de mise en œuvre
de la responsabilité personnelle et pécuniaire en
Afrique de l’Ouest. Toutefois, trois raisons princi-
pales favorisent et militent pour une revivification
de la responsabilité personnelle et pécuniaire en
Afrique francophone. Tout d’abord, le cadre juri-
dique existant, comme la pratique quotidienne et
les textes cadres (comme les directives UEMOA
de 2009) ancrent résolument cette partie du
monde dans la tradition financière francophone.
Ensuite, il est urgent, pour asseoir la bonne
gouvernance dans les pays de la sous-région, de
restaurer un régime de responsabilité des acteurs
financiers publics à la fois simple, connu et appli-
qué. Enfin, il importe d’asseoir un contrôle de
régularité véritablement fonctionnel au sein des
Administrations de la sous-région. Cette restau-
ration pourra passer par des innovations comme
la mise en place d’un système socialisé de
cautionnement ou d’assurance, et la garantie du
système par une autorité indépendante, source
d’autonomie et de pérennité (en l’espèce le
Conseil supérieur de la fonction comptable). Si les
comptables publics forment un corps au statut
exceptionnel au sein de notre tradition adminis-
trative commune, ce statut ne saurait se justifier à
l’avenir sans que la responsabilité qui constitue
le pendant de cette exception, ne soit concrè-
tement et pleinement mise en œuvre. ■
24
Sur le modèle des exercices
de certifications « à blanc »
par les Cours des comptes,
destinés à rôder les
mécanismes de certification.
25
L’un des pays de la zone a
ainsi connu huit directeurs
généraux du Budget en cinq
ans.
26
Sur le modèle des conseils
supérieurs de la magistrature,
mis en place notamment pour
rendre plus transparents les
actes de gestion de la carrière
des magistrats.
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  • 1. 103N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques L’auteur s’interroge sur l’état de mise en œuvre du contrôle de régularité dans les pays en développement (PED) et notamment en Afrique de l’Ouest, ainsi que sur les outils susceptibles de permettre une amélioration de la situation actuelle. Parmi les outils possibles, la rénovation de la responsabilité personnelle et pécuniaire selon des procédés adaptés aux spécificités nationales semble une voie prometteuse pour ancrer définitivement ce type de contrôle dans les pratiques administratives des pays de la sous-région. La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics : un instrument de bonne gouvernance pour les pays en développement ? L a responsabilisation des acteurs financiers constitue un élément clé de la bonne gouver- nance publique2 . Elle s’inscrit même pleine- ment dans une logique démocratique3 . À l’heure où les systèmes de contrôle et de responsabili- sation les plus novateurs sont proposés aux PED4 , il faut s’interroger sur l’état d’avancement du contrôle de la régularité des finances publiques dans ces pays. Il est en effet paradoxal d’observer la promotion actuelle des contrôles basés sur la performance, alors que le contrôle de régularité n’est pas encore totalement fiabilisé dans certains 1 FMI, Staff Operational Guidelines on dissemination of TA Information, 2009. 2 Cf. Thébault S., « La responsabilité des gestionnaires : responsabilité managériale et responsabilité juridictionnelle, approche comparée », La bonne gouvernance des finances publiques dans le monde, LGDJ, 2009, p.284 et s. 3 Comme l’affirme par exemple l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française. 4 Voir par exemple la promotion du « Public internal financial control » par l’OCDE dans les pays en transition : Cazala F.-R., « Structures et procédures pour le renforcement de la discipline et de la responsabilité financière », La bonne gouvernance des finances publiques dans le monde, LGDJ, 2009, p.31 et s. International Jean-Philippe VION Ancien conseiller résident en gestion des finances publiques Fonds Monétaire International (FMI) Centre régional d’assistance technique Afritac de l’Ouest En raison de la politique du FMI en matière de diffusion des informations relatives à l’assistance technique1 , l’auteur n’a pu citer nommément les pays dans lesquels les pratiques décrites dans l’article ont été obser- vées. Dans ce cas, l’article mentionne « dans un pays de la région » ou « dans certains pays de la région ». Il s’agit néanmoins toujours de situations réelles rencontrées dans le cadre de son activité professionnelle de conseiller à l’Afritac de l’Ouest, donc couvrant dix pays d’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, lorsque des informations publiques étaient disponibles, elles sont utilisées et leurs sources citées, conformément aux usages académiques. Enfin, les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur, et ne doivent pas être attribuées au FMI, ni à son conseil d’administration, ni à sa direction.
