1. est avec un verre de tannat à la main qu’il faut atterrir en Uruguay,dans les
méandres de la slow fashion d’Ana Livni. En prenant son temps, en voyageant dans
le passé ou en bondissant vers les tendances du futur.La côte compacte de ce petit
pays est idéale pour prendre la clé du temps ou des champs, c’est selon. Les plages
de la jet-set sont à deux pas des spots de surf les plus hippies.Version gypset, arty
ou rustique chic, le littoral a été dessiné pour le road trip parfait.
L’eau du fleuve La Plata se mélange doucement avec celle de l’océan à Punta del
Este. Le nouveau Saint-Barth. « Ici, s’arrête le monde des mortels », prévient le chauf-
feur. Les places sont chères sous le soleil. 700 emplacements de yachts, pas un de
plus, réservés des mois à l’avance. Une seule maison-bunker que George W. Bush,
Tony Blair ou Carlos Slim se disputent. Une seule suite royale pour la bagatelle de
7 000 dollars la nuit pour loger les DJ et chanteurs venus animer les beach clubs.
Ricky Martin, Bob Sinclar, Shakira, David Guetta s’y bousculent.
Que l’on vienne de Buenos Aires, la ciudad de la furia (la ville de la furie), ou direc-
tement de Paris, on est obligé de passer par la capitale du pays, Montevideo, une
bulle de calme Art déco qui semble s’être figée au tournant du xxe
siècle.Les palaces
des années 1920 se succèdent, à commencer par celui du quartier chic de Carrasco,
qui donne sur le fleuve le plus large du monde. Mecque de l’aristocratie locale, il a
accueilli Albert Einstein ou Federico García Lorca. Sofitel a réveillé l’âme du géant
endormi il y a deux ans,lui redonnant le faste de l’époque où l’on se pressait sous une
capeline pour assister aux plus somptueuses réceptions d’Amérique du Sud.
À peine le temps de passer la première que Punta del Este se profile, une heure
de route plus tard. Au cas où le voyageur n’aurait pas compris qu’il s’agit bien
LA MODE LOCALE D’ANA LIVNI
Pionnière du mouvement slow fashion,
elle est l’une des rares créatrices de
mode uruguayenne. Dans son atelier-
boutique, on découvre un savoir-faire
qui transforme les produits locaux et
s’affranchit du rythme des collections.
On suit alors depuis l’objet d’inspiration
– une radio cassette par exemple –, les
croquis de l’imprimé, la préparation des
teintures, le tissage main… Spécialisée
dans la laine, Ana vend ses créations à
Montevideo et à travers le monde.
www.analivni.com
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Villages arty, estancias luxueuses, front de mer authentique, nuits bouillonnantes,
palaces Art déco… La côte du plus petit pays d’Amérique du Sud offre l’essentiel
d’une vie gypset, à l’ombre des eucalyptus Texte: Camille Lavoix
À PUNTA DEL ESTE, LE SURF EST LE SPORT NATIONAL.
Espritbohème
URUGUAY
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2. du nouveau hot spot d’Amérique, les noms sont
évocateurs. Ainsi, le quartier des magnats brésiliens
s’appelle Beverly Hills. Ils ne viennent d’ailleurs pas
pour les plages, mais pour la sécurité légendaire de
la ville balnéaire. Leurs gamins sont enfin libres de
se balader en bicyclette sans une demi-douzaine de
gardes du corps.
Si les Européens sont relativement nouveaux dans
la région, les voisins latinos et les New-Yorkais raf-
folent de « Punta » depuis quinze ans. Donald Trump
construit la tour la plus luxueuse de la ville et, selon
les rumeurs, il aurait déjà vendu la moitié de ses
appartements (10 millions de dollars l’unité). Les
happy few estiment que le coin devient presque trop
connu. Déjà blasés de Punta del Este, ils se déplacent
LA DOUCEUR DE PUNTA DEL ESTE
Pour voir le meilleur coucher du soleil en écoutant les poèmes
enregistrés par le défunt poète Carlos Páez Vilaro, rendez-vous
à Casa Pueblo (photo), sublime hôtel imaginé par l’artiste : rêve
garanti à prix mini. Autre genre, autre budget. L’entrée de la
célèbre boîte Ovo de l’hôtel Conrad est quelque peu inaccessible,
150 €, comme Punta del Este en général. Mais rassurez-vous
mortels, il existe des bons plans à votre portée. La chef María
Elena Marfetán prépare une cuisine locale à prix doux, elle a reçu
entre autres Zidane, mais se fait un point d’honneur à donner les
quatre meilleures tables avec vue spectaculaire sur la baie et les
yachts aux premiers arrivés et avec une ristourne de 40 %.
www.clubhotelcasapueblo.com et www.lodetere.com
LE COIN SAUVAGE
DE CABO POLONIO
Si le village ravit la plupart des visiteurs,
ce n’est pas seulement pour son
étiquette de paradis naturel et hippie.
