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TRUST ET DÉTENTION IMMOBILIÈRE
EN DROIT FISCA L SUISSE:
UN DOUX MÉL ANGE ?
Mai 2011




Jean-Philippe Krafft, LL.M.,
Docteur en droit, titulaire du brevet d’avocat,
expert fiscal diplômé,
chargé de cours à l’Université de Lausanne

Jan Langlo, LL.M.,
titulaire du brevet d’avocat,
expert fiscal diplômé
TABLES DES MATIÈRES

INTRO DUCTIO N                                             5

L E SY STÈ ME D’IMPO SITIO N INSTAURÉ
PAR L A CIRC ULAIRE 30                                     5

IMPOSITION DU TRUSTEE

IMPOSITION DU SETTLOR

IMPOSITION DU BÉNÉFICIAIRE


LES DIRE CT IVES DE L ’O FFIC E FÉDÉRAL DE LA JU STIC E    8

Q UESTIONS FISC AL ES L IÉE S AUX IMMEU BLE S
PLACÉS EN T RU ST                                          9

IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST N’EST PAS DÉVOILÉ

IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST EST DÉVOILÉ

TRANSFERT D’UN IMMEUBLE À UN TRUST

DÉTENTION D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST

IMMEUBLE DE RAPPORT

IMMEUBLE OCCUPÉ PAR DES BÉNÉFICIAIRES

CHANGEMENT DE TRUSTEE

CHANGEMENT DE BÉNÉFICIAIRE

VENTE D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST

DISTRIBUTION D’UN IMMEUBLE À UN BÉNÉFICIAIRE


CO NC LUSIO N                                             15
INTRO DUCTIO N
La Convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance conclue à
La Haye le 1er juillet 1985 (RS 0.221.371, ci-après «Convention de La Haye») est entrée
en vigueur en Suisse au 1er juillet 2007 et a contribué à renforcer la sécurité juridique
du trust dans notre pays.
Les questions liées au droit fiscal sont cependant exclues du champ d’application de la
Convention de La Haye. La pratique avait déjà donné certaines réponses aux questions
touchant à l’imposition du trust et de ses parties prenantes. Il y manquait toutefois une
approche systématique. En effet, les pratiques pouvaient différer d’un canton à un autre,
voire de cas en cas.
A l’occasion de la ratification de la Convention de La Haye, et dans un but de clarifica-
tion et d’harmonisation, la Conférence suisse des impôts (ci-après «CSI») a élaboré la
Circulaire 30 du 22 août 2007 intitulée «Imposition des trusts» (ci-après «Circulaire 30»),
destinée aux administrations fiscales cantonales. Cette Circulaire 30 a été reprise par
l’Administration fédérale des contributions1, qui a indiqué qu’elle l’appliquerait mutatis
mutandis à l’impôt fédéral direct et à l’impôt anticipé.
La Circulaire 30 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle a le mérite de s’attaquer à
un sujet ardu, car le trust, de par sa nature même, n’est pas directement transposable
dans un concept de droit civil équivalent, dont les conséquences fiscales pourraient être
aisément déduites. La CSI n’a ainsi pu éviter de procéder à quelques schématisations,
dont le résultat a fait l’objet de nombreuses critiques et de propositions de lege ferenda2.
La présente contribution a pour premier objectif de résumer les règles de la Circulaire 30
et les recommandations de l’Office fédéral de la justice pour le traitement des opérations
liées à des trusts. Nous avons choisi ensuite de nous concentrer sur la problématique de
la détention immobilière en Suisse par l’entremise d’un trust et de tracer quelques pistes
de réflexion. Il nous a en effet semblé que la complexité de l’imposition immobilière,
combinée avec celle de l’imposition du trust, constituait un mélange intéressant.
Nous ne traiterons pas des questions liées à la Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles
par des personnes à l’étranger (RS 211.412.41) ni à la Loi fédérale sur le droit foncier
rural (RS 211.412.11). Nous admettrons ainsi que ces lois ne s’opposent pas aux
opérations immobilières envisagées.


LE SY ST ÈME D’IMPO SIT IO N INSTAU RÉ
PAR L A CIRCULAIRE 30
La Circulaire 30 commence par décrire les principales caractéristiques du trust et par
en donner la définition suivante: «La notion de trust décrit un rapport juridique ayant
des effets à l’encontre des tiers, qui prend naissance lorsque, sur la base d’un document de
constitution (trust deed), le constituant (settlor) transfère des valeurs patrimoniales déterminées
à une ou plusieurs personnes (trustees), lesquelles ont l’obligation de les gérer et de les
utiliser dans un but établi à l’avance par le settlor en faveur d’un ou de plusieurs tiers
(bénéficiaires).»3
Faute de base légale, le trust ne peut pas être assimilé fiscalement à une personne morale;
il ne peut donc pas être lui-même assujetti de façon limitée ou illimitée. Selon les termes
de la Circulaire 30, cette question «ne se pose pas du tout»4.
D’un point de vue fiscal, la relation de trust ne peut donc être appréhendée que par
l’intermédiaire des personnes impliquées, c’est-à-dire le settlor, le trustee ou le bénéficiaire.
Il s’agit donc en principe d’une imposition en transparence.




1
    Circulaire n° 20 du 27 mars 2008.
2
    Entre autres Robert Danon, L’imposition du «private express trust», analyse critique de la Circulaire CSI du 22 août 2007
    et proposition de modèle d’imposition de lege ferenda, Archives 76, p. 435ss; Xavier Oberson, Le traitement fiscal du trust
    en droit suisse. Les limites à l’application des principes généraux de la fiscalité, Archives 76, p. 475ss; Toni Amonn,
    Trustbesteuerung in der Schweiz – eine Standortbestimmung, Archives 76, p. 493ss.
3
    Circulaire 30, par. 2.1, p. 2.
4
    Circulaire 30, par. 4.1, p. 7.




                                                                                                                                  5
IMPOSITION DU TRUSTEE
    Selon la Circulaire 30, le trustee ne peut pas – en principe – être le sujet fiscal pour les
    biens détenus par le trust, car il n’a pas de pouvoir de disposition sur les biens du trust.
    Nous verrons cependant plus loin que cette affirmation mérite peut-être d’être relativisée
    en matière immobilière, lorsque le settlor est résident à l’étranger.
    La position du trustee est en quelque sorte semblable à celle d’un fiduciaire qui, certes,
    serait propriétaire des biens du trust, mais pour le compte des bénéficiaires. La Circulaire
    30 précise aussi que, de ce fait, la question de l’administration effective en Suisse ne se
    pose pas. En d’autres termes, le lieu de l’administration du trust ou, par défaut, le lieu
    de résidence du trustee n’importe pas pour déterminer si les biens du trust sont imposables
    en Suisse.
    Les considérations émises ci-dessus sont d’autant plus valables pour le protector, dont la
    fonction essentielle consiste en la surveillance du ou des trustees. Le domicile, le siège ou
    l’administration effective du protector ne sont donc pas pertinents pour savoir si les biens
    du trust peuvent être imposés en Suisse.


    IMPOSITION DU SETTLOR
    Restent donc comme parties au trust le settlor et le bénéficiaire. Selon la Circulaire 30,
    ceux-ci sont imposables de manière différenciée selon le type de trust.
    La Circulaire 30 prévoit de distinguer les trusts révocables des trusts irrévocables. Les
    premiers se distinguent notamment par le pouvoir du settlor de révoquer le trust. Parmi
    les trusts irrévocables, il convient de distinguer deux sous catégories: les trusts à intérêt
    fixe, dans lesquels les bénéficiaires ont des droits clairs et prédéterminés, et ceux
    dits discrétionnaires, dans lesquels les distributions aux bénéficiaires dépendent de
    l’appréciation du trustee, complétée éventuellement par des conditions fixées par le settlor.
    Dans le cas d’un trust révocable, le settlor n’a pas définitivement abandonné son pouvoir
    de disposition sur les biens du trust. La circulaire précise que la qualification fiscale d’un
    trust comme révocable ne nécessite pas l’existence explicite d’une clause révocatoire en
    faveur du settlor. En d’autres termes, un trust est considéré comme étant révocable «s’il
    existe une possibilité d’influence du settlor sur le trust, de quelque nature qu’elle puisse
    être»5. La Circulaire 30 énumère ensuite plusieurs conditions alternatives, notamment
    le fait que le settlor soit bénéficiaire du trust , dont la réalisation permet de qualifier le
    trust6 de révocable.
    Si le trust est qualifié de révocable, les biens du trust continuent d’être attribués fiscalement
    au settlor pour les besoins des impôts directs. Dans ce cas, la constitution du trust ne
    déclenche pas la perception d’éventuels droits de donation7. En revanche, la distribution
    de biens du trust aux bénéficiaires sera traitée comme une donation du settlor à ces
    derniers. Il n’y a par ailleurs pas de raison d’opérer une distinction entre les settlors
    assujettis de manière illimitée et ceux qui ne le sont que de manière limitée, par exemple
    de par leurs possessions immobilières en Suisse. Ce cas ne semble donc pas poser de
    problème.
    Pour les trusts irrévocables, la Circulaire 30 instaure pour l’imposition du settlor une
    distinction en fonction du domicile de ce dernier. Si le settlor est domicilié en Suisse au
    moment de la constitution du trust, il n’y aura dessaisissement du settlor qu’en cas de
    constitution d’un trust à intérêt fixe. En effet, selon la Circulaire 30, un dessaisissement
    du settlor ne pourra être admis que s’il y a enrichissement d’un autre sujet fiscal. En cas
    de constitution d’un trust irrévocable et discrétionnaire, le patrimoine et ses rendements
    resteront attribués au settlor (domicilié en Suisse au moment de la création du trust), faute
    d’enrichissement d’une tierce personne.




    5
        Circulaire 30, par. 3.7, p. 5.
    6
        La Circulaire 30 mentionne en outre en p. 6 les droits de révoquer le trustee et d’en nommer un autre, de désigner ou de
        faire désigner de nouveaux bénéficiaires, de remplacer le protector, de modifier ou de faire modifier l’acte constitutif du trust,
        d’exiger la liquidation du trust et d’opposer un veto aux décisions du trustee concernant les actifs du trust.
    7
        La Circulaire 30 évite de retenir une donation entre tiers («Schenkung in der Schwebe» selon la pratique zurichoise) dans ce cas,
        ce qui serait très pénalisant, et le résident suisse bénéficie malgré tout des aspects civils du trust, notamment des règles de
        transmission spécifiques qu’il aura choisies.




6
La Circulaire 30 prévoit cependant une exception pour les contribuables domiciliés en
Suisse, mais imposés d’après la dépense (au sens des art. 14 LIFD et 6 LHID, ci-après
les «forfaitaires»), pour qui le dessaisissement sera admis même en présence d’un trust
irrévocable et discrétionnaire, «car dans ce cas seuls les éléments de fortune en Suisse
et les rendements de fortune de source suisse sont pris en compte dans le calcul de
contrôle»8. D’ailleurs, pour des forfaitaires, les biens de source suisse, et notamment les
biens immobiliers situés en Suisse, doivent faire partie du calcul de contrôle qui leur est
appliqué. L’apport à un trust de sa ou ses résidences suisses par un forfaitaire ne serait
ainsi pas reconnu fiscalement, comme si le trust était révocable. A contrario, un settlor
forfaitaire pourrait placer ses biens, mobiliers ou immobiliers, de source étrangère dans
un trust irrévocable et discrétionnaire.
La Circulaire 30 est en revanche muette sur le traitement d’un settlor domicilié à l’étranger
qui transfert son bien immobilier suisse dans un trust.


