Enquête micrologement
- 1. © SOCIETY FOR COMMUNITY ORGANIZATION 2012
Vivre en boîte
En France, ils sont 50 000 locataires à vivre dans
un logement de moins de 9m². Cette pratique, bien
que parfaitement illégale, est le fait de nombreux
marchands de sommeil qui contournent la loi avec la
complaisance des pouvoirs publics.
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PAR BENJAMIN HELFER
EFJ 3 / enquête blanche
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- 2. enquête vivre en boîte
INTERVIEW
«LORSQU'IL PLEUVAIT, LA PLUIE
RUISSELAIT SUR MON LIT»
RACHID, 52 ANS, VIT DANS 7M²
© BENJAMIN HELFER
Pas plus
grands qu'un
placard, les
micrologements
imposent des
conditions de vie
précaires. Ici,
deux exemples
dans les
8ème et 9ème
arrondissement
de Paris.
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« Je suis désolé, je n’ai rien rangé » dit-il d’un air gêné,
« mais je n’ai pas l’habitude de recevoir ».
Sur le pallier se trouvent les toilettes que Rachid
doit partager avec les locataires des deux autres
chambres voisines. Heureusement, en ce moment,
elles sont vides.
A l’approche de la trêve hivernale, la ministre du Logement Cécile Duflot, a fait de l’encadrement des loyers
et de la lutte contre le logement insalubre, l’une des
ses principales priorités. Inscrit dans le projet de loi
qu’elle a soumis au Parlement en septembre dernier,
l'interdiction pendant cinq ans pour un marchand
de sommeil, déjà condamné pour habitats indignes,
d’acheter des biens immobiliers destinés à la relocation. Autre mesure préconisée, la condamnation
à 1000 euros d’amende par jour de retard pour les
propriétaires de logements indécents qui refuseraient d’engager des travaux malgré les injonctions
des pouvoirs publics. Pour Jean-Baptiste Eyraud,
co-fondateur et porte-parole de l’association Droit au
Logement (DAL), « ces mesures restent à minima».
« Il faut prendre le problème par la base. Avant de
condamner les propriétaires, il faut faire en sorte de
les empêcher d’agir » dit-il.
Aujourd’hui, rien n’empêche en effet un propriétaire
de mettre en location une pièce de 5m², quelque soit
son état. « Avec la situation actuelle sur Paris et la
demande permanente de logement, le propriétaire sait
qu’il trouvera quelqu’un » explique Jean-Baptiste Eyraud, avant d’ajouter qu’« aujourd’hui, les propriétaires
ne subissent aucun contrôle a priori. Si le locataire ne
se retourne pas contre eux, les bailleurs peuvent louer
des taudis pendant 20 ans sans se faire inquiéter ».
Rachid, lui, vit dans ses 7m² depuis quatre ans.
« C’est l’entreprise dans laquelle je travaille qui a rénové l’immeuble. Quand j’ai su qu’un des propriétaires
voulait louer une chambre, je n’ai pas hésité » raconte
t-il. « Au début, le propriétaire m’a parlé de 250€ par
mois, sauf qu’au moment de signer le bail, les 250€
s’étaient transformés en 300 » sourit Rachid. Mais
pour lui, vivre dans Paris n’a pas de prix. Finalement,
Rachid signe et s’installe avec les quelques affaires
qu’il a ramené d’Algérie où il a laissé sa femme et
son fils de 6 mois, faute de place pour les accueillir
chez lui. Au bout de quelques jours, Rachid se rend
compte que l’unique fenêtre de sa chambre ferme mal.
« Lorsqu’il y avait du vent, toutes mes affaires volaient
et lorsqu’il pleuvait, la pluie ruisselait sur mon lit » ditil en nous montrant les traces d’humidité sur le mur.
Son propriétaire n’a jamais voulu réaliser les travaux
nécessaires, alors Rachid a dû les faire lui-même. A
ses frais, il a acheté de quoi refaire un encadrement
de fenêtre, puis du plâtre pour boucher les trous. Il a
envoyé la facture à son propriétaire, mais n’a jamais
eu de réponse.
