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L’intelligence collective

Guy
Théraulaz*

des fourmis

Les comportements collectifs des fourmis ont toujours fasciné et
émerveillé les naturalistes. Tout semble se passer comme si chaque
colonie se comportait comme un seul et même super-organisme et
qu’il existait virtuellement au sein de ces sociétés une force mystérieuse capable de coordonner les activités de plusieurs milliers d’individus. En effet, l’une des principales caractéristiques des fourmis
est leur capacité à résoudre collectivement tout un ensemble de problèmes, souvent assez complexes, auxquels elles se trouvent confrontées quotidiennement. Ces problèmes sont de nature très variée : recherche et sélection de sources de nourriture, construction et agrandissement du nid, partage des tâches et organisation du travail, etc.
Par ailleurs les fourmis s’adaptent également très rapidement aux
changements qui surviennent dans leur milieu. De telles prouesses
collectives conduisent à nous interroger sur les mécanismes permettant aux individus qui composent ces sociétés de coordonner leurs
activités.

Colonne de
Cerapachys
ruficornis en file
indienne dans la
forêt d’eucalyptus
australienne.

Photo Alex Wild

* Directeur de
recherches au
CNRS, Centre de
Recherches sur la
Cognition Animale,
CNRS UMR 5169,
Université Paul
Sabatier, 118, route
de Narbonne, 31062
Toulouse Cedex 04.

46

P

endant très longtemps, on a considéré
les sociétés de fourmis comme une sorte
de modèle réduit des sociétés humaines.
Les premières hypothèses qui ont été avancées
pour tenter d’expliquer leurs performances ont
postulé l’existence d’une certaine forme d’intelligence individuelle. On pensait que la complexité des comportements collectifs de ces so-

ciétés trouvait son origine dans les capacités des
individus à centraliser et traiter l’information,
puis à décider ensuite des actions à réaliser à
travers la représentation que ceux-ci pouvaient
se faire de leur environnement ou des données
des problèmes auxquels ils étaient confrontés.
On imaginait en particulier que la reine jouait
un rôle décisif dans l’organisation des colonies
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
Photo Alex Wild

en centralisant l’ensemble des informations,
puis en dirigeant les activités des ouvrières.
Ainsi le schéma qui a longtemps prédominé,
jusqu’au milieu des années 80, est celui d’une
organisation hiérarchique et très centralisée.
Mais les études qui ont été réalisées au cours
des quarante dernières années ont peu à peu
changé cette vision des choses en montrant que
ces sociétés étaient régies par un mode d’organisation bien différent.
Nous savons aujourd’hui que les fourmis ne
possèdent aucune représentation, ou connaissance explicite des structures qu’elle produisent. Elles n’utilisent en particulier aucun plan
prédéfini pour construire leurs nids. En effet,
leur cerveau, qui comprend environ cent mille
neurones, n’est pas suffisamment puissant pour
permettre à un seul individu d’intégrer l’ensemble des informations sur l’état de la colonie
à un instant donné et assurer ensuite la répartition des tâches et la bonne marche de la société.
Il n’y a donc pas de chef d’orchestre chez les
fourmis. L’image que nous avons actuellement
de ces sociétés est celle de systèmes dans lesquels chaque fourmi n’a généralement accès qu’à
une information très limitée sur ce qui se passe
dans son environnement. A aucun moment une
fourmi n’a connaissance dans sa globalité des
structures qu’elle est en train de réaliser avec ses
congénères. Par ailleurs, chaque fourmi suit un
ensemble de règles de comportement relativement simples et peu nombreuses. Le répertoire
comportemental de ces insectes, c’est-à-dire
l’ensemble de comportements élémentaires différents qu’ils peuvent réaliser, est assez limité.
Chaque fourmi ne réalise au mieux qu’une petite vingtaine de comportements différents.
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009

Enfin, le fonctionnement de ces sociétés repose
en grande partie sur des réseaux complexes
d’interactions qui vont permettre aux fourmis
d’échanger de l’information et de coordonner
leurs activités. Les comportements collectifs
qu’on observe à l’échelle d’une colonie résultent donc de règles de comportement simples et
d’interactions locales entre individus.

La fourmi
d’Argentine,
Linepithema
humile.

Coordination des activités
Que savons-nous des mécanismes utilisés par
les fourmis pour coordonner leurs activités ? La
première explication un peu sérieuse fut proposée à la fin des années cinquante par Pierre-Paul
Grassé qui introduisit le concept de stigmergie.
Ce terme désigne une classe de mécanismes qui
permet aux insectes de coordonner leurs activités au moyen d’interactions indirectes. En
étudiant comment s’effectuait la reconstruction
du nid chez les termites du genre Bellicositermes,
Grassé a découvert qu’un insecte ne contrôlait
pas directement son activité bâtisseuse mais
que son travail était déclenché et orienté par les
structures résultant de son activité antérieure.
C’est à cette stimulation qu’il donna le nom
de stigmergie (construit à partir des mots grec
stigma : piqûre et ergon : travail). Ce type de mécanisme n’est pas propre aux termites, mais se
retrouve chez tous les autres insectes sociaux :
fourmis, guêpes et abeilles. Schématiquement,
les traces laissées sur le sol par un insecte
lorsqu’il se déplace, comme les pistes chimiques
ou les ébauches de construction qui résultent
de son activité passée, vont constituer autant
de sources de stimulation qui vont déclencher
en retour des comportements spécifiques chez
les autres insectes de la colonie. L’activité de ces