IMPOSITION DU BÉNÉFICIAIRE
Comme pour l’imposition du settlor, la Circulaire 30 prévoit pour l’imposition des
bénéficiaires une distinction entre trusts irrévocables à intérêt fixe et trusts irrévocables
et discrétionnaires. Le bénéficiaire d’un trust à intérêt fixe est imposé sur sa part des
revenus et du patrimoine du trust, de la même façon qu’un usufruitier. Les distributions
qu’il reçoit peuvent être des distributions de capital assimilables à des donations du settlor
ou des distributions de revenu imposable.
Les bénéficiaires de trusts irrévocables et discrétionnaires ne se verront quant à eux
imposés qu’au moment d’une distribution. Il conviendra alors d’examiner si celle-ci porte
sur le capital du trust ou sur un revenu imposable. Les actifs du trust ne font pas partie
de la fortune imposable du bénéficiaire, puisque ce dernier ne détient qu’un simple
droit d’expectative sur ceux-ci. Pour rappel, si le settlor était domicilié en Suisse (mais non
forfaitaire) au moment de la constitution du trust, le bénéficiaire ne peut recevoir que
des donations du settlor.
Cette distinction selon le mode d’imposition du settlor (imposition au régime ordinaire
ou selon la dépense) et selon son domicile au moment de la création du trust montre
clairement une certaine volonté d’ouvrir «la porte aux trustees résidents de Suisse, ainsi
qu’aux settlors et bénéficiaires étrangers, au détriment des settlors (en régime ordinaire)
et bénéficiaires suisses»9. C’est pourquoi il est souvent préférable, pour l’étranger qui
le souhaite, de constituer un trust avant son arrivée en Suisse afin de bénéficier du
traitement réservé à ces situations.
Les solutions proposées par la Circulaire 30 pour les trusts révocables (attribution des
biens au settlor tant pour l’impôt sur le revenu que pour l’impôt sur la fortune) et pour
les trusts irrévocables et à intérêt fixe (assimilation du bénéficiaire à un usufruitier) sont
satisfaisantes et ne devraient pas poser trop de problèmes en pratique.
En revanche, la solution de l’imposition des biens d’un trust irrévocable et discrétionnaire
auprès du settlor si celui-ci était domicilié en Suisse au moment de la création du trust,
ainsi que l’imposition des distributions d’un tel trust en tant que donations du settlor aux
bénéficiaires posent problème. Le settlor s’est en effet dessaisi de sa fortune et les bénéfi-
ciaires n’ont qu’un droit d’expectative sur les revenus ou la fortune du trust, tandis que
le trustee n’a qu’une position de fiduciaire, de sorte que personne ne pourrait être imposé
sans violer le principe de la capacité contributive. De plus, l’«effet convertisseur»10 du
trust irrévocable et discrétionnaire des gains en capital en revenu ordinaire, à savoir le
traitement auprès d’un bénéficiaire de toutes les distributions du trust comme du revenu
imposable, hormis la distribution du capital initial ou subséquent, qui ne peut intervenir
qu’une fois tous les revenus du trust distribués, est très contesté11. D’un autre côté, il est
compréhensible que les administrations fiscales n’adhèrent pas à la notion de biens qui ne
seraient attribuables à personne et donc non imposables. Ceci est d’autant plus vrai pour
des biens immobiliers situés en Suisse, qui génèrent par eux-mêmes un assujettissement
limité en Suisse pour leur propriétaire.


8
     Circulaire 30, par. 5.1.1.2, p. 9.
9
     Xavier Oberson, Archives 76, p. 491.
10
     Xavier Oberson, Archives 76, p. 489.
11
     Toni Amonn, Archives 76, p. 505 (l’auteur parle même de «Salto Mortale»); Xavier Oberson, Archives 76, p. 489;
     Robert Danon, Archives 76, p. 457 avec d’autres références. Ce dernier auteur parle d’«effet écran ou transformateur» en
     p. 458.



                                                                                                                                7
Afin de remédier à cette situation, d’éminents auteurs suggère la fiscalisation du trustee
    pour les revenus accumulés par le trust, voire pour le capital de celui-ci, par analogie
    avec ce qui se pratique dans certains Etats étrangers. Cette fiscalisation nécessiterait
    selon eux une intervention du législateur12, ce qui n’est peut-être pas nécessaire pour la
    détention immobilière en Suisse, comme on va le voir.


    LE S DIRECT IVE S DE L ’O FFICE FÉDÉ RAL DE L A JU ST ICE
    En lien avec l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye, l’Office fédéral de la
    justice a édicté des «Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust»,
    par courrier du 28 juin 2007 aux inspectorats et offices cantonaux du registre foncier
    (ci-après «Directives»)13.
    La définition du rapport de trust donnée par les Directives est assez lacunaire. Elles com-
    mencent par décrire le trust comme une structure juridique se situant entre la fiducie et
    la fondation et visant «une relation juridique dans laquelle certaines valeurs patrimoniales
    sont confiées à titre fiduciaire à une ou plusieurs personnes (trustees), qui doivent les
    administrer et les utiliser dans un but prescrit par le constituant (settlor). Ce but peut être
    de portée générale ou peut consister à favoriser une personne déterminée (beneficiary).
    Le settlor a également la possibilité de constituer un trust pour son propre bénéfice et
    se réserver le droit de le dissoudre ultérieurement. Le trust (...) n’a pas la personnalité
    juridique. Le trustee est pleinement le propriétaire fiduciaire des biens du trust; ces derniers
    constituent cependant un patrimoine séparé de son patrimoine personnel.»
    Les Directives mentionnent que les immeubles détenus par l’intermédiaire d’un trust sont
    à inscrire au registre foncier au nom du trustee et que le lien d’un immeuble avec un trust
    peut faire l’objet d’une mention.
    Elles distinguent ensuite sous le chapitre «Transfert d’un immeuble à un trust au moment
    de la constitution de ce dernier» la constitution par acte entre vifs de la constitution
    par disposition à cause de mort. Dans le premier cas, l’acte authentique doit mentionner
    que le trust a été valablement constitué, que le trustee a été institué comme tel et que
    l’immeuble concerné est affecté au patrimoine du trust.
    En cas de disposition à cause de mort, c’est le droit applicable à la succession qui
    déterminera si l’immeuble doit tout d’abord être transféré à un ayant droit intermédiaire
    ou s’il peut être transféré directement au trustee. A première vue, si le droit suisse est
    applicable, l’inscription devrait pouvoir se faire directement au nom du trustee.
    Afin de faciliter la preuve du lien de l’immeuble avec un trust et pour prévenir une
    éventuelle bonne foi des créanciers du trustee, les Directives prévoient la possibilité, mais
    non l’obligation, d’inscrire une mention au registre foncier («fait partie du patrimoine
    d’un trust»), qui ne restreint pas les pouvoirs du ou des trustees.
    En cas d’aliénation d’un immeuble du patrimoine du trust ou d’acquisition par un trustee
    d’un immeuble destiné au patrimoine du trust, les Directives n’exigent rien de plus que
    l’existence d’un contrat passé en la forme authentique.
    Pour le passage des biens du trust aux bénéficiaires, y compris en cas de dissolution du
    trust, les Directives fixent l’exigence d’un acte authentique de constatation duquel il ressort
    que l’immeuble à transférer appartient au patrimoine d’un trust valablement constitué,
    qu’il existe un droit du ou des bénéficiaires à ce que l’immeuble leur soit transféré et que
    les éventuels consentements nécessaires selon le statut du trust ont été donnés.
    Les Directives règlent ensuite les conséquences du changement de trustee en cas de
    démission, révocation ou décès de celui-ci, et les modalités pour obtenir la modification
    correspondante du registre foncier.
    Il est intéressant de noter qu’en matière d’inscription de relations de trust au registre
    foncier, les Directives ne font aucune différence selon le type de trust. Ainsi, le fait que
    le trust soit révocable ou non et qu’il soit discrétionnaire ou non ne change rien en
    matière d’inscription au registre foncier. Le trustee sera dans tous les cas inscrit comme
    le propriétaire du bien immobilier, avec ou sans la mention se référant à l’existence
    d’un rapport de trust.

    12
         Robert Danon, Archives 76, p. 468ss; Xavier Oberson, Archives 76, p. 491.
    13
         Ces Directives, tout comme de nombreux autres documents, peuvent être consultées, en plusieurs langues, sur l’excellent
         site www.trusts.ch créé et maintenu par Me David Wilson.




8
Q UESTIONS FISC AL ES L IÉE S AUX IMMEU BLE S
PLACÉS EN T RU ST
Afin d’illustrer ces questions, nous avons choisi deux exemples dont voici le canevas
de départ.
Exemple 1:
Un résident étranger apporte son chalet de vacances dans un trust de droit bahamien.
Le trustee est une société ayant son siège aux Bahamas. Les bénéficiaires du trust sont
ses enfants et leurs descendants directs.
Exemple 2:
Un trust de droit bahamien acquiert des locaux commerciaux. Le trustee est une société
ayant son siège aux Bahamas. Les locaux sont loués à un tiers.
Il va de soi que sauf mention contraire, tous les biens immobiliers dont il est question
dans ces exemples et ci-après sont situés en Suisse.
En application des Directives, les trustees des exemples 1 et 2 devraient pouvoir être
inscrits comme propriétaires au registre foncier14.


IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST N’EST PAS DÉVOILÉ
La problématique de savoir qui sera imposé sur un bien immobilier situé en Suisse
et détenu par l’intermédiaire d’un trust est peut-être moins aiguë que pour des biens
meubles, car un immeuble implique nécessairement un assujettissement en Suisse,
indépendamment du domicile ou du siège des parties concernées. Il n’en reste pas
moins que la détermination du contribuable garde toute son importance pour le taux
d’imposition, qui n’est pas le même pour les personnes physiques que pour les personnes
morales, mais aussi pour la détermination des facteurs imposables, les règles de
détermination variant selon que l’immeuble est détenu dans la fortune privée ou
commerciale du contribuable.
Pour déterminer qui est assujetti, il faudra à notre sens adopter une solution pragmatique,
et distinguer ainsi les cas où le propriétaire du bien immobilier annoncera l’existence
d’une relation de trust de ceux où il ne le fera pas. Les administrations fiscales doivent
en effet pouvoir se fier aux inscriptions des registres fonciers. Si aucune mention du
rapport de trust n’existe, il appartient aux parties d’annoncer le rapport de trust si la
solution décrite ci-dessous ne leur convient pas.
Dans les exemples 1 et 2, l’administration fiscale sera confrontée à une société
bahamienne inscrite au registre foncier comme propriétaire d’un bien immobilier situé
en Suisse. Si le trustee ne dévoile pas la relation de trust, il conviendra de l’imposer comme
si le rapport de trust n’existait pas.
Dans l’exemple 1, l’apport du bien immobilier au trust devra ainsi être traité comme
une donation entre tiers (de settlor à trustee), qui sera imposée comme telle.
Dans l’exemple 2, l’acquisition immobilière par le trust sera imposée comme n’importe
quelle autre: prélèvement des droits de mutation auprès de l’acquéreur et imposition du
gain immobilier auprès du vendeur, le cas échéant.
Pour les impôts directs, la solution sera la suivante: une société étrangère assujettie de
manière limitée en Suisse en raison de sa détention immobilière devra être traitée comme
une société suisse dans la même situation. Les bénéfices et le capital seront imposables
pour les éléments rattachables à la Suisse. Il y aura également perception d’un impôt
immobilier complémentaire, si le droit cantonal en a prévu un.
En ce qui concerne la mise à disposition du bien aux bénéficiaires dans l’exemple 1,
le trustee devra exiger le versement d’un loyer conforme au marché. S’il ne le fait
pas, il s’agira d’une prestation appréciable en argent, avec comme conséquence la
reconnaissance d’un bénéfice fiscal pour le trustee et d’un revenu pour le bénéficiaire.
Bien entendu, il faudra tenir compte d’éventuels frais de financement et d’entretien
pour déterminer le revenu imposable. Les mêmes considérations s’appliquent en
matière d’impôt sur le capital.


