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« Je suis nègre et des tonnes de chaines, des
orages de coups, des fleuves de crachats
ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas
le droit de me laisser ancrer, pas le droit de
me laisser engluer par les déterminations
du passé. » Frantz Fanon
RAPPORT DE STAGE :
La politique mémorielle de la municipalité de Saint-Denis :
la ville et le CM98 « entrepreneurs de mémoire »:
1
CESARIN Axelle
L3 science politique N°
d’étudiant : 10271823
Directeur de stage : Clemens Zobel
Table des matières
Introduction ........................................................................................................................................ 2
Les revendications mémorielles de la communauté antillaise ............................................................. 4
La ville de Saint-Denis et la mémoire de l'esclavage........................................................................... 9
Le CM98 entrepreneur de mémoire ................................................................................................... 15
23 mai 2013, une journée en mémoire des victimes de l'esclavage coloniale ................................... 17
Conclusion......................................................................................................................................... 19
2
Introduction
La ville de Saint Denis est la plus peuplé de la Seine-Saint-Denis et la troisième ville d'île de France,
avec plus de 105 000 habitants. Cette ville accueille de nombreuses nationalités, de nombreuses
cultures ce qui est un atout et un enjeu pour sa municipalité. Un atout parce que la ville a une vie
culturelle des plus riches et un enjeu parce que l'équipe municipale doit mener son action en prenant
en compte les différentes aspirations de leurs concitoyens. Pour la ville, la culture et les cultures
participent du vivre ensemble, aide au développement d'une solidarité et d’une convivialité entre les
habitants.
Le maire actuel de la ville est Didier Paillard, élu pour la première fois en 2004 et réélu en 2008. Il
est membre du parti communisme depuis 1971. Son attention particulière à tout ce qui touche au
travail de mémoire et à la diversité de la population l'amène à ériger un mémorial de la déportation
sous le haut patronage de Simone Veil en avril 2005, à répondre favorablement à la demande de
plusieurs associations d'instaurer une cérémonie en hommage aux victimes de l'esclavage en mai 2006,
et à inaugurer la place des victimes du 17 octobre 61 en mars 2007.
La municipalité met alors en place un partenariat avec l'association qui a porté le projet de cette
journée de commémoration, le CM98. Au sein de la municipalité c'est l'adjointe au maire Jacqueline
Pavilla ainsi que la chargée de mission Juliette Seydi membre du cabinet du maire qui porte le projet
et font le relais avec l'association. Si l'association s'occupe de l'organisation de la journée et à son
propre comité de communication, la ville prend elle aussi part à la mise en place de cette journée qui
fait désormais parti de son calendrier.
Pour la municipalité et le CM98, il s'agit de mettre en avant les victimes de la traite et de l'esclavage,
ce qui est une première en France. En effet, les commémorations concernent généralement l'abolition
de l'esclavage et mettent en avant le rôle joué par la République dans la libération des esclaves des
3
Antilles françaises. Le 23 mai est l'occasion de mettre en avant les esclaves, d'essayer de mieux
connaître leurs vies et de faire découvrir la culture antillaise.
J’ai souhaité effectuer mon stage au sein de la mairie de Saint Denis auprès de l’adjointe au maire
délégué à la mémoire, à la vie associative et aux personnes âgées, Jacqueline Pavilla en partenariat
avec le CM98 afin d’observer la mise en place des cérémonies de cette année qui ont pris une
dimension toute particulière en raison de la pose d’une stèle à l’occasion de la cérémonie
républicaine et de la présence du ministre de l’Outre-mer pour l’inauguration de celle-ci.
Ce stage a été l'occasion de découvrir comment la ville de Saint-Denis de par sa politique mémorielle,
légitime l'action du CM98. En quoi le 23 mai et la coopération entre la ville de Saint
Denis et l’association CM98, illustre l’apparition de nouveaux « entrepreneurs de mémoire » qui
porte les revendications mémorielle d’une communauté, la communauté antillaise au sein de la
République ?
