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Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
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Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
SOMMAIRE
Remerciements
Introduction
I. Présentation du contexte
A. Genèse du mouvement street art
1. Une pratique intemporelle, qui traverse les époques depuis la Préhistoire
2. Une première appellation, le « graffiti »
3. Les origines de l’art urbain : la propagande et les arts populaires
4. La naissance de l’art urbain en tant que nouvel espace d’expression
5. Du graffiti au post-graffiti
B. Caractéristiques et essence du street art
1. Un territoire singulier : la rue
a. Un art à la portée de tous
b. Des œuvres hors des codes établis
c. Un ancrage contextuel
2. Des œuvres éphémères
3. Des formes, outils et styles variés
a. Bombes et marqueurs
b. Pochoirs
c. Stickers et affiches
d. Autres formes
4. Liberté et contestation
a. Liberté d’expression
b. Résistance, contestation et rébellion
5. Une pratique encore illégale
a. La loi française
b. Motif de valorisation, d’exaltation ou de contestation
C. Un mouvement en pleine reconnaissance
1. Institutionnalisation et pouvoirs publics
2. Galeries, expositions, marché de l’art
3. Démocratisation du mouvement et médiatisation
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II. Médias numériques, un nouveau territoire pour le street art
A. Panorama des canaux de communication digitaux
1. L’importance de la photographie dans une « société de l’image »
2. Les sites internet
a. Galeries et photothèques
b. Cartographies interactives
c. Sites transversaux dédiés au street art
d. Sites et blogs d’artistes
e. Sites consacrés à des projets spécifiques
f. Presse en ligne
3. Les réseaux sociaux
4. Les applications mobiles
B. Web et street art : une culture commune
1. Facilité de création et de diffusion
2. Portée universelle et participative
a. Cible large
b. Echelle internationale
c. Echanges et participations
3. Protection de la liberté et de l’anonymat
4. Nouvelles formes
C. Street art virtuel : divergences et contradictions ?
1. Disparition de la dimension d’éphémère
2. Hors de la rue
a. Eloigné du territoire d’expression primaire
b. Décontextualisation
c. Restriction d’accès
3. Surmédiatisation
a. Starification et dangers
b. Rapprochement des codes et cadres établis
III. La stratégie digitale à suivre
A. Du point de vue des institutions publiques
1. Démocratie participative
2. Visibilité et notoriété des projets
3. Ecoute et suivi
B. Du point de vue des professionnels et amateurs
1. Supports qualitatifs
2. Equilibre entre gratuité et commercialisation
3. Perspective « cross media »
4. Implication du spectateur et « call to action »
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C. Du point de vue des street artistes
1. Mesure de l’exposition
2. Concept fort et porteur
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
REMERCIEMENTS
Je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui ont contribué à l’élaboration de
ce mémoire. C’est grâce au temps qu’elles m’ont consacré et l’aide dont elles m’ont fait
bénéficier que j’ai été « cap »1
de mener à bien cette recherche.
Je tiens donc à remercier très sincèrement :
Madame Pascaline Maugat, ma Tutrice de mémoire qui a su me guider, m’encadrer et
m’accompagner tout au long de mes réflexions. Merci également de m’avoir fait confiance
dès le début dans le choix de mon sujet de mémoire qui rejoint mon projet professionnel
ainsi que mes affinités personnelles.
Monsieur Jérôme Deiss, le « king »2
, mon Directeur de mémoire et Content strategist à
France Télévisions, qui m’a été d’une grande aide dans la réalisation de ce mémoire. Merci
du vif intérêt qu’il m’a accordé ainsi qu’à mon sujet, du temps qu’il m’a consacré,
notamment à Paris et de m’avoir fait bénéficier de ses connaissances et divers conseils.
Merci encore à :
Laure Abouaf, Audrey Charveron, THTF (Clément et Antonin), Aurélien Michaud, Florent Soragna,
Clémence Desrozes, Jérémie Masurel, Julien Mariette, Jérôme Catz et Halim Bensaïd, qui ont
accepté de répondre à mes questions en me faisant partager leur vision ainsi que leurs
connaissances personnelles sur le sujet.
Pour finir, merci à mon « crew »3
, c’est-à-dire toutes les autres personnes qui m’ont apporté
une aide quelconque, de près ou de loin, par leur compagnie lors d’expositions, leur réponse
à mon questionnaire ou leur partage d’informations : amis, famille, camarades de classe,
« twittos », etc.
1
Cap : Embout adapté à l’aérosol servant à vaporiser la peinture.
2
King : Graffeur accompli et très productif, maîtrisant parfaitement son style et sa technique.
3
Crew : Groupe organisé de graffeurs.
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Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
INTRODUCTION
La rue et l’espace public sont des lieux que nous côtoyons, pour la plupart d’entre nous,
quotidiennement. Ces espaces urbains se retrouvent, depuis plusieurs années, investis de
manière croissante par des œuvres, visibles par tous, qui colorent et redonnent vie à nos
villes. L’ensemble de ces créations peuvent être rassemblées sous l’appellation « street art ».
Pour les besoins de ce mémoire, j’utiliserai cette notion dans une définition proche de sa
traduction littérale française : « art de rue ». C’est-à-dire, un art réalisé dans un
environnement urbain. Je l’emploierai plus précisément d’après la définition suivante :
Mouvement artistique contemporain qui regroupe toutes les formes d’art réalisées dans la
rue et parfois ailleurs et rassemble diverses techniques telles que le graffiti, l’affiche, le
pochoir, le sticker, la mosaïque, les installations, etc.
Ce mouvement est particulier et complètement unique en son genre car il possède des
caractéristiques bien spécifiques telles que son aspect protéiforme comme cité ci-dessus,
mais aussi son éphémérité, ou encore, sa fréquente illégalité. Il s’inscrit ainsi hors du cadre
de l’institution publique et des codes habituels du marché de l’art.
Présent sur les murs des bâtiments, les sols, les mobiliers urbains et même les arbres par
exemple, le point commun le plus fort du street art n’est autre que celui-ci : il se situe dans
des espaces publics, des lieux ouverts à tous, gratuits et faciles d’accès. De ce fait, il est aisé
de tomber nez-à-nez avec une œuvre au détour d’une ruelle par exemple. Tout le monde est
touché et a son mot à dire sur ce sujet de conversation devenu courant, même chez les non-
spécialistes.
Même si, comme à ses origines avec le graffiti dans les années 1970, le mouvement souffre
encore parfois d’une image péjorative, il est aujourd’hui grandement valorisé avec des
qualificatifs positifs tels que graffiti-art ou art urbain par exemple. De nombreux livres,
magazines, films, sites internet sont consacrés à ses diverses formes. Aujourd’hui, l’intérêt et
l’enthousiasme que le grand public porte à l’art urbain n’est plus à prouver. Cette pratique
internationale, unique en son genre, est considérée par certains comme LE mouvement
artistique du 21ème siècle.
On observe même un changement de paradigme car, comme l’a déclaré l’écrivain et
urbaniste Scott Burnham, la rue est désormais « un gigantesque laboratoire culturel »4
qui
influence les tendances des institutions culturelles. Mais, dès lors que le street art sort de la
rue pour retrouver l’espace confiné des galeries et des salles de ventes, se pose la question
de la légitimité de son institutionnalisation. De plus, nombreuses sont les villes qui n’hésitent
plus à passer des commandes publiques d’elles-mêmes auprès de street artistes. Elles sont
aussi suivies par les marques, qui se sont empressées d’utiliser le mouvement dans le cadre
de campagnes ou de créations de produits spécifiques.
4
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 7.
7
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Comme le montre cette citation de l’artiste Anat Ronen : « Ces derniers temps, il me semble
que l’on a assisté à une véritable explosion artistique : dans les musées, les galeries, les
ateliers ; sur Internet et Instagram, dans les espaces confinés comme sur les surfaces
monumentales que nous offrent notre planète. »5
Le street art se trouve aujourd’hui à un
tournant important de son histoire et les médias numériques6
ne sont pas neutres dans
cette évolution. Internet permet l’anonymat, la gratuité, le partage, l’échange et la
conservation. Pour toutes ses caractéristiques, il représente une opportunité pour le street
art et a fortement contribué à améliorer la notoriété et l’image du mouvement. Mais, on
peut se demander si cette surexposition n’engendre pas une démocratisation et une
institutionnalisation qui le dénaturent et entrainent une perte de sens et d’identité.
Au travers de ce mémoire, je vais donc me pencher sur la problématique suivante :
Comment le street art peut-il tirer parti de la communication digitale alors que celle-ci
représente un danger d’institutionnalisation contraire à son essence première?
Pour y répondre, j’aborderai, dans un premier temps, le contexte du street art. Je
présenterai plus précisément le mouvement ainsi que son histoire, son évolution et les
acteurs qu’il touche.
Dans une seconde partie, j’observerai la présence du street art dans les médias numériques
en analysant les pratiques de communication des acteurs impliqués. J’utiliserai, notamment,
pour cela, les résultats des enquêtes que j’ai préalablement menées.
Pour finir, grâce à toutes mes recherches, je proposerai des conseils et solutions pour
communiquer de manière efficace sur les médias numériques. Je me placerai, tour à tour, à
la place des différents acteurs.
Enfin, j’ai choisi de réaliser mon mémoire sur le street art car le milieu culturel est un
domaine qui me passionne et dans lequel j’aime graviter, notamment en m’y impliquant
bénévolement. Le street art, plus précisément, est l’un des mouvements qui m’intéresse
particulièrement. Intégrer ce mémoire dans mon parcours scolaire me semble donc être en
parfaite cohérence avec le chemin que je souhaite suivre, à savoir, me spécialiser dans la
communication culturelle.
5
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 6.
6
Médias numériques : Médias, c’est-à-dire, procédés permettant la distribution, la diffusion ou la
communication d'œuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels en lien avec
l'ordinateur, l'informatique et les NTIC.
8
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
I. PRESENTATION DU CONTEXTE
A. Genèse du mouvement street art
Afin de comprendre et cerner au mieux le mouvement street art, il convient tout à bord de
se pencher sur son histoire, depuis ses origines jusqu’à sa forme actuelle. En effet, cela n’est
pas sans incidence sur ce qui constitue aujourd’hui ses caractéristiques intrinsèques.
1. Une pratique intemporelle, qui traverse les époques depuis la Préhistoire
L’histoire de l’art est couramment décrite et appréhendée grâce à la présentation d’une
succession de courants artistiques regroupant des artistes et œuvres artistiques liés par une
esthétique commune.
Cependant, en marge de cette logique admise par l’ordre général et de cette histoire de l’art
officielle, a toujours existé une forme d’art particulière. De tous temps, l’Homme s’est
adonné à une pratique pouvant être associée au street art. Les premières formes de l’art
humain : les peintures rupestres néolithiques, remontant à près de 40 000 ans, peuvent, en
effet, être identifiées comme les premiers ancêtres du mouvement. Leurs emplacements en
plein air et au sein d’espaces communs font, sans difficulté, penser aux lieux où se retrouve
le street art actuel. Même si on ne peut affirmer avec certitude les fonctions de ces
symboles, il est intéressant de noter que « quelles que soient leurs intentions, les hommes
partagent leur espace quotidien avec l’art depuis des millénaires. »7
2. Une première appellation, le « graffiti »
L’expression « street art » n’est apparue que récemment dans le langage courant de nos
sociétés. Le premier terme ayant été utilisé et pouvant être rapproché de la pratique est, par
contre, né dès 1865 dans le texte Graffiti de Pompéi8
. A l’époque de la cité antique, les
inscriptions non officielles dans l’espace public existaient déjà et étaient alors nommées
« graffitis ». Mais, bien que des rapprochements entre cette définition et l’art urbain soient
inévitables, les racines et origines du mouvement sont en réalité à rechercher dans des
pratiques bien plus récentes et proches de notre société actuelle.
3. Les origines de l’art urbain : la propagande et les arts populaires
Il n’est pas aisé de retracer l’histoire de l’art urbain qui ne possède pas réellement d’unité et
d’homogénéité autre que son lieu d’apparition : la rue et l’espace public. En partant du
postulat qu’il s’agit du point commun fondamental du mouvement, on peut identifier deux
domaines comme fondateurs de l’art urbain : la propagande (publicitaire et politique) ainsi
que les arts populaires.
7
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 21.
8
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 20.
9
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
La réclame et l’affiche publicitaire peuvent ainsi être considérées comme l’une des
premières formes proches du street art. Les artistes, techniques et mouvements associés en
ont fait de véritables œuvres d’art à la portée des passants. Un bon exemple illustrant cela
est celui de la Russie du début du 20ème siècle avec, par exemple, Lénine qui avait alors
lancé une campagne de propagande délinée principalement sur deux supports : la fresque
murale et l’affiche. Au Mexique, à la même période, l’art urbain a, par contre, plutôt pris ses
racines dans le muralisme, un mouvement artistique initié par le peuple, qui a envahi
l’espace public à des fins politiques9
.
Au 20ème siècle, il s’agissait donc déjà d’un art créé par et pour le peuple dont la fonction
première était d’attester une présence mais aussi d’exprimer une opinion, surtout dans un
contexte de tension ou de conflit.
4. La naissance de l’art urbain en tant que nouvel espace d’expression
C’est dans les années 1960 que l’art urbain a réellement éclos dans les pays occidentaux,
notamment en France, et il n’y a rien d’étonnant à cela. Le contexte contestataire était en
effet très opportun avec, par exemple, mai 68, la Guerre Froide, la naissance d’une contre-
culture, l’avènement de la société de consommation et l’explosion urbaine. Des artistes, tels
que Daniel Burren, sont sortis dans la rue pour lutter contre les institutions qui laissaient peu
de place à l’expression libre. Leur but était aussi en cela, d’inscrire leurs œuvres dans leur
contexte, c’est-à-dire, de révéler les caractéristiques spatiales et architecturales du lieu dans
lequel elles s’inscrivaient et de se rapprocher du public. En se saisissant d’un espace
d’exposition aussi vaste qu’il est bon marché, ces artistes ont réussi à « déranger » la
relation entre l’artiste, l’institution et le régime économique de la création.
5. Du graffiti au post-graffiti
Le graffiti, défini comme une inscription, un dessin griffonné ou gravé à la main sur un mur10
,
est né dans les années 1960, simultanément, à New York et à Philadelphie. Les deux villes
s’en disputent toujours la paternité mais le phénomène est comparable : « des milliers
d’adolescents de toutes conditions commencent à recouvrir les murs d’écritures et
chiffres »11
. Pour que le graffiti émerge en tant que phénomène esthétique, il faut
cependant attendre qu’apparaissent la notion de style et les efforts calligraphiques. Au
début des années 1970, le terme de « writing »12
apparait ainsi suite au désir des graffeurs
de soigner leurs graffitis pour se distinguer et sortir du lot.
Puis, dans les années 1980, le phénomène devient massif et s’étend au reste du monde.
Cependant, la presse et le grand public le perçoivent comme un signe d’insécurité, le
condamnent et dépensent pour l’endiguer. Entre temps, le mouvement est devenu une
9
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 20.
10
controverses.sciences-po.fr/archive/streetart/wordpress
11
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p.
46.
12
Writing : Catégorie du graffiti correspondant à la calligraphie propre aux tags et au travail de la
lettre.
10
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
sous-culture de masse touchant les adolescents de toutes les classes sociales et la
reconnaissance débute aussi avec les premières expositions et parutions sur le sujet.
Les « writers »13
, à l’étroit dans les codes du graffiti, ont ensuite commencé à en bousculer
les règles pour donner naissance à une nouvelle mouvance globale caractérisée par une
grande diversité de formes, supports, techniques et outils. Apparu à la fin des années 1990,
le street art correspond donc au renouveau d’une production artistique à la fois publique,
éphémère et illégale. Les œuvres ne s’adressant plus désormais aux seuls initiés mais à un
public plus large, le street art bénéficie d’une meilleure perception de la part de la
population mais doit beaucoup au graffiti qui a ouvert la voie à la pratique d’un art
clandestin dans les villes. Le graffiti peut être considéré comme le vrai « père fondateur » du
street art qui a aussi été nommé « post-graffiti », « néo-graffiti » ou encore « peinture
urbaine ». A ce titre, la galeriste parisienne Magda Danysz a d’ailleurs affirmé que, d’après
elle, la culture du mouvement était totalement héritière du graffiti car tous les artistes
qu’elle a exposés, sans exception, en sont issus. Ainsi, même des artistes dont les œuvres
semblent aujourd’hui éloignés du graffiti, tels que JR par exemple, ont pourtant très souvent
commencé par là.
Répondant à des codes différents, les deux pratiques continuent actuellement d’évoluer
indépendamment côte à côte.
B. Caractéristiques et essence du street art
Comme nous venons de le voir, le street art a une histoire unique et très riche qui lui confère
ce caractère si particulier et distinctif des autres courants artistiques. Il convient maintenant
de se pencher plus précisément sur les aspects constitutifs de son identité et qui contribuent
d’autant plus à le distinguer des autres mouvements.
1. Un territoire singulier : la rue
Tout d’abord, le point commun entre toutes les œuvres regroupées sous l’appellation
« street art » n’est autre que celui-ci : elles se situent toutes dans la rue et de manière plus
générale, dans les espaces publics. Il s’agit donc de lieux ouverts à tous, gratuits et faciles
d’accès, pour le spectateur mais aussi pour l’artiste.
a. Un art à la portée de tous
Cet emplacement permet à l’artiste de gagner en visibilité en touchant un public large, ce
qui fait partie de ses buts premiers. Nous pouvons ainsi citer Blek le Rat, figure dominante
du pochoir urbain qui a déclaré à propos des street artistes « leurs œuvres sont vues en
galeries par une quarantaine de personnes, et dans les musées par une dizaine de visiteurs,
alors que, dans la rue, c’est une centaine de milliers de personnes qui les voient. Et ce qui
donne toute son essence à une œuvre, c’est le fait d’être vue et non pas d’être vendue ou
13
Writers : Désigne ceux qui écrivent leur nom sur toutes sortes de supports urbains.
11
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
reconnue comme une œuvre d’art dans un musée, c’est d’être vue par des gens. »14
Grâce à
cela, l’artiste peut aussi faire découvrir l’art à un public qui en est parfois éloigné. On peut
donc définir le street art comme un art pour tous et à la portée de tous.
b. Des œuvres hors des codes établis
En prenant place dans la rue et non dans les galeries, les musées ou tout autre établissement
officiel conçu spécifiquement pour recevoir des œuvres, le mouvement défie les pouvoirs et
pratiques institutionnelles. Il fait fi du cadre légal, des règles du marché de l’art, des codes
de la commande ou encore du mécénat et bénéficie d’un espace d’exposition aussi vaste
que bon marché.
c. Un ancrage contextuel
Mais, la place importante de la rue dans l’identité du mouvement vient aussi du fait qu’il se
définit essentiellement par son ancrage contextuel. Cela signifie que bien souvent, les
œuvres sont propres à un emplacement spécifique. Elles sont créées et destinées à un lieu
unique et sont indissociables de celui-ci telles que les œuvres de Banksy sur le mur de
séparation israélo-palestinien ou encore, parmi tant d’autres, les sculptures pixel de Kelly
Goeller représentant de l’eau s’échappant de tuyaux présent dans l’environnement urbain.
La rue est donc essentielle dans le street art et se retrouve au cœur de son identité car il
s’agit du point si particulier de rencontre entre l’œuvre d’art (et son emplacement), l’auteur
et le spectateur, où chacun joue un rôle. Mais, comme le présente la galeriste Magda
Danysz, « Les writers ne peuvent pas se définir uniquement par la rue »15
.
2. Des œuvres éphémères
Ensuite, l’une des caractéristiques les plus facilement identifiables et communes aux œuvres
de street art repose sur leur éphémérité. Leur durée de vie est limitée et conditionnée par le
fait qu’elles soient enlevées, recouvertes ou abîmées, que ce soit de manière intentionnelle
ou simplement naturelle. De ce fait, certaines œuvres ne sont visibles que pour quelques
chanceux et de leur créateur. Mais, loin de représenter un point faible, cela constitue plutôt
un des atouts du mouvement en donnant une dynamique aux œuvres ainsi qu’à la ville par là
même. Cela participe à vivifier et animer l’espace public tout conférant un caractère de
rareté aux créations. Celles-ci ne sont pas réalisées dans un but de conservation mais au
contraire, sont destinées à une « consommation immédiate ». La fragilité du street art est
donc porteuse de sens.
14
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 70.
15
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p.
114 (entretien avec la galeriste Magda Danysz, 2012).
12
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
3. Des formes, outils et styles variés
a. Bombes et marqueurs
Par leur facilité à être transportés et leur coût abordable, les marqueurs, peintures aérosols
et caps sont couramment associés aux outils de base du graffeur. Le tag constitue, quant à
lui, la forme la plus élémentaire du graffiti et correspond à une signature ou un symbole
dessiné hâtivement à la bombe16
.
Cependant, tant les instruments, que les techniques ou encore les formes et les styles
regroupés sous l’appellation « street art » sont extrêmement plus divers et variés. En voici
quelques uns parmi les principaux.
b. Pochoirs
Les pochoirs représentent l’un des outils essentiels du mouvement. Economiques et
permettant une possibilité de duplication infinie, ils ont rapidement été adoptés par bon
nombre d’artistes. Citons, par exemple, le précurseur parisien Xavier Prou qui tient son
pseudonyme « Blek le Rat » de ses pochoirs de petits rongeurs et dont on ne peut que
constater aujourd’hui l’influence sur l’artiste britannique Banksy qui, lui, a fait du pochoir sa
marque de fabrique.
c. Stickers et affiches
L’affiche permet une rapidité de pause mais nécessite un matériel encombrant. Les
stickers quant à eux, qui sont tout simplement des autocollants, ont décollé (sans mauvais
jeu de mots), suite à la campagne Obey Giant de Shepard Fairey qui a envahie le monde à la
fin des années 1990. Ils permettent de contourner les contraintes principales du graffiti car
grâce à une installation simple, rapide, nécessitant peu de matériel et moins dégradant pour
le support et l’environnement.
d. Autres formes
N’importe quel matériau peut aussi être transformé en sculpture et le mobilier urbain peut,
à cet exemple être recouvert de tricot comme avec le « yarn bombing ».