14
     Toujours sous réserve des aspects LFAIE et LDFR, non traités ici.




                                                                                                 9
Dans l’exemple 2, le loyer sera imposable comme bénéfice d’une personne morale,
     après déduction, là aussi, des frais de financement et d’entretien. En cas de distribution
     de l’immeuble à un bénéficiaire (toujours sans que la relation de trust ne soit divulguée),
     le fisc constatera le transfert du bien immobilier du trustee au bénéficiaire et devrait
     pouvoir imposer une éventuelle plus-value au titre de bénéfice imposable ou de gain
     immobilier.
     En outre, dans tous ces cas, le trustee personne morale pourrait selon les circonstances
     avoir son administration effective au lieu de situation de l’immeuble, et les distributions
     qu’il effectuera seraient alors soumises à l’impôt anticipé suisse.
     Si le trustee était une personne physique, qui ne recevrait aucune contreprestation au
     moment de la distribution de l’immeuble à un bénéficiaire, le fisc pourrait admettre
     une donation et prélever des droits de donation au taux applicable entre le bénéficiaire
     et le trustee, soit le plus souvent au taux maximum.
     Dans les exemples 1 et 2, le rapport de trust serait donc traité comme n’importe quelle
     détention immobilière en Suisse par le truchement d’une société étrangère. Il s’agirait
     là d’une imposition, faute d’indications spécifiques du trustee, assez pénalisante, surtout
     lors des transferts de propriété.


     IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST EST DÉVOILÉ
     Le trustee devrait cependant, par analogie avec le fiduciaire, pouvoir faire valoir sa
     situation spécifique. Selon nous, il convient donc d’admettre la possibilité pour le trustee
     de dévoiler le rapport de trust, même si aucune mention spécifique ne figure au registre
     foncier, et l’obligation pour l’administration fiscale de respecter ce rapport de trust.
     En cas de reconnaissance fiscale du rapport de trust, il convient d’effectuer une analyse
     plus approfondie de cette relation.


     TRANSFERT D’UN IMMEUBLE À UN TRUST
     Les conséquences fiscales d’une détention immobilière par un trust commencent déjà
     lors du transfert de l’immeuble au trust, le plus souvent par apport du settlor.
     Comme indiqué plus haut, en présence d’un trust révocable, ou considéré comme tel
     du point de vue fiscal, l’apport de l’immeuble au trust n’aura aucune conséquence fiscale,
     puisque l’on considère que le settlor reste le propriétaire de l’immeuble.
     Un autre cas simple est celui de l’apport à un trust irrévocable à intérêt fixe, puisque
     l’apport de l’immeuble au trust sera considéré comme la donation par le settlor d’un
     usufruit sur l’immeuble aux bénéficiaires du trust. Si un bénéficiaire ultime est déjà
     déterminé, une donation de la nue-propriété de l’immeuble à celui-ci pourra aussi
     intervenir15.
     A l’inverse, si l’immeuble est apporté à un trust irrévocable et discrétionnaire, il n’y aura
     pas de donation déterminée au moment de l’apport. Les autorités fiscales cantonales
     considéreront toutefois en général que des droits de donation sont dus sur la valeur des
     biens apportés à un tel trust.
     Le taux applicable dépendra alors du lien de parenté entre le settlor et les bénéficiaires
     potentiels les plus éloignés de celui-ci, éventuellement en tenant compte des probabilités
     que ces bénéficiaires reçoivent effectivement l’immeuble. Ainsi, si comme dans l’exemple 1
     le trust n’a comme bénéficiaires possibles que les descendants directs du settlor, aucun droit
     de donation ne devrait être dû, dans la mesure où le canton de situation de l’immeuble
     a aboli les droits de donation en ligne directe.
     On peut toutefois se demander si, notamment en présence d’un bien immobilier, on
     ne devrait pas attendre que celui-ci soit distribué à un bénéficiaire pour constater une
     donation imposable du settlor 16. Ainsi saurait-on exactement quel taux appliquer, et
     une éventuelle plus-value générée pendant la détention par le trust serait-elle aussi
     soumise aux droits de donation.



     15
          Voir par exemple la solution de l’art. 32 al. 1 LMSD (RS-VD 648.11).
     16
          Cela correspondrait au surplus au mécanisme civil d’une donation, qui doit être acceptée – et donc reçue – pour être parfaite.




10
Ce qui précède part du principe d’un apport du vivant du settlor; naturellement, si
l’apport devait résulter d’une disposition testamentaire, ce sont des droits de succession
et non de donation qui pourraient être dus.
Aucun droit de mutation ne devrait être dû en principe, puisque le transfert de
l’immeuble n’intervient pas à titre onéreux en cas d’apport à un trust. Certaines
législations cantonales imposent toutefois aussi les transferts à titre gratuit.
De même, aucun impôt sur les gains immobiliers ne devrait être prélevé en cas d’apport
d’un immeuble à un trust, à défaut d’une vente. Le coût d’acquisition de l’immeuble
devrait donc être reporté jusqu’à la prochaine transaction déterminante (sauf par
exemple en cas de succession à Genève17).
On peut encore se demander si un immeuble détenu par le settlor dans sa fortune
commerciale et apporté à un trust reste un élément de fortune commerciale ou non.
La réponse nous semble en tout cas positive en présence d’un trust révocable, mais
également en présence d’un trust irrévocable, par analogie avec les règles qui prévalent
en cas de donations et de successions18.
Comme en cas de donation directe, il peut y avoir une différence importante quant aux
droits de donation ou de succession qui sont dus selon que le settlor apporte un immeuble
ou des liquidités à son trust. Dans le premier cas, ce sont les règles du canton de situation
de l’immeuble qui s’appliquent, tandis que dans le second ce sont les règles du lieu de
domicile du settlor. Il convient donc de comparer les conséquences fiscales des deux
variantes.
A noter que si le trust acquiert un bien immobilier au moyen de ses propres deniers,
comme dans l’exemple 2, il s’agit d’une acquisition immobilière usuelle. Les consé-
quences fiscales seront les mêmes que si l’acquéreur n’était pas un trust.


DÉTENTION D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST
A nouveau, cette problématique ne concerne que les trusts irrévocables et
discrétionnaires, puisque le settlor d’un trust révocable ou traité comme tel reste
propriétaire de l’immeuble d’un point de vue fiscal, et les bénéficiaires d’un trust
irrévocable à intérêt fixe sont traités comme des usufruitiers19.
Le paradoxe naît du fait qu’à moins d’une distribution, un trust irrévocable et
discrétionnaire ne provoque aucun revenu ni aucune fortune imposable en Suisse,
tandis qu’un immeuble situé en Suisse crée un assujettissement limité de son propriétaire
dans ce pays. Il ne paraît pas justifié que tout assujettissement cesse du simple fait que
l’immeuble placé en trust ne puisse (plus) être attribué à personne avant d’être distribué.
Qui donc assujettir en Suisse à raison de la détention du bien immobilier? Le trustee
a la propriété légale de l’immeuble (et est même inscrit au Registre foncier comme
propriétaire), tandis que les bénéficiaires en ont la propriété économique, soumise à la
discrétion du trustee. Dans un tel cas, les bénéficiaires n’ont pas sur l’immeuble «des droits
de jouissance réels ou des droits personnels assimilables économiquement à des droits
de jouissance réels», au sens des art. 4 al. 1 let. c ou 51 al. 1 let. c LIFD, qui fonderaient
leur assujettissement. Le trustee est au contraire formellement propriétaire de l’immeuble
au sens des articles précités. Il semble donc logique d’assujettir le trustee sur les revenus
et la fortune qui ne sont pas attribués à un bénéficiaire. Une base légale spécifique ne
nous paraît pas nécessaire pour cela.


IMMEUBLE DE RAPPORT
Pour un immeuble de rapport comme celui de l’exemple 2, ou le chalet de l’exemple 1
si celui-ci est loué au prix du marché, la situation est assez simple, dans le sens où les
revenus locatifs nets seront imposés auprès d’un bénéficiaire s’ils sont distribués l’année
courante ou auprès du trustee s’ils ne le sont pas.




17
     Art. 81 al. 3 let. C LCP (RS-GE D 3 05), qui prévoit une exonération et non un report.
18
     Arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004.
19
     S’il en réunit les caractéristiques, un tel trust pourrait éventuellement être assimilé à un placement collectif étranger au sens
     de l’art. 119 LPCC, et être imposé selon l’art. 72 LIFD.




                                                                                                                                         11
Sur les revenus immobiliers nets non distribués, le trustee sera imposé comme s’il était
     réellement propriétaire de l’immeuble. L’imposition variera alors selon que le trustee
     est une personne physique ou morale, résidente en Suisse ou à l’étranger. On rappellera
     que les settlors résidents suisses ne peuvent pas tenter ainsi d’améliorer leur fiscalité
     immobilière, puisque l’immeuble restera imposé auprès d’eux.
     Se pose bien sûr ensuite la question de la distribution ultérieure des revenus immobiliers
     déjà imposés auprès du trustee. La solution peut aller de considérer cette distribution
     comme un revenu exonéré auprès du bénéficiaire (comme pour un fonds en propriété
     directe) à la traiter comme un revenu pleinement imposable, ce qui aboutirait à une dou-
     ble imposition économique inhabituelle en cas de détention immobilière à titre fiduciaire.
     Nous privilégions la première solution, en considérant comme le professeur Danon que
     l’assujettissement du trustee serait «‘’substitutif’’ car il anticipe et remplace l’imposition
     du bénéficiaire. En conséquence, la distribution subséquente des revenus accumulés
     par le trust serait exonérée dans le chef du bénéficiaire»20.
     La fortune que représente l’immeuble de rapport sera aussi imposée auprès du trustee,
     dans la mesure où l’immeuble n’a pas été distribué à un bénéficiaire.


     IMMEUBLE OCCUPÉ PAR DES BÉNÉFICIAIRES
     La situation se présente autrement pour un immeuble qui n’est pas loué, mais mis
     gratuitement à disposition des bénéficiaires, tel le chalet de l’exemple 1.
     Si l’immeuble est à disposition de bénéficiaires bien déterminés toute l’année, on pourrait
     imposer ceux-ci sur la valeur locative de l’immeuble, comme s’ils en étaient propriétaires.
     Si l’immeuble n’est à disposition de bénéficiaires que pour une période limitée, on
     pourrait considérer que ceux-ci reçoivent une distribution en nature du trust, d’une
     valeur équivalente à ce que paierait un tiers pour une telle location. Enfin, si l’immeuble
     n’est occupé par personne, ou par de nombreux bénéficiaires, le plus simple serait
     d’imposer le trustee sur la valeur locative de l’immeuble.
     Il peut être très fastidieux de contrôler qui occupe effectivement un immeuble détenu
     par un trust et une solution pragmatique serait de toujours attribuer la valeur locative
     que représente cet immeuble au trustee. L’administration fiscale pourrait ainsi se fier
     à l’inscription au registre foncier. Le trustee pourrait faire valoir les dettes du trust dans
     la proportion des actifs immobiliers suisses; s’il est étranger, il pourrait bénéficier des
     pratiques cantonales simplifiées d’imposition. La situation serait alors la même que
     lorsque le propriétaire d’une résidence secondaire en Suisse la met gracieusement à
     disposition d’amis ou de membres de sa famille. Le trustee pourrait se faire dédommager
     par le trust pour les impôts qu’il doit sur les immeubles suisses. L’administration fiscale
     peut toujours invoquer l’évasion fiscale si le settlor, nécessairement résident étranger,
     essayait d’abuser de la situation.
     Par mesure de simplification, la fortune que représente l’immeuble devrait aussi toujours
     être imposée auprès du trustee. De plus, comme le bénéficiaire n’a pas de pouvoir de
     disposition sur l’immeuble et peut se voir retirer son droit de jouissance à tout moment,
     nous sommes d’avis qu’il serait contraire au principe de la capacité contributive de
     rajouter l’immeuble à sa fortune imposable.
     L’impôt foncier, calculé sur la valeur brute de l’immeuble, devrait être prélevé auprès
     du contribuable à la fortune duquel l’immeuble est rattaché, soit le trustee.


