Manger est le premier plaisir que découvre le nouveau-né. Cet acte peut rester un plaisir jusqu’à la fin de la vie, à condition de continuer à accorder une attention particulière à la qualité du repas et à l’ambiance dans laquelle il est consommé.
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2. Faire évoluer durablement
les comportements alimentaires.
En théorie Gérer les évolutions liées au vieillissement
Les relations entre avancée en âge et nutrition sont
complexes : l’alimentation influence la qualité du processus
de vieillissement qui, via les évolutions qui lui sont associées,
modifie la façon dont les personnes vont s’alimenter. Chez la
personne âgée, apparaissent des changements physiologiques
(perte d’appétit, diminution du goût, rassasiement précoce, etc.),
mais aussi des modifications des habitudes de vie (retraite, veuvage, etc.), qui peuvent altérer son statut nutritionnel.
Des perceptions sensorielles déclinantes
D’un point de vue sensoriel, le vieillissement s’accompagne
d’une modification plus ou moins forte de la capacité à percevoir les caractéristiques organoleptiques d’un aliment, à savoir
son arôme, sa saveur et sa texture. La personne âgée peut ainsi
accuser une baisse de la capacité à détecter, à discriminer et à
identifier les odeurs et les saveurs3-4. Cependant, il existe une
grande variabilité inter-individuelle : si certains seniors présentent
une altération sévère de l’olfaction, d’autres peuvent conserver
des capacités chimiosensorielles pratiquement intactes. Entre les
deux, il existe des personnes percevant moins bien les odeurs,
d’autres les saveurs, mais néanmoins capables de les détecter
si l’on augmente l’intensité des stimuli sensoriels5. En outre, la
diminution du goût agit de manière spécifique : elle est plus pro-
Les fruits et légumes
dans l’alimentation des personnes âgées
En raison de capacités masticatoires souvent réduites,
les personnes âgées ont malheureusement parfois
tendance à réduire leur consommation de fruits et
légumes18. Opter pour des légumes bien cuits (en privilégiant les cuissons vapeur, à l’étouffée ou au four à
micro-ondes afin de préserver les nutriments) et des
fruits bien mûrs peut alors permettre de rectifier le
tir, d’autant que les personnes âgées apprécient ces
aliments. En effet, les enquêtes de consommation en
France (Inca) montrent que la consommation de fruits
et légumes frais est plus élevée chez les personnes
âgées par rapport aux jeunes adultes12,19. Un fait attribuable à la fois à un effet générationnel (les seniors
actuels ont été plus habitués que leurs cadets à la
préparation et à la consommation de ces aliments) et
à une évolution des préférences liée à l’âge20. Cependant, bien que cette tendance s’observe dans d’autres
pays européens, comme le Royaume-Uni et la Suède,
elle n’est pas générale. En Belgique, la tendance est
plutôt inversée, avec un net déclin de la consommation
de légumes chez les plus de 75 ans, par rapport aux
adultes plus jeunes (120 g/j versus 141 g/j), selon l’enquête de consommation alimentaire belge de 200421.
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noncée pour l’amer et le salé, que pour l’acide et le sucré6.
Les pertes sensorielles associées à un vieillissement normal
doivent toutefois être nuancées. Il s’agit d’un déclin progressif
qui s’accompagne d’une sorte de remise à jour permanente des
représentations internes des aliments et des souvenirs alimentaires, sans qu’il y ait une conscience explicite de la perte de goût
et d’odorat. Des études montrent que, si à un instant t les seniors
apprécient davantage les aliments plus forts en goût, augmenter
la concentration des arômes ou des composés sapides dans un
plat n’en augmente pas la quantité consommée7-8. Par conséquent, augmenter la flaveur des aliments pour compenser ce
déclin ne semble pas présenter d’intérêt9.
Il n’en demeure pas moins que saveurs et odeurs contribuent
pour une large part au plaisir associé à l’ingestion d’un aliment.
Même si aucune corrélation n’a encore été trouvée entre apports
alimentaires et dysfonctionnement des systèmes olfactif et/ou
gustatif, la diminution des capacités chimiosensorielles peut
contribuer à la diminution de l’appétit fréquemment observée
chez la personne vieillissante. Une enquête multidisciplinaire
a par exemple montré que les personnes qui présentaient une
forte altération olfactive avaient un statut nutritionnel plus fragile
que les autres5. Cependant, d’autres facteurs, tels que la dégradation de l’état bucco-dentaire et des bouleversements d’ordres
psychologiques et sociologiques, jouent également un rôle sur le
plaisir alimentaire et l’appétit de la personne âgée.