  • 2. 104 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques de ces pays. Certes, il est possible d’avancer que ces deux procédures doivent être mises en œuvre de concert, ainsi que le soulignait l’ancien premier Président de la Cour des comptes française : « Si les principes d’efficience, d’efficacité et de transparence doivent plus que jamais inspirer les gestions publiques, les exigences d’éthique et de régularité ne doivent pas pour autant être considérées comme démodées. Il serait dange- reux de les évacuer, au nom d’une prétendue modernité qui tendrait à disqualifier le respect de la règle de droit au nom de la recherche de la performance »5 . Dans le contexte actuel des PED, ceci implique avant tout qu’il faille poursuivre le travail en ma- tière de contrôle de régularité, car ce contrôle pourrait être escamoté sous couvert d’une mo- dernité mal adaptée. Il semble aujourd’hui néces- saire de rappeler que, dans la sphère publique, le contrôle de régularité prime les autres types de contrôle, en raison de la nature même de l’argent public. Le contrôle de régularité constitue le « premier étage de la fusée », sans lequel les au- tres types de contrôle ne peuvent être mis en œuvre. Or, dans les pays de la sous-région, il ap- paraît que ce type de contrôle est encore large- ment perfectible. Si les divers auteurs s’accordent à louer les nou- velles méthodes de contrôle, tout en rappelant la nécessité de maintenir un contrôle de régularité, les propositions concrètes pour assurer ce dernier dans les PED sont extrêmement peu nombreuses. Les rapports et articles s’en tiennent en général à rappeler qu’il faut renforcer l’existant. Cette pré- conisation trop générale ne suffira pas à faire évo- luer une situation dégradée depuis de nom- breuses années. Seule une connaissance intime de la technique et de la situation de terrain peut permettre d’apporter des solutions adaptées à une problématique si complexe. Il importe donc de produire une analyse fine des causes d’échec des dispositifs existants, basée sur une expé- rience de terrain étendue et de ne rien s’interdire pour renouveler le modèle théorique, afin de tenir compte de la forte spécificité locale. Dans ce contexte, quels seraient les instruments techniques qui permettraient concrètement la mise en œuvre de ce contrôle ? Pour cela, il est tentant d’évaluer la pertinence dans les PED du plus ancien régime de responsabilité de la tradi- tion financière francophone : la responsabilité per- sonnelle et pécuniaire (RPP) des comptables pu- blics. Certes, la RPP fait figure de pilier du temple, parfois considéré comme un peu dépassé et ne semblant pas être un parangon de modernité fi- nancière publique6 . Mais ceci appelle deux re- marques. Tout d’abord, il faut souligner la remar- quable longévité du principe de séparation et de la RPP, souvent dénoncés comme obsolètes, mais jamais abandonnés7 . Ce principe peut donc être jugé robuste, tout simplement parce qu’il est utile, qu’aucun système concurrent ne s’y est ja- mais substitué8 et qu’il est adaptable à la moder- nité administrative9 . Ensuite, il est possible d’avan- cer que la RPP présente encore de grands avan- tages, notamment dans le contexte des PED, comme nous le démontrerons. Pour cela, il convient de revenir sur la théorie de la RPP et sur son application en Afrique de l’Ouest (1), avant d’envisager les voies et moyens d’une refondation de la RPP dans nos pays (2). 5 Seguin P., « Allocution de clôture du colloque « Les Cours des comptes en action » des 25 et 26 juin 2007 », Revue Française de Finances Publiques (RFFP), n°101, mars 2008, p.178. 6 La RPP a pu se voir reprocher plusieurs carences ou anachronismes. Voir pour mémoire sur ce point FONDAFIP, Quel comptable pour les comptes publics au XXIe siècle, juillet 2010, p.6 et s. 7 Cf. direction du Budget, fiche « La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics », site internet de la performance publique, accessible sur http://www.performance- publique.budget.gouv.fr/ le 22/12/2013 : « Les dispositions nouvelles du GBCP n’ayant pas modifié la nature des contrôles opérés par le comptable en matière de dépenses et de recettes, le juge des comptes continuera son office dans les mêmes conditions qu’actuellement. Ainsi la mise en place des services facturiers et du contrôle partenarial n’ont pas d’impact en termes de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le juge des comptes ». Le grand soir de la RPP annoncé avec la réforme de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) n’a donc pas eu lieu. La RPP demeure l’un des piliers du temple financier public en France. 