Adoptant comme référence la Conférence de Madrid organisée par l'Office International des Musées en 1934, ainsi que sur le manuel Muséographie – architecture et aménagement des musées d'art qui en découle – dont il s'agira de démontrer en quoi ils constituent des jalons –, cette étude s'intéresse plus largement à l'évolution de la muséographie au XXe siècle.
De l'analyse critique de Louis Réau sur l'organisation des musées aux leçons de Georges Henri Rivière, en passant par le discours d'Henri Focillon, l'œuvre de l'Office International des Musées, l'Exposition internationale de 1937 et les cours de Germain Bazin à l'École du Louvre (entre autres), ce mémoire s'attache donc, à défaut d'en retracer l'histoire, à présenter la muséographie à travers quelques moments clés.
Et si l'architecture muséale et les techniques de mise en valeur des collections constituent le principal du développement, l'aspect éminemment social et pédagogique du musée en demeure le corolaire permanent.
Mémoire master II - La Conférence de Madrid (1934) : origines et fortune de la muséographie moderne
1.
ÉCOLE
DU
LOUVRE
Jean-‐Baptiste
JAMIN
La
Conférence
de
Madrid
(1934)
:
origines
et
fortune
de
la
muséographie
moderne
Mémoire
de
recherche
en
muséologie
Deuxième
année
de
Second
Cycle
Présenté
sous
la
direction
de
Monsieur
François
MAIRESSE
Professeur
à
l'Université
Paris
III
Sorbonne
Nouvelle
Septembre
2014
2. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
La
Conférence
de
Madrid
(1934)
:
origines
et
fortune
de
la
muséographie
moderne
3. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
RÉSUMÉ
Adoptant
comme
référence
la
Conférence
de
Madrid
organisée
par
l'Office
International
des
Musées
en
1934,
ainsi
que
sur
le
manuel
Muséographie
–
architecture
et
aménagement
des
musées
d'art
qui
en
découle
–
dont
il
s'agira
de
démontrer
en
quoi
ils
constituent
des
jalons
–,
cette
étude
s'intéresse
plus
largement
à
l'évolution
de
la
muséographie
au
XXe
siècle.
De
l'analyse
critique
de
Louis
Réau
sur
l'organisation
des
musées
aux
leçons
de
Georges
Henri
Rivière,
en
passant
par
le
discours
d'Henri
Focillon,
l'œuvre
de
l'Office
International
des
Musées,
l'Exposition
internationale
de
1937
et
les
cours
de
Germain
Bazin
à
l'École
du
Louvre
(entre
autres),
ce
mémoire
s'attache
donc,
à
défaut
d'en
retracer
l'histoire,
à
présenter
la
muséographie
à
travers
quelques
moments
clés.
Et
si
l'architecture
muséale
et
les
techniques
de
mise
en
valeur
des
collections
constituent
le
principal
du
développement,
l'aspect
éminemment
social
et
pédagogique
du
musée
en
demeure
le
corolaire
permanent.
Mots-‐clés
:
Muséographie
–
Architecture
muséale
–
Office
International
des
Musées
–
Conférence
de
Madrid
–
Mouseion
–
Réau
–
Focillon
–
Hautecœur
–
Foundoukidis
–
plan
Verne
–
Exposition
internationale
1937
–
Musées
d'art
Moderne
–
École
du
Louvre
–
Bazin
–
Georges
Henri
Rivière
4. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
AVANT-PROPOS
Pompidou-Metz,
Louvre
Lens,
Mucem,
Louvre
Abu
Dhabi,
…
Ban
et
de
Gastines,
Sanaa,
Ricciotti,
Nouvel,
…
Ces
noms,
désormais
familiers
du
plus
grand
nombre,
sont
issus
des
abondantes
listes
de
musées
récemment
construits
et
des
«
starchitectes
»
à
qui
nous
les
devons.
S'ils
font
suite
à
ceux
par
exemple
de
la
Neue
Gallerie
de
Mies
van
der
Rohe,
du
Centre
Pompidou
de
Piano
et
Rogers
ou
du
Guggenheim
Bilbao
de
Gehry,
ces
projets
architecturaux
de
plus
en
plus
nombreux
et
ambitieux
ne
cessent
de
faire
l'actualité,
au
point
que
certaines
revues
généralistes
leurs
consacrent
des
numéros
spéciaux1,
qui
viennent
s'ajouter
à
une
littérature
toujours
plus
abondante2.
Ce
sujet
de
l'architecture
muséale
m'intéresse.
Cet
intérêt
m'a
conduit
tout
d'abord
à
consacrer
mon
mémoire
d'étude
au
site-‐musée
gallo-‐romain
de
Vesunna,
édifié
à
Périgueux
par
Jean
Nouvel
;
la
curiosité
m'a
également
poussé
à
réaliser
un
stage
au
sein
du
Pôle
Muséographie
du
Service
des
musées
de
France,
au
cours
duquel
j'ai
pu
côtoyer
les
architectes-‐conseils
désignés
par
le
Ministère
de
la
Culture
et
de
la
Communication
pour
superviser
les
projets
en
cours
de
réalisation.
Cependant,
afin
de
mieux
comprendre
cette
tendance
qui
désormais
s'apparente
quasiment
à
un
phénomène
de
société
–
de
nos
jours,
quel
élu
ne
rêve
pas
de
(se)
faire
construire
un
musée
par
une
de
ces
stars
de
l'architecture
?3
–
j'ai
également
souhaité
mettre
à
profit
mon
année
de
master
II
pour
tenter
de
mettre
en
évidence
les
origines
de
cette
«
fièvre
muséale
»,
mais
aussi
de
comprendre
les
principes
directeurs
relatifs
à
l'architecture
et
l'aménagement
des
musées.
1
Voir
notamment
«
La
folie
des
nouveaux
musées
»,
Beaux-Arts
Magazine
n°344,
01
février
2013
ou
«
Les
nouveaux
musées
de
France
»,
Géo
Voyage
n°18,
mars
–
avril
2014.
2
Outre
le
rétrospectif
ouvrage
rédigé
sous
la
direction
de
ARIS
D.,
HENRY
E.,
PITARD
A.,
Architecture
de
la
Culture
–
Culture
de
l'architecture
(1959-2009),
Paris
Éditions
du
Patrimoine
–
Centre
des
monuments
nationaux,
2009,
351
p.,
et
sans
compter
les
multiples
monographies
consacrées
à
certains
architectes
ou
certaines
de
leurs
réalisations,
citons
ainsi
parmi
les
plus
récents
:
les
deux
volumes
publiés
par
Actes
Sud,
BASSO
PERESSUT
Luca,
Musées
:
architectures
1990-2000,
Arles
1999,
278
p.
et
SUMA
Stefania,
Musées
2
:
architectures
2000-2007,
Arles
2007,
278
p.
;
l'imposant
ouvrage
de
UFFELEN
C.
van,
Museums
:
Architektur
–
Musées
:
architectures
–
Museos
:
Arquitectura,
Postdam,
H.
F.
Ullmann,
2010,
511
p.
;
et
le
très
bon
guide
de
DESMOULINS
C.,
25
musées,
Paris
AMC
2005,
160
p.
3
GUILLEMINOT
Adrien,
«
Mais
pourquoi
tant
de
nouveaux
musées
?
»,
Géo
Voyage
n°18,
mars
–
avril
2014,
pp.
19-‐21.
5. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
Ayant
découvert
quasi
fortuitement
–
à
travers
la
récente
réédition
par
la
Réunion
des
Musées
Nationaux,
à
l'initiative
d'André
Desvallées
–
le
cours
donné
à
l'époque
par
Louis
Hautecœur4,
j'avais
été
marqué
par
la
modernité
du
point
de
vue
alors
développé
dans
ce
qui
s'apparente
à
un
véritable
manifeste
pour
ce
sujet.
De
fait,
cette
lecture
attisa
mon
intérêt
pour
la
thématique
et
m'incita
à
approfondir
mes
recherches
et
à
m'intéresser
à
l'importante
publication
à
laquelle
il
se
rattache
:
le
manuel
Muséographie
paru
à
la
suite
de
la
Conférence
de
Madrid
de
1934.
REMERCIEMENTS
Bien
évidemment,
pour
être
confirmé,
le
choix
d'un
tel
sujet
nécessitait
d'obtenir
l'accord
de
personnes
habilitées
à
superviser
ces
recherches.