Des habitudes de vie changeantes
Au fil du vieillissement, la qualité de l’alimentation a donc tendance à se détériorer. La variété alimentaire diminue, de même
que les quantités consommées de nombreux aliments, comme
le pain, la viande, le fromage et les légumes frais10-11. En outre,
l’âge avançant, l’aptitude des seniors à faire leurs courses se
réduit, d’où des approvisionnements moins fréquents12 : leur
alimentation peut ainsi se modifier au profit de denrées moins
périssables. Par ailleurs, la vie d’une personne âgée est marquée
par des moments dits de rupture, susceptibles de bouleverser
ses habitudes, parmi lesquelles l’alimentation13. En effet, les
comportements alimentaires ne se réduisent pas à l’ingestion
d’aliments dans le but d’assouvir un besoin. Ils sont régis par
des inter-relations complexes de motivations, d’émotions et de
plaisirs. Il faut donc considérer le mangeur dans un contexte
social de vieillissement évoluant en fonction des évènements de
la vie. Parmi ceux-ci, le passage à la retraite modifie grandement
les habitudes alimentaires14. En découlent différentes typologies
alimentaires basées sur le rapport à l’alimentation, le rapport à
la santé, la commensalité et le profil sociologique des retraités.
Philippe Cardon, maître de conférences à l’université de Lille, a
ainsi identifié cinq types de retraités : les « désintéressés », les
« solitaires », les « gourmands », les « cuisiniers » et les « nutritionnistes ».
Toutefois, les styles de consommation alimentaire des retraités
ne sont pas figés, puisque d’autres évènements, tels que le veuvage, la maladie ou un séjour à l’hôpital, peuvent venir les >>
p. 2 - Comment se nourrir pour bien vieillir ?
4. Faire évoluer durablement
les comportements alimentaires.
>> moyennes. Or, plus l’âge avance, plus la dénutrition est
fréquente ; d’où l’intérêt de surveiller particulièrement les plus
de 75 ans. Un chiffre évocateur : les deux tiers de cette population, non malades mais dénutris, meurent dans les cinq ans28.
Par ailleurs, à l’hôpital où elle est la plus fréquente, la dénutrition augmente le risque de complications, le taux de morbidité
et de mortalité, ainsi que la durée moyenne d’hospitalisation et
le coût global des soins. Les déficits en micronutriments (vitamines, calcium, fer, etc.) conséquents à des apports alimentaires insuffisants doivent également être pris en compte. Les
études montrent qu’ils sont monnaie courante22, 26.
Les points clés de la prévention
La dénutrition intervient lorsque les apports, notamment en
énergie et en protéines, deviennent inférieurs aux besoins de
la personne. Or, plus on avance en âge, plus l’appétit devient
difficile à réguler. La base de la prévention consiste à contrer
la perte d’appétit, afin d’éviter qu’une anorexie ne s’installe.
Pour cela, l’alimentation doit rester un plaisir. Soigner la qualité organoleptique des repas, encourager la diversité alimentaire pour ne pas laisser les personnes âgées sombrer dans
la monotonie, mais aussi faire en sorte que le repas soit un
moment d’échanges et de convivialité, sont autant de pistes
à explorer.
Il faut également lutter contre l’idée encore trop répandue que
les besoins nutritionnels, notamment en calories et en protéines, sont diminués chez les personnes âgées puisqu’elles
ont une faible activité physique. C’est faux ! Un métabolisme
vieillissant est moins performant pour transformer la nourriture
ingérée en nutriments et en énergie. Il lui en faut donc davantage pour le même résultat. De plus, le corps a beau bouger
moins, il dépense de précieuses calories pour son métabolisme de base qui augmente, en particulier en cas de pathologies.