8 La responsabilité managériale, à la faveur des débats en marge de la réforme de la LOLF a un temps fait figure d’alternative possible. Il semble que cette orientation n’ait pas prospéré. Voir sur ce point : Adans B., « L’évolution de la fonction comptable et son impact sur le régime de responsabilité des comptables publics », Finances publiques et responsabilité, l’autre réforme, RFFP, n°92, novembre 2005, p.184. 9 Cf. Brenner J.-L., « La fiabilisation des comptes publics locaux et hospitaliers, un enjeu de plus en plus majeur pour les finances publiques », Gestion et finances publiques, 2012, n°6, p.3 et s., où M. Brenner démontre que la séparation ordonnateurs/ comptables s’insère harmonieusement dans la mise en œuvre des bonnes pratiques internationales du contrôle interne comptable, qui prône la mise en place de séparations fonctionnelles pour lutter contre les irrégularités. 10 Ministère de l’économie, Réponse à une question parlementaire de M. Roland Huguet, JO du Sénat français, 24/9/1994, p.3064. 11 Cf. Direction du Budget, fiche « La responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics », site internet de la performance publique, accessible sur http://www.performance- publique.budget.gouv.fr/ le 22/12/2013 : « Ce principe de responsabilité personnelle et pécuniaire fait du comptable public le seul fonctionnaire responsable sur ses propres deniers des erreurs commises dans l’exercice de sa mission, par lui-même ou l’équipe qui lui est confiée : déficit de caisse, non recouvrement de recettes, paiement non libératoire des dépenses notamment ». International A. Théorie de la responsabilité personnelle et pécuniaire La RPP est un régime de responsabilité, applica- ble à une certaine catégorie de fonctionnaires (les comptables publics), second grand principe des finances publiques francophones derrière la sé- paration ordonnateurs/comptables, dont elle est le corollaire10 . Le comptable public est ainsi le seul fonctionnaire dans la tradition juridique franco- phone qui soit responsable de ses erreurs sur ses propres deniers. À ce titre, il est possible de parler d’ « exceptionnalisme » du comptable public11 , ce dernier occupe en effet une place éminente parmi Qu’est ce que la responsabilité personnelle et pécuniaire et comment est-elle mise en œuvre en Afrique de l’Ouest ? 1
  • 3. 105N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques les autres corps de fonctionnaires, car il est consi- déré comme le gardien des deniers publics. La RPP est le plus souvent mise en jeu lorsque le juge financier juge les comptes – et non les comp- tables – de manière objective12 pour mettre en œuvre la sanction des erreurs commises par un « débet ». Le débet est un jugement ou une décision qui met en jeu la responsabilité d’un comptable. Il peut être prononcé par deux auto- rités : l’une juridictionnelle, le juge financier et l’autre administrative, le ministre en charge des Finances ou le ministre supérieur hiérarchique du comptable13 . Les irrégularités donnant lieu à l’engagement de la RPP sont, en recettes, l’absence de diligences du comptable en matière de recouvrement ayant débouché sur la prescription d’une créance, l’ab- sence de contrôle des réductions ou annulations de recettes, et en dépenses, l’absence de mise en œuvre des contrôles mis à la charge du compta- ble par le RGCP14 . Le comptable public contrôle donc la régularité de la dépense ou de la recette publique, et non son opportunité. Cette responsabilité est illimitée dans son mon- tant et s’étend aux actes des agents placés sous la responsabilité du comptable (agents du poste comptable, régisseurs) sous certaines condi- tions15 . Le comptable doit, avant d’entrer en fonction, constituer des garanties, pour pouvoir répondre de son éventuelle responsabilité, sous la forme d’un cautionnement (bancaire ou par affiliation à une association