     CHANGEMENT DE TRUSTEE
     A notre sens, un changement de trustee21, pour quelque raison que ce soit (démission,
     renvoi, décès), ne devrait entraîner aucune conséquence fiscale, même pour un trust
     irrévocable et discrétionnaire. En effet, le trustee n’est qu’une sorte de représentant fiscal
     du trust pour les immeubles que celui-ci détient, et un changement de représentant n’est
     pas un événement fiscal. Une modification n’interviendra donc qu’au registre foncier
     et si nécessaire dans le rôle de l’autorité fiscale du lieu de situation de l’immeuble (pour
     les trusts irrévocables et discrétionnaires).

     20
          Robert Danon, Archives 76, p. 468.
     21
          Et a fortiori, également un changement de protector, dont le rapport à la propriété de l’immeuble est encore plus éloigné
          que celui du trustee.




12
CHANGEMENT DE BÉNÉFICIAIRE
Les conséquences de l’ajout ou du retrait d’un bénéficiaire ou d’une classe de bénéficiaires
peuvent être variées.
Dans un trust révocable, un changement de bénéficiaire n’a en principe aucun impact
fiscal, puisque les biens du trust restent attribués au settlor. Toutefois, si un trust est traité
comme révocable parce que le settlor en est resté bénéficiaire, et que celui-ci perd sa
qualité de bénéficiaire, il est possible que le trust devienne irrévocable22. Cela se produira
en tout cas lorsque le settlor décède. Des droits de donation ou de succession sont alors
susceptibles d’être dus, comme si le settlor établissait son trust à ce moment-là (puisque
le trust n’était pas reconnu fiscalement auparavant), et ce même si aucun changement
n’intervient au registre foncier, où le trustee reste inscrit comme propriétaire.
En présence d’un trust irrévocable à intérêt fixe, l’ajout d’un bénéficiaire revient à
accorder un usufruit à celui-ci. Le bénéficiaire peut prendre la place d’un bénéficiaire
qui perd cette qualité ou se rajouter aux autres bénéficiaires. Dans les deux cas, il n’y
a à notre sens pas de donation ni de succession en faveur du nouveau bénéficiaire (les
droits correspondants ont été prélevés lors de la constitution du trust 23), mais ce dernier
devient usufruitier pour la part d’intérêt fixe qui lui revient. Si plusieurs bénéficiaires
sont usufruitiers d’un même immeuble, ils seront fiscalement traités comme des copro-
priétaires, pour des quotes-parts équivalentes à leur intérêt fixe. De même, si le bénéficiaire
d’un trust irrévocable à intérêt fixe perd cette qualité, sa part peut venir accroître celle
des autres bénéficiaires sans que ce transfert n’entraîne aucune conséquence fiscale.
Certains cantons peuvent considérer qu’au décès d’un bénéficiaire d’un trust irrévocable
à intérêt fixe, l’usufruit de celui-ci passe à un autre bénéficiaire, ce qui entraîne le prélè-
vement de droits de succession24. Nous ne partageons pas ce point de vue, car selon nous
un trust irrévocable à intérêt fixe ne se distingue pas à cet égard d’un trust irrévocable
et discrétionnaire. Dans les deux cas, il est prévu dès le départ que la jouissance des
biens du trust passera de bénéficiaires à d’autres, et le fait qu’une jouissance (sous forme
de droit aux revenus ou de droit d’habitation pour un immeuble) soit ferme et identique
chaque année permet certes d’attribuer un revenu et une fortune à son bénéficiaire
(plutôt qu’au trustee), mais cette attribution n’est que fiscale et pas économique, et aucun
droit ne passe d’un bénéficiaire à un autre. Il s’agit simplement de distributions du trust
qui présentent un caractère régulier plutôt que discrétionnaire. Un trust ne peut pas
être assimilé à un fidéicommis de famille25, car le bénéficiaire n’est pas le propriétaire
du bien dont il jouit et peut en principe à tout moment perdre ses droits de jouissance.
Dans le cas d’un trust irrévocable et discrétionnaire aussi donc, l’ajout ou le retrait de
bénéficiaires ne provoque aucune conséquence fiscale, puisque ceux-ci n’ont aucune
prétention contre le trustee avant que celui-ci ne décide d’une distribution en leur faveur.


VENTE D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST
Là encore, le cas d’un trust révocable ou considéré comme tel ne présente pas de
particularité liée au trust, puisque le settlor est fiscalement toujours propriétaire de
l’immeuble, même si l’acte de vente est au nom du trustee, inscrit comme propriétaire
au Registre foncier.
Si le trust est irrévocable en revanche, la question de la fiscalisation de la vente d’un
immeuble par celui-ci se pose dans toute son acuité. Que le trust soit à intérêt fixe ou
discrétionnaire n’y change rien pour une fois, puisqu’un bénéficiaire même traité comme
un usufruitier ne peut pas être le vendeur d’un immeuble qui ne lui a pas été distribué.
Dans les cantons monistes, qui appliquent le même impôt à toutes les ventes de biens
immobiliers sis sur leur territoire, la situation est relativement simple. Si l’immeuble a été
apporté au trust à titre gratuit, l’impôt sur les gains immobiliers sera calculé sur la base
du prix d’acquisition applicable au settlor, augmenté de ses impenses et de celles du trust,
et en fonction de leur durée de détention combinée. Si l’immeuble a été acheté par le
trust, ce dernier sera traité comme n’importe quel acquéreur. L’impôt sera dû par le


22
     Si le trust est traité comme révocable parce que le settlor est un résident suisse, il ne deviendra pas irrévocable avant le décès de
     ce dernier.
23
     Sauf peut-être si le nouveau bénéficiaire fait partie d’une classe de bénéficiaires non prévue à l’origine.
24
     Voir par ex. l’Instruction no 103 de mai 1977 de l’Administration fiscale genevoise.
25
     Qui peut donner lieu à des droits de succession, cf. ATF 2P.168/2002.




                                                                                                                                             13
trustee. Si l’immeuble a fait l’objet d’amortissements durant sa détention par le settlor puis
     par le trust, ceux-ci seront repris et soumis à l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice, selon
     la qualité du trustee. Des droits de mutation seront en principe aussi dus, en général par
     l’acquéreur.
     Dans les cantons dualistes en revanche, il faut en plus distinguer selon que le trustee
     est une personne morale (voire un commerçant d’immeubles) ou physique. Et dans
     ce dernier cas, il faut encore vérifier si l’immeuble fait partie de sa fortune privée ou
     commerciale, ce qui comme nous l’exposions plus haut, devrait correspondre à sa
     classification d’origine auprès du settlor.
     Selon que le trustee est soumis à un impôt sur les gains immobiliers ou à l’impôt sur le
     revenu ou le bénéfice, les conséquences de la vente d’un immeuble peuvent varier du
     tout au tout, et des arbitrages pourraient présider à l’apport d’un immeuble à un trust
     juste avant sa vente. Par exemple, un résident étranger qui vient d’acquérir une résidence
     secondaire et souhaite la revendre pourrait l’apporter à un trust irrévocable avec comme
     trustee une société (suisse ou étrangère, peu importe), soumise à l’impôt sur le bénéfice
     du canton de situation de l’immeuble plutôt qu’à un impôt sur les gains immobiliers aux
     taux très élevés en cas de vente après une courte durée de détention. Les administrations
     fiscales cantonales concernées disposent cependant de l’arme de l’évasion fiscale pour
     contrer ce genre de cas.
     Une fois qu’un éventuel gain immobilier a été imposé selon les règles précitées, il devrait
     être considéré comme du capital au sein du trust, de sorte qu’il ne soit pas imposé une
     nouvelle fois lorsqu’il sera distribué aux bénéficiaires. Comme pour les revenus immobiliers,
     un trust ne devrait pas donner lieu à une double imposition économique des gains
     immobiliers.


     DISTRIBUTION D’UN IMMEUBLE À UN BÉNÉFICIAIRE
     La distribution d’un immeuble par un trust révocable est assimilée à une donation du
     settlor au bénéficiaire. Ce cas ne présente pas de particularités.
     Si la distribution provient d’un trust irrévocable à intérêt fixe, seule la valeur de la
     nue-propriété devrait être soumise à des droits de donation ou de succession, puisque
     l’usufruit a déjà été soumis à ces droits lors de l’apport de l’immeuble au trust. La valeur
     de la nue-propriété devrait être calculée au moment de la distribution. Si la distribution
     est effectuée en faveur du ou des bénéficiaires ultimes, pour qui la donation de la nue-
     propriété de l’immeuble aurait déjà été imposée lors de la constitution du trust, il n’y a
     alors pas de transfert imposable.
     Lorsqu’un trust irrévocable et discrétionnaire distribue un immeuble à un bénéficiaire,
     la principale question porte sur l’imposition d’une éventuelle plus-value prise par
     l’immeuble depuis son apport au trust. En effet, la valeur de l’immeuble lors de son
     apport au trust, soumise aux droits de donation ou de succession, constitue du capital
     qui peut être distribué sans conséquence fiscale à un bénéficiaire.
     Selon la Circulaire 30, un trust ne peut distribuer de gains en capital, mais seulement
     des revenus ordinaires. Très contestable, ce point de vue l’est d’autant plus pour un bien
     immobilier26. En effet, un gain en capital immobilier privé est soumis au niveau cantonal
     à un impôt spécifique, qui peut toujours être prélevé lorsque le bénéficiaire vendra
     l’immeuble. En outre, l’«effet convertisseur» du trust ne devrait porter que sur les gains
     en capital que celui-ci a réalisés, et pas sur les réserves latentes qui sont transférées à un
     bénéficiaire. Une telle approche est d’ailleurs plus conforme à l’esprit de transmission
     gratuite du settlor aux bénéficiaires qui régit le trust. L’impôt sur les gains immobiliers
     ne devrait selon nous pas être prélevé sur une éventuelle plus-value de l’immeuble depuis
     son apport au trust. Le bénéficiaire reprendrait donc le coût d’acquisition du settlor,
     augmenté de ses impenses et de celles du trust, et la durée de détention serait la
     continuation de celle du settlor, à défaut de transfert à titre onéreux de l’immeuble
     dans l’intervalle. Si le trust a acquis l’immeuble avec ses propres deniers, la valeur
     d’acquisition de celui-ci passera au bénéficiaire, et la durée de détention de l’immeuble
     par le trust se rajoutera à celle du bénéficiaire.



     26
          Cela irait d’ailleurs à l’encontre du but spécifique de lutte contre la spéculation de l’impôt sur les gains immobiliers
          (cf. art. 12 al. 5 LHID).




14
Si l’immeuble faisait partie de la fortune commerciale du settlor, ce caractère doit passer
au trust puis au bénéficiaire. Une éventuelle plus-value ne serait pas soumise à l’impôt
sur le revenu ou sur le bénéfice, faute d’avoir été réalisée. Ainsi, que l’immeuble ait gagné
ou perdu de la valeur depuis son apport au trust, le bénéficiaire devrait comptabiliser
l’immeuble à sa valeur d’apport au trust.
Comme la distribution d’un immeuble par le trust n’intervient pas à titre onéreux, aucun
droit de mutation ne devrait en principe être dû.
La distribution d’un immeuble lors de la liquidation d’un trust suivrait à notre sens les
mêmes règles que celles exposées ci-dessus.