Si la quantité d’aliments constitue une priorité chez la personne
âgée, la qualité l’est tout autant : seule une alimentation variée,
et riche notamment en fruits et légumes, apportera les quantités de micronutriments nécessaires à l'organisme qui vieillit. En
outre, il faut à tout prix éviter de laisser des déficits s'installer,
Quel que soit l’âge,
l’activité physique reste essentielle
Une activité physique légère et régulière (30 minutes par jour
d’exercices d’endurance et/ou de résistance) apporte de nombreux bénéfices santé à la personne âgée32 : elle freine la perte
osseuse liée à l’ostéoporose et aide à prévenir les chutes,
stimule l’anabolisme protéique et permet de freiner la sarcopénie, réduit la fréquence des maladies cardiovasculaires et
du diabète de type 2, diminue la masse grasse abdominale
et la tension artérielle, et améliore la capacité cardiopulmonaire. Cerise sur le gâteau : pratiquée en milieu de matinée ou
d’après-midi, elle stimule l’appétit lors du repas suivant.
car les dysfonctions métaboliques qu'ils entraînent rendent la
situation difficile à rétablir.
Par ailleurs, la sarcopénie, qui se caractérise par une perte
progressive de la masse et de la fonction musculaire28, doit
aussi être prévenue. Elle est la conséquence d’un anabolisme
protéique réduit et d’un catabolisme souvent accru qui augmente le risque de fractures et de chutes. C’est pourquoi les
apports en protéines chez le sujet âgé doivent s’élever à 1 g/ kg
de poids corporel et par jour, contre 0,7 à 0,8 g/kg/j chez le
sujet jeune29-31. Une recommandation difficile à atteindre face
à un appétit déclinant... Une solution consiste à encourager
le patient à conserver une activité physique qui favorisera la
synthèse protéique et stimulera l’appétit. L’augmentation de
l’anabolisme va également permettre de lutter contre la perte
osseuse et donc l’ostéoporose. Toutefois, sur ce point, les apports en calcium et en vitamine D doivent eux aussi faire l’objet
d’une surveillance.
Enfin, parallèlement à la dénutrition, la personne âgée est sujette à la déshydratation, notamment en raison d’une moindre
réserve d’eau corporelle et d’une sensation de soif amoindrie.
Elle doit donc boire régulièrement (boissons chaudes, froides,
eau aromatisée, nature, gélifiée, etc.), afin d’atteindre un apport hydrique de 1 à 1,5 litre par jour, et à consommer une
alimentation riche en eau (fruits, légumes, yaourts, etc.)6.z
En pratique
Seniors, aidants, professionnels de santé…
Agissez contre la dénutrition
La dénutrition constitue le principal enjeu alimentaire chez la personne âgée, en particulier au-delà de 75 ans.
Les perturbations métaboliques qui en découlent (infections
récurrentes, déshydratation, problèmes de cicatrisation) ne
seront visibles qu’à un stade avancé33. Les professionnels de
santé, le personnel aidant et le senior lui-même doivent donc
être attentifs au poids et surtout à son évolution. Repérer
rapidement une perte de poids s’avère essentiel, car chaque
kilo perdu chez une personne âgée sera très difficile à regawww.fondation-louisbonduelle.org
gner. Une fatigue anormale, un déclin de la force musculaire,
un vêtement qui baille, etc. sont autant de signaux d’alerte à
surveiller pour repérer une éventuelle dénutrition et pouvoir
agir précocement.
Dépister le plus tôt possible
Le dépistage de la dénutrition est recommandé chez toutes
les personnes âgées au minimum une fois par an en médecine de ville. Surveiller le poids, calculer l’Indice de
p. 4 - Comment se nourrir pour bien vieillir ?
6. Faire évoluer durablement
les comportements alimentaires.
croûtons, de crème fraîche, de lait en poudre, de jambon,
etc. Les légumes seront plus caloriques servis en béchamel
ou en gratins enrichis avec du lait en poudre, ou, comme pour
les purées, les pâtes ou le riz, additionnés de fromage, de
crème fraîche, de beurre, d’œuf ou de viande hachée. Dans
les laitages et les desserts, incorporez du lait en poudre, du
lait concentré ou de la crème fraîche et, pour donner des
goûts variés, de la confiture, du miel, de la crème de marron,
du caramel, du chocolat, des fruits au sirop, etc. Enfin, côté
boissons, le lait peut être enrichi avec du lait en poudre à
consommer chaud, froid, nature ou aromatisé (chocolat, café,
sirop de fruits). Et pensez au lait de poule (œuf battu avec du
lait, du sucre et qui peut être aromatisé) et au milk-shake (lait
battu avec de la glace ou de la crème fraîche et des fruits).