Je
tiens
donc
à
remercier
Monsieur
François
Mairesse,
Professeur
à
l'Université
Sorbonne
Nouvelle
Paris
3,
ainsi
que
Madame
Cecilia
Hurley-‐Griener,
Docteur
en
histoire
de
l'art
(Oxford/
Neuchâtel),
Chercheuse
rattachée
aux
collections
spéciales,
Responsable
du
pôle
patrimonial
de
l'Université
de
Neuchâtel,
qui
ont
tous
deux
accepté
de
suivre
mon
travail.
Toute
ma
gratitude
va
ensuite
à
Madame
Marie
Caillot,
Archiviste
Paléographe,
pour
avoir
bien
voulu
me
communiquer
à
plusieurs
reprises
d'utiles
renseignements,
en
espérant
que
ce
travail
l'intéressera.
De
même,
outre
à
Madame
Anne-‐Sophie
Godot,
chargée
de
cours
à
l'École
du
Louvre,
qui
m'a
très
généreusement
accordé
plusieurs
entretiens,
j'aimerais
exprimer
toute
ma
reconnaissance
aux
personnels
des
services
d'archives
qui
m'ont
assisté
avec
bienveillance
lors
de
mes
recherches
:
Madame
Marie-‐France
Cardonna
et
l'ensemble
des
agents
du
Service
de
documentation
du
Service
des
musées
de
France,
ainsi
que
les
responsables
des
Archives
des
Musées
Nationaux
pour
leur
très
grande
disponibilité
;
Monsieur
Jean-‐André
Assie,
Chargé
des
archives
administratives
du
Musée
du
Quai
Branly,
et
Monsieur
Alexandre
Coutelle,
du
centre
d'archives
de
l'UNESCO
qui
auront
facilité
mon
travail
en
m'aidant
dans
mes
recherches.
4
HAUTECŒUR
Louis,
Architecture
et
aménagement
des
musées.
Paris,
Réunion
des
Musées
Nationaux,
1993,
76
p.
6. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
Par
ailleurs,
je
ne
saurais
oublier
de
remercier
mes
camarades
de
promotion,
et
tout
particulièrement
Julie
Paulais
et
Marie
Camus,
avec
qui
j'ai
pu
échanger
tout
au
long
de
l'année
sur
nos
sujets
de
recherches
respectifs
.
Enfin,
le
rendu
ce
travail
n'aurait
pu
être
possible
sans
l'aide
de
différentes
personnes,
parmi
lesquelles
je
souhaite
remercier
tout
particulièrement
Marie
Adamski,
pour
son
soutien
tant
amical
qu'intellectuel,
ainsi
que
mes
amies
Sophie,
Zoé,
Olivia
et
mes
parents
pour
leurs
relectures
et
leur
soutien.
7. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
TABLE
DES
MATIERES
RÉSUMÉ
AVANT-PROPOS
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
............................................................................................................................................... 1
DEFINITION
-‐
AVERTISSEMENTS
.............................................................................................................. 2
I
–
LE
CONTEXTE
:
LA
MUSÉOGRAPHIE
AVANT
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID ...........12
1. Les
institutions
muséales
à
l'aube
du
XXe
siècle
.........................................................13
a. Crise
des
musées
et
professionnalisation
de
la
fonction
de
conservateur.......................................................................................................................13
b. Le
développement
du
rôle
social
et
pédagogique
des
musées ..............18
c. À
la
recherche
du
«
Musée
idéal
»
moderne
:
architecture
muséale
et
mise
en
valeur
des
œuvres,
premières
réflexions
.......................................27
2. L'Office
International
des
Musées
et
sa
revue
Mouseion.........................................40
a. La
création
de
l'institution..........................................................................................40
b. Mouseion
et
les
Informations
Mensuelles
:
la
diffusion
de
la
muséographie
par
les
revues....................................................................................44
c. L'Office
International
des
Musées,
organisateur
de
manifestations
49
3. Préparation
de
la
Conférence
de
Madrid..........................................................................53
a. Objectif ...................................................................................................................................53
b. Organisation
générale
–
modalités........................................................................55
c. Élaboration
du
discours
scientifique
...................................................................61
II
–
LA
CONFERENCE
DE
MADRID
ET
LE
MANUEL
MUSEOGRAPHIE
:
PRECEPTES......66
1) Principes
généraux
concernant
le
programme
architectural
du
musée
......69
8. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
a. Conception
globale
du
musée
–
question
de
l'adaptation
des
monuments
anciens
–
programme
........................................................................70
b. Implications
architecturales......................................................................................77
c. Aménagements
intérieurs...........................................................................................80
2) Gestion
des
collections ................................................................................................................87
a. Les
problèmes
soulevés
par
l'accroissement
des
collections
...............87
b. Organisation
des
dépôts,
réserves
et
collections
d'études
.....................94
c. Les
expositions
temporaires
....................................................................................97
3) Mise
en
valeur
des
œuvres
..................................................................................................100
a. l'éclairage...........................................................................................................................100
b. Principes
généraux
de
la
mise
en
valeur
des
œuvres
d'art
.................103
III
–
FORTUNE
ET
POSTERITE
:
LA
MUSEOGRAPHIE
APRES
1934 ..................................109
1) Les
réalisations
:
aménagements
et
constructions
................................................110
a. Les
nouvelles
installations
du
Louvre...............................................................111
b. Les
nouveaux
Musées
d'art
moderne
à
Paris
...............................................114
2) L'Exposition
internationale
de
1937
comme
lieu
de
diffusion
de
la
muséographie
...............................................................................................................................124
a. La
participation
de
l'Office
International
des
Musées.............................125
b. L'exposition
de
la
Muséographie
........................................................................127
3) Muséographie
:
leçons,
applications
professionnelles
et
réflexions
............132
a. L'enseignement
à
l'École
du
Louvre
..................................................................132
b. Le
personnel
....................................................................................................................137
c. L'architecture
muséale
–
perspectives
............................................................139
CONCLUSION..................................................................................................................................................141
BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................................143
9. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
1
INTRODUCTION
«
C'est
en
1926
que
l'Institut
International
de
Coopération
Intellectuelle
entreprenait
la
publication
de
la
revue
«
Mouseion
»
:
elle
répondait
si
bien
à
une
mise
au
point
nécessaire
qu'en
1934
le
Congrès
de
Madrid
réunissait
les
principaux
conservateurs
du
monde,
venus
de
partout
pour
proposer
des
solutions
et
les
discuter.
C'est
donc
à
cette
date
de
1926
que
l'on
peut
faire
remonter
la
naissance
officielle
de
la
Muséographie
en
tant
que
science,
avec
ses
règles
et
ses
lois.
[…]
Il
s'agissait
de
montrer
au
public
que
les
musées
ne
sont
pas
de
simples
dépôts
où
sont
exposées
les
œuvres
d'art
avec
plus
ou
moins
de
goût,
mais
que,
pour
que
ce
public
y
soit
attiré,
éduqué
et
retenu,
il
faut
trouver
les
moyens
propres
à
fixer
son
attention
et
conserver
et
présenter
les
œuvres
d'art
suivant
certaines
règles.
Ce
sont
là
les
buts
que
poursuit
la
muséographie
».
Si,
parmi
d'autres
citations,
le
discours
inaugural
du
Comité
de
Rédaction
de
la
Conférence
de
Madrid
aurait
légitimement
trouvé
sa
place
en
ouverture
de
ce
mémoire,
ces
mots,
issus
de
la
préface
signée
par
Albert
S.
Henraux
–
Président
de
la
Société
des
Amis
du
Louvre
–
dans
le
numéro
VI
de
l'Amour
de
l'Art
de
juin
19375,
constituent
une
parfaite
introduction
à
l'étude
qui
sera
ici
développée.
En
effet,
alors
qu'il
sera
ici
question
de
tenter
de
déterminer
en
quoi
la
Conférence
de
Madrid
constitue
un
jalon
dans
l'histoire
de
la
muséographie
moderne,
il
convient
dès
à
présent
de
ne
pas
rester
exclusivement
centré
sur
cet
évènement
mais
au
contraire
de
s'intéresser
plus
largement
à
la
muséographie
telle
qu'elle
fut
envisagée
à
partir
de
la
première
moitié
du
XXe
siècle.
Afin
de
répondre
à
cette
question,
il
importait
tout
d'abord
d'assimiler
le
contexte
dans
lequel
a
pris
place
cet
évènement.
Ainsi,
nous
dresserons
tout
d'abord
un
état
des
lieux
des
musées
au
début
du
XXe
siècle,
et
nous
présenterons
l'organisme
à
l'initiative
de
cette
manifestation,
dont
nous
expliquerons
dans
un
troisième
temps
comment
elle
fut
préparée.
Une
fois
le
décor
planté,
il
s'agira
alors
de
mettre
en
évidence
les
préceptes
énoncés
lors
de
cette
Conférence.