de cautionnement mutuel16 ) et d’une hypothèque sur ses biens immeubles. Il a en outre la faculté de souscrire une assurance. Le cautionnement, obligatoire, protège la collectivité publique, tandis que l’assurance, facultative, pro- tège le comptable lui-même17 . Il existe par ailleurs deux dispositifs d’atténuation de la responsabilité du comptable, la décharge de responsabilité et la remise gracieuse. La dé- charge en responsabilité vise à reconnaître que l’engagement de la responsabilité découle d’un événement extérieur, imprévisible et irrésistible (par ex. une catastrophe naturelle qui endomma- gerait le bâtiment abritant le poste comptable et empêcherait de ce fait la reddition des comptes). La remise gracieuse correspond à l’appréciation subjective de la situation du comptable (par ex. sous-effectif chronique empêchant une exécution correcte des tâches). C’est le ministre qui pro- nonce ces deux types de décisions, qui peuvent effacer tout ou partie du débet mis à la charge du comptable18 . B. Pratique de la responsabilité personnelle et pécuniaire en Afrique de l’Ouest La pratique de la RPP des comptables publics en Afrique de l’Ouest apparaît dégradée. En effet, si les États disposent d’une législation et d’une rè- glementation conformes à la tradition financière francophone19 , il importe de noter que l’applica- tion des règles est perfectible. S’agissant du cadre de mise en œuvre de la RPP, il souffre de nombreuses carences. En effet, les obligations pesant sur les comptables sont rarement respectées : peu ou pas de prestation de serment, des cautionnements rarement consti- tués et absence de souscriptions d’assurances personnelles, parce qu’aucune compagnie d’as- surance locale n’accepterait de garantir ce type de risque. Par ailleurs, la pratique de la RPP est elle aussi dé- ficiente. La reddition des comptes est perfectible : les comptes sont en général rendus avec retard, voire pas du tout. Et l’absence de reddition n’en- traîne que très rarement, contrairement à la régle- mentation, une condamnation à une peine d’amende. Ensuite, le contrôle juridictionnel devrait être ren- forcé. Les Cours des comptes nationales rendent en général peu de jugements. Les procédures de contrôle sont parfois hétérodoxes, plutôt axées sur un contrôle de la qualité de la gestion que sur la régularité des opérations au sens strict20 . Enfin et de fait, le prononcé de sanctions peut se révé- ler rare. Enfin, l’Administration ne recourt que très rarement à la mise en jeu de la responsabilité des comptables incriminés. Même la mise en évidence de fraudes donne rarement lieu à la mise en jeu de la RPP du comptable concerné. Si, par exception, les comptes relatifs aux débets sont mouvementés, il y a de fortes chances que ceux-ci ne soient jamais régularisés et finissent par être apurés sans versement par le comptable, après des années d’inaction administrative. Plus grave encore, la menace de mise en débet, qui devrait être un puissant garde-fou et une stimulation pour les comptables, est en général considérée avec légèreté par les comptables du fait de la faiblesse du contrôle exercé par les Cours des comptes. 12 La responsabilité objective (fondée sur la causalité prouvée) s’oppose à la responsabilité subjective (fondée sur la faute prouvée). 13 Akhoune F., Le statut du comptable en droit public financier, LGDJ, 2008, p.350 et s. 14 En France, les contrôles incombant au comptable public figurent désormais aux articles 19 et 20 du décret sur la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP) (décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012). 15 Cour des comptes, Rapport public annuel 2012, février 2012, p.24 et s. 16 Comme l’Association Française de Cautionnement Mutuel (AFCM) en France. Association fondée en 1908, elle a pour objet de garantir au moyen d’un acte collectif de cautionnement les obligations contractées vis-à-vis du Trésor public par les comptables et autres agents publics astreints dans leurs fonctions à la constitution d’un cautionnement (par ex. régisseurs d’avances et de recettes). L’adhésion à l’AFCM permet de disposer d’un cautionnement sans devoir constituer un cautionnement réel. 17 Ibid. 18 La loi n°2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a encadré, en France, le pouvoir de remise du ministre, mais ces évolutions n’apparaissent pas souhaitables dans la sous-région, et n’entrent pas de ce fait dans le champ de notre étude. 