47
Les mots écrits
en vert dans le texte
renvoient au lexique
page 67.

insectes va alors modifier le stimulus qui a déclenché leur comportement, ce qui va conduire
à la formation d’un nouveau stimulus capable
lui-même de déclencher de nouveaux comportements. Ce processus peut conduire, dans
certaines conditions, à une coordination des
activités des insectes tout en donnant l’illusion
que la colonie suit dans son ensemble un plan
prédéfini.
L’exemple le plus connu dans lequel on retrouve ce type de mécanisme stigmergique est le
recrutement alimentaire chez les fourmis. L’une
des techniques employées fréquemment par certaines espèces de fourmis pour rassembler des
individus appartenant à la même colonie autour

Exemples de réseaux de pistes et de galeries souterraines construits par
des colonies de fourmis.
a. réseau de pistes de chasse collective chez la fourmi légionnaire
Eciton burchelli. Ces fourmis vivent dans les forêts tropicales humides
d’Amérique du Sud et leurs colonies comportent plusieurs millions
d’individus. Elles se nourrissent de petits arthropodes qui sont capturés
par d’immenses colonnes de chasse qui constituent des réseaux en forme
de pin parasol.
b. Moulage d’un nid d’une colonie de fourmis Pogonomyrmex badius
(© Walter Tschinkel). Ce nid a été construit par une colonie de 4000
ouvrières en 5 jours. Il comporte plus de 135 chambres reliées entre
elles par une dizaine de mètres de galeries. Ces deux exemples illustrent
la différence de taille, particulièrement frappante, qui existe entre les
insectes et les structures qu’ils construisent.
Photo Guy Théraulaz

48

d’une source de nourriture est le recrutement
de masse. Une fourmi qui découvre par hasard
une source de nourriture, un cadavre d’animal
ou une colonie de pucerons, va informer ensuite
ses congénères de sa découverte, en déposant
sur le sol une piste de phéromone lors de son
retour au nid. Cette piste chimique va ensuite
guider d’autres fourmis de la même colonie vers
l’endroit de la découverte. Et celles-ci, après
s’être alimentées, vont elles-mêmes renforcer la
piste en retournant au nid. La formation de la
piste résulte donc d’un feed-back positif ou encore d’un effet boule de neige. Plus le nombre
de fourmis qui visitent la source est important,
plus la piste va être marquée et plus elle va devenir attractive pour d’autres fourmis. La piste
permet donc d’amplifier l’information portant
sur la découverte de la source de nourriture.
Cette communication indirecte entre les individus entraîne une croissance rapide de la population autour de la source. Ensuite la piste ne va
pouvoir se maintenir que si la source de nourriture continue à être visitée et qu’un nombre suffisant de fourmis renforce la piste. Dans le cas
contraire, lorsque la source est épuisée, la piste
finit par disparaître par évaporation. Il y a donc
là un feed-back négatif.
Ces feed-back positifs et feed-back négatifs
sont les deux ingrédients de base qui permetPhoto Walter Tschinkel

Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
Intelligence collective

Photo Guy Théraulaz

tent aux sociétés de fourmis de s’auto-organiser. Les feed-back positifs qui permettent
l’émergence de structures comme les pistes de
phéromones résultent directement du comportement de dépôt de suivi de piste des fourmis.
Quant aux feed-back négatifs, ils permettent de
stabiliser les structures produites et résultent
généralement de pures contraintes physiques,
comme l’évaporation de la piste. Contrairement
aux feed-back positifs, ils ne sont donc pas codés
dans les règles de comportement des insectes.
C’est principalement grâce à ces processus d’auto-organisation que les insectes sociaux ont pu
développer une forme d’intelligence collective
construite à partir de comportements individuels très simples. Ces processus permettent
aux fourmis de réaliser des décisions collectives,
de construire des structures très complexes et
ils jouent également un rôle très important
dans la régulation des tâches en déterminant
qui fait quoi et à quel moment.

Comment choisir la meilleure source de
nourriture...
Par exemple le recrutement par piste
chimique, utilisé par les fourmis, va permettre
à une colonie de sélectionner la source de nourriture la plus rentable parmi un ensemble de
sources qui lui sont offertes. Lorsque l’on donne
à une colonie le choix entre deux sources d’eau
sucrée situées à égale distance du nid, mais dont
l’une est dix fois plus concentrée que l’autre, on
constate que la source la plus riche est exploitée
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009

Formation d’un réseau de pistes d’exploration chez la fourmi
d’Argentine Linepithema humile. Lorsque des ouvrières de cette
espèce explorent un espace vierge, comme ici une arène circulaire
(schématiquement représentée en haut de l’illustration), elles déposent
tout au long de leur trajet un signal chimique (une phéromone), qui
va pouvoir être détecté et suivi par leurs congénères. Celles-ci vont
également laisser leurs propres traces sur les zones qu’elles visitent.
Au cours du temps (de gauche à droite), tout le trafic va s’organiser sur
les zones les plus denses en phéromone et conduire à la formation d’un
réseau de pistes.

de manière préférentielle. Dans cet exemple,
la décision collective opérée au niveau de la
colonie ne repose pas sur la comparaison des
sources par les fourmis, mais sur la modulation
de la fréquence avec laquelle celles-ci déposent
de la phéromone sur le sol selon la qualité de la
source découverte. En effet, chaque fourmi possède une sorte d’échelle d’évaluation interne qui
va déterminer la fréquence de marquage. Ainsi
plus la concentration en sucre de la source est
élevée, plus l’intensité du marquage de la piste
est importante. La piste conduisant à la source
de nourriture la plus riche sera davantage marquée, et donc plus attractive. Quant à la piste
conduisant à la source la moins riche, elle va
progressivement disparaître car elle ne sera
pas renforcée, toutes les ouvrières disponibles
dans la colonie ayant naturellement tendance
à emprunter la piste la plus marquée. De cette
compétition entre les deux sources, résulte un
choix : la société «choisit» d’exploiter la source
la plus rémunératrice. Et la décision est emportée par la source qui parvient à mobiliser le plus
d’ouvrières disponibles ou à détourner celles

49
Intelligence collective
Fourmis attirées
par une goutte
d’eau sucrée servant
d’appât en vue
d’une expérience de
laboratoire.