Cabo Polonio a su rester vrai. Chez Dani,
on déguste du requin sans doute attrapé
par Carlos, l’un des pêcheurs qui part
des nuits entières au large. Les deux
compères sont nés là, ont connu les
temps de la loberia (otaries). « J’ai tué
quelques lions de mer en les assommant
avec un bâton, du temps où l’on vendait
leur peau », assure le chef. La mère
de Carlos, Doña Rosa, doyenne de la
communauté, ne sort que pour se rendre
chez le docteur. La jeune Vicky, gérante
de l’auberge du Viejo Lobo, assure
de son côté que l’on « dort les portes
ouvertes et qu’on ne s’ennuie jamais ».
viejolobohostel.com et www.facebook.com/
lodedani.cabopolonio
MARTIN ET LES HAPPY FEW
DE LA PEDRERA
Un village de campagne sur la mer. En
ces termes, le sculpteur Martin Arteaga
définit La Pedrera. Un des premiers
artistes à débarquer en 1993, il a lancé
les fiestas électro dans sa maison-
atelier en 2000. Aujourd’hui, il se plaint
presque que La Pedrera soit devenue
un lieu branché. « En 1998, on était
50 fous à défiler, maintenant
30 000 personnes viennent
au carnaval du mois de février. »
www.martinarteaga.com
LE PHÉNOMÈNE JEAN-PAUL
Théâtral, excessivement agaçant et doué, la réputation du cuisinier
français le précède. Jean-Paul Bondoux a flairé Punta del Este il y a
trente ans, avant que le lieu n’explose. Son restaurant relais-château
La Bourgogne est l’un des seuls à résister à toutes les modes. Non
content de sa place de leader chez la jet-set de Punta del Este,
il a implanté ses établissements dans 15 villes d’Amérique latine !
À Jose Ignacio, il pétrit le pain dans son épicerie fine en le comparant
bruyamment aux seins d’une femme, comme tous ses plats, et sert
quelques assiettes dans une ambiance de cabanon informel, entre
un potager, deux hamacs et le gratin de l’été.
www.relaischateaux.com
ESTANCIA VIK,
LE RUSTIQUE CHIC
La meilleure option
de toute la côte pour
vivre une expérience de
gaucho, au milieu des
champs de Jose Ignacio,
dans une estancia
incomparable, tout en
étant à deux pas de
la fiesta. La première
estancia voisine est celle
de Shakira, ça ne trompe
pas. Carte blanche a été
donnée aux plus grands
artistes uruguayens
pour décorer chacun
une chambre ou pièce
de la grande bâtisse
traditionnelle. Même
les chevaux ont l’air
entraîné pour poser
dans ce tableau sans
fausse note.
estanciavikjoseignacio.com
toujours plus au nord, loin des gratte-ciel et préfèrent
désormais le village de Jose Ignacio, à 30 kilomètres.
Ici, on ne donne pas les noms des visiteurs, ou alors
quelques années après. Brad Pitt et Angelina Jolie par
exemple. On dit tout bas que « la voisine est une actrice
française extrêmement connue », et on reconnaît tout de
même que le ciel est une « véritable autoroute d’hélicop-
tères en pleine saison ». Pas de casino ni de gratte-ciel
à Jose Ignacio. Les estancias entourées des meilleurs
chevaux de polo offrent des hectares de champs buco-
liques qui débouchent sur la mer et les lagunes. Le
calme est assourdissant, on entend crisser l’herbe sous
les pieds pendant la journée, rien ne trouble la pampa,
occasionnellement traversée par quelques gauchos,
les cow-boys régionaux, béret vissé sur la tête.
FÊTES POUR HIPPIES STARS
La nuit, c’est une autre histoire. La file d’attente au
petit matin pour acheter les medialunas (demi-lunes),
les croissants du coin,pour un prix astronomique n’est
qu’une petite indication de la folie nocturne.