Ceux-‐ci
seront
donc
présentés
selon
une
logique
permettant
la
meilleure
appréhension
possible
:
ainsi,
nous
traiterons
tout
d'abord
de
la
conception
5
Exposition
internationale
de
1937
:
Groupe
1.
Classe
3.
Musées
et
expositions.
Section
1.
Muséographie.
Paris,
Éditions
Denoël,
1937,
32
p.
10. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
2
générale
des
musées,
puis
de
la
gestion
des
collections
et
enfin
de
la
mise
en
valeur
des
œuvres.
Enfin,
la
question
se
posera
de
l'impact
et
de
la
postérité
qu'ont
rencontré
les
préceptes
émis
en
1934.
Nous
étudierons
donc
deux
exemples
de
réalisations
architecturales
se
rattachant
à
ce
moment,
puis
la
diffusion
et
les
perspectives
d'enseignement
de
la
muséographie
à
la
suite
de
la
conférence
de
Madrid.
DEFINITION
–
AVERTISSEMENTS
Avant
toute
chose
cependant,
il
convient
de
bien
préciser
les
termes
constitutifs
de
notre
sujet,
à
commencer
bien
évidemment
par
celui
de
"muséographie".
En
effet,
si
la
définition
exacte
de
ce
mot
n'est
pas
ici
notre
objectif
–
un
mémoire
d'une
année
n'y
suffirait
d'ailleurs
certainement
pas
–
il
est
néanmoins
nécessaire
de
spécifier
dès
à
présent
dans
quel
cadre
ce
sujet
sera
traité
et
selon
quelles
limites
il
sera
ici
développé.
La
muséographie
comprend
un
certain
nombre
d'acceptions,
qui
ont
pu
varier
selon
les
époques,
les
langues
et
les
auteurs6,
et
il
importe
de
préciser
le
sens
qui
nous
concerne.
La
première
mention
de
ce
terme
remonte
à
1727,
lorsque
le
marchand
hambourgeois
Caspard
F.
Neickel
fait
paraître
un
ouvrage
intitulé
Museographia,
dans
lequel
il
recense
les
lieux
de
collections
(cabinets
et
bibliothèques)
de
différentes
villes
européennes.
Si
le
titre
complet
de
cette
publication
–
Museographia
oder
Anleitung
zum
rechten
Bregriff
und
nüsslicher
Anlegung
der
Museorum
oder
Raritäten-Kammern
(traduit
en
français
par
Paillot
de
Montabert
en
1829
sous
le
titre
Muséographie,
ou
de
l'utilité
des
musées
et
des
collections)
–
laisse
à
penser
qu'il
s'agit
d'un
manuel
pratique,
cette
idée
est
à
nuancer
puisque,
bien
que
des
conseils
pour
la
collecte,
la
conservation
et
le
classement
soient
proposés,
le
propos
général
se
rapproche
plutôt
d'un
répertoire
que
d'un
véritable
traité.
Le
frontispice
de
la
publication7
nous
renseigne
d'ailleurs
sur
le
sens
même
que
l'auteur
donne
au
terme
de
muséographie,
qui
s'entend
alors
comme
la
description
d'un
musée
–
tant
celle
de
son
contenu
que
son
organisation
générale
–,
discipline
conçue
pour
faciliter
la
recherche
des
sources
documentaires
d'objets
afin
d'en
développer
l'étude
systématique
(au
même
titre
que
la
bibliographie
pour
les
livres).
6
Voir
MAIRESSE
François,
Muséographie,
p.
321-‐342
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
Dictionnaire
encyclopédique
de
muséologie.
Paris,
Armand
Colin,
2011,
722
p.
7
Annexe
0.
11. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
3
Cette
première
définition
étymologique
perdurera
durant
tout
les
XVIIIe
et
XIXe
siècles,
et
c'est
dans
la
continuité
de
cette
acception
que
Murray
entend
encore
ce
terme
lorsqu'il
publie
en
1904
Museums
:
their
History
and
their
Use.
En
effet,
dans
cet
ouvrage,
la
muséographie
–
regroupant
des
notions
d'histoire
des
collections,
de
philosophie
et
d'organisation
générale
des
musées
–
est
présentée
dans
un
chapitre
distinct
de
celui
consacré
à
la
préparation
et
la
préservation
des
collections.
En
réalité,
il
faut
donc
attendre
le
début
du
XXe
siècle
pour
voir
le
début
d'une
certaine
reconnaissance
de
la
muséographie
en
tant
que
véritable
technique
muséale.
Dans
un
article
sur
L'organisation
des
musées
publié
en
1908,
Louis
Réau
est
le
premier
à
appeler
de
ses
vœux
la
considération
de
la
muséographie
dans
sa
dimension
pratique,
comme
quelque
chose
de
nécessaire
au
bon
fonctionnement
d'un
musée
et
qui,
à
ce
titre,
se
doit
d'être
enseignée
aux
personnes
susceptibles
d'occuper
la
fonction
de
conservateur8.
Il
l'envisage
ainsi
comme
une
discipline
dont
l'enseignement
permettrait
notamment
la
maîtrise
de
«
l'art
de
rédiger
un
catalogue,
de
classer
ou
de
présenter
des
tableaux
»9.
Cette
vision
va
durablement
marquer
les
esprits
durant
l'entre-‐deux-‐guerres,
entrainant
de
fait
une
transformation
du
sens
de
la
muséographie.
Comme
l'indiquait
Albert
S.
Henraux
dans
notre
introduction,
Mouseion
a
joué
un
rôle
important
dans
le
développement
de
cette
science
désormais
technique
puisque
c'est
elle
–
plus
encore
que
d'autres
revues
–
qui
va
œuvrer
à
la
diffusion
de
cette
nouvelle
définition
de
la
muséographie,
terme
dorénavant
utilisé
«
pour
décrire
l'organisation,
la
vie,
le
rôle
social,
la
formation
historique
des
musées,
mais
surtout
pour
préciser
les
méthodes
d'exposition,
de
conservation
ou
de
diffusion
utilisées
»10.
À
cette
époque,
la
muséographie
s'entend
donc
dans
un
sens
large
comme
la
manière
d'organiser
un
musée
dans
tous
ses
aspects
pratiques,
mais
également
dans
ceux
théoriques
:
en
effet,
des
questions
philosophiques
mais
aussi
sociales
et
éducatives
sont
intégrées
à
cette
définition,
notamment
dans
la
continuité
des
réflexions
initiées
à
la
fin
du
XIXe
siècle
par
le
secrétaire
général
de
la
Smithsonian
Institution,
George
Brown
Goode11.
Ainsi,
à
la
suite
de
celle
de
Madrid
en
1934,
il
était
prévu
que
se
tienne
une
8
REAU
Louis,
«
L'organisation
des
musées
»,
Revue
de
synthèse
historique,
1908,
tomes
XVII-‐2
et
XVII-‐3,
n°50
et
51.
9
REAU
Louis,
«
L'organisation
des
musées
»,
Revue
de
synthèse
historique,
tome
XVII-‐2,
n°50,
octobre
1908,
p.
159.
10
MAIRESSE
François,
Muséographie,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
323.
11
Principles
of
Museum
Administration,
1895.
12. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
4
Conférence
sur
la
mission
sociale
et
éducative
des
musées
durant
l'été
1940,
conférence
qui
devait
donner
lieu
à
la
publication
d'un
troisième
volume
intitulé
Muséographie.
Cependant,
en
raison
du
déclenchement
de
la
Seconde
Guerre
Mondiale,
cette
manifestation
n'aura
finalement
pas
lieu,
et
la
distinction
progressive
qui
sera
opérée
par
la
suite
entre
muséologie
et
muséographie
ne
permettra
pas
le
développement
de
telles
considérations
sous
la
dénomination
de
muséographie.
En
effet,
à
l'instar
des
réflexions
menées
par
Georges
Henri
Rivière,
directeur
de
l'ICOM
de
1948
à
1965,
qui,
dès
1958,
définit
la
muséographie
comme
«
l'ensemble
des
techniques
en
relation
avec
la
muséologie
»12,
un
courant
de
pensée
conduira
à
la
différenciation
entre
d'une
part
la
muséologie,
«
science
du
musée
»
et
d'autre
part
la
muséographie,
«
corps
de
techniques
et
de
pratiques,
appliqués
au
musée
»13.
Ainsi,
de
nombreux
muséologues
vont
participer
à
l'instauration
de
ce
dédoublement
de
terme,
tel
Burcaw
qui
explique
à
son
tour
que
«
la
muséographie
est
l'ensemble
des
techniques
liées
à
la
muséologie.
