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Susana Malcorra, la dame de fer qui
voudrait succéder à Ban Ki-moon
PAR CELHIA DE LAVARÈNE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 14 AVRIL 2016
© UN Photos
Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine
en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos
Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine
en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos
Alors que la campagne pour le nouveau secrétaire
général des Nations unies est officiellement lancée,
l'ancienne chef de cabinet de Ban Ki-moon, devenue
ministre des affaires étrangères en Argentine, pourrait
créer la surprise. Portrait d'une femme avec autant de
fidèles que d'ennemis.
De notre correspondante à l'ONU.- Susana
Malcorra, l’ex-chef de cabinet de Ban Ki-moon, le
secrétaire général de l’ONU qui quittera ses fonctions
fin 2016, a-t-elle des chances de lui succéder ? Bien
qu’elle n’ait jusqu’à présent officiellement ni démenti,
ni infirmé être intéressée par le job, il semblerait
qu’elle y songe de plus en plus sérieusement. Pour
preuve, bien qu’elle ne figure pas parmi les huit
candidats les plus cités, et qu’elle n’appartienne pas à
la zone géographique qui, selon une règle non écrite,
stipule que c’est au tour de l’Europe de l’Est d’occuper
le siège de secrétaire général, madame Malcorra est
entrée en campagne.
Qui est donc Susana Malcorra ? D’elle, on sait peu de
chose. De mars 2012 à novembre 2015, en l’absence
du secrétaire général de l’ONU, plus occupé à voyager
aux quatre coins de la planète qu’à gérer les affaires
courantes, elle a pourtant dirigé les Nations unies
d’une poigne de fer. Ceux qui la vénèrent la disent
ambitieuse, intelligente, souvent charmante. Ceux qui
la haïssent – ils sont légion – la décrivent comme
une femme rouée, rusée, manipulatrice, intrigante
et opportuniste. «Elle représente l’archétype de la
femme qui a réussi de façon spectaculaire dans
un monde d’hommes. Elle a une façon intéressante
d’appliquer ce qu’elle a perçu comme étant les règles
en vigueur dans ce monde masculin », affirme un haut
fonctionnaire qui l’a côtoyée pendant plus de sept ans.
En mars 2008, Ban Ki-moon la nomme à la tête
du département d’appui aux missions (DFS) avec
le titre de secrétaire générale adjointe (USG). Elle
devient responsable de 32 opérations de terrain
(100 000 membres du personnel militaire, civil et
de police) et supervise l’intendance et la logistique
(communications, matériels, rations pour les troupes).
Sous sa férule, le DFS prend de l’importance et du
pouvoir. Le département a un droit de regard sur
tous les contrats et décide si les compagnies qui ont
répondu aux appels d’offres satisfont aux critères
exigés par le cahier des charges. Pas étonnant que
beaucoup de compagnies fassent du lobbying auprès
de son département. A-t-elle favorisé des compagnies,
comme le suggèrent certains, sans toutefois apporter
de preuves ? Ce qui est sûr, c’est que la dame sait
manœuvrer, chaque poste lui servant de tremplin.
Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine
en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos
Avant de rejoindre le Secrétariat (QG des
Nations unies à New York), Susana a servi
en tant que directrice exécutive adjointe au
Programme alimentaire mondial (PAM) où elle
supervisait les opérations humanitaires d'urgence,
les services de ressources humaines, du budget,
des finances, de l’information, de la technologie,
des télécommunications, de l’administration et de la
sécurité. Déjà, elle avait la mainmise sur tout. Dans
chaque poste qu’elle occupe, elle se constitue un solide
réseau de fidèles, qu’elle n’hésitera pas à faire venir
à ses côtés lorsque Ban Ki-moon en fera sa chef de
cabinet. La dame sait manifestement y faire lorsqu’il
s’agit de s’attacher la loyauté de son staff. Elle ne
lésine pas sur les promotions, toujours dans un seul
et même but : s’assurer le dévouement total de ses
employés.