Parmi les multiples autres formes, nous pouvons encore mentionner la gravure et des
œuvres précises comme celles de Vhils qui ne rajoutent aucune matière mais se contentent
de mettre à nu les couches des supports utilisés.
Le « clean tag » ou « reverse graffiti » consiste, d’ailleurs, lui aussi à ne pas rajouter mais à
retirer les couches de saleté des surfaces choisies.
Les street artistes puisent dans toutes sortes de disciplines pour trouver leurs inspirations et
leurs influences sont larges et diverses : beaux-arts, hip-hop, pop-culture, etc.
16
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 24.
13
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
En définitive, nous pouvons reprendre cette citation qui illustre avec une grande justesse la
réalité : « l’art de la rue peut prendre autant de formes qu’il existe de rues. »17
4. Liberté d’expression et contestation
a. Liberté d’expression
Indépendamment du contenu du message délivré, la rue apparait pour les graffeurs comme
«un lieu où assouvir leur formidable besoin d’expression »18
et affirmer leur liberté en
s’affranchissant de tous les codes et médiations. Par son existence et sa présence, la
peinture urbaine a ainsi pour fonction de « rappeler l’importance de la liberté d’expression
et d’individualité de chacun »19
.
Certains artistes s’expriment sans avoir forcément de message particulier à faire passer mais
plus une envie de se faire plaisir, d’embellir l’espace et de créer « une échappatoire
imaginative » comme pour le duo d’artistes THTF20
. D’autres ont pour but de divertir, faire
réfléchir, voire améliorer la conscience sociale et créer une réaction concernant des
problématiques sociopolitiques et culturelles.
b. Résistance, contestation et rébellion
Comme je viens de l’introduire précédemment, les street artistes constituent un ensemble
hétéroclite avec des motivations et messages divers et propres à chacun.
Mais, indépendamment de l’intention de l’artiste, quelle qu’elle soit, produire de l’art urbain
est déjà en soi « une forme de résistance à l’imagerie autorisée. » car « toute modification
visuelle non autorisée d’un espace urbain est une forme de rébellion contre la construction
capitaliste du lieu. »21
Il est aussi à noter que de tout temps, la rue a été « le terrain d’expression privilégié de
l’activisme »22
en citant par exemple les manifestations en tout genre qui s’y déroulent. Ce
n’est ainsi pas un hasard si l’avènement du street art coïncide parfaitement avec l’apparition
sur la scène médiatique de l’altermondialisme. Plusieurs artistes se positionnent contre la
globalisation et d’autres problématiques contemporaines comme Banksy avec ses
détournements. D’autres types de protestations sont observables avec, parmi beaucoup
d’autres, l’exemple de Blek le Rat qui a disséminé en 2005 des portraits de la journaliste
Florence Aubenas alors retenue en Irak afin d’attirer l’attention des médias sur sa situation.
17
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 145.
18
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p.
70.
19
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 112.
20
Cf Annexe 12, Entretien avec THTF.
21
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 73.
22
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p.
40.
14
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Bien souvent, le street art conteste et remet donc en question le système de l’art, la société
de consommation et la médiatisation à outrance tout en défendant la liberté de pensée et
d’expression et en favorisant la prise de conscience sociale.23
5. Une pratique encore illégale
Les dispositions légales sont propres à chaque pays et varient même selon les villes.
Certaines nations se montrent plus tolérantes que d’autres comme en Amérique Latine
tandis que d’autres sont plus strictes et sévères comme en République Tchèque où les THTF
se sont fait réprimander : « pour 3 affiches collées, ils nous ont pris tout notre matériel plus
24 heures de garde à vue ».24
a. La loi française
En France, le street art reste encore un délit puni par la loi d’après les articles 322-1, 322-2 et
322-3 du Code Pénal déclarant :
« La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie
de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un
dommage léger.
Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur
les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros
d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un
dommage léger. »
Ces peines pouvant être portées, selon les circonstances, jusqu’à 100 000 euros d'amende et
sept ans d'emprisonnement pour l’infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 et à
15 000 euros d'amende et une peine de travail d'intérêt général concernant celle définie au
deuxième alinéa du même article.25
Les artistes ne possèdent souvent pas le bien sur lequel ils créent, n’ont pas non plus reçu de
commande ni demandé de permission alors, la majorité des œuvres de street art qont
réalisées de manière illégale.
b. Motif de valorisation, d’exaltation ou de contestation
Dans l’art urbain, il est rarement question de détruire dans le seul but de détruire.
Certains artistes font de cette transgression le but premier de leur geste car au même titre
que la qualité de la réalisation, les risques pris lors de l’exécution entrent en ligne de compte
dans le jugement du street artiste par ses pairs.
D’autres apprécient juste l’exaltation et l’adrénaline provoquées comme le souligne Florent
Soragna, propriétaire de la boutique 81 Store en précisant que l’illégalité « fait partie des
règles du jeu depuis le début, c’est aussi ce qui stimule les artistes ».26
23
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 96.
24
Cf Annexe 12, Entretien avec THTF.
25
www.legifrance.gouv.fr/
26
Cf Annexe 7, Entretien avec Florent Soragna.
15
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Tandis que d’autres soutiennent une démarche visant à remettre en cause le pouvoir
juridique et politique. Dans ce dernier cas, on peut, par exemple, citer le cas des œuvres
s’élevant contre les caméras de surveillance londoniennes ou encore les nombreuses
créations ornant le mur de Berlin en guise de protestation contre son existence.
L’illégalité du street art ne limite donc pas à sa pratique mais est plutôt une marque de son
authenticité et fidélité et fait partie intégrante de son essence.
C. Un mouvement en pleine reconnaissance
1. Institutionnalisation et pouvoirs publics
La reconnaissance correspond à l’acceptation et la légitimation de quelque chose. De ce fait,
la reconnaissance du mouvement se caractérise premièrement par l’attitude des institutions
et pouvoirs publics à son égard.
Dès 1985, on a pu constater une forme d’acceptation institutionnelle avec l’initiative du
ministère de la Culture nommée « La Ruée vers l’art » et réunissant les pochoirs de Blek, Jef
Aerosol ou Speedy graphito sur les murs du Marais.
Cependant, la réelle reconnaissance institutionnelle n’est apparue que bien plus récemment,
en écho aux succès commerciaux du street art en galerie et salle des ventes. Désormais, les
collectivités n’hésitent plus à passer des commandes publiques ou à organiser des
événements, festivals, expositions en plein air.
L’un des événements les plus marquants de cette institutionnalisation au niveau des
pouvoirs publics est sans doute la récente intégration d’une œuvre de street art dans la Salle
des Mariannes du Palais Bourbon en janvier dernier. Au milieu de la collection de bustes, la
nouvelle venue créée par le graffeur américain JonOne se démarque et détonne.27
Des murs y sont aussi consacrés comme depuis 2008 à New York avec le Bowery Mural qui
accueille des œuvres commandées par les propriétaires du mur ainsi que la galerie The Hole
ou à Paris « Dans le XIe arrondissement, l'association le MUR [NDLR : Modulable, urbain,
réactif] invite des artistes à s'emparer de l'espace anciennement occupé par un panneau
publicitaire de 3x8 mètres. Chaque nouvelle œuvre recouvre la précédente, perpétuant ainsi
l'essence éphémère de l'art urbain.»28
A Lyon, la Ville a par exemple participé à deux manifestations en relation avec des street
artistes :
- En mai 2010, Perfusion, un parcours street-art avec 24 artistes venus du monde entier
autorisés à taguer des locaux vacants.
27
JARDONNET, Emmanuelle, « Avec JonOne, une Marianne street art entre au Palais Bourbon », in
lemonde.fr, 21 janvier 2015.
28
BORDIER, Julien, « Street Art: un mouvement qui s’institutionnalise », in lexpress.fr, 15 février
2013.
16
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
- Chaque année, depuis plus de 10 ans, la Ville organise le festival Original durant lequel les
artistes urbains peuvent s’exprimer (notamment sur des panneaux prévus à cet effet dans la
cour de l’Hôtel de Ville).29
Le sujet s’est placé au cœur des préoccupations et des conversations et a entrainé dans son
sillage des initiatives telles que la Commission inter-conseils de quartier du premier
arrondissement de Lyon30
qui a été pensé pour créer un espace de dialogue sur l’art urbain
afin d’ouvrir les mentalités des habitants.
La galeriste Magda Danysz explique l’attitude des institutions ainsi : « Aujourd’hui dans les
boards, il y a des gens à qui ça parle. ». Et cela se justifie par la médiatisation ainsi que le fait
que les décideurs actuels soient nés aux côtés du mouvement.
Cependant, cette évolution pose des questions car elle diminue dans un même temps la
portée subversive du street art que nous avons définie plus tôt et limite souvent la liberté de
création des artistes.
Pour finir, il est vrai que les œuvres commandées peuvent très bien s’intégrer dans l’espace
public tandis qu’une pièce réalisée de manière illégale peut chercher à détruire, vandaliser
ou altérer le message ou espace qu’elle recouvre. Mais l’inverse est aussi vrai. Ce n’est pas
parce qu’une œuvre est commandée qu’elle respecte forcément l’espace public et une
œuvre illégale peut revêtir une fonction éducative et créative elle aussi.31
2. Galeries, expositions, marché de l’art
En 1980, la galerie new-yorkaise Fashion Moda accueillait déjà le « Times Square Show »
considérée comme l’exposition ayant permis au graffiti de rentrer dans le monde de l’art.
Mais, il a en réalité fallu attendre ses dernières années pour atteindre la reconnaissance des
plus prestigieuses institutions culturelles telles que la Tate Modern, le Grand Palais, la
Fondation Cartier ou encore le MoCA (Museum of Contemporary Art) qui ont consacré des
expositions au mouvement.
Depuis 2005 environ, le marché de l’art, porté par des records jamais observés en salle des
ventes, se montre de plus en plus ouvert à l’art urbain. Ce phénomène étant renforcé par le
soutien de la commande publique et l’encensement de certains artistes.32
A l’engouement
des médias et des institutions se couple donc inévitablement celui des collectionneurs.
Même une galerie comme Clémoushka qui vient juste d’ouvrir en janvier dernier observe
des « ventes très satisfaisantes » et Clémence Desrozes, la propriétaire, nous précise tout de
même qu’il existe « deux catégories d’acheteurs, ceux qui sont passionnés et ceux qui sont
uniquement attirés par l’argent ».33
29
Cf Annexe 4, Entretien avec Audrey Charveron.
30
Cf Annexe 3, Entretien avec Laure Abouaf.
31
THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 47.
32
LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p.
94.
33
Cf Annexe 8, Entretien avec Clémence Desrozes.
17
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Du côté des artistes, selon Jérémie Masurel, propriétaire de la Galerie Slika, « il y a tout
d’abord une motivation économique […]. Et ça permet aussi de contourner le problème de
l’illégalité et de la répression. »34
Les œuvres de street art étant, par définition, gratuites et
non commercialisables, se faire une place sur le marché de l’art est un moyen de vivre de
leur passion. Ces choix ne sont cependant par toujours bien acceptés. Nous pouvons par
exemple évoquer le cas de Birdy Kids, traité de « vendu » par certains de ses pairs suite à la
commercialisation de son art. Ce jugement est sûrement empreint d’une certaine jalousie
mais aussi basé sur des convictions fortes.
Cependant, dès lors, une contradiction apparaît car comme je l’ai défini auparavant, le street
art est un art contextuel et non un phénomène artistique comme les autres. De ce fait, son
passage en galerie provoque un appauvrissement, lui fait perdre en dynamisme en
l’enfermant dans un lieu clos. L’exposition de l’art urbain en galerie lui ôte la puissance de
son caractère brut et la sensation de mouvement, d’immédiateté et d’énergie véhiculée qui
y est liée.
3. Démocratisation du mouvement et médiatisation
Comme j’ai pu le présenter dans les deux parties précédentes, un enthousiasme sans
précédent envers le mouvement est constatable de la part des institutions et du marché de
l’art mais les médias sont, eux aussi, loin d’y être insensibles.
Leur rôle n’est pas non plus à négliger dans ce changement de perception du public et cet
élan de reconnaissance. Le nombre de livres publiés, d’articles, mais aussi de films, émissions
ou documentaires a explosé durant ces dix dernières années. Internet possède une place
importante dans la médiatisation du street art car pas une semaine ne passe sans qu’un
nouvel article ne paraisse sur la toile.
Ces observations se retrouvent dans les résultats de l’étude quantitative35
que j’ai menée. Il
s’agit d’un questionnaire auquel 105 personnes de statuts variés ont répondus. Il m’a été
possible de constituer un échantillon représentatif de la population et d’extrapoler les
constatations au grand public de manière globale.
Ainsi, avec 90% des répondants affirmant connaître le street art, nous pouvons constater
que sa notoriété est actuellement très bonne auprès du grand public. Ensuite, 46%, c’est-à-
dire presque la moitié des interviewés se dit intéressée par le mouvement, suivi par 28% de
personnes se disant très intéressées. L’intérêt porté au mouvement est donc relativement
fort. Ne passons tout de même pas sous silence le fait qu’une frange non négligeable de la
population associe toujours la pratique à des qualificatifs relatifs à la dégradation (5%) et au
vandalisme (2%).
34
Cf Annexe 9, Entretien avec Jérémie Masurel.
35
Cf Annexe 1, Etude quantitative.
18
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
D’après Aurélien Michaud, co-fondateur de l’application et site web Urbacolors, « le
mouvement est désormais « intégré aux codes de la société » et il est « compatible avec
[son] état d’esprit ».36
Ensuite, plus de la moitié des répondants (53 %) est capable de citer des noms d’artistes de
manière spontanée avec pour noms principaux sortant du lot ceux de Banksy, JR, C215, Mr
Chat, Shepard Fairey, Space Invaders, Birdy Kids, Combo, Jean Michel Basquiat, André, Miss
tic, etc. Les noms cités sont bien souvent les mêmes et correspondent aux street artistes les
plus médiatisés mais rares sont les interviewés capables de donner des noms de « petits »
artistes.
En résonance avec ces observations, nous pouvons observer l’émergence d’un phénomène
de starification et « peoplisation » des street artistes. En tête de liste, je peux ainsi reprendre
les noms de Banksy et JR. Tous deux jouissent d’un fétichisme particulier et les œuvres de
Banksy peuvent facilement dépasser le million de dollars. Invader n’est pas non plus en reste
et voit lui, par exemple, ses prix progresser, pour atteindre les 20 000 euros désormais.37
Certains cherchent alors l’anonymat par choix artistique ou tout simplement pour ne pas
risquer de poursuites judiciaires. Comment ne pas, encore une fois, citer Banksy pour
illustrer ce profil. Il est actuellement l’un des street artistes les plus connus, si ce n’est le plus
connu, sur la scène internationale mais son identité reste pourtant toujours parfaitement
ignorée et difficile à percer de la part du grand public. D’autres, au contraire, tels que
Shepard Fairey, restent sous les feux de la rampe et travaillent sur des fresques installées à
la vue des passants, créent des partenariats avec des marques, etc. Ce rapprochement
commercial est mal vu par certains, considérant que cela va à l’encontre des valeurs du
mouvement.
Mais, ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent et nous pouvons nous demander si ce
sont bien ceux qui le « méritent » le plus. Mais répondre à cela ne semble pas évident, sur
quoi pouvons-nous nous baser et que signifie la notion de mérite ?
Parmi les médias, une catégorie se détache, comme je l’ai évoqué précédemment. Il s’agit
des médias numériques. Comme le présente Florent Soragna, « à la base le graffiti et le
street art c’est une pratique d’auto-communication et d’autopromotion où le but est d’être
vu alors internet est un outil parfaitement adapté au mouvement. »38
. Ce à quoi Julien
Mariette, propriétaire de la librairie Datta, rajoute que « Le street art est un monde de star
système et de reconnaissance […]. Il y a un besoin d’être connu donc c’est plutôt en
adéquation avec internet. »39
Cependant, ces opinions sont à contraster avec d’autres
notions contraires à l’essence du mouvement telle que je l’ai définie tout au long de cette
première section.
36
Cf Annexe 6, Entretien avec Aurélien Michaud.
37
AZIMI, Roxana, « Le street art n’est plus à la rue », in lemonde.fr, 30 mars 2015.
38
Cf Annexe 7, Entretien avec Florent Soragna.
39
Cf Annexe 10, Entretien avec Julien Mariette.
19
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Dans cette première partie, j’ai donc pu présenter les composants essentiels de l’identité du
mouvement et le contexte actuel dans lequel il s’inscrit. On constate ainsi une
institutionnalisation du mouvement à plusieurs niveaux de manière simultanée : pouvoirs
publics, marché de l’art et du commerce, monde médiatique, etc. Cependant, cela
n’empêche pas qu’une certaine forme de répression sur le sujet, notamment au niveau
judiciaire, continue de perdurer. Ces évolutions, bien que bénéfiques quant à la notoriété du
street art, semblent, néanmoins, l’éloigner de son essence première. C’est dans cette
perspective que je vais me pencher plus vivement sur la présence du street art dans les
médias numériques et que je chercherai à savoir comment orienter la communication
digitale liée au mouvement.
20
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
II. Médias numériques, un nouveau territoire pour le street art
A. Panorama des canaux de communication digitaux
La digitalisation du street art n’est pas, en réalité, un phénomène si récent qu’il peut y
paraître. En effet, les premiers sites consacrés au mouvement sont nés dès les années 1990,
c’est-à-dire en même temps que l’émergence du web auprès du grand public lui-même.
Aujourd’hui la variété des supports existants s’est considérablement densifiée et l’on peut
affirmer que « La visibilité des graffitis sur internet est déjà sans doute aussi importante que
leur présence dans la rue »40
.
1. L’importance de la photographie dans une « société de l’image »
Depuis les vingt dernières années, on peut constater que l’image a acquis un statut de plus
en plus important et privilégié au sein de nos sociétés modernes. Ses moyens de diffusion et
de consommation n'ont jamais été aussi nombreux et nous nous retrouvons confrontés à un
nombre d’images considérable chaque jour.
Rien d’étonnant donc, suite à cette observation, à constater le nombre de photographies de
street art présent sur internet ni le fait que 67% des personnes que j’ai interrogées ont déjà
pris en photo des œuvres de street art. A cela s’ajoute, de plus, une tendance propre à
internet qui a érigé le citoyen lambda au rang d’acteur et diffuseur sur la toile. Les chiffres de
l’étude que j’ai menée illustrent bien cette tendance avec 41% des interviewés déclarant
avoir ensuite publiées les photos prises sur internet.
2. Les sites internet
Les sites internet représentent le premier support digital qui est apparu et il en existe
désormais de natures très différentes.
a. Galeries et photothèques
Il existe tout d’abord, comme forme la plus simple, des sites internet entièrement consacrés
au mouvement et réalisés par des passionnés ou des professionnels. Ceux-ci peuvent revêtir
la forme la plus simple, c’est-à-dire constituer une simple galerie regroupant une large
palette d’œuvres photographiées et répertoriées. Dans ce cas, il est aussi possible que la
galerie en question propose l’achat de certaines réalisations. L’Institut culturel de Google a
par exemple lancé depuis l’année dernière, son « Street Art Project ». Il s’agit d’une interface
accessible depuis le moteur de recherche Google et présentée sous forme de photothèque
dont l’objectif est de faire découvrir l’art urbain du monde entier directement sur internet.
Plus de 10 000 images, mais aussi, des vidéos et interviews y sont référencées et permettent
de découvrir les processus de création.
40
STAHL, Johannes, Street art, Paris, 2009, Ullmann Publishing, 288 pages, p. 222.
21
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
b. Cartographies interactives
Une forme de services complémentaire a actuellement le vent en poupe. Il s’agit du
« mapping » que l’on peut définir comme la mise en cohérence entre deux types
d'informations distincts, dans le cas présent, la localisation et le visuel d’une œuvre. Ainsi,
29% des personnes que j’ai interrogées ont déjà utilisé un service de pré-localisation sur
internet avant d’aller voir une œuvre en réel, ce qui n’est pas négligeable. Le site paris-
streetart.com bénéficie par exemple d’une bonne renommée et à une échelle plus globale
nous pouvons évoquer l’exemple de urbacolors.com. Ce dernier va même plus loin en
proposant un véritable site communautaire et en reprenant les codes des réseaux sociaux.
c. Sites transversaux dédiés au street art
Certains sites internet vont au-delà de la seule proposition d’une galerie en ligne
(cartographiée ou non) et proposent d’y ajouter d’autres services comme street-art-
lyon.com entièrement consacré au territoire lyonnais. Il regroupe une galerie mais aussi une
cartographie, un calendrier synchronisant tous les événements portant sur le mouvement et
organisés par diverses structures telles que les galeries, des portraits d’artistes et répertorie
encore, pour finir, les galeries dédiées au street art. Ce type de sites très complets avec ces
services complémentaires se développe de plus en plus. En effet ils répondent à une
demande de la part de la population. Parmi les 38 % de personnes m’ayant répondu s’être
déjà rendus sur un site internet consacré au street art, ceux s’y étant déjà rendus l’ont fait
en majorité dans le but de regarder des œuvres (30%). Cependant, 21% d’entre eux
cherchait par cela à en savoir plus sur un artiste ou encore à localiser des œuvres (17%).
d. Sites et blogs d’artistes
A côté de ces sites internet mis en ligne par de simples passionnés ou professionnels en lien
avec le mouvement, nous en trouvons de nombreux autres issus de l’initiative des street
artistes eux-mêmes. Pour n’en citer que deux, Levalet ou encore Fred le Chevalier
représentent des bons exemples d’artistes français communiquant de manière régulière via
leurs sites personnels. Souvent, ces sites sont reliés aux pages ou profils du personnage en
question et il existe parfois une boutique où sont vendues certaines de ses réalisations.