Elle
couvre
les
méthodes
et
les
pratiques
liées
à
l'activité
des
musées,
dans
tous
ses
aspects
»14.
Une
dichotomie
sera
même
instaurée
par
certains
chercheurs
entre
d'un
côté
la
muséologie
théorique
"pure"
et
de
l'autre
la
muséographie,
encore
appelée
muséologie
pratique
(les
anglo-‐saxons
parlent
d'applied
museology
ou
de
museum
practice),
souvent
considérée
par
les
partisans
de
la
muséologie
scientifique
comme
hiérarchiquement
inférieure.
Ainsi,
Vinos
Sofka
explique
à
propos
de
la
muséographie
que,
«
subordonnée
à
la
muséologie
générale
et
régie
par
ses
conclusions,
[elle]
s'occupe
de
la
technique
muséologique
pratique,
qui
est
utilisée
pour
remplir
ses
fonctions
»15.
Chez
l'ensemble
de
ces
auteurs,
la
muséologie
–
entendue,
dans
une
acception
large,
comme
«
l'ensemble
des
tentatives
de
théorisation
ou
de
réflexion
critique
liées
au
champ
muséal
»16
–
est
alors
systématiquement
placée
au
sommet
de
la
gradation
de
valeurs,
vision
qui
sera
contestée
parmi
les
professionnels
de
musée.
12
RIVIERE
G.
H.,
Stage
régionale
d'études
de
l'Unesco
sur
le
rôle
éducatif
des
musées
(Rio
de
Janeiro,
7-‐30
septembre
1958).
Paris,
Unesco,
1960,
p.
12.
13
La
muséologie
selon
G.
H.
Rivière,
Dunod,
1989,
p.
84.
14
BURCAW
G.E.,
Introduction
to
Museum
Work,
Walnut
Creek
–
London,
Altamira
Press,
1997
(3e
édition),
p.
21.
Traduction
de
MAIRESSE
François
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.325.
15
SOFKA
V.,
«
Provocations
muséologiques
1979
»,
Muwop/Dotram,
1,
1980,
p.
13.
16
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
«
Muséologie
»,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
344.
13. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
5
À
l'opposé
de
ce
courant
intellectuel,
une
forme
de
rejet
de
la
muséologie
sera
effectivement
exprimée
notamment
par
Kenneth
Hudson
ou
Ralph
Lewis17,
expliquant
que
les
tâches
qui
sont
quotidiennement
dévolues
aux
conservateurs
et
directeurs
de
musées
dont
ils
se
font
les
porte-‐paroles
–
l'étude,
la
conservation
et
la
mise
en
valeur
des
collections,
la
gestion
du
personnel
et
des
finances
du
musée,
la
définition
d'une
programmation
culturelle
ou
la
promotion
de
l'institution
vers
de
nouveaux
partenaires
et
publics,
etc.
–
prennent
le
pas
sur
les
réflexions
concernant
la
conceptuelle
«
relation
spécifique
entre
l'homme
et
la
réalité
caractérisée
comme
la
documentation
du
réel
par
l'appréhension
sensible
directe
»,
à
laquelle
s'intéressent
les
muséologues
mais
qui
ne
permet
pas
forcément,
du
moins
à
court
terme,
d'applications
concrètes.
Des
points
de
vue
antagonistes
existent
donc
entre
d'une
part
les
muséologues
et
d'autre
part
les
professionnels
du
monde
des
musées,
qui
n'appréhendent
pas
tous
la
vie
de
ces
institutions
de
la
même
manière.
Toutefois,
l'opposition
frontale
qui
peut
être
ainsi
exprimée
sera
également
nuancée
par
certaines
personnalités,
à
commencer
par
Zbynek
Stransky,
qui,
tout
en
étant
un
des
principaux
penseurs
de
la
muséologie,
s'efforce
de
présenter
la
muséographie
comme
l'application
rationnelle
du
dispositif
théorique
:
pour
lui,
la
muséographie
fait
«
organiquement
partie
de
la
muséologie
et
couvre
le
domaine
de
la
pratique
de
muséalisation.
[…]
À
(s)on
avis,
la
muséologie
appliquée,
ou
muséographie,
est
orientée
vers
la
pratique,
mais
sa
fonction
est
d'étudier
et
d'expliquer
les
moyens
concrets
grâce
auxquels
on
peut
réaliser
l'appropriation
spécifique
de
la
réalité
et
l'appliquer
concrètement
à
la
société.
L'objet
de
la
muséographie
est
donc
d'étudier
les
procédés
d'organisation,
les
méthodes,
les
techniques
et
les
technologies
qui
permettent
de
réaliser
cette
appropriation
de
la
réalité
»18.
Cette
conception
tendant
à
instaurer
une
complémentarité
entre
muséologie
et
muséographie,
également
exprimée
par
Waidacher
–
«
L'objectif
de
la
muséologie
appliquée
est
de
développer
des
procédures
et
des
règles
générales
qui
permettent
de
rendre
possible
la
mise
en
œuvre
et
la
vérification
pratique
des
découvertes
de
la
muséologie
théorique
» 19
–
est
encore
développée
par
Maroevic
pour
qui
«
la
17
LEWIS
R.,
Manuel
for
Museums,
Washington,
National
Park
Service,
1976.
18
STRANSKY
Z.Z.,
Muséologie.
Introduction
aux
études,
Brno,
Université
Masaryk,
1995,
p.
54.
19
WAIDACHER
F.,
A
short
Introduction
to
Museology,
München,
Müller
Straten,
1996
(disquette).
Traduit
et
cité
dans
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
331.
14. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
6
muséographie
maintient
un
lien
ininterrompu
avec
les
autres
niveaux
de
la
muséologie,
car
elle
confirme
constamment
la
pensée
théorique
muséologique
»20.
Nous
voici
donc
arrivés
à
un
stade
de
la
définition
où,
même
si
les
aspects
pratiques
et
théoriques
sont
finalement
présentés
comme
indissociables
–
Maroevic
l'explique
en
disant
que
«
le
«
pourquoi
»
est
tellement
lié
avec
le
«
comment
»,
au
sens
littéral
du
mot,
qu'ils
forment
un
tout
inséparable
»21
–
et
que
des
liens
demeurent
indispensables
entre
la
muséologie
et
la
muséographie22,
cette
dernière
apparaît
clairement
plus
comme
une
technique
qu'une
véritable
science
muséale.
Reste
cependant
à
préciser
le
champ
que
recouvre
cette
pratique
muséographique
puisque
plusieurs
disciplines
vont
être
regroupées
sous
cet
intitulé
au
fil
des
époques.
Ainsi,
dans
l'ouvrage
considéré
comme
le
«
premier
traité
de
muséographie
moderne
»,
The
Principles
of
Museum
Administration,
George
Brown
Goode
dresse
un
large
panorama
du
travail
muséal
dont
il
présente
tous
les
aspects
à
partir
des
relations
qu'entretient
le
musée
avec
sa
communauté23.
De
même,
dans
son
ouvrage
paru
en
1918,
le
principal
détracteur
de
Goode,
Benjamin
Ives
Gilman,
même
s'il
recentre
son
propos
–
après
une
première
partie
sous
forme
d'introduction
générale
aux
institutions
muséales
–
en
abordant
successivement
la
formation
des
collections,
la
construction
des
musées
et
les
questions
d'installation
des
œuvres,
ne
peut
s'empêcher
de
développer
plusieurs
autres
thématiques
certes
liées
à
la
vie
des
musées,
mais
qui
s'éloignent
de
l'aspect
purement
technique
d'aménagement24.
20
MAROEVIC
I.,
Introduction
to
Museology
-
the
European
Approach,
Munich,
Müller-‐Straten,
1998
p.
99.
21
MAROEVIC
I.,
Introduction
to
Museology
-
the
European
Approach,
Munich,
Müller-‐Straten,
1998
p.
101.
22
«
La
reformulation
théorique
des
problèmes
pratiques
du
musée
constitue
souvent
la
manière
la
plus
cohérente
d'envisager
de
nouvelles
perspectives
et
pistes
de
solutions
»
MAIRESSE
François,
Muséographie,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
332.
23
Y
sont
ainsi
abordés
la
place
du
musée
dans
la
société
et
ses
relations
avec
d'autres
institutions,
la
responsabilité
du
musée
envers
sa
communauté
ou
les
autres
institutions
muséales,
les
points
fondamentaux
nécessaires
au
fonctionnement
des
musée,
la
classification
des
musées.