Photo Alex Wild

engagées sur d’autres pistes. Ce mécanisme très
simple permet à une colonie de réaliser un choix
collectif efficace sans pour autant faire appel à
un comportement individuel élaboré.

... ou le meilleur chemin ?
En utilisant exactement le même principe,
les fourmis vont pouvoir également découvrir
collectivement le chemin le plus court qui relie leur nid à une source de nourriture. Pour
mettre en évidence ce phénomène, Jean-Louis
Deneubourg et ses collègues à l’Université libre
de Bruxelles ont réalisé il y a une vingtaine d’années une série d’expériences très astucieuses
dans lesquelles ils ont intercalé un pont à deux
branches entre un nid et une source de nourriture. Ce dispositif permet de créer deux voies
d’accès distinctes à la source. Lorsque les deux
branches sont de même longueur, on observe
que chacune d’elles n’est pas exploitée de manière identique : une des branches est systématiquement empruntée alors que l’autre est abandonnée, le choix se faisant par ailleurs de manière totalement aléatoire. Comment expliquet-on ce phénomène ? Lorsqu’une fourmi arrive
au point de bifurcation, elle va devoir choisir
l’une des deux branches. Au départ le choix se
fait de manière complètement aléatoire. Lors
de son retour au nid, la fourmi va de nouveau
emprunter au hasard l’une des deux branches
en déposant de la phéromone tout au long de
son trajet. Et cette phéromone va ensuite biaiser
le choix des autres fourmis qui circulent sur le

50

pont. Au cours du temps, de petites fluctuations
de densité de phéromone vont apparaître sur les
branches, qui vont entraîner de plus en plus de
fourmis à choisir la branche où la concentration en phéromone est la plus élevée. C’est ici
qu’intervient le rôle très important joué par le
hasard, puisqu’au départ rien ne détermine les
fourmis à préférer circuler sur une des deux
branches plutôt que sur l’autre. Ce processus
va lui-même se renforcer puisque les fourmis en
rentrant au nid vont elles-mêmes renforcer encore davantage la branche la plus marquée. Finalement tout le trafic va emprunter une seule
des deux branches.
Soulignons ici qu’une grande partie des processus d’auto-organisation chez les fourmis
peut se réduire à une forme de sélection naturelle de l’information. C’est l’information qui
réussit à être amplifiée le plus rapidement qui
l’emporte. Ce processus a pour effet de concentrer tout le trafic sur l’une des deux branches
en compétition. Mais la vitesse de croissance
de l’information va dépendre également de
contraintes physiques. En particulier si les deux
branches du pont n’ont pas la même longueur,
l’expérience montre que dans la majorité des
cas, la colonie sélectionne le chemin le plus
court vers la source de nourriture. Ces résultats s’expliquent très simplement. Les fourmis
qui empruntent le chemin le plus court reviennent au nid beaucoup plus rapidement. Ainsi
les pistes de recrutement grandissent à des vitesses différentes car le temps nécessaire pour
répliquer l’information (aller et revenir de la
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
source) n’est pas le même sur les deux branches.
Il faut beaucoup moins de temps aux fourmis
pour amplifier l’information sur le chemin le
plus court. Ce processus conduit finalement la
colonie à sélectionner la branche la plus courte.
Cet exemple montre le rôle déterminant joué
par les contraintes géométriques de l’environnement dans les effets de prise de décision collective au niveau de la colonie. Ainsi la colonie
est-elle capable d’adopter une réponse collective
efficace qui dépasse de loin l’échelle et les capacités des individus. Les fourmis n’ont donc pas
besoin d’une représentation du territoire dans
lequel elles opèrent, ni même d’une représentation globale de la tâche qu’elles ont à accomplir.

Les cimetières des fourmis
Les processus d’auto-organisation vont également permettre aux fourmis de réaliser des
structures très différentes lorsque les conditions
de l’environnement changent, tout en conservant les mêmes comportements individuels.
Les processus impliqués dans la formation des
cimetières chez les fourmis illustrent parfaitement ce phénomène. De nombreuses espèces de
fourmis sortent les cadavres d’ouvrières qu’elles
trouvent dans le nid et les agrègent à la sortie
pour former ce que l’on a coutume d’appeler
des cimetières. Mais il s’agit plutôt de dépotoirs
puisqu’on retrouve également dans ces amas des
écorces de graines et beaucoup d’autres détritus.
La principale fonction de ce comportement
est de réduire le risque que les cadavres propagent des infections dans la colonie. La putréfaction des cadavres s’accompagne de la
production de substances chimiques comme
l’acide oléique, qui incitent les ouvrières à s’en
emparer et à les rejeter à l’extérieur du nid. Au
laboratoire, si l’on disperse des cadavres sur une
arène à laquelle ont accès les fourmis d’une colonie, celles-ci constituent en quelques heures
plusieurs petits tas. Puis, au cours du temps, les
fourmis détruisent certains de ces tas et déplacent les cadavres sur d’autres tas. Au terme du
processus seul un petit nombre de tas subsiste.
Pour réaliser ces cimetières, les fourmis utilisent
des règles de comportement de prise et de dépôt
de cadavres très simples qui vont dépendre du
nombre de cadavres perçus localement par la
fourmi. Plus la taille du tas va être importante,
plus les fourmis auront tendance à déposer le
cadavre qu’elles transportent sur ce tas. En revanche les cadavres isolés stimulent fortement
un comportement de prise et cette tendance
diminue ensuite très fortement lorsque la taille
du tas augmente. La combinaison de ces deux
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009

