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Texte n° 1- Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857                            Texte n° 2 - Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

     XVII - LA    BEAUTÉ                                                            XLIII - HARMONIE DU           SOIR
                                                                                    Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
     Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,                            Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
     Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,                              Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
     Est fait pour inspirer au poète un amour                                       Valse mélancolique et langoureux vertige !
     Eternel et muet ainsi que la matière.                                          Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
                                                                                    Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
     Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
                                                                                    Valse mélancolique et langoureux vertige !
     J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
                                                                                    Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
     Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
     Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.                                    Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
                                                                                    Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
     Les poètes, devant mes grandes attitudes,                                      Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
     Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,                           Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
     Consumeront leurs jours en d’austères études ;
                                                                                    Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
     Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,                                    Du passé lumineux recueille tout vestige !
     De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :                           Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
     Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !                             Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !


  Texte n° 5 - Ch. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869

                  XXXIII - ENIVREZ-VOUS!

Il faut être toujours ivre. Tout est là: c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous
penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

 Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.

    Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous
réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce
qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau,
l'horloge, vous répondront: "Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; enivrez-vous
sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
Texte n° 3- Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861 - La Chevelure   Texte n° 4- Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869 - Un Hémisphère dans une chevelure
   Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure!
   Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir!                         Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y
   Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure                 plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source,
   Des souvenirs dormant dans cette chevelure,                   et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des
   Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir!               souvenirs dans l'air.
   La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
   Tout un monde lointain, absent, presque défunt,                  Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que
   Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!                   j'entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme
   Comme d'autres esprits voguent sur la musique,                des autres hommes sur la musique.
   Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.
   J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,             Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils
   Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;               contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de
   Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!                  charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère
   Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
   De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:
                                                                 est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

   Un port retentissant où mon âme peut boire                        Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants
   A grands flots le parfum, le son et la couleur                 mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de
   Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire
   Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
                                                                 toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel
   D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.                  immense où se prélasse l'éternelle chaleur.
   Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse                         Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues
   Dans ce noir océan où l'autre est enfermé;
   Et mon esprit subtil que le roulis caresse
                                                                 heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par
   Saura vous retrouver, ô féconde paresse,                      le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes
   Infinis bercements du loisir embaumé!                          rafraîchissantes.
   Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues
   Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;
                                                                     Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à
   Sur les bords duvetés de vos mèches tordues                   l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de
   Je m'enivre ardemment des senteurs confondues                 l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs
   De l'huile de coco, du musc et du goudron.                    combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.
   Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
                                                                     Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je
   Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
   Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde!
                                                                 mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des
   N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
                                                                 souvenirs.
   Où je hume à longs traits le vin du souvenir?
Texte n° 6 - Ch. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869




                     Any where out of the world


   Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer
de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu'il
guérirait à côté de la fenêtre.
   Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette
question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon
âme.
     "Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d'habiter
Lisbonne? Il doit y faire chaud, et tu t'y ragaillardirais comme un lézard.
Cette ville est au bord de l'eau; on dit qu'elle est bâtie en marbre, et que le
peuple y a une telle haine du végétal, qu'il arrache tous les arbres. Voilà un
paysage selon ton goût; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le
liquide pour les réfléchir!"
 Mon âme ne répond pas.
  "Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu
venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante? Peut-être te divertiras-tu
dans cette contrée dont tu as souvent admiré l'image dans les musées. Que
penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires
amarrés au pied des maisons?"
 Mon âme reste muette.
    "Batavia te sourirait peut-être davantage? Nous y trouverions d'ailleurs
l'esprit de l'Europe marié à la beauté tropicale."
 Pas un mot. - Mon âme serait-elle morte?
  "En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que
dans ton mal? S'il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de
la Mort.
- Je tiens notre affaire, pauvre âme! Nous ferons nos malles pour Tornéo.
  Allons plus loin encore, à l'extrême bout de la Baltique; encore plus loin de
  la vie, si c'est possible; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise
  qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit
  suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant.
  Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour
  nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs
  gerbes roses, comme des reflets d'un feu d'artifice de l'Enfer!"
   Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: "N'importe où!
n'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!"
Texte n° 7- F. RABELAIS, Pantagruel, 1532



                   Chapitre 8

Comment Pantagruel, à Paris, reçut une lettre de
son père Gargantua et la reproduction de celle-ci


Très cher fils,
[...]




                                                    [...]
Texte n° 8 - F. RABELAIS, Pantagruel, 1532
                    Chapitre 28
Comment Pantagruel couvrit toute une armée avec
  sa langue et ce que l’auteur vit dans sa bouche
 [...]




                                                    que je les ai nommés, car ils demeurent dans la gorge de
                                                    mon maître Pantagruel
Texte n° 9 - F. RABELAIS, Gargantua, 1534

                  Chapitre 25
    Comment un moine de Seuilly sauva le clos de
        l’abbaye du pillage des ennemis
[...]
Texte n° 10 - F. RABELAIS, Gargantua, 1534


                Chapitre 40
Comment le moine encourage ses compagnons et
     comment il resta pendu à un arbre
Texte n° 11 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre IV : Un père et un fils


!     En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ;
personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèces de géants qui, armés de
lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu"ils allaient porter à la scie. Tout
occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup
de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n"entendirent pas la voix de leur
père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la
place qu"il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l"aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à
cheval sur l"une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l"action de
tout le mécanisme Julien lisait. Rien n"était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-
être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de
celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui-
même.

!     Ce fut en vain qu"il appela Julien deux ou trois fois. L"attention que le jeune homme
donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l"empêcha d"entendre la terrible voix
de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l"arbre soumis à l"action
de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler
dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la
tête, en forme de calotte, lui fit perdre l"équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds
plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l"eussent brisé, mais son père
le retint de la main gauche, comme il tombait :
– Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de
garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne
heure.

!    Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son
poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur
physique que pour la perte de son livre qu"il adorait.

!      « Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore
Julien d"entendre cet ordre. Son père, qui était descendu, ne voulant pas se donner la
peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre des
noix, et l"en frappa sur l"épaule. À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le
chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu"il va me faire ! se
disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son
livre ; c"était celui de tous qu"il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène.