Dans un premier temps, nous verrons la monter des revendications de reconnaissance mémoriel de la
communauté antillaise. Dans un second temps je présenterais les deux acteurs majeurs de mon stage
la municipalité de Saint Denis représenté par Mme Jacqueline Pavilla et le CM98. Enfin je ferais un
bilan de la journée du 23 mai 2013 qui était l’événement majeur de mon stage.
4
« La mémoire collective est une construction sociale. Elle fait l'objet de réinterprétations diverses,
notamment par des groupes qui ont intérêt à la façonner dans un sens qui conforte leurs croyances
et/ou leurs intérêts. Elle traduit ainsi des rapports de force entre différentes représentations
concurrentes du passé. Elle est également largement orientée par le pouvoir qui, par les
commémorations, monuments et autres « lieux de mémoire », sélectionne les représentations du passé
et contribue à construire une mémoire institutionnelle. »1
Les pouvoirs publics ont toujours essayé de contrôler les souvenirs communs, les récits communs
d’un groupe donné car l’enjeu est la mise en récit de l’identité nationale. Depuis le début de la IIIème
République jusqu’à la 1er
Guerre Mondiale, l’État avait le monopole de la mémoire publique officielle.
La mise en place des grandes commémorations autour de La Révolution française est essentiellement
l’œuvre de parlementaires. Après la Grande Guerre, l’État doit composer avec de nouveaux acteurs
de la société civile, ceux que Johann Michel2
appelle les « entrepreneurs de mémoire ». Ces «
entrepreneurs de mémoire » vont prendre une place de plus en plus importante et de plus en plus
décisive dans la mise en place de politique mémoriel. Les anciens combattants d’abord, imposent des
commémorations comme celle du 11 novembre grâce à des relais au sein du parlement pendant
l’entre-deux guerres. Après la 2nde
Guerre Mondiale, il faut reconstruire l’unité nationale et les
autorités choisissent de le faire autour du « mythe résistancialiste » : c’est-à-dire que le « roman
1
Définition du Lexique de Science politique, édition Dalloz
2
Philosophe, politiste, professeur de science politique à l’Université de Poitiers et à l’Institut d’études politiques de
Paris, chercheur rattaché à l’Institut Marcel Mauss, Ecole des hautes études en sciences sociales
Les
revendications
mémorielles de la
communauté
antillaise
5
national » est écrit de sorte que l’on donne l’impression que la résistance n’était pas le fait d’une
minorité.
Mais c’est à la fin du XXème siècle que l’on assiste à l’entrée dans l’espace public de nouveaux
acteurs. L’État doit faire face à des demandes mémorielles nouvelles. De nouveaux personnages, de
nouvelles pages de l’histoire jusque-là exclu du « roman national » à commencer par les victimes de
la Shoah apparaissent. Commémoration, monument aux morts, musée, réparation, progressivement
les associations de victimes et de descendant de victimes de la Shoah obtiennent des responsables
politiques la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans cette atrocité. Contrairement aux
commémorations habituelles qui glorifie les héros de la République ou des évènements marquant de
son histoire, les politiques mémorielles lié à la Shoah mettent en avant une nouvelle figure celle de
l’innocente victime juive persécuté pour ce qu’il est.
Le régime mémoriel de la Shoah, servira de modèle et de justification aux revendications d’autres
groupes comme celui des descendants d’esclaves.
En effet la question de la mémoire de l’esclavage, a fait son retour dans l’espace public depuis
quelques années. Il faut se rappeler que de l’abolition de l’esclavage en 1848 à 1948, l'histoire de de
l’esclavage reste très méconnu du grand public. De même, après l’abolition de l’esclavage, dans les
îles françaises se met en place une culture de l’oubli du côté des pouvoirs publics. Du côté de l’État,
cette « oubli » était nécessaire à la constitution du récit de la Nation unie et glorieuse, dont
« l’ethos » collectif prenait justement naissance à l’Abolition, en 1848. L’abolition signifiait pour les
nouveaux libres des colonies françaises, l’accession à la citoyenneté qui déboucherait tout
naturellement sur la voie de l’assimilation.