CO NC LUSIO N
La solution préconisée par la Circulaire 30 a pour but, à notre avis, de limiter l’accès
au trust dans des situations purement domestiques, tout en respectant la volonté du
législateur de favoriser autant que possible la reconnaissance du trust dans des situations
internationales. C’est clairement le cas si le settlor est domicilié à l’étranger lors de la
constitution du trust, même si ce trust détient un bien immobilier en Suisse; la solution
de la Circulaire 30 pour le traitement des trusts constitués par des settlors domiciliés en
Suisse ne s’applique pas dans un tel cas de figure.
Dans les grandes lignes, nous sommes d’avis que l’imposition d’un immeuble suisse placé
en trust par un settlor étranger devrait suivre les règles suivantes, selon le type de trust
concerné:

                                       APPORT AU TRUST                       DÉTENTION                   DISTRIBUTION
TRUST RÉVOCABLE                        aucun effet                           imposition                  donation
                                                                             du settlor                  de la pleine propriété

TRUST IRRÉVOCABLE                      donation                              imposition                  donation
À INTÉRÊT FIXE                         de l’usufruit                         de l’usufruitier            de la nue-propriété27

TRUST IRRÉVOCABLE                      donation                              imposition                  Pas d’imposition
ET DISCRÉTIONNAIRE                     de la pleine propriété                du trustee                  du gain



Ce cadre a l’avantage de coller à des notions familières aux immeubles et présente une
certaine logique.
La présente contribution ne prétend pas être exhaustive et représente une première
exploration d’une terra incognita. Mais les règles d’imposition des immeubles d’une
part et des trusts d’autre part sont si denses et volatiles et que leur mélange ne peut être
qu’explosif !




22
     A moins que la distribution ne soit faite au bénéficiaire ultime, auprès de qui la nue-propriété aurait déjà été imposée lors
     de l’apport de l’immeuble au trust.




                                                                                                                                     15

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Trust et détention immobilière