LE MICROLOGEMENT, UNE REALITÉ BIEN CACHÉE
Rachid est loin d’être le seul à connaître cette situation. En 2013, la Fondation Abbé-Pierre a dénombré
pas moins de 2 900 000 personnes vivant dans des
conditions de logement très difficiles, dont le micrologement. Selon Sarah Coupechoux, chargée de mission
à l’Espace Habitat Indigne de la Fondation AbbéPierre, « 10 à 15 personnes par an se présentent aux
portes de la Fondation » pour dénoncer leur logement
trop petit pour y vivre. Un chiffre, s’il peut paraitre
faible, qui cache surtout la honte des locataires à
vivre dans ces placards et la crainte de dénoncer leurs
propriétaires. Mais au-delà du nombre très réduit de
plaintes, la situation est telle qu’elle pose la question
du rôle des pouvoirs publics dans l’encadrement des
logements à Paris, notamment celui des loyers mais
également celui des contrôles d’hygiènes.
Comme Rachid, Gérald, 46 ans, a vécu de nombreux
mois les pieds dans l’eau. Après avoir divorcé de sa
femme, il lui a fallu retrouver en urgence un logement.
Avec son salaire d’agent de sécurité et son manque
de garant, Gérald voit les portes des agences immobilières se fermer les unes après les autres sous son
nez. Alors lorsqu’un ami lui parle d’une chambre de
7m² à 400€ par mois dans le très chic 8ème arrondissement de Paris, Gérald n’hésite pas une minute.
« Le propriétaire ne demandait aucun garant, et je ne
pouvais pas mettre beaucoup plus d’argent dans mon
loyer, donc pour moi c’était l’idéal » raconte t-il. Mais
Gérald va très vite déchanter. Des travaux de rénovation de façade ont gravement abimé la toiture de son
immeuble. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvé
avec de l’eau de pluie qui coulait le long de mes murs à
chaque averse » explique t-il. Gérald a immédiatement
alerté son propriétaire, mais ce dernier a rejeté la responsabilité sur l’entreprise qui a réalisé les travaux.
Alors que les services de la mairie ont été prévenus
en 2011, la situation n’a depuis pas évolué. « Cela fait
maintenant deux ans. Heureusement, le syndic de
EFJ 3 / enquête blanche
« Rien n’est
fait par la
Mairie de
Paris »
© XAETVA@GMAIL.COM
R
achid a la cinquantaine, le cheveu grisonnant et le visage marqué par la fatigue. Il vient de quitter le chantier sur
lequel il travaille en tant qu’électricien
et s’apprête à rentrer chez lui, au 6ème
étage d'un immeuble cossu du 9ème arrondissement
de Paris. Pour 7m², il paye 300€ par mois, avec
pour simple mobilier, un lit, un frigo et une plaque
chauffante. C'est ce qu'on appelle pudiquement un
micrologement. Une réalité, totalement illégale, qui
concerne 20 000 personnes à Paris et qui peut coûter
jusqu'à 3 ans de prison et 100 000 euros d'amende
aux propriétaires hors-la-loi (voir encadré).
Quand nous arrivons chez lui, Rachid nous prévient
que l'interview se fera debout, faute de place pour
s'asseoir. Sur son lit, jetés en bagaille, des habits, des
papiers administratifs et des ustensiles de cuisine.
Jean-Baptiste Eyraud,
co-fondateur du DAL.
L'association du Droit Au
Logement (DAL) a été créée
en 1990 par Jean-Baptiste
Eyraud. Il se bat aujourd'hui
pour plus de justice à l'égard
des mal-logés.
Quels sont les droits pour
un locataire qui vit dans un
micro-logement ?
Le locataire peut demander
une modification de son
loyer si son logement fait
moins de 9m². Mais cela
arrive rarement, car les
locataires ne sont, soit
pas au courant de cette
disposition légale, soit
estiment ne pas être en
position de demander une
ristourne.
Le problème, c’est surtout
qu'aujourd'hui, un locataire
a moins de droits qu’un
propriétaire. Si un locataire
se retourne contre son
propriétaire, ce dernier peut
le mettre à la porte grâce au
système de congé-reprise
qui permet à un propriétaire
de récupérer son logement
dans un délai de trois
mois (au lieu de 6 mois
habituellement) s’il déclare
vouloir le louer à un membre
de sa famille. Résultat, les
locataires se retrouve en
situation de faiblesse et
de plus en plus rares sont
ceux qui dénoncent leurs
propriétaires.
Que peuvent faire les
pouvoirs publics pour lutter
efficacement contre le micrologement ?
On se bat aujourd’hui pour
que la loi Duflot renforce
les contrôles mais pour
l’instant on n’a rien obtenu.
Et c’est bien là le problème.