Ainsi, lorsqu’en novembre 2015 elle quitte l’ONU
pour prendre ses fonctions de ministre des affaires
étrangères en Argentine, elle accorde une promotion à
tous ses proches collaborateurs. Ceux qui ont travaillé
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à ses côtés au PAM et au DFS, pour la plupart des
Sud-Américains, mais surtout et avant tout des fidèles.
Un procédé qui lui permet d’être tenue au courant des
faits et gestes de chacun. Au cas où elle reviendrait
par la grande porte ? Si de nombreux fonctionnaires
se sont émus de ces promotions, au 38e
étage, celui
où se trouvent les bureaux de Susana et ceux de
Ban Ki-moon, elles n’étonnent personne. Les règles
qui régissent l’exécutif sont différentes. Point n’est
besoin de demander l’aval de qui que ce soit pour
nommer et promouvoir un collaborateur. «Au 38e
, il
n’y a aucune transparence. Les proches du secrétaire
général font ce qu’ils veulent. Même les postes à
pourvoir, lorsqu’il y en a, ne sont pas publiés comme
l’exige la règle pour les autres employés. Mais c’était
la même chose du temps de Kofi Annan et des autres »,
précise, magnanime, une fonctionnaire au fait des us
et coutumes de la Maison de verre.
Ses compétences, Susana les a peaufinées puis affinées
en Argentine, dans le secteur privé où elle a occupé
pendant 25 ans des postes de direction, chez IBM puis
chez Télécom. Chez IBM, elle a affronté une période
particulièrement difficile. De hauts responsables du
gouvernement argentin et des représentants d’IBM ont
été accusés de corruption à grande échelle. Dans cet
environnement élitiste, Susana – qui n’a jamais été
impliquée dans le scandale – comprend vite que le
pouvoir permet de se situer au-dessus des masses.
«Elle apprend vite etretient tout», admet, admiratif,
un de ses anciens collègues. Elle a parfaitement su
utiliser ce qu’elle a appris dans le secteur privé et
l’a adapté à la lourdeur bureaucratique des Nations
unies. «J’ai apprécié travailler avec elle, car elle est
extrêmement efficace. Elle prend les décisions que
vous lui demandez de prendre. Aimerais-je être son
conseiller ou faire partie de son équipe ? Sûrement
pas », admet un onusien qui l’a pratiquée pendant des
années.
Une anecdote résume parfaitement sa personnalité.
Carman Lapointe, une Canadienne qui venait de
prendre ses fonctions à la tête du bureau des services
de contrôle interne (OIOS), devait participer à une
conférence sur la lutte contre la corruption. Elle
s’est désistée au dernier moment. Pris de court,
l’organisateur a décidé de solliciter Susana, qui a
accepté après avoir demandé la liste des participants et
découvert que parmi une pléiade d’invités importants,
le commissaire de police de la ville de New York
serait présent. « Elle a immédiatement compris que
cet événement lui donnerait plus de visibilité. Que
cela lui permettrait de rencontrer des personnes qui
pourraient, par la suite, lui être utiles », commente
un des participants, qui ajoute : «Elle savait qu’en
tant que secrétaire générale adjointe, il était judicieux
pour elle d’assister à cette conférence. Cela lui
a conféré un prestige politique qu’elle n’avait pas
encore acquis, dans un secteur très important pour les
États membres. »
Il y a encore peu, elle avait le soutien des
États-Unis
Tous ceux qui l’ont approchée sont unanimes : Susana
Malcorra est incroyablement douée pour détecter
les personnes susceptibles de la faire avancer sur
l’échiquier de ses ambitions. Elle sait exactement à
qui s’adresser. «Elle n’a pas son pareil pour détecter
les failles d’un individu et s’en servir », se souvient
un collègue. Elle pense sans cesse à ce qui sera
bénéfique pour elle. Lorsqu’elle rencontre quelqu’un,
elle le jauge et se demande si et comment elle
pourra l’utiliser. On la sent prête à tout pour parvenir
à ses fins. Non pas qu’elle soit dévorée par une
ambition aveugle : elle est ambitieuse pour l’amour de
l’ambition. Elle aime le pouvoir, les intrigues. Dans
l’affaire des abus sexuels sur les enfants en République
centrafricaine, elle n’a eu de cesse d’étouffer le
scandale, sans se soucier des répercussions négatives
que cela pourrait avoir sur l’ONU si cela venait à
se savoir. «Elle n’a pas un seulinstant pensé aux
enfants», précise Peter Gallo, un ancien d’OIOS.