Toujours plus au nord, La Pedrera et La Paloma
affichent des couleurs résolument arty. Les hippies
chics aiment côtoyer les musiciens en vogue comme
Jorge Drexler. On valorise les propriétés pour leur
vue sur la lune et la qualité des vagues à surfer dans
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3. les alentours. À quelques kilomètres dans les terres,
La Tahona, communauté d’expatriés souvent euro-
péens, organise les fêtes de la lune les plus courues. Le
gossip du moment : l’Anglais qui veille à l’écosystème
du lieu a été formé dans l’estancia de Lenny Kravitz,
au Brésil. À Cabo Polonio, l’hippisme est aussi une
affaire de hippies.
Le minuscule village de Polonio qui abrite 50 âmes
en basse saison se niche dans un écrin de dunes. L’ar-
rivée est donc épique, soit dans des Jeeps énormes
ayant appartenu à l’armée américaine et récupérées
par un Français ; soit à cheval par Valizas, le village
voisin. La poignée de cabanes se dresse directement
sur un lopin de champs qui a résisté à l’océan, tout
autour. Isolé du monde, profondément sauvage, Cabo
Polonio n’est pourtant plus un paradis secret. L’été,
les footballeurs célèbres et les mannequins croisent les
chevaux déambulant sur les plages et les lions de mer
baillant le long du phare.
DANS LES VAPEURS DE L’HORIZON
Difficile de s’extirper de Cabo Polonio, le temps s’y
arrête si facilement. Cela vaut quand même la peine
de pousser jusqu’à Punta del Diablo. À une heure
seulement de la frontière brésilienne, la côte prend la
forme d’une fourche à trois pointes. Les plages de la
réserve de SantaTeresa sont infinies. On peut marcher
des heures durant sur ce bout de côte protégée.Aucun
bâtiment ne vient encombrer l’horizon, la forêt et les
champs, les dunes et la mer se disputent les faveurs des
pupilles, souvent dilatées.
Impossible en effet de ne pas sentir l’odeur entêtante et
permanente de la marijuana sur les routes d’Uruguay.
À Cabo Polonio, notamment, chaque habitant en fait
pousser. C’est parfaitement légal, comme d’en fumer,
mais pas d’en vendre ni d’en acheter.Bonne nouvelle,il
existe un lot de consolation des plus remarquables, une
herbe, spécialité d’Uruguay. Le maté, que l’on sèche
pour ensuite le siroter en groupe dans une calebasse.Les
mannequins argentines, brésiliennes et uruguayennes
n’arrêtent pas de siphonner l’amer breuvage :il coupe la
faim et donne un coup de fouet.
Avant de repartir, le seul endroit où l’on peut le
déguster dans un bar (les locaux achètent le maté-
riel et l’herbe au supermarché et le font chez eux)
est à Montevideo, dans l’ancien marché fraîchement
rénové. Pour épargner le visiteur venu de loin peu
habitué à ingurgiter une boisson aussi amère, la petite
enseigne propose des versions détournées, en smoo-
thie aux fruits ou en cookies.Presque un space cake,un
au revoir en douceur au royaume des plages tendances
et du temps.
Isolédumonde,
profondémentsauvage,
CaboPolonion’estpourtant
plusunparadissecret.
CARNET PRATIQUE
Argent : Une fois n’est pas coutume,
évitez le cash, si vous payez en CB, on vous
remboursera 22 % dans tous les restaurants.
Dégustation de vins : La bodega Bouza
offre une visite de ses chais, des dégustations
ou repas-dégustations à dix minutes de
Montevideo. Leur tannat, le cépage roi en
Uruguay, a gagné de nombreuses médailles.
www.bodegabouza.com
Location de voiture et guide :
Les meilleures infos et visites guidées avec
Tony ou Marcos, à prix imbattable (25 dollars).
www.josegarrido.com
VILLA DANS LE VILLAGE DE JOSE IGNACIO.
LA STATION BALNÉAIRE DE PUNTA DEL DIABLO ET SES CABANES DE PÊCHEUR
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Dormir : Le Sofitel de Montevideo, aménagé
dans un palace Art déco pour revivre les
années fastes du pays. www.sofitel.com
Parler : Gaston, originaire de La Paloma,
fait découvrir sa ville et donne des cours
d’espagnol.
www.uruguayspanish.com
Manger : Les légendaires pâtes fraîches
à l’agneau et celles au crabe sauce butiá (le fruit
local) à déguster dans le restaurant Don Rómulo.
Maté : À découvrir au marché agricole
de Montevideo chez José L.
Terra 2220,ouvert tous les jours,de 8h à 22 h.
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