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Economie & Finance

                                       Zone euro: rigueur ou solidarité ?

                                                       Débat
                              Propos recueillis par Frédéric Lelièvre et Ram Etwareea


                                         Avec la participation de Michel Juvet
                       Analyste financier et membre du comité de direction de Bordier & Cie


                                                       Samedi 29 mai 2010




U      n économiste, un juriste expert des institu-
       tions de l’Union européenne et un histo-
rien spécialiste de la construction de l’UE débat-
                                                                           deux ont conduit à des déficits publics record:
                                                                           7% du produit intérieur brut (PIB) en moyenne
                                                                           pour 2010. L’endettement atteindra 84%. Un
tent du gouvernement économique ainsi que de                               début de redressement se dessine, mais le chô-
sa faisabilité politique.                                                  mage est encore élevé. Si on remonte dans le
                                                                           temps, la particularité des Européens après la
L’Union européenne s’est donné jusqu’à la fin de                           Seconde Guerre mondiale est qu’ils ont créé des
l’année pour dessiner les contours de la nouvelle                          Etats providence qui ont joué le rôle de stabilisa-
gouvernance économique de l’Europe. Cet en-                                teur en période de crise. Mais leur financement
gagement a été pris lors de la réunion de                                  devient très coûteux.
l’Eurogroupe il y a une semaine. Un rapport
intérimaire devrait être soumis au prochain                                – L’euro est en péril?
sommet européen le 17 juin. Le Temps participe
aux débats et donne la parole à Nicolas Levrat,                            GG: Non. Si les Européens géraient mal cette
directeur de l’Institut européen à l’Université de                         crise, cela pourrait conduire à la fin de l’euro, ce
Genève, Michel Juvet, économiste à la banque                               qui mettrait en danger le marché intérieur. Mais
Bordier à Genève, et Gilles Grin, vice-directeur                           comme historien, je regarde les choses avec re-
de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe à                                cul. Je constate qu’il y a déjà eu 60 ans
l’Université de Lausanne, qui s’exprime ici en                             d’intégration européenne. Jean Monnet, le pion-
son nom personnel.                                                         nier de l’intégration, disait que l’Europe se ferait
                                                                           par les crises. Son avenir dépend de la réponse
Diagnostic                                                                 que les Européens y apportent.

Le Temps: En 2008-2009, l’Europe a été                                     Michel Juvet: La crise est grave pour deux rai-
frappée par une récession. A présent, une                                  sons. D’abord, il y a une crise de dette publique
crise des déficits publics ébranle la zone                                 et une crise de dette privée. Cela a commencé
euro. Quel est votre diagnostic sur la gravité                             par la dette privée, avec les «subprime» américains,
de la situation?                                                           qui s’est transformée en une crise de
                                                                           l’endettement public. Aujourd’hui, avec les pro-
Gilles Grin: A mon sens, il s’agit d’une crise très                        grammes nécessaires d’austérité, on risque de
grave et sans précédent depuis les années 1930.                            créer une nouvelle crise privée. On sera rentré
Il y a eu d’abord une crise du système financier                           dans un système vicieux de dettes qui ne finira
et bancaire, puis une crise économique. Toutes                             pas. Le problème majeur est comment traiter les




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                              1/6
excès d’endettement. L’euro n’a pas une longue                             qu’il était trop fort. Je ne pense pas qu’il soit en
expérience, mais l’histoire montre que les crises                          danger. Par contre, l’intégration européenne est
de la dette se terminent mal.                                              en péril. L’euro est un symbole, un véhicule. Si
                                                                           l’on sortait de l’euro, d’autres mécanismes de
– Redoutez-vous un défaut?                                                 changes prendraient la relève.

MJ: A la limite, je regrette qu’il n’y ait pas eu déjà                     MJ: Il faut effectivement différencier la crise de
au moins le choix de la restructuration. Devons-                           la monnaie de celle qui touche les structures de
nous dans la zone euro mettre des pansements                               l’euro. Si on pense que l’euro est en crise, on
sur les plaies ou devons-nous traiter le mal à la                          peut affirmer que les Etats-Unis sont en crise
racine? En réalité, nous avons une crise de mo-                            depuis les années 1970. Dans ce contexte, une
dèles. Il y en a deux: le modèle allemand basé sur                         crise de l’euro depuis six mois, ce n’est pas gra-
la concurrence internationale et l’autre du sud de                         vissime. Les autorités doivent être attentives aux
l’Europe qui repose sur la consommation,                                   réactions des marchés, autrement dit aux créan-
l’augmentation des dépenses publiques et un                                ciers. En revanche, il y a une sensibilité aux mar-
grand nombre de fonctionnaires. La coexistence                             chés des actions qui est déplacée. Ce n’est pas
de ces deux modèles pose un problème de cohé-                              parce que la bourse baisse que la structure de
sion. La zone euro va devoir choisir l’un des                              l’euro est menacée. Si le marché de crédit est
deux, avec une crise sociale en perspective.                               paralysé parce qu’on n’a pas les moyens de fi-
L’enjeu est de savoir si nous sommes capables de                           nancer des banques européennes, ça pose alors
tenir des discours politiques de vérité et transpa-                        un vrai problème.
rents qui vont convaincre les populations
d’accepter les plans d’austérité. Les couches les                          – Que répondez-vous aux accusations de
plus faibles seront difficiles à convaincre, tout                            complot des marchés financiers contre
comme les fonctionnaires qui sont nombreux                                   l’euro?
dans le sud de l’Europe.
                                                                           MJ: Il n’y a pas un quelconque complot anti-
– Si l’Europe hésite entre ces deux modèles,                               européen. Je ne vois pas non plus de manœuvre
  quels sont les risques pour l’euro?                                      pour remettre les anciennes monnaies européen-
                                                                           nes en circulation. Cela ne fait aucun sens. La
MJ: Je pense que l’Europe devrait choisir le mo-                           thèse selon laquelle il y aurait une conspiration
dèle du type allemand. Si elle ne réussit pas, elle                        des marchés contre la Grèce est ridicule. Je
va éclater. Si elle choisit le modèle «franco-Sud»,                        doute aussi qu’il y ait une volonté extérieure, de
elle sera sanctionnée par les marchés et aura                              la Chine ou des Etats-Unis, d’affaiblir la mon-
donc des difficultés à produire de la croissance.                          naie européenne. Par contre, les marchés cher-
                                                                           chent des politiques crédibles. Pour le moment,
Nicolas Levrat: J’ai l’impression que nous som-                            ils n’ont pas vu de volonté ferme de la part des
mes dans une crise systémique, que la distribu-                            autorités européennes à faire face à la situation.
tion de la richesse au niveau global ne privilégie
plus autant les pays dits développés et qu’il y a                          Gouvernance
une bonne redistribution des plus-values vers les
pays émergents. Nos modèles de société, y com-                             – L’Europe n’en est pas à sa première crise.
pris le modèle allemand, n’ont plus de moyens,                               Pourquoi n’a-t-elle pas déjà tiré les leçons
ne produisent plus de richesses suffisantes. Des                             du passé et créé une gouvernance écono-
réformes sociales s’imposent, mais elles sont                                mique?
toujours difficiles.
                                                                           GG: La situation actuelle rappelle d’une certaine
– Pensez-vous alors que l’euro pourrait dis-                               manière celle des années 1970. Les Européens
  paraître un jour?                                                        vivaient très bien sous Bretton Woods. Mais la
                                                                           fin annoncée de ce système de change fixe les a
NL: Il y a trois ou quatre ans, l’euro était consi-                        conduits dès la fin des années 1960 à envisager la
déré comme un succès. Je ne suis pas écono-                                création, prévue à l’époque pour 1980, d’une
miste, mais je considère pour l’instant que l’euro                         union économique et monétaire, sans savoir ce
ne s’est pas effondré. Il a perdu 10% de sa valeur                         que cela signifiait exactement. De sommet en
mais il n’y a pas si longtemps qu’on se plaignait                          sommet le projet n’a alors pas avancé. Au-