De l’avis de plusieurs aficionados du mouvement, dont les galeristes avec lesquels j’ai eu
l’occasion d’échanger, la plateforme la plus aboutie reste à ce jour celle développée par
Invader. L’inventivité et la cohérence de son projet est saluée de tous. Son site internet met
en valeur l’idée forte et porteuse de sens sur laquelle il s’appuie depuis ses débuts. En effet,
il a envahi l’espace public, au sens littéral du terme, avec ses petits personnages en
mosaïque inspirés du jeu vidéo « Space Invaders ». Il a ensuite poussé le concept et son
rapport au numérique au maximum en proposant aux internautes un jeu grandeur nature
dans lequel le site constitue le support d’annonce et de référencement de nouvelles œuvres
auxquelles partir à la recherche. Mais, il y diffuse aussi ses actualités, dates d’expositions,
boutique en ligne, etc. Il s’agit d’une véritable vitrine pour l’artiste qui a réussi à exploiter le
support de manière ingénieuse.41
41
Cf Annexe 16 : Capture d’écran www.space-invaders.com.
22
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
e. Sites consacrés à des projets spécifiques
Des sites internet mis en ligne lors d’occasion bien particulières existent aussi. Nous pouvons
dans un premier temps mentionner le très réussi web documentaire « Défense
d’afficher ».42
En se rendant sur le site créé en 2012, l’internaute est propulsé en slow
motion dans une déambulation urbaine qui l’emmène sur les traces de 8 artistes, dans 8
villes du monde au travers de courts documentaires.
Un second exemple intéressant à évoquer est celui du projet de la Tour Paris 13, consultable
depuis 2013. L’objectif : offrir une seconde vie numérique à des œuvres condamnées à une
disparition inévitable lors de la démolition de la tour au sein de laquelle elles se trouvent.
Une galerie virtuelle présentée sous la forme d’une visite de la tour a ainsi été imaginée.43
f. Presse en ligne
Pour finir, n’oublions pas de nous arrêter sur les sites de nature journalistique. Ceux-ci sont
très nombreux à traiter du street art car se saisir d’un sujet « à la mode » est un moyen pour
les médias d’intéresser à coup sûr l’audience. Qu’il s’agisse de sites de journaux nationaux
tels que Le Parisien, Libération et Le Monde, de gratuits comme 20 Minutes, tous ont abordé
le thème sur la toile au cours des derniers mois. Les webzines ne sont pas en reste et le
nombre d’articles publiés sur Konbini, BuzzFeed et autres MinuteBuzz en sont la preuve
évidente.
3. Les réseaux sociaux
La place des réseaux sociaux dans le paysage numérique n’en finit pas de croître ces
dernières années. Lors de mon enquête, j’ai ainsi pu identifier que 35% des interviewés
suivent des street artistes et/ou des pages consacrées au street art sur les médias sociaux.
J’ai aussi observé que parmi les 41% de personnes ayant déjà publiées des photos sur
internet, 32% ont, pour cela, privilégié Facebook, 22% Instagram et 10% Twitter. En
revanche, seulement 3% en ont publiées sur des blogs et ailleurs. Cela prouve bien la forte
popularité de ces trois réseaux sociaux et leur présence importante dans les habitudes
comportementales et pratiques de notre société actuelle.
On peut, de plus, facilement effectuer quelques analyses grâce à l’agrégateur de hashtags44
#Tagboard.45
En examinant les réseaux Twitter, Facebook, Google+, Instagram, Vine et Flikr,
voici les données que nous pouvons découvrir : pas moins de quatre posts par minute sont
publiés sur ces six canaux accompagnés de « #streetart ». Cela nous permet de nous
représenter l’ampleur du phénomène en notant, de surcroît, qu’il existe de nombreux autres
contenus mis en ligne sans ce hashtag et qui ne sont, de ce fait, pas pris en compte.
Aucune étude certifiée n’existe, à ce jour, au sujet de la présence prépondérante d’un
réseau social en particulier par rapport à un autre. Toutefois, en tapant «street-art
42
www.francetv.fr/defense-d-afficher
43
www.tourparis13.fr
44
Hashtag : Mot-clé préfixé par le sigle #.
45
Cf Annexe 15 : Capture d’écran tagboard.com.
23
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
site:facebook.com » dans la barre de recherche de Google, plus de 7 millions de résultats
s’affichent, ce qui laisse imaginer le nombre de pages et profils de l’interface contenant le
mot dans leur intitulé. Mon étude m’a aussi permise de mettre en évidence une préférence
entre les réseaux sociaux concernant la publication de photos comme je l’ai évoqué
précédemment. Celle-ci rejoint l’ordre des médias sociaux privilégiés pour suivre des pages
ou profils. Ainsi, Facebook atteint 27%, Instagram 22% et Twitter 13%. Facebook semble
donc être l’interface préférée des internautes, suivi d’Instagram. Tous deux privilégient
l’image et cela coïncide tout à fait avec la « société de l’image » que j’ai décrite plus tôt ainsi
que le fait qu’il s’agisse d’un art visuel.
Sur ces réseaux sociaux, les internautes suivent autant des pages dédiées au mouvement de
manière générale telles que Street Art in Germany, Street Art Paris, Escapades Street Art, etc
ou bien consacrées à un artiste en particulier. Avec plus de 550 000 « instagramers »
abonnés à son compte, JR peut par exemple être considéré comme l’un des plus connectés.
4. Les applications mobiles
De nombreuses applications mobiles spécialisées sur le street art ont fleuries dans le
paysage numérique récemment dont la majorité consiste à proposer des cartographies et à
représenter un prolongement mobile de sites internet.
Malgré tout, le public ne semble pas encore très réceptif car 87% ne connaissent pas
d’applications mobiles dédiées au street art, soit une très large majorité. Seulement 6% en
ont sur leur smartphone et 8% en connaissent mais n’en possèdent pas. Parmi celles citées,
on retrouve : Urbacolors et MyParisStreetArt fonctionnant de la même manière que leurs
grands frères de la toile, All City Street Art, Streetlove, FlashInvaders, ou encore Street
Invaders. Ce dernier n’a fonctionné que pendant une courte période en 2013, le temps d’une
grande chasse au trésor numérique dans les villes de Bordeaux, Pau et Biarritz.
Dans cette même veine du gaming, reprenons à nouveau pour exemple le projet d’Invader
dans lequel l’application FlashInvaders possède une importance capitale. En l’installant, le
joueur peut flasher le Space Invader qu’il trouve dans la rue car elle utilise l’appareil photo
du téléphone portable ainsi que le GPS pour reconnaître l’œuvre en question
instantanément. Il est très difficile de tricher et se trouver au bon endroit avec son portable
entre les mains est le seul moyen pour les « gamers » d’accéder au niveau supérieur.
Un tout autre type d’application a aussi vu le jour à l’initiative de la Ville de Paris. Baptisée
« Paris dans ma rue », son objectif est de permettre aux parisiens de signaler les différentes
« anomalies » (c’est ainsi que sont qualifiés les graffitis) de leur quartier afin d’améliorer la
qualité de l’espace public, d’après les dires de la mairie.
24
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
B. Web et street art : une culture commune
1. Facilité de création et de diffusion
Le web et le street art sont deux notions qui peuvent, dans un premier temps, apparaître
comme complémentaires sur divers points. Nous pouvons tout d’abord noter que la toile, au
même titre que la rue, constitue un nouvel espace public. Personne ne se retrouve interdit
d’entrée dans ce monde virtuel. De ce fait, on y retrouve la même simplicité d’accès et de
création propre à l’espace urbain. Dans une société du « tout connecté » comme celle dans
laquelle nous nous trouvons actuellement, il n’y a aucune difficulté à se relier à internet de
manière rapide, voire instantanée. Nous n’avons même plus besoin d’un ordinateur et d’une
« box » internet, un simple téléphone portable connecté au wifi suffit. Cela permet, par là
même, de proposer un service gratuit, ou presque, en accord avec la gratuité caractéristique
du mouvement en lui-même.
De nombreux projets privilégient ces valeurs d’accessibilité et de gratuité à l’instar de
Urbacolors. L’application a ainsi fait appel au financement participatif via le site Ulule afin de
pouvoir financer son amélioration tout en continuant de proposer un média complètement
gratuit. Pour Aurélien Michaud, le fondateur, il est « essentiel de suivre et reprendre ces
valeurs qui sont celles portées par le street art ».
Grâce à cela, internet peut donc constituer, un tremplin pour les jeunes artistes et n’érige
pas non plus de barrières, tant sociales, que culturelles ou encore économiques (dans une
moindre mesure) à son rentrée.
2. Portée universelle et participative
a. Cible large
Le web, par cette accessibilité que nous venons de définir, a rendu possible la pénétration du
mouvement dans des catégories socioprofessionnelles qui en semblaient, de prime abord,
éloignées. Il permet de toucher une audience plus large, qui pouvait par exemple avoir des
préjugés sur l’art ou le street art. Grâce à cette médiatisation « online », le mouvement a
aussi pu accéder à ceux qui ne peuvent pas se déplacer pour apprécier les œuvres in situ
pour diverses raisons telles que celles des publics dits « empêchés »46
.
b. Echelle internationale
Le « World Wide Web » (WWW), communément appelé « web » ou encore « toile » peut se
traduire littéralement en français par « toile (d’araignée) mondiale ». Internet permet, en
effet, de diffuser du contenu dans le monde entier et donc de concevoir le street art et le
travail des artistes par exemple, à une échelle mondiale.
46
Publics empêchés : Personnes malades, à mobilité très réduite, très âgées, hospitalisées, détenus,
etc.
25
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Pour reprendre l’exemple précédent, de Urbacolors, nous pouvons souligner cette vision
globale en observant, d’une part, que l’application, comme de nombreuses autres,
répertorie des œuvres du monde entier. Et, d’autres part, notons qu’elle est actuellement
disponible en français et en anglais mais qu’elle va, très prochainement, être traduite en six
langues différentes afin de s’inscrire dans la dynamique des « global painters » qui eux aussi,
parcourent le monde pour répandre leurs œuvres aux quatre coins de la planète.
Aujourd’hui, une œuvre peut faire le tour de la Terre en quelques secondes seulement et
cela a considérablement contribué à favoriser l’extension et l’évolution de la culture graffiti
et street art dans le monde entier.
c. Echanges et participations
En leur permettant de communiquer et de se déplacer virtuellement, les outils numériques
ont amélioré les possibilités d’échanges avec le public mais aussi au sein du cercle des
artistes lui-même. Nous pouvons constater une réelle ouverture croissante aux autres.
Les réseaux sociaux, notamment, sont fortement contributeurs de ce changement. En
permettant le partage des réalisations, les styles et les techniques ont pu se nourrir et
s’enrichir.
Certains artistes ont mis en place des projets bien particuliers et impliquant. Citons ainsi
Yacine Ait Kaci, le créateur d’Elyx qui propose d’entrer en relation avec son personnage et de
faire de lui une œuvre collaborative. Pour cela, il met à disposition des dessins que les
internautes peuvent télécharger pour partager leurs propres mises en situation, partout
dans le monde.47
Un autre projet majeur, à la fois participatif et mondial, est celui initié par JR depuis 2011.
Intitulé « Inside Out », il donne l’opportunité à chacun de partager son portrait en grand
format en faisant passer un message. Chaque action mise en place a été documentée,
archivée et publiée sur internet via le site dédié. A ce jour, près de 200 000 personnes de
plus de 112 pays et territoires différents (Equateur, Népal, Mexique, Palestine, etc) ont déjà
pris part au projet, sur de nombreux thèmes tels que l’espoir, la diversité, les violences
sociales, le changement climatique, etc.48
Cet exemple est très représentatif de la portée du
street art qui, grâce au web, est à la fois universelle et participative.
3. Protection de la liberté et de l’anonymat
Comme je l’ai évoqué plus tôt, la liberté d’expression est une valeur prônée et défendue
avec ferveur par le mouvement. Internet permet, justement, de protéger et de pousser plus
loin cette notion. En effet, ce canal d’expression permet de manifester ses idées et pensées
avec une grande liberté car la censure y est moindre et il est beaucoup moins contrôlé que
les médias classiques. Le créateur de Elyx déclare à ce sujet : « J'aime cette idée de participer
47
GUGGEMOS, Alexia, « Elyx, le pionnier du digital street art, pris en flagrant délit », in
huffingtonpost.fr, 23 avril 2014.
48
www.insideoutproject.net
26
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
à l'élaboration d'une économie parallèle, une économie du désir, indépendante du système
financier traditionnel ». Internet apparaît comme un moyen de s’exprimer et d’agir hors des
codes, tout comme dans la rue. C’est, de plus, un moyen de court-circuiter tous les
médiateurs habituels, que ce soit les galeries, les musées ou encore la presse par exemple.
La toile, propose, certes, un espace d’expression assez libre mais, c’est aussi la possibilité
pour certains artistes de protéger leur identité et de conserver leur anonymat. Cela n’est pas
anecdotique au regard de l’illégalité de la pratique ou bien de la portée politique importante
de certains messages.
Internet est donc un outil, avantageux pour le street art car il est capable de lier, à la fois,
forte popularité et conservation de l’anonymat.
4. Nouvelles formes
Le street art est caractérisé par son aspect protéiforme et internet permet de pousser
encore plus loin cette particularité car il est possible de faire beaucoup plus avec les outils
digitaux qu’avec une simple bombe. En France, les œuvres de street art intégrant le digital se
font rares et connaissent encore des difficultés à percer. La galeriste Clémence Desrozes
pense ainsi que « les artistes préfèrent encore les matériaux de la rue ». Mais cette
affirmation est à relativiser car, à l’échelle mondiale, on observe de plus en plus de créations
de ce type et le mouvement a pu gagner une diversité encore plus grande dont en voici
quelques exemples.
Tout d’abord, même si le QR code49
a du mal à prendre en France, ce n’est pas le cas à
l’étranger où Sweza en a, par exemple, fait son crédo. Il colle des codes qui génèrent ensuite
différents types de contenus sur le portable de l’utilisateur qui le flashe (ex : la photographie
d’une œuvre effacée se trouvant précédemment à l’emplacement du QR code pour le projet
Graffyard, de la musique50
, etc).51
Je peux ensuite présenter le cas de Elyx, déjà évoqué à plusieurs reprises en amont, qui
repose sur un travail hybride mêlant dessins croqués sur le vif et photographies relayées sur
le site de son créateur ainsi que divers réseaux sociaux.52
L’artiste Blu se sert lui aussi d’internet pour créer des œuvres inédites, sans lequel elles ne
pourraient tout simplement pas exister. Son idée : filmer image par image le processus de
création de ses œuvres, assembler le tout sous forme de vidéos puis diffuser ces animations
sur Youtube et sur son site internet53
. En racontant de véritables histoires, Blu pousse le
street art à un autre niveau et le transforme en véritable un art vidéo. Basé sur le même
49
QR code (Quick Response Code) : Code-barres en deux dimensions constitué de modules noirs
disposés dans un carré à fond blanc dont l'agencement définit l'information que contient le code.
50
Cf annexe 17 : Exemples d’œuvres
51
sweza.com
52
Cf annexe 17 : Exemples d’œuvres
53
www.blublu.org
27
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
principe, le graffeur Insa a aussi inventé le « gif-iti », contraction de gif54
et graffiti, soit un
graffiti animé, composé de photographies d’une œuvre comportant quelques modifications
et fait pour être vu exclusivement sur le web.55
Pour finir, le Graffiti Research Lab, un collectif d'artistes, s’est donné pour mission de mettre
au point « les outils du graffiti de demain, que chacun peut s'approprier, en développant des
programmes et en détournant des technologies (peinture robotisée, barres de LEDs
programmables pour le light painting...).»56
C. Street art virtuel : divergences et contradictions ?
Même si le street art et internet semblent aller dans une même direction et viser des
objectifs similaires, certaines divergences et contradictions apparaissent facilement entre les
deux.
1. Disparition de la dimension éphémère
Dans un premier temps, l’intervention de la photographie dans le mouvement a permis, non
seulement une meilleure diffusion mais aussi une possibilité d’archivage et de conservation
des œuvres. Grâce à elle, on peut conserver ce qui a été produit avant que ça ne s’efface.
Qui plus est, internet est, par excellence, le support sur lequel toutes les données sont
conservées et très difficilement effaçables comme en témoignent actuellement les réflexions
concernant le droit à l’oubli numérique. La photographie digitale peut donc être qualifiée de
véritable « mémoire du street art ».
Cela permet de connaître, conserver et perpétuer l’histoire du mouvement et comme le
soutient Aurélien Michaud : « il est désormais essentiel et urgent de documenter ce travail
artistique afin de ne pas le perdre ». Il est important de conserver une trace des œuvres et
techniques, notamment pour les générations futures, puisque le street art fait désormais
partie de notre patrimoine culturel. A ce sujet, nous pouvons mentionner l’invention du
GML (graffiti markup language) qui permet d’enregistrer le geste réalisé lors de la création
d’un graffiti.
Toutefois, cette conservation est contraire à l’essence éphémère du street art et au souhait
de consommation immédiate auquel il renvoie. Le privilège de la découverte d’une œuvre
vouée à disparaitre s’efface et les créations conservées sont souvent propres, fraîchement
réalisées et ne laissent pas paraître les traces du temps, du mouvement et de la vie de la rue.
D’autres, comment l’artiste Béa Pyl, pensent, au contraire, que « figer ces changements,
c’est, paradoxalement, immortaliser les mouvements, la vie de la rue ». Le débat est donc
ouvert entres ces deux conceptions opposées qui s’affrontent…
54
Gif animé : Fichier gif comprenant plusieurs images qui permettent d’obtenir une animation par
affichages successifs en boucle.
55
LECHNER, Marie, « Street art et Web en étroite connexion », in liberation.fr, 6 septembre 2013
56
CASTERS, Sébastien, « Street art : un art qui baigne dans le numérique et la culture geek », in
clubic.com, 10 février 2015.
28
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
2. Hors de la rue
a. Eloigné du territoire d’expression primaire
Le street art virtuel, c’est-à-dire, les œuvres et artistes relatifs au mouvement que l’on
retrouve sur internet, sortent, de fait, le street art de son territoire habituel qu’est la rue
pour l’emmener dans un nouvel espace. Cela diminue malheureusement l’inscription dans
l’environnement social que représente l’espace public ainsi que les rencontres en réel entre
les spectateurs et l’œuvre. Les créations devenant accessibles facilement et rapidement, en
un seul clic, la nécessité de se donner de la peine pour les découvrir en vrai disparaît peu à
peu. Et, même pour ceux qui préfèrent les voir de leurs propres yeux, le numérique a changé
la donne avec l’exemple de la cartographie qui rend impossible la rencontre accidentelle et
l’effet de surprise qui existait jusqu’alors mais aussi le sentiment de « chasse au trésor ».
Pour Florent Soragna, cela contribue à faire perdre une part d’authenticité au mouvement.
Internet créé donc une distance entre l’œuvre et le spectateur et devient un intermédiaire
qui empêche la rencontre et la découverte personnelle, « internet dilue cette
découverte »57
.
b. Décontextualisation
En sortant de son territoire d’expression primaire et en s’inscrivant dans un nouveau, le
street art s’éloigne du contexte propre à chacune de ses œuvres. Ainsi, lorsque le spectateur
admire une œuvre en ligne, il n’a bien souvent pas connaissance de son contexte et ne peut
saisir le message dans sa globalité. En effet, même si la photographie et le street art vont
souvent de pair, celle-ci renseigne très rarement sur sa localisation. L’œuvre est, certes,
immortalisée mais l’emplacement est totalement mis de côté et « le souvenir de l’œuvre est
conservé mais dans une sorte de vide, hors du temps et hors d’un lieu»58
ce qui empêche
une lecture complète de l’œuvre en question. En découvrant une œuvre en ligne, on peut
rarement connaître le contexte urbain, en quoi l’œuvre y est reliée, si elle s’en est nourrie, si
elle a eu un impact sur lui et comment.
c. Restriction d’accès
Même si il semble, dans nos sociétés actuelles que tout le monde a accès à internet, les
chiffres révèlent le contraire. Aujourd’hui, 3,025 milliards d’internautes, soit seulement 42%
de la population mondiale est connectée à Internet. On constate une disparité considérable
entre les pays développés de l’Amérique du Nord (81%) et de l’Europe de l’Ouest (78%) en
opposition aux pays en développement et sous-développés asiatiques (12%) et africains
(18%)59
.
Qui plus est, pour se rendre sur des sites et autres supports numériques abordant le street
art, une démarche de la part de l’internaute est nécessaire, celui-ci doit effectuer le premier
pas de s’y rendre contrairement à la rue qu’il traverse dans sa vie quotidienne.
57
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 179.
58
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 178.
59
www.blogdumoderateur.com/chiffres-internet.
29
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
3. Surmédiatisation
Internet permet de diversifier les lieux d’intervention du street art et d’envisager le
mouvement dans une perspective planétaire. Cependant, il a aussi amené à une
médiatisation considérable voire une surmédiatisation60
.
a. Starification et dangers
Cette médiatisation à outrance, a tout d’abord engendré une réelle peoplisation artistique
qui se caractérise par exemple par des œuvres vendues à des prix ahurissants et pour
lesquelles les acheteurs paient plus le nom de l’artiste que l’œuvre en elle-même. Les
artistes les plus médiatisés, tels que Shepard Fairey, JR et Banksy sont devenus des noms, si
ce n’est des personnes, dont le niveau de notoriété côtoie aisément celles de stars du
cinéma. Les articles, livres, blogs et autres produits divers et variés à leur sujet ne font que
conforter cette tendance. Cette starification, entraîne inévitablement, le street art vers la
sphère commerciale et cela contribue à dénaturer le mouvement qui s’en veut, à l’origine,
résolument éloigné.
Conserver une part d’anonymat comme certains le désirent devient aussi de plus en plus
compliqué. La médiatisation de cette pratique illégale représente un certain danger
judiciaire pour les artistes qui ne sont pas à l’abri de se faire reconnaître et poursuivre en
justice à cause d’une publication explicite sur internet.