  • 1. TRUST ET DÉTENTION IMMOBILIÈRE EN DROIT FISCA L SUISSE: UN DOUX MÉL ANGE ? Mai 2011 Jean-Philippe Krafft, LL.M., Docteur en droit, titulaire du brevet d’avocat, expert fiscal diplômé, chargé de cours à l’Université de Lausanne Jan Langlo, LL.M., titulaire du brevet d’avocat, expert fiscal diplômé
  • 2. TABLES DES MATIÈRES INTRO DUCTIO N 5 L E SY STÈ ME D’IMPO SITIO N INSTAURÉ PAR L A CIRC ULAIRE 30 5 IMPOSITION DU TRUSTEE IMPOSITION DU SETTLOR IMPOSITION DU BÉNÉFICIAIRE LES DIRE CT IVES DE L ’O FFIC E FÉDÉRAL DE LA JU STIC E 8 Q UESTIONS FISC AL ES L IÉE S AUX IMMEU BLE S PLACÉS EN T RU ST 9 IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST N’EST PAS DÉVOILÉ IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST EST DÉVOILÉ TRANSFERT D’UN IMMEUBLE À UN TRUST DÉTENTION D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST IMMEUBLE DE RAPPORT IMMEUBLE OCCUPÉ PAR DES BÉNÉFICIAIRES CHANGEMENT DE TRUSTEE CHANGEMENT DE BÉNÉFICIAIRE VENTE D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST DISTRIBUTION D’UN IMMEUBLE À UN BÉNÉFICIAIRE CO NC LUSIO N 15
  • 3. INTRO DUCTIO N La Convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance conclue à La Haye le 1er juillet 1985 (RS 0.221.371, ci-après «Convention de La Haye») est entrée en vigueur en Suisse au 1er juillet 2007 et a contribué à renforcer la sécurité juridique du trust dans notre pays. Les questions liées au droit fiscal sont cependant exclues du champ d’application de la Convention de La Haye. La pratique avait déjà donné certaines réponses aux questions touchant à l’imposition du trust et de ses parties prenantes. Il y manquait toutefois une approche systématique. En effet, les pratiques pouvaient différer d’un canton à un autre, voire de cas en cas. A l’occasion de la ratification de la Convention de La Haye, et dans un but de clarifica- tion et d’harmonisation, la Conférence suisse des impôts (ci-après «CSI») a élaboré la Circulaire 30 du 22 août 2007 intitulée «Imposition des trusts» (ci-après «Circulaire 30»), destinée aux administrations fiscales cantonales. Cette Circulaire 30 a été reprise par l’Administration fédérale des contributions1, qui a indiqué qu’elle l’appliquerait mutatis mutandis à l’impôt fédéral direct et à l’impôt anticipé. La Circulaire 30 a déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle a le mérite de s’attaquer à un sujet ardu, car le trust, de par sa nature même, n’est pas directement transposable dans un concept de droit civil équivalent, dont les conséquences fiscales pourraient être aisément déduites. La CSI n’a ainsi pu éviter de procéder à quelques schématisations, dont le résultat a fait l’objet de nombreuses critiques et de propositions de lege ferenda2. La présente contribution a pour premier objectif de résumer les règles de la Circulaire 30 et les recommandations de l’Office fédéral de la justice pour le traitement des opérations liées à des trusts. Nous avons choisi ensuite de nous concentrer sur la problématique de la détention immobilière en Suisse par l’entremise d’un trust et de tracer quelques pistes de réflexion. Il nous a en effet semblé que la complexité de l’imposition immobilière, combinée avec celle de l’imposition du trust, constituait un mélange intéressant. Nous ne traiterons pas des questions liées à la Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (RS 211.412.41) ni à la Loi fédérale sur le droit foncier rural (RS 211.412.11). Nous admettrons ainsi que ces lois ne s’opposent pas aux opérations immobilières envisagées. LE SY ST ÈME D’IMPO SIT IO N INSTAU RÉ PAR L A CIRCULAIRE 30 La Circulaire 30 commence par décrire les principales caractéristiques du trust et par en donner la définition suivante: «La notion de trust décrit un rapport juridique ayant des effets à l’encontre des tiers, qui prend naissance lorsque, sur la base d’un document de constitution (trust deed), le constituant (settlor) transfère des valeurs patrimoniales déterminées à une ou plusieurs personnes (trustees), lesquelles ont l’obligation de les gérer et de les utiliser dans un but établi à l’avance par le settlor en faveur d’un ou de plusieurs tiers (bénéficiaires).»3 Faute de base légale, le trust ne peut pas être assimilé fiscalement à une personne morale; il ne peut donc pas être lui-même assujetti de façon limitée ou illimitée. Selon les termes de la Circulaire 30, cette question «ne se pose pas du tout»4. D’un point de vue fiscal, la relation de trust ne peut donc être appréhendée que par l’intermédiaire des personnes impliquées, c’est-à-dire le settlor, le trustee ou le bénéficiaire. Il s’agit donc en principe d’une imposition en transparence. 1 Circulaire n° 20 du 27 mars 2008. 2 Entre autres Robert Danon, L’imposition du «private express trust», analyse critique de la Circulaire CSI du 22 août 2007 et proposition de modèle d’imposition de lege ferenda, Archives 76, p. 435ss; Xavier Oberson, Le traitement fiscal du trust en droit suisse. Les limites à l’application des principes généraux de la fiscalité, Archives 76, p. 475ss; Toni Amonn, Trustbesteuerung in der Schweiz – eine Standortbestimmung, Archives 76, p. 493ss. 3 Circulaire 30, par. 2.1, p. 2. 4 Circulaire 30, par. 4.1, p. 7. 5
  • 4. IMPOSITION DU TRUSTEE Selon la Circulaire 30, le trustee ne peut pas – en principe – être le sujet fiscal pour les biens détenus par le trust, car il n’a pas de pouvoir de disposition sur les biens du trust. Nous verrons cependant plus loin que cette affirmation mérite peut-être d’être relativisée en matière immobilière, lorsque le settlor est résident à l’étranger. La position du trustee est en quelque sorte semblable à celle d’un fiduciaire qui, certes, serait propriétaire des biens du trust, mais pour le compte des bénéficiaires. La Circulaire 30 précise aussi que, de ce fait, la question de l’administration effective en Suisse ne se pose pas. En d’autres termes, le lieu de l’administration du trust ou, par défaut, le lieu de résidence du trustee n’importe pas pour déterminer si les biens du trust sont imposables en Suisse. Les considérations émises ci-dessus sont d’autant plus valables pour le protector, dont la fonction essentielle consiste en la surveillance du ou des trustees. Le domicile, le siège ou l’administration effective du protector ne sont donc pas pertinents pour savoir si les biens du trust peuvent être imposés en Suisse. IMPOSITION DU SETTLOR Restent donc comme parties au trust le settlor et le bénéficiaire. Selon la Circulaire 30, ceux-ci sont imposables de manière différenciée selon le type de trust. La Circulaire 30 prévoit de distinguer les trusts révocables des trusts irrévocables. Les premiers se distinguent notamment par le pouvoir du settlor de révoquer le trust. Parmi les trusts irrévocables, il convient de distinguer deux sous catégories: les trusts à intérêt fixe, dans lesquels les bénéficiaires ont des droits clairs et prédéterminés, et ceux dits discrétionnaires, dans lesquels les distributions aux bénéficiaires dépendent de l’appréciation du trustee, complétée éventuellement par des conditions fixées par le settlor. Dans le cas d’un trust révocable, le settlor n’a pas définitivement abandonné son pouvoir de disposition sur les biens du trust. La circulaire précise que la qualification fiscale d’un trust comme révocable ne nécessite pas l’existence explicite d’une clause révocatoire en faveur du settlor. En d’autres termes, un trust est considéré comme étant révocable «s’il existe une possibilité d’influence du settlor sur le trust, de quelque nature qu’elle puisse être»5. La Circulaire 30 énumère ensuite plusieurs conditions alternatives, notamment le fait que le settlor soit bénéficiaire du trust , dont la réalisation permet de qualifier le trust6 de révocable. Si le trust est qualifié de révocable, les biens du trust continuent d’être attribués fiscalement au settlor pour les besoins des impôts directs. Dans ce cas, la constitution du trust ne déclenche pas la perception d’éventuels droits de donation7. En revanche, la distribution de biens du trust aux bénéficiaires sera traitée comme une donation du settlor à ces derniers. Il n’y a par ailleurs pas de raison d’opérer une distinction entre les settlors assujettis de manière illimitée et ceux qui ne le sont que de manière limitée, par exemple de par leurs possessions immobilières en Suisse. Ce cas ne semble donc pas poser de problème. Pour les trusts irrévocables, la Circulaire 30 instaure pour l’imposition du settlor une distinction en fonction du domicile de ce dernier. Si le settlor est domicilié en Suisse au moment de la constitution du trust, il n’y aura dessaisissement du settlor qu’en cas de constitution d’un trust à intérêt fixe. En effet, selon la Circulaire 30, un dessaisissement du settlor ne pourra être admis que s’il y a enrichissement d’un autre sujet fiscal. En cas de constitution d’un trust irrévocable et discrétionnaire, le patrimoine et ses rendements resteront attribués au settlor (domicilié en Suisse au moment de la création du trust), faute d’enrichissement d’une tierce personne. 5 Circulaire 30, par. 3.7, p. 5. 6 La Circulaire 30 mentionne en outre en p. 6 les droits de révoquer le trustee et d’en nommer un autre, de désigner ou de faire désigner de nouveaux bénéficiaires, de remplacer le protector, de modifier ou de faire modifier l’acte constitutif du trust, d’exiger la liquidation du trust et d’opposer un veto aux décisions du trustee concernant les actifs du trust. 7 La Circulaire 30 évite de retenir une donation entre tiers («Schenkung in der Schwebe» selon la pratique zurichoise) dans ce cas, ce qui serait très pénalisant, et le résident suisse bénéficie malgré tout des aspects civils du trust, notamment des règles de transmission spécifiques qu’il aura choisies. 6
  • 5. La Circulaire 30 prévoit cependant une exception pour les contribuables domiciliés en Suisse, mais imposés d’après la dépense (au sens des art. 14 LIFD et 6 LHID, ci-après les «forfaitaires»), pour qui le dessaisissement sera admis même en présence d’un trust irrévocable et discrétionnaire, «car dans ce cas seuls les éléments de fortune en Suisse et les rendements de fortune de source suisse sont pris en compte dans le calcul de contrôle»8. D’ailleurs, pour des forfaitaires, les biens de source suisse, et notamment les biens immobiliers situés en Suisse, doivent faire partie du calcul de contrôle qui leur est appliqué. L’apport à un trust de sa ou ses résidences suisses par un forfaitaire ne serait ainsi pas reconnu fiscalement, comme si le trust était révocable. A contrario, un settlor forfaitaire pourrait placer ses biens, mobiliers ou immobiliers, de source étrangère dans un trust irrévocable et discrétionnaire. La Circulaire 30 est en revanche muette sur le traitement d’un settlor domicilié à l’étranger qui transfert son bien immobilier suisse dans un trust. IMPOSITION DU BÉNÉFICIAIRE Comme pour l’imposition du settlor, la Circulaire 30 prévoit pour l’imposition des bénéficiaires une distinction entre trusts irrévocables à intérêt fixe et trusts irrévocables et discrétionnaires. Le bénéficiaire d’un trust à intérêt fixe est imposé sur sa part des revenus et du patrimoine du trust, de la même façon qu’un usufruitier. Les distributions qu’il reçoit peuvent être des distributions de capital assimilables à des donations du settlor ou des distributions de revenu imposable. Les bénéficiaires de trusts irrévocables et discrétionnaires ne se verront quant à eux imposés qu’au moment d’une distribution. Il conviendra alors d’examiner si celle-ci porte sur le capital du trust ou sur un revenu imposable. Les actifs du trust ne font pas partie de la fortune imposable du bénéficiaire, puisque ce dernier ne détient qu’un simple droit d’expectative sur ceux-ci. Pour rappel, si le settlor était domicilié en Suisse (mais non forfaitaire) au moment de la constitution du trust, le bénéficiaire ne peut recevoir que des donations du settlor. Cette distinction selon le mode d’imposition du settlor (imposition au régime ordinaire ou selon la dépense) et selon son domicile au moment de la création du trust montre clairement une certaine volonté d’ouvrir «la porte aux trustees résidents de Suisse, ainsi qu’aux settlors et bénéficiaires étrangers, au détriment des settlors (en régime ordinaire) et bénéficiaires suisses»9. C’est pourquoi il est souvent préférable, pour l’étranger qui le souhaite, de constituer un trust avant son arrivée en Suisse afin de bénéficier du traitement réservé à ces situations. Les solutions proposées par la Circulaire 30 pour les trusts révocables (attribution des biens au settlor tant pour l’impôt sur le revenu que pour l’impôt sur la fortune) et pour les trusts irrévocables et à intérêt fixe (assimilation du bénéficiaire à un usufruitier) sont satisfaisantes et ne devraient pas poser trop de problèmes en pratique. En revanche, la solution de l’imposition des biens d’un trust irrévocable et discrétionnaire auprès du settlor si celui-ci était domicilié en Suisse au moment de la création du trust, ainsi que l’imposition des distributions d’un tel trust en tant que donations du settlor aux bénéficiaires posent problème. Le settlor s’est en effet dessaisi de sa fortune et les bénéfi- ciaires n’ont qu’un droit d’expectative sur les revenus ou la fortune du trust, tandis que le trustee n’a qu’une position de fiduciaire, de sorte que personne ne pourrait être imposé sans violer le principe de la capacité contributive. De plus, l’«effet convertisseur»10 du trust irrévocable et discrétionnaire des gains en capital en revenu ordinaire, à savoir le traitement auprès d’un bénéficiaire de toutes les distributions du trust comme du revenu imposable, hormis la distribution du capital initial ou subséquent, qui ne peut intervenir qu’une fois tous les revenus du trust distribués, est très contesté11. D’un autre côté, il est compréhensible que les administrations fiscales n’adhèrent pas à la notion de biens qui ne seraient attribuables à personne et donc non imposables. Ceci est d’autant plus vrai pour des biens immobiliers situés en Suisse, qui génèrent par eux-mêmes un assujettissement limité en Suisse pour leur propriétaire. 8 Circulaire 30, par. 5.1.1.2, p. 9. 9 Xavier Oberson, Archives 76, p. 491. 10 Xavier Oberson, Archives 76, p. 489. 11 Toni Amonn, Archives 76, p. 505 (l’auteur parle même de «Salto Mortale»); Xavier Oberson, Archives 76, p. 489; Robert Danon, Archives 76, p. 457 avec d’autres références. Ce dernier auteur parle d’«effet écran ou transformateur» en p. 458. 7