!     Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C"était un petit jeune homme de dix-
huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un
nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la
réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l"expression de la haine la plus
féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans
les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la
physionomie humaine, il n"en est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité
plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur.
Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient
donné l"idée à son père qu"il ne vivrait pas, ou qu"il vivrait pour être une charge à sa
famille. Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les
jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.
Texte n° 12 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre VI, L!Ennui        Texte n° 15 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 -
                                                                                         !        !        IIème partie chapitre XL, Le Jugement
      Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un
peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une
jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut          Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se
pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment           sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son
n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Mme de Rênal s’approcha, distraite        attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand
un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien,            le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il
tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce    se leva. Il voyait devant lui les yeux de Mme Derville qui, aux lumières,
dit tout près de son oreille :                                                           lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard? pensa-t-il.
– Que voulez-vous ici, mon enfant ?
      Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme          « Messieurs les jurés,
de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia
tout même ce qu’il venait faire. Mme de Rênal avait répété sa question.                        L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de
– Je viens pour être précepteur, Madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses           la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur
larmes qu’il essuyait de son mieux. Mme de Rênal resta interdite, ils étaient fort       d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est
près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu     révolté contre la bassesse de sa fortune.
et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Mme               Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en
de Rênal regardait les grosses larmes qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles      affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle
d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec      sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous
toute la gaieté folle d’une jeune fille, elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se    les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi
figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré          comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc
comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !        mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins
– Quoi, Monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin ?                              coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse
!     Ce mot de Monsieur étonna si fort Julien qu’il réfléchit un instant.               peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais
– Oui, Madame, dit-il timidement.                                                        cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en
      Mme de Rênal était si heureuse, qu’elle osa dire à Julien :                        quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer
– Vous ne gronderez pas trop ces pauvres enfants ?                                       une bonne éducation et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens
– Moi, les gronder, dit Julien étonné, et pourquoi ?                                     riches appelle la société.
– N’est-ce pas, Monsieur, ajouta-t-elle après un petit silence et d’une voix dont              Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de
chaque instant augmentait l’émotion, vous serez bon pour eux, vous me le                 sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois
promettez ?                                                                              point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement
      S’entendre appeler de nouveau Monsieur, bien sérieusement, et par une              des bourgeois indignés… »
dame si bien vêtue, était au-dessus de toutes les prévisions de Julien : dans tous
les châteaux en Espagne de sa jeunesse, il s’était dit qu’aucune dame comme il           Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait
faut ne daignerait lui parler que quand il aurait un bel uniforme. Mme de Rênal,         sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie,
de son côté, était complètement trompée par la beauté du teint, les grands yeux          bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien
noirs de Julien et ses jolis cheveux qui frisaient plus qu’à l’ordinaire, parce que      avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes.
pour se rafraîchir il venait de plonger la tête dans le bassin de la fontaine            Mme Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de
publique. À sa grande joie, elle trouvait l’air timide d’une jeune fille à ce fatal      finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à
précepteur, dont elle avait tant redouté pour ses enfants la dureté et l’air             l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il
rébarbatif. Pour l’âme si paisible de Mme de Rênal, le contraste de ses craintes et      avait pour Mme de Rênal… Mme Derville jeta un cri et s’évanouit.
de ce qu’elle voyait fut un grand événement. Enfin elle revint de sa surprise. Elle
fut étonné de se trouver ainsi à la porte de sa maison avec ce jeune homme
presque en chemise et si près de lui.
– Entrons, Monsieur, lui dit-elle d’un air assez embarrassé.
Texte n° 13 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre IX, Une soirée à la campagne

!    Le soleil en baissant, et rapprochant le moment décisif, fit                   !     Après un dernier moment d"attente et d"anxiété, pendant
battre le cœur de Julien d"une façon singulière. La nuit vint. Il                  lequel l"excès de l"émotion mettait Julien comme hors de lui,
observa, avec une joie qui lui ôta un poids immense de dessus                      dix heures sonnèrent à l"horloge qui était au-dessus de sa tête.
la poitrine, qu"elle serait fort obscure. Le ciel chargé de gros                   Chaque coup de cette cloche fatale retentissait dans sa
nuages, promenés par un vent très chaud, semblait annoncer                         poitrine, et y causait comme un mouvement physique.
une tempête. Les deux amies se promenèrent fort tard. Tout ce
qu"elles faisaient ce soir-là semblait singulier à Julien. Elles                   !     Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait
jouissaient de ce temps, qui, pour certaines âmes délicates,                       encore, il étendit la main et prit celle de Mme Rênal, qui la
semble augmenter le plaisir d"aimer.                                               retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu"il faisait, la saisit
                                                                                   de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la
!    On s"assit enfin, Mme de Rênal à côté de Julien, et Mme                        froideur glaciale de la main qu"il prenait ; il la serrait avec une
Derville près de son amie. Préoccupé de ce qu"il allait tenter,                    force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais
Julien ne trouvait rien à dire. La conversation languissait.                       enfin cette main lui resta.
Serai-je aussi tremblant, et malheureux au premier duel qui me
viendra ? se dit Julien, car il avait trop de méfiance et de lui et                 !    Son âme fut inondée de bonheur, non qu"il aimât Mme de
des autres pour ne pas voir l"état de son âme.                                     Rênal, mais un affreux supplice venait de cesser. Pour que
                                                                                   Mme Derville ne s"aperçût de rien, il se crut obligé de parler ;
!     Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent                      sa voix alors était éclatante et forte. Celle de Mme de Rênal,
semblé préférables. Que de fois ne désira-t-il pas voir survenir                   au contraire, trahissait tant d"émotion, que son amie la crut
à Mme de Rênal quelque affaire qui l"obligeât de rentrer à la                      malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger : si
maison et de quitter le jardin ! La violence que Julien était                      Mme de Rênal rentre au salon, je vais retomber dans la
obligé de se faire était trop forte pour que sa voix ne fût pas                    position affreuse où j"ai passé la journée. J"ai tenu cette main
profondément altérée ; bientôt la voix de Mme de Rênal devint                      trop peu de temps pour que cela compte comme un avantage
tremblante aussi, mais Julien ne s"en aperçut point. L"affreux                     qui m"est acquis.
combat que le devoir livrait à la timidité était trop pénible pour
qu"il fût en état de rien observer hors lui-même. Neuf heures
trois quarts venaient de sonner à l"horloge du château, sans
qu"il eût encore rien osé. Julien, indigné de sa lâcheté, se dit :
Au moment précis où dix heures sonneront, j"exécuterai ce
que, pendant toute la journée, je me suis promis de faire ce
soir, ou je monterai chez moi me brûler la cervelle.
Texte n° 14 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 -
     Ière partie chapitre XXVI : Le monde ou ce qu!il manque aux riches