Photos Guy Théraulaz

Bien que les interactions entre fourmis soient très simples,
comme le suivi d’une piste de phéromone, elles permettent
la résolution collective de problèmes difficiles, comme
ici trouver le chemin le plus court parmi plusieurs voies
conduisant à une source de nourriture.
L’expérience, menée chez la fourmi Lasius niger, montre que
même dans le cas de deux chemins de longueur identique,
on observe qu’une des branches est systématiquement
empruntée alors que l’autre est abandonnée, le choix se
faisant de manière totalement aléatoire.

51
Photo Guy Théraulaz

Les premières étapes de construction du nid chez la fourmi Lasius
niger. La formation de piliers et de murs régulièrement espacés résulte
d’un feed-back positif. Le dépôt de matériel de construction en un point
de l’espace stimule les fourmis à déposer d’autres boulettes de terre au
même endroit et cette tendance est d’autant plus forte que la quantité de
matériel déjà déposé par les fourmis est importante.

règles crée un processus d’amplification, une rétroaction positive, qui résulte à la fois de la stimulation du dépôt et de l’inhibition de la prise.
C’est un processus tout à fait similaire à celui
qui préside à la formation de pistes de recrutement. Sauf qu’ici le feed-back négatif résulte de
l’épuisement des cadavres présents dans l’arène.
Lorsque la réserve est épuisée et que tous les
cadavres ont été agrégés, il n’en reste plus pour
créer de nouveaux tas.
Maintenant lorsque l’on change les conditions
environnementales en modifiant par exemple la
densité initiale de cadavres, on constate que les
fourmis réalisent des structures spatiales radicalement différentes. Lorsque le nombre de cadavres présents dans l’arène est faible, les fourmis construisent de petits tas, alors que lorsque
la densité de cadavres est très élevée on observe
la formation de murs de cadavres séparant plusieurs chambres. La formation de ces structures
«en éponge» s’explique par le fait que lorsque
des zones à faible densité de cadavres apparaissent à certains endroits, il existe une très forte
probabilité pour que ces zones soient nettoyées.
Les cadavres présents sur les bords de ces zones
sont progressivement enlevés ce qui conduit à
la formation de structures spongiformes. La
forme de ces structures est très proche de celles

52

qu’on trouve dans les nids construits par plusieurs espèces de fourmis. En effet, les règles de
comportement utilisées par les fourmis pour
agréger les cadavres leur servent également
à construire leur nid. Au lieu de déplacer et
d’agréger des cadavres, les fourmis déplacent et
agrègent des boulettes de terre, mais les mécanismes de base restent exactement les mêmes.
Une grande partie de la complexité et des
propriétés des comportements collectifs qu’on
observe dans les sociétés de fourmis résulte
des interactions entre les individus au cours
desquelles des informations sont échangées.
Ces interactions permettent de construire des
réponses collectives qui dépassent de très loin
les capacités cognitives propres à chaque fourmi. C’est grâce à ces interactions qu’une forme
d’intelligence collective peut émerger dans ces
sociétés. Les signaux échangés entre les fourmis
ont essentiellement un effet inhibiteur ou activateur sur leurs comportements. Ces signaux
permettent en particulier à la colonie d’amplifier certaines informations, de réaliser des
structures spatiales complexes et également de
réguler l’activité des individus de manière complètement décentralisée.
Pour construire leurs nids, prendre des décisions ou organiser leur travail, les fourmis
utilisent des jeux de règles comportementales
très simples. Par ailleurs, les mêmes règles de
comportement à l’échelle individuelle peuvent
conduire à des réponses collectives très différentes selon les conditions environnementales
qui sont rencontrées par les insectes. Enfin, tous
Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
Intelligence collective
les exemples que nous avons présentés mettent
clairement en évidence une des caractéristiques
essentielles des processus d’auto-organisation
qui est non seulement de permettre l’émergence
de propriétés nouvelles à l’échelle d’un groupe
ou d’une société à partir de comportements individuels très simples, propriétés dont va pouvoir bénéficier l’ensemble des individus. Mais
avant tout, ces processus permettent une réelle

L’agrégation des cadavres
Chez les fourmis, de très nombreux comportements collectifs conduisent à la formation de
structures spatiales à grande échelle par rapport
aux individus qui les produisent. L’agrégation
des cadavres, ici chez Messor sancta, est un
exemple de formation de structure spatiale qui
résulte d’un comportement collectif complexe
impliquant un grand nombre d’individus en interaction.

Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009

économie de codage des mécanismes qui, au niveau individuel, conditionnent l’émergence de
ces propriétés. La puissance des processus d’auto-organisation est justement de pouvoir créer
de la complexité tout en économisant la quantité d’information qui doit être codée dans les
gènes pour pouvoir produire cette complexité.
G. T.
a. L’étude de ce phénomène en laboratoire
montre que les fourmis commencent à réaliser
un grand nombre de petits tas, puis qu’elles en
détruisent certains. Au terme du processus, seuls
subsiste un petit nombre de gros tas.
b. Comportements individuels des fourmis  :
la probabilité de déposer un cadavre (courbe
du haut) augmente alors que la probabilité de
prendre un cadavre (courbe du bas) diminue
lorsque la taille du tas rencontré par une fourmi
augmente.

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L'intelligence collective des fourmis

  • 1. L’intelligence collective Guy Théraulaz* des fourmis Les comportements collectifs des fourmis ont toujours fasciné et émerveillé les naturalistes. Tout semble se passer comme si chaque colonie se comportait comme un seul et même super-organisme et qu’il existait virtuellement au sein de ces sociétés une force mystérieuse capable de coordonner les activités de plusieurs milliers d’individus. En effet, l’une des principales caractéristiques des fourmis est leur capacité à résoudre collectivement tout un ensemble de problèmes, souvent assez complexes, auxquels elles se trouvent confrontées quotidiennement. Ces problèmes sont de nature très variée : recherche et sélection de sources de nourriture, construction et agrandissement du nid, partage des tâches et organisation du travail, etc. Par ailleurs les fourmis s’adaptent également très rapidement aux changements qui surviennent dans leur milieu. De telles prouesses collectives conduisent à nous interroger sur les mécanismes permettant aux individus qui composent ces sociétés de coordonner leurs activités. Colonne de Cerapachys ruficornis en file indienne dans la forêt d’eucalyptus australienne. Photo Alex Wild * Directeur de recherches au CNRS, Centre de Recherches sur la Cognition Animale, CNRS UMR 5169, Université Paul Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 04. 46 P endant très longtemps, on a considéré les sociétés de fourmis comme une sorte de modèle réduit des sociétés humaines. Les premières hypothèses qui ont été avancées pour tenter d’expliquer leurs performances ont postulé l’existence d’une certaine forme d’intelligence individuelle. On pensait que la complexité des comportements collectifs de ces so- ciétés trouvait son origine dans les capacités des individus à centraliser et traiter l’information, puis à décider ensuite des actions à réaliser à travers la représentation que ceux-ci pouvaient se faire de leur environnement ou des données des problèmes auxquels ils étaient confrontés. On imaginait en particulier que la reine jouait un rôle décisif dans l’organisation des colonies Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
  • 2. Photo Alex Wild en centralisant l’ensemble des informations, puis en dirigeant les activités des ouvrières. Ainsi le schéma qui a longtemps prédominé, jusqu’au milieu des années 80, est celui d’une organisation hiérarchique et très centralisée. Mais les études qui ont été réalisées au cours des quarante dernières années ont peu à peu changé cette vision des choses en montrant que ces sociétés étaient régies par un mode d’organisation bien différent. Nous savons aujourd’hui que les fourmis ne possèdent aucune représentation, ou connaissance explicite des structures qu’elle produisent. Elles n’utilisent en particulier aucun plan prédéfini pour construire leurs nids. En effet, leur cerveau, qui comprend environ cent mille neurones, n’est pas suffisamment puissant pour permettre à un seul individu d’intégrer l’ensemble des informations sur l’état de la colonie à un instant donné et assurer ensuite la répartition des tâches et la bonne marche de la société. Il n’y a donc pas de chef d’orchestre chez les fourmis. L’image que nous avons actuellement de ces sociétés est celle de systèmes dans lesquels chaque fourmi n’a généralement accès qu’à une information très limitée sur ce qui se passe dans son environnement. A aucun moment une fourmi n’a connaissance dans sa globalité des structures qu’elle est en train de réaliser avec ses congénères. Par ailleurs, chaque fourmi suit un ensemble de règles de comportement relativement simples et peu nombreuses. Le répertoire comportemental de ces insectes, c’est-à-dire l’ensemble de comportements élémentaires différents qu’ils peuvent réaliser, est assez limité. Chaque fourmi ne réalise au mieux qu’une petite vingtaine de comportements différents. Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009 Enfin, le fonctionnement de ces sociétés repose en grande partie sur des réseaux complexes d’interactions qui vont permettre aux fourmis d’échanger de l’information et de coordonner leurs activités. Les comportements collectifs qu’on observe à l’échelle d’une colonie résultent donc de règles de comportement simples et d’interactions locales entre individus. La fourmi d’Argentine, Linepithema humile. Coordination des activités Que savons-nous des mécanismes utilisés par les fourmis pour coordonner leurs activités ? La première explication un peu sérieuse fut proposée à la fin des années cinquante par Pierre-Paul Grassé qui introduisit le concept de stigmergie. Ce terme désigne une classe de mécanismes qui permet aux insectes de coordonner leurs activités au moyen d’interactions indirectes. En étudiant comment s’effectuait la reconstruction du nid chez les termites du genre Bellicositermes, Grassé a découvert qu’un insecte ne contrôlait pas directement son activité bâtisseuse mais que son travail était déclenché et orienté par les structures résultant de son activité antérieure. C’est à cette stimulation qu’il donna le nom de stigmergie (construit à partir des mots grec stigma : piqûre et ergon : travail). Ce type de mécanisme n’est pas propre aux termites, mais se retrouve chez tous les autres insectes sociaux : fourmis, guêpes et abeilles. Schématiquement, les traces laissées sur le sol par un insecte lorsqu’il se déplace, comme les pistes chimiques ou les ébauches de construction qui résultent de son activité passée, vont constituer autant de sources de stimulation qui vont déclencher en retour des comportements spécifiques chez les autres insectes de la colonie. L’activité de ces 47