19 Cette réglementation se trouve pour l’essentiel dans les dispositions des Règlements généraux de la comptabilité publique (RGCP) de chaque pays, qui sont assez semblables les uns aux autres. Le mouvement d’harmonisation régionale, par le biais de la directive UEMOA n°07/2009/CM/UEMOA portant RGCP au sein de l’UEMOA du 26 juin 2009 prolonge cette dynamique. 20 Les deux modalités de contrôle (contrôle juridictionnel et contrôle de gestion) coexistent au sein du système francophone, sans que l’exercice du second ne doive hypothéquer la mise en œuvre du premier. Le contrôle juridictionnel consiste à juger les comptes des comptables publics, tandis que le contrôle de gestion s’assure à la fois du respect des règles de la comptabilité publique et de la qualité de la gestion des ordonnateurs. Voir Bouvier M., Esclassan M.-C., Lassale J.-P., Finances publiques, LGDJ, 10éme édition, 2010, p.545 et s. International
  • 4. 106 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques A. Certes, de nombreux arguments semblent s’opposer à la mise en œuvre pleine et entière de la responsabilité personnelle et pécuniaire De nombreux arguments contraires semblent aujourd’hui militer pour une impossibilité de mettre en œuvre une RPP efficace dans nos pays. Les arguments suivants peuvent être cités. La faiblesse des Cours des comptes : Les Cours nationales apparaissent en effet trop faibles à la fois en termes de rendement et de capacité à imposer leurs décisions. En tant qu’institution de contrôle d’essence démocra- tique, elles ont bénéficié de nombreux appuis de la part des partenaires techniques et financiers (PTF) depuis le milieu des années 1980. Mais il semble que le contrôle par les Cours des comptes peine à s’enraciner dans les réalités adminis- tratives nationales21 . Aussi, la revitalisation de la RPP ne pourra se faire sans le soutien de Cours efficientes, soutenues et respectées. L’impossibilité de recourir à une assurance privée : Comme nous l’avons vu précédemment, le système de RPP n’est possible en pratique que si des assurances viennent atténuer le risque qui pèse sur le patrimoine du comptable public. Bien évidemment, si les sanctions prévues étaient appliquées dans leurs dernières conséquences et sans dispositif assuranciel, certains comptables se retrouveraient saisis de tout ou partie de leur patrimoine, ce qui déboucherait nécessairement sur un blocage du système. Des dispositifs d’atté- nuation sont donc nécessaires, et notamment un dispositif assuranciel. Il est bien clair à ce stade qu’aucune compagnie d’assurance privée locale n’accepterait d’endosser un tel risque, à la fois mal évalué et très élevé. Pourtant, il est impossible d’envisager de redéployer une RPP sans assurance descomptables.Unesolutionoriginaleestproposée ci-après. L’inertie des administrations sur ces questions : Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, l’Administration nationale ne fait pas jouer à la RPP tout le rôle que lui reconnaissent les textes officiels. B. Mais il existe par ailleurs de puissants arguments en faveur d’une revitalisation de la RPP… Mais il importe aussi de considérer les arguments en faveur d’un retour de la RPP au premier plan comme outil de responsabilisation des acteurs financiers publics dans les PED. Il est ainsi possi- ble de citer les arguments suivants. Une responsabilité simple et objective : Dans des systèmes administratifs fragiles, où les considérations politiques ou de personnes viennent souvent empiéter sur l’action adminis- trative, la RPP présente l’avantage d’être un régime de responsabilité objective. L’automaticité de la mise en débet peut ainsi présenter un avantage pour les juridictions financières, dont la crédibilité pourrait sortir grandie de l’utilisation d’un instrument incontestable et équitable. De même, contrairement à des dispositifs plus récents axés sur le contrôle de la performance, la RPP apparaît comme un dispositif simple et robuste, peu consommateur en ressources. En effet, la mise en œuvre de la RPP ne met pas en branle un grand nombre d’acteurs, mais