De plus, les copies, imitations et reproductions des œuvres les plus connues deviennent
aussi monnaie courante et les styles ont tendance à s’uniformiser.
b. Rapprochement des codes et cadres établis
Les street artistes sont désormais réclamés par les marques. Les exemples ne manquent pas,
de Monoprix à Converse, en passant par McDonald's, Renault, Red Bull ou encore Lipton,
tous les domaines y passent. Ces entreprises n’hésitent pas à tirer profit du plébiscite dont le
mouvement fait l’objet. Les laboratoires Pfizer ont même utilisé le graffiti dès 2008 dans le
spot « Be brave » destiné à une campagne web et qui ne totalise pas moins de 91 180 vues à
ce jour.
Mais, les marques ne sont pas les seules à utiliser le street art dans leur communication
digitale. Les institutions les ont rapidement suivies comme l’office de tourisme de la Réunion
qui met en avant le personnage créé par l’artiste Jace, le Gouzou, présenté, ni plus ni moins,
comme l’un des attraits touristiques de l’île.
Certains pensent que les commandes brident les idées mais qu’il en résulte tout de même
un formidable enrichissement artistique. D’autres décrient l’institutionnalisation et la
marchandisation dont le mouvement est victime et souhaitent qu’il redevienne une
échappée hors des cadres, une transgression, un « beau crime » comme le définit Stéphanie
Lemoine.
60
Surmédiatisation : fait de mettre en lumière un évènement ou une information avec excès.
30
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
III. La stratégie digitale à adopter
A. Du point de vue des institutions publiques
Nous avons montré que le street art bénéficie actuellement d’une certaine reconnaissance
de la part des institutions et pouvoirs publics qui n’hésitent pas à utiliser le mouvement à
leurs propres fins personnelles. Cela comporte de nombreux intérêts pour les villes et elles
l’ont bien compris : « à la fois dans le développement touristique, donc économique, de leur
territoire, dans l'amélioration des liens sociaux, dans l'embellissement de leur ville et l'image
dynamique qu'il procure. »61
Cependant, l’enjeu est de réussir à conjuguer cette
institutionnalisation du mouvement avec le respect des valeurs qu’il prône. Le numérique
peut, dès lors, constituer une issue à ne pas négliger pour atteindre cet objectif.
1. Démocratie participative
Le premier aspect important au sein duquel le numérique peut constituer un outil adéquat
et très efficient est celui de la démocratie participative. Par cette notion, j’entends,
l’importance accordée aux citoyens et leur implication dans les prises de décision politiques.
En effet, si l’on souhaite respecter au mieux l’une des clés de voûte du street art qui est le
respect de la liberté d’expression, ce concept doit être intégré aux démarches mises en place
par rapport au mouvement. Toutes les parties prenantes de l’espace public, à savoir, les
habitants, les artistes et les pouvoirs publics, doivent être consultées, entendues et écoutées
afin de satisfaire le plus grand nombre. Il est important de confronter leurs différentes
opinions qui répondent à des intérêts divergents.
Dans cette optique, la ville de Lyon a mis en place un espace de dialogue, matérialisé par la
Commission inter-conseils de quartier « Dialogues sur l’art urbain » que j’ai évoquée
précédemment. Cette initiative a reçue de très bons retours et prouve que le « vivre-
ensemble »62
doit être placé au cœur des démarches publiques.
C’est au moment d’imiter et de pousser plus loin cette idée qu’internet intervient comme un
canal approprié pour les institutions. Créer, à la même image que les réunions organisées
par la Commission, une plateforme d’échange et de dialogue virtuelle semble être un moyen
particulièrement adapté pour développer une politique d’écoute et participative. Cela
permet, en effet, de toucher un public vaste, de se rapprocher de lui et de créer une réelle
proximité dans les échanges.
61
CHARBONNIER, Romain, « Lyon a-t-elle oublié ses street artistes ? », in
acteursdeleconomie.latribune.fr, 13 février 2015.
62
Vivre-ensemble : Concept qui exprime les liens pacifiques, de bonne entente qu'entretiennent des
personnes, des peuples ou des ethnies avec d'autres, dans leur environnement de vie ou leur
territoire.
31
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
D’un point de vue pratique, l’idée pour les mairies ou organisations telles que des conseils
de quartiers, pourrait être de créer un site, ou un onglet via un site existant, permettant aux
habitants, aux représentants politiques et aux artistes de communiquer. Il serait néanmoins
une erreur de supprimer les temps de rencontres en réel qui sont très enrichissants. Cet
outil pourrait constituer un point central de la communication des pouvoirs publics en
matière d’art urbain et de rapport à l’esthétique de l’espace public. Afin de structurer
l’expression libre et personnelle de chacun ainsi que les échanges, un module sous la forme
d’un forum ou d’un blog ouvert pourrait être envisagé. Au même titre que lors des réunions
en réel de la Commission, l’intervention d’un modérateur peut être nécessaire afin de lancer
les sujets et structurer les débats.
Les réseaux sociaux permettent, eux aussi, de proposer un lieu d’échange. Dans une même
idée et répondant à un but similaire, la création d’une page peut être imaginée.
2. Visibilité et notoriété des projets
Ensuite, internet constitue une vitrine offrant une grande visibilité aux projets urbains que
peuvent mettre en place les institutions publiques. En effet, il s’agit d’un canal qui touche
une large audience et il est important que les citoyens soient au courant de ceux-ci pour
pouvoir y participer, y assister et qu’ils aient un impact.
Si nous reprenons l’idée du site que je viens de proposer dans la partie précédente, il
représenterait donc aussi un relai et outil important pour la mairie ou toute autre
organisation publique en question. Il permettrait, par exemple, tout d’abord, de fixer les
dates de rencontres, d’en informer chaque partie prenante, d’en décrire le contenu et
d’inciter à leur participation. Il serait aussi relié aux réseaux sociaux sur lesquels la structure
en question serait présente, si cette présence est jugée pertinente (cela dépend de chaque
cas).
Il serait intéressant d’y suivre les étapes de l’avancée des projets en discussions et de relayer
tous les informations, actualités, actions mises en place et liées au street art. La
transparence doit être l’un des mots-clés de la démarche.
Si des événements sont organisés, il est indispensable de les promouvoir sur internet. Grâce
à cela, ils auront une bien plus grande portée et pourront même toucher des publics
géographiquement éloignés. Communiquer sur la toile peut être un atout considérable pour
la ville, que ce soit dans une perspective touristique, économique ou d’image.
Pour de gros événements tels que des festivals, la création d’un site dédié peut être
envisagée. Pour des projets de moins grosse envergure, communiquer via des événements
Facebook ainsi que sur l’idée du site internet telle que je l’ai présentée peut être préférable.
32
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
3. Ecoute et suivi
Pour finir, les institutions publiques se doivent d’être dans une posture attentive et d’écoute
constante des citoyens. Leurs demandes et réclamations vis-à-vis de l’espace public doivent
être écoutées et prises en compte afin qu’une réponse et réaction soit proposée. Il s’agit là
de l’un des rôles inhérents aux pouvoirs publics.
Penchons nous plus précisément sur un cas récurrent qui est celui des demandes
d’effacement. Il est primordial pour une ville de respecter certaines valeurs et donc d’effacer
immédiatement les créations à caractère injurieux, politique, raciste, pornographique, etc.
Les usagers ne doivent pas ressentir un « sentiment d’abandon face à ce problème »63
comme a pu nous le présenter Audrey Charveron. Il peut donc être pratique de mettre en
place un outil de signalement pour ce genre d’altération du paysage urbain. La tâche des
services publics consiste ensuite à prendre la décision la plus juste qu’il soit, en tenant
toujours compte de tous les acteurs concernés et, à en informer le demandeur de la manière
la plus claire et explicite possible.
Là encore, les médias numériques peuvent représenter un outil fort utile pour atteindre un
tel objectif. Créer un moyen de centraliser les demandes et d’y répondre de manière rapide
et efficace est en effet possible avec différents supports. Cela peut être matérialisé par un
site internet ou onglet sur lequel un formulaire type serait proposé par exemple ou alors
pour reprendre l’idée de la ville de Paris, par le biais d’une application.
C’est donc l’une des missions des institutions de se saisir du sujet, d’écouter et d’informer
les citoyens, de répondre aux demandes et de ne pas déprécier l’image du mouvement mais,
au contraire, de s’en servir comme d’un levier de cohésion sociale et de vivre-ensemble.
Bien qu’elles soient encore peu présentes à ce sujet sur le numérique, j’ai bien montré
l’intérêt que leur apporterait le fait de s’en emparer. Il ne faut, toutefois, pas oublier que les
canaux de communication digitaux sont insuffisants pour toucher tous les publics et qu’il ne
faut pas laisser de côté le « offline ».
B. Du point de vue des professionnels et amateurs
Plaçons-nous maintenant du côté des professionnels et amateurs et analysons les pratiques
intéressantes à développer pour les différents acteurs que nous pouvons regrouper dans
cette très large catégorie. Sous cette appellation, nous pouvons rassembler les galeristes, les
fondateurs de moyens de communications digitaux tels que des sites, blogs, applications,
pages ou profils de réseaux sociaux, les journalistes, etc. A eux tous réunis, ils constituent
ainsi les relais les plus visibles et puissants qu’il est donné d’observer sur internet au sujet du
street art. Il est cependant difficile de fournir une préconisation pour certains d’entre eux
alors je me concentrerai dans cette partie sur les galeristes et administrateurs de médias
numériques.
63
Cf Annexe 4, Entretien avec Audrey Charveron.
33
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
1. Supports qualitatifs
Tout d’abord, qu’importe que le support numérique en question soit un site, un blog, la page
d’un réseau social ou une application, une règle commune doit s’appliquer à celui-ci. La
digitalisation du street art doit valoriser le mouvement et contribuer à améliorer sa
notoriété et son image. De ce fait, les outils et supports utilisés se doivent de répondre à un
certain niveau de qualité.
Les galeries « en réel » ou seulement virtuelles qui communiquent généralement via des
sites et des réseaux sociaux, en privilégiant Facebook et Instagram doivent veiller au respect
qualitatif des œuvres présentées et ne pas les dévaloriser. Cela passe dans un premier temps
par une attention toute particulière portée sur les photographies et vidéos publiées. En
effet, il s’agit des supports qui attirent le plus facilement l’internaute dans notre « société de
l’image ». Le but est aussi, comme le présente Aurélien Michaud, de « proposer quelque
chose de hautement qualitatif qui ait la capacité de perdurer dans le temps », la qualité
étant garante de la bonne conservation d’un support.
Les œuvres de street art présentes sur les médias numériques sont déplacées hors de leur
contexte comme nous l’avons déjà évoqué et cela empêche leur lecture complète. Présenter
le contexte des créations peut être un moyen de contourner ce problème et de donner plus
de valeur et légitimité aux photographies et vidéos mises en ligne.
Une autre manière de proposer des supports digitaux de qualité peut être de fournir des
sites très complets regroupant différents services complémentaires et non pas juste une
galerie. Cela peut passer par l’intégration de calendriers d’événements, de biographies
d’artistes et de tout contenu informatif apportant une plus-value au site.
Concernant les applications, nombreuses sont celles qui ne sont pas encore complètement
abouties et souffrent encore de problèmes de fonctionnement.
Afin d’optimiser au mieux la qualité d’une présence digitale quelconque, une solution
pertinente à exploiter consiste à faire appel à des personnes qualifiées dans les domaines
concernés. Ainsi, faire appel à des photographes, webmasters, développeurs, etc est souvent
le meilleur moyen à envisager pour ce pré-requis qualitatif qui peut sembler anodin mais qui
est néanmoins primordial.
2. Equilibre entre gratuité et commercialisation
L’une des critiques récurrentes résultant de l’engouement dont bénéficie le street art repose
sur son basculement dans la sphère commerciale. Ce phénomène va à l’encontre des valeurs
de gratuité et d’accessibilité à tous que le mouvement défend. Cependant, il répond à une
logique du marché contre laquelle il est difficile de lutter : le besoin de gagner de percevoir
un revenu pour pouvoir vivre décemment.
On comprend donc bien qu’il puisse exister des galeries online vendant des œuvres de street
art ou bien des artistes qui vendent eux-mêmes certaines de leurs créations ou objets
34
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
dérivés. Il est néanmoins préférable de favoriser la gratuité autant que possible afin de
respecter au mieux les objectifs soutenus par la pratique. Cela devient par contre néfaste et
va à l’encontre de son identité si l’aspect pécuniaire entre en jeu pour avoir simplement
accès à des contenus. Les sites internet, applications mobiles et autres services existants se
doivent de promouvoir ce principe essentiel et fondamental. Les techniques de street art
numérique développées peuvent aussi par exemple être proposées en « open source »,
c’est-à-dire que les licences concernées sont désignées comme libres. Cela permet à chacun
de les utiliser et de les améliorer et il s’agit ainsi d’un moyen très efficace pour en accroître
constamment le développement et aller toujours plus loin.
3. Perspective « cross media »
Le street art virtuel, est, par définition, éloigné de son territoire d’intervention primaire,
c’est-à-dire la rue et l’espace public de façon plus générale. Afin de bénéficier des avantages
que peut apporter le web tout en évitant les effets néfastes de la distance créée entre
l’œuvre et le spectateur, il est préférable qu’il ne se substitue pas à la découverte et
rencontre en réel mais qu’il intervienne plutôt comme un complément.
Dans cette idée là, il peut être intéressant de chercher à accroître le lien entre le virtuel et le
réel. On peut par exemple penser à la mise en place de partenariats entre des supports
numériques et des festivals, des expositions, visites ou tout autre projet. Ils peuvent ainsi
inviter à la rencontre in situ à laquelle le numérique ne doit pas se soustraire.
De plus, afin d’être la plus optimale possible, la stratégie peut devenir « cross média », ce qui
signifie qu’elle utilise différents canaux de communication complémentaires. Il s’agit de se
saisir des avantages que chacun peut offrir et d’avoir une forte présence et visibilité.
Si l’on pousse cette perspective encore plus loin, nous pouvons même évoquer le concept
de « transmedia » qui vise à raconter une histoire au travers de différents médias off et
online. Le but est alors de créer une cohérence et un véritable fil rouge porteur de sens.
4. Implication du spectateur et « call to action »
Pour finir, afin de toucher au mieux le public et d’avoir un impact sur lui, il est à envisager de
placer le spectateur au centre des messages et concepts mis en place. L’idée est de le
concerner, de produire chez lui une émotion et un sentiment de proximité et d’implication.
Les médias numériques sont un formidable outil pour effectuer cela en mettant en place une
interactivité et des outils de « call to action », c’est-à-dire qui incitent à l’action. Le
spectateur devient ainsi acteur.
Un bon exemple peut illustrer mes propos. Il s’agit du projet de la Tour Paris 13 qui proposait
au public de choisir lui-même les œuvres à conserver et sauver. C’est grâce à chacun des
participants que le projet a pu perdurer. Lorsque ceux-ci ont conscience de l’importance de
leur rôle, ils sont, de fait, plus intéressés et sensibilisés aux messages.
35
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Dans cette même optique, il est par exemple possible d’utiliser le web pour trouver des
financements comme pour le projet « De l’amour et des murs » de la galerie THE WALL
présent sur le site de financement participatif Ulule.com. Internet offre une visibilité et une
opportunité de trouver un soutien, qu’il soit financier ou d’un tout autre ordre. Il peut s’agir
de faire entendre sa voix comme avec le cas de la pétition défendant la rue Dénoyez à Paris,
qui peut être signée en ligne, est relayée par une page Facebook, soutenue par de nombreux
journalistes et a déjà reçue plus de 10 000 signatures online.64
Cette notion de « call to action » est complètement en accord avec l’identité du street art
qui souvent, veut créer une réaction. Elle permet de réconcilier le mouvement avec les
médias numériques à ce sujet car ceux-ci ont plutôt tendance à perdre leur pouvoir
impliquant en s’éloignant de l’espace public.
C. Du point de vue des street artistes
1. Mesure de l’exposition
Les street artistes constituent les acteurs les mieux placés pour diffuser les valeurs du street
art et l’une de leurs tâches consiste à les défendre. L’une de leurs propres missions est de
bien peser le pour et le contre lorsqu’ils développent des projets avec des marques, pouvoirs
publics, se rapprochent d’une logique mercantile et, de manière générale de toutes
structures institutionnalisées et cadres officiels.
Cette vision doit être transposée aux projets et communications développés sur le web. En
effet, nous avons bien montré préalablement en quoi internet est un formidable moteur de
notoriété pour les artistes et notamment pour atteindre une cible internationale. Pourtant,
la condition à laquelle il doit être intégré à leur communication est celle d’une utilisation
réfléchie et bien organisée. En effet un mauvais emploi des outils numériques peut être
nocif et nuisible. Il est primordial que les artistes trouvent une juste dose dans leur
exposition médiatique personnelle.
Cette présence mesurée peut aussi permettre d’éviter une exagération du phénomène de
starification érigeant un petit cœur d’artistes au rang de véritables dieux du street art. Cette
tendance, laisse les autres dans l’ombre de ces figures emblématiques. Cette exhibition
modérée peut apparaître comme contraire à la recherche maximum de visibilité guidant les
street artistes mais elle permet de protéger leur vie privée, leur liberté, leur identité et
parfois de conserver un anonymat complet. Il s’agit d’une notion importante car nous
parlons ici d’une pratique qui est, dans la majorité des cas, rappelons-le, illégale et cela
permet ainsi de conserver intacte la liberté et l’indépendance si chère au mouvement.
D’un point de vue plus pratique, la création d’un site et la présence sur les réseaux sociaux,
Facebook et Instagram en tête de liste, sont fortement conseillées. Une régularité des
64
www.change.org/p/anne-hidalgo-sauvons-la-rue-d%C3%A9noyez
36
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
publications est alors indispensable et l’une des règles d’or à ne pas oublier est de séparer
comptes et profils professionnels et personnels.
Pour finir, cette communication mesurée est aussi le moyen de conserver une part de
mystère, de magie et notamment l’effet de découverte et de surprise procurée lors de la
rencontre en réel. Cela permet de garder intact le jeu de la recherche et le mérite de la
rencontre. Ainsi, il peut être conseillé aux artistes de ne pas dévoiler toutes leurs œuvres sur
la toile et d’éviter de proposer des mappings très précis par eux-mêmes. Ils peuvent par
exemple plutôt exciter la curiosité des internautes en leur donnant des indices sur la
description et l’emplacement de leurs créations tout en gardant une part de flou dans leurs
contenus. Cela peut aussi prendre la forme de « teasings »65
ou d’un authentique jeu dans
lequel des gratifications et récompenses, de formes variées, matérielles ou immatérielles
peuvent intervenir.
Les street artistes ne doivent pas oublier que la reconnaissance ne s’acquiert pas seulement
en étant présent sur internet et qu’une présence efficiente est uniquement possible, si, et
seulement si, l’artiste est bon et a de la « matière » sur laquelle communiquer. Il s’agit là de
pré-requis à ne jamais perdre de vue avant de se servir de la toile comme d’une vitrine.
2. Concept fort et porteur
Ensuite, pour que la communication d’un artiste capte l’attention du public et que cela se
poursuive sur du long terme, il est essentiel de définir des messages forts et cohérents. Afin
d’être facilement identifiable et de pouvoir faire perdurer une identité dans le temps, la
création d’un personnage ou d’une marque peut ainsi être imaginée. De multiples
possibilités existent, le but étant de trouver une idée forte et porteuse de sens. Cela permet
de se démarquer, de se distinguer et de ne pas être noyé dans la masse gigantesque que
représente aujourd’hui la scène street art.
Encore une fois, le concept se doit de respecter les valeurs du mouvement afin de ne pas
contribuer à sa dénaturation. Une fois celui-ci défini, plusieurs procédés existent afin
d’assurer son impact et sa mise en valeur. Les médias numériques peuvent ainsi permettre
de développer des formes et pratiques de communication innovantes et originales comme
j’ai pu en évoquer certaines plus tôt. Pour que le niveau de qualité soit satisfaisant, ils ne
doivent pas hésiter à se faire accompagner, à trouver des personnes qualifiées pour les
aider. Les œuvres intégrant le numérique sont encore peu identifiées de la part du grand
public mais de belles perspectives sont envisageables à condition de valoriser les moyens
permettant de favoriser leur compréhension et utilisation. Cela permet, entre autre,
d’apporter un « plus » dans le plan établi en proposant des supports et contenus inédits. A
titre de simple exemple, nous pouvons citer l’idée de vidéos consacrées aux techniques, au
suivi de la création, etc.
65
Teasing : Technique publicitaire qui vise à éveiller la curiosité du contact pour augmenter
l’attention portée au message et sa mémorisation.
37
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
Un concept fort et porteur peut aussi se rapprocher des stratégies cross media, transmedia
et de call to action, au même titre que je l’ai présenté pour les professionnels et amateurs.
Cela permet d’atteindre les mêmes objectifs auprès des artistes, c’est-à-dire, de créer une
proximité, interaction et implication avec le public.
38
Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
CONCLUSION
Aujourd’hui, à l’ère du « tout connecté », nos sociétés contemporaines peuvent être
qualifiées de digitales et on peut observer une réelle « internetisation »66
du street art. Cela
signifie que la quantité d’informations textuelles, visuelles et personnalisées que l’on peut
trouver sur internet est supérieure à ce qu’un individu intéressé par ces pratiques artistiques
peut raisonnablement engranger. Le web est un espace présentant un potentiel
considérable pour le mouvement et dont on ne connaît pas encore les limites. Il est difficile
d’en imaginer l’évolution des tendances mais les observations actuelles laissent espérer de
belles perspectives d’avenir.
Grâce au web, le street art s’est internationalisé et, à l’image de la mondialisation, intègre
des courants, cultures, publics complètement différents. Les médias numériques permettent
de repousser les limites du street art, non seulement grâce à l’archivage, la diffusion et
l’interaction mais en proposant aussi un prolongement de l’espace public qu’est la rue. Les
présences online et offline convergent de plus en plus et le mouvement tend ainsi à se
concevoir comme une pratique à mi-chemin entre vie réelle et monde virtuel.