  • 6. Afin de remédier à cette situation, d’éminents auteurs suggère la fiscalisation du trustee pour les revenus accumulés par le trust, voire pour le capital de celui-ci, par analogie avec ce qui se pratique dans certains Etats étrangers. Cette fiscalisation nécessiterait selon eux une intervention du législateur12, ce qui n’est peut-être pas nécessaire pour la détention immobilière en Suisse, comme on va le voir. LE S DIRECT IVE S DE L ’O FFICE FÉDÉ RAL DE L A JU ST ICE En lien avec l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye, l’Office fédéral de la justice a édicté des «Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust», par courrier du 28 juin 2007 aux inspectorats et offices cantonaux du registre foncier (ci-après «Directives»)13. La définition du rapport de trust donnée par les Directives est assez lacunaire. Elles com- mencent par décrire le trust comme une structure juridique se situant entre la fiducie et la fondation et visant «une relation juridique dans laquelle certaines valeurs patrimoniales sont confiées à titre fiduciaire à une ou plusieurs personnes (trustees), qui doivent les administrer et les utiliser dans un but prescrit par le constituant (settlor). Ce but peut être de portée générale ou peut consister à favoriser une personne déterminée (beneficiary). Le settlor a également la possibilité de constituer un trust pour son propre bénéfice et se réserver le droit de le dissoudre ultérieurement. Le trust (...) n’a pas la personnalité juridique. Le trustee est pleinement le propriétaire fiduciaire des biens du trust; ces derniers constituent cependant un patrimoine séparé de son patrimoine personnel.» Les Directives mentionnent que les immeubles détenus par l’intermédiaire d’un trust sont à inscrire au registre foncier au nom du trustee et que le lien d’un immeuble avec un trust peut faire l’objet d’une mention. Elles distinguent ensuite sous le chapitre «Transfert d’un immeuble à un trust au moment de la constitution de ce dernier» la constitution par acte entre vifs de la constitution par disposition à cause de mort. Dans le premier cas, l’acte authentique doit mentionner que le trust a été valablement constitué, que le trustee a été institué comme tel et que l’immeuble concerné est affecté au patrimoine du trust. En cas de disposition à cause de mort, c’est le droit applicable à la succession qui déterminera si l’immeuble doit tout d’abord être transféré à un ayant droit intermédiaire ou s’il peut être transféré directement au trustee. A première vue, si le droit suisse est applicable, l’inscription devrait pouvoir se faire directement au nom du trustee. Afin de faciliter la preuve du lien de l’immeuble avec un trust et pour prévenir une éventuelle bonne foi des créanciers du trustee, les Directives prévoient la possibilité, mais non l’obligation, d’inscrire une mention au registre foncier («fait partie du patrimoine d’un trust»), qui ne restreint pas les pouvoirs du ou des trustees. En cas d’aliénation d’un immeuble du patrimoine du trust ou d’acquisition par un trustee d’un immeuble destiné au patrimoine du trust, les Directives n’exigent rien de plus que l’existence d’un contrat passé en la forme authentique. Pour le passage des biens du trust aux bénéficiaires, y compris en cas de dissolution du trust, les Directives fixent l’exigence d’un acte authentique de constatation duquel il ressort que l’immeuble à transférer appartient au patrimoine d’un trust valablement constitué, qu’il existe un droit du ou des bénéficiaires à ce que l’immeuble leur soit transféré et que les éventuels consentements nécessaires selon le statut du trust ont été donnés. Les Directives règlent ensuite les conséquences du changement de trustee en cas de démission, révocation ou décès de celui-ci, et les modalités pour obtenir la modification correspondante du registre foncier. Il est intéressant de noter qu’en matière d’inscription de relations de trust au registre foncier, les Directives ne font aucune différence selon le type de trust. Ainsi, le fait que le trust soit révocable ou non et qu’il soit discrétionnaire ou non ne change rien en matière d’inscription au registre foncier. Le trustee sera dans tous les cas inscrit comme le propriétaire du bien immobilier, avec ou sans la mention se référant à l’existence d’un rapport de trust. 12 Robert Danon, Archives 76, p. 468ss; Xavier Oberson, Archives 76, p. 491. 13 Ces Directives, tout comme de nombreux autres documents, peuvent être consultées, en plusieurs langues, sur l’excellent site www.trusts.ch créé et maintenu par Me David Wilson. 8
  • 7. Q UESTIONS FISC AL ES L IÉE S AUX IMMEU BLE S PLACÉS EN T RU ST Afin d’illustrer ces questions, nous avons choisi deux exemples dont voici le canevas de départ. Exemple 1: Un résident étranger apporte son chalet de vacances dans un trust de droit bahamien. Le trustee est une société ayant son siège aux Bahamas. Les bénéficiaires du trust sont ses enfants et leurs descendants directs. Exemple 2: Un trust de droit bahamien acquiert des locaux commerciaux. Le trustee est une société ayant son siège aux Bahamas. Les locaux sont loués à un tiers. Il va de soi que sauf mention contraire, tous les biens immobiliers dont il est question dans ces exemples et ci-après sont situés en Suisse. En application des Directives, les trustees des exemples 1 et 2 devraient pouvoir être inscrits comme propriétaires au registre foncier14. IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST N’EST PAS DÉVOILÉ La problématique de savoir qui sera imposé sur un bien immobilier situé en Suisse et détenu par l’intermédiaire d’un trust est peut-être moins aiguë que pour des biens meubles, car un immeuble implique nécessairement un assujettissement en Suisse, indépendamment du domicile ou du siège des parties concernées. Il n’en reste pas moins que la détermination du contribuable garde toute son importance pour le taux d’imposition, qui n’est pas le même pour les personnes physiques que pour les personnes morales, mais aussi pour la détermination des facteurs imposables, les règles de détermination variant selon que l’immeuble est détenu dans la fortune privée ou commerciale du contribuable. Pour déterminer qui est assujetti, il faudra à notre sens adopter une solution pragmatique, et distinguer ainsi les cas où le propriétaire du bien immobilier annoncera l’existence d’une relation de trust de ceux où il ne le fera pas. Les administrations fiscales doivent en effet pouvoir se fier aux inscriptions des registres fonciers. Si aucune mention du rapport de trust n’existe, il appartient aux parties d’annoncer le rapport de trust si la solution décrite ci-dessous ne leur convient pas. Dans les exemples 1 et 2, l’administration fiscale sera confrontée à une société bahamienne inscrite au registre foncier comme propriétaire d’un bien immobilier situé en Suisse. Si le trustee ne dévoile pas la relation de trust, il conviendra de l’imposer comme si le rapport de trust n’existait pas. Dans l’exemple 1, l’apport du bien immobilier au trust devra ainsi être traité comme une donation entre tiers (de settlor à trustee), qui sera imposée comme telle. Dans l’exemple 2, l’acquisition immobilière par le trust sera imposée comme n’importe quelle autre: prélèvement des droits de mutation auprès de l’acquéreur et imposition du gain immobilier auprès du vendeur, le cas échéant. Pour les impôts directs, la solution sera la suivante: une société étrangère assujettie de manière limitée en Suisse en raison de sa détention immobilière devra être traitée comme une société suisse dans la même situation. Les bénéfices et le capital seront imposables pour les éléments rattachables à la Suisse. Il y aura également perception d’un impôt immobilier complémentaire, si le droit cantonal en a prévu un. En ce qui concerne la mise à disposition du bien aux bénéficiaires dans l’exemple 1, le trustee devra exiger le versement d’un loyer conforme au marché. S’il ne le fait pas, il s’agira d’une prestation appréciable en argent, avec comme conséquence la reconnaissance d’un bénéfice fiscal pour le trustee et d’un revenu pour le bénéficiaire. Bien entendu, il faudra tenir compte d’éventuels frais de financement et d’entretien pour déterminer le revenu imposable. Les mêmes considérations s’appliquent en matière d’impôt sur le capital. 14 Toujours sous réserve des aspects LFAIE et LDFR, non traités ici. 9
  • 8. Dans l’exemple 2, le loyer sera imposable comme bénéfice d’une personne morale, après déduction, là aussi, des frais de financement et d’entretien. En cas de distribution de l’immeuble à un bénéficiaire (toujours sans que la relation de trust ne soit divulguée), le fisc constatera le transfert du bien immobilier du trustee au bénéficiaire et devrait pouvoir imposer une éventuelle plus-value au titre de bénéfice imposable ou de gain immobilier. En outre, dans tous ces cas, le trustee personne morale pourrait selon les circonstances avoir son administration effective au lieu de situation de l’immeuble, et les distributions qu’il effectuera seraient alors soumises à l’impôt anticipé suisse. Si le trustee était une personne physique, qui ne recevrait aucune contreprestation au moment de la distribution de l’immeuble à un bénéficiaire, le fisc pourrait admettre une donation et prélever des droits de donation au taux applicable entre le bénéficiaire et le trustee, soit le plus souvent au taux maximum. Dans les exemples 1 et 2, le rapport de trust serait donc traité comme n’importe quelle détention immobilière en Suisse par le truchement d’une société étrangère. Il s’agirait là d’une imposition, faute d’indications spécifiques du trustee, assez pénalisante, surtout lors des transferts de propriété. IMPOSITION SI LE RAPPORT DE TRUST EST DÉVOILÉ Le trustee devrait cependant, par analogie avec le fiduciaire, pouvoir faire valoir sa situation spécifique. Selon nous, il convient donc d’admettre la possibilité pour le trustee de dévoiler le rapport de trust, même si aucune mention spécifique ne figure au registre foncier, et l’obligation pour l’administration fiscale de respecter ce rapport de trust. En cas de reconnaissance fiscale du rapport de trust, il convient d’effectuer une analyse plus approfondie de cette relation. TRANSFERT D’UN IMMEUBLE À UN TRUST Les conséquences fiscales d’une détention immobilière par un trust commencent déjà lors du transfert de l’immeuble au trust, le plus souvent par apport du settlor. Comme indiqué plus haut, en présence d’un trust révocable, ou considéré comme tel du point de vue fiscal, l’apport de l’immeuble au trust n’aura aucune conséquence fiscale, puisque l’on considère que le settlor reste le propriétaire de l’immeuble. Un autre cas simple est celui de l’apport à un trust irrévocable à intérêt fixe, puisque l’apport de l’immeuble au trust sera considéré comme la donation par le settlor d’un usufruit sur l’immeuble aux bénéficiaires du trust. Si un bénéficiaire ultime est déjà déterminé, une donation de la nue-propriété de l’immeuble à celui-ci pourra aussi intervenir15. A l’inverse, si l’immeuble est apporté à un trust irrévocable et discrétionnaire, il n’y aura pas de donation déterminée au moment de l’apport. Les autorités fiscales cantonales considéreront toutefois en général que des droits de donation sont dus sur la valeur des biens apportés à un tel trust. Le taux applicable dépendra alors du lien de parenté entre le settlor et les bénéficiaires potentiels les plus éloignés de celui-ci, éventuellement en tenant compte des probabilités que ces bénéficiaires reçoivent effectivement l’immeuble. Ainsi, si comme dans l’exemple 1 le trust n’a comme bénéficiaires possibles que les descendants directs du settlor, aucun droit de donation ne devrait être dû, dans la mesure où le canton de situation de l’immeuble a aboli les droits de donation en ligne directe. On peut toutefois se demander si, notamment en présence d’un bien immobilier, on ne devrait pas attendre que celui-ci soit distribué à un bénéficiaire pour constater une donation imposable du settlor 16. Ainsi saurait-on exactement quel taux appliquer, et une éventuelle plus-value générée pendant la détention par le trust serait-elle aussi soumise aux droits de donation. 15 Voir par exemple la solution de l’art. 32 al. 1 LMSD (RS-VD 648.11). 16 Cela correspondrait au surplus au mécanisme civil d’une donation, qui doit être acceptée – et donc reçue – pour être parfaite. 10
  • 9. Ce qui précède part du principe d’un apport du vivant du settlor; naturellement, si l’apport devait résulter d’une disposition testamentaire, ce sont des droits de succession et non de donation qui pourraient être dus. Aucun droit de mutation ne devrait être dû en principe, puisque le transfert de l’immeuble n’intervient pas à titre onéreux en cas d’apport à un trust. Certaines législations cantonales imposent toutefois aussi les transferts à titre gratuit. De même, aucun impôt sur les gains immobiliers ne devrait être prélevé en cas d’apport d’un immeuble à un trust, à défaut d’une vente. Le coût d’acquisition de l’immeuble devrait donc être reporté jusqu’à la prochaine transaction déterminante (sauf par exemple en cas de succession à Genève17). On peut encore se demander si un immeuble détenu par le settlor dans sa fortune commerciale et apporté à un trust reste un élément de fortune commerciale ou non. La réponse nous semble en tout cas positive en présence d’un trust révocable, mais également en présence d’un trust irrévocable, par analogie avec les règles qui prévalent en cas de donations et de successions18. Comme en cas de donation directe, il peut y avoir une différence importante quant aux droits de donation ou de succession qui sont dus selon que le settlor apporte un immeuble ou des liquidités à son trust. Dans le premier cas, ce sont les règles du canton de situation de l’immeuble qui s’appliquent, tandis que dans le second ce sont les règles du lieu de domicile du settlor. Il convient donc de comparer les conséquences fiscales des deux variantes. A noter que si le trust acquiert un bien immobilier au moyen de ses propres deniers, comme dans l’exemple 2, il s’agit d’une acquisition immobilière usuelle. Les consé- quences fiscales seront les mêmes que si l’acquéreur n’était pas un trust. DÉTENTION D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST A nouveau, cette problématique ne concerne que les trusts irrévocables et discrétionnaires, puisque le settlor d’un trust révocable ou traité comme tel reste propriétaire de l’immeuble d’un point de vue fiscal, et les bénéficiaires d’un trust irrévocable à intérêt fixe sont traités comme des usufruitiers19. Le paradoxe naît du fait qu’à moins d’une distribution, un trust irrévocable et discrétionnaire ne provoque aucun revenu ni aucune fortune imposable en Suisse, tandis qu’un immeuble situé en Suisse crée un assujettissement limité de son propriétaire dans ce pays. Il ne paraît pas justifié que tout assujettissement cesse du simple fait que l’immeuble placé en trust ne puisse (plus) être attribué à personne avant d’être distribué. Qui donc assujettir en Suisse à raison de la détention du bien immobilier? Le trustee a la propriété légale de l’immeuble (et est même inscrit au Registre foncier comme propriétaire), tandis que les bénéficiaires en ont la propriété économique, soumise à la discrétion du trustee. Dans un tel cas, les bénéficiaires n’ont pas sur l’immeuble «des droits de jouissance réels ou des droits personnels assimilables économiquement à des droits de jouissance réels», au sens des art. 4 al. 1 let. c ou 51 al. 1 let. c LIFD, qui fonderaient leur assujettissement. Le trustee est au contraire formellement propriétaire de l’immeuble au sens des articles précités. Il semble donc logique d’assujettir le trustee sur les revenus et la fortune qui ne sont pas attribués à un bénéficiaire. Une base légale spécifique ne nous paraît pas nécessaire pour cela. IMMEUBLE DE RAPPORT Pour un immeuble de rapport comme celui de l’exemple 2, ou le chalet de l’exemple 1 si celui-ci est loué au prix du marché, la situation est assez simple, dans le sens où les revenus locatifs nets seront imposés auprès d’un bénéficiaire s’ils sont distribués l’année courante ou auprès du trustee s’ils ne le sont pas. 17 Art. 81 al. 3 let. C LCP (RS-GE D 3 05), qui prévoit une exonération et non un report. 18 Arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004. 19 S’il en réunit les caractéristiques, un tel trust pourrait éventuellement être assimilé à un placement collectif étranger au sens de l’art. 119 LPCC, et être imposé selon l’art. 72 LIFD. 11