Vindicative, elle s’est acharnée sur Anders Kompass et
sur tous ceux qui ont essayé de faire éclater la vérité.
Une erreur d’appréciation dont personne, à ce jour,
ne l’a tenue pour responsable. «C’est dans ses gènes.
Elle adore tirer les ficelles. Elle aime manipuler.
C’est une tueuse, un peu comme le serait un homme
qui veut réussir et qui s’en donne les moyens. A
contrario, elle se transforme instantanément en femme
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douce ou en intellectuelle si cela sert ses ambitions.
C’est un caméléon », explique, admiratif, un diplomate
occidental.
«Elle a de bonnes idées – qui lui viennent
probablement du temps où elle travaillait dans le
secteur privé –, mais un grand nombre d’entre
elles n’ont jamais dépassé le stade des idées parce
qu'impossibles à réaliser. Elle n’est pas créative »,
assure un de ses ex-collaborateurs qui a, depuis,
démissionné. Il y a encore peu, elle avait le soutien
des États-Unis. Il semble que cela ne soit plus le
cas. Pourtant, elle leur a donné toute satisfaction en
imposant des réformes, au risque de se mettre à dos
tout le personnel onusien. Un exemple mémorable :
la mobilité obligatoire au bout de cinq ans, pour
l’ensemble des membres du personnel, quel que soit
leur rang – y compris pour les secrétaires généraux
adjoints. Une idée innovante du secrétaire général,
soutenue par Susana qui devait la mettre en vigueur.
Au départ, cette réforme devait permettre au personnel
de ne pas « s’encroûter », et à l’Organisation de
faire des économies, puisque les services devaient
fonctionner d’après un système de rotation – certains
membres du personnel choisissant de partir en
mission.
Susana Malcorra quand elle était numéro 2 de l'ONU, en 2015 © UN Photos
«Avant, le personnel pouvait passer sa vie dans
le même département. Maintenant, au bout de cinq
ans,ildoit candidater pour un autre poste.Cela peut
être dansle mêmeservice voire dans le même bureau,
mais à un autre poste. À l'origine,c’est une bonne idée
qui nous permet d’évoluer et de progresser au sein
de l’Organisation, mais s’il n’y a pas d’autres postes
intéressants ou s’il faut attendre qu’ils se libèrent,
comment fait-on ? Où va-t-on ? On nous explique que
nous pouvons partir en mission, si nous le désirons.
Or non seulement la sélection est lente et compliquée,
mais tout le monde sait que quitter le siège, c’est
l’assurance d’un aller simple. Lorsque vous revenez,
vous n’avez plus de bureau, plus de travail. Et qu’en
est-il de ceux qui ont des familles, des enfants en bas
âge ? », s’inquiète une fonctionnaire nordique.
Heureusement, comme souvent à l’ONU, la mise en
œuvre de telles réformes est compliquée et ne convainc
personne. « C’est un peu comme regarder Donald
Trump déclarer qu’il va construire un mur et le
faire payer par le gouvernement mexicain. Susana
entreprend, puis laisse tout en plan. On s’aperçoit
que les réformes sont irréalisables, et c’est quelqu’un
d’autre qui paie les pots cassés. Au bout du compte,
personne n’est tenu pour responsable et personne ne
peut dire qui a pris les décisions», s’indigne un ancien
d’OIOS.