Après
avoir
évoqué
de
la
sorte
la
philosophie
générale
dans
les
premiers
chapitres,
l'auteur
consacre
les
six
suivants
aux
fonctions
muséales
à
proprement
parler
:
il
développe
la
question
de
l'objet,
puis
présente
les
méthodes
de
préservation,
celles
d'exposition,
d'inventaire
et
de
catalogage,
mais
aussi
celles
relatives
à
la
rédaction
des
cartels,
des
catalogues,
et
autres
livrets.
Enfin,
il
consacre
sa
dernière
partie
à
l'évolution
future
du
travail
muséal.
24
GILMAN
B.
I.,
Museum
Ideals
of
purpose
and
method,
The
Riverside
Press,
Cambridge,
1918,
434
p.
Le
manuel
est
composé
de
deux
grandes
parties
–
But
et
Méthode
–
elles-‐mêmes
divisées
en
nombreux
chapitres
:
les
premiers
sont
dédiés
aux
questions
de
la
nature
et
la
place
du
musée
de
Beaux-‐Arts,
de
l'éducation
populaire
au
musée
des
Beaux-‐Arts
et
des
buts
des
musées
et
de
l'idéal
culturel
(où
se
trouve
d'ailleurs
une
section
intitulée
«
La
thèse
du
Dr.
Goode
et
ses
antithèses
»).
Cinq
thématiques
sont
ensuite
développées
:
développement
;
construction
-‐
l'idéal
de
l'éclairage
diagonal
et
de
l'expansion
radiale
;
15. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
7
Le
Précis
de
Muséologie
pratique
publié
en
1920
par
les
lauréats
de
l'Académie
des
Sciences,
le
Dr.
Adrien
Loir
et
M.
Legangneux,
est
quant
à
lui
basé
sur
la
question
principale
du
public
et
des
musées,
problématique
constituant
la
première
partie,
après
laquelle
sont
traitées
celles
de
la
direction
et
de
la
technique
du
Muséum25.
Par
la
suite26,
et
alors
que
le
champ
muséographique
s'est
élargi
avec
l'intégration
des
musées
de
sciences
et
de
techniques,
le
terme
semble
encore
englober
de
nouvelles
compétences,
au
point
qu'il
soit
confondu
avec
le
domaine
de
l'organisation
du
musée
(museum
administration).
Cela
est
notamment
illustré
avec
la
publication
en
1959
par
l'UNESCO
d'un
guide
en
la
matière
,
ouvrage
présenté
comme
suite
possible
aux
deux
volumes
Muséographie
de
1934,
et
qui
intègre
désormais
des
questions
administratives,
s'ajoutant
à
celles
précédemment
évoquées27.
L'élargissement
de
la
définition
est
encore
renforcé
avec
Georges
Henri
Rivière
qui,
selon
son
idée
de
musée
laboratoire,
intègre
à
la
muséographie
la
question
de
la
recherche28.
Dans
ses
leçons,
le
fondateur
du
Musée
national
des
arts
et
traditions
populaires
développe
des
thématiques
telles
que
«
musée
et
société
»,
«
musée
et
patrimoine
»,
«
musée,
instrument
d'éducation
et
de
culture
»,
les
questions
relatives
à
l'
«
institution
muséale
»
telles
que
les
statuts
et
l'organisation
ou
«
l'architecture
et
programmation
»
n'étant
traitées
que
dans
l'ultime
développement.
Dans
la
continuité
de
la
vision
de
Rivière,
consacrée
par
la
définition
de
l'ICOM
de
1974,
et
avec
la
théorisation
du
système
PRC
–
musée
comme
lieu
de
Préservation,
de
Recherche
et
de
Communication
–
par
Peter
van
Mensch,
la
muséographie
se
voit
définie
de
la
sorte
:
«
La
muséologie
appliquée
concerne
les
implications
pratiques
de
la
muséologie,
assistée
par
un
grand
nombre
de
disciplines
auxiliaires.
La
subdivision
de
ce
installation
-‐
la
visite
reposante
idéale
;
exégèse
-‐
les
idéaux
de
l'accompagnement
officiel
et
du
catalogue
interprétatif
;
gouvernement
-‐
l'idéal
de
la
commission
composite
–
quelques
problèmes
généraux.
25
LOIR
A.,
LEGANGNEUX
H.,
Précis
de
Muséologie
pratique,
Le
Havre,
muséum
d'Histoire
naturelle,
1922
(?),
107
p.
Après
la
relation
entre
le
public
et
le
musée,
sont
ainsi
évoquées
les
fonctions
d'administration
et
d'aménagement,
celles
de
publications
et
de
conservation
des
collections.
26
Nous
occultons
volontairement
la
période
autour
de
1930
qui
fera
l'objet
du
développement
principal.
27
UNESCO,
L'Organisation
des
musées.
Conseils
pratiques.
Paris,
Unesco,
1959,
202-‐44
p.
Ce
manuel,
dont
l'épilogue
est
signé
par
Georges
Henri
Rivière,
comporte
des
chapitres
–
après
le
premier
présentant
le
rôle
des
musées
–
désormais
consacrés
aux
questions
d'administration
et
de
personnel,
de
la
place
de
la
recherche
dans
le
musée,
de
celles
du
visiteur
et
de
l'éducation,
d'autres
traitant
de
l'analyse
et
des
techniques
de
conservation
puis
celles
d'exposition
et
enfin
celles
qui
sont
liées
à
l'architecture
des
musées.
28
Comme
en
témoigne
les
«
Quelques
exemples
de
relation
entre
recherche
et
muséographie
»
publiés
à
la
suite
de
la
leçon
«
Recherche
»
dans
RIVIERE
G.-‐H.,
La
muséologie
selon
Georges
Henri
Rivière
:
cours
de
muséologie,
textes
et
témoignages.
Paris,
Dunod,
1989,
pp.
169-‐194.
16. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
8
champ
est
fondée
sur
les
trois
fonctions
muséologiques
de
base
:
la
préservation
(acquisition,
inventaire,
documentation,
conservation),
la
recherche
et
la
communication
(présentation,
éducation),
accompagnée
par
l'administration
et
la
gestion
»29.
À
la
suite
de
cela,
Zbynek
Stransky
«
conçoit
la
muséographie
comme
l'ensemble
des
aspects
organisationnels
et
techniques
des
fonctions
spécifiques
du
musée,
c'est
à
dire
la
gestion,
la
commercialisation,
l'architecture,
la
conservation,
l'information,
l'expographie
(exhibition
design),
les
relations
publiques
et
la
promotion
»30.
Il
est
en
ce
sens
suivi
par
Waidacher,
pour
qui
«
les
enseignements
de
la
muséologie
appliquée
trouvent
une
application
muséale
concrète
dans
quatre
domaines
:
la
sélection
des
objets
et
leur
documentation,
la
formation
et
l'administration
des
possessions,
la
communication
des
possessions
et
les
relations
publiques,
la
planification,
l'organisation
et
la
gestion
»31.
Ce
dernier
champ
–
qui,
nous
l'avons
vu,
trouvait
déjà
sa
place
dans
le
manuel
de
1959
(dans
lequel
l'administration
est
présentée
comme
englobant
la
plupart
des
activités)
–
va
progressivement
s'imposer
dans
la
vie
des
institutions.
Si
le
développement
des
aspects
de
gestion
sera
un
peu
retardé
en
raison
de
l'application
du
modèle
PRC
ne
laissant
que
peu
de
place
aux
personnes
autres
que
le
conservateur,
cette
prise
de
pouvoir
sera
matérialisée
par
la
très
riche
littérature
notamment
à
la
toute
fin
du
XXe
et
en
ce
début
de
XXIe
siècle
:
à
la
suite
de
publications
telles
que
Manual
of
curatorship
:
a
guide
to
museum
practice
(1992)
et
Museum
Basics
(1993)
qui
se
présentent
comme
des
manuels
essentiellement
pratiques,
de
même
que
The
Handbook
for
Museums
(1994)
et
le
Standard
Practices
Hanbook
for
Museums
(2001)
qui
sont
en
grande
partie
consacrés
aux
questions
de
marketing,
de
gestion
de
personnel
ou
de
recherche
de
financement,
un
courant
s'est
ainsi
développé,
entraînant
d'ailleurs
la
création
de
métiers
spécifiques
au
sein
même
des
équipes
de
musées.
Cette
orientation
semble
même
soutenue
par
l'ICOM
et
l'UNESCO,
qui
participent
à
la
publication
et
à
la
diffusion
de
Comment
gérer
un
musée,
un
manuel
pratique
de
Patrick
Boylan32,
manuel
–
conçu
à
l'origine
dans
le
but
d'offrir
un
outil
de
travail
aux
personnels
des
musées
irakiens
et
ayant
«
pour
objet
de
29
MENSCH
P.
van,
Professionalising
the
Muses.