     Stendhal - Le Rouge et le noir - Le séminaire (Première partie, chapitre XXVI)

     ! À la vérité, les actions importantes de sa vie étaient savamment conduites ; mais il ne
     soignait pas les détails, et les habiles au séminaire ne regardent qu"aux détails. Aussi
     passait-il déjà parmi ses camarades pour un esprit fort. Il avait été trahi par une foule de
     petites actions.
 5   ! À leurs yeux, il était convaincu de ce vice énorme, il pensait, il jugeait par lui-même,
     au lieu de suivre aveuglément l"autorité et l"exemple. L"abbé Pirard ne lui avait été
     d"aucun secours ; il ne lui avait pas adressé une seule fois la parole hors du tribunal de
     la pénitence, où encore il écoutait plus qu"il ne parlait. Il en eût été bien autrement s"il
     eût choisi l"abbé Castanède.
10      Du moment que Julien se fut aperçu de sa folie, il ne s"ennuya plus. Il voulut connaître
     toute l"étendue du mal, et, à cet effet, sortit un peu de ce silence hautain et obstiné avec
     lequel il repoussait ses camarades. Ce fut alors qu"on se vengea de lui. Ses avances
     furent accueillies par un mépris qui alla jusqu"à la dérision. Il reconnut que, depuis son
     entrée au séminaire, il n"y avait pas eu une heure, surtout pendant les récréations, qui
15   n"eût porté conséquence pour ou contre lui, qui n"eût augmenté le nombre de ses
     ennemis, ou ne lui eût concilié la bienveillance de quelque séminariste sincèrement
     vertueux ou un peu moins grossier que les autres. Le mal à réparer était immense, la
     tâche fort difficile. Désormais l"attention de Julien fut sans cesse sur ses gardes ; il
     s"agissait de se dessiner un caractère tout nouveau.
20        Les mouvements de ses yeux, par exemple, lui donnèrent beaucoup de peine. Ce
     n"est pas sans raison qu"en ces lieux-là on les porte baissés. Quelle n"était pas ma
     présomption à Verrières! se disait Julien, je croyais vivre ; je me préparais seulement à
     la vie ; me voici enfin dans le monde, tel que je le trouverai jusqu"à la fin de mon rôle,
     entouré de vrais ennemis. Quelle immense difficulté, ajoutait-il, que cette hypocrisie de
25   chaque minute ; c"est à faire pâlir les travaux d"Hercule! L"Hercule des temps modernes,
     c"est Sixte-Quint trompant quinze années de suite, par sa modestie, quarante cardinaux
     qui l"avaient vu vif et hautain pendant toute sa jeunesse.
         La science n"est donc rien ici! se disait-il avec dépit ; les progrès dans le dogme, dans
     l"histoire sacrée, etc., ne comptent qu"en apparence. Tout ce qu"on dit à ce sujet est
30   destiné à faire tomber dans le piège les fous tels que moi. Hélas! mon seul mérite
     consistait dans mes progrès rapides, dans ma façon de saisir ces balivernes. Est-ce
     qu"au fond ils les estimeraient à leur vraie valeur ? les jugent-ils comme moi ? Et j"avais
     la sottise d"en être fier! Ces premières places que j"obtiens toujours n"ont servi qu"à me
     donner des ennemis acharnés. Chazel, qui a plus de science que moi, jette toujours
35   dans ses compositions quelque balourdise qui le fait reléguer à la cinquantième place ;
     s"il obtient la première, c"est par distraction. Ah! qu"un mot, un seul mot de M. Pirard
     m"eût été utile!
     !     Du moment que Julien fut détrompé, les longs exercices de piété ascétique, tels
     que le chapelet cinq fois la semaine, les cantiques au Sacré-Cœur, etc., etc., qui lui
40   semblaient si mortellement ennuyeux, devinrent ses moments d"action les plus
     intéressants. En réfléchissant sévèrement sur lui-même, et cherchant surtout à ne pas
     s"exagérer ses moyens, Julien n"aspira pas d"emblée, comme les séminaristes qui
     servaient de modèle aux autres, à faire à chaque instant des actions significatives, c"est-
     à-dire prouvant un genre de perfection chrétienne. Au séminaire, il est une façon de
45   manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote.
Texte n° 16 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759                               Texte n° 17 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759



                             CHAPITRE III.                                                                  CHAPITRE VI.
                                                                                 Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre,
   Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint.                                 et comment Candide fut fessé.

Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux      Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les
armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons      sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une
formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons      ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par
renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté;               l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit
ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix          feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de
mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la        trembler.
raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout             On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa
pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui             commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le
tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant             lard: on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un
cette boucherie héroïque.                                                      pour avoir parlé, et l'autre pour l'avoir écouté avec un air d'approbation: tous
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum, chacun           deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur,
dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des   dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil: huit jours après ils furent
causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna          tous deux revêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier: la
d'abord un village voisin; il était en cendres: c'était un village abare que   mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées, et de
les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des            diables qui n'avaient ni queues ni griffes; mais les diables de Pangloss portaient
vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées,          griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession
qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles           ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique
éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros,          en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait; le
rendaient les derniers soupirs; d'autres à demi brûlées criaient qu'on         Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent
achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la         brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour
terre à côté de bras et de jambes coupés.                                      la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il appartenait à des      Candide épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-
Bulgares, et les héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours      même: «Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres?
marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva            passe encore si je n'étais que fessé, je l'ai été chez les Bulgares; mais, ô mon
enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions         cher Pangloss! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre, sans
dans son bissac, et n'oubliant jamais mademoiselle Cunégonde.                  que je sache pourquoi! Ô mon cher anabaptiste! le meilleur des hommes, faut-il
[...]                                                                          que vous ayez été noyé dans le port! Ô Mademoiselle Cunégonde! la perle des
                                                                               filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre!»
                                                                               Il s'en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous, et béni, lorsqu'une
                                                                               vieille l'aborda, et lui dit: «Mon fils, prenez courage, suivez-moi.»
Texte n° 18 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759

                                    CHAPITRE XIX.
     Ce qui leur arriva à Surinam, et comment Candide fit connaissance avec Martin.


[...] En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus
que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue; il manquait à ce
pauvre homme la jambe gauche et la main droite. Eh! mon Dieu! lui dit Candide en
hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois? J'attends mon
maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. Est-ce M.
Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi? Oui, monsieur, dit le nègre, c'est
l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année.
Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous
coupe la main: quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe: je me suis
trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.
Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle
me disait: Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre
heureux; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la
fortune de ton père et de ta mère. Hélas! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils
n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, et les perroquets, sont mille fois moins
malheureux que nous: les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les
dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas
généalogiste; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de
germain. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une
manière plus horrible.
O Pangloss! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination; c'en est fait, il
faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. Qu'est-ce qu'optimisme? disait
Cacambo. Hélas! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est
mal; et il versait des larmes en regardant son nègre; et en pleurant, il entra dans
Surinam. [...]
Texte n° 19 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759                           CHAPITRE XXII.         Ce qui arriva en France à Candide et à Martin.

[...]Après souper, la marquise mena Candide dans son cabinet, et le fit asseoir sur un canapé. Eh bien! lui dit-elle, vous aimez donc toujours éperdument mademoiselle
Cunégonde de Thunder-ten-tronckh? Oui, madame, répondit Candide. La marquise lui répliqua avec un souris tendre: Vous me répondez comme un jeune homme de
Vestphalie; un Français m'aurait dit: Il est vrai que j'ai aimé mademoiselle Cunégonde; mais en vous voyant, madame, je crains de ne la plus aimer. Hélas! madame, dit
Candide, je répondrai comme vous voudrez. Votre passion pour elle, dit la marquise, a commencé en ramassant son mouchoir; je veux que vous ramassiez ma
jarretière. De tout mon coeur, dit Candide; et il la ramassa. Mais je veux que vous me la remettiez, dit la dame; et Candide la lui remit. Voyez-vous, dit la dame, vous
êtes étranger; je fais quelquefois languir mes amants de Paris quinze jours, mais je me rends à vous dès la première nuit, parce qu'il faut faire les honneurs de son pays
à un jeune homme de Vestphalie. La belle ayant aperçu deux énormes diamants aux deux mains de son jeune étranger, les loua de si bonne foi, que des doigts de
Candide ils passèrent aux doigts de la marquise.
Candide, en s'en retournant avec son abbé périgourdin, sentit quelques remords d'avoir fait une infidélité à mademoiselle Cunégonde. M. l'abbé entra dans sa peine; il
n'avait qu'une légère part aux cinquante mille livres perdues au jeu par Candide, et à la valeur des deux brillants moitié donnés, moitié extorqués. Son dessein était de
profiter, autant qu'il le pourrait, des avantages que la connaissance de Candide pouvait lui procurer. Il lui parla beaucoup de Cunégonde; et Candide lui dit qu'il
demanderait bien pardon à cette belle de son infidélité, quand il la verrait à Venise.
Le Périgourdin redoublait de politesses et d'attentions, et prenait un intérêt tendre à tout ce que Candide disait, à tout ce qu'il fesait, à tout ce qu'il voulait faire.
Vous avez donc, monsieur, lui dit-il, un rendez-vous à Venise? Oui, monsieur l'abbé, dit Candide; il faut absolument que j'aille trouver mademoiselle Cunégonde.
Alors, engagé par le plaisir de parler de ce qu'il aimait, il conta, selon son usage, une partie de ses aventures avec cette illustre Vestphalienne.
Je crois, dit l'abbé, que mademoiselle Cunégonde a bien de l'esprit, et qu'elle écrit des lettres charmantes. Je n'en ai jamais reçu, dit Candide; car, figurez-vous qu'ayant
été chassé du château pour l'amour d'elle, je ne pus lui écrire; que bientôt après j'appris qu'elle était morte, qu'ensuite je la retrouvai, et que je la perdis, et que je lui ai
envoyé à deux mille cinq cents lieues d'ici un exprès dont j'attends la réponse.
L'abbé écoutait attentivement, et paraissait un peu rêveur. Il prit bientôt congé des deux étrangers, après les avoir tendrement embrassés. Le lendemain Candide reçut à
son réveil une lettre conçue en ces termes:«Monsieur mon très cher amant, il y a huit jours que je suis malade en cette ville; j'apprends que vous y êtes. Je volerais dans
vos bras si je pouvais remuer. J'ai su votre passage à Bordeaux; j'y ai laissé le fidèle Cacambo et la vieille, qui doivent bientôt me suivre. Le gouverneur de Buénos-
Ayres a tout pris, mais il me reste votre coeur. Venez; votre présence me rendra la vie ou me fera mourir de plaisir.»
Cette lettre charmante, cette lettre inespérée, transporta Candide d'une joie inexprimable; et la maladie de sa chère Cunégonde l'accabla de douleur. Partagé entre ces
deux sentiments, il prend son or et ses diamants, et se fait conduire avec Martin à l'hôtel où mademoiselle Cunégonde demeurait. Il entre en tremblant d'émotion, son
coeur palpite, sa voix sanglote; il veut ouvrir les rideaux du lit; il veut faire apporter de la lumière. Gardez-vous-en bien, lui dit la suivante; la lumière la tue; et soudain
elle referme le rideau. Ma chère Cunégonde, dit Candide en pleurant, comment vous portez-vous? si vous ne pouvez me voir, parlez-moi du moins. Elle ne peut parler,
dit la suivante, la dame alors tire du lit une main potelée que Candide arrose long-temps de ses larmes, et qu'il remplit ensuite de diamants, en laissant un sac plein d'or
sur le fauteuil.
Au milieu de ses transports arrive un exempt suivi de l'abbé périgourdin et d'une escouade. Voilà donc, dit-il, ces deux étrangers suspects? Il les fait incontinent saisir,
et ordonne à ses braves de les traîner en prison. Ce n'est pas ainsi qu'on traite les voyageurs dans Eldorado, dit Candide. Je suis plus manichéen que jamais, dit Martin.
Mais, monsieur, où nous menez-vous? dit Candide. Dans un cul de basse-fosse, dit l'exempt.
Martin, ayant repris son sang froid, jugea que la dame qui se prétendait Cunégonde était une friponne, monsieur l'abbé périgourdin un fripon, qui avait abusé au plus
vite de l'innocence de Candide, et l'exempt un autre fripon dont on pouvait aisément se débarrasser.
Plutôt que de s'exposer aux procédures de la justice, Candide, éclairé par son conseil, et d'ailleurs toujours impatient de revoir la véritable Cunégonde, propose à
l'exempt trois petits diamants d'environ trois mille pistoles chacun. Ah! monsieur, lui dit l'homme au bâton d'ivoire, eussiez-vous commis tous les crimes imaginables,
vous êtes le plus honnête homme du monde; trois diamants! chacun de trois mille pistoles! Monsieur! je me ferais tuer pour vous, au lieu de vous mener dans un
cachot. On arrête tous les étrangers, mais laissez-moi faire; j'ai un frère à Dieppe en Normandie; je vais vous y mener; et si vous avez quelque diamant à lui donner, il
aura soin de vous comme moi-même. [...]

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Textes bac 2011 sans dom juan

  • 1. Texte n° 1- Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857 Texte n° 2 - Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857 XVII - LA BEAUTÉ XLIII - HARMONIE DU SOIR Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ; Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ; Est fait pour inspirer au poète un amour Valse mélancolique et langoureux vertige ! Eternel et muet ainsi que la matière. Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ; Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ; Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ; Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! Les poètes, devant mes grandes attitudes, Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ; Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments, Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige. Consumeront leurs jours en d’austères études ; Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants, Du passé lumineux recueille tout vestige ! De purs miroirs qui font toutes choses plus belles : Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige… Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! Texte n° 5 - Ch. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869 XXXIII - ENIVREZ-VOUS! Il faut être toujours ivre. Tout est là: c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront: "Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
  • 2. Texte n° 3- Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861 - La Chevelure Texte n° 4- Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869 - Un Hémisphère dans une chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure! Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir! Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, Des souvenirs dormant dans cette chevelure, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir! souvenirs dans l'air. La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique! j'entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme Comme d'autres esprits voguent sur la musique, des autres hommes sur la musique. Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum. J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils Se pâment longuement sous l'ardeur des climats; contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève! charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts: est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Un port retentissant où mon âme peut boire Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants A grands flots le parfum, le son et la couleur mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues Dans ce noir océan où l'autre est enfermé; Et mon esprit subtil que le roulis caresse heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par Saura vous retrouver, ô féconde paresse, le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes Infinis bercements du loisir embaumé! rafraîchissantes. Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond; Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à Sur les bords duvetés de vos mèches tordues l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de Je m'enivre ardemment des senteurs confondues l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs De l'huile de coco, du musc et du goudron. combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco. Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde! mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde souvenirs. Où je hume à longs traits le vin du souvenir?
  • 3. Texte n° 6 - Ch. Baudelaire, Le Spleen de Paris, 1869 Any where out of the world Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu'il guérirait à côté de la fenêtre. Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme. "Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d'habiter Lisbonne? Il doit y faire chaud, et tu t'y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l'eau; on dit qu'elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu'il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir!" Mon âme ne répond pas. "Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l'image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons?" Mon âme reste muette. "Batavia te sourirait peut-être davantage? Nous y trouverions d'ailleurs l'esprit de l'Europe marié à la beauté tropicale." Pas un mot. - Mon âme serait-elle morte? "En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal? S'il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. - Je tiens notre affaire, pauvre âme! Nous ferons nos malles pour Tornéo. Allons plus loin encore, à l'extrême bout de la Baltique; encore plus loin de la vie, si c'est possible; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d'un feu d'artifice de l'Enfer!" Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: "N'importe où! n'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!"
  • 4. Texte n° 7- F. RABELAIS, Pantagruel, 1532 Chapitre 8 Comment Pantagruel, à Paris, reçut une lettre de son père Gargantua et la reproduction de celle-ci Très cher fils, [...] [...]
  • 5. Texte n° 8 - F. RABELAIS, Pantagruel, 1532 Chapitre 28 Comment Pantagruel couvrit toute une armée avec sa langue et ce que l’auteur vit dans sa bouche [...] que je les ai nommés, car ils demeurent dans la gorge de mon maître Pantagruel
  • 6. Texte n° 9 - F. RABELAIS, Gargantua, 1534 Chapitre 25 Comment un moine de Seuilly sauva le clos de l’abbaye du pillage des ennemis [...]
  • 7. Texte n° 10 - F. RABELAIS, Gargantua, 1534 Chapitre 40 Comment le moine encourage ses compagnons et comment il resta pendu à un arbre
  • 8. Texte n° 11 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre IV : Un père et un fils ! En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèces de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu"ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n"entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu"il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l"aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur l"une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l"action de tout le mécanisme Julien lisait. Rien n"était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut- être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui- même. ! Ce fut en vain qu"il appela Julien deux ou trois fois. L"attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l"empêcha d"entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l"arbre soumis à l"action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l"équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l"eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait : – Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. ! Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique que pour la perte de son livre qu"il adorait. ! « Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d"entendre cet ordre. Son père, qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre des noix, et l"en frappa sur l"épaule. À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu"il va me faire ! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c"était celui de tous qu"il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène. ! Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C"était un petit jeune homme de dix- huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l"expression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il n"en est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné l"idée à son père qu"il ne vivrait pas, ou qu"il vivrait pour être une charge à sa famille. Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu.
  • 9. Texte n° 12 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre VI, L!Ennui Texte n° 15 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - ! ! IIème partie chapitre XL, Le Jugement Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l’esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son n’osait pas lever la main jusqu’à la sonnette. Mme de Rênal s’approcha, distraite attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une voix douce se leva. Il voyait devant lui les yeux de Mme Derville qui, aux lumières, dit tout près de son oreille : lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard? pensa-t-il. – Que voulez-vous ici, mon enfant ? Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme « Messieurs les jurés, de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout même ce qu’il venait faire. Mme de Rênal avait répété sa question. L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de – Je viens pour être précepteur, Madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur larmes qu’il essuyait de son mieux. Mme de Rênal resta interdite, ils étaient fort d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu révolté contre la bassesse de sa fortune. et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Mme Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en de Rênal regardait les grosses larmes qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous toute la gaieté folle d’une jeune fille, elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants ! mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins – Quoi, Monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin ? coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse ! Ce mot de Monsieur étonna si fort Julien qu’il réfléchit un instant. peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais – Oui, Madame, dit-il timidement. cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en Mme de Rênal était si heureuse, qu’elle osa dire à Julien : quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer – Vous ne gronderez pas trop ces pauvres enfants ? une bonne éducation et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens – Moi, les gronder, dit Julien étonné, et pourquoi ? riches appelle la société. – N’est-ce pas, Monsieur, ajouta-t-elle après un petit silence et d’une voix dont Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de chaque instant augmentait l’émotion, vous serez bon pour eux, vous me le sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois promettez ? point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement S’entendre appeler de nouveau Monsieur, bien sérieusement, et par une des bourgeois indignés… » dame si bien vêtue, était au-dessus de toutes les prévisions de Julien : dans tous les châteaux en Espagne de sa jeunesse, il s’était dit qu’aucune dame comme il Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait faut ne daignerait lui parler que quand il aurait un bel uniforme. Mme de Rênal, sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, de son côté, était complètement trompée par la beauté du teint, les grands yeux bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien noirs de Julien et ses jolis cheveux qui frisaient plus qu’à l’ordinaire, parce que avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. pour se rafraîchir il venait de plonger la tête dans le bassin de la fontaine Mme Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de publique. À sa grande joie, elle trouvait l’air timide d’une jeune fille à ce fatal finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à précepteur, dont elle avait tant redouté pour ses enfants la dureté et l’air l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il rébarbatif. Pour l’âme si paisible de Mme de Rênal, le contraste de ses craintes et avait pour Mme de Rênal… Mme Derville jeta un cri et s’évanouit. de ce qu’elle voyait fut un grand événement. Enfin elle revint de sa surprise. Elle fut étonné de se trouver ainsi à la porte de sa maison avec ce jeune homme presque en chemise et si près de lui. – Entrons, Monsieur, lui dit-elle d’un air assez embarrassé.
  • 10. Texte n° 13 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre IX, Une soirée à la campagne ! Le soleil en baissant, et rapprochant le moment décisif, fit ! Après un dernier moment d"attente et d"anxiété, pendant battre le cœur de Julien d"une façon singulière. La nuit vint. Il lequel l"excès de l"émotion mettait Julien comme hors de lui, observa, avec une joie qui lui ôta un poids immense de dessus dix heures sonnèrent à l"horloge qui était au-dessus de sa tête. la poitrine, qu"elle serait fort obscure. Le ciel chargé de gros Chaque coup de cette cloche fatale retentissait dans sa nuages, promenés par un vent très chaud, semblait annoncer poitrine, et y causait comme un mouvement physique. une tempête. Les deux amies se promenèrent fort tard. Tout ce qu"elles faisaient ce soir-là semblait singulier à Julien. Elles ! Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait jouissaient de ce temps, qui, pour certaines âmes délicates, encore, il étendit la main et prit celle de Mme Rênal, qui la semble augmenter le plaisir d"aimer. retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu"il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la ! On s"assit enfin, Mme de Rênal à côté de Julien, et Mme froideur glaciale de la main qu"il prenait ; il la serrait avec une Derville près de son amie. Préoccupé de ce qu"il allait tenter, force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais Julien ne trouvait rien à dire. La conversation languissait. enfin cette main lui resta. Serai-je aussi tremblant, et malheureux au premier duel qui me viendra ? se dit Julien, car il avait trop de méfiance et de lui et ! Son âme fut inondée de bonheur, non qu"il aimât Mme de des autres pour ne pas voir l"état de son âme. Rênal, mais un affreux supplice venait de cesser. Pour que Mme Derville ne s"aperçût de rien, il se crut obligé de parler ; ! Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent sa voix alors était éclatante et forte. Celle de Mme de Rênal, semblé préférables. Que de fois ne désira-t-il pas voir survenir au contraire, trahissait tant d"émotion, que son amie la crut à Mme de Rênal quelque affaire qui l"obligeât de rentrer à la malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger : si maison et de quitter le jardin ! La violence que Julien était Mme de Rênal rentre au salon, je vais retomber dans la obligé de se faire était trop forte pour que sa voix ne fût pas position affreuse où j"ai passé la journée. J"ai tenu cette main profondément altérée ; bientôt la voix de Mme de Rênal devint trop peu de temps pour que cela compte comme un avantage tremblante aussi, mais Julien ne s"en aperçut point. L"affreux qui m"est acquis. combat que le devoir livrait à la timidité était trop pénible pour qu"il fût en état de rien observer hors lui-même. Neuf heures trois quarts venaient de sonner à l"horloge du château, sans qu"il eût encore rien osé. Julien, indigné de sa lâcheté, se dit : Au moment précis où dix heures sonneront, j"exécuterai ce que, pendant toute la journée, je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brûler la cervelle.
  • 11. Texte n° 14 - STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830 - Ière partie chapitre XXVI : Le monde ou ce qu!il manque aux riches Stendhal - Le Rouge et le noir - Le séminaire (Première partie, chapitre XXVI) ! À la vérité, les actions importantes de sa vie étaient savamment conduites ; mais il ne soignait pas les détails, et les habiles au séminaire ne regardent qu"aux détails. Aussi passait-il déjà parmi ses camarades pour un esprit fort. Il avait été trahi par une foule de petites actions. 5 ! À leurs yeux, il était convaincu de ce vice énorme, il pensait, il jugeait par lui-même, au lieu de suivre aveuglément l"autorité et l"exemple. L"abbé Pirard ne lui avait été d"aucun secours ; il ne lui avait pas adressé une seule fois la parole hors du tribunal de la pénitence, où encore il écoutait plus qu"il ne parlait. Il en eût été bien autrement s"il eût choisi l"abbé Castanède. 10 Du moment que Julien se fut aperçu de sa folie, il ne s"ennuya plus. Il voulut connaître toute l"étendue du mal, et, à cet effet, sortit un peu de ce silence hautain et obstiné avec lequel il repoussait ses camarades. Ce fut alors qu"on se vengea de lui. Ses avances furent accueillies par un mépris qui alla jusqu"à la dérision. Il reconnut que, depuis son entrée au séminaire, il n"y avait pas eu une heure, surtout pendant les récréations, qui 15 n"eût porté conséquence pour ou contre lui, qui n"eût augmenté le nombre de ses ennemis, ou ne lui eût concilié la bienveillance de quelque séminariste sincèrement vertueux ou un peu moins grossier que les autres. Le mal à réparer était immense, la tâche fort difficile. Désormais l"attention de Julien fut sans cesse sur ses gardes ; il s"agissait de se dessiner un caractère tout nouveau. 20 Les mouvements de ses yeux, par exemple, lui donnèrent beaucoup de peine. Ce n"est pas sans raison qu"en ces lieux-là on les porte baissés. Quelle n"était pas ma présomption à Verrières! se disait Julien, je croyais vivre ; je me préparais seulement à la vie ; me voici enfin dans le monde, tel que je le trouverai jusqu"à la fin de mon rôle, entouré de vrais ennemis. Quelle immense difficulté, ajoutait-il, que cette hypocrisie de 25 chaque minute ; c"est à faire pâlir les travaux d"Hercule! L"Hercule des temps modernes, c"est Sixte-Quint trompant quinze années de suite, par sa modestie, quarante cardinaux qui l"avaient vu vif et hautain pendant toute sa jeunesse. La science n"est donc rien ici! se disait-il avec dépit ; les progrès dans le dogme, dans l"histoire sacrée, etc., ne comptent qu"en apparence. Tout ce qu"on dit à ce sujet est 30 destiné à faire tomber dans le piège les fous tels que moi. Hélas! mon seul mérite consistait dans mes progrès rapides, dans ma façon de saisir ces balivernes. Est-ce qu"au fond ils les estimeraient à leur vraie valeur ? les jugent-ils comme moi ? Et j"avais la sottise d"en être fier! Ces premières places que j"obtiens toujours n"ont servi qu"à me donner des ennemis acharnés. Chazel, qui a plus de science que moi, jette toujours 35 dans ses compositions quelque balourdise qui le fait reléguer à la cinquantième place ; s"il obtient la première, c"est par distraction. Ah! qu"un mot, un seul mot de M. Pirard m"eût été utile! ! Du moment que Julien fut détrompé, les longs exercices de piété ascétique, tels que le chapelet cinq fois la semaine, les cantiques au Sacré-Cœur, etc., etc., qui lui 40 semblaient si mortellement ennuyeux, devinrent ses moments d"action les plus intéressants. En réfléchissant sévèrement sur lui-même, et cherchant surtout à ne pas s"exagérer ses moyens, Julien n"aspira pas d"emblée, comme les séminaristes qui servaient de modèle aux autres, à faire à chaque instant des actions significatives, c"est- à-dire prouvant un genre de perfection chrétienne. Au séminaire, il est une façon de 45 manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote.
  • 12. Texte n° 16 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759 Texte n° 17 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759 CHAPITRE III. CHAPITRE VI. Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre, Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint. et comment Candide fut fessé. Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté; l'université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la trembler. raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant lard: on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un cette boucherie héroïque. pour avoir parlé, et l'autre pour l'avoir écouté avec un air d'approbation: tous Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum, chacun deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême fraîcheur, dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil: huit jours après ils furent causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna tous deux revêtus d'un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier: la d'abord un village voisin; il était en cendres: c'était un village abare que mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées, et de les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des diables qui n'avaient ni queues ni griffes; mais les diables de Pangloss portaient vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on chantait; le rendaient les derniers soupirs; d'autres à demi brûlées criaient qu'on Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu manger de lard furent achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour terre à côté de bras et de jambes coupés. la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable. Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il appartenait à des Candide épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui- Bulgares, et les héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours même: «Si c'est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres? marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva passe encore si je n'étais que fessé, je l'ai été chez les Bulgares; mais, ô mon enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions cher Pangloss! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre, sans dans son bissac, et n'oubliant jamais mademoiselle Cunégonde. que je sache pourquoi! Ô mon cher anabaptiste! le meilleur des hommes, faut-il [...] que vous ayez été noyé dans le port! Ô Mademoiselle Cunégonde! la perle des filles, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre!» Il s'en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous, et béni, lorsqu'une vieille l'aborda, et lui dit: «Mon fils, prenez courage, suivez-moi.»
  • 13. Texte n° 18 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759 CHAPITRE XIX. Ce qui leur arriva à Surinam, et comment Candide fit connaissance avec Martin. [...] En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. Eh! mon Dieu! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois? J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi? Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main: quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe: je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait: Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. Hélas! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, et les perroquets, sont mille fois moins malheureux que nous: les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germain. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. O Pangloss! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. Qu'est-ce qu'optimisme? disait Cacambo. Hélas! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal; et il versait des larmes en regardant son nègre; et en pleurant, il entra dans Surinam. [...]
  • 14. Texte n° 19 - VOLTAIRE, Candide ou l!optimisme, 1759 CHAPITRE XXII. Ce qui arriva en France à Candide et à Martin. [...]Après souper, la marquise mena Candide dans son cabinet, et le fit asseoir sur un canapé. Eh bien! lui dit-elle, vous aimez donc toujours éperdument mademoiselle Cunégonde de Thunder-ten-tronckh? Oui, madame, répondit Candide. La marquise lui répliqua avec un souris tendre: Vous me répondez comme un jeune homme de Vestphalie; un Français m'aurait dit: Il est vrai que j'ai aimé mademoiselle Cunégonde; mais en vous voyant, madame, je crains de ne la plus aimer. Hélas! madame, dit Candide, je répondrai comme vous voudrez. Votre passion pour elle, dit la marquise, a commencé en ramassant son mouchoir; je veux que vous ramassiez ma jarretière. De tout mon coeur, dit Candide; et il la ramassa. Mais je veux que vous me la remettiez, dit la dame; et Candide la lui remit. Voyez-vous, dit la dame, vous êtes étranger; je fais quelquefois languir mes amants de Paris quinze jours, mais je me rends à vous dès la première nuit, parce qu'il faut faire les honneurs de son pays à un jeune homme de Vestphalie. La belle ayant aperçu deux énormes diamants aux deux mains de son jeune étranger, les loua de si bonne foi, que des doigts de Candide ils passèrent aux doigts de la marquise. Candide, en s'en retournant avec son abbé périgourdin, sentit quelques remords d'avoir fait une infidélité à mademoiselle Cunégonde. M. l'abbé entra dans sa peine; il n'avait qu'une légère part aux cinquante mille livres perdues au jeu par Candide, et à la valeur des deux brillants moitié donnés, moitié extorqués. Son dessein était de profiter, autant qu'il le pourrait, des avantages que la connaissance de Candide pouvait lui procurer. Il lui parla beaucoup de Cunégonde; et Candide lui dit qu'il demanderait bien pardon à cette belle de son infidélité, quand il la verrait à Venise. Le Périgourdin redoublait de politesses et d'attentions, et prenait un intérêt tendre à tout ce que Candide disait, à tout ce qu'il fesait, à tout ce qu'il voulait faire. Vous avez donc, monsieur, lui dit-il, un rendez-vous à Venise? Oui, monsieur l'abbé, dit Candide; il faut absolument que j'aille trouver mademoiselle Cunégonde. Alors, engagé par le plaisir de parler de ce qu'il aimait, il conta, selon son usage, une partie de ses aventures avec cette illustre Vestphalienne. Je crois, dit l'abbé, que mademoiselle Cunégonde a bien de l'esprit, et qu'elle écrit des lettres charmantes. Je n'en ai jamais reçu, dit Candide; car, figurez-vous qu'ayant été chassé du château pour l'amour d'elle, je ne pus lui écrire; que bientôt après j'appris qu'elle était morte, qu'ensuite je la retrouvai, et que je la perdis, et que je lui ai envoyé à deux mille cinq cents lieues d'ici un exprès dont j'attends la réponse. L'abbé écoutait attentivement, et paraissait un peu rêveur. Il prit bientôt congé des deux étrangers, après les avoir tendrement embrassés. Le lendemain Candide reçut à son réveil une lettre conçue en ces termes:«Monsieur mon très cher amant, il y a huit jours que je suis malade en cette ville; j'apprends que vous y êtes. Je volerais dans vos bras si je pouvais remuer. J'ai su votre passage à Bordeaux; j'y ai laissé le fidèle Cacambo et la vieille, qui doivent bientôt me suivre. Le gouverneur de Buénos- Ayres a tout pris, mais il me reste votre coeur. Venez; votre présence me rendra la vie ou me fera mourir de plaisir.» Cette lettre charmante, cette lettre inespérée, transporta Candide d'une joie inexprimable; et la maladie de sa chère Cunégonde l'accabla de douleur. Partagé entre ces deux sentiments, il prend son or et ses diamants, et se fait conduire avec Martin à l'hôtel où mademoiselle Cunégonde demeurait. Il entre en tremblant d'émotion, son coeur palpite, sa voix sanglote; il veut ouvrir les rideaux du lit; il veut faire apporter de la lumière. Gardez-vous-en bien, lui dit la suivante; la lumière la tue; et soudain elle referme le rideau. Ma chère Cunégonde, dit Candide en pleurant, comment vous portez-vous? si vous ne pouvez me voir, parlez-moi du moins. Elle ne peut parler, dit la suivante, la dame alors tire du lit une main potelée que Candide arrose long-temps de ses larmes, et qu'il remplit ensuite de diamants, en laissant un sac plein d'or sur le fauteuil. Au milieu de ses transports arrive un exempt suivi de l'abbé périgourdin et d'une escouade. Voilà donc, dit-il, ces deux étrangers suspects? Il les fait incontinent saisir, et ordonne à ses braves de les traîner en prison. Ce n'est pas ainsi qu'on traite les voyageurs dans Eldorado, dit Candide. Je suis plus manichéen que jamais, dit Martin. Mais, monsieur, où nous menez-vous? dit Candide. Dans un cul de basse-fosse, dit l'exempt. Martin, ayant repris son sang froid, jugea que la dame qui se prétendait Cunégonde était une friponne, monsieur l'abbé périgourdin un fripon, qui avait abusé au plus vite de l'innocence de Candide, et l'exempt un autre fripon dont on pouvait aisément se débarrasser. Plutôt que de s'exposer aux procédures de la justice, Candide, éclairé par son conseil, et d'ailleurs toujours impatient de revoir la véritable Cunégonde, propose à l'exempt trois petits diamants d'environ trois mille pistoles chacun. Ah! monsieur, lui dit l'homme au bâton d'ivoire, eussiez-vous commis tous les crimes imaginables, vous êtes le plus honnête homme du monde; trois diamants! chacun de trois mille pistoles! Monsieur! je me ferais tuer pour vous, au lieu de vous mener dans un cachot. On arrête tous les étrangers, mais laissez-moi faire; j'ai un frère à Dieppe en Normandie; je vais vous y mener; et si vous avez quelque diamant à lui donner, il aura soin de vous comme moi-même. [...]