  • 3. Les mots écrits en vert dans le texte renvoient au lexique page 67. insectes va alors modifier le stimulus qui a déclenché leur comportement, ce qui va conduire à la formation d’un nouveau stimulus capable lui-même de déclencher de nouveaux comportements. Ce processus peut conduire, dans certaines conditions, à une coordination des activités des insectes tout en donnant l’illusion que la colonie suit dans son ensemble un plan prédéfini. L’exemple le plus connu dans lequel on retrouve ce type de mécanisme stigmergique est le recrutement alimentaire chez les fourmis. L’une des techniques employées fréquemment par certaines espèces de fourmis pour rassembler des individus appartenant à la même colonie autour Exemples de réseaux de pistes et de galeries souterraines construits par des colonies de fourmis. a. réseau de pistes de chasse collective chez la fourmi légionnaire Eciton burchelli. Ces fourmis vivent dans les forêts tropicales humides d’Amérique du Sud et leurs colonies comportent plusieurs millions d’individus. Elles se nourrissent de petits arthropodes qui sont capturés par d’immenses colonnes de chasse qui constituent des réseaux en forme de pin parasol. b. Moulage d’un nid d’une colonie de fourmis Pogonomyrmex badius (© Walter Tschinkel). Ce nid a été construit par une colonie de 4000 ouvrières en 5 jours. Il comporte plus de 135 chambres reliées entre elles par une dizaine de mètres de galeries. Ces deux exemples illustrent la différence de taille, particulièrement frappante, qui existe entre les insectes et les structures qu’ils construisent. Photo Guy Théraulaz 48 d’une source de nourriture est le recrutement de masse. Une fourmi qui découvre par hasard une source de nourriture, un cadavre d’animal ou une colonie de pucerons, va informer ensuite ses congénères de sa découverte, en déposant sur le sol une piste de phéromone lors de son retour au nid. Cette piste chimique va ensuite guider d’autres fourmis de la même colonie vers l’endroit de la découverte. Et celles-ci, après s’être alimentées, vont elles-mêmes renforcer la piste en retournant au nid. La formation de la piste résulte donc d’un feed-back positif ou encore d’un effet boule de neige. Plus le nombre de fourmis qui visitent la source est important, plus la piste va être marquée et plus elle va devenir attractive pour d’autres fourmis. La piste permet donc d’amplifier l’information portant sur la découverte de la source de nourriture. Cette communication indirecte entre les individus entraîne une croissance rapide de la population autour de la source. Ensuite la piste ne va pouvoir se maintenir que si la source de nourriture continue à être visitée et qu’un nombre suffisant de fourmis renforce la piste. Dans le cas contraire, lorsque la source est épuisée, la piste finit par disparaître par évaporation. Il y a donc là un feed-back négatif. Ces feed-back positifs et feed-back négatifs sont les deux ingrédients de base qui permetPhoto Walter Tschinkel Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
  • 4. Intelligence collective Photo Guy Théraulaz tent aux sociétés de fourmis de s’auto-organiser. Les feed-back positifs qui permettent l’émergence de structures comme les pistes de phéromones résultent directement du comportement de dépôt de suivi de piste des fourmis. Quant aux feed-back négatifs, ils permettent de stabiliser les structures produites et résultent généralement de pures contraintes physiques, comme l’évaporation de la piste. Contrairement aux feed-back positifs, ils ne sont donc pas codés dans les règles de comportement des insectes. C’est principalement grâce à ces processus d’auto-organisation que les insectes sociaux ont pu développer une forme d’intelligence collective construite à partir de comportements individuels très simples. Ces processus permettent aux fourmis de réaliser des décisions collectives, de construire des structures très complexes et ils jouent également un rôle très important dans la régulation des tâches en déterminant qui fait quoi et à quel moment. Comment choisir la meilleure source de nourriture... Par exemple le recrutement par piste chimique, utilisé par les fourmis, va permettre à une colonie de sélectionner la source de nourriture la plus rentable parmi un ensemble de sources qui lui sont offertes. Lorsque l’on donne à une colonie le choix entre deux sources d’eau sucrée situées à égale distance du nid, mais dont l’une est dix fois plus concentrée que l’autre, on constate que la source la plus riche est exploitée Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009 Formation d’un réseau de pistes d’exploration chez la fourmi d’Argentine Linepithema humile. Lorsque des ouvrières de cette espèce explorent un espace vierge, comme ici une arène circulaire (schématiquement représentée en haut de l’illustration), elles déposent tout au long de leur trajet un signal chimique (une phéromone), qui va pouvoir être détecté et suivi par leurs congénères. Celles-ci vont également laisser leurs propres traces sur les zones qu’elles visitent. Au cours du temps (de gauche à droite), tout le trafic va s’organiser sur les zones les plus denses en phéromone et conduire à la formation d’un réseau de pistes. de manière préférentielle. Dans cet exemple, la décision collective opérée au niveau de la colonie ne repose pas sur la comparaison des sources par les fourmis, mais sur la modulation de la fréquence avec laquelle celles-ci déposent de la phéromone sur le sol selon la qualité de la source découverte. En effet, chaque fourmi possède une sorte d’échelle d’évaluation interne qui va déterminer la fréquence de marquage. Ainsi plus la concentration en sucre de la source est élevée, plus l’intensité du marquage de la piste est importante. La piste conduisant à la source de nourriture la plus riche sera davantage marquée, et donc plus attractive. Quant à la piste conduisant à la source la moins riche, elle va progressivement disparaître car elle ne sera pas renforcée, toutes les ouvrières disponibles dans la colonie ayant naturellement tendance à emprunter la piste la plus marquée. De cette compétition entre les deux sources, résulte un choix : la société «choisit» d’exploiter la source la plus rémunératrice. Et la décision est emportée par la source qui parvient à mobiliser le plus d’ouvrières disponibles ou à détourner celles 49