Amsterdam,
AHA
Books,
1989,
p.
87.
30
MAIRESSE
François,
Muséographie,
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
330,
d'après
STRANSKY,
Z.
Z.,
Muséologie.
Introduction
aux
études.
Brno,
Université
Masaryk,
1995,
p.
55.
31
WAIDACHER
F.,
A
short
Introduction
to
Museology,
München,
Müller
Straten,
1996
(disquette).
Traduit
et
cité
dans
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
331.
32
http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001478/147854f.pdf
17. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
9
présenter
les
aspects
essentiels
de
la
gestion
de
musées
ouverts
sur
le
monde
contemporain
»33
–
fait
la
part
belle
à
cette
discipline,
puisqu'un
quart
des
chapitres
contient
le
terme
"gestion"
dans
son
titre.
Dans
la
même
veine,
citons
enfin
les
ouvrages
de
Jean-‐Michel
Tobelem
–
Manuel
de
muséographie
:
petit
guide
à
l'usage
des
responsables
de
musée
(1998)
et
Le
nouvel
âge
des
musées
:
les
institutions
culturelles
au
défi
de
la
gestion
–
qui
s'est
également
fait
le
spécialiste
de
ces
questions
des
enjeux
contemporains
de
la
gestion
des
musées.
Le
terme
de
"muséographie"
a
donc
compris
différentes
acceptions
et
a
regroupé
différentes
notions
au
cours
des
décennies
et
selon
les
auteurs,
au
point
d'ailleurs
que
François
Mairesse
suggère
la
possibilité
«
de
retrouver
par
le
biais
de
l'analyse
de
la
structure
des
manuels
de
muséographie
[…]
celle
du
monde
des
musées
lui-même
»34.
De
fait,
nos
recherches
nous
ont
mené
à
nous
intéresser
à
de
nombreux
aspects
de
ce
sujet
particulièrement
large,
mais,
si
nos
lectures
furent
variées,
nous
ne
pouvons
ici
traiter
de
l'ensemble
de
la
thématique.
Au
contraire,
nous
nous
contenterons
de
rappeler
la
définition
désormais
en
vigueur
–
selon
laquelle
«
actuellement,
la
muséographie
est
essentiellement
définie
comme
la
figure
pratique
ou
appliquée
de
la
muséologie,
c'est
à
dire
l'ensemble
des
techniques
développées
pour
remplir
les
fonctions
muséales
et
particulièrement
ce
qui
concerne
l'aménagement
du
musée,
la
conservation,
la
restauration,
la
sécurité
et
l'exposition
[…]»35
–
et,
en
raison
du
temps
qui
nous
est
imparti,
nous
envisagerons
la
muséographie
durant
le
reste
de
cette
étude
sous
l'angle
de
l'architecture
et
de
l'aménagement
des
musées
d'art.
En
effet,
un
tel
choix
s'apparente
tout
d'abord
à
la
réflexion
de
Wolfgang
Klausewitz,
qui,
approfondissant
la
distinction
entre
muséologie
et
muséographie
plus
encore
que
d'autres,
avait
conclu
que
«
la
muséographie
a
une
orientation
purement
technique
et
comprend
les
techniques
et
méthodes
relatives
à
la
sécurité
et
aux
collections,
en
particulier
les
divers
systèmes
techniques
d'exposition
»36.
33
BOYLAN
Patrick,
«
Introduction
»,
p.
VI
in
BOYLAN
Patrick,
Comment
gérer
un
musée,
un
manuel
pratique,
2006.
34
MAIRESSE
François,
Muséographie,
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
337.
35
MAIRESSE
François
«
Muséographie
»,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
321.
36
Elle
s'oppose
ainsi
à
la
muséologie
appliquée
«
qui
a
une
orientation
plus
pratique
et
comprend
toutes
les
questions
concernant
toutes
les
activités
dans
le
domaine
des
collections,
la
documentation
sur
les
objets,
la
publication,
la
pédagogique
(sic)
et
les
méthodes
didactiques
de
musée
KLAUSEWITZ
W.,
«
Provocations
18. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
10
De
plus,
cela
répond
également
à
une
tradition
française,
selon
laquelle
la
muséographie
est
plus
précisément
envisagée
comme
la
discipline
liée
aux
techniques
d'exposition
:
«
L'usage
du
mot
muséographie
a
eu
tendance,
en
français,
à
désigner
l'art
(ou
les
techniques)
de
l'exposition.
[…]
Ce
qu'on
intitule
le
«
programme
muséographique
»,
recouvre
la
définition
des
contenus
de
l'exposition
et
ses
impératifs,
ainsi
que
l'ensemble
des
liens
fonctionnels
entre
les
espaces
d'exposition
et
les
autres
espaces
du
musée
»37.
Ainsi,
Danièle
Giraudy
la
définit
comme
«
la
technique
qui
présente
les
collections
»,
Gob
et
Drouguet
comme
«
une
activité
intellectuelle
tournée
vers
l'application
pratique,
celle
qui
consiste
à
définir
ou
à
décrire
et
analyser
la
conception
d'une
exposition,
sa
structure,
son
fonctionnement
»,
tandis
que
Chaumier
et
Levilain
appréhendent
la
fonction
de
muséographe
comme
étant
celle
de
«
coordonner
l'ensemble
des
compétences
nécessaires
à
la
réalisation
de
l'exposition
»38.
Enfin,
ce
choix
de
se
concentrer
sur
cette
acception
de
la
muséographie
s'explique
évidemment
par
le
fait
que
le
cœur
même
de
notre
sujet
concerne
la
conférence
de
Madrid
et
le
manuel
qui
fut
publié
à
la
suite
de
celle-‐ci
–
ouvrage
à
l'origine
de
la
signification
française
–
dont
le
titre,
rappelons-‐le,
est
:
Muséographie
–
Architecture
et
aménagement
des
musées
d'art.
En
effet,
à
cette
époque
–
et
nous
garderons
cette
définition
comme
référence
pour
les
développements
suivants
–
la
muséographie
«
comprend
non
seulement
des
questions
relatives
à
l'architecture
(bâtiments
nouveaux
ou
appropriation
des
bâtiments
anciens,
éclairage,
ventilation,
température,
chauffage,
préservation
contre
l'incendie
et
le
vol),
mais
encore
toutes
les
questions
se
rattachant
à
l'organisation
intérieure
du
musée
(inventaire,
étiquetage,
catalogues,
présentation,
personnel,
bibliothèque,
réserves,
entretien
des
œuvres,
etc.)
»39.
muséologiques
1979
»,
Muwop/Dotram,
1,
1980,
p.
11.
Cité
dans
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
330.
37
MAIRESSE
François
«
Muséographie
»,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
p.
321.
38
MAIRESSE
François
«
Muséographie
»,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
pp.
325-‐326.
Preuve
que
la
sémantique
est
sujet
au
débat,
des
précisions
ont
encore
été
apportées
afin
d'établir
une
distinction
entre
la
muséographie
et
d'une
part
la
scénographie
–
étymologiquement
plus
ancien,
mais
qui
concernait
principalement
le
décor
du
théâtre
avant
que
certains
scénographes
ne
proposent
leurs
services
dans
les
musées
à
partir
des
années
1980
–
et
d'autre
part
l'expographie,
terme
élaboré
par
André
Desvallées
dans
le
but
de
désigner
la
technique
relative
à
la
conception
d'expositions
temporaires.
MAIRESSE
François
«
Muséographie
»,
in
DESVALLÉES
André,
MAIRESSE
François,
2011,
pp.
325-‐329
et
http://invisibl.eu/fr/lapport-‐de-‐la-‐scenographie-‐dans-‐le-‐processus-‐dacquisition-‐des-‐savoirs-‐23/.
39
Office
International
des
Musées,
Programme
de
l'Office
international
des
musées,
Mouseion
n°1,
1927.
19. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
11
Ces
précisions
sémantiques
étant
établies,
nous
pouvons
débuter
notre
étude,
qui
aura
donc
pour
but
de
démontrer
que
la
muséographie
telle
que
nous
l'avons
définie,
loin
d'être
une
simple
«
technique
auxiliaire
»
(Georges
Henri
Rivière)
ou
un
«
livre
de
cuisine
»
(Stransky),
est
en
fait
une
véritable
discipline,
nécessitant
l'intervention
de
multiples
compétences,
qui
participe
au
processus
d'acquisition
des
savoirs
en
facilitant
la
transmission
du
message
scientifique.