Désormais, l’enjeu pour tous les acteurs du street art utilisant la communication digitale
repose sur la capacité à trouver un juste milieu entre une recherche de reconnaissance et de
visibilité sans pour autant lui faire perdre ses valeurs. Cela est d’autant plus vrai que le
mouvement est en pleine mutation et de ce fait, est quelque peu fragile. Cela signifie qu’une
attention particulière doit être portée quant à l’instrumentalisation dont il peut être l’objet
de par les marques ou les institutions. En d’autres termes, il s’agit de réussir à toucher un
public toujours plus large tout en conservant la portée subversive qui lui est propre. Il s’agit
aussi de trouver le juste équilibre entre cette popularité 2.0 et la perte d'anonymat d'un art
qui reste, malgré tout, encore illégal dans la rue.
Afin d’être en accord avec les valeurs prônées par le mouvement et en espérant que mon
travail puisse aider et pousser les différents acteurs concernés à la réflexion, je fais le choix
de diffuser ce travail en ligne et de le proposer en consultation libre.
66
WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 184.
Mémoire Street art et médias numériques : opportunité de notoriété ou menace identitaire ?
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  • 1. 1 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015
  • 2. 2 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 SOMMAIRE Remerciements Introduction I. Présentation du contexte A. Genèse du mouvement street art 1. Une pratique intemporelle, qui traverse les époques depuis la Préhistoire 2. Une première appellation, le « graffiti » 3. Les origines de l’art urbain : la propagande et les arts populaires 4. La naissance de l’art urbain en tant que nouvel espace d’expression 5. Du graffiti au post-graffiti B. Caractéristiques et essence du street art 1. Un territoire singulier : la rue a. Un art à la portée de tous b. Des œuvres hors des codes établis c. Un ancrage contextuel 2. Des œuvres éphémères 3. Des formes, outils et styles variés a. Bombes et marqueurs b. Pochoirs c. Stickers et affiches d. Autres formes 4. Liberté et contestation a. Liberté d’expression b. Résistance, contestation et rébellion 5. Une pratique encore illégale a. La loi française b. Motif de valorisation, d’exaltation ou de contestation C. Un mouvement en pleine reconnaissance 1. Institutionnalisation et pouvoirs publics 2. Galeries, expositions, marché de l’art 3. Démocratisation du mouvement et médiatisation 5 6 8 8 8 8 8 9 9 10 10 10 11 11 11 12 12 12 12 12 13 13 13 14 14 14 15 15 16 17
  • 3. 3 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 II. Médias numériques, un nouveau territoire pour le street art A. Panorama des canaux de communication digitaux 1. L’importance de la photographie dans une « société de l’image » 2. Les sites internet a. Galeries et photothèques b. Cartographies interactives c. Sites transversaux dédiés au street art d. Sites et blogs d’artistes e. Sites consacrés à des projets spécifiques f. Presse en ligne 3. Les réseaux sociaux 4. Les applications mobiles B. Web et street art : une culture commune 1. Facilité de création et de diffusion 2. Portée universelle et participative a. Cible large b. Echelle internationale c. Echanges et participations 3. Protection de la liberté et de l’anonymat 4. Nouvelles formes C. Street art virtuel : divergences et contradictions ? 1. Disparition de la dimension d’éphémère 2. Hors de la rue a. Eloigné du territoire d’expression primaire b. Décontextualisation c. Restriction d’accès 3. Surmédiatisation a. Starification et dangers b. Rapprochement des codes et cadres établis III. La stratégie digitale à suivre A. Du point de vue des institutions publiques 1. Démocratie participative 2. Visibilité et notoriété des projets 3. Ecoute et suivi B. Du point de vue des professionnels et amateurs 1. Supports qualitatifs 2. Equilibre entre gratuité et commercialisation 3. Perspective « cross media » 4. Implication du spectateur et « call to action » 20 20 20 20 20 21 21 21 22 22 22 23 24 24 24 24 24 25 25 26 27 27 28 28 28 28 29 29 29 30 30 30 31 32 32 33 33 34 34
  • 4. 4 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 C. Du point de vue des street artistes 1. Mesure de l’exposition 2. Concept fort et porteur Conclusion Bibliographie Annexes 35 35 36 38 39 41
  • 5. 5 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 REMERCIEMENTS Je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire. C’est grâce au temps qu’elles m’ont consacré et l’aide dont elles m’ont fait bénéficier que j’ai été « cap »1 de mener à bien cette recherche. Je tiens donc à remercier très sincèrement : Madame Pascaline Maugat, ma Tutrice de mémoire qui a su me guider, m’encadrer et m’accompagner tout au long de mes réflexions. Merci également de m’avoir fait confiance dès le début dans le choix de mon sujet de mémoire qui rejoint mon projet professionnel ainsi que mes affinités personnelles. Monsieur Jérôme Deiss, le « king »2 , mon Directeur de mémoire et Content strategist à France Télévisions, qui m’a été d’une grande aide dans la réalisation de ce mémoire. Merci du vif intérêt qu’il m’a accordé ainsi qu’à mon sujet, du temps qu’il m’a consacré, notamment à Paris et de m’avoir fait bénéficier de ses connaissances et divers conseils. Merci encore à : Laure Abouaf, Audrey Charveron, THTF (Clément et Antonin), Aurélien Michaud, Florent Soragna, Clémence Desrozes, Jérémie Masurel, Julien Mariette, Jérôme Catz et Halim Bensaïd, qui ont accepté de répondre à mes questions en me faisant partager leur vision ainsi que leurs connaissances personnelles sur le sujet. Pour finir, merci à mon « crew »3 , c’est-à-dire toutes les autres personnes qui m’ont apporté une aide quelconque, de près ou de loin, par leur compagnie lors d’expositions, leur réponse à mon questionnaire ou leur partage d’informations : amis, famille, camarades de classe, « twittos », etc. 1 Cap : Embout adapté à l’aérosol servant à vaporiser la peinture. 2 King : Graffeur accompli et très productif, maîtrisant parfaitement son style et sa technique. 3 Crew : Groupe organisé de graffeurs.
  • 6. 6 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 INTRODUCTION La rue et l’espace public sont des lieux que nous côtoyons, pour la plupart d’entre nous, quotidiennement. Ces espaces urbains se retrouvent, depuis plusieurs années, investis de manière croissante par des œuvres, visibles par tous, qui colorent et redonnent vie à nos villes. L’ensemble de ces créations peuvent être rassemblées sous l’appellation « street art ». Pour les besoins de ce mémoire, j’utiliserai cette notion dans une définition proche de sa traduction littérale française : « art de rue ». C’est-à-dire, un art réalisé dans un environnement urbain. Je l’emploierai plus précisément d’après la définition suivante : Mouvement artistique contemporain qui regroupe toutes les formes d’art réalisées dans la rue et parfois ailleurs et rassemble diverses techniques telles que le graffiti, l’affiche, le pochoir, le sticker, la mosaïque, les installations, etc. Ce mouvement est particulier et complètement unique en son genre car il possède des caractéristiques bien spécifiques telles que son aspect protéiforme comme cité ci-dessus, mais aussi son éphémérité, ou encore, sa fréquente illégalité. Il s’inscrit ainsi hors du cadre de l’institution publique et des codes habituels du marché de l’art. Présent sur les murs des bâtiments, les sols, les mobiliers urbains et même les arbres par exemple, le point commun le plus fort du street art n’est autre que celui-ci : il se situe dans des espaces publics, des lieux ouverts à tous, gratuits et faciles d’accès. De ce fait, il est aisé de tomber nez-à-nez avec une œuvre au détour d’une ruelle par exemple. Tout le monde est touché et a son mot à dire sur ce sujet de conversation devenu courant, même chez les non- spécialistes. Même si, comme à ses origines avec le graffiti dans les années 1970, le mouvement souffre encore parfois d’une image péjorative, il est aujourd’hui grandement valorisé avec des qualificatifs positifs tels que graffiti-art ou art urbain par exemple. De nombreux livres, magazines, films, sites internet sont consacrés à ses diverses formes. Aujourd’hui, l’intérêt et l’enthousiasme que le grand public porte à l’art urbain n’est plus à prouver. Cette pratique internationale, unique en son genre, est considérée par certains comme LE mouvement artistique du 21ème siècle. On observe même un changement de paradigme car, comme l’a déclaré l’écrivain et urbaniste Scott Burnham, la rue est désormais « un gigantesque laboratoire culturel »4 qui influence les tendances des institutions culturelles. Mais, dès lors que le street art sort de la rue pour retrouver l’espace confiné des galeries et des salles de ventes, se pose la question de la légitimité de son institutionnalisation. De plus, nombreuses sont les villes qui n’hésitent plus à passer des commandes publiques d’elles-mêmes auprès de street artistes. Elles sont aussi suivies par les marques, qui se sont empressées d’utiliser le mouvement dans le cadre de campagnes ou de créations de produits spécifiques. 4 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 7.
  • 7. 7 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Comme le montre cette citation de l’artiste Anat Ronen : « Ces derniers temps, il me semble que l’on a assisté à une véritable explosion artistique : dans les musées, les galeries, les ateliers ; sur Internet et Instagram, dans les espaces confinés comme sur les surfaces monumentales que nous offrent notre planète. »5 Le street art se trouve aujourd’hui à un tournant important de son histoire et les médias numériques6 ne sont pas neutres dans cette évolution. Internet permet l’anonymat, la gratuité, le partage, l’échange et la conservation. Pour toutes ses caractéristiques, il représente une opportunité pour le street art et a fortement contribué à améliorer la notoriété et l’image du mouvement. Mais, on peut se demander si cette surexposition n’engendre pas une démocratisation et une institutionnalisation qui le dénaturent et entrainent une perte de sens et d’identité. Au travers de ce mémoire, je vais donc me pencher sur la problématique suivante : Comment le street art peut-il tirer parti de la communication digitale alors que celle-ci représente un danger d’institutionnalisation contraire à son essence première? Pour y répondre, j’aborderai, dans un premier temps, le contexte du street art. Je présenterai plus précisément le mouvement ainsi que son histoire, son évolution et les acteurs qu’il touche. Dans une seconde partie, j’observerai la présence du street art dans les médias numériques en analysant les pratiques de communication des acteurs impliqués. J’utiliserai, notamment, pour cela, les résultats des enquêtes que j’ai préalablement menées. Pour finir, grâce à toutes mes recherches, je proposerai des conseils et solutions pour communiquer de manière efficace sur les médias numériques. Je me placerai, tour à tour, à la place des différents acteurs. Enfin, j’ai choisi de réaliser mon mémoire sur le street art car le milieu culturel est un domaine qui me passionne et dans lequel j’aime graviter, notamment en m’y impliquant bénévolement. Le street art, plus précisément, est l’un des mouvements qui m’intéresse particulièrement. Intégrer ce mémoire dans mon parcours scolaire me semble donc être en parfaite cohérence avec le chemin que je souhaite suivre, à savoir, me spécialiser dans la communication culturelle. 5 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 6. 6 Médias numériques : Médias, c’est-à-dire, procédés permettant la distribution, la diffusion ou la communication d'œuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels en lien avec l'ordinateur, l'informatique et les NTIC.
  • 8. 8 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 I. PRESENTATION DU CONTEXTE A. Genèse du mouvement street art Afin de comprendre et cerner au mieux le mouvement street art, il convient tout à bord de se pencher sur son histoire, depuis ses origines jusqu’à sa forme actuelle. En effet, cela n’est pas sans incidence sur ce qui constitue aujourd’hui ses caractéristiques intrinsèques. 1. Une pratique intemporelle, qui traverse les époques depuis la Préhistoire L’histoire de l’art est couramment décrite et appréhendée grâce à la présentation d’une succession de courants artistiques regroupant des artistes et œuvres artistiques liés par une esthétique commune. Cependant, en marge de cette logique admise par l’ordre général et de cette histoire de l’art officielle, a toujours existé une forme d’art particulière. De tous temps, l’Homme s’est adonné à une pratique pouvant être associée au street art. Les premières formes de l’art humain : les peintures rupestres néolithiques, remontant à près de 40 000 ans, peuvent, en effet, être identifiées comme les premiers ancêtres du mouvement. Leurs emplacements en plein air et au sein d’espaces communs font, sans difficulté, penser aux lieux où se retrouve le street art actuel. Même si on ne peut affirmer avec certitude les fonctions de ces symboles, il est intéressant de noter que « quelles que soient leurs intentions, les hommes partagent leur espace quotidien avec l’art depuis des millénaires. »7 2. Une première appellation, le « graffiti » L’expression « street art » n’est apparue que récemment dans le langage courant de nos sociétés. Le premier terme ayant été utilisé et pouvant être rapproché de la pratique est, par contre, né dès 1865 dans le texte Graffiti de Pompéi8 . A l’époque de la cité antique, les inscriptions non officielles dans l’espace public existaient déjà et étaient alors nommées « graffitis ». Mais, bien que des rapprochements entre cette définition et l’art urbain soient inévitables, les racines et origines du mouvement sont en réalité à rechercher dans des pratiques bien plus récentes et proches de notre société actuelle. 3. Les origines de l’art urbain : la propagande et les arts populaires Il n’est pas aisé de retracer l’histoire de l’art urbain qui ne possède pas réellement d’unité et d’homogénéité autre que son lieu d’apparition : la rue et l’espace public. En partant du postulat qu’il s’agit du point commun fondamental du mouvement, on peut identifier deux domaines comme fondateurs de l’art urbain : la propagande (publicitaire et politique) ainsi que les arts populaires. 7 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 21. 8 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 20.
  • 9. 9 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 La réclame et l’affiche publicitaire peuvent ainsi être considérées comme l’une des premières formes proches du street art. Les artistes, techniques et mouvements associés en ont fait de véritables œuvres d’art à la portée des passants. Un bon exemple illustrant cela est celui de la Russie du début du 20ème siècle avec, par exemple, Lénine qui avait alors lancé une campagne de propagande délinée principalement sur deux supports : la fresque murale et l’affiche. Au Mexique, à la même période, l’art urbain a, par contre, plutôt pris ses racines dans le muralisme, un mouvement artistique initié par le peuple, qui a envahi l’espace public à des fins politiques9 . Au 20ème siècle, il s’agissait donc déjà d’un art créé par et pour le peuple dont la fonction première était d’attester une présence mais aussi d’exprimer une opinion, surtout dans un contexte de tension ou de conflit. 4. La naissance de l’art urbain en tant que nouvel espace d’expression C’est dans les années 1960 que l’art urbain a réellement éclos dans les pays occidentaux, notamment en France, et il n’y a rien d’étonnant à cela. Le contexte contestataire était en effet très opportun avec, par exemple, mai 68, la Guerre Froide, la naissance d’une contre- culture, l’avènement de la société de consommation et l’explosion urbaine. Des artistes, tels que Daniel Burren, sont sortis dans la rue pour lutter contre les institutions qui laissaient peu de place à l’expression libre. Leur but était aussi en cela, d’inscrire leurs œuvres dans leur contexte, c’est-à-dire, de révéler les caractéristiques spatiales et architecturales du lieu dans lequel elles s’inscrivaient et de se rapprocher du public. En se saisissant d’un espace d’exposition aussi vaste qu’il est bon marché, ces artistes ont réussi à « déranger » la relation entre l’artiste, l’institution et le régime économique de la création. 5. Du graffiti au post-graffiti Le graffiti, défini comme une inscription, un dessin griffonné ou gravé à la main sur un mur10 , est né dans les années 1960, simultanément, à New York et à Philadelphie. Les deux villes s’en disputent toujours la paternité mais le phénomène est comparable : « des milliers d’adolescents de toutes conditions commencent à recouvrir les murs d’écritures et chiffres »11 . Pour que le graffiti émerge en tant que phénomène esthétique, il faut cependant attendre qu’apparaissent la notion de style et les efforts calligraphiques. Au début des années 1970, le terme de « writing »12 apparait ainsi suite au désir des graffeurs de soigner leurs graffitis pour se distinguer et sortir du lot. Puis, dans les années 1980, le phénomène devient massif et s’étend au reste du monde. Cependant, la presse et le grand public le perçoivent comme un signe d’insécurité, le condamnent et dépensent pour l’endiguer. Entre temps, le mouvement est devenu une 9 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 20. 10 controverses.sciences-po.fr/archive/streetart/wordpress 11 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 46. 12 Writing : Catégorie du graffiti correspondant à la calligraphie propre aux tags et au travail de la lettre.
  • 10. 10 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 sous-culture de masse touchant les adolescents de toutes les classes sociales et la reconnaissance débute aussi avec les premières expositions et parutions sur le sujet. Les « writers »13 , à l’étroit dans les codes du graffiti, ont ensuite commencé à en bousculer les règles pour donner naissance à une nouvelle mouvance globale caractérisée par une grande diversité de formes, supports, techniques et outils. Apparu à la fin des années 1990, le street art correspond donc au renouveau d’une production artistique à la fois publique, éphémère et illégale. Les œuvres ne s’adressant plus désormais aux seuls initiés mais à un public plus large, le street art bénéficie d’une meilleure perception de la part de la population mais doit beaucoup au graffiti qui a ouvert la voie à la pratique d’un art clandestin dans les villes. Le graffiti peut être considéré comme le vrai « père fondateur » du street art qui a aussi été nommé « post-graffiti », « néo-graffiti » ou encore « peinture urbaine ». A ce titre, la galeriste parisienne Magda Danysz a d’ailleurs affirmé que, d’après elle, la culture du mouvement était totalement héritière du graffiti car tous les artistes qu’elle a exposés, sans exception, en sont issus. Ainsi, même des artistes dont les œuvres semblent aujourd’hui éloignés du graffiti, tels que JR par exemple, ont pourtant très souvent commencé par là. Répondant à des codes différents, les deux pratiques continuent actuellement d’évoluer indépendamment côte à côte. B. Caractéristiques et essence du street art Comme nous venons de le voir, le street art a une histoire unique et très riche qui lui confère ce caractère si particulier et distinctif des autres courants artistiques. Il convient maintenant de se pencher plus précisément sur les aspects constitutifs de son identité et qui contribuent d’autant plus à le distinguer des autres mouvements. 1. Un territoire singulier : la rue Tout d’abord, le point commun entre toutes les œuvres regroupées sous l’appellation « street art » n’est autre que celui-ci : elles se situent toutes dans la rue et de manière plus générale, dans les espaces publics. Il s’agit donc de lieux ouverts à tous, gratuits et faciles d’accès, pour le spectateur mais aussi pour l’artiste. a. Un art à la portée de tous Cet emplacement permet à l’artiste de gagner en visibilité en touchant un public large, ce qui fait partie de ses buts premiers. Nous pouvons ainsi citer Blek le Rat, figure dominante du pochoir urbain qui a déclaré à propos des street artistes « leurs œuvres sont vues en galeries par une quarantaine de personnes, et dans les musées par une dizaine de visiteurs, alors que, dans la rue, c’est une centaine de milliers de personnes qui les voient. Et ce qui donne toute son essence à une œuvre, c’est le fait d’être vue et non pas d’être vendue ou 13 Writers : Désigne ceux qui écrivent leur nom sur toutes sortes de supports urbains.
  • 11. 11 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 reconnue comme une œuvre d’art dans un musée, c’est d’être vue par des gens. »14 Grâce à cela, l’artiste peut aussi faire découvrir l’art à un public qui en est parfois éloigné. On peut donc définir le street art comme un art pour tous et à la portée de tous. b. Des œuvres hors des codes établis En prenant place dans la rue et non dans les galeries, les musées ou tout autre établissement officiel conçu spécifiquement pour recevoir des œuvres, le mouvement défie les pouvoirs et pratiques institutionnelles. Il fait fi du cadre légal, des règles du marché de l’art, des codes de la commande ou encore du mécénat et bénéficie d’un espace d’exposition aussi vaste que bon marché. c. Un ancrage contextuel Mais, la place importante de la rue dans l’identité du mouvement vient aussi du fait qu’il se définit essentiellement par son ancrage contextuel. Cela signifie que bien souvent, les œuvres sont propres à un emplacement spécifique. Elles sont créées et destinées à un lieu unique et sont indissociables de celui-ci telles que les œuvres de Banksy sur le mur de séparation israélo-palestinien ou encore, parmi tant d’autres, les sculptures pixel de Kelly Goeller représentant de l’eau s’échappant de tuyaux présent dans l’environnement urbain. La rue est donc essentielle dans le street art et se retrouve au cœur de son identité car il s’agit du point si particulier de rencontre entre l’œuvre d’art (et son emplacement), l’auteur et le spectateur, où chacun joue un rôle. Mais, comme le présente la galeriste Magda Danysz, « Les writers ne peuvent pas se définir uniquement par la rue »15 . 2. Des œuvres éphémères Ensuite, l’une des caractéristiques les plus facilement identifiables et communes aux œuvres de street art repose sur leur éphémérité. Leur durée de vie est limitée et conditionnée par le fait qu’elles soient enlevées, recouvertes ou abîmées, que ce soit de manière intentionnelle ou simplement naturelle. De ce fait, certaines œuvres ne sont visibles que pour quelques chanceux et de leur créateur. Mais, loin de représenter un point faible, cela constitue plutôt un des atouts du mouvement en donnant une dynamique aux œuvres ainsi qu’à la ville par là même. Cela participe à vivifier et animer l’espace public tout conférant un caractère de rareté aux créations. Celles-ci ne sont pas réalisées dans un but de conservation mais au contraire, sont destinées à une « consommation immédiate ». La fragilité du street art est donc porteuse de sens. 14 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 70. 15 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 114 (entretien avec la galeriste Magda Danysz, 2012).
