Voici l'histoire d'un séjour à Moruroa (archipel des Tuamotu - Polynésie française) de décembre 1963 à mars 1964. Ce séjour dans cette île complètement inconnue de nous à cette époque, n'est pas touristique mais bien agréable quand même.
J'ai une pensée émue pour ceux qui nous ont succédés en ces lieux : des milliers d'inconnus dont certains sont devenues mes amis, qui ont vécu des situations plus pénibles que la mienne et surtout ceux qui souffrent encore des conséquences de ce drame.
1. La ballade du soldat
Mânava i Moruroa nei… Parataito mo'e
(Bienvenue à Moruroa !… Paradis perdu)
2. 1er décembre 1963 :
Nous sommes dans les premiers jours de décembre 1963 et
notre section du 5ème RMP, génie-légion, s’apprête à embarquer
sur le TCD Foudre. Je dois dire qu’après plus de 4 mois de
chantier à Arue et de bringue « Quinn’s-La Fayette », un petit
séjour de 3 mois à Moruroa ne peut être que bénéfique pour
notre santé… et notre porte-monnaie.
3. Le 17 décembre 1963
Nous prenons la mer, beau
temps, mer calme et c’est la
découverte de la Royale et mon
premier voyage sur un bateau (en
dehors du Poti'i Moorea, entre
Papeete et Moorea). Il fait chaud
et avec mon ami Emile, nous
mettons nos matelas
pneumatiques sur le pont du
bateau pour dormir plutôt que
d’aller dans les coursives. Les
marins n’y volent aucun
inconvénient… nous sommes
reçus comme des touristes.
5. Le lendemain, nous longeons pendant presque toute la journée une
côte très basse couverte de cocotiers, sur la gauche Cela nous
parait irréel vu la longueur, en fait nous longeons les atolls de
Hereheretue, Anuanuraro, Anuanurunga, Nukutepipi et, un peu
plus loin, Tematangi.
6. Le jour suivant dans l’après-midi, nous arrivons à Moruroa… le
choc : multitude de poissons, oiseaux, crustacés, coraux,
cocotiers et plage de sable blanc à l’infini….
Lagon de Moruroa le 19/12/1963
7. Trois ou quatre sections de notre compagnie sont déjà sur les lieux
depuis août dernier. En majorité des légionnaires et quelques collègues
du génie. Coup de chance, c’est notre lieutenant (un gars formidable),
qui est responsable de l’intendance en plus de son travail au chantier.
Cela nous ouvrira les portes des cuisines…
Ma baraque Fillod
8. Notre premier chantier
Après notre installation et quelques menus travaux d’entretien, notre
premier chantier sera la construction de fare niau (maison en feuille de
cocotier tressée) à l’endroit le plus large de Moruroa où se trouve une
vieille maison en bois, un four à pain enterré dans le sable de corail et
un petit cimetière de deux ou trois tombes (témoins d’un drame ?)
11. Ensuite nous entreprendrons un chantier plus vaste, la construction du
foyer, grand bâtiment en Y, couvert de niau, avec un ponton sur le
lagon.
Le futur foyer, dont j'ai peint le dessous du ponton au goudron (très
agréable, en faisant la planche, mais j'étais pas beau à voir à la fin)
12. Les photos suivantes sont de Georges Pierrot, notre boulanger à
Moruroa, qui m'a autorisé à les publier. Elles sont nettement
meilleures que les miennes et n'ont pas subi le climat humide de
Tahiti depuis près d'un demi-siècle.
19. Nouveau chantier
Un hangar HV9 à un endroit éloigné où il n’y a plus de cocotiers et où la
mer communique avec le lagon à marée haute. Ce hangar HV9 se
situera à l’endroit du début de la future piste d’avion de l’atoll.
Repérage de la zone par un collègue
21. Travaux divers
Un des boulots les plus pénibles, était le déchargement de ciment de
la goélette Orohena. L’ouverture de la cale étant trop petite pour les
palettes ( ?), nous devions mettre les sacs de ciment dans un filet.
Une fois le filet rempli, celuici était transbordé par le
palan du bateau vers une
péniche de débarquement. Il
faut savoir que cela se
passait au milieu du lagon
faute de quai. Au bout d’une
heure, nous étions couverts
de ciment qui collait à la
peau avec la sueur ; Mais,
quelle joie, un plongeon
dans le lagon, nous rinçait et
c’était reparti pour un tour…
22. La vie de tous les jours.
Pour la douche, il y avait une bâche-réservoir d’eau, surélevée de 2,5
mètres. Au-dessous, étaient fixées des chasses d’eau de WC. Nous
tirions la chasse pour nous mouiller et après le savonnage, nous tirions
à nouveau sur la chasse pour nous rincer. Cette douche n’était ouverte
qu’une heure par jour, en fin de journée de travail. Les réserves d’eau
étaient amenées à Moruora par un bateau de la Royale spécialisé
23. Presque tout les dimanches, la venue du Bermuda de la RAI (Réseau
Aérien Interinsulaire) nous amène des produits frais, légumes, fruits,
viande,… et le courrier. Nous lisons rapidement les lettres reçues de nos
familles, les nôtres repartent par le même avion… Mais surtout nous
pensons aux améliorations de nos repas.