Plus
prosaïquement,
d'autres
avertissements
s'imposent
encore
:
Tout
d'abord,
les
lecteurs
doivent
ici
être
prévenus
du
choix
qui
a
été
pris
de
faire
régulièrement
appel
aux
citations
;
de
fait,
celles-‐ci
peuvent
être
nombreuses,
notamment
dans
le
deuxième
partie,
mais
cela
s'explique
par
la
volonté
de
respecter
le
texte
original
dont
la
tonalité
aurait
été
déformée
dans
le
cas
de
l'utilisation
de
paraphrases.
Ensuite,
il
convient
également
d'expliquer
le
système
de
renvois
bibliographiques
mis
en
place
dans
les
notes
en
bas
de
page
:
si
lors
de
la
première
mention
les
références
sont
indiquées
de
manière
complète,
par
la
suite
seules
figurent
les
mentions
du
nom
de
l'auteur,
de
la
date
de
la
publication
et
du
numéro
de
page.
Enfin,
par
commodité,
ont
peu
être
employées
certains
abréviations,
dont
vous
trouverez
ici
les
significations
:
SDN
:
Société
des
Nations
OIM
:
Office
International
des
Musées
CICI
:
Commission
Internationale
de
Coopération
Intellectuelle
IICI
:
Institut
International
de
Coopération
Intellectuelle
UNESCO
:
Organisation
des
Nations
Unies
pour
l'Education,
la
Science
et
la
Culture
ICOM
:
Conseil
international
des
musées
ICAMT
:
Comité
International
pour
l’Architecture
et
les
Techniques
Muséographiques
MQB
:
Musée
du
Quai
Branly
20. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
12
PREMIERE
PARTIE
:
LE
CONTEXTE
:
LA
MUSÉOGRAPHIE
AVANT
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
21. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
13
1. Les
institutions
muséales
à
l'aube
du
XXe
siècle
«
Il
y
a
vingt-cinq
ans,
personne
ne
pensait
qu'un
musée
put
être
autre
chose
qu'un
lieu
solennel
et
à
peine
accessible,
où
l'on
se
rendait,
pour
ainsi
dire,
en
pèlerinage.
Les
musées
n'avaient
pas
d'autre
but
que
de
pourvoir
à
la
conservation
–
certains
ont
même
dit
à
l'
«
ensevelissement
»
–
des
œuvres
d'art.
Le
personnel
supérieur
des
musées
aurait
été
sérieusement
alarmé
si
les
visiteurs
étaient
venus
en
trop
grand
nombre.
On
se
préoccupait
peu
de
l'intérêt
du
public
quand
il
s'agissait
d'organiser
un
musée,
et
encore
ne
tenait-on
compte
que
du
très
petit
nombre
de
personnes
possédant
un
sens
artistique
naturellement
délicat
et
déjà
suffisamment
cultivé
»40.
a. Crise
des
musées
et
professionnalisation
de
la
fonction
de
conservateur
Institué
à
la
fin
du
XVIIIe
siècle,
le
musée
en
tant
qu'institution
publique
traverse
au
début
du
XXe
siècle
une
importante
crise.
Ainsi,
à
l'image
du
rédacteur
du
Burlington
Magazine
–
qui,
en
septembre
1908
écrit
:
«
The
time
has
arrived
when
the
question
of
exactly
what
their
function
is,
and
what
it
ought
to
be,
must
be
asked
and
solved
»41
–,
la
tendance
à
l'époque
est
de
s'interroger
sur
la
fonction
et
le
rôle
de
ces
institutions.
Et
si,
à
l'image
de
celui
opposant
Goode
à
Gilman,
des
débats
ont
lieu
pour
déterminer
si
ces
lieux
devraient
tendre
plus
vers
la
science42
ou
vers
l'esthétisme43,
d'autres
points
de
vue,
plus
radicaux,
sont
également
exprimés,
remettant
en
cause
leur
existence
même
:
avant
même
Paul
Valéry
–
«
Quelle
fatigue,
quelle
barbarie
!
Tout
ceci
est
inhumain
»44
–
Louis
Réau,
qui
s'est
intéressé
de
très
près
à
l'organisation
des
musées45,
explique
:
«
on
a
surnommé
les
Musée
les
prisons
de
l'Art
;
ce
sont
plutôt
de
vastes
cimetières
où
les
œuvres
d'art
du
passé
reposent
pêle-mêle
comme
des
corps
sans
vie
»46.
40
Mouseion
n°9,
décembre
1929,
pp.
290-‐291.
41
Édition
du
15
septembre
1908,
citée
dans
GILMAN
B.
I.,
Museums
ideals
of
purpose
and
method,
Cambridge
1918,
p.
X.
42
Le
musée
une
considéré
par
Goode
comme
une
«
très
bonne
collection
de
cartels,
de
labels
–
ou
d’étiquettes,
chacune
illustrées
par
le
spécimen
adéquatement
choisi
»
43
Pour
Gilman,
qui
conçoit
le
musée
comme
l'exposition
permanente
d’objets
réunis
en
fonction
de
leurs
qualités
artistique
ou
éducative,
«
lorsque
le
règne
de
l’éducation
commence,
le
règne
de
l’art
se
termine
».
44
Le
problème
des
musées,
1923
:
http://classiques.uqac.ca/classiques/Valery_paul/probleme_des_musees/valery_probleme-‐musees.pdf
45
Voir
l'article
éponyme
paru
en
deux
parties
dans
La
revue
de
synthèse
historique
n°50
(1908a)
et
n°51
(1908b),
déjà
cité.
46
REAU
Louis,
1908a,
p.
147.
Il
ajoute
d'ailleurs
qu'ils
constituent
un
«
mauvais
exemple
pour
certains
artistes
modernes
».
22. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
14
Pourtant,
le
même
Réau
va
défendre
ces
institutions47,
qu'il
juge
comme
un
«
mal
nécessaire
».
Basant
son
diagnostic
sur
la
comparaison
avec
les
musées
allemands
–
qu'il
érige,
et
Wilhelm
von
Bode48
en
tête,
en
modèles
–
il
ne
fait
pas
pour
autant
de
concession
:
«
il
est
indéniable
que
leur
organisation
actuelle
laisse
beaucoup
à
désirer
»
;
déplorant
que
la
France,
pourtant
précurseur,
soit
désormais
en
retard
dans
le
domaine
muséal,
il
propose
:
«
ne
pouvant
abolir
cette
institution
déjà
séculaire,
ne
vaut-il
pas
mieux,
plutôt
que
de
s'acharner
contre
elle,
la
fortifier
par
d'utiles
réformes
?
»49.
Et
s'il
énonce
le
fait
qu'
«
il
est
urgent
que
Musées
et
Bibliothèques
se
spécialisent
étroitement
pour
éviter
des
déperditions
d'efforts
et
de
ressources
»50,
le
principal
des
réformes
que
Réau
appelle
de
ses
vœux
concerne
le
statut
de
conservateur,
qu'il
souhaite
voir
se
professionnaliser
:
tandis
que
«
le
recrutement
des
directeurs
de
Musées
devrait
être
entouré,
semble-t-il,
de
garanties
aussi
sérieuses
que
le
recrutement
des
professeurs
d'Universités
ou
des
fonctionnaires
de
l'Etat
»,
il
déplore
que
l'
«
on
persiste
à
considérer
en
France
la
conservation
des
Musées
moins
comme
une
fonction
que
comme
une
sinécure
»51.
Effectivement,
à
cette
époque,
sont
alors
nommés
comme
conservateurs
de
musées
aussi
bien,
à
Paris,
«
des
hommes
de
lettres
retraités,
des
poètes
fourbus
et
besogneux
»
que
de
«
simples
professeurs
de
dessins,
artistes
de
clocher
ou
riches
amateurs,
qui,
s'ils
ont
quelque
fois
du
goût,
manquent
totalement
de
préparation
scientifique
»
dans
les
Musées
de
province.
N'étant
pas
rémunérés,
tous
ont
tendance
«
à
considérer
leurs
fonctions
comme
purement
honorifiques
ou
comme
un
poste
d'attente
et
ne
se
croient
pas
tenus
de
fournir
aucun
travail
régulier
»52.
Avant
lui,
Julien
Guadet
disait
des
musées,
«
ces
grandes
nécropoles
des
arts
qu'on
appelle
les
musées
officiels
[…]
qu'ils
sont
une
des
créations
les
plus
funestes
aux
arts
».
GUADET
Julien,
Eléments
et
théorie
de
l'architecture
:
cours
professé
à
l'École
nationale
et
spéciale
des
Beaux-Arts,
1915,
Paris
Librairie
de
la
Construction
moderne,
Tome
II
Chapitre
VII
«
Les
édifices
d'instruction
publique
»,
p.