  • 12. 12 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 3. Des formes, outils et styles variés a. Bombes et marqueurs Par leur facilité à être transportés et leur coût abordable, les marqueurs, peintures aérosols et caps sont couramment associés aux outils de base du graffeur. Le tag constitue, quant à lui, la forme la plus élémentaire du graffiti et correspond à une signature ou un symbole dessiné hâtivement à la bombe16 . Cependant, tant les instruments, que les techniques ou encore les formes et les styles regroupés sous l’appellation « street art » sont extrêmement plus divers et variés. En voici quelques uns parmi les principaux. b. Pochoirs Les pochoirs représentent l’un des outils essentiels du mouvement. Economiques et permettant une possibilité de duplication infinie, ils ont rapidement été adoptés par bon nombre d’artistes. Citons, par exemple, le précurseur parisien Xavier Prou qui tient son pseudonyme « Blek le Rat » de ses pochoirs de petits rongeurs et dont on ne peut que constater aujourd’hui l’influence sur l’artiste britannique Banksy qui, lui, a fait du pochoir sa marque de fabrique. c. Stickers et affiches L’affiche permet une rapidité de pause mais nécessite un matériel encombrant. Les stickers quant à eux, qui sont tout simplement des autocollants, ont décollé (sans mauvais jeu de mots), suite à la campagne Obey Giant de Shepard Fairey qui a envahie le monde à la fin des années 1990. Ils permettent de contourner les contraintes principales du graffiti car grâce à une installation simple, rapide, nécessitant peu de matériel et moins dégradant pour le support et l’environnement. d. Autres formes N’importe quel matériau peut aussi être transformé en sculpture et le mobilier urbain peut, à cet exemple être recouvert de tricot comme avec le « yarn bombing ». Parmi les multiples autres formes, nous pouvons encore mentionner la gravure et des œuvres précises comme celles de Vhils qui ne rajoutent aucune matière mais se contentent de mettre à nu les couches des supports utilisés. Le « clean tag » ou « reverse graffiti » consiste, d’ailleurs, lui aussi à ne pas rajouter mais à retirer les couches de saleté des surfaces choisies. Les street artistes puisent dans toutes sortes de disciplines pour trouver leurs inspirations et leurs influences sont larges et diverses : beaux-arts, hip-hop, pop-culture, etc. 16 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 24.
  • 13. 13 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 En définitive, nous pouvons reprendre cette citation qui illustre avec une grande justesse la réalité : « l’art de la rue peut prendre autant de formes qu’il existe de rues. »17 4. Liberté d’expression et contestation a. Liberté d’expression Indépendamment du contenu du message délivré, la rue apparait pour les graffeurs comme «un lieu où assouvir leur formidable besoin d’expression »18 et affirmer leur liberté en s’affranchissant de tous les codes et médiations. Par son existence et sa présence, la peinture urbaine a ainsi pour fonction de « rappeler l’importance de la liberté d’expression et d’individualité de chacun »19 . Certains artistes s’expriment sans avoir forcément de message particulier à faire passer mais plus une envie de se faire plaisir, d’embellir l’espace et de créer « une échappatoire imaginative » comme pour le duo d’artistes THTF20 . D’autres ont pour but de divertir, faire réfléchir, voire améliorer la conscience sociale et créer une réaction concernant des problématiques sociopolitiques et culturelles. b. Résistance, contestation et rébellion Comme je viens de l’introduire précédemment, les street artistes constituent un ensemble hétéroclite avec des motivations et messages divers et propres à chacun. Mais, indépendamment de l’intention de l’artiste, quelle qu’elle soit, produire de l’art urbain est déjà en soi « une forme de résistance à l’imagerie autorisée. » car « toute modification visuelle non autorisée d’un espace urbain est une forme de rébellion contre la construction capitaliste du lieu. »21 Il est aussi à noter que de tout temps, la rue a été « le terrain d’expression privilégié de l’activisme »22 en citant par exemple les manifestations en tout genre qui s’y déroulent. Ce n’est ainsi pas un hasard si l’avènement du street art coïncide parfaitement avec l’apparition sur la scène médiatique de l’altermondialisme. Plusieurs artistes se positionnent contre la globalisation et d’autres problématiques contemporaines comme Banksy avec ses détournements. D’autres types de protestations sont observables avec, parmi beaucoup d’autres, l’exemple de Blek le Rat qui a disséminé en 2005 des portraits de la journaliste Florence Aubenas alors retenue en Irak afin d’attirer l’attention des médias sur sa situation. 17 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 145. 18 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 70. 19 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 112. 20 Cf Annexe 12, Entretien avec THTF. 21 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 73. 22 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 40.
  • 14. 14 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Bien souvent, le street art conteste et remet donc en question le système de l’art, la société de consommation et la médiatisation à outrance tout en défendant la liberté de pensée et d’expression et en favorisant la prise de conscience sociale.23 5. Une pratique encore illégale Les dispositions légales sont propres à chaque pays et varient même selon les villes. Certaines nations se montrent plus tolérantes que d’autres comme en Amérique Latine tandis que d’autres sont plus strictes et sévères comme en République Tchèque où les THTF se sont fait réprimander : « pour 3 affiches collées, ils nous ont pris tout notre matériel plus 24 heures de garde à vue ».24 a. La loi française En France, le street art reste encore un délit puni par la loi d’après les articles 322-1, 322-2 et 322-3 du Code Pénal déclarant : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger. » Ces peines pouvant être portées, selon les circonstances, jusqu’à 100 000 euros d'amende et sept ans d'emprisonnement pour l’infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 et à 15 000 euros d'amende et une peine de travail d'intérêt général concernant celle définie au deuxième alinéa du même article.25 Les artistes ne possèdent souvent pas le bien sur lequel ils créent, n’ont pas non plus reçu de commande ni demandé de permission alors, la majorité des œuvres de street art qont réalisées de manière illégale. b. Motif de valorisation, d’exaltation ou de contestation Dans l’art urbain, il est rarement question de détruire dans le seul but de détruire. Certains artistes font de cette transgression le but premier de leur geste car au même titre que la qualité de la réalisation, les risques pris lors de l’exécution entrent en ligne de compte dans le jugement du street artiste par ses pairs. D’autres apprécient juste l’exaltation et l’adrénaline provoquées comme le souligne Florent Soragna, propriétaire de la boutique 81 Store en précisant que l’illégalité « fait partie des règles du jeu depuis le début, c’est aussi ce qui stimule les artistes ».26 23 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 96. 24 Cf Annexe 12, Entretien avec THTF. 25 www.legifrance.gouv.fr/ 26 Cf Annexe 7, Entretien avec Florent Soragna.
  • 15. 15 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Tandis que d’autres soutiennent une démarche visant à remettre en cause le pouvoir juridique et politique. Dans ce dernier cas, on peut, par exemple, citer le cas des œuvres s’élevant contre les caméras de surveillance londoniennes ou encore les nombreuses créations ornant le mur de Berlin en guise de protestation contre son existence. L’illégalité du street art ne limite donc pas à sa pratique mais est plutôt une marque de son authenticité et fidélité et fait partie intégrante de son essence. C. Un mouvement en pleine reconnaissance 1. Institutionnalisation et pouvoirs publics La reconnaissance correspond à l’acceptation et la légitimation de quelque chose. De ce fait, la reconnaissance du mouvement se caractérise premièrement par l’attitude des institutions et pouvoirs publics à son égard. Dès 1985, on a pu constater une forme d’acceptation institutionnelle avec l’initiative du ministère de la Culture nommée « La Ruée vers l’art » et réunissant les pochoirs de Blek, Jef Aerosol ou Speedy graphito sur les murs du Marais. Cependant, la réelle reconnaissance institutionnelle n’est apparue que bien plus récemment, en écho aux succès commerciaux du street art en galerie et salle des ventes. Désormais, les collectivités n’hésitent plus à passer des commandes publiques ou à organiser des événements, festivals, expositions en plein air. L’un des événements les plus marquants de cette institutionnalisation au niveau des pouvoirs publics est sans doute la récente intégration d’une œuvre de street art dans la Salle des Mariannes du Palais Bourbon en janvier dernier. Au milieu de la collection de bustes, la nouvelle venue créée par le graffeur américain JonOne se démarque et détonne.27 Des murs y sont aussi consacrés comme depuis 2008 à New York avec le Bowery Mural qui accueille des œuvres commandées par les propriétaires du mur ainsi que la galerie The Hole ou à Paris « Dans le XIe arrondissement, l'association le MUR [NDLR : Modulable, urbain, réactif] invite des artistes à s'emparer de l'espace anciennement occupé par un panneau publicitaire de 3x8 mètres. Chaque nouvelle œuvre recouvre la précédente, perpétuant ainsi l'essence éphémère de l'art urbain.»28 A Lyon, la Ville a par exemple participé à deux manifestations en relation avec des street artistes : - En mai 2010, Perfusion, un parcours street-art avec 24 artistes venus du monde entier autorisés à taguer des locaux vacants. 27 JARDONNET, Emmanuelle, « Avec JonOne, une Marianne street art entre au Palais Bourbon », in lemonde.fr, 21 janvier 2015. 28 BORDIER, Julien, « Street Art: un mouvement qui s’institutionnalise », in lexpress.fr, 15 février 2013.
  • 16. 16 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 - Chaque année, depuis plus de 10 ans, la Ville organise le festival Original durant lequel les artistes urbains peuvent s’exprimer (notamment sur des panneaux prévus à cet effet dans la cour de l’Hôtel de Ville).29 Le sujet s’est placé au cœur des préoccupations et des conversations et a entrainé dans son sillage des initiatives telles que la Commission inter-conseils de quartier du premier arrondissement de Lyon30 qui a été pensé pour créer un espace de dialogue sur l’art urbain afin d’ouvrir les mentalités des habitants. La galeriste Magda Danysz explique l’attitude des institutions ainsi : « Aujourd’hui dans les boards, il y a des gens à qui ça parle. ». Et cela se justifie par la médiatisation ainsi que le fait que les décideurs actuels soient nés aux côtés du mouvement. Cependant, cette évolution pose des questions car elle diminue dans un même temps la portée subversive du street art que nous avons définie plus tôt et limite souvent la liberté de création des artistes. Pour finir, il est vrai que les œuvres commandées peuvent très bien s’intégrer dans l’espace public tandis qu’une pièce réalisée de manière illégale peut chercher à détruire, vandaliser ou altérer le message ou espace qu’elle recouvre. Mais l’inverse est aussi vrai. Ce n’est pas parce qu’une œuvre est commandée qu’elle respecte forcément l’espace public et une œuvre illégale peut revêtir une fonction éducative et créative elle aussi.31 2. Galeries, expositions, marché de l’art En 1980, la galerie new-yorkaise Fashion Moda accueillait déjà le « Times Square Show » considérée comme l’exposition ayant permis au graffiti de rentrer dans le monde de l’art. Mais, il a en réalité fallu attendre ses dernières années pour atteindre la reconnaissance des plus prestigieuses institutions culturelles telles que la Tate Modern, le Grand Palais, la Fondation Cartier ou encore le MoCA (Museum of Contemporary Art) qui ont consacré des expositions au mouvement. Depuis 2005 environ, le marché de l’art, porté par des records jamais observés en salle des ventes, se montre de plus en plus ouvert à l’art urbain. Ce phénomène étant renforcé par le soutien de la commande publique et l’encensement de certains artistes.32 A l’engouement des médias et des institutions se couple donc inévitablement celui des collectionneurs. Même une galerie comme Clémoushka qui vient juste d’ouvrir en janvier dernier observe des « ventes très satisfaisantes » et Clémence Desrozes, la propriétaire, nous précise tout de même qu’il existe « deux catégories d’acheteurs, ceux qui sont passionnés et ceux qui sont uniquement attirés par l’argent ».33 29 Cf Annexe 4, Entretien avec Audrey Charveron. 30 Cf Annexe 3, Entretien avec Laure Abouaf. 31 THORNE, Russ, Street art, Paris, 2014, Larousse, 192 pages, p. 47. 32 LEMOINE, Stéphanie, L’art urbain - Du graffiti au street art, Paris, 2012, Gallimard, 128 pages, p. 94. 33 Cf Annexe 8, Entretien avec Clémence Desrozes.
  • 17. 17 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Du côté des artistes, selon Jérémie Masurel, propriétaire de la Galerie Slika, « il y a tout d’abord une motivation économique […]. Et ça permet aussi de contourner le problème de l’illégalité et de la répression. »34 Les œuvres de street art étant, par définition, gratuites et non commercialisables, se faire une place sur le marché de l’art est un moyen de vivre de leur passion. Ces choix ne sont cependant par toujours bien acceptés. Nous pouvons par exemple évoquer le cas de Birdy Kids, traité de « vendu » par certains de ses pairs suite à la commercialisation de son art. Ce jugement est sûrement empreint d’une certaine jalousie mais aussi basé sur des convictions fortes. Cependant, dès lors, une contradiction apparaît car comme je l’ai défini auparavant, le street art est un art contextuel et non un phénomène artistique comme les autres. De ce fait, son passage en galerie provoque un appauvrissement, lui fait perdre en dynamisme en l’enfermant dans un lieu clos. L’exposition de l’art urbain en galerie lui ôte la puissance de son caractère brut et la sensation de mouvement, d’immédiateté et d’énergie véhiculée qui y est liée. 3. Démocratisation du mouvement et médiatisation Comme j’ai pu le présenter dans les deux parties précédentes, un enthousiasme sans précédent envers le mouvement est constatable de la part des institutions et du marché de l’art mais les médias sont, eux aussi, loin d’y être insensibles. Leur rôle n’est pas non plus à négliger dans ce changement de perception du public et cet élan de reconnaissance. Le nombre de livres publiés, d’articles, mais aussi de films, émissions ou documentaires a explosé durant ces dix dernières années. Internet possède une place importante dans la médiatisation du street art car pas une semaine ne passe sans qu’un nouvel article ne paraisse sur la toile. Ces observations se retrouvent dans les résultats de l’étude quantitative35 que j’ai menée. Il s’agit d’un questionnaire auquel 105 personnes de statuts variés ont répondus. Il m’a été possible de constituer un échantillon représentatif de la population et d’extrapoler les constatations au grand public de manière globale. Ainsi, avec 90% des répondants affirmant connaître le street art, nous pouvons constater que sa notoriété est actuellement très bonne auprès du grand public. Ensuite, 46%, c’est-à- dire presque la moitié des interviewés se dit intéressée par le mouvement, suivi par 28% de personnes se disant très intéressées. L’intérêt porté au mouvement est donc relativement fort. Ne passons tout de même pas sous silence le fait qu’une frange non négligeable de la population associe toujours la pratique à des qualificatifs relatifs à la dégradation (5%) et au vandalisme (2%). 34 Cf Annexe 9, Entretien avec Jérémie Masurel. 35 Cf Annexe 1, Etude quantitative.
  • 18. 18 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 D’après Aurélien Michaud, co-fondateur de l’application et site web Urbacolors, « le mouvement est désormais « intégré aux codes de la société » et il est « compatible avec [son] état d’esprit ».36 Ensuite, plus de la moitié des répondants (53 %) est capable de citer des noms d’artistes de manière spontanée avec pour noms principaux sortant du lot ceux de Banksy, JR, C215, Mr Chat, Shepard Fairey, Space Invaders, Birdy Kids, Combo, Jean Michel Basquiat, André, Miss tic, etc. Les noms cités sont bien souvent les mêmes et correspondent aux street artistes les plus médiatisés mais rares sont les interviewés capables de donner des noms de « petits » artistes. En résonance avec ces observations, nous pouvons observer l’émergence d’un phénomène de starification et « peoplisation » des street artistes. En tête de liste, je peux ainsi reprendre les noms de Banksy et JR. Tous deux jouissent d’un fétichisme particulier et les œuvres de Banksy peuvent facilement dépasser le million de dollars. Invader n’est pas non plus en reste et voit lui, par exemple, ses prix progresser, pour atteindre les 20 000 euros désormais.37 Certains cherchent alors l’anonymat par choix artistique ou tout simplement pour ne pas risquer de poursuites judiciaires. Comment ne pas, encore une fois, citer Banksy pour illustrer ce profil. Il est actuellement l’un des street artistes les plus connus, si ce n’est le plus connu, sur la scène internationale mais son identité reste pourtant toujours parfaitement ignorée et difficile à percer de la part du grand public. D’autres, au contraire, tels que Shepard Fairey, restent sous les feux de la rampe et travaillent sur des fresques installées à la vue des passants, créent des partenariats avec des marques, etc. Ce rapprochement commercial est mal vu par certains, considérant que cela va à l’encontre des valeurs du mouvement. Mais, ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent et nous pouvons nous demander si ce sont bien ceux qui le « méritent » le plus. Mais répondre à cela ne semble pas évident, sur quoi pouvons-nous nous baser et que signifie la notion de mérite ? Parmi les médias, une catégorie se détache, comme je l’ai évoqué précédemment. Il s’agit des médias numériques. Comme le présente Florent Soragna, « à la base le graffiti et le street art c’est une pratique d’auto-communication et d’autopromotion où le but est d’être vu alors internet est un outil parfaitement adapté au mouvement. »38 . Ce à quoi Julien Mariette, propriétaire de la librairie Datta, rajoute que « Le street art est un monde de star système et de reconnaissance […]. Il y a un besoin d’être connu donc c’est plutôt en adéquation avec internet. »39 Cependant, ces opinions sont à contraster avec d’autres notions contraires à l’essence du mouvement telle que je l’ai définie tout au long de cette première section. 36 Cf Annexe 6, Entretien avec Aurélien Michaud. 37 AZIMI, Roxana, « Le street art n’est plus à la rue », in lemonde.fr, 30 mars 2015. 38 Cf Annexe 7, Entretien avec Florent Soragna. 39 Cf Annexe 10, Entretien avec Julien Mariette.
  • 19. 19 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Dans cette première partie, j’ai donc pu présenter les composants essentiels de l’identité du mouvement et le contexte actuel dans lequel il s’inscrit. On constate ainsi une institutionnalisation du mouvement à plusieurs niveaux de manière simultanée : pouvoirs publics, marché de l’art et du commerce, monde médiatique, etc. Cependant, cela n’empêche pas qu’une certaine forme de répression sur le sujet, notamment au niveau judiciaire, continue de perdurer. Ces évolutions, bien que bénéfiques quant à la notoriété du street art, semblent, néanmoins, l’éloigner de son essence première. C’est dans cette perspective que je vais me pencher plus vivement sur la présence du street art dans les médias numériques et que je chercherai à savoir comment orienter la communication digitale liée au mouvement.
  • 20. 20 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 II. Médias numériques, un nouveau territoire pour le street art A. Panorama des canaux de communication digitaux La digitalisation du street art n’est pas, en réalité, un phénomène si récent qu’il peut y paraître. En effet, les premiers sites consacrés au mouvement sont nés dès les années 1990, c’est-à-dire en même temps que l’émergence du web auprès du grand public lui-même. Aujourd’hui la variété des supports existants s’est considérablement densifiée et l’on peut affirmer que « La visibilité des graffitis sur internet est déjà sans doute aussi importante que leur présence dans la rue »40 . 1. L’importance de la photographie dans une « société de l’image » Depuis les vingt dernières années, on peut constater que l’image a acquis un statut de plus en plus important et privilégié au sein de nos sociétés modernes. Ses moyens de diffusion et de consommation n'ont jamais été aussi nombreux et nous nous retrouvons confrontés à un nombre d’images considérable chaque jour. Rien d’étonnant donc, suite à cette observation, à constater le nombre de photographies de street art présent sur internet ni le fait que 67% des personnes que j’ai interrogées ont déjà pris en photo des œuvres de street art. A cela s’ajoute, de plus, une tendance propre à internet qui a érigé le citoyen lambda au rang d’acteur et diffuseur sur la toile. Les chiffres de l’étude que j’ai menée illustrent bien cette tendance avec 41% des interviewés déclarant avoir ensuite publiées les photos prises sur internet. 2. Les sites internet Les sites internet représentent le premier support digital qui est apparu et il en existe désormais de natures très différentes. a. Galeries et photothèques Il existe tout d’abord, comme forme la plus simple, des sites internet entièrement consacrés au mouvement et réalisés par des passionnés ou des professionnels. Ceux-ci peuvent revêtir la forme la plus simple, c’est-à-dire constituer une simple galerie regroupant une large palette d’œuvres photographiées et répertoriées. Dans ce cas, il est aussi possible que la galerie en question propose l’achat de certaines réalisations. L’Institut culturel de Google a par exemple lancé depuis l’année dernière, son « Street Art Project ». Il s’agit d’une interface accessible depuis le moteur de recherche Google et présentée sous forme de photothèque dont l’objectif est de faire découvrir l’art urbain du monde entier directement sur internet. Plus de 10 000 images, mais aussi, des vidéos et interviews y sont référencées et permettent de découvrir les processus de création. 40 STAHL, Johannes, Street art, Paris, 2009, Ullmann Publishing, 288 pages, p. 222.
  • 21. 21 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 b. Cartographies interactives Une forme de services complémentaire a actuellement le vent en poupe. Il s’agit du « mapping » que l’on peut définir comme la mise en cohérence entre deux types d'informations distincts, dans le cas présent, la localisation et le visuel d’une œuvre. Ainsi, 29% des personnes que j’ai interrogées ont déjà utilisé un service de pré-localisation sur internet avant d’aller voir une œuvre en réel, ce qui n’est pas négligeable. Le site paris- streetart.com bénéficie par exemple d’une bonne renommée et à une échelle plus globale nous pouvons évoquer l’exemple de urbacolors.com. Ce dernier va même plus loin en proposant un véritable site communautaire et en reprenant les codes des réseaux sociaux. c. Sites transversaux dédiés au street art Certains sites internet vont au-delà de la seule proposition d’une galerie en ligne (cartographiée ou non) et proposent d’y ajouter d’autres services comme street-art- lyon.com entièrement consacré au territoire lyonnais. Il regroupe une galerie mais aussi une cartographie, un calendrier synchronisant tous les événements portant sur le mouvement et organisés par diverses structures telles que les galeries, des portraits d’artistes et répertorie encore, pour finir, les galeries dédiées au street art. Ce type de sites très complets avec ces services complémentaires se développe de plus en plus. En effet ils répondent à une demande de la part de la population. Parmi les 38 % de personnes m’ayant répondu s’être déjà rendus sur un site internet consacré au street art, ceux s’y étant déjà rendus l’ont fait en majorité dans le but de regarder des œuvres (30%). Cependant, 21% d’entre eux cherchait par cela à en savoir plus sur un artiste ou encore à localiser des œuvres (17%). d. Sites et blogs d’artistes A côté de ces sites internet mis en ligne par de simples passionnés ou professionnels en lien avec le mouvement, nous en trouvons de nombreux autres issus de l’initiative des street artistes eux-mêmes. Pour n’en citer que deux, Levalet ou encore Fred le Chevalier représentent des bons exemples d’artistes français communiquant de manière régulière via leurs sites personnels. Souvent, ces sites sont reliés aux pages ou profils du personnage en question et il existe parfois une boutique où sont vendues certaines de ses réalisations. De l’avis de plusieurs aficionados du mouvement, dont les galeristes avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger, la plateforme la plus aboutie reste à ce jour celle développée par Invader. L’inventivité et la cohérence de son projet est saluée de tous. Son site internet met en valeur l’idée forte et porteuse de sens sur laquelle il s’appuie depuis ses débuts. En effet, il a envahi l’espace public, au sens littéral du terme, avec ses petits personnages en mosaïque inspirés du jeu vidéo « Space Invaders ». Il a ensuite poussé le concept et son rapport au numérique au maximum en proposant aux internautes un jeu grandeur nature dans lequel le site constitue le support d’annonce et de référencement de nouvelles œuvres auxquelles partir à la recherche. Mais, il y diffuse aussi ses actualités, dates d’expositions, boutique en ligne, etc. Il s’agit d’une véritable vitrine pour l’artiste qui a réussi à exploiter le support de manière ingénieuse.41 41 Cf Annexe 16 : Capture d’écran www.space-invaders.com.