seule- ment le comptable et son juge (ou son ministre de tutelle et son juge). De même, le phasage de la procédure et les échanges d’informations sont assez simples : le comptable produit un compte de gestion, qu’il adresse ensuite sous forme papier (et parfois déjà dématérialisée dans certains pays) à la Cour dans un certain délai fixé par la réglementation et la Cour juge le compte, en général au moyen d’un arrêt provisoire, puis d’un arrêt définitif, après réception des éven- tuelles réponses du comptable. La dilution des responsabilités est donc limitée, dans la mesure où le comptable est seul responsable de toute irrégularité. Un régime qui s’accommode du poids de l’exécutif : Même si la théorie officielle fait souvent l’écono- mie de cette explication, il importe de reconnaître le grand pragmatisme de la tradition financière francophone. En effet, l’une des justifications de la RPP réside dans la reconnaissance implicite de la difficulté à mettre en œuvre une responsabilité financière des élus. C’est pourquoi la séparation 21 Dans l’un de nos pays, la Cour des comptes n’a, selon les informations recueillies, jamais rendu d’arrêt sur les comptes d’un comptable de collectivités locales et le dernier arrêt provisoire sur les comptes du comptable principal unique de l’État remonte à plus de dix ans. Cette situation n’est pas unique. De même, les concepts sont appliqués avec latitude. Ainsi, dans ce même pays, la Cour pratique surtout une forme de contrôle de gestion, mais sans prononcer de sanction. International L’intérêt pour la bonne gouvernance de renforcer la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics dans les pays en développement 2
  • 5. 107N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques des fonctions d’ordonnateur et de comptable a été édictée, de façon à responsabiliser l’acteur le plus facile à incriminer, qui sait qu’il encourra pleinement la sanction en cas de manquement : le comptable public22 . L’existence d’instruments d’atténuation de la responsabilité qui concilient affirmation de la responsabilité et limitation des conséquences pécuniaires pour les agents : Le système de RPP apparaît très rigoureux à l’œil non averti. En réalité, comme nous l’avons vu, il existe des mécanismes d’atténuation de la responsabilité, qui maintiennent le degré de responsabilisation tout en rendant le système supportable pour les justiciables. Dans des pays où la culture du contrôle est en voie d’enracine- ment, c’est un fait très important de pouvoir mettre en place un contrôle qui concilie le rappel de la règle (le contrôle « objectif »), tandis que les conséquences sur le patrimoine des agents doivent être limitées, du moins dans un premier temps (par la combinaison de la remise gracieuse et de l’assurance). Il pourrait ainsi être envisagé de débuter la remise en œuvre de la RPP par une phase pédagogique où le régime de responsabilité serait fortement atténué, voire sans conséquence. La sacralisation de l’argent public : La RPP ne doit pas être seulement considérée d’un point de vue technique. Elle recouvre aussi une dimension symbolique forte. Les obligations faites au comptable peuvent paraître désuètes ou hypertrophiées (prestation de serment, déclara- tion de patrimoine, cautionnement etc…). En réalité, elles servent aussi à créer un univers sym- bolique : le comptable fait partie d’un groupe à part, garant de la probité du système financier public, et il sait que les sanctions qu’il encourt sont proportionnées à la place exceptionnelle qu’il occupe dans le dispositif. La réactivation de la RPP dans les PED peut ainsi participer à une entreprise positive et très souhaitable : la « dé-ba- nalisation », l’ « exceptionnalisation » de l’argent public. Dans des contextes nationaux fragiles où la distinction entre argent public et argent privé doit parfois être consolidée ou restaurée, les procédures spécifiques à la RPP peuvent amener une prise de conscience de la part des acteurs du caractère extraordinaire, au sens premier du terme, de l’argent public. C. … à condition de mettre en place un dispositif adapté Si les arguments précités emportent la décision de revitaliser la RPP, il est important de rester lucide sur la situation de départ : le système doit être repensé et rebâti, car le fonctionnement de ses différents compartiments doit être amélioré. 