334.
47
«
Quand
les
musées
n'auraient
d'autre
raison
d'être
que
la
nécessité
de
préserver
les
œuvres
d'art
contre
touts
les
risques
de
destruction
qui
les
menacent,
leur
existence
serait
suffisamment
justifiée
».
REAU
Louis,
1908a,
p.
147.
48
Dont
on
dira
qu'il
est
effectivement
«
l'archétype
du
directeur
de
musée
du
second
XIXe
siècle
».
POULOT
Dominique,
Musée
et
muséologie,
Paris,
Editions
La
Découverte,
2005,
p.
47.
49
REAU
Louis,
1908a,
p.
148.
50
REAU
Louis,
1908a,
p.
153.
51
REAU
Louis,
1908a,
p.
158.
52
REAU
Louis,
1908a,
p.
158.
23. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
15
Cette
situation,
également
rapportée
par
Jean
Capart53
et
encore
déplorée
par
Charles
Kunstler54,
a
malheureusement
des
conséquences
désastreuses
tant
sur
l'état
des
musées
que
sur
la
conservation
des
collections,
comme
l'a
par
exemple
constaté
Louis
Hautecœur
à
propos
de
la
restauration
de
peinture,
lui
qui
se
vit
expliquer
lors
de
visites
qu'il
effectuait
en
province,
par
un
conservateur
:
«
mon
pauvre
prédécesseur
est
mort
trop
tôt
:
il
n'a
pas
eu
le
temps
de
repeindre
tous
les
tableaux.
Aussi
vous
excuserez
ceux
qui
sont
un
peu
vieux
»55.
«
L'incompétence
et
l'inertie
sont
de
règle
dans
ce
personnel
dont
le
recrutement
demeure
tout
à
fait
arbitraire
»56
dénonce
Réau.
Vigoureux
dans
sa
critique,
il
explique
que
le
maintien
de
ce
système
–
qu'il
qualifie
d'antidémocratique
et
d'antiscientifique
–
est
dû
à
l'inefficacité
«
des
Commissions
omnipotentes
où
les
incompétences
sont
presque
toujours
en
majorité
»57
–
selon
lui
les
historiens
et
collectionneurs,
plus
à
même
de
prendre
les
décisions
concernant
les
musées,
devraient
remplacer
les
artistes
–
auprès
desquelles
les
conservateurs
ne
disposent
que
du
seul
droit
d'initiative
et
non
de
celui
de
vote.
Là
encore,
comparaison
est
faite
avec
le
cas
allemand,
où
les
conservateurs
–
«
des
spécialistes
et
non
des
dilettantes
»58
–
ne
sont
pas
confrontés
à
un
tel
véto,
mais
bénéficient
au
contraire
de
certaines
libertés,
à
l'image
de
Bode
qui
fait
preuve
d'initiative
au
moment
de
diriger
une
importante
campagne
d'acquisition
pour
les
musées
qu'il
dirige.
En
confrontant
les
méthodes
appliquées
en
France
et
en
Allemagne,
Réau
–
qui
explique
que
«
quand
les
directeurs
de
Musées
sont
bien
choisis,
il
n'y
a
aucun
inconvénient
à
leur
laisser
carte
blanche
»59
–
met
également
en
évidence
l'écart
existant
au
niveau
de
la
formation
des
directeurs
de
musées,
pointant
notamment
du
doigt
l'École
du
Louvre
qui
53
Retraçant
la
chronologie
des
Musées
Royaux
de
Belgique,
il
explique
ainsi
que,
à
la
mort
du
quatrième
conservateur,
«
la
place
fut
donnée
à
un
journaliste
politique,
que
les
circonstances
obligeaient
à
se
retirer
de
sa
carrière,
le
Baron
Prosper
de
Hauleville.
Il
était,
en
effet,
de
tradition
de
considérer
la
conservation
des
musées
comme
une
sinécure
permettant
d'accorder
à
des
personnalités
une
sorte
de
«
bénéfice
»
».
CAPART
Jean,
«
Aperçu
historique
sur
les
musées
–
Depuis
l'origine
jusqu'en
1929
»,
Le
temple
des
Muses,
Bruxellles,
Musées
Royaux
d'Art
et
d'Histoire
–
Parc
du
Cinquantenaire,
1932,
p.
49.
Voir
également
CAPART
Jean,
«
Le
rôle
social
des
musées
»,
Mouseion
1930,
volume
12
n°3,
pp.
219-‐238.
54
Voir
l'article
«
Le
recrutement
des
conservateurs
en
France
»
dans
Musées
et
Monuments
Informations
mensuelles
n°
IX
–
Novembre
1932,
p.
14.
Annexe
1.
55
Expérience
déconcertante,
cocasse
si
elle
n'était
pas
dramatique,
relatée
dans
HAUTECŒUR
Louis,
Les
Beaux-Arts
en
France.
Passé
et
avenir,
Paris
A.
et
J.
Picard
1948,
p.
196.
56
REAU
Louis,
1908a,
p.
158.
57
REAU
Louis,
1908a,
p.
160.
58
REAU
Louis,
1908a,
p.
160.
59
REAU
Louis,
1908a,
p.
160.
24. Jean-‐Baptiste
JAMIN
LA
CONFÉRENCE
DE
MADRID
(1934)
École
du
Louvre
2013-‐2014
16
ne
répond
pas
selon
lui
à
sa
mission.
Ainsi,
tandis
que
les
allemands
appelés
à
devenir
conservateurs
sont
progressivement
familiarisés
avec
«
tout
ce
qui
regarde
la
muséographie
»
à
travers
un
enseignement
complet
à
l'Université
et
en
passant
par
les
grades
d'attaché
volontaire
puis
d'assistant60,
à
l'École
du
Louvre
–
«
qui
aurait
dû
être
en
même
temps
qu'un
séminaire
d'histoire
de
l'art
et
un
laboratoire
de
travail
scientifique,
une
école
théorique
et
pratique
de
«
muséographie
»
[…]
la
pépinière
des
directeurs
de
Musées
»
–
Réau,
au
contraire,
«
constate
que
le
programme
des
conférences,
si
riche
en
superfluités,
ne
comporte
pas
un
seul
cours
où
l'on
enseigne
l'art
de
rédiger
un
catalogue,
de
classer
ou
de
présenter
des
tableaux
»
mais
plutôt
des
«
conférences
de
vulgarisation
antistatique
à
l'usage
des
gemmes
du
monde
»61.
Si
de
tels
manquements
sont
effectivement
regrettables
–
concernant
l'École
du
Louvre,
nous
y
reviendrons,
ils
seront
comblés
à
partir
de
1929,
–
la
professionnalisation
gagne
petit
à
petit
le
monde
des
musées,
notamment
à
travers
la
création
d'Associations
de
conservateurs,
instituées
justement
afin
de
coordonner
les
actions
tout
d'abord
aux
points
de
vue
nationaux.
Ainsi,
la
British
Isles
Museum
Association,
l'American
Association
of
Museums,
la
Deutscher
Museumbund
et
l'Association
des
Conservateurs
des
Collections
Publiques
de
France
notamment
voient
respectivement
le
jour
en
1888,
1905,
1917
et
191962.
La
création
de
telles
structures
qui,
nous
le
verrons,
est
accompagnée
par
la
publication
de
revues,
est
particulièrement
intéressante
en
ce
qu'elle
participe
de
la
formation
des
conservateurs.
En
effet,
alors
qu'émerge
justement
cette
idée
selon
laquelle
la
fonction
de
directeur
de
musées
nécessite
des
compétences
spécifiques,
ces
associations
vont
tout
d'abord
organiser
des
conférences
permettant
le
partage
des
connaissances.
Ainsi,
l'Association
Américaine
des
Musées
est
par
exemple
à
l'initiative,
à
l'occasion
de
sa
réunion
de
Chicago
à
l'été
1933
consacrée
à
la
question
«
les
musées
dans
la
vie
contemporaine
»
de
«
plus
de
cent
communications
»,
réparties
dans
plusieurs
comités
qui
sont
constitués
pour
traiter
des
différentes
questions
se
rapportant
à
la
thématique
déterminée63.
60
REAU
Louis,
1908a,
p.
160.
61
REAU
Louis,
1908a,
p.
159.
62
Notamment
:
l'on
peut
par
exemple
y
ajouter
la
Japanese
Association
of
Museum
en
1932,
etc.
63
Voir
l'article
issu
des
Informations
mensuelles,
juillet
1933,
p.
3.