[[lire_aussi]]
C’est peu de dire que la quasi-majorité du personnel
serait fort marrie de la voir revenir dans la peau d’un
secrétaire général. Pour ceux qui en doutaient encore,
et bien qu’elle ne se soit pas encore officiellement
déclarée candidate, Susana a bel et bien entamé la
chasse au soutien politique auprès des pays membres.
Fin janvier, elle assistait à l’ouverture du 26e
sommet
de l’Union africaine à Addis-Abeba. « En temps que
ministre des affaires étrangères argentine, elle n’avait
aucune raison d’y assister, si ce n’est pour faire du
lobbying auprès des chefs d’État africains. Elle les a
tous rencontrés. À chacun, elle a tenu un langage très
clair : elle veut devenir le prochain secrétaire général
», commente un diplomate africain encore surpris par
sa présence.
La visite du président Obama à Buenos Aires, au mois
de mars 2016, aura probablement été l’occasion pour
Susana de lui faire part de ses ambitions. Reste à
voir de quelle façon elle va s’y prendre pour se faire
accepter par le reste des États membres, notamment
par la Russie, la France et la Chine. Pour ce qui
concerne la Grande-Bretagne, gageons qu’après la
décision qu’elle a prise, le 26 mars dernier, d’intégrer
le plateau continental argentin aux Malouines, les
Anglais auront du mal à la soutenir. Pour l’heure,
Susana est entrée en campagne. Sans bruit. À son
rythme, mais avec cette détermination farouche dont
elle a toujours fait preuve. A-t-elle pour autant ses
chances ? Pourrait-elle être le joker de dernière
minute ? «Si les membres permanents ne trouvent pas
chaussure à leur pied du côté de l’Europe de l’Est,
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s’il n’y a pas de consensus sur un(e) candidat(e),
pourquoi pas ? » estime un analyste politique qui
ajoute : « Les questions que nous devrions nous poser
sont les suivantes : pourquoi a-t-elle été nommée
si soudainement ministre des affaires étrangères et
pour quelle raison, si ce n’est pour lui permettre
d’acquérir une crédibilité qui lui manquait sur la
scène internationale ? »
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Directeur éditorial : François Bonnet
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS).
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  • 1. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 Susana Malcorra, la dame de fer qui voudrait succéder à Ban Ki-moon PAR CELHIA DE LAVARÈNE ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 14 AVRIL 2016 © UN Photos Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos Alors que la campagne pour le nouveau secrétaire général des Nations unies est officiellement lancée, l'ancienne chef de cabinet de Ban Ki-moon, devenue ministre des affaires étrangères en Argentine, pourrait créer la surprise. Portrait d'une femme avec autant de fidèles que d'ennemis. De notre correspondante à l'ONU.- Susana Malcorra, l’ex-chef de cabinet de Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU qui quittera ses fonctions fin 2016, a-t-elle des chances de lui succéder ? Bien qu’elle n’ait jusqu’à présent officiellement ni démenti, ni infirmé être intéressée par le job, il semblerait qu’elle y songe de plus en plus sérieusement. Pour preuve, bien qu’elle ne figure pas parmi les huit candidats les plus cités, et qu’elle n’appartienne pas à la zone géographique qui, selon une règle non écrite, stipule que c’est au tour de l’Europe de l’Est d’occuper le siège de secrétaire général, madame Malcorra est entrée en campagne. Qui est donc Susana Malcorra ? D’elle, on sait peu de chose. De mars 2012 à novembre 2015, en l’absence du secrétaire général de l’ONU, plus occupé à voyager aux quatre coins de la planète qu’à gérer les affaires courantes, elle a pourtant dirigé les Nations unies d’une poigne de fer. Ceux qui la vénèrent la disent ambitieuse, intelligente, souvent charmante. Ceux qui la haïssent – ils sont légion – la décrivent comme une femme rouée, rusée, manipulatrice, intrigante et opportuniste. «Elle représente l’archétype de la femme qui a réussi de façon