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                              2/6
jourd’hui, le Conseil européen s’est certes mus-                           MJ: On peut imaginer qu’à l’avenir l’Eurogroupe
clé, avec un président permanent. Cependant, les                           va définir une série de principes, laissant ceux
Européens sont toujours dans un voyage, pro-                               qui ne les partagent pas quitter ou se faire éjecter
bablement sans retour, sans consensus sur son                              de la zone euro, et ne rester que dans l’UE.
but. On veut souvent appliquer à l’Europe le
modèle des Etats-Unis ou celui d’une institution                           NL: C’est d’ailleurs en partie prévu par le Traité
internationale. Or l’UE se situe entre les deux.                           de Lisbonne. L’Eurogroupe doit certes retourner
D’où la difficulté à s’en sortir et à créer un gou-                        vers l’Ecofin, mais seuls les ministres de la zone
vernement économique. Les dirigeants conti-                                euro peuvent alors voter. Voilà une ambiguïté
nuent de rendre des comptes aux électeurs de                               tellement européenne… De même le traité pré-
leur seul pays.                                                            voit la possibilité de sortie d’un Etat. Mais expul-
                                                                           ser un Etat, comme on ose en parler aujourd’hui,
NL: Les institutions européennes sont inadéqua-                            signifie qu’on a brisé un tabou.
tes. Elles sont là pour gérer les équilibres inter-
nes et rien d’autre. Prenez la situation de no-                            – On est encore loin d’un gouvernement
vembre 2003: l’Allemagne et la France ne respec-                             économique…
taient pas les critères de Maastricht. Mais,
contrairement au Portugal peu avant qui avait eu                           NL: Il n’en faut pas un. L’UE souffre de la sec-
droit à des critiques, l’Europe les a laissé faire.                        torialisation des compétences. Quel est le gou-
                                                                           vernement économique de la France? Le prési-
MJ: Etonnamment, on a l’impression que la                                  dent. Un gouvernement économique européen
Commission est chargée de prévoir dans le                                  va être très difficile à définir. Il ne pourra pas
moindre détail la réglementation concernant la                             s’occuper du social, ou sera limité pour interve-
vie des individus et des entreprises. Mais sur les                         nir sur le marché du travail. Cela ne fonctionnera
grands enjeux, il n’y a rien.                                              pas s’il se cantonne aux ministres du Budget. Les
                                                                           marchés financiers poussent à un saut qualitatif.
NL: C’est ce que les grands Etats ont voulu!                               Voulez-vous un gouvernement de l’Europe?
D’ailleurs, peut-être que les marchés financiers                           Faites-le et dites-le, et si vous êtes crédibles, on
vont réussir là où les politiques ont échoué. A un                         vous suivra. L’économique sera bien sûr domi-
moment, nécessité faisant loi, quelqu’un prendra                           nant, mais surtout on aura répondu à la question
une décision, qui plaira aux marchés, et tout le                           du modèle de société.
monde le saluera. L’Histoire avance souvent de
cette manière.                                                             MJ: C’est pour cela que l’on se trouve à un point
                                                                           de rupture. Cela passe ou ça casse.
MJ: De mon point de vue, il reste une confusion
entre l’Union européenne et la zone euro. Ces                              – Parle-t-on de gouvernement ou de gou-
deux structures sont imbriquées, mais elles ne                               vernance?
poursuivent pas le même objectif. Nous vivons
clairement une crise de la zone euro, mais pas de                          MJ: Ce qui compte, c’est la définition d’un mo-
l’UE. C’est à la zone euro qu’il faut apporter du                          dèle économique et social cohérent entre les
muscle. L’Ecofin en manque.                                                pays. Il faudra des finances publiques, et donc
                                                                           un système de type fédéral pour l’Eurogroupe. Si
– Ne serait-ce pas plutôt à l’Eurogroupe                                   le financement est clairement défini, la sanction
  d’en prendre?                                                            sera plus facile à appliquer. La sortie sera prévue.
                                                                           L’Europe part sur un mariage un peu forcé, elle
NL: Le Conseil européen pèse plus que                                      doit prévoir les conditions du divorce. Pour
l’Eurogroupe, la crise l’a montré. Ce n’est pas M.                         éviter que, sous la pression, le système ne se
Juncker (ndlr: président de l’Eurogroupe) qui                              casse. De cette manière, si les sanctions sont
était visible, mais M. Van Rompuy. Parce que les                           crédibles, les peuples pourront aussi accepter ce
Britanniques, absents de l’Eurogroupe mais pré-                            mode de fédéralisme. Ils ne craindront pas de
sents à l’Ecofin, ne veulent pas être liés aux déci-                       devoir soutenir des pays qui ne jouent pas le jeu.
sions, néanmoins ils ne souhaitent pas non plus
laisser les autres faire ce qu’ils veulent.                                GG: Les fédéralistes vont applaudir un tel gou-
                                                                           vernement. Mais il se pose toujours un problème
                                                                           de structure. Il faut réussir à mettre les budgets