Par ailleurs, pour bien manger, il faut en prendre le temps.
Les recommandations officielles du Conseil national de l’alimentation (CNA), en 2005, encouragent la personne âgée à
consacrer au moins 30 minutes au petit déjeuner, une heure
au repas de midi, et trois quarts d’heure au dîner35. Enfin,
pour maximiser les apports alimentaires, les repas peuvent
également être fractionnés, en respectant un intervalle
maximum de trois heures, en proposant des collations entre
les repas et en réduisant à moins de douze heures le jeûne
nocturne. z
En pratique domicile, en institution, à l’hôpital :
À
proposer une offre alimentaire adaptée
Qu’il s’agisse de prévenir la dénutrition via une alimentation équilibrée et diversifiée chez des seniors en relative bonne santé ou d’être réellement pro-actifs chez des
personnes âgées dénutries ou à haut risque de le devenir,
un autre point crucial de la lutte contre la sous-nutrition
concerne l’offre alimentaire. Que la personne mange à domicile, en institution ou à l’hôpital, le repas proposé doit être
adapté à la situation.
D’une manière générale, pour compenser le déclin des capacités chimiosensorielles, les plats peuvent être rehaussés avec
des épices ou des herbes aromatiques. L’ail et le persil sont
Des ateliers dédiés aux résidents des Marpa
Les professionnels des Maisons d'accueil rurales pour
personnes âgées (Marpa) connaissent bien le défi et
l’intérêt que représente l’implication des résidents à leur
alimentation. La Fondation Louis-Bonduelle également.
C’est pourquoi elle s’est associée à la Fédération nationale des Marpa pour mener une opération innovante
d'envergure nationale dont l’objectif est de travailler à
la fois sur la notion de plaisir et sur la création de liens
entre les personnes. L’opération propose deux types
d’ateliers : les ateliers « Art nature », au cours desquels
les résidents laissent place à leur créativité pour mettre
en scène des végétaux et les ateliers « Art saveurs »,
avec une séance de reconnaissance d’aliments par
l’odorat et le goût pour stimuler les perceptions sensorielles des résidents, suivie de la confection d’assortiments originaux. Ces ateliers incitent les résidents à
aller à la rencontre des autres et éveillent leur curiosité.
En cela, ils participent à la préservation de l'autonomie
des personnes âgées.
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très prisés à cet âge, mais osez innover (curry, sauce soja,
coriandre, gingembre, etc.) : surprenez et, quand cela est possible, demandez à la personne ce qu’elle en pense. Privilégiez
également les aliments sapides comme les charcuteries ou
des desserts sucrés. En revanche, attention aux volumes proposés. Même si les portions doivent plutôt être augmentées
afin de couvrir des besoins nutritionnels élevés, les seniors
peuvent se décourager devant une assiette trop remplie. Ainsi,
servir de petites quantités enrichies s’avère souvent une stratégie plus payante.
À domicile
Nous l’avons vu, rien ne vaut le fait maison mais, lorsque
c’est impossible, le recours aux plats préparés constitue une
bonne alternative. On peut alors imaginer des produits adaptés à cette population : portions individuelles à des prix raisonnables, emballages à ouverture facile, indications visant
à prévenir les intoxications alimentaires, etc. Les toxi-infections représentent en effet un problème courant chez les personnes âgées car il leur devient difficile de se souvenir depuis
combien de temps ils ont ouvert tel ou tel produit resté dans
le réfrigérateur.
Par ailleurs, les études Euronut-Seneca22-23 et Solinut26 ont mis
en exergue toute l’importance de l’accompagnement des personnes âgées à domicile dans la préparation, la livraison et/ou
la consommation des repas.
En institution
En institution, les problèmes diffèrent. L’alimentation fait partie
des soins36 et le recours à un professionnel peut en améliorer la qualité. Un diététicien apportera une aide précieuse au
personnel de cuisine et pourra le former aux spécificités de
la personne âgée (équilibrage des menus, alimentation à texture modifiée et/ou enrichie, etc.). Mais la qualité des contenus
nutritionnel et sensoriel de l’assiette n’est pas toujours suffisante. Les personnes ayant été retirées de leur environ-
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