La figure de l’esclave est effacée au nom de l’idéal républicain d’égalité pour laisser place à celle du
citoyen et lorsque l’on parle d’esclavage s’est pour rattacher son abolition par la République sauveuse.
« Il n’y a pas d’identité sans mémoire […], si on ampute un groupe donné de sa faculté de se souvenir,
il perd de fait sa capacité à construire son « identité narrative », pour employer l’expression de Paul
Ricœur ». L’oubli institué autour de la question de l’esclavage en France a pour beaucoup entamer la
possibilité pour la communauté antillaise de se construire une mémoire commune.
6
Les antillais après l’accession à la citoyenneté ont dû lutté pour une égalité réelle que la
départementalisation devait leur apporter en 1948, cent ans après la révolution. Mais la désillusion
face à la persistance de discriminations, des inégalités et du sentiment de ne pas être des « citoyens à
part entière » va permettre à des revendications identitaires de se développer. Des mouvements
nationalistes émergent et cette mémoire de l’esclavage est mise au service de la politique, qui se situe
d’abord à un niveau strictement local.
En 1994, l’UNESCO lance son projet « la route de l’esclave » à Ouidah au Bénin qui a pour but une
meilleure compréhension des causes et des modalités d’opération ainsi que des enjeux et des
conséquences de l’esclavage dans le monde. L’UNESCO dans sa démarche souhaitait mettre en
lumière les transformations globales et les interactions culturelles issues de « la plus gigantesque
tragédie de l’histoire humaine par l’ampleur et la durée »3
, tout en contribuant à une culture de la
paix en favorisant la réflexion sur le pluralisme culturel et la construction des nouvelles identités et
citoyennetés.
Dans la foulée, en France, le gouvernement Jospin organise en 1998 à Champagney une cérémonie à
l’occasion du 150ème
anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Champagney est une place
symbolique, puisque c’est le premier village français à s’être préoccupé du sort des esclaves dans son
cahier de doléances de 1788. Après un hommage à Victor Schœlcher, artisan de l’abolition, il lance
dans un souci de réconciliation nationale, un appel aux jeunes : « Il faut, tout en rappelant la vérité,
dépasser les débats, affectés de bonne ou de mauvaise conscience, entre descendants de victimes ou
de coupables, qui sont facteurs d’incompréhension en métropole comme outre-mer... Se libérer sans
chasser l’autre, défaire ses liens sans opprimer à son tour » ... Une formule-choc résume le propos :
« Nous sommes tous nés en 1848. »
Pour les collectifs liés à cette histoire, la formulation du passé proposée par le gouvernement fait
l’impasse sur un épisode loin d’être glorieux de l’Histoire de France. Elle implique une continuation
de l’absorption des descendants d’esclaves en oubliant son droit à la mémoire et l’effacement d’une
quelconque responsabilité assumée par l’État concernant son passé esclavagiste.
La loi Taubira4
voté en 2001 est une réponse donnée par le gouvernement de l’époque face à la montée
des revendications des groupes de descendants d’esclaves. La loi reconnaît ce crime qui connut
3
Citation de Michel Deveau voir le site internet de l’Unesco :
http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/dialogue/the-slave-route
4
Loi nº 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l'humanité.
7
autrefois une existence légale sanctionnée par la Nation comme un crime contre l’humanité, mais
rappel aussi son abolition par la République. Cette loi reste encore polémique comme toutes les lois
touchant à la mémoire. Pour beaucoup la reconnaissance du passé s'accompagne malheureusement
d'une absence de reconnaissance au présent.