1. Rétablir l’État de droit en matière de RPP (le cautionnement, l’assurance, la prestation de serment) et rendre le système viable dans un contexte de PED Concernant le retour de l’État de droit en matière de RPP, le formalisme juridique doit être restauré. Tout d’abord, pour permettre de mener à bien les procédures de mise en jeu de la responsabilité des comptables (en permettant de faire jouer le cautionnement et l’assurance), mais aussi en raison de la forte charge symbolique qu’il véhi- cule, de façon à responsabiliser les acteurs et à rendre effective ou incontestable toute sanction future. Il importe donc de faire prêter serment devant la Cour, de vérifier la constitution des caution- nements et d’encourager la souscription d’une assurance préalablement à toute prise de fonc- tions. Tous les acteurs de la procédure doivent être convaincus de son bien fondé23 . Il faut ensuite rendre le système des garanties financières viable dans un contexte de PED. Comme nous l’avons déjà souligné, aucune compagnie d’assurance n’accepterait de garantir le risque lié à la RPP, considéré comme élevé, nouveau et non maîtrisable sans doute aux yeux d’un assureur privé. Concernant le cautionnement, une association de cautionnement mutuel semble la solution la plus indiquée. En échange d’une cotisation annuelle modique, payée avant le début de l’exercice concerné, proportionnelle aux fonds maniés par le poste comptable, le comptable est en règle de son obligation. Cela évite une mise de fonds importante liée à un cautionnement réel (c’est-à- dire par dépôt de la somme en question sous forme d’une consignation) et permet une certaine surveillance mutuelle des comptables les uns par les autres : en effet, la mise en jeu du caution- nement d’un comptable deviendrait un événe- ment néfaste pour l’ensemble du corps et plus seulement pour le comptable mis en cause. En matière d’assurance, l’action publique et collective est encore plus nécessaire qu’en matière de cautionnement dans un contexte de PED. Dans ce cas, une caisse collective pourrait être mise en place. Un compte de dépôt de fonds au Trésor pourrait recueillir les fonds collectés. La cotisation serait précomptée, de manière obliga- toire, dans un premier temps, sur les indemnités de caisse des comptables. Le temps de constituer 22 Un auteur a ainsi fait remarquer que la RPP du comptable représente « un palliatif de l’irresponsabilité des ordonnateurs pour les faits de leur fonction, seulement tempérée par l’existence de la Cour de Discipline Budgétaire et Financière [en France] ». Voir Montagnier G., Principes de comptabilité publique, Ed. Dalloz, 1981, p.71. 23 Ainsi, un pays de la sous- région a créé de nouveaux postes comptables supérieurs au sein du réseau de la Direction générale du Trésor et de la comptabilité publique (DGTCP), mettant ainsi en œuvre le grand chantier de la déconcentration comptable. Le DGTCP national a eu la surprise de constater qu’il éprouvait les plus grandes difficultés à faire prêter serment à ses nouveaux comptables supérieurs en raison des procédures dilatoires mises en œuvre par la Cour des comptes, qui n’était sans doute plus habituée à être sollicitée par l’Administration dans cette matière. International
  • 6. 108 N° 9/10 Septembre-Octobre 2015 / Gestion & Finances Publiques un pied de compte suffisamment important pour être crédible, des mesures transitoires pourraient être mises en œuvre. Par exemple, l’État pourrait abonder le fonds dans un premier temps, et une phase de « RPP pédagogique » pourrait être convenue avec la Cour : les débets pourraient être rendus « à blanc »24 pendant une certaine période de façon à familiariser les comptables avec le fonctionnement intégral de la RPP et à relativiser les résistances à la réforme. Il va de soi qu’une fois le système installé et reconnu viable, le système d’assurance pourrait évoluer vers davantage de volontariat et ouvrir la voie à l’assu- rance privée. 