  • 5. Intelligence collective Fourmis attirées par une goutte d’eau sucrée servant d’appât en vue d’une expérience de laboratoire. Photo Alex Wild engagées sur d’autres pistes. Ce mécanisme très simple permet à une colonie de réaliser un choix collectif efficace sans pour autant faire appel à un comportement individuel élaboré. ... ou le meilleur chemin ? En utilisant exactement le même principe, les fourmis vont pouvoir également découvrir collectivement le chemin le plus court qui relie leur nid à une source de nourriture. Pour mettre en évidence ce phénomène, Jean-Louis Deneubourg et ses collègues à l’Université libre de Bruxelles ont réalisé il y a une vingtaine d’années une série d’expériences très astucieuses dans lesquelles ils ont intercalé un pont à deux branches entre un nid et une source de nourriture. Ce dispositif permet de créer deux voies d’accès distinctes à la source. Lorsque les deux branches sont de même longueur, on observe que chacune d’elles n’est pas exploitée de manière identique : une des branches est systématiquement empruntée alors que l’autre est abandonnée, le choix se faisant par ailleurs de manière totalement aléatoire. Comment expliquet-on ce phénomène ? Lorsqu’une fourmi arrive au point de bifurcation, elle va devoir choisir l’une des deux branches. Au départ le choix se fait de manière complètement aléatoire. Lors de son retour au nid, la fourmi va de nouveau emprunter au hasard l’une des deux branches en déposant de la phéromone tout au long de son trajet. Et cette phéromone va ensuite biaiser le choix des autres fourmis qui circulent sur le 50 pont. Au cours du temps, de petites fluctuations de densité de phéromone vont apparaître sur les branches, qui vont entraîner de plus en plus de fourmis à choisir la branche où la concentration en phéromone est la plus élevée. C’est ici qu’intervient le rôle très important joué par le hasard, puisqu’au départ rien ne détermine les fourmis à préférer circuler sur une des deux branches plutôt que sur l’autre. Ce processus va lui-même se renforcer puisque les fourmis en rentrant au nid vont elles-mêmes renforcer encore davantage la branche la plus marquée. Finalement tout le trafic va emprunter une seule des deux branches. Soulignons ici qu’une grande partie des processus d’auto-organisation chez les fourmis peut se réduire à une forme de sélection naturelle de l’information. C’est l’information qui réussit à être amplifiée le plus rapidement qui l’emporte. Ce processus a pour effet de concentrer tout le trafic sur l’une des deux branches en compétition. Mais la vitesse de croissance de l’information va dépendre également de contraintes physiques. En particulier si les deux branches du pont n’ont pas la même longueur, l’expérience montre que dans la majorité des cas, la colonie sélectionne le chemin le plus court vers la source de nourriture. Ces résultats s’expliquent très simplement. Les fourmis qui empruntent le chemin le plus court reviennent au nid beaucoup plus rapidement. Ainsi les pistes de recrutement grandissent à des vitesses différentes car le temps nécessaire pour répliquer l’information (aller et revenir de la Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
  • 6. source) n’est pas le même sur les deux branches. Il faut beaucoup moins de temps aux fourmis pour amplifier l’information sur le chemin le plus court. Ce processus conduit finalement la colonie à sélectionner la branche la plus courte. Cet exemple montre le rôle déterminant joué par les contraintes géométriques de l’environnement dans les effets de prise de décision collective au niveau de la colonie. Ainsi la colonie est-elle capable d’adopter une réponse collective efficace qui dépasse de loin l’échelle et les capacités des individus. Les fourmis n’ont donc pas besoin d’une représentation du territoire dans lequel elles opèrent, ni même d’une représentation globale de la tâche qu’elles ont à accomplir. Les cimetières des fourmis Les processus d’auto-organisation vont également permettre aux fourmis de réaliser des structures très différentes lorsque les conditions de l’environnement changent, tout en conservant les mêmes comportements individuels. Les processus impliqués dans la formation des cimetières chez les fourmis illustrent parfaitement ce phénomène. De nombreuses espèces de fourmis sortent les cadavres d’ouvrières qu’elles trouvent dans le nid et les agrègent à la sortie pour former ce que l’on a coutume d’appeler des cimetières. Mais il s’agit plutôt de dépotoirs puisqu’on retrouve également dans ces amas des écorces de graines et beaucoup d’autres détritus. La principale fonction de ce comportement est de réduire le risque que les cadavres propagent des infections dans la colonie. La putréfaction des cadavres s’accompagne de la production de substances chimiques comme l’acide oléique, qui incitent les ouvrières à s’en emparer et à les rejeter à l’extérieur du nid. Au laboratoire, si l’on disperse des cadavres sur une arène à laquelle ont accès les fourmis d’une colonie, celles-ci constituent en quelques heures plusieurs petits tas. Puis, au cours du temps, les fourmis détruisent certains de ces tas et déplacent les cadavres sur d’autres tas. Au terme du processus seul un petit nombre de tas subsiste. Pour réaliser ces cimetières, les fourmis utilisent des règles de comportement de prise et de dépôt de cadavres