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                              3/6
nationaux en réseau. Par exemple en ayant une                              MJ: Il ne peut s’agir que de dépenses de long
vue consolidée des budgets nationaux et en                                 terme, comme l’éducation, l’infrastructure. C’est
s’assurant que la direction prise est soutenable                           ce que fait tout Etat fédéral, suisse ou américain.
pour l’ensemble. Je ne verrai alors pas la Com-
mission exercer le rôle de gouvernement éco-                               NL: Rappelez-vous le début des Etats-Unis avec
nomique, mais plutôt le Conseil européen.                                  la Boston Tea Party, «no taxation without repre-
                                                                           sentation»… Les Européens ne votent pas aux
– Cela implique-t-il un abandon de la sou-                                 élections européennes parce qu’ils ne voient pas
  veraineté budgétaire?                                                    à quoi cela sert. Une fois qu’ils sauront que l’âge
                                                                           de la retraite est décidé à l’échelle européenne,
MJ: Oui, forcément. Un impôt fédéral doit                                  cela changera. En 2002, à l’issue d’un sommet à
s’instituer avec une péréquation comme il en                               Barcelone, en pleine campagne présidentielle
existe aux Etats-Unis ou en Suisse. Le budget                              française, tous les membres de l’UE s’engagent à
actuel, ridicule et dont la moitié va à l’agriculture                      augmenter l’âge de la retraite de cinq dans les
(ndlr: environ 1% du PIB), n’est pas un budget                             meilleurs délais. Ni Chirac ni Jospin, qui y
digne de ce nom. Ce n’est que le double de l’aide                          étaient, n’étaient prêts à le faire. Aujourd’hui, le
au développement.                                                          statu quo n’est plus tenable. Soit on démantèle,
                                                                           avec tous les risques que l’on connaît, comme la
GG: On se souvient que le premier président de                             poussée nationaliste observée déjà en Europe de
la Commission européenne, l’Allemand Walter                                l’Est. Or l’UE a contenu la montée des nationa-
Hallstein, de 1958 à 1967, avait une vision fédé-                          lismes et permis la paix. Cela a un coût.
raliste. Il a fâché de Gaulle qui a pratiqué la poli-
tique de la chaise vide, et plus aucun président de                        Quant au budget, il doit être défendu à l’échelle
la Commission n’a été fort.                                                européenne et pas à celle des Etats. Sinon, quel
                                                                           gouvernement pourrait défendre devant les
NL: Il faut des moyens, et donc un vrai budget.                            Français qui ont défilé dans la rue cette semaine,
On voit la difficulté. La Commission a à peine                             par exemple, qu’ils doivent trouver 10 milliards
proposé de regarder les budgets nationaux que                              d’économies pour financer les pensions et en
les Etats membres ont crié à la mise à mal de                              même temps sortir plus d’argent pour aider la
leur souveraineté!                                                         Grèce?!

Cependant, le moment est peut-être venu pour                               MJ: En France, un actif sur quatre est un fonc-
transférer une partie des budgets nationaux à                              tionnaire. Qui manifeste dans la rue? Pas les
l’Europe, et d’exercer les mesures d’austérité sur                         ouvriers de Peugeot. J’observe que les Etats qui
ce budget européen accru. Cela ne va pas rendre                            ont le plus de fonctionnaires sont ceux qui ren-
l’Europe très populaire, mais les Etats membres                            contrent le plus de difficultés. Il faut donc trou-
vont ensemble réaliser des économies, comme ils                            ver le moyen de convaincre cette catégorie
l’ont fait par le passé. Jamais la France n’aurait                         d’actifs d’accepter un ajustement.
réformé son agriculture sans la PAC.
                                                                           – La fiscalité devrait-elle être harmonisée?
MJ: L’idée est juste mais il faudrait qu’il s’agisse
du budget de l’Eurogroupe.                                                 GG: A terme, oui, il ne faut pas seulement des
                                                                           règles de gestion saine des finances publiques,
NL: On admet alors une Europe à deux vitesses,                             mais évidemment aussi harmoniser la manière
passer de l’une à l’autre aura un coût important.                          dont on y arrive.

MJ: Oui, l’Europe doit disposer d’un noyau dur                             MJ: Non, je crois préférable de laisser la concur-
qui attire ou expulse, si ses règles ne sont pas                           rence jouer entre les Etats. Le but n’est pas
respectées. Il ne s’agit pas seulement de solidari-                        d’augmenter les impôts, mais de maintenir un
té.                                                                        contrôle des dépenses. La concurrence y
                                                                           concourt, comme nous l’avons dans une certaine
– Que faire de ce budget?                                                  mesure en Suisse.