Maryse Condé, membre du comité pour la mémoire de l'esclavage écrit :« Cette attente [de
reconnaissance] s'explique par le fait que la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu
de l'esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 21 mai 2001, l'histoire de la traite négrière, de
l'esclavage et de leur abolition continue d'être largement ignoré, négligée, marginalisée. Ces
concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration
dans la République. »
En 2005, le Comité pour la mémoire de l'esclavage, crée à la suite de la loi Taubira, remet son rapport
au 1er ministre sur les mémoires de la traite négrières, de l'esclavage et des abolitions. Ce rapport
recommande la mise en place d'une journée commémorative. Le défi va être de trouver une date qui
convienne à tous car les abolitions ne se sont pas faites en même temps dans les départements d'Outre-
mer. C'est le 10 mai, date anniversaire du vote par la représentation nationale unanime de la loi
déclarant l'esclavage « crime contre l'humanité », qui sera retenue. Cette initiative a quelque peu
apaisé les revendications de la communauté antillaise, mais pour beaucoup ce n'est pas suffisant. Pour
Stéphane Dufoix, la reconnaissance des discriminations passés est indispensable surtout s’il y a
persistance de ce passé. Et même s’il est certain que le système esclavagiste a disparu en France et
dans ses territoires d'Outre-mer, ce passé douloureux a profondément marqué les sociétés antillaises.
Selon la théorie de Paul Ricœur, on peut distinguer trois niveaux d'actions distincts, prendre pour soi,
avouer et accorder une place à un événement. On peut donc en déduire qu'il y a plusieurs actions
possibles : la repentance, la réparation, le rééquilibrage, la restitution, la requalification, la
remémoration, la reconstitution et enfin la réconciliation.
La première action possible est la repentance, c'est à dire que les responsables de la discrimination ou
du traumatisme s'en excusent publiquement. Le plus souvent cette action a lieu à posteriori par le
biais des représentants de l’État.
Il y a aussi la question de la réparation qui consiste le plus souvent à allouer aux populations victimes
ou à leurs descendants une somme d'argent visant à réparer le préjudice subi.
On peut effectuer un rééquilibrage c'est à dire prendre acte du passé discriminatoire mais aussi de la
persistance des discriminations au présent. Dans les démocraties occidentales cela se traduit sous
8
deux formes, le multiculturalisme « qui récuse la théorie de l'assimilation à la culture dominante du
pays, mais proclame de surcroît l'égalité, l'égale dignité et l'incommensurabilité de toutes les cultures
»5
. Ou encore sous la forme de la « discrimination positive » qui consiste à mettre en place des
politiques préférentielles à l'égard de certains groupes victimes de discrimination visant à assurer leur
représentativité et leur visibilité sociale.
La restitution a été illustrée après la seconde guerre mondiale lorsque les biens saisis par les nazis aux
juifs ont été restitué aux victimes ou à leurs descendants.
Paul Ricœur parle également de la requalification par exemple reconnaître les évènements en Algérie
comme fait de guerre.
La remémoration est ce qui est le plus réclamé lorsqu'un groupe lutte pour la reconnaissance de son
histoire. C'est le fait de se souvenir, d'assumer le passé et de refuser le silence. Ce n'est pas toujours
accompagné de repentance. La reconnaissance des faits permet de ne pas oublier. Le fait de bâtir des
monuments, des musées et de mettre en place des commémorations en sont une parfaite illustration.
La reconstitution pose un problème car elle révèle une tension entre mémoire et histoire. L'historien
se doit de prendre du recul et de garder son objectivité. Il ne doit pas présenter une version orienté ou
polémique des faits. De ce fait, Ernest Renan défendait l'idée que l'historien met en danger l'unité de
la nation en exhumant le passé divisé. La reconnaissance passe aussi par le savoir.
Et enfin la réconciliation qui demande une mémoire apaisée.
La plupart du temps, les politiques mémoriels sont un mélange de toutes ces actions possibles. La
ville de Saint Denis a pris le parti depuis 2008 d'accueillir les célébrations du 23 mai en mettant à
disposition du CM98 des fonds ainsi que les services et infrastructures nécessaire à la réalisation de
cette journée. Saint-Denis montre par son implication dans l'organisation de cette journée de
commémoration, son engagement sur la question de la mémoire. Engagement qui s'est intensifié lors
du renouvellement de l'équipe municipale en 2008.