Rien n’est fait aujourd’hui
à la Mairie de Paris ou à la
Préfecture pour empêcher
un propriétaire de louer un
taudis à prix d’or.
Comment l'expliquer ?
L'Etat s’est dessaisi des lois
en matière d’urbanisme,
donc aujourd’hui, ce sont
les maires qui en ont la
charge. Or ces derniers
ont tout intérêt à soigner
leur électorat. Regardez,
les trottoirs de Paris n’ont
jamais été aussi beaux, mais
en attendant, il n’y a jamais
eu autant de personnes qui
dorment dessus.
Il faut ajouter à
cela les politiques
gouvernementales, qui
poussent à investir dans le
locatif privé pour relancer
l’économie.
Enfin, il y a un manque
flagrant d'intérêt de
la part des médias
sur cette question, qui
proportionnellement, touche
finalement peu de monde.
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- 3. ©AFP
enquête vivre en boîte
l’immeuble a fait faire les réparations nécessaires
pour qu’il ne pleuve plus chez moi, mais l’humidité est
toujours là ». En effet, le salpêtre se dépose le long des
plaintes et le sol est gondolé. Cela n’a pas empêché le
propriétaire de Gérald d’augmenter son loyer de 25
euros en début d’année. « Il a débarqué un jour chez
moi, sans frapper, en m’annonçant que désormais
c’était 425€. J’ai protesté mais il m’a répondu que si je
n’étais pas content, d'autres le seraient à ma place» se
souvient Gérald. En effet, avec la crise, les candidats
à ce type de logements sont nombreux.
Malgré le risque d’insalubrité, les micro-logements
sont l'unique solution pour une population ayant
souvent peu de revenus ou cherchant un logement
Jérémy, un étudiant de 23 ans, se souvient qu’en arrivant sur Paris il y a deux ans, il avait lui aussi fait le
tour des petites annonces qui proposent des chambres
pour moins de 300€ par mois « avec vue imprenable
sur la tour Eiffel et sans obligation de garant ». Il se
rappelle particulièrement de cette chambre de bonne
qu’il avait visitée près du Champs de Mars. Jérémy
ressent encore l’atmosphère glauque qui régnait dans
ce 6m². « Le mur était noirci par la saleté, il y avait un
vieux matelas à même le sol et deux trépieds avec une
planche posée dessus pour faire office de table » se
souvient-il. Le propriétaire qui faisait la visite lui a
gentiment expliqué qu’il lui faudrait débourser 500€
par mois pour vivre ici.
« Je lui ai clairement dit que c’était honteux de louer
quelque chose d’aussi minable, et surtout à ce prix là.
Mais il m’a répondu que si ça ne me plaisait pas, il y
avait 20 personnes derrière moi qui attendaient leur
tour » se rappelle Jérémy.
SARAH COUPECHOUX, CHARGEE DE MISSION
Et pour cause. L’une des raisons du succès des microA LA FONDATION ABBE PIERRE
logements est due au développement des sites de
pour une durée très limitée. Dans les quartiers chics petites annonces sur Internet. Avant, les propriétaires
de Paris où se succèdent des immeubles haussman- peu scrupuleux faisaient marcher le bouche-à-oreille
niens, ce type de biens explose. « Les immeubles pour trouver un locataire, aujourd’hui, les sites
haussmanniens sont construits de telle manière d’annonces immobilières de particuliers regorgent
qu’ils abritent bien souvent des petites chambres sous de logements plus ou moins douteux. Sur le boncoin.
les combles, destinées autrefois au petit personnel » fr, l’un des plus grands sites de petites annonces
explique Sarah Coupechoux. « Du fait que ces biens français, quelques clics suffisent à trouver une stuse situent dans des quartiers très recherchés de Paris, dette, louée 400€ par mois mais où « le nombre de
ils sont souvent loués à des jeunes étudiants venus mètres carrés est à voir sur place ». Ici, le propriétaire
pour leurs études. Ils représentent une cible facile car n’accepte que des versements du loyer en liquide.Là,
ont peu de moyens et un besoin urgent de s'installer l’annonce correspond à un bureau de 7m² mais « peut
dans la capitale» ajoute t-elle.
servir d’habitation occasionnellement », ce qui est parfaitement illégal. Rassurés par le supposé anonymat
d’Internet, les propriétaires osent tout.
« Il n’existe pas d’encadrement sur la plupart de ces
sites d’annonces qui permettent aux propriétaires
d’atteindre le plus grand nombre en vendant du rêve
» explique Jean-Baptiste Eyraud.