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                              4/6
– Dans ce gouvernement, on peut inclure le                                 NL: Priver un Etat de droit de vote ne rime à
  Fonds monétaire européen. A quoi pour-                                   rien d’autant plus que les Etats votent rarement.
  rait-il servir?                                                          Par contre, l’idée de regarder les budgets natio-
                                                                           naux et de dire que si un Etat n’est pas en posi-
MJ: Il permet de gagner du temps, pour que                                 tion de respecter les règles, on pourrait le mettre
dans deux ou trois ans le système soit adapté.                             sous tutelle, d’accord. Est-ce qu’un canton suisse
Sans échéance, la zone euro ne pourra s’en sor-                            peut éternellement s’endetter? La question est
tir.                                                                       qui exercera la tutelle: les pairs ou une institution
                                                                           à Bruxelles, Luxembourg ou Francfort qui fait le
NL: Pour tenir ces échéances, le niveau euro-                              sale boulot? C’est ce que fait le FMI et c’est le
péen est sans doute moins sensible à une pres-                             plus efficace.
sion de la rue.
                                                                           MJ: Si on part de l’idée qu’être membre de
MJ: Je ne vois pas l’utilité d’un Fonds monétaire                          l’Eurogroupe est tout bénéfice – on a une stabili-
européen puisque la Banque européenne                                      té de monnaie, une monnaie commune et une
d’investissement peut servir. Il faut éviter de                            stabilité politique – la sanction pour un Etat qui
créer un FMI européen car cela poussera les                                n’est pas capable de se conformer aux règles est
Chinois à créer le leur, et signifierait la fin des                        qu’il doit pouvoir sortir ou se faire sortir du
accords de Bretton Woods.                                                  groupe. Autrement, il n’y a que des demi-
                                                                           sanctions.
NL: Si toutes les parts prévues pour la BEI
étaient libérées, cela représenterait 2000 milliards                       – C’est tellement énorme comme sanc-
d’euros.                                                                     tion…

MJ: Ce montant permet de résoudre des pro-                                 MJ: Mais on est obligé! Les Etats ont une res-
blèmes de liquidité, comme ceux qu’a rencontrés                            ponsabilité dans l’utilisation des deniers publics.
l’Espagne. Il ne s’agit cependant pas de faire du                          On ne peut pas perpétuellement utiliser l’argent
développement.                                                             des citoyens pour absorber les dettes des autres.
                                                                           La sanction doit être forte.
Sanctions
                                                                           – Que pensez-vous de la disposition consti-
– Quelles sanctions imaginez-vous pour                                       tutionnelle allemande qui interdit le défi-
  faire respecter la gouvernance économi-                                    cit au-dessus d’un certain seuil?
  que?
                                                                           MJ: C’est bien, mais c’est une mesure en amont.
GG: Il y a des sanctions du type financier, déjà                           Il faut adopter des lois pour garantir l’équilibre
prévues, mais qui n’ont pas été utilisées. Elles                           budgétaire des dépenses courantes. Il faut pro-
ressemblent, dans le domaine de la défense, à la                           bablement revenir à des privatisations importan-
dissuasion nucléaire. La grande difficulté d’y                             tes. On est d’accord que cela ne se fera pas cha-
recourir a nui à leur crédibilité. Il faut des méca-                       que année. Il faut faire les comptes tous les trois
nismes qui puissent être respectés.                                        ans et là si on ne respecte pas les règles dans la
                                                                           durée, la sanction doit tomber. Il y a des cas où
NL: Je ne sais pas si une sanction financière sera                         le FMI arrête de prêter aux pays qui ne respec-
efficace et je ne pense pas que ce soit une bonne                          tent pas les règles.
idée. Ça me heurte de penser qu’un Etat qui a
été dans une situation financière dramatique et                            NL: Le FMI n’est pas là pour maintenir la paix
qui n’a pas été capable de se conformer aux                                tandis que le point de départ de l’UE est d’éviter
règles doive subir des sanctions économiques. A                            des conflits et des guerres.
mon sens, les sanctions doivent être politiques.
                                                                           MJ: Un Etat qui ne respecte pas les critères sera
– Que pensez-vous de la proposition de                                     critiqué par les citoyens des Etats qui les respec-
  priver de droit de vote les Etats ne respec-                             tent. Il faut donc prévoir des échéances.
  tant pas les règles?
                                                                           GG: Le fait qu’on veuille priver un Etat de son
                                                                           siège de commissaire ou empêcher les députés




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                               5/6
européens d’un pays accusé de siéger au Parle-                             seront pas spectaculaires, mais faites de com-
ment européen est grave et contraire à l’esprit                            promis.
des traités. Les commissaires ou les parlementai-
res, lorsqu’ils sont désignés, ne pensent plus aux                         MJ: Vous avez une vision que je crois très ré-
intérêts nationaux, mais européens. Par ailleurs,                          aliste, hélas je ne la trouve guère optimiste…
on ne peut pas raisonner seulement en termes
techniques; la construction européenne est un
projet pour la paix et le grand défi aujourd’hui
est de savoir si les Européens parleront d’une
seule voix ou s’ils seront divisés. Jean Monnet
disait déjà que les grands problèmes de notre
temps sont trop grands pour les pays européens
individuellement, mais qu’ils doivent être gérés
ensemble.

Pessimisme ou optimisme?

– Etes-vous pessimistes ou optimistes sur
  l’issue de la crise?

NL: Cela dépend de l’échéance! Le rythme des
marchés, c’est quasiment toutes les minutes.
Impossible à tenir pour le rythme politique ou
législatif. Je vise le mandat de deux ans et demi
d’Herman Van Rompuy, président du Conseil
européen. Une bonne échéance sera la fin de son
mandat car s’il y a quelqu’un de qui on attend
quelque chose, c’est lui. Je pense donc à 2012,
même si la présidentielle française pourrait retar-
der des décisions. Il n’empêche que d’ici là, c’est
certain qu’il va se passer des choses. Et s’il y a
une solution européenne, elle ira forcément dans
le bon sens, donc je suis plutôt optimiste.

MJ: A court terme, je suis optimiste. Mais
l’enjeu, c’est à trois ans, et là je suis pessimiste. Il
y aura l’échéance pour la Grèce, l’Espagne et
d’autres pays pour rétablir leurs finances publi-
ques. Je doute de la capacité de ces pays à
convaincre leur fonction publique de faire des
sacrifices. Je doute que l’Allemagne réussisse à
imposer son modèle, qui à mon sens est le seul
modèle possible.

GG: Je suis optimiste par nature et surtout lors-
qu’on place les défis dans leur perspective histo-
rique. Il y a toujours eu des crises. La conscience
des problèmes et des enjeux est bien là. Evi-
demment, cela ne garantit pas qu’on va agir. J’y
crois parce que les coûts de l’échec et le retour
en arrière seraient tellement grands. L’UE a été
une construction dynamique avec des déséquili-
bres successifs. Les Européens en sont cons-
cients et ils trouveront les solutions. Celles-ci ne




Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010                                        6/6

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100529 mj débat_zone_euro_lt

  • 1. Economie & Finance Zone euro: rigueur ou solidarité ? Débat Propos recueillis par Frédéric Lelièvre et Ram Etwareea Avec la participation de Michel Juvet Analyste financier et membre du comité de direction de Bordier & Cie Samedi 29 mai 2010 U n économiste, un juriste expert des institu- tions de l’Union européenne et un histo- rien spécialiste de la construction de l’UE débat- deux ont conduit à des déficits publics record: 7% du produit intérieur brut (PIB) en moyenne pour 2010. L’endettement atteindra 84%. Un tent du gouvernement économique ainsi que de début de redressement se dessine, mais le chô- sa faisabilité politique. mage est encore élevé. Si on remonte dans le temps, la particularité des Européens après la L’Union européenne s’est donné jusqu’à la fin de Seconde Guerre mondiale est qu’ils ont créé des l’année pour dessiner les contours de la nouvelle Etats providence qui ont joué le rôle de stabilisa- gouvernance économique de l’Europe. Cet en- teur en période de crise. Mais leur financement gagement a été pris lors de la réunion de devient très coûteux. l’Eurogroupe il y a une semaine. Un rapport intérimaire devrait être soumis au prochain – L’euro est en péril? sommet européen le 17 juin. Le Temps participe aux débats et donne la parole à Nicolas Levrat, GG: Non. Si les Européens géraient mal cette directeur de l’Institut européen à l’Université de crise, cela pourrait conduire à la fin de l’euro, ce Genève, Michel Juvet, économiste à la banque qui mettrait en danger le marché intérieur. Mais Bordier à Genève, et Gilles Grin, vice-directeur comme historien, je regarde les choses avec re- de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe à cul. Je constate qu’il y a déjà eu 60 ans l’Université de Lausanne, qui s’exprime ici en d’intégration européenne. Jean Monnet, le pion- son nom personnel. nier de l’intégration, disait que l’Europe se ferait par les crises. Son avenir dépend de la réponse Diagnostic que les Européens y apportent. Le Temps: En 2008-2009, l’Europe a été Michel Juvet: La crise est grave pour deux rai- frappée par une récession. A présent, une sons. D’abord, il y a une crise de dette publique crise des déficits publics ébranle la zone et une crise de dette privée. Cela a commencé euro. Quel est votre diagnostic sur la gravité par la dette privée, avec les «subprime» américains, de la situation? qui s’est transformée en une crise de l’endettement public. Aujourd’hui, avec les pro- Gilles Grin: A mon sens, il s’agit d’une crise très grammes nécessaires d’austérité, on risque de grave et sans précédent depuis les années 1930. créer une nouvelle crise privée. On sera rentré Il y a eu d’abord une crise du système financier dans un système vicieux de dettes qui ne finira et bancaire, puis une crise économique. Toutes pas. Le problème majeur est comment traiter les Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 1/6
  • 2. excès d’endettement. L’euro n’a pas une longue qu’il était trop fort. Je ne pense pas qu’il soit en expérience, mais l’histoire montre que les crises danger. Par contre, l’intégration européenne est de la dette se terminent mal. en péril. L’euro est un symbole, un véhicule. Si l’on sortait de l’euro, d’autres mécanismes de – Redoutez-vous un défaut? changes prendraient la relève. MJ: A la limite, je regrette qu’il n’y ait pas eu déjà MJ: Il faut effectivement différencier la crise de au moins le choix de la restructuration. Devons- la monnaie de celle qui touche les structures de nous dans la zone euro mettre des pansements l’euro. Si on pense que l’euro est en crise, on sur les plaies ou devons-nous traiter le mal à la peut affirmer que les Etats-Unis sont en crise racine? En réalité, nous avons une crise de mo- depuis les années 1970. Dans ce contexte, une dèles. Il y en a deux: le modèle allemand basé sur crise de l’euro depuis six mois, ce n’est pas gra- la concurrence internationale et l’autre du sud de vissime. Les autorités doivent être attentives aux l’Europe qui repose sur la consommation, réactions des marchés, autrement dit aux créan- l’augmentation des dépenses publiques et un ciers. En revanche, il y a une sensibilité aux mar- grand nombre de fonctionnaires. La coexistence chés des actions qui est déplacée. Ce n’est pas de ces deux modèles pose un problème de cohé- parce que la bourse baisse que la structure de sion. La zone euro va devoir choisir l’un des l’euro est menacée. Si le marché de crédit est deux, avec une crise sociale en perspective. paralysé parce qu’on n’a pas les moyens de fi- L’enjeu est de savoir si nous sommes capables de nancer des banques européennes, ça pose alors tenir des discours politiques de vérité et transpa- un vrai problème. rents qui vont convaincre les populations d’accepter les plans d’austérité. Les couches les – Que répondez-vous aux accusations de plus faibles seront difficiles à convaincre, tout complot des marchés financiers contre comme les fonctionnaires qui sont nombreux l’euro? dans le sud de l’Europe. MJ: Il n’y a pas un quelconque complot anti- – Si l’Europe hésite entre ces deux modèles, européen. Je ne vois pas non plus de manœuvre quels sont les risques pour l’euro? pour remettre les anciennes monnaies européen- nes en circulation. Cela ne fait aucun sens. La MJ: Je pense que l’Europe devrait choisir le mo- thèse selon laquelle il y aurait une conspiration dèle du type allemand. Si elle ne réussit pas, elle des marchés contre la Grèce est ridicule. Je va éclater. Si elle choisit le modèle «franco-Sud», doute aussi qu’il y ait une volonté extérieure, de elle sera sanctionnée par les marchés et aura la Chine ou des Etats-Unis, d’affaiblir la mon- donc des difficultés à produire de la croissance. naie européenne. Par contre, les marchés cher- chent des politiques crédibles. Pour le moment, Nicolas Levrat: J’ai l’impression que nous som- ils n’ont pas vu de volonté ferme de la part des mes dans une crise systémique, que la distribu- autorités européennes à faire face à la situation. tion de la richesse au niveau global ne privilégie plus autant les pays dits développés et qu’il y a Gouvernance une bonne redistribution des plus-values vers les pays émergents. Nos modèles de société, y com- – L’Europe n’en est pas à sa première crise. pris le modèle allemand, n’ont plus de moyens, Pourquoi n’a-t-elle pas déjà tiré les leçons ne produisent plus de richesses suffisantes. Des du passé et créé une gouvernance écono- réformes sociales s’imposent, mais elles sont mique? toujours difficiles. GG: La situation actuelle rappelle d’une certaine – Pensez-vous alors que l’euro pourrait dis- manière celle des années 1970. Les Européens paraître un jour? vivaient très bien sous Bretton Woods. Mais la fin annoncée de ce système de change fixe les a NL: Il y a trois ou quatre ans, l’euro était consi- conduits dès la fin des années 1960 à envisager la déré comme un succès. Je ne suis pas écono- création, prévue à l’époque pour 1980, d’une miste, mais je considère pour l’instant que l’euro union économique et monétaire, sans savoir ce ne s’est pas effondré. Il a perdu 10% de sa valeur que cela signifiait exactement. De sommet en mais il n’y a pas si longtemps qu’on se plaignait sommet le projet n’a alors pas avancé. Au- Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 2/6
  • 3. jourd’hui, le Conseil européen s’est certes mus- MJ: On peut imaginer qu’à l’avenir l’Eurogroupe clé, avec un président permanent. Cependant, les va définir une série de principes, laissant ceux Européens sont toujours dans un voyage, pro- qui ne les partagent pas quitter ou se faire éjecter bablement sans retour, sans consensus sur son de la zone euro, et ne rester que dans l’UE. but. On veut souvent appliquer à l’Europe le modèle des Etats-Unis ou celui d’une institution NL: C’est d’ailleurs en partie prévu par le Traité internationale. Or l’UE se situe entre les deux. de Lisbonne. L’Eurogroupe doit certes retourner D’où la difficulté à s’en sortir et à créer un gou- vers l’Ecofin, mais seuls les ministres de la zone vernement économique. Les dirigeants conti- euro peuvent alors voter. Voilà une ambiguïté nuent de rendre des comptes aux électeurs de tellement européenne… De même le traité pré- leur seul pays. voit la possibilité de sortie d’un Etat. Mais expul- ser un Etat, comme on ose en parler aujourd’hui, NL: Les institutions européennes sont inadéqua- signifie qu’on a brisé un tabou. tes. Elles sont là pour gérer les équilibres inter- nes et rien d’autre. Prenez la situation de no- – On est encore loin d’un gouvernement vembre 2003: l’Allemagne et la France ne respec- économique… taient pas les critères de Maastricht. Mais, contrairement au Portugal peu avant qui avait eu NL: Il n’en faut pas un. L’UE souffre de la sec- droit à des critiques, l’Europe les a laissé faire. torialisation des compétences. Quel est le gou- vernement économique de la France? Le prési- MJ: Etonnamment, on a l’impression que la dent. Un gouvernement économique européen Commission est chargée de prévoir dans le va être très difficile à définir. Il ne pourra pas moindre détail la réglementation concernant la s’occuper du social, ou sera limité pour interve- vie des individus et des entreprises. Mais sur les nir sur le marché du travail. Cela ne fonctionnera grands enjeux, il n’y a rien. pas s’il se cantonne aux ministres du Budget. Les marchés financiers poussent à un saut qualitatif. NL: C’est ce que les grands Etats ont voulu! Voulez-vous un gouvernement de l’Europe? D’ailleurs, peut-être que les marchés financiers Faites-le et dites-le, et si vous êtes crédibles, on vont réussir là où les politiques ont échoué. A un vous suivra. L’économique sera bien sûr domi- moment, nécessité faisant loi, quelqu’un prendra nant, mais surtout on aura répondu à la question une décision, qui plaira aux marchés, et tout le du modèle de société. monde le saluera. L’Histoire avance souvent de cette manière. MJ: C’est pour cela que l’on se trouve à un point de rupture. Cela passe ou ça casse. MJ: De mon point de vue, il reste une confusion entre l’Union européenne et la zone euro. Ces – Parle-t-on de gouvernement ou de gou- deux structures sont imbriquées, mais elles ne vernance? poursuivent pas le même objectif. Nous vivons clairement une crise de la zone euro, mais pas de MJ: Ce qui compte, c’est la définition d’un mo- l’UE. C’est à la zone euro qu’il faut apporter du dèle économique et social cohérent entre les muscle. L’Ecofin en manque. pays. Il faudra des finances publiques, et donc un système de type fédéral pour l’Eurogroupe. Si – Ne serait-ce pas plutôt à l’Eurogroupe le financement est clairement défini, la sanction d’en prendre? sera plus facile à appliquer. La sortie sera prévue. L’Europe part sur un mariage un peu forcé, elle NL: Le Conseil européen pèse plus que doit prévoir les conditions du divorce. Pour l’Eurogroupe, la crise l’a montré. Ce n’est pas M. éviter que, sous la pression, le système ne se Juncker (ndlr: président de l’Eurogroupe) qui casse. De cette manière, si les sanctions sont était visible, mais M. Van Rompuy. Parce que les crédibles, les peuples pourront aussi accepter ce Britanniques, absents de l’Eurogroupe mais pré- mode de fédéralisme. Ils ne craindront pas de sents à l’Ecofin, ne veulent pas être liés aux déci- devoir soutenir des pays qui ne jouent pas le jeu. sions, néanmoins ils ne souhaitent pas non plus laisser les autres faire ce qu’ils veulent. GG: Les fédéralistes vont applaudir un tel gou- vernement. Mais il se pose toujours un problème de structure. Il faut réussir à mettre les budgets Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 3/6
  • 4. nationaux en réseau. Par exemple en ayant une MJ: Il ne peut s’agir que de dépenses de long vue consolidée des budgets nationaux et en terme, comme l’éducation, l’infrastructure. C’est s’assurant que la direction prise est soutenable ce que fait tout Etat fédéral, suisse ou américain. pour l’ensemble. Je ne verrai alors pas la Com- mission exercer le rôle de gouvernement éco- NL: Rappelez-vous le début des Etats-Unis avec nomique, mais plutôt le Conseil européen. la Boston Tea Party, «no taxation without repre- sentation»… Les Européens ne votent pas aux – Cela implique-t-il un abandon de la sou- élections européennes parce qu’ils ne voient pas veraineté budgétaire? à quoi cela sert. Une fois qu’ils sauront que l’âge de la retraite est décidé à l’échelle européenne, MJ: Oui, forcément. Un impôt fédéral doit cela changera. En 2002, à l’issue d’un sommet à s’instituer avec une péréquation comme il en Barcelone, en pleine campagne présidentielle existe aux Etats-Unis ou en Suisse. Le budget française, tous les membres de l’UE s’engagent à actuel, ridicule et dont la moitié va à l’agriculture augmenter l’âge de la retraite de cinq dans les (ndlr: environ 1% du PIB), n’est pas un budget meilleurs délais. Ni Chirac ni Jospin, qui y digne de ce nom. Ce n’est que le double de l’aide étaient, n’étaient prêts à le faire. Aujourd’hui, le au développement. statu quo n’est plus tenable. Soit on démantèle, avec tous les risques que l’on connaît, comme la GG: On se souvient que le premier président de poussée nationaliste observée déjà en Europe de la Commission européenne, l’Allemand Walter l’Est. Or l’UE a contenu la montée des nationa- Hallstein, de 1958 à 1967, avait une vision fédé- lismes et permis la paix. Cela a un coût. raliste. Il a fâché de Gaulle qui a pratiqué la poli- tique de la chaise vide, et plus aucun président de Quant au budget, il doit être défendu à l’échelle la Commission n’a été fort. européenne et pas à celle des Etats. Sinon, quel gouvernement pourrait défendre devant les NL: Il faut des moyens, et donc un vrai budget. Français qui ont défilé dans la rue cette semaine, On voit la difficulté. La Commission a à peine par exemple, qu’ils doivent trouver 10 milliards proposé de regarder les budgets nationaux que d’économies pour financer les pensions et en les Etats membres ont crié à la mise à mal de même temps sortir plus d’argent pour aider la leur souveraineté! Grèce?! Cependant, le moment est peut-être venu pour MJ: En France, un actif sur quatre est un fonc- transférer une partie des budgets nationaux à tionnaire. Qui manifeste dans la rue? Pas les l’Europe, et d’exercer les mesures d’austérité sur ouvriers de Peugeot. J’observe que les Etats qui ce budget européen accru. Cela ne va pas rendre ont le plus de fonctionnaires sont ceux qui ren- l’Europe très populaire, mais les Etats membres contrent le plus de difficultés. Il faut donc trou- vont ensemble réaliser des économies, comme ils ver le moyen de convaincre cette catégorie l’ont fait par le passé. Jamais la France n’aurait d’actifs d’accepter un ajustement. réformé son agriculture sans la PAC. – La fiscalité devrait-elle être harmonisée? MJ: L’idée est juste mais il faudrait qu’il s’agisse du budget de l’Eurogroupe. GG: A terme, oui, il ne faut pas seulement des règles de gestion saine des finances publiques, NL: On admet alors une Europe à deux vitesses, mais évidemment aussi harmoniser la manière passer de l’une à l’autre aura un coût important. dont on y arrive. MJ: Oui, l’Europe doit disposer d’un noyau dur MJ: Non, je crois préférable de laisser la concur- qui attire ou expulse, si ses règles ne sont pas rence jouer entre les Etats. Le but n’est pas respectées. Il ne s’agit pas seulement de solidari- d’augmenter les impôts, mais de maintenir un té. contrôle des dépenses. La concurrence y concourt, comme nous l’avons dans une certaine – Que faire de ce budget? mesure en Suisse. Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 4/6
  • 5. – Dans ce gouvernement, on peut inclure le NL: Priver un Etat de droit de vote ne rime à Fonds monétaire européen. A quoi pour- rien d’autant plus que les Etats votent rarement. rait-il servir? Par contre, l’idée de regarder les budgets natio- naux et de dire que si un Etat n’est pas en posi- MJ: Il permet de gagner du temps, pour que tion de respecter les règles, on pourrait le mettre dans deux ou trois ans le système soit adapté. sous tutelle, d’accord. Est-ce qu’un canton suisse Sans échéance, la zone euro ne pourra s’en sor- peut éternellement s’endetter? La question est tir. qui exercera la tutelle: les pairs ou une institution à Bruxelles, Luxembourg ou Francfort qui fait le NL: Pour tenir ces échéances, le niveau euro- sale boulot? C’est ce que fait le FMI et c’est le péen est sans doute moins sensible à une pres- plus efficace. sion de la rue. MJ: Si on part de l’idée qu’être membre de MJ: Je ne vois pas l’utilité d’un Fonds monétaire l’Eurogroupe est tout bénéfice – on a une stabili- européen puisque la Banque européenne té de monnaie, une monnaie commune et une d’investissement peut servir. Il faut éviter de stabilité politique – la sanction pour un Etat qui créer un FMI européen car cela poussera les n’est pas capable de se conformer aux règles est Chinois à créer le leur, et signifierait la fin des qu’il doit pouvoir sortir ou se faire sortir du accords de Bretton Woods. groupe. Autrement, il n’y a que des demi- sanctions. NL: Si toutes les parts prévues pour la BEI étaient libérées, cela représenterait 2000 milliards – C’est tellement énorme comme sanc- d’euros. tion… MJ: Ce montant permet de résoudre des pro- MJ: Mais on est obligé! Les Etats ont une res- blèmes de liquidité, comme ceux qu’a rencontrés ponsabilité dans l’utilisation des deniers publics. l’Espagne. Il ne s’agit cependant pas de faire du On ne peut pas perpétuellement utiliser l’argent développement. des citoyens pour absorber les dettes des autres. La sanction doit être forte. Sanctions – Que pensez-vous de la disposition consti- – Quelles sanctions imaginez-vous pour tutionnelle allemande qui interdit le défi- faire respecter la gouvernance économi- cit au-dessus d’un certain seuil? que? MJ: C’est bien, mais c’est une mesure en amont. GG: Il y a des sanctions du type financier, déjà Il faut adopter des lois pour garantir l’équilibre prévues, mais qui n’ont pas été utilisées. Elles budgétaire des dépenses courantes. Il faut pro- ressemblent, dans le domaine de la défense, à la bablement revenir à des privatisations importan- dissuasion nucléaire. La grande difficulté d’y tes. On est d’accord que cela ne se fera pas cha- recourir a nui à leur crédibilité. Il faut des méca- que année. Il faut faire les comptes tous les trois nismes qui puissent être respectés. ans et là si on ne respecte pas les règles dans la durée, la sanction doit tomber. Il y a des cas où NL: Je ne sais pas si une sanction financière sera le FMI arrête de prêter aux pays qui ne respec- efficace et je ne pense pas que ce soit une bonne tent pas les règles. idée. Ça me heurte de penser qu’un Etat qui a été dans une situation financière dramatique et NL: Le FMI n’est pas là pour maintenir la paix qui n’a pas été capable de se conformer aux tandis que le point de départ de l’UE est d’éviter règles doive subir des sanctions économiques. A des conflits et des guerres. mon sens, les sanctions doivent être politiques. MJ: Un Etat qui ne respecte pas les critères sera – Que pensez-vous de la proposition de critiqué par les citoyens des Etats qui les respec- priver de droit de vote les Etats ne respec- tent. Il faut donc prévoir des échéances. tant pas les règles? GG: Le fait qu’on veuille priver un Etat de son siège de commissaire ou empêcher les députés Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 5/6
  • 6. européens d’un pays accusé de siéger au Parle- seront pas spectaculaires, mais faites de com- ment européen est grave et contraire à l’esprit promis. des traités. Les commissaires ou les parlementai- res, lorsqu’ils sont désignés, ne pensent plus aux MJ: Vous avez une vision que je crois très ré- intérêts nationaux, mais européens. Par ailleurs, aliste, hélas je ne la trouve guère optimiste… on ne peut pas raisonner seulement en termes techniques; la construction européenne est un projet pour la paix et le grand défi aujourd’hui est de savoir si les Européens parleront d’une seule voix ou s’ils seront divisés. Jean Monnet disait déjà que les grands problèmes de notre temps sont trop grands pour les pays européens individuellement, mais qu’ils doivent être gérés ensemble. Pessimisme ou optimisme? – Etes-vous pessimistes ou optimistes sur l’issue de la crise? NL: Cela dépend de l’échéance! Le rythme des marchés, c’est quasiment toutes les minutes. Impossible à tenir pour le rythme politique ou législatif. Je vise le mandat de deux ans et demi d’Herman Van Rompuy, président du Conseil européen. Une bonne échéance sera la fin de son mandat car s’il y a quelqu’un de qui on attend quelque chose, c’est lui. Je pense donc à 2012, même si la présidentielle française pourrait retar- der des décisions. Il n’empêche que d’ici là, c’est certain qu’il va se passer des choses. Et s’il y a une solution européenne, elle ira forcément dans le bon sens, donc je suis plutôt optimiste. MJ: A court terme, je suis optimiste. Mais l’enjeu, c’est à trois ans, et là je suis pessimiste. Il y aura l’échéance pour la Grèce, l’Espagne et d’autres pays pour rétablir leurs finances publi- ques. Je doute de la capacité de ces pays à convaincre leur fonction publique de faire des sacrifices. Je doute que l’Allemagne réussisse à imposer son modèle, qui à mon sens est le seul modèle possible. GG: Je suis optimiste par nature et surtout lors- qu’on place les défis dans leur perspective histo- rique. Il y a toujours eu des crises. La conscience des problèmes et des enjeux est bien là. Evi- demment, cela ne garantit pas qu’on va agir. J’y crois parce que les coûts de l’échec et le retour en arrière seraient tellement grands. L’UE a été une construction dynamique avec des déséquili- bres successifs. Les Européens en sont cons- cients et ils trouveront les solutions. Celles-ci ne Débat avec la participation de Michel Juvet paru dans Le Temps du 29 mai 2010 6/6