spectaculaire dans un monde d’hommes. Elle a une façon intéressante d’appliquer ce qu’elle a perçu comme étant les règles en vigueur dans ce monde masculin », affirme un haut fonctionnaire qui l’a côtoyée pendant plus de sept ans. En mars 2008, Ban Ki-moon la nomme à la tête du département d’appui aux missions (DFS) avec le titre de secrétaire générale adjointe (USG). Elle devient responsable de 32 opérations de terrain (100 000 membres du personnel militaire, civil et de police) et supervise l’intendance et la logistique (communications, matériels, rations pour les troupes). Sous sa férule, le DFS prend de l’importance et du pouvoir. Le département a un droit de regard sur tous les contrats et décide si les compagnies qui ont répondu aux appels d’offres satisfont aux critères exigés par le cahier des charges. Pas étonnant que beaucoup de compagnies fassent du lobbying auprès de son département. A-t-elle favorisé des compagnies, comme le suggèrent certains, sans toutefois apporter de preuves ? Ce qui est sûr, c’est que la dame sait manœuvrer, chaque poste lui servant de tremplin. Susana Malcorra : à gauche, la ministre des affaires étrangères de l'Argentine en 2016, à droite la chef de cabinet de l'ONU en 2015 © UN Photos Avant de rejoindre le Secrétariat (QG des Nations unies à New York), Susana a servi en tant que directrice exécutive adjointe au Programme alimentaire mondial (PAM) où elle supervisait les opérations humanitaires d'urgence, les services de ressources humaines, du budget, des finances, de l’information, de la technologie, des télécommunications, de l’administration et de la sécurité. Déjà, elle avait la mainmise sur tout. Dans chaque poste qu’elle occupe, elle se constitue un solide réseau de fidèles, qu’elle n’hésitera pas à faire venir à ses côtés lorsque Ban Ki-moon en fera sa chef de cabinet. La dame sait manifestement y faire lorsqu’il s’agit de s’attacher la loyauté de son staff. Elle ne lésine pas sur les promotions, toujours dans un seul et même but : s’assurer le dévouement total de ses employés. Ainsi, lorsqu’en novembre 2015 elle quitte l’ONU pour prendre ses fonctions de ministre des affaires étrangères en Argentine, elle accorde une promotion à tous ses proches collaborateurs. Ceux qui ont travaillé
  • 2. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/4 à ses côtés au PAM et au DFS, pour la plupart des Sud-Américains, mais surtout et avant tout des fidèles. Un procédé qui lui permet d’être tenue au courant des faits et gestes de chacun. Au cas où elle reviendrait par la grande porte ? Si de nombreux fonctionnaires se sont émus de ces promotions, au 38e étage, celui où se trouvent les bureaux de Susana et ceux de Ban Ki-moon, elles n’étonnent personne. Les règles qui régissent l’exécutif sont différentes. Point n’est besoin de demander l’aval de qui que ce soit pour nommer et promouvoir un collaborateur. «Au 38e , il n’y a aucune transparence. Les proches du secrétaire général font ce qu’ils veulent. Même les postes à pourvoir, lorsqu’il y en a, ne sont pas publiés comme l’exige la règle pour les autres employés. Mais c’était la même chose du temps de Kofi Annan et des autres », précise, magnanime, une fonctionnaire au fait des us et coutumes de la Maison de verre. Ses compétences, Susana les a peaufinées puis affinées en Argentine, dans le secteur privé où elle a occupé pendant 25 ans des postes de direction, chez IBM puis chez Télécom. Chez IBM, elle a affronté une période particulièrement difficile. De hauts responsables du gouvernement argentin et des représentants d’IBM ont été accusés de corruption à grande échelle. Dans cet environnement élitiste, Susana – qui n’a jamais été impliquée dans le scandale – comprend vite que le pouvoir permet de se situer au-dessus des masses. «Elle apprend vite etretient tout», admet, admiratif, un de ses anciens collègues. Elle a parfaitement su utiliser ce qu’elle a appris dans le secteur privé et l’a adapté à la lourdeur bureaucratique des Nations unies. «J’ai apprécié travailler avec elle, car