  • 22. 22 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 e. Sites consacrés à des projets spécifiques Des sites internet mis en ligne lors d’occasion bien particulières existent aussi. Nous pouvons dans un premier temps mentionner le très réussi web documentaire « Défense d’afficher ».42 En se rendant sur le site créé en 2012, l’internaute est propulsé en slow motion dans une déambulation urbaine qui l’emmène sur les traces de 8 artistes, dans 8 villes du monde au travers de courts documentaires. Un second exemple intéressant à évoquer est celui du projet de la Tour Paris 13, consultable depuis 2013. L’objectif : offrir une seconde vie numérique à des œuvres condamnées à une disparition inévitable lors de la démolition de la tour au sein de laquelle elles se trouvent. Une galerie virtuelle présentée sous la forme d’une visite de la tour a ainsi été imaginée.43 f. Presse en ligne Pour finir, n’oublions pas de nous arrêter sur les sites de nature journalistique. Ceux-ci sont très nombreux à traiter du street art car se saisir d’un sujet « à la mode » est un moyen pour les médias d’intéresser à coup sûr l’audience. Qu’il s’agisse de sites de journaux nationaux tels que Le Parisien, Libération et Le Monde, de gratuits comme 20 Minutes, tous ont abordé le thème sur la toile au cours des derniers mois. Les webzines ne sont pas en reste et le nombre d’articles publiés sur Konbini, BuzzFeed et autres MinuteBuzz en sont la preuve évidente. 3. Les réseaux sociaux La place des réseaux sociaux dans le paysage numérique n’en finit pas de croître ces dernières années. Lors de mon enquête, j’ai ainsi pu identifier que 35% des interviewés suivent des street artistes et/ou des pages consacrées au street art sur les médias sociaux. J’ai aussi observé que parmi les 41% de personnes ayant déjà publiées des photos sur internet, 32% ont, pour cela, privilégié Facebook, 22% Instagram et 10% Twitter. En revanche, seulement 3% en ont publiées sur des blogs et ailleurs. Cela prouve bien la forte popularité de ces trois réseaux sociaux et leur présence importante dans les habitudes comportementales et pratiques de notre société actuelle. On peut, de plus, facilement effectuer quelques analyses grâce à l’agrégateur de hashtags44 #Tagboard.45 En examinant les réseaux Twitter, Facebook, Google+, Instagram, Vine et Flikr, voici les données que nous pouvons découvrir : pas moins de quatre posts par minute sont publiés sur ces six canaux accompagnés de « #streetart ». Cela nous permet de nous représenter l’ampleur du phénomène en notant, de surcroît, qu’il existe de nombreux autres contenus mis en ligne sans ce hashtag et qui ne sont, de ce fait, pas pris en compte. Aucune étude certifiée n’existe, à ce jour, au sujet de la présence prépondérante d’un réseau social en particulier par rapport à un autre. Toutefois, en tapant «street-art 42 www.francetv.fr/defense-d-afficher 43 www.tourparis13.fr 44 Hashtag : Mot-clé préfixé par le sigle #. 45 Cf Annexe 15 : Capture d’écran tagboard.com.
  • 23. 23 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 site:facebook.com » dans la barre de recherche de Google, plus de 7 millions de résultats s’affichent, ce qui laisse imaginer le nombre de pages et profils de l’interface contenant le mot dans leur intitulé. Mon étude m’a aussi permise de mettre en évidence une préférence entre les réseaux sociaux concernant la publication de photos comme je l’ai évoqué précédemment. Celle-ci rejoint l’ordre des médias sociaux privilégiés pour suivre des pages ou profils. Ainsi, Facebook atteint 27%, Instagram 22% et Twitter 13%. Facebook semble donc être l’interface préférée des internautes, suivi d’Instagram. Tous deux privilégient l’image et cela coïncide tout à fait avec la « société de l’image » que j’ai décrite plus tôt ainsi que le fait qu’il s’agisse d’un art visuel. Sur ces réseaux sociaux, les internautes suivent autant des pages dédiées au mouvement de manière générale telles que Street Art in Germany, Street Art Paris, Escapades Street Art, etc ou bien consacrées à un artiste en particulier. Avec plus de 550 000 « instagramers » abonnés à son compte, JR peut par exemple être considéré comme l’un des plus connectés. 4. Les applications mobiles De nombreuses applications mobiles spécialisées sur le street art ont fleuries dans le paysage numérique récemment dont la majorité consiste à proposer des cartographies et à représenter un prolongement mobile de sites internet. Malgré tout, le public ne semble pas encore très réceptif car 87% ne connaissent pas d’applications mobiles dédiées au street art, soit une très large majorité. Seulement 6% en ont sur leur smartphone et 8% en connaissent mais n’en possèdent pas. Parmi celles citées, on retrouve : Urbacolors et MyParisStreetArt fonctionnant de la même manière que leurs grands frères de la toile, All City Street Art, Streetlove, FlashInvaders, ou encore Street Invaders. Ce dernier n’a fonctionné que pendant une courte période en 2013, le temps d’une grande chasse au trésor numérique dans les villes de Bordeaux, Pau et Biarritz. Dans cette même veine du gaming, reprenons à nouveau pour exemple le projet d’Invader dans lequel l’application FlashInvaders possède une importance capitale. En l’installant, le joueur peut flasher le Space Invader qu’il trouve dans la rue car elle utilise l’appareil photo du téléphone portable ainsi que le GPS pour reconnaître l’œuvre en question instantanément. Il est très difficile de tricher et se trouver au bon endroit avec son portable entre les mains est le seul moyen pour les « gamers » d’accéder au niveau supérieur. Un tout autre type d’application a aussi vu le jour à l’initiative de la Ville de Paris. Baptisée « Paris dans ma rue », son objectif est de permettre aux parisiens de signaler les différentes « anomalies » (c’est ainsi que sont qualifiés les graffitis) de leur quartier afin d’améliorer la qualité de l’espace public, d’après les dires de la mairie.
  • 24. 24 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 B. Web et street art : une culture commune 1. Facilité de création et de diffusion Le web et le street art sont deux notions qui peuvent, dans un premier temps, apparaître comme complémentaires sur divers points. Nous pouvons tout d’abord noter que la toile, au même titre que la rue, constitue un nouvel espace public. Personne ne se retrouve interdit d’entrée dans ce monde virtuel. De ce fait, on y retrouve la même simplicité d’accès et de création propre à l’espace urbain. Dans une société du « tout connecté » comme celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement, il n’y a aucune difficulté à se relier à internet de manière rapide, voire instantanée. Nous n’avons même plus besoin d’un ordinateur et d’une « box » internet, un simple téléphone portable connecté au wifi suffit. Cela permet, par là même, de proposer un service gratuit, ou presque, en accord avec la gratuité caractéristique du mouvement en lui-même. De nombreux projets privilégient ces valeurs d’accessibilité et de gratuité à l’instar de Urbacolors. L’application a ainsi fait appel au financement participatif via le site Ulule afin de pouvoir financer son amélioration tout en continuant de proposer un média complètement gratuit. Pour Aurélien Michaud, le fondateur, il est « essentiel de suivre et reprendre ces valeurs qui sont celles portées par le street art ». Grâce à cela, internet peut donc constituer, un tremplin pour les jeunes artistes et n’érige pas non plus de barrières, tant sociales, que culturelles ou encore économiques (dans une moindre mesure) à son rentrée. 2. Portée universelle et participative a. Cible large Le web, par cette accessibilité que nous venons de définir, a rendu possible la pénétration du mouvement dans des catégories socioprofessionnelles qui en semblaient, de prime abord, éloignées. Il permet de toucher une audience plus large, qui pouvait par exemple avoir des préjugés sur l’art ou le street art. Grâce à cette médiatisation « online », le mouvement a aussi pu accéder à ceux qui ne peuvent pas se déplacer pour apprécier les œuvres in situ pour diverses raisons telles que celles des publics dits « empêchés »46 . b. Echelle internationale Le « World Wide Web » (WWW), communément appelé « web » ou encore « toile » peut se traduire littéralement en français par « toile (d’araignée) mondiale ». Internet permet, en effet, de diffuser du contenu dans le monde entier et donc de concevoir le street art et le travail des artistes par exemple, à une échelle mondiale. 46 Publics empêchés : Personnes malades, à mobilité très réduite, très âgées, hospitalisées, détenus, etc.
  • 25. 25 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Pour reprendre l’exemple précédent, de Urbacolors, nous pouvons souligner cette vision globale en observant, d’une part, que l’application, comme de nombreuses autres, répertorie des œuvres du monde entier. Et, d’autres part, notons qu’elle est actuellement disponible en français et en anglais mais qu’elle va, très prochainement, être traduite en six langues différentes afin de s’inscrire dans la dynamique des « global painters » qui eux aussi, parcourent le monde pour répandre leurs œuvres aux quatre coins de la planète. Aujourd’hui, une œuvre peut faire le tour de la Terre en quelques secondes seulement et cela a considérablement contribué à favoriser l’extension et l’évolution de la culture graffiti et street art dans le monde entier. c. Echanges et participations En leur permettant de communiquer et de se déplacer virtuellement, les outils numériques ont amélioré les possibilités d’échanges avec le public mais aussi au sein du cercle des artistes lui-même. Nous pouvons constater une réelle ouverture croissante aux autres. Les réseaux sociaux, notamment, sont fortement contributeurs de ce changement. En permettant le partage des réalisations, les styles et les techniques ont pu se nourrir et s’enrichir. Certains artistes ont mis en place des projets bien particuliers et impliquant. Citons ainsi Yacine Ait Kaci, le créateur d’Elyx qui propose d’entrer en relation avec son personnage et de faire de lui une œuvre collaborative. Pour cela, il met à disposition des dessins que les internautes peuvent télécharger pour partager leurs propres mises en situation, partout dans le monde.47 Un autre projet majeur, à la fois participatif et mondial, est celui initié par JR depuis 2011. Intitulé « Inside Out », il donne l’opportunité à chacun de partager son portrait en grand format en faisant passer un message. Chaque action mise en place a été documentée, archivée et publiée sur internet via le site dédié. A ce jour, près de 200 000 personnes de plus de 112 pays et territoires différents (Equateur, Népal, Mexique, Palestine, etc) ont déjà pris part au projet, sur de nombreux thèmes tels que l’espoir, la diversité, les violences sociales, le changement climatique, etc.48 Cet exemple est très représentatif de la portée du street art qui, grâce au web, est à la fois universelle et participative. 3. Protection de la liberté et de l’anonymat Comme je l’ai évoqué plus tôt, la liberté d’expression est une valeur prônée et défendue avec ferveur par le mouvement. Internet permet, justement, de protéger et de pousser plus loin cette notion. En effet, ce canal d’expression permet de manifester ses idées et pensées avec une grande liberté car la censure y est moindre et il est beaucoup moins contrôlé que les médias classiques. Le créateur de Elyx déclare à ce sujet : « J'aime cette idée de participer 47 GUGGEMOS, Alexia, « Elyx, le pionnier du digital street art, pris en flagrant délit », in huffingtonpost.fr, 23 avril 2014. 48 www.insideoutproject.net
  • 26. 26 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 à l'élaboration d'une économie parallèle, une économie du désir, indépendante du système financier traditionnel ». Internet apparaît comme un moyen de s’exprimer et d’agir hors des codes, tout comme dans la rue. C’est, de plus, un moyen de court-circuiter tous les médiateurs habituels, que ce soit les galeries, les musées ou encore la presse par exemple. La toile, propose, certes, un espace d’expression assez libre mais, c’est aussi la possibilité pour certains artistes de protéger leur identité et de conserver leur anonymat. Cela n’est pas anecdotique au regard de l’illégalité de la pratique ou bien de la portée politique importante de certains messages. Internet est donc un outil, avantageux pour le street art car il est capable de lier, à la fois, forte popularité et conservation de l’anonymat. 4. Nouvelles formes Le street art est caractérisé par son aspect protéiforme et internet permet de pousser encore plus loin cette particularité car il est possible de faire beaucoup plus avec les outils digitaux qu’avec une simple bombe. En France, les œuvres de street art intégrant le digital se font rares et connaissent encore des difficultés à percer. La galeriste Clémence Desrozes pense ainsi que « les artistes préfèrent encore les matériaux de la rue ». Mais cette affirmation est à relativiser car, à l’échelle mondiale, on observe de plus en plus de créations de ce type et le mouvement a pu gagner une diversité encore plus grande dont en voici quelques exemples. Tout d’abord, même si le QR code49 a du mal à prendre en France, ce n’est pas le cas à l’étranger où Sweza en a, par exemple, fait son crédo. Il colle des codes qui génèrent ensuite différents types de contenus sur le portable de l’utilisateur qui le flashe (ex : la photographie d’une œuvre effacée se trouvant précédemment à l’emplacement du QR code pour le projet Graffyard, de la musique50 , etc).51 Je peux ensuite présenter le cas de Elyx, déjà évoqué à plusieurs reprises en amont, qui repose sur un travail hybride mêlant dessins croqués sur le vif et photographies relayées sur le site de son créateur ainsi que divers réseaux sociaux.52 L’artiste Blu se sert lui aussi d’internet pour créer des œuvres inédites, sans lequel elles ne pourraient tout simplement pas exister. Son idée : filmer image par image le processus de création de ses œuvres, assembler le tout sous forme de vidéos puis diffuser ces animations sur Youtube et sur son site internet53 . En racontant de véritables histoires, Blu pousse le street art à un autre niveau et le transforme en véritable un art vidéo. Basé sur le même 49 QR code (Quick Response Code) : Code-barres en deux dimensions constitué de modules noirs disposés dans un carré à fond blanc dont l'agencement définit l'information que contient le code. 50 Cf annexe 17 : Exemples d’œuvres 51 sweza.com 52 Cf annexe 17 : Exemples d’œuvres 53 www.blublu.org
  • 27. 27 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 principe, le graffeur Insa a aussi inventé le « gif-iti », contraction de gif54 et graffiti, soit un graffiti animé, composé de photographies d’une œuvre comportant quelques modifications et fait pour être vu exclusivement sur le web.55 Pour finir, le Graffiti Research Lab, un collectif d'artistes, s’est donné pour mission de mettre au point « les outils du graffiti de demain, que chacun peut s'approprier, en développant des programmes et en détournant des technologies (peinture robotisée, barres de LEDs programmables pour le light painting...).»56 C. Street art virtuel : divergences et contradictions ? Même si le street art et internet semblent aller dans une même direction et viser des objectifs similaires, certaines divergences et contradictions apparaissent facilement entre les deux. 1. Disparition de la dimension éphémère Dans un premier temps, l’intervention de la photographie dans le mouvement a permis, non seulement une meilleure diffusion mais aussi une possibilité d’archivage et de conservation des œuvres. Grâce à elle, on peut conserver ce qui a été produit avant que ça ne s’efface. Qui plus est, internet est, par excellence, le support sur lequel toutes les données sont conservées et très difficilement effaçables comme en témoignent actuellement les réflexions concernant le droit à l’oubli numérique. La photographie digitale peut donc être qualifiée de véritable « mémoire du street art ». Cela permet de connaître, conserver et perpétuer l’histoire du mouvement et comme le soutient Aurélien Michaud : « il est désormais essentiel et urgent de documenter ce travail artistique afin de ne pas le perdre ». Il est important de conserver une trace des œuvres et techniques, notamment pour les générations futures, puisque le street art fait désormais partie de notre patrimoine culturel. A ce sujet, nous pouvons mentionner l’invention du GML (graffiti markup language) qui permet d’enregistrer le geste réalisé lors de la création d’un graffiti. Toutefois, cette conservation est contraire à l’essence éphémère du street art et au souhait de consommation immédiate auquel il renvoie. Le privilège de la découverte d’une œuvre vouée à disparaitre s’efface et les créations conservées sont souvent propres, fraîchement réalisées et ne laissent pas paraître les traces du temps, du mouvement et de la vie de la rue. D’autres, comment l’artiste Béa Pyl, pensent, au contraire, que « figer ces changements, c’est, paradoxalement, immortaliser les mouvements, la vie de la rue ». Le débat est donc ouvert entres ces deux conceptions opposées qui s’affrontent… 54 Gif animé : Fichier gif comprenant plusieurs images qui permettent d’obtenir une animation par affichages successifs en boucle. 55 LECHNER, Marie, « Street art et Web en étroite connexion », in liberation.fr, 6 septembre 2013 56 CASTERS, Sébastien, « Street art : un art qui baigne dans le numérique et la culture geek », in clubic.com, 10 février 2015.
  • 28. 28 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 2. Hors de la rue a. Eloigné du territoire d’expression primaire Le street art virtuel, c’est-à-dire, les œuvres et artistes relatifs au mouvement que l’on retrouve sur internet, sortent, de fait, le street art de son territoire habituel qu’est la rue pour l’emmener dans un nouvel espace. Cela diminue malheureusement l’inscription dans l’environnement social que représente l’espace public ainsi que les rencontres en réel entre les spectateurs et l’œuvre. Les créations devenant accessibles facilement et rapidement, en un seul clic, la nécessité de se donner de la peine pour les découvrir en vrai disparaît peu à peu. Et, même pour ceux qui préfèrent les voir de leurs propres yeux, le numérique a changé la donne avec l’exemple de la cartographie qui rend impossible la rencontre accidentelle et l’effet de surprise qui existait jusqu’alors mais aussi le sentiment de « chasse au trésor ». Pour Florent Soragna, cela contribue à faire perdre une part d’authenticité au mouvement. Internet créé donc une distance entre l’œuvre et le spectateur et devient un intermédiaire qui empêche la rencontre et la découverte personnelle, « internet dilue cette découverte »57 . b. Décontextualisation En sortant de son territoire d’expression primaire et en s’inscrivant dans un nouveau, le street art s’éloigne du contexte propre à chacune de ses œuvres. Ainsi, lorsque le spectateur admire une œuvre en ligne, il n’a bien souvent pas connaissance de son contexte et ne peut saisir le message dans sa globalité. En effet, même si la photographie et le street art vont souvent de pair, celle-ci renseigne très rarement sur sa localisation. L’œuvre est, certes, immortalisée mais l’emplacement est totalement mis de côté et « le souvenir de l’œuvre est conservé mais dans une sorte de vide, hors du temps et hors d’un lieu»58 ce qui empêche une lecture complète de l’œuvre en question. En découvrant une œuvre en ligne, on peut rarement connaître le contexte urbain, en quoi l’œuvre y est reliée, si elle s’en est nourrie, si elle a eu un impact sur lui et comment. c. Restriction d’accès Même si il semble, dans nos sociétés actuelles que tout le monde a accès à internet, les chiffres révèlent le contraire. Aujourd’hui, 3,025 milliards d’internautes, soit seulement 42% de la population mondiale est connectée à Internet. On constate une disparité considérable entre les pays développés de l’Amérique du Nord (81%) et de l’Europe de l’Ouest (78%) en opposition aux pays en développement et sous-développés asiatiques (12%) et africains (18%)59 . Qui plus est, pour se rendre sur des sites et autres supports numériques abordant le street art, une démarche de la part de l’internaute est nécessaire, celui-ci doit effectuer le premier pas de s’y rendre contrairement à la rue qu’il traverse dans sa vie quotidienne. 57 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 179. 58 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 178. 59 www.blogdumoderateur.com/chiffres-internet.
  • 29. 29 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 3. Surmédiatisation Internet permet de diversifier les lieux d’intervention du street art et d’envisager le mouvement dans une perspective planétaire. Cependant, il a aussi amené à une médiatisation considérable voire une surmédiatisation60 . a. Starification et dangers Cette médiatisation à outrance, a tout d’abord engendré une réelle peoplisation artistique qui se caractérise par exemple par des œuvres vendues à des prix ahurissants et pour lesquelles les acheteurs paient plus le nom de l’artiste que l’œuvre en elle-même. Les artistes les plus médiatisés, tels que Shepard Fairey, JR et Banksy sont devenus des noms, si ce n’est des personnes, dont le niveau de notoriété côtoie aisément celles de stars du cinéma. Les articles, livres, blogs et autres produits divers et variés à leur sujet ne font que conforter cette tendance. Cette starification, entraîne inévitablement, le street art vers la sphère commerciale et cela contribue à dénaturer le mouvement qui s’en veut, à l’origine, résolument éloigné. Conserver une part d’anonymat comme certains le désirent devient aussi de plus en plus compliqué. La médiatisation de cette pratique illégale représente un certain danger judiciaire pour les artistes qui ne sont pas à l’abri de se faire reconnaître et poursuivre en justice à cause d’une publication explicite sur internet. De plus, les copies, imitations et reproductions des œuvres les plus connues deviennent aussi monnaie courante et les styles ont tendance à s’uniformiser. b. Rapprochement des codes et cadres établis Les street artistes sont désormais réclamés par les marques. Les exemples ne manquent pas, de Monoprix à Converse, en passant par McDonald's, Renault, Red Bull ou encore Lipton, tous les domaines y passent. Ces entreprises n’hésitent pas à tirer profit du plébiscite dont le mouvement fait l’objet. Les laboratoires Pfizer ont même utilisé le graffiti dès 2008 dans le spot « Be brave » destiné à une campagne web et qui ne totalise pas moins de 91 180 vues à ce jour. Mais, les marques ne sont pas les seules à utiliser le street art dans leur communication digitale. Les institutions les ont rapidement suivies comme l’office de tourisme de la Réunion qui met en avant le personnage créé par l’artiste Jace, le Gouzou, présenté, ni plus ni moins, comme l’un des attraits touristiques de l’île. Certains pensent que les commandes brident les idées mais qu’il en résulte tout de même un formidable enrichissement artistique. D’autres décrient l’institutionnalisation et la marchandisation dont le mouvement est victime et souhaitent qu’il redevienne une échappée hors des cadres, une transgression, un « beau crime » comme le définit Stéphanie Lemoine. 60 Surmédiatisation : fait de mettre en lumière un évènement ou une information avec excès.