5
Dufoix Stephane, La reconnaissance au présent : les dimensions temporelles de l'histoire et de la mémoire », Revue du MAUSS,
2005/2 no 26, p. 137-154. DOI : 10.3917/rdm.026.0137
9
Lors de sa campagne pour les élections municipale, Didier Paillard, l'actuel maire de la ville de Saint
Denis et son équipe municipale donc se sont engagés à répondre aux demandes croissantes de
reconnaissance de diverses communautés qui vivent à Saint Denis. Déjà avant 2008, la municipalité
avait fait le choix de mettre en avant sa diversité culturelle, en soutenant des initiatives associatives
notamment celle des associations d'anciens combattants qui ont abouti par exemple à la réalisation
d'une nouvelle stèle dans le carré des fusillés au cimetière de la ville.
Les initiatives de l'équipe municipale sur la question de la mémoire correspondent à un engagement
du contrat d'action communal. Le maire et son équipe ont décidé de construire leurs propres réponses
aux demandes pressantes de reconnaissance de diverses communautés sans attendre qu'une directive
du pouvoir centrale amorce les choses. Le maire choisit donc en 2008 de créer une délégation à la
mémoire dont la maire adjointe Jacqueline Pavilla va prendre la tête. Cette délégation réfléchit aux
modalités de mise en œuvre de cet engagement municipale.
En prenant compte des aspirations de leurs concitoyens à commémorer des évènements propres à
leurs communautés, la municipalité ne cherche pas à s'enfermer dans le communautarisme ou dans la
nostalgie mais à les faire partager au plus grand nombre. Tout ceci dans le but de créer une plus
grande cohésion sociale sans pour autant instrumentaliser ou réécrire l'histoire.
Pour Jacqueline Pavilla, un travail continue sur la mémoire de la ville dans la diversité de ses
composantes peut être facteur de cohésion sociale et contribuer à la construction d'une ville pour tous.
Lorsque la maire-adjointe déléguée à la mémoire prend ses fonctions, elle a à cœur de porter les
revendications particulières de sa communauté. En effet, Jacqueline Pavilla avant d'être maire
adjointe, était une militante impliquée dans la vie de la communauté antillaise. Elle a notamment été
membre de l'association Bay Lanmen6
, association qui proposait diverses activités aux enfants aussi
bien qu'au parent notamment de la danse traditionnelle antillaise, le gwo ka. Son nom figure sur la
10
liste des membres du CM98, association qui porte le projet du 23 mai. Le fait quel soit si impliqué
dans la vie de sa communauté et qu'elle entre au conseil municipal a certainement faciliter la mise en
place de la journée du 23 mai. Lors du colloque organisé par la ville de Saint-Denis en avril 2011 à
l'Université Paris 8- Vincennes, la maire-adjointe a déclaré :
« Quand le maire de Saint-Denis m'a confié cette délégation à la Mémoire, je dois reconnaître que
mon regard sur la question était non pas réducteur, mais le regard propre à une personne qui
revendiquait au nom d'une mémoire particulière »6
Bien sûre, Mme Pavilla ne s'est pas contenté de porter les aspirations des antillais de Saint-Denis.
Avec sa délégation, elle a recommandé au conseil municipal la création d'une journée partage des
mémoires pendant laquelle chaque année, serait mise à l'honneur chaque année une page de l’histoire
différente qui a eu un impact sur la ville ou qui concerne une partie de la population.
La première édition de cette journée a eu lieu en 2009 et le thème était “descendant d’esclaves et de
colonisés“.
L’édition 2013 a eu pour thème, “ pour la citoyenneté, décoloniser les esprits “. Le but de cette journée
était de rassembler le plus grand nombre autour d’une question qui concerne tout le monde.
Ce thème a été choisi car à l’heure où l’Etat a reconnu plusieurs crimes coloniaux comme le massacre
du 17 octobre 1961, il a semblé pertinent à Jacqueline Pavilla et à ses collaborateurs de réfléchir aux
conséquences de la colonisation. Il été prévu que certains établissements scolaires de la ville
participent à la journée en menant des projets avec leurs élèves. Malheureusement, cela ne s’est pas
fait malgré des rencontres entre les enseignants, les associations et les représentants de la municipalité.