elle est extrêmement efficace. Elle prend les décisions que vous lui demandez de prendre. Aimerais-je être son conseiller ou faire partie de son équipe ? Sûrement pas », admet un onusien qui l’a pratiquée pendant des années. Une anecdote résume parfaitement sa personnalité. Carman Lapointe, une Canadienne qui venait de prendre ses fonctions à la tête du bureau des services de contrôle interne (OIOS), devait participer à une conférence sur la lutte contre la corruption. Elle s’est désistée au dernier moment. Pris de court, l’organisateur a décidé de solliciter Susana, qui a accepté après avoir demandé la liste des participants et découvert que parmi une pléiade d’invités importants, le commissaire de police de la ville de New York serait présent. « Elle a immédiatement compris que cet événement lui donnerait plus de visibilité. Que cela lui permettrait de rencontrer des personnes qui pourraient, par la suite, lui être utiles », commente un des participants, qui ajoute : «Elle savait qu’en tant que secrétaire générale adjointe, il était judicieux pour elle d’assister à cette conférence. Cela lui a conféré un prestige politique qu’elle n’avait pas encore acquis, dans un secteur très important pour les États membres. » Il y a encore peu, elle avait le soutien des États-Unis Tous ceux qui l’ont approchée sont unanimes : Susana Malcorra est incroyablement douée pour détecter les personnes susceptibles de la faire avancer sur l’échiquier de ses ambitions. Elle sait exactement à qui s’adresser. «Elle n’a pas son pareil pour détecter les failles d’un individu et s’en servir », se souvient un collègue. Elle pense sans cesse à ce qui sera bénéfique pour elle. Lorsqu’elle rencontre quelqu’un, elle le jauge et se demande si et comment elle pourra l’utiliser. On la sent prête à tout pour parvenir à ses fins. Non pas qu’elle soit dévorée par une ambition aveugle : elle est ambitieuse pour l’amour de l’ambition. Elle aime le pouvoir, les intrigues. Dans l’affaire des abus sexuels sur les enfants en République centrafricaine, elle n’a eu de cesse d’étouffer le scandale, sans se soucier des répercussions négatives que cela pourrait avoir sur l’ONU si cela venait à se savoir. «Elle n’a pas un seulinstant pensé aux enfants», précise Peter Gallo, un ancien d’OIOS. Vindicative, elle s’est acharnée sur Anders Kompass et sur tous ceux qui ont essayé de faire éclater la vérité. Une erreur d’appréciation dont personne, à ce jour, ne l’a tenue pour responsable. «C’est dans ses gènes. Elle adore tirer les ficelles. Elle aime manipuler. C’est une tueuse, un peu comme le serait un homme qui veut réussir et qui s’en donne les moyens. A contrario, elle se transforme instantanément en femme
  • 3. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/4 douce ou en intellectuelle si cela sert ses ambitions. C’est un caméléon », explique, admiratif, un diplomate occidental. «Elle a de bonnes idées – qui lui viennent probablement du temps où elle travaillait dans le secteur privé –, mais un grand nombre d’entre elles n’ont jamais dépassé le stade des idées parce qu'impossibles à réaliser. Elle n’est pas créative », assure un de ses ex-collaborateurs qui a, depuis, démissionné. Il y a encore peu, elle avait le soutien des États-Unis. Il semble que cela ne soit plus le cas. Pourtant, elle leur a donné toute satisfaction en imposant des réformes, au risque de se mettre à dos tout le personnel onusien. Un exemple mémorable : la mobilité obligatoire au bout de cinq ans, pour l’ensemble des membres du personnel, quel que soit leur rang – y compris pour les secrétaires généraux adjoints. Une idée innovante du secrétaire général, soutenue par Susana qui devait la mettre en vigueur. Au départ, cette réforme devait permettre au personnel de ne pas « s’encroûter », et à l’Organisation de faire des économies, puisque les services devaient fonctionner d’après un système de rotation – certains membres du personnel choisissant de partir en mission. Susana Malcorra quand elle était numéro 2 de l'ONU, en 2015 © UN Photos «Avant, le personnel pouvait passer sa vie dans le même département. Maintenant, au bout de cinq ans,ildoit candidater pour un autre poste.Cela peut être dansle mêmeservice voire dans le même bureau, mais à un autre poste. À l'origine,c’est une bonne idée qui nous permet d’évoluer et de progresser au sein de l’Organisation, mais s’il n’y a pas d’autres postes intéressants ou s’il faut attendre qu’ils se libèrent, comment fait-on ? Où va-t-on ? On nous explique que nous pouvons partir en mission, si nous le désirons. Or non seulement la sélection est lente et compliquée, mais tout le monde sait que quitter le siège, c’est l’assurance d’un aller simple. Lorsque vous revenez, vous n’avez plus de bureau, plus de travail. Et qu’en est-il de ceux qui ont des familles, des enfants en bas âge ? », s’inquiète une fonctionnaire nordique. Heureusement, comme souvent à l’ONU, la mise en œuvre de telles réformes est compliquée et ne convainc personne. « C’est un peu comme regarder Donald Trump déclarer qu’il va construire un mur et le faire payer par le gouvernement mexicain. Susana entreprend, puis laisse tout en plan. On s’aperçoit que les réformes sont irréalisables, et c’est quelqu’un d’autre qui paie les pots cassés. Au bout du compte, personne n’est tenu pour responsable et personne ne peut dire qui a pris les décisions», s’indigne un ancien d’OIOS. [[lire_aussi]] C’est peu de dire que la quasi-majorité du personnel serait fort marrie de la voir revenir dans la peau d’un secrétaire général. Pour ceux qui en doutaient encore, et bien qu’elle ne se soit pas encore officiellement déclarée candidate, Susana a bel et bien entamé la chasse au soutien politique auprès des pays membres. Fin janvier, elle assistait à l’ouverture du 26e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. « En temps que ministre des affaires étrangères argentine, elle n’avait aucune raison d’y assister, si ce n’est pour faire du lobbying auprès des chefs d’État africains. Elle les a tous rencontrés. À chacun, elle a tenu un langage très clair : elle veut devenir le prochain secrétaire général », commente un diplomate africain encore surpris par sa présence. La visite du président Obama à Buenos Aires, au mois de mars 2016, aura probablement été l’occasion pour Susana de lui faire part de ses ambitions. Reste à voir de quelle façon elle va s’y prendre pour se faire accepter par le reste des États membres, notamment par la Russie, la France et la Chine. Pour ce qui concerne la Grande-Bretagne, gageons qu’après la décision qu’elle a prise, le 26 mars dernier, d’intégrer le plateau continental argentin aux Malouines, les Anglais auront du mal à la soutenir. Pour l’heure, Susana est entrée en campagne. Sans bruit. À son rythme, mais avec cette détermination farouche dont elle a toujours fait preuve. A-t-elle pour autant ses chances ? Pourrait-elle être le joker de dernière minute ? «Si les membres permanents ne trouvent pas chaussure à leur pied du côté de l’Europe de l’Est,
  • 4. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 4 4/4 s’il n’y a pas de consensus sur un(e) candidat(e), pourquoi pas ? » estime un analyste politique qui ajoute : « Les questions que nous devrions nous poser sont les suivantes : pourquoi a-t-elle été nommée si soudainement ministre des affaires étrangères et pour quelle raison, si ce n’est pour lui permettre d’acquérir une crédibilité qui lui manquait sur la scène internationale ? » Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 28 501,20€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Gérard Cicurel, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart. Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris Courriel : contact@mediapart.fr Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08 Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90 Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions simplifiée au capital de 28 501,20€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris. Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012 Paris.