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Si les fonctionnaires expriment leurs sentiments sans
langue de bois (off the record tout de même : Ban
a beau être sur la dernière ligne droite, la culture
du silence qu’il a instaurée perdure), les diplomates
tentent dans un premier temps de lui trouver quelques
qualités avant d’avouer que son bilan négatif et
son manque de charisme et d’autorité ont largement
contribué à ternir l’image de l’ONU. Quelques-uns
lui reprochent d’avoir voulu faire de la diplomatie
à tout prix. Et d’avoir voulu plaire non seulement
aux P5 (les cinq membres permanents du Conseil de
sécurité : Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni,
Russie) mais à tous les États, surtout les plus riches.
« Auparavant, seuls les P5 appelaient le secrétaire
général pour lui imposer leurs diktats. Maintenant, ils
le font tous : l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats,
le Congo. Avant, on se plaignait entre nous : les États-
Unis ont fait cela, la France exige ceci. Dorénavant,
tout le monde impose ses vues au secrétaire général
qui cède sur pratiquement tout. Si le prochain est
comme Ban Ki-moon, alors ce n’est pas la peine
d’en choisir un nouveau. Autant prendre un petit
fonctionnaire à qui on dictera sa conduite, et basta ! »,
ironise le représentant permanent d’un pays nordique.
Sa réticence à critiquer les violations des droits
de l’homme commises par des pays « alliés », en
particulier la Chine ou la Turquie, en est le parfait
exemple. « Nous savons pertinemment que l’actuel
secrétaire général a été choisi précisément par les
Américains parce qu’il aurait le doigt sur la couture
du pantalon, qu’il ne s’opposerait à aucune des
décisions prises par les P5 qui ne voulaient pas d’un
second Kofi Annan, à leurs yeux trop charismatique et
trop indépendant », affirme un diplomate lusophone.
C’est un fait que le pouvoir du patron de l’ONU
est limité. Toutefois, grâce à l’article 99 de la
Charte qui stipule que « le secrétaire général peut
attirer l’attention du Conseil sur les situations de
conflits qui font peser de graves menaces sur la
paix et la sécuritéinternationales », il a la possibilité
d’intervenir auprès des États membres. Sur la Crimée,
il s’est tu. Probablement pour ne pas déplaire à
Vladimir Poutine. Sur la question des réfugiés, on ne
l’a pas beaucoup entendu non plus.
« Il y a des tas d’endroits dans le monde où l’ONU
fait aujourd’hui profil bas : en Syrie, en Libye, pour
ne citer que ces deux pays. Par conséquent, la parole
de son secrétaire général n’est pas respectée, encore
moins écoutée. C’est facile de dire “Ce n’est pas de
ma faute,c’est celledes États”. OK, mais alors, que
fait-il ? Il aurait dû être plus proactif », s’emporte le
diplomate d’un pays qui ne compte que lorsqu’il y a
un vote à l’Assemblée générale.
« Il n’a jamais vraiment eu d’interaction avec
les P5. Il s’est contenté d’un déjeuner par mois.
Peut-être aurait-il dû assister un peu plus aux
réunions du Conseil. Ce que j’en retiendrai, c’est
sa méconnaissance totale des dossiers, son manque
de vision sur les idéaux de l’ONU, sur ce que
doit être l’ONU. Il n’a rien compris au projet
collectif. Il laissera une structure administrative à
bout de souffle, et un personnel démotivé. Il n’y a
jamais eu autant de démissions que sous son ère »,
affirme un diplomateeuropéen.
« Une immense maladresse et un manque de
courage »
Pour un haut fonctionnaire allemand, ce qu’on
retiendra de Ban Ki-moon, ce sont « une immense
maladresse et un manque de courage évident sur des
dossiers sensibles tels que le Sahara occidental, le
processus de paix au Moyen-Orient ou le Yémen, sans
bien sûr oublier la Syrie. Il ne s’est jamais vraiment
impliqué, ou alors en prenant garde à ne pas déplaire
aux dirigeants des pays concernés ».
« Faux », s’insurge son porte-parole : « Ban aurait
très bien pu ne pas remplacer Annan ou Brahimi [ses
envoyés spéciaux – ndlr]. Il y a eu des moments
au cours de ces 18 derniers mois où beaucoup de
diplomates disaient à Staffan de Mistura qu’il devrait
démissionner. Pourtant, malgré cela, il a continué
de prôner la voie diplomatique. Il a été extrêmement
dur et direct dans ses critiques du gouvernement de
Damas, probablement plus direct et plus dur que
quelques-uns de ses prédécesseurs dans des situations
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de dangereuse. Si ce projet ne fait pas l’unanimité,
c’est avant tout pour des raisons d’ordre pratique.
Qu’adviendra-t-il de la famille du fonctionnaire qui
rejoint les rangs d’une mission ici ou là ? Elle
devra partir soit pour son pays d’origine, soit pour
le lieu d’affectation du fonctionnaire, si la situation
sécuritaire le permet (les familles bénéficient du visa
G4 du fonctionnaire international et ne peuvent, par
conséquent, pas rester sur le sol américain après son
départ). Car une fois parti du siège, impossible d’y
revenir et de retrouver son poste. On comprend mieux
la grogne des fonctionnaires. Le système devrait être
obligatoire en 2017. Pour l’heure, il fonctionne sur la
base du volontariat.
Pour beaucoup, Ban Ki-moon restera l’homme qui fut
conforme à ce que les États-Unis attendaient de lui.
Pour tous, il restera avant tout « l’homme invisible »,
un surnom dont l’avait affublé la presse américaine
il y a quelques années, devant ses déplacements à
répétition. Du 1er
janvier 2007, date de son entrée en
fonctions, à ce jour, on dénombre environ plus de 600
voyages, soit deux fois voire trois fois plus que Kofi
Annan, qu’il avait pourtant critiqué lors de sa prise
de fonctions pour avoir « abusé des voyages ». Le
seul risque qu’il ait pris, dit-on, c’est celui que les
historiens et la presse disent que son passage à la tête
de l’Organisation fut médiocre.
« Je crois que les critiques contre lui sont un peu
racistes. Il vient d’une autre culture. Il aime les
Nations unies. Ses livres, lorsqu’il était à l’école
et qu’il n’avait pas de toit, lui étaient donnés par
l’Unesco. La nourriture venait des Nations unies.
Pour ce qui concerne ses capacités de communicant,
il est souvent mieux en petit comité que devant une
grande foule. Je l’ai vu parler à des familles de
réfugiés et de migrants, raconter son enfance pendant
la guerre de Corée. Ils l’ont écouté attentivement
parce qu’il est authentique », estime son porte-
parole.Selon lui, Ban Ki-moon est quelqu’un qui n’a
pas été assez connu, ni assez apprécié. « Il a fait toute
sa carrière en Corée. Il vient de cette culture où on
ne se met jamais en avant. Or les Nations unies sont
basées dans la capitale médiatique du monde et lui,
contrairement à son prédécesseur, ne sort pas en ville
avec sa femme, ni à l’opéra ou au théâtre. »
Contrairement à ses collègues diplomates qui ont
choisi de commenter le passage de Ban Ki-moon à
la tête de l’ONU en off, Peter Wilson, le représentant
permanent adjoint de la Mission britannique, a préféré
le faire en on : « Au cours de ces dix dernières
années, Ban Ki-moon a œuvré sans relâche pour
l'Organisation des nations unies. Sous son égide, toute
la communauté internationale s’est mise d’accord
sur de nouveaux objectifs de développement durable.
Il y a eu l'Accord de Paris sur les changements
climatiques et son implication personnelle en vue
d'améliorer l'égalité et les droits des homosexuels.
» Des mots en parfait décalage avec ceux prononcés
par ses collègues.
La grande majorité des fonctionnaires et quelques
diplomates rêvent de voir quelqu’un de la trempe
d’Antonio Guterres, ancien premier ministre
portugais, ancien haut commissaire de l’ONU pour
les réfugiés, prendre les rênes de la maison de verre.
Un homme intègre, disent-ils, qui ne pratique pas
la langue de bois et qui donnera, ils en sont sûrs,
une nouvelle impulsion à l’ONU. Quel qu’il soit, le
prochain secrétaire général devra gérer des rapports de
force de plus en plus compliqués en raison des conflits
et composer avec un Conseil de sécurité sur lequel
souffle depuis quatre ans, depuis la guerre en Libye et
le renversement de Kadhafi, un vent de guerre froide.
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