  • 10. Sur les revenus immobiliers nets non distribués, le trustee sera imposé comme s’il était réellement propriétaire de l’immeuble. L’imposition variera alors selon que le trustee est une personne physique ou morale, résidente en Suisse ou à l’étranger. On rappellera que les settlors résidents suisses ne peuvent pas tenter ainsi d’améliorer leur fiscalité immobilière, puisque l’immeuble restera imposé auprès d’eux. Se pose bien sûr ensuite la question de la distribution ultérieure des revenus immobiliers déjà imposés auprès du trustee. La solution peut aller de considérer cette distribution comme un revenu exonéré auprès du bénéficiaire (comme pour un fonds en propriété directe) à la traiter comme un revenu pleinement imposable, ce qui aboutirait à une dou- ble imposition économique inhabituelle en cas de détention immobilière à titre fiduciaire. Nous privilégions la première solution, en considérant comme le professeur Danon que l’assujettissement du trustee serait «‘’substitutif’’ car il anticipe et remplace l’imposition du bénéficiaire. En conséquence, la distribution subséquente des revenus accumulés par le trust serait exonérée dans le chef du bénéficiaire»20. La fortune que représente l’immeuble de rapport sera aussi imposée auprès du trustee, dans la mesure où l’immeuble n’a pas été distribué à un bénéficiaire. IMMEUBLE OCCUPÉ PAR DES BÉNÉFICIAIRES La situation se présente autrement pour un immeuble qui n’est pas loué, mais mis gratuitement à disposition des bénéficiaires, tel le chalet de l’exemple 1. Si l’immeuble est à disposition de bénéficiaires bien déterminés toute l’année, on pourrait imposer ceux-ci sur la valeur locative de l’immeuble, comme s’ils en étaient propriétaires. Si l’immeuble n’est à disposition de bénéficiaires que pour une période limitée, on pourrait considérer que ceux-ci reçoivent une distribution en nature du trust, d’une valeur équivalente à ce que paierait un tiers pour une telle location. Enfin, si l’immeuble n’est occupé par personne, ou par de nombreux bénéficiaires, le plus simple serait d’imposer le trustee sur la valeur locative de l’immeuble. Il peut être très fastidieux de contrôler qui occupe effectivement un immeuble détenu par un trust et une solution pragmatique serait de toujours attribuer la valeur locative que représente cet immeuble au trustee. L’administration fiscale pourrait ainsi se fier à l’inscription au registre foncier. Le trustee pourrait faire valoir les dettes du trust dans la proportion des actifs immobiliers suisses; s’il est étranger, il pourrait bénéficier des pratiques cantonales simplifiées d’imposition. La situation serait alors la même que lorsque le propriétaire d’une résidence secondaire en Suisse la met gracieusement à disposition d’amis ou de membres de sa famille. Le trustee pourrait se faire dédommager par le trust pour les impôts qu’il doit sur les immeubles suisses. L’administration fiscale peut toujours invoquer l’évasion fiscale si le settlor, nécessairement résident étranger, essayait d’abuser de la situation. Par mesure de simplification, la fortune que représente l’immeuble devrait aussi toujours être imposée auprès du trustee. De plus, comme le bénéficiaire n’a pas de pouvoir de disposition sur l’immeuble et peut se voir retirer son droit de jouissance à tout moment, nous sommes d’avis qu’il serait contraire au principe de la capacité contributive de rajouter l’immeuble à sa fortune imposable. L’impôt foncier, calculé sur la valeur brute de l’immeuble, devrait être prélevé auprès du contribuable à la fortune duquel l’immeuble est rattaché, soit le trustee. CHANGEMENT DE TRUSTEE A notre sens, un changement de trustee21, pour quelque raison que ce soit (démission, renvoi, décès), ne devrait entraîner aucune conséquence fiscale, même pour un trust irrévocable et discrétionnaire. En effet, le trustee n’est qu’une sorte de représentant fiscal du trust pour les immeubles que celui-ci détient, et un changement de représentant n’est pas un événement fiscal. Une modification n’interviendra donc qu’au registre foncier et si nécessaire dans le rôle de l’autorité fiscale du lieu de situation de l’immeuble (pour les trusts irrévocables et discrétionnaires). 20 Robert Danon, Archives 76, p. 468. 21 Et a fortiori, également un changement de protector, dont le rapport à la propriété de l’immeuble est encore plus éloigné que celui du trustee. 12
  • 11. CHANGEMENT DE BÉNÉFICIAIRE Les conséquences de l’ajout ou du retrait d’un bénéficiaire ou d’une classe de bénéficiaires peuvent être variées. Dans un trust révocable, un changement de bénéficiaire n’a en principe aucun impact fiscal, puisque les biens du trust restent attribués au settlor. Toutefois, si un trust est traité comme révocable parce que le settlor en est resté bénéficiaire, et que celui-ci perd sa qualité de bénéficiaire, il est possible que le trust devienne irrévocable22. Cela se produira en tout cas lorsque le settlor décède. Des droits de donation ou de succession sont alors susceptibles d’être dus, comme si le settlor établissait son trust à ce moment-là (puisque le trust n’était pas reconnu fiscalement auparavant), et ce même si aucun changement n’intervient au registre foncier, où le trustee reste inscrit comme propriétaire. En présence d’un trust irrévocable à intérêt fixe, l’ajout d’un bénéficiaire revient à accorder un usufruit à celui-ci. Le bénéficiaire peut prendre la place d’un bénéficiaire qui perd cette qualité ou se rajouter aux autres bénéficiaires. Dans les deux cas, il n’y a à notre sens pas de donation ni de succession en faveur du nouveau bénéficiaire (les droits correspondants ont été prélevés lors de la constitution du trust 23), mais ce dernier devient usufruitier pour la part d’intérêt fixe qui lui revient. Si plusieurs bénéficiaires sont usufruitiers d’un même immeuble, ils seront fiscalement traités comme des copro- priétaires, pour des quotes-parts équivalentes à leur intérêt fixe. De même, si le bénéficiaire d’un trust irrévocable à intérêt fixe perd cette qualité, sa part peut venir accroître celle des autres bénéficiaires sans que ce transfert n’entraîne aucune conséquence fiscale. Certains cantons peuvent considérer qu’au décès d’un bénéficiaire d’un trust irrévocable à intérêt fixe, l’usufruit de celui-ci passe à un autre bénéficiaire, ce qui entraîne le prélè- vement de droits de succession24. Nous ne partageons pas ce point de vue, car selon nous un trust irrévocable à intérêt fixe ne se distingue pas à cet égard d’un trust irrévocable et discrétionnaire. Dans les deux cas, il est prévu dès le départ que la jouissance des biens du trust passera de bénéficiaires à d’autres, et le fait qu’une jouissance (sous forme de droit aux revenus ou de droit d’habitation pour un immeuble) soit ferme et identique chaque année permet certes d’attribuer un revenu et une fortune à son bénéficiaire (plutôt qu’au trustee), mais cette attribution n’est que fiscale et pas économique, et aucun droit ne passe d’un bénéficiaire à un autre. Il s’agit simplement de distributions du trust qui présentent un caractère régulier plutôt que discrétionnaire. Un trust ne peut pas être assimilé à un fidéicommis de famille25, car le bénéficiaire n’est pas le propriétaire du bien dont il jouit et peut en principe à tout moment perdre ses droits de jouissance. Dans le cas d’un trust irrévocable et discrétionnaire aussi donc, l’ajout ou le retrait de bénéficiaires ne provoque aucune conséquence fiscale, puisque ceux-ci n’ont aucune prétention contre le trustee avant que celui-ci ne décide d’une distribution en leur faveur. VENTE D’UN IMMEUBLE PAR UN TRUST Là encore, le cas d’un trust révocable ou considéré comme tel ne présente pas de particularité liée au trust, puisque le settlor est fiscalement toujours propriétaire de l’immeuble, même si l’acte de vente est au nom du trustee, inscrit comme propriétaire au Registre foncier. Si le trust est irrévocable en revanche, la question de la fiscalisation de la vente d’un immeuble par celui-ci se pose dans toute son acuité. Que le trust soit à intérêt fixe ou discrétionnaire n’y change rien pour une fois, puisqu’un bénéficiaire même traité comme un usufruitier ne peut pas être le vendeur d’un immeuble qui ne lui a pas été distribué. Dans les cantons monistes, qui appliquent le même impôt à toutes les ventes de biens immobiliers sis sur leur territoire, la situation est relativement simple. Si l’immeuble a été apporté au trust à titre gratuit, l’impôt sur les gains immobiliers sera calculé sur la base du prix d’acquisition applicable au settlor, augmenté de ses impenses et de celles du trust, et en fonction de leur durée de détention combinée. Si l’immeuble a été acheté par le trust, ce dernier sera traité comme n’importe quel acquéreur. L’impôt sera dû par le 22 Si le trust est traité comme révocable parce que le settlor est un résident suisse, il ne deviendra pas irrévocable avant le décès de ce dernier. 23 Sauf peut-être si le nouveau bénéficiaire fait partie d’une classe de bénéficiaires non prévue à l’origine. 24 Voir par ex. l’Instruction no 103 de mai 1977 de l’Administration fiscale genevoise. 25 Qui peut donner lieu à des droits de succession, cf. ATF 2P.168/2002. 13
  • 12. trustee. Si l’immeuble a fait l’objet d’amortissements durant sa détention par le settlor puis par le trust, ceux-ci seront repris et soumis à l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice, selon la qualité du trustee. Des droits de mutation seront en principe aussi dus, en général par l’acquéreur. Dans les cantons dualistes en revanche, il faut en plus distinguer selon que le trustee est une personne morale (voire un commerçant d’immeubles) ou physique. Et dans ce dernier cas, il faut encore vérifier si l’immeuble fait partie de sa fortune privée ou commerciale, ce qui comme nous l’exposions plus haut, devrait correspondre à sa classification d’origine auprès du settlor. Selon que le trustee est soumis à un impôt sur les gains immobiliers ou à l’impôt sur le revenu ou le bénéfice, les conséquences de la vente d’un immeuble peuvent varier du tout au tout, et des arbitrages pourraient présider à l’apport d’un immeuble à un trust juste avant sa vente. Par exemple, un résident étranger qui vient d’acquérir une résidence secondaire et souhaite la revendre pourrait l’apporter à un trust irrévocable avec comme trustee une société (suisse ou étrangère, peu importe), soumise à l’impôt sur le bénéfice du canton de situation de l’immeuble plutôt qu’à un impôt sur les gains immobiliers aux taux très élevés en cas de vente après une courte durée de détention. Les administrations fiscales cantonales concernées disposent cependant de l’arme de l’évasion fiscale pour contrer ce genre de cas. Une fois qu’un éventuel gain immobilier a été imposé selon les règles précitées, il devrait être considéré comme du capital au sein du trust, de sorte qu’il ne soit pas imposé une nouvelle fois lorsqu’il sera distribué aux bénéficiaires. Comme pour les revenus immobiliers, un trust ne devrait pas donner lieu à une double imposition économique des gains immobiliers. DISTRIBUTION D’UN IMMEUBLE À UN BÉNÉFICIAIRE La distribution d’un immeuble par un trust révocable est assimilée à une donation du settlor au bénéficiaire. Ce cas ne présente pas de particularités. Si la distribution provient d’un trust irrévocable à intérêt fixe, seule la valeur de la nue-propriété devrait être soumise à des droits de donation ou de succession, puisque l’usufruit a déjà été soumis à ces droits lors de l’apport de l’immeuble au trust. La valeur de la nue-propriété devrait être calculée au moment de la distribution. Si la distribution est effectuée en faveur du ou des bénéficiaires ultimes, pour qui la donation de la nue- propriété de l’immeuble aurait déjà été imposée lors de la constitution du trust, il n’y a alors pas de transfert imposable. Lorsqu’un trust irrévocable et discrétionnaire distribue un immeuble à un bénéficiaire, la principale question porte sur l’imposition d’une éventuelle plus-value prise par l’immeuble depuis son apport au trust. En effet, la valeur de l’immeuble lors de son apport au trust, soumise aux droits de donation ou de succession, constitue du capital qui peut être distribué sans conséquence fiscale à un bénéficiaire. Selon la Circulaire 30, un trust ne peut distribuer de gains en capital, mais seulement des revenus ordinaires. Très contestable, ce point de vue l’est d’autant plus pour un bien immobilier26. En effet, un gain en capital immobilier privé est soumis au niveau cantonal à un impôt spécifique, qui peut toujours être prélevé lorsque le bénéficiaire vendra l’immeuble. En outre, l’«effet convertisseur» du trust ne devrait porter que sur les gains en capital que celui-ci a réalisés, et pas sur les réserves latentes qui sont transférées à un bénéficiaire. Une telle approche est d’ailleurs plus conforme à l’esprit de transmission gratuite du settlor aux bénéficiaires qui régit le trust. L’impôt sur les gains immobiliers ne devrait selon nous pas être prélevé sur une éventuelle plus-value de l’immeuble depuis son apport au trust. Le bénéficiaire reprendrait donc le coût d’acquisition du settlor, augmenté de ses impenses et de celles du trust, et la durée de détention serait la continuation de celle du settlor, à défaut de transfert à titre onéreux de l’immeuble dans l’intervalle. Si le trust a acquis l’immeuble avec ses propres deniers, la valeur d’acquisition de celui-ci passera au bénéficiaire, et la durée de détention de l’immeuble par le trust se rajoutera à celle du bénéficiaire. 26 Cela irait d’ailleurs à l’encontre du but spécifique de lutte contre la spéculation de l’impôt sur les gains immobiliers (cf. art. 12 al. 5 LHID). 14
  • 13. Si l’immeuble faisait partie de la fortune commerciale du settlor, ce caractère doit passer au trust puis au bénéficiaire. Une éventuelle plus-value ne serait pas soumise à l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice, faute d’avoir été réalisée. Ainsi, que l’immeuble ait gagné ou perdu de la valeur depuis son apport au trust, le bénéficiaire devrait comptabiliser l’immeuble à sa valeur d’apport au trust. Comme la distribution d’un immeuble par le trust n’intervient pas à titre onéreux, aucun droit de mutation ne devrait en principe être dû. La distribution d’un immeuble lors de la liquidation d’un trust suivrait à notre sens les mêmes règles que celles exposées ci-dessus. CO NC LUSIO N La solution préconisée par la Circulaire 30 a pour but, à notre avis, de limiter l’accès au trust dans des situations purement domestiques, tout en respectant la volonté du législateur de favoriser autant que possible la reconnaissance du trust dans des situations internationales. C’est clairement le cas si le settlor est domicilié à l’étranger lors de la constitution du trust, même si ce trust détient un bien immobilier en Suisse; la solution de la Circulaire 30 pour le traitement des trusts constitués par des settlors domiciliés en Suisse ne s’applique pas dans un tel cas de figure. Dans les grandes lignes, nous sommes d’avis que l’imposition d’un immeuble suisse placé en trust par un settlor étranger devrait suivre les règles suivantes, selon le type de trust concerné: APPORT AU TRUST DÉTENTION DISTRIBUTION TRUST RÉVOCABLE aucun effet imposition donation du settlor de la pleine propriété TRUST IRRÉVOCABLE donation imposition donation À INTÉRÊT FIXE de l’usufruit de l’usufruitier de la nue-propriété27 TRUST IRRÉVOCABLE donation imposition Pas d’imposition ET DISCRÉTIONNAIRE de la pleine propriété du trustee du gain Ce cadre a l’avantage de coller à des notions familières aux immeubles et présente une certaine logique. La présente contribution ne prétend pas être exhaustive et représente une première exploration d’une terra incognita. Mais les règles d’imposition des immeubles d’une part et des trusts d’autre part sont si denses et volatiles et que leur mélange ne peut être qu’explosif ! 22 A moins que la distribution ne soit faite au bénéficiaire ultime, auprès de qui la nue-propriété aurait déjà été imposée lors de l’apport de l’immeuble au trust. 15