6
7Migrations sociétémémoires 2013, Vol. XXIII, n°138, novembre-décembre 2011, revue bimestrielle du CIEMI
11
Cette année j’ai participé à la préparation de cette journée et
j’ai également accepté de témoigner en tant que jeune
d’origine guadeloupéenne. Pour préparer cette journée, j’ai
rejoint l’équipe de la maison de la vie associative de Saint
Denis. Ma mission a consisté à trier les photos remises par
les différentes associations sollicitées comme voix d’Elle
Rebelle, l’association franco tamoule mais aussi de
particuliers qui le souhaitaient. J’ai remarqué qu’il y avait en
grande majorité des photos de familles issues du Maghreb,
des photos de leurs vies là-bas et des photos de leurs vies ici. Juliette Seydi, membre du cabinet du
maire a prêté pratiquement toute les photos de familles d’Afrique noire et des Antilles car elle s’est
rendu en Afrique avec le maire et que son gendre est originaire des Antilles. Cette exposition photo
était l’initiative de Nadya Bou Abdelli, chargé des évènements à la Maison de la vie associative.
Malheureusement la municipalité n’avait pas prévu cette exposition et donc nous n’avons pas eu les
supports pour exposer les photos dans les meilleures conditions dans la salle de la Légion
d’honneur. Nous avons donc préparé cette exposition avec les moyens du bord et le rendu a été
apprécié par tous les participants.
La Journée Partage des mémoires réunis des dionysiens autour du maire, de l’adjointe au maire
Mme Pavilla et de plusieurs intervenant notamment Viviane Roelle-Romana7
et Curtis-Robert
Young8
. La matinée a été marquée par la projection des interviews de jeunes descendant de colonisé.
Lorsque les deux techniciens du service télévisuels de la ville m’ont demandé ce que je savais de la
colonisation. Je me suis rendu compte qu’avant le Lycée, je n’en savais pas grand-chose et qu’après
j’en ai appris bien plus à l’Université car j’avais accès à l’histoire du côté des colonisés. Je me suis
aussi rendu compte qu’en tant qu’antillaise, je ne me suis jamais représenté comme une enfant de
colonisé ou de colonisateur. En effet, les antillais sont les descendants d’esclaves africains emmenés
de force de l’autre côté de l’océan atlantique. Et lorsqu’ils ont perdu leurs statuts d’objet, ils sont
devenus des citoyens de la République sans en avoir tous les avantages. La colonisation en tant qu’«
extension de la souveraineté d’un Etat sur des territoires et des populations situés en dehors de ses
7
Docteur en psycho-ethnologie responsable pédagogique à l'université populaire du CM98
8
Historien et Président de l'association Art Métis
6
Exposition photo dans la salle de la Légion d’honneur
pour la Journée partage des mémoires
12
frontières nationales »9
soutenu par un discours sur l’infériorité de certains peuples et la nécessité de
leur apporter la civilisation, n’a pas eu lieu de la même façon dans les îles. Il y a bien eu colonisation
mais elle s’est faite sur des îles dont la population a été exterminée ou était pratiquement inexistante.
Bien qu’il y ait eu et qu’il reste des inégalités liées à la couleur10
aux Antilles, cela ne s’est jamais
fait sous couvert de la colonisation.
Pendant l’échange entre les jeunes interviewer et les dionysiens, on nous a demandé si on avait
l’impression que notre esprit était colonisé. Si Arlindo d’origine cap verdienne a répondu de façon
catégorique que ce n’était pas le cas, j’ai eu plus de mal à répondre à cette question. Le thème de la
journée « pour la citoyenneté, décolonisons les esprits » trop abstrait a rapidement dévié sur un débat
sur la discrimination et l’égalité des chances car pour beaucoup les discriminations sont les
conséquences bien souvent de la décolonisation. J’ai ainsi fait la remarque suivante : quand on
m’interpelle pour connaître ma nationalité et que je réponds que je suis française, on me demande
souvent mais de quelle origine et dans ce cas-là ma réponse est de la Guadeloupe. Mais la Guadeloupe
fait partie intégrante de la France, mais la méconnaissance de ce département et de son histoire est
affligeante la plupart du temps. La matinée s’est terminée sur la conclusion qu’il était important de
ne pas faire de raccourci en prenant pour excuse le passé pour expliquer totalement le présent.