«LA TAXE SUR LES MICROSURFACES
N'A EU AUCUN EFFET»
Micrologement : ce que
dit la loi
Le décret du 30 janvier 2002 régit que pour louer un logement, celui-ci doit comporter une pièce principale d'une
surface d'au moins 9m² et d'une hauteur sous plafond de
2m20. Le logement doit également assurer une solidité et
une protection étanche contre les évenements naturels,
avoir une lumière naturelle, une aération, du chauffage, de
l'eau potable, une cuisine et l'accès à un WC intérieur ou
extérieur si le logement n'a qu'une pièce.
Un propriétaire qui ne respecterait pas la loi peut être
condamné à effectuer les travaux nécessaires afin de
rendre décent le logement. En cas d'insalubrité avérée, le
propriétaire peut être condamné pénalement à 3 ans de
prison et 100 000 euros d'amende.
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L’IMMOBILISME DES POUVOIRS PUBLICS
Conscient du problème, l’Etat tente depuis des années
de combattre le micrologement. En 2011, le gouvernement Fillon avait mis en place une taxe sur les loyers
des logements inférieurs à 14m². Mais selon Sarah
Coupechoux, « elle n'a eu aucun effet ». Rebelotte
avec le gouvernement Ayrault. Début 2013, Cécile
Duflot fait voter une taxe visant à encadrer les loyers
dans une quarantaine d'agglomérations, dont Paris.
Désormais, les propriétaires ne peuvent plus fixer
leur loyer comme bon leur semble, et ne peuvent l’augmenter que sous certaines conditions (réalisation de
travaux d’amélioration, réévaluation du loyer lors de
la signature d’un nouveau bail, etc.). Seulement, lors
d'une nouvelle location, rien n'oblige le propriétaire
d'inscrire sur le bail le montant de l'ancien loyer. Le
nouveau locataire n'a donc aucun moyen de vérifier
si son propriétaire respecte la loi. D'autre part, un
sondage IPSOS, publié début novembre par le Figaro,
montre « qu’un propriétaire sur deux reste indifférent
à cette loi ». En clair, la moitié des propriétaires ne
la respectent pas. Interviewée en janvier dernier
sur RTL, la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem avait, quant à elle, regretté que « les
contrôles soient si rares ». « Il faut renforcer le contrôle
des pratiques illégales des propriétaires, aujourd’hui
on les apprend trop tard » avait-elle ajouté.
Mais depuis un an, rien n’a changé. Lorsque nous
contactons la Mairie de Paris, notre interlocuteur
ne semble ne pas comprendre : « la mairie de Paris
intervient dès qu’un locataire se sent floué. Dès lors,
tout un processus est mis en place avec l’intervention
des services d’hygiènes de Paris afin d’effectuer les
constations
nécessaires ». Lorsque nous lui demandons si la
Mairie de Paris a les moyens d’intervenir avant qu’un
logement insalubre soit mis sur le marché locatif, le
conseiller de Paris s’énerve : « mais comment voulezvous que l’on intervienne sur le marché privé, c’est
absurde ! » Chez nos voisins européens, cette mesure
existe pourtant depuis 10 ans. En Belgique, tout
propriétaire peut être soumis à un contrôle inopiné
de respect des critères de salubrité, déterminés par
EFJ 3 / enquête blanche
la Région dont il dépend. Ces mesures peuvent avoir
lieu sans que le locataire en fasse la demande, mais
simplement sur ordre des services communaux.
Rachid a lui aussi reçu les services de la ville de Paris
chez lui. « Ils sont venus ici le 13 juin dernier, ont fait
des mesures afin de calculer la surface réelle de mon
logement et constater l’infraction. Mais depuis 6 mois,
je n’ai plus de nouvelles » s’étonne Rachid.
En plus du
manque
d'espace, ces
logements
font souvent
état d'une
insalubrité
avancée.
«COMMENT VOULEZ-VOUS QUE
L'ON INTERVIENNE SUR LE MARCHÉ
PRIVÉ, C'EST ABSURDE !»
En partant, nous nous faufilons pour ne pas faire
tomber la pile de vêtements posée à même le sol d'un
côté, et de l'autre, la plaque chauffante placée sur le
four micro-ondes.
Rachid rigole en observant notre improbable
déhanché.
«Simple question d'habitude» nous lance t-il, moqueur,
en refermant sa porte.
BENJAMIN HELFER
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