Si vous êtes l’auteur de cette photo, merci de me passer un message
24. Quoique ! Pratiquement
tous les jours du poisson
au menu, le poisson que
nous avions pêché la
veille au soir sur la
barrière côté océan ;
Certains jours,
langoustes ! Quand les
prises étaient peu
nombreuses, ces plats
étaient réservés à ceux
qui avaient participé à la
pêche (inutile de vous
dire que j’en faisais
toujours partie).
25. Je n’ai jamais vu de rat durant mon séjour. Par contre, il y avait des
bernard-l’ermite qui s’introduisaient dans notre baraque la nuit. Pour
les oiseaux, ils étaient peu variés (frégates, sternes,…) mais en très
grand nombres.
26.
27. Enfin, un bain dans le lagon était un spectacle inouï… nous
avions l’impression de nous baigner dans un aquarium.
Bec de canne (lethrinus = ‘o’eo)
28. L’eau était d’une telle clarté que nous voyons un fond de 20 mètres
avec précision. Quant j’étais sur un pinacle (colonne verticale de corail
au milieu du lagon), je touchais l’eau avant de plonger pour être sur
qu’elle se trouvait bien là. Et sur les pinacles, des belles huitres
nacrières grandes comme des assiettes.
29. Les loisirs
J’ai déjà eu l’occasion de parler de la pêche. Certains « dilettantes »
pêchaient pendant la journée côté lagon, comme notre coiffeur,
légionnaire italien, qui pêchait entre deux coupes de cheveux, avec
juste un fil enroulé autour d’une bouteille d’Hinano et un hameçon (je
dis bien, un hameçon, souvent sans appât). Pour nous, c’était le soir,
sur le platier côté océan, dans 50 cm d’eau. Nous étions une douzaine,
en ligne, équipés de nos chaussures « pataugas », un bâton à la main et
quelques lampes morigaz (lampe à pétrole sous pression avec manchon
lumineux). Il suffisait de donner un coup de bâton sur le poisson
endormi pour l’assommer, généralement tarau (loche) pahoro
(perroquet) et roï (mérou)… Quand nous trouvions une langouste,
immédiatement nous l’entourions et c’était à celui qui lui mettrait le
pied dessus le premier. Tout cela finissait dans nos sacs en caoutchouc
(sac de nos matelas pneumatiques).
30. Nous avons passé trois ou quatre week-ends sur des motu (îlots)
éloignés pour la pêche. Un chaland de débarquement nous y amenait le
samedi et venait nous rechercher le dimanche.
Un hoa, chenal peu profond entre l’océan et le lagon
33. Le 25 décembre, bien sur, la crèche de Noël avec les
légionnaires et « Joyeux Noël » en français et en allemand.
34. Le spectacle du coucher de soleil, avec les raies mantas qui
sautent hors de l’eau pour se débarrasser des parasites.
35. Le retour le 15 mars 1964
Et voilà, arrive ce jour où il faut quitter ce sol si accueillant… mais nous
sommes aussi content de retrouver bientôt Tahiti, ses dancings, ses
charmantes vahiné… et les copains.
Donc fin Mars, nous embarquons sur le Cheliff…
36. Nous ferons escale au large de Fangataufa pour débarquer du
personnel et du matériel par baleinière. Une journée de spectacle pour
nous et de travail périlleux pour les paumutu et les marins.
41. Nous retrouvons nos copains et… nos copines, évidemment. C’est
reparti pour les virées tardives Quinn’s, La Fayette, etc.…
Que fait ma vespa devant le Quinn’s !!!
42. Je suis affecté au bureau de solde de la marine, sis au rez-dechaussée du Grand Hôtel à Papeete.
43. CONCLUSION
Maintenant, quand j’y repense, je
crois que nous avons commis une
faute ; Pendant ces trois mois,
nous ne nous sommes jamais posé
la question de savoir ce que nous
étions venu faire ici…
Même pas : C’est un centre de
repos ? Un club de vacances pour
famille de militaire ? Une base de
sous-marin ?...
Comment aurions nous pu
imaginer que deux ans et demi
après…
l’enfer s’abattrait sur ce paradis ?
44. Photos (à l’exception de
celles qui sont notées) et
montage de Pierre
Le café pendant les pauses
est de Maiarii