D’importantes avancées ont été faites pour promouvoir la diversité culturelle et l’égalité des chances,
le travail de la municipalité de Saint-Denis a d’ailleurs été salué.
L’après-midi, une table ronde a réunis les intervenants.
Entouré de photos de famille issue de l’immigration, nous
avons discuté premièrement du débat de la matinée. Puis
les intervenants ont donné leur avis sur la colonisation.
Ce qui est ressortit des discussions de la journée c'est qu’il
y a au sein de la population dionysienne une sorte de
frustration face au manque de reconnaissance de leurs
histoires surtout lorsque la colonisation est en question.
Pour beaucoup cette histoire coloniale a encore des répercussions sur leur vie et celle de leurs enfants.
Les médias présentent souvent le 93 comme un département violent mais ne montrent jamais assez
les initiatives comme celle-ci qui permettent un vrai dialogue autour des valeurs de la République. Il
9
Colonialisme, page 72, Définition tiré du lexique de Science politique, Vie et institutions politiques, ed. Dalloz
10
Voir documentaire les derniers maîtres de la Martinique Romain Bolzinger diffusé par canal +, le 6 février 2009 e
pleine crise sociale
Table ronde de la journée partage
des mémoires 2013
13
s'agit en effet de faire une place dans la mémoire institutionnelle pour de nouvelles représentations
du passé. Cette journée a également été l’occasion d’introduire l’évènement du 23 mai
Pour Johann Michel, professeur de science politique à l’Université de Poitiers et à l’Institut d’études
politiques de Paris, deux catégories de ce que l’on appelle les « entrepreneurs de mémoire » ont
réussis à formuler les grammaires propres au « régimes victimo-mémoriel » en dehors de l’appareil
de l’Etat : les associations de victimes de la Shoah et les associations qui défense la mémoire de
l’esclavage. Le régime mémoriel de la Shoah a servi de modèle pour d’autres groupes luttant pour la
reconnaissance de crime commis à leur encontre. Le Cm98 a œuvré depuis la fin des années 90, pour
la mémoire des esclaves noirs victimes de la traite et de l’esclavage. Ils ont réussi à faire entrer
l’esclavage dans la matrice du « régime victimo-mémoriel » et surtout à faire apparaitre clairement
la figure de l’esclave aux yeux du public. Grâce au travail de cette association, une cérémonie
républicaine rendant hommage aux victimes de l’esclavage colonial a lieu chaque année dans le
prolongement des cérémonies célébrant l’abolition.
14
Le CM98,
"entrepreneur de
mémoire"
L’association CM98 est une parfaite
illustration de que l’on appelle un «
entrepreneur de mémoire » selon Johann Michel.
C’est une association crée en 1999 par les organisateurs de la Marche du 23 mai 1998. A l’occasion
du cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage environs 40 000 Antillais et sympathisants ont
effectué une marche silencieuse de la place de la République à la place de la Nation. Cette
manifestation avait pour but d’honorer leurs aïeux esclaves. Serge Romana, Emmanuel Gordien,
Gilles Gabon, Frédérique Gabon, Franck Salin et Viviane Roelle-Romana en sont les fondateurs.
L’association a pour objectif de traiter des problèmes identitaires et mémoriels des Antillais en vue
de permettre une meilleure insertion de leur communauté au sein de la République. Lors de
l’organisation de la marche, les diverses associations présente ce sont rendu compte qu’il n’existait
aucun lieu pour honorer la mémoire de leurs ancêtres. Aussitôt certains proposent de donner une
messe car la plupart des membres de la communauté Antillo-guyanaise sont chrétiens. Et dans la
tradition chrétienne surtout aux Antilles, une messe est toujours donnée en l’honneur du défunt. Mais
cet aspect religieux des choses aurait certainement confiné l’évènement au sein de la communauté
antillaise et ce n’était pas l’objectif voulu.