  • 30. 30 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 III. La stratégie digitale à adopter A. Du point de vue des institutions publiques Nous avons montré que le street art bénéficie actuellement d’une certaine reconnaissance de la part des institutions et pouvoirs publics qui n’hésitent pas à utiliser le mouvement à leurs propres fins personnelles. Cela comporte de nombreux intérêts pour les villes et elles l’ont bien compris : « à la fois dans le développement touristique, donc économique, de leur territoire, dans l'amélioration des liens sociaux, dans l'embellissement de leur ville et l'image dynamique qu'il procure. »61 Cependant, l’enjeu est de réussir à conjuguer cette institutionnalisation du mouvement avec le respect des valeurs qu’il prône. Le numérique peut, dès lors, constituer une issue à ne pas négliger pour atteindre cet objectif. 1. Démocratie participative Le premier aspect important au sein duquel le numérique peut constituer un outil adéquat et très efficient est celui de la démocratie participative. Par cette notion, j’entends, l’importance accordée aux citoyens et leur implication dans les prises de décision politiques. En effet, si l’on souhaite respecter au mieux l’une des clés de voûte du street art qui est le respect de la liberté d’expression, ce concept doit être intégré aux démarches mises en place par rapport au mouvement. Toutes les parties prenantes de l’espace public, à savoir, les habitants, les artistes et les pouvoirs publics, doivent être consultées, entendues et écoutées afin de satisfaire le plus grand nombre. Il est important de confronter leurs différentes opinions qui répondent à des intérêts divergents. Dans cette optique, la ville de Lyon a mis en place un espace de dialogue, matérialisé par la Commission inter-conseils de quartier « Dialogues sur l’art urbain » que j’ai évoquée précédemment. Cette initiative a reçue de très bons retours et prouve que le « vivre- ensemble »62 doit être placé au cœur des démarches publiques. C’est au moment d’imiter et de pousser plus loin cette idée qu’internet intervient comme un canal approprié pour les institutions. Créer, à la même image que les réunions organisées par la Commission, une plateforme d’échange et de dialogue virtuelle semble être un moyen particulièrement adapté pour développer une politique d’écoute et participative. Cela permet, en effet, de toucher un public vaste, de se rapprocher de lui et de créer une réelle proximité dans les échanges. 61 CHARBONNIER, Romain, « Lyon a-t-elle oublié ses street artistes ? », in acteursdeleconomie.latribune.fr, 13 février 2015. 62 Vivre-ensemble : Concept qui exprime les liens pacifiques, de bonne entente qu'entretiennent des personnes, des peuples ou des ethnies avec d'autres, dans leur environnement de vie ou leur territoire.
  • 31. 31 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 D’un point de vue pratique, l’idée pour les mairies ou organisations telles que des conseils de quartiers, pourrait être de créer un site, ou un onglet via un site existant, permettant aux habitants, aux représentants politiques et aux artistes de communiquer. Il serait néanmoins une erreur de supprimer les temps de rencontres en réel qui sont très enrichissants. Cet outil pourrait constituer un point central de la communication des pouvoirs publics en matière d’art urbain et de rapport à l’esthétique de l’espace public. Afin de structurer l’expression libre et personnelle de chacun ainsi que les échanges, un module sous la forme d’un forum ou d’un blog ouvert pourrait être envisagé. Au même titre que lors des réunions en réel de la Commission, l’intervention d’un modérateur peut être nécessaire afin de lancer les sujets et structurer les débats. Les réseaux sociaux permettent, eux aussi, de proposer un lieu d’échange. Dans une même idée et répondant à un but similaire, la création d’une page peut être imaginée. 2. Visibilité et notoriété des projets Ensuite, internet constitue une vitrine offrant une grande visibilité aux projets urbains que peuvent mettre en place les institutions publiques. En effet, il s’agit d’un canal qui touche une large audience et il est important que les citoyens soient au courant de ceux-ci pour pouvoir y participer, y assister et qu’ils aient un impact. Si nous reprenons l’idée du site que je viens de proposer dans la partie précédente, il représenterait donc aussi un relai et outil important pour la mairie ou toute autre organisation publique en question. Il permettrait, par exemple, tout d’abord, de fixer les dates de rencontres, d’en informer chaque partie prenante, d’en décrire le contenu et d’inciter à leur participation. Il serait aussi relié aux réseaux sociaux sur lesquels la structure en question serait présente, si cette présence est jugée pertinente (cela dépend de chaque cas). Il serait intéressant d’y suivre les étapes de l’avancée des projets en discussions et de relayer tous les informations, actualités, actions mises en place et liées au street art. La transparence doit être l’un des mots-clés de la démarche. Si des événements sont organisés, il est indispensable de les promouvoir sur internet. Grâce à cela, ils auront une bien plus grande portée et pourront même toucher des publics géographiquement éloignés. Communiquer sur la toile peut être un atout considérable pour la ville, que ce soit dans une perspective touristique, économique ou d’image. Pour de gros événements tels que des festivals, la création d’un site dédié peut être envisagée. Pour des projets de moins grosse envergure, communiquer via des événements Facebook ainsi que sur l’idée du site internet telle que je l’ai présentée peut être préférable.
  • 32. 32 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 3. Ecoute et suivi Pour finir, les institutions publiques se doivent d’être dans une posture attentive et d’écoute constante des citoyens. Leurs demandes et réclamations vis-à-vis de l’espace public doivent être écoutées et prises en compte afin qu’une réponse et réaction soit proposée. Il s’agit là de l’un des rôles inhérents aux pouvoirs publics. Penchons nous plus précisément sur un cas récurrent qui est celui des demandes d’effacement. Il est primordial pour une ville de respecter certaines valeurs et donc d’effacer immédiatement les créations à caractère injurieux, politique, raciste, pornographique, etc. Les usagers ne doivent pas ressentir un « sentiment d’abandon face à ce problème »63 comme a pu nous le présenter Audrey Charveron. Il peut donc être pratique de mettre en place un outil de signalement pour ce genre d’altération du paysage urbain. La tâche des services publics consiste ensuite à prendre la décision la plus juste qu’il soit, en tenant toujours compte de tous les acteurs concernés et, à en informer le demandeur de la manière la plus claire et explicite possible. Là encore, les médias numériques peuvent représenter un outil fort utile pour atteindre un tel objectif. Créer un moyen de centraliser les demandes et d’y répondre de manière rapide et efficace est en effet possible avec différents supports. Cela peut être matérialisé par un site internet ou onglet sur lequel un formulaire type serait proposé par exemple ou alors pour reprendre l’idée de la ville de Paris, par le biais d’une application. C’est donc l’une des missions des institutions de se saisir du sujet, d’écouter et d’informer les citoyens, de répondre aux demandes et de ne pas déprécier l’image du mouvement mais, au contraire, de s’en servir comme d’un levier de cohésion sociale et de vivre-ensemble. Bien qu’elles soient encore peu présentes à ce sujet sur le numérique, j’ai bien montré l’intérêt que leur apporterait le fait de s’en emparer. Il ne faut, toutefois, pas oublier que les canaux de communication digitaux sont insuffisants pour toucher tous les publics et qu’il ne faut pas laisser de côté le « offline ». B. Du point de vue des professionnels et amateurs Plaçons-nous maintenant du côté des professionnels et amateurs et analysons les pratiques intéressantes à développer pour les différents acteurs que nous pouvons regrouper dans cette très large catégorie. Sous cette appellation, nous pouvons rassembler les galeristes, les fondateurs de moyens de communications digitaux tels que des sites, blogs, applications, pages ou profils de réseaux sociaux, les journalistes, etc. A eux tous réunis, ils constituent ainsi les relais les plus visibles et puissants qu’il est donné d’observer sur internet au sujet du street art. Il est cependant difficile de fournir une préconisation pour certains d’entre eux alors je me concentrerai dans cette partie sur les galeristes et administrateurs de médias numériques. 63 Cf Annexe 4, Entretien avec Audrey Charveron.
  • 33. 33 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 1. Supports qualitatifs Tout d’abord, qu’importe que le support numérique en question soit un site, un blog, la page d’un réseau social ou une application, une règle commune doit s’appliquer à celui-ci. La digitalisation du street art doit valoriser le mouvement et contribuer à améliorer sa notoriété et son image. De ce fait, les outils et supports utilisés se doivent de répondre à un certain niveau de qualité. Les galeries « en réel » ou seulement virtuelles qui communiquent généralement via des sites et des réseaux sociaux, en privilégiant Facebook et Instagram doivent veiller au respect qualitatif des œuvres présentées et ne pas les dévaloriser. Cela passe dans un premier temps par une attention toute particulière portée sur les photographies et vidéos publiées. En effet, il s’agit des supports qui attirent le plus facilement l’internaute dans notre « société de l’image ». Le but est aussi, comme le présente Aurélien Michaud, de « proposer quelque chose de hautement qualitatif qui ait la capacité de perdurer dans le temps », la qualité étant garante de la bonne conservation d’un support. Les œuvres de street art présentes sur les médias numériques sont déplacées hors de leur contexte comme nous l’avons déjà évoqué et cela empêche leur lecture complète. Présenter le contexte des créations peut être un moyen de contourner ce problème et de donner plus de valeur et légitimité aux photographies et vidéos mises en ligne. Une autre manière de proposer des supports digitaux de qualité peut être de fournir des sites très complets regroupant différents services complémentaires et non pas juste une galerie. Cela peut passer par l’intégration de calendriers d’événements, de biographies d’artistes et de tout contenu informatif apportant une plus-value au site. Concernant les applications, nombreuses sont celles qui ne sont pas encore complètement abouties et souffrent encore de problèmes de fonctionnement. Afin d’optimiser au mieux la qualité d’une présence digitale quelconque, une solution pertinente à exploiter consiste à faire appel à des personnes qualifiées dans les domaines concernés. Ainsi, faire appel à des photographes, webmasters, développeurs, etc est souvent le meilleur moyen à envisager pour ce pré-requis qualitatif qui peut sembler anodin mais qui est néanmoins primordial. 2. Equilibre entre gratuité et commercialisation L’une des critiques récurrentes résultant de l’engouement dont bénéficie le street art repose sur son basculement dans la sphère commerciale. Ce phénomène va à l’encontre des valeurs de gratuité et d’accessibilité à tous que le mouvement défend. Cependant, il répond à une logique du marché contre laquelle il est difficile de lutter : le besoin de gagner de percevoir un revenu pour pouvoir vivre décemment. On comprend donc bien qu’il puisse exister des galeries online vendant des œuvres de street art ou bien des artistes qui vendent eux-mêmes certaines de leurs créations ou objets
  • 34. 34 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 dérivés. Il est néanmoins préférable de favoriser la gratuité autant que possible afin de respecter au mieux les objectifs soutenus par la pratique. Cela devient par contre néfaste et va à l’encontre de son identité si l’aspect pécuniaire entre en jeu pour avoir simplement accès à des contenus. Les sites internet, applications mobiles et autres services existants se doivent de promouvoir ce principe essentiel et fondamental. Les techniques de street art numérique développées peuvent aussi par exemple être proposées en « open source », c’est-à-dire que les licences concernées sont désignées comme libres. Cela permet à chacun de les utiliser et de les améliorer et il s’agit ainsi d’un moyen très efficace pour en accroître constamment le développement et aller toujours plus loin. 3. Perspective « cross media » Le street art virtuel, est, par définition, éloigné de son territoire d’intervention primaire, c’est-à-dire la rue et l’espace public de façon plus générale. Afin de bénéficier des avantages que peut apporter le web tout en évitant les effets néfastes de la distance créée entre l’œuvre et le spectateur, il est préférable qu’il ne se substitue pas à la découverte et rencontre en réel mais qu’il intervienne plutôt comme un complément. Dans cette idée là, il peut être intéressant de chercher à accroître le lien entre le virtuel et le réel. On peut par exemple penser à la mise en place de partenariats entre des supports numériques et des festivals, des expositions, visites ou tout autre projet. Ils peuvent ainsi inviter à la rencontre in situ à laquelle le numérique ne doit pas se soustraire. De plus, afin d’être la plus optimale possible, la stratégie peut devenir « cross média », ce qui signifie qu’elle utilise différents canaux de communication complémentaires. Il s’agit de se saisir des avantages que chacun peut offrir et d’avoir une forte présence et visibilité. Si l’on pousse cette perspective encore plus loin, nous pouvons même évoquer le concept de « transmedia » qui vise à raconter une histoire au travers de différents médias off et online. Le but est alors de créer une cohérence et un véritable fil rouge porteur de sens. 4. Implication du spectateur et « call to action » Pour finir, afin de toucher au mieux le public et d’avoir un impact sur lui, il est à envisager de placer le spectateur au centre des messages et concepts mis en place. L’idée est de le concerner, de produire chez lui une émotion et un sentiment de proximité et d’implication. Les médias numériques sont un formidable outil pour effectuer cela en mettant en place une interactivité et des outils de « call to action », c’est-à-dire qui incitent à l’action. Le spectateur devient ainsi acteur. Un bon exemple peut illustrer mes propos. Il s’agit du projet de la Tour Paris 13 qui proposait au public de choisir lui-même les œuvres à conserver et sauver. C’est grâce à chacun des participants que le projet a pu perdurer. Lorsque ceux-ci ont conscience de l’importance de leur rôle, ils sont, de fait, plus intéressés et sensibilisés aux messages.
  • 35. 35 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Dans cette même optique, il est par exemple possible d’utiliser le web pour trouver des financements comme pour le projet « De l’amour et des murs » de la galerie THE WALL présent sur le site de financement participatif Ulule.com. Internet offre une visibilité et une opportunité de trouver un soutien, qu’il soit financier ou d’un tout autre ordre. Il peut s’agir de faire entendre sa voix comme avec le cas de la pétition défendant la rue Dénoyez à Paris, qui peut être signée en ligne, est relayée par une page Facebook, soutenue par de nombreux journalistes et a déjà reçue plus de 10 000 signatures online.64 Cette notion de « call to action » est complètement en accord avec l’identité du street art qui souvent, veut créer une réaction. Elle permet de réconcilier le mouvement avec les médias numériques à ce sujet car ceux-ci ont plutôt tendance à perdre leur pouvoir impliquant en s’éloignant de l’espace public. C. Du point de vue des street artistes 1. Mesure de l’exposition Les street artistes constituent les acteurs les mieux placés pour diffuser les valeurs du street art et l’une de leurs tâches consiste à les défendre. L’une de leurs propres missions est de bien peser le pour et le contre lorsqu’ils développent des projets avec des marques, pouvoirs publics, se rapprochent d’une logique mercantile et, de manière générale de toutes structures institutionnalisées et cadres officiels. Cette vision doit être transposée aux projets et communications développés sur le web. En effet, nous avons bien montré préalablement en quoi internet est un formidable moteur de notoriété pour les artistes et notamment pour atteindre une cible internationale. Pourtant, la condition à laquelle il doit être intégré à leur communication est celle d’une utilisation réfléchie et bien organisée. En effet un mauvais emploi des outils numériques peut être nocif et nuisible. Il est primordial que les artistes trouvent une juste dose dans leur exposition médiatique personnelle. Cette présence mesurée peut aussi permettre d’éviter une exagération du phénomène de starification érigeant un petit cœur d’artistes au rang de véritables dieux du street art. Cette tendance, laisse les autres dans l’ombre de ces figures emblématiques. Cette exhibition modérée peut apparaître comme contraire à la recherche maximum de visibilité guidant les street artistes mais elle permet de protéger leur vie privée, leur liberté, leur identité et parfois de conserver un anonymat complet. Il s’agit d’une notion importante car nous parlons ici d’une pratique qui est, dans la majorité des cas, rappelons-le, illégale et cela permet ainsi de conserver intacte la liberté et l’indépendance si chère au mouvement. D’un point de vue plus pratique, la création d’un site et la présence sur les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en tête de liste, sont fortement conseillées. Une régularité des 64 www.change.org/p/anne-hidalgo-sauvons-la-rue-d%C3%A9noyez
  • 36. 36 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 publications est alors indispensable et l’une des règles d’or à ne pas oublier est de séparer comptes et profils professionnels et personnels. Pour finir, cette communication mesurée est aussi le moyen de conserver une part de mystère, de magie et notamment l’effet de découverte et de surprise procurée lors de la rencontre en réel. Cela permet de garder intact le jeu de la recherche et le mérite de la rencontre. Ainsi, il peut être conseillé aux artistes de ne pas dévoiler toutes leurs œuvres sur la toile et d’éviter de proposer des mappings très précis par eux-mêmes. Ils peuvent par exemple plutôt exciter la curiosité des internautes en leur donnant des indices sur la description et l’emplacement de leurs créations tout en gardant une part de flou dans leurs contenus. Cela peut aussi prendre la forme de « teasings »65 ou d’un authentique jeu dans lequel des gratifications et récompenses, de formes variées, matérielles ou immatérielles peuvent intervenir. Les street artistes ne doivent pas oublier que la reconnaissance ne s’acquiert pas seulement en étant présent sur internet et qu’une présence efficiente est uniquement possible, si, et seulement si, l’artiste est bon et a de la « matière » sur laquelle communiquer. Il s’agit là de pré-requis à ne jamais perdre de vue avant de se servir de la toile comme d’une vitrine. 2. Concept fort et porteur Ensuite, pour que la communication d’un artiste capte l’attention du public et que cela se poursuive sur du long terme, il est essentiel de définir des messages forts et cohérents. Afin d’être facilement identifiable et de pouvoir faire perdurer une identité dans le temps, la création d’un personnage ou d’une marque peut ainsi être imaginée. De multiples possibilités existent, le but étant de trouver une idée forte et porteuse de sens. Cela permet de se démarquer, de se distinguer et de ne pas être noyé dans la masse gigantesque que représente aujourd’hui la scène street art. Encore une fois, le concept se doit de respecter les valeurs du mouvement afin de ne pas contribuer à sa dénaturation. Une fois celui-ci défini, plusieurs procédés existent afin d’assurer son impact et sa mise en valeur. Les médias numériques peuvent ainsi permettre de développer des formes et pratiques de communication innovantes et originales comme j’ai pu en évoquer certaines plus tôt. Pour que le niveau de qualité soit satisfaisant, ils ne doivent pas hésiter à se faire accompagner, à trouver des personnes qualifiées pour les aider. Les œuvres intégrant le numérique sont encore peu identifiées de la part du grand public mais de belles perspectives sont envisageables à condition de valoriser les moyens permettant de favoriser leur compréhension et utilisation. Cela permet, entre autre, d’apporter un « plus » dans le plan établi en proposant des supports et contenus inédits. A titre de simple exemple, nous pouvons citer l’idée de vidéos consacrées aux techniques, au suivi de la création, etc. 65 Teasing : Technique publicitaire qui vise à éveiller la curiosité du contact pour augmenter l’attention portée au message et sa mémorisation.
  • 37. 37 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 Un concept fort et porteur peut aussi se rapprocher des stratégies cross media, transmedia et de call to action, au même titre que je l’ai présenté pour les professionnels et amateurs. Cela permet d’atteindre les mêmes objectifs auprès des artistes, c’est-à-dire, de créer une proximité, interaction et implication avec le public.
  • 38. 38 Hélène FAURE – ISCOM – 2014/2015 CONCLUSION Aujourd’hui, à l’ère du « tout connecté », nos sociétés contemporaines peuvent être qualifiées de digitales et on peut observer une réelle « internetisation »66 du street art. Cela signifie que la quantité d’informations textuelles, visuelles et personnalisées que l’on peut trouver sur internet est supérieure à ce qu’un individu intéressé par ces pratiques artistiques peut raisonnablement engranger. Le web est un espace présentant un potentiel considérable pour le mouvement et dont on ne connaît pas encore les limites. Il est difficile d’en imaginer l’évolution des tendances mais les observations actuelles laissent espérer de belles perspectives d’avenir. Grâce au web, le street art s’est internationalisé et, à l’image de la mondialisation, intègre des courants, cultures, publics complètement différents. Les médias numériques permettent de repousser les limites du street art, non seulement grâce à l’archivage, la diffusion et l’interaction mais en proposant aussi un prolongement de l’espace public qu’est la rue. Les présences online et offline convergent de plus en plus et le mouvement tend ainsi à se concevoir comme une pratique à mi-chemin entre vie réelle et monde virtuel. Désormais, l’enjeu pour tous les acteurs du street art utilisant la communication digitale repose sur la capacité à trouver un juste milieu entre une recherche de reconnaissance et de visibilité sans pour autant lui faire perdre ses valeurs. Cela est d’autant plus vrai que le mouvement est en pleine mutation et de ce fait, est quelque peu fragile. Cela signifie qu’une attention particulière doit être portée quant à l’instrumentalisation dont il peut être l’objet de par les marques ou les institutions. En d’autres termes, il s’agit de réussir à toucher un public toujours plus large tout en conservant la portée subversive qui lui est propre. Il s’agit aussi de trouver le juste équilibre entre cette popularité 2.0 et la perte d'anonymat d'un art qui reste, malgré tout, encore illégal dans la rue. Afin d’être en accord avec les valeurs prônées par le mouvement et en espérant que mon travail puisse aider et pousser les différents acteurs concernés à la réflexion, je fais le choix de diffuser ce travail en ligne et de le proposer en consultation libre. 66 WACLAWEK, Anna, Street art et graffiti, Paris, 2012, Thames Hudson, 208 pages, p. 184.