2. Sécuriser la pratique des comptables publics : le Conseil supérieur de la fonction comptable La gestion des ressources humaines publiques peut sembler perfectible dans certains pays de la sous-région25 . Elle peut en effet être dégradée par la politisation de la fonction publique, la non-application du principe de carrière, le fait du prince en matière de nomination, voire la corruption ou le népotisme lors des concours d’entrée dans la fonction publique. Dans ce contexte, comment garantir les préro- gatives et l’indépendance du comptable public ? La situation générale de la fonction publique est parfois dégradée, à tel point qu’il n’est pas envisageable d’attendre une amélioration du contexte général, avant de mener une restau- ration de la fonction de comptable public. En revanche, un exemple de réforme réussie en matière de gestion des carrières des comptables publics pourrait aider à moraliser la pratique dans le reste de la fonction publique. C’est pourquoi, en raison du contexte actuel peu favorable et du rôle exceptionnel du comptable public comme gardien des deniers publics, une réforme spéci- fique et volontariste peut être envisagée concer- nant ce corps de fonctionnaires. Pour cela, il serait souhaitable d’instituer un Conseil supérieur de la fonction comptable (CSFC), chargé de rendre un avis sur les actes de gestion de la carrière des comptables publics26 . Il importe en effet d’éviter qu’un comptable trop vigilant ou trop indépendant ne soit sanctionné dans sa carrière. Bien entendu, il importe tout autant de rendre acceptable cette réforme par le pouvoir exécutif en place, peu habitué à ce type de contrôle de sa gestion des ressources humaines administratives. Dans ce but, le Conseil serait chargé de rendre des avis obligatoires, c’est-à-dire que l’autorité de nomination est obligée de demander ces avis, publiés au Journal officiel pour leur assurer le maximum de publicité, mais non-conformes, c’est-à-dire que l’autorité peut aller contre le sens des avis. Les avis concer- neraient les nominations, mises à la retraite, mutations et promotions des comptables publics. Le périmètre des avis pourrait être étendu aux remises gracieuses prononcées par le ministre en charge des Finances. Le Conseil serait composé pour un tiers de représentants des organisations syndicales des comptables, pour un tiers de personnalités qualifiées issues des associations d’usagers et de la société civile, et pour le dernier tiers, de représentants de l’Administration. Le pré- sident du CSFC serait obligatoirement choisi parmi les comptables supérieurs à la retraite. * * * En conclusion, il importe de souligner la situation actuelle perfectible en matière de mise en œuvre de la responsabilité personnelle et pécuniaire en Afrique de l’Ouest. Toutefois, trois raisons princi- pales favorisent et militent pour une revivification de la responsabilité personnelle et pécuniaire en Afrique francophone. Tout d’abord, le cadre juri- dique existant, comme la pratique quotidienne et les textes cadres (comme les directives UEMOA de 2009) ancrent résolument cette partie du monde dans la tradition financière francophone. Ensuite, il est urgent, pour asseoir la bonne gouvernance dans les pays de la sous-région, de restaurer un régime de responsabilité des acteurs financiers publics à la fois simple, connu et appli- qué. Enfin, il importe d’asseoir un contrôle de régularité véritablement fonctionnel au sein des Administrations de la sous-région. Cette restau- ration pourra passer par des innovations comme la mise en place d’un système socialisé de cautionnement ou d’assurance, et la garantie du système par une autorité indépendante, source d’autonomie et de pérennité (en l’espèce le Conseil supérieur de la fonction comptable). Si les comptables publics forment un corps au statut exceptionnel au sein de notre tradition adminis- trative commune, ce statut ne saurait se justifier à l’avenir sans que la responsabilité qui constitue le pendant de cette exception, ne soit concrè- tement et pleinement mise en œuvre. ■ 24 Sur le modèle des exercices de certifications « à blanc » par les Cours des comptes, destinés à rôder les mécanismes de certification. 25 L’un des pays de la zone a ainsi connu huit directeurs généraux du Budget en cinq ans. 26 Sur le modèle des conseils supérieurs de la magistrature, mis en place notamment pour rendre plus transparents les actes de gestion de la carrière des magistrats. International