Pour les membres de l’association, la société antillaise a hérité de certains aspects du mode de
fonctionnement des sociétés esclavagistes. Enfaite l’identité antillaise s’est construite dans cette
société esclavagiste. Pour rendre ces figures d’esclaves moins abstraite,
l’association se lance dans un travail généalogique qui donnera lieu à
un mémorial itinérant sur lequel figure les noms des esclaves, leurs
matricules et surtout les noms de famille qui leurs ont été attribué par
la République. Ce mémorial est itinérant et déplacé dans les villes àMémorial itinérant à Saint Denis 2013
15
forte concentration antillaise. C’est ainsi que les membres de la communauté antillaise peuvent
retrouver le nom d’un aïeul. Avec la mise en place d’une convention avec la ville de Saint-Denis en
2008, qui institue le 23 mai à Saint Denis, l’association met en place un rituel.
Chaque année depuis, une cérémonie œcuménique est donnée à la Basilique de Saint-Denis en
hommage aux victimes de la traite et de l’esclavage. Durant cette cérémonie, les noms donnés aux
esclaves en 1848 sont psalmodiés. Une cérémonie laïque et républicaine réuni ensuite membre du
CM98, sympathisant et représentant de l’Etat.
Le CM98 a été subventionné par la ville de Saint Denis à hauteur de 20 000 euros cette année mais
également par la Plaine Commune et l’Etat. La Stèle étant posé dans le jardin face à la Basilique et à
la mairie, l’accord de Plaine Commune11
était nécessaire. La présence du ministre de l’Outre-mer et
de Madame George Pau-Langevin, Ministre déléguée à la Réussite éducative a également nécessité
une sécurité accrue que le CM98 s’est chargé d’organisé avec les ministères concernés. Le 23 mai
reste une initiative associative, il est donc normal que le dialogue se fasse
surtout entre le ministère et la direction de l’association. Enfin Une
délégation de la ville des Abymes en Guadeloupe et une délégation de la
ville de Pointe noire au Congo jumelées entre elles dernièrement autour
des questions mémorielles ainsi que l’ambassadeur du Congo en France,
ont également fait le déplacement.
Le CM98 a pour principale interlocuteur au sein de la municipalité l’adjointe au maire Jacqueline
Pavilla et Juliette Seydi chargé de mission au sein du cabinet du maire. Dans le cadre de mon stage,
j’ai demandé à être bien sûre mise à contribution pour aider le CM98 à organiser les derniers
préparatifs car la journée était déjà prête dans l’ensemble. J’ai donc participé à la mise en place du
Brick, fresque humaine représentant la cale d’un bateau négrier en aidant l’association à joindre ses
membres. Les organisateurs souhaitaient avoir une centaine de participants mais malheureusement le
fait que le 23 mai soit un jeudi a empêché un bon nombre de membre et sympathisant de faire le
déplacement. D’ailleurs la plupart du temps lorsqu’on me disait non s’était parce que la personne
contactée ne pouvait pas être là à cause du travail ou parce qu’en raison de son âge la personne était
incapable de se mettre au sol et de se relever. J’ai eu une dame de 84 ans qui m’a dit : « ma chère,
11
Établissement public de coopération intercommunale, Plaine Commune regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis :
Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains
et Villetaneuse. 408 000 habitants vivent aujourd'hui sur les quelques 5 000 hectares du territoire, soit la moitié de la
surface de Paris.
Victorin Lurel, l'ambassadeur du congo et son épouse
16
dieu sait que je soutiens le CM98 mais là je ne pourrais pas me baisser et me relever et mon mari non
plus ».
C’est l’équipe dirigeante et les fidèles depuis des années, hommes et femmes de confiance qui ont
mené à bien la préparation de la journée du 23 mai 2013. Le comité de communication de
l’association a ainsi fait parvenir un communiqué de presse à ses contacts en parallