1. L’évènement médiatique choisi : Les crimes « rituels » au Cameroun
Contexte : L’actualité camerounaise est caractérisée depuis fin 2012 par
l’enregistrement de nombreux cas de décès « insolites » dans les métropoles
du pays. Des corps en état de décomposition avancé ont tour à tour été
découverts par les populations dans les régions de l’Ouest, du Littoral, du Sud
et du Centre, dont le chef lieu est la capitale politique du pays : Yaoundé.
Caractère commun aux corps découverts, des femmes, des jeunes filles en
majorité, mutilées et violées. Une bonne dizaine de cas entre fin décembre
2012 et début janvier 2013 pour la seule ville de Yaoundé, principalement
dans le quatrième arrondissement. L’information est relayée en premier par la
presse en ligne et imprimée, les articles sont abondants. Le fait d’actualité est
amplifié par les sons et les images dans les médias audiovisuels et l’on a tôt
fait de parler de crimes rituels. Pour cause, les populations, les médias, les
politiques et autres se basent sur la gent attaquée par les coupables de
meurtres en séries, sur l’endroit de trouvailles des corps et sur l’état dans
lequel se trouve les cadavres.
Corpus : Deux quotidiens
1- « criminalité et insécurité : Mimboman, le quartier ensanglanté de
Yaoundé » Quotidien LA NOUVELLE EXPRESSION Edition du 21 janvier
2013 P.8-9
2- « Cœur, sexe, reins…que cache la chasse aux organes humains ? » ,
Quotidien LE JOUR Edition du 17 janvier 2013
Il convient, afin de parvenir à déterminer le type de construction et la mise en
scène de l'événement adoptée par les rédacteurs de ces articles de répertorier
les faits relatés dans chacune des coupures de presse choisies comme corpus
d’étude. Et d’en identifier les représentations et les stéréotypes qui se dégagent
des publications des deux quotidiens.
2. 1- Les faits relatés
Nous recensons les informations contenues dans les articles dans le tableau ci-
après :
L’article de La Nouvelle Expression L’article de Le Jour
- Dossier d’enquête sur le sujet :
rappel des faits, encadrés explicatifs,
mode opératoire des tueurs en série,
mesures sécuritaires prises,
commentaire sur l’action des forces
de sécurités.
- Forces de l’ordre exerçant plus dans
le contrôle de dossiers de véhicules,
racket des populations que dans la
protection des biens et des
personnes ;
- Le sang des jeunes filles fait courir
les malfaiteurs ;
- Le bilan des victimes s’est alourdi le
15 janvier, premier cas le 1er
décembre ;
- 14 janvier un individu surpris en
train de ligoter deux enfants caché
dans un sac ; corruption du
conducteur de moto-taxi avec 6000
F.CFA de frais de transport contre
100F.CFA habituel pour la même
distance, alerte donnée par le
conducteur et abandon du sac ;
- 12 janvier : jeune fille de 12 ans
droguée et violée retrouvée vivante
sur une véranda, 3 enfants disparus
sur le chemin de l’école : un seul
retrouvé mort et mutilé ;
- Contrôle des cartes nationales
d’identité des personnes venant
- Dossier d’enquête sur le sujet :
Reportage dans la famille de l’une
des défuntes : Claude Michèle Mballa
Mvogo, sœur d’une journaliste ;
- Interview d’une psychologue, d’un
anthropologue et enseignant
d’université et d’un avocat au
barreau du Cameroun ;
- Réactions des populations ;
- Le réseau serait alimenté par des
personnalités de la République en
vue de l’utilisation des organes pour
des pratiques mystiques ;
- Historique des faits : découverte le 5
juillet 2012 du corps d’une fille de 10
ans dans une autre ville, Bafoussam,
arrestation d’un jeune ayant avoué le
forfait. Assassinat de la fillette pour
17 millions de F.CFA ; arrestation de
5 camerounais en possession de
reste humain dans la ville de Djoum
qui avouent que les corps sont
transportés via des valises
diplomatiques par le Nord du pays,
le coût des organes étant moins cher
au Cameroun par rapport au Nigéria
et au Philippines ;
- L’article 276 du code pénal réprime
l’atteinte à la vie puis l’utilisation
d’organes de la victime ;
- L’article 274 du code pénal réprime
3. chercher les enfants à la sortie des
écoles de la zone
la violation du tombeau et du cadavre
d’un individu
- Selon l’anthropologue le sang
représente la vie, les organes comme
les seins, le sexe et les yeux
permettent à ceux qui sacrifient ces
vies humaines de se procurer une
entrée dans la vie : synonyme de
richesse et de pouvoir.
2- Les représentations et les stéréotypes identifiées
Etant entendu que l’enquête en tant que genre rédactionnel utilise les
méthodes de collecte et de traitement de l’information propres à d’autres types
d’articles, les deux dossiers publiés par les quotidiens respectifs l’ont utilisé. L’on
observe que dans celui de La Nouvelle Expression, il y a eu un récit des faits, des
informations brèves en filet, des interviews et des réactions sous forme de vox pop
sur ces meurtres en série de femmes. Dans la production de Le Jour, l’on a affaire à
un reportage deux interviews de spécialistes, des réactions de populations en vox
pop. Les deux dossiers se ressemblent du point de vue des choix rédactionnels. Sur
le plan du traitement proprement dit, les deux journaux s’interrogent sur la raison
cachée derrière les mutilations des corps des victimes. Cela est perceptible à la Une
des journaux et dans le récit des faits de La Nouvelle Expression et le reportage de
Le Jour.
Du point de vue de l’écriture journalistique, les deux dossiers d’enquête
publiés par La Nouvelle Expression et Le Jour sont extrêmement fouillés et sont
présentés en Une et en double page interne. Ce qui implique en termes de
représentation sociale, que les deux articles posent implicitement les découvertes
macabres de jeunes filles dans le registre des crimes rituels. Ils imputent aux forces
de l’ordre et au gouvernement la responsabilité de ces crimes en les traitant de
laxistes. La représentation que se fait donc les auteurs du journal des faits traités
dans ces textes montre que c’est une information primordiale. Elle implique une
importance capitale et mérite une attention particulière des lecteurs.
Dans les deux articles, les auteurs ont un stéréotype en commun : Tout ce qui
se passe à Mimboman, dans la ville de Yaoundé est la conséquence directe de la
4. négligence de ce quartier par les autorités publiques. Spécifiquement, dans La
Nouvelle Expression, dès le titre en Une cela est perceptible, le quartier est cité. Le
journal présente les forces de l’ordre comme exerçant plus dans le contrôle de
dossiers de véhicules que dans la protection des biens et des personnes. Un autre
stéréotype est identifiable au travers d’un préjugé nationalement perceptible : la
mutilation des corps et l’assassinat de jeunes filles ne peuvent être que des œuvres
commanditées par des hautes personnalités en quête de pouvoir. Dans Le Jour, les
reporters interviewent des populations pour accentuer ce sous-entendu.
3- La mise en scène et la construction du fait d’actualité
Nous allons essayer de déterminer comment le dossier d’enquête de chacun
de ces journaux est construit en fonction des 4 niveaux de classification d’un
évènement médiatique. (Voir tableau ci-après)
5. Niveaux de
classification
La Nouvelle
Expression
Le Jour
Fait surprenant Le meurtre et les
mutilations de jeunes
filles
Le meurtre et les
mutilations de jeunes
filles
Circonstances
remarquables et
illogiques
14 janvier : un individu
surpris en train de ligoter
deux enfants caché dans
un sac ; corruption du
conducteur de moto-taxi
avec 6000 F.CFA de frais
de transport contre
100F.CFA habituel pour la
même distance, alerte
donnée par le conducteur
et abandon du sac
Le réseau serait alimenté
par des personnalités de
la République en vue de
l’utilisation des organes
pour des pratiques
mystiques
Acteurs de l’évènement
catalyseurs de notoriété
Claude Michèle Mballa
Mvogo, sœur d’une
journaliste
Conséquences
importantes
De nombreux cas
découverts pendant un
laps de temps
De nombreux cas
découverts pendant un
laps de temps
Conclusion Construction analytique
du dossier :
Scénarisation à partir de
l’historique des cas
enregistrés
Construction
dramatique du dossier.
Scénarisation à partir de
l’une des victimes
Dans les deux cas de figure, on est tenté de dire que le dossier
d’enquête du quotidien La Nouvelle Expression correspond à une mise en
scène en amont. Une mise en scène qui prend source du début de l’affaire
(moment où on a eu à enregistrer des cadavres de femmes enlevées et
mutilées). Dans le second cas, la construction dramatique de l’information
permet de se rendre compte que l’on est en face d’une mise en scène en aval.
Le fait que l’on parte d’un reportage dans la famille de Claude Michèle, l’une
des victimes, montre que l’on a construit le dossier à partir de ce personnage
que l’on suit et qui incarne en quelque sorte l’information véhiculée par Le
Jour.