très simples qui vont dépendre du nombre de cadavres perçus localement par la fourmi. Plus la taille du tas va être importante, plus les fourmis auront tendance à déposer le cadavre qu’elles transportent sur ce tas. En revanche les cadavres isolés stimulent fortement un comportement de prise et cette tendance diminue ensuite très fortement lorsque la taille du tas augmente. La combinaison de ces deux Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009 Photos Guy Théraulaz Bien que les interactions entre fourmis soient très simples, comme le suivi d’une piste de phéromone, elles permettent la résolution collective de problèmes difficiles, comme ici trouver le chemin le plus court parmi plusieurs voies conduisant à une source de nourriture. L’expérience, menée chez la fourmi Lasius niger, montre que même dans le cas de deux chemins de longueur identique, on observe qu’une des branches est systématiquement empruntée alors que l’autre est abandonnée, le choix se faisant de manière totalement aléatoire. 51
  • 7. Photo Guy Théraulaz Les premières étapes de construction du nid chez la fourmi Lasius niger. La formation de piliers et de murs régulièrement espacés résulte d’un feed-back positif. Le dépôt de matériel de construction en un point de l’espace stimule les fourmis à déposer d’autres boulettes de terre au même endroit et cette tendance est d’autant plus forte que la quantité de matériel déjà déposé par les fourmis est importante. règles crée un processus d’amplification, une rétroaction positive, qui résulte à la fois de la stimulation du dépôt et de l’inhibition de la prise. C’est un processus tout à fait similaire à celui qui préside à la formation de pistes de recrutement. Sauf qu’ici le feed-back négatif résulte de l’épuisement des cadavres présents dans l’arène. Lorsque la réserve est épuisée et que tous les cadavres ont été agrégés, il n’en reste plus pour créer de nouveaux tas. Maintenant lorsque l’on change les conditions environnementales en modifiant par exemple la densité initiale de cadavres, on constate que les fourmis réalisent des structures spatiales radicalement différentes. Lorsque le nombre de cadavres présents dans l’arène est faible, les fourmis construisent de petits tas, alors que lorsque la densité de cadavres est très élevée on observe la formation de murs de cadavres séparant plusieurs chambres. La formation de ces structures «en éponge» s’explique par le fait que lorsque des zones à faible densité de cadavres apparaissent à certains endroits, il existe une très forte probabilité pour que ces zones soient nettoyées. Les cadavres présents sur les bords de ces zones sont progressivement enlevés ce qui conduit à la formation de structures spongiformes. La forme de ces structures est très proche de celles 52 qu’on trouve dans les nids construits par plusieurs espèces de fourmis. En effet, les règles de comportement utilisées par les fourmis pour agréger les cadavres leur servent également à construire leur nid. Au lieu de déplacer et d’agréger des cadavres, les fourmis déplacent et agrègent des boulettes de terre, mais les mécanismes de base restent exactement les mêmes. Une grande partie de la complexité et des propriétés des comportements collectifs qu’on observe dans les sociétés de fourmis résulte des interactions entre les individus au cours desquelles des informations sont échangées. Ces interactions permettent de construire des réponses collectives qui dépassent de très loin les capacités cognitives propres à chaque fourmi. C’est grâce à ces interactions qu’une forme d’intelligence collective peut émerger dans ces sociétés. Les signaux échangés entre les fourmis ont essentiellement un effet inhibiteur ou activateur sur leurs comportements. Ces signaux permettent en particulier à la colonie d’amplifier certaines informations, de réaliser des structures spatiales complexes et également de réguler l’activité des individus de manière complètement décentralisée. Pour construire leurs nids, prendre des décisions ou organiser leur travail, les fourmis utilisent des jeux de règles comportementales très simples. Par ailleurs, les mêmes règles de comportement à l’échelle individuelle peuvent conduire à des réponses collectives très différentes selon les conditions environnementales qui sont rencontrées par les insectes. Enfin, tous Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009
  • 8. Intelligence collective les exemples que nous avons présentés mettent clairement en évidence une des caractéristiques essentielles des processus d’auto-organisation qui est non seulement de permettre l’émergence de propriétés nouvelles à l’échelle d’un groupe ou d’une société à partir de comportements individuels très simples, propriétés dont va pouvoir bénéficier l’ensemble des individus. Mais avant tout, ces processus permettent une réelle L’agrégation des cadavres Chez les fourmis, de très nombreux comportements collectifs conduisent à la formation de structures spatiales à grande échelle par rapport aux individus qui les produisent. L’agrégation des cadavres, ici chez Messor sancta, est un exemple de formation de structure spatiale qui résulte d’un comportement collectif complexe impliquant un grand nombre d’individus en interaction. Le Courrier de la Nature n° 250 - Spécial Fourmis 2009 économie de codage des mécanismes qui, au niveau individuel, conditionnent l’émergence de ces propriétés. La puissance des processus d’auto-organisation est justement de pouvoir créer de la complexité tout en économisant la quantité d’information qui doit être codée dans les gènes pour pouvoir produire cette complexité. G. T. a. L’étude de ce phénomène en laboratoire montre que les fourmis commencent à réaliser un grand nombre de petits tas, puis qu’elles en détruisent certains. Au terme du processus, seuls subsiste un petit nombre de gros tas. b. Comportements individuels des fourmis  : la probabilité de déposer un cadavre (courbe du haut) augmente alors que la probabilité de prendre un cadavre (courbe du bas) diminue lorsque la taille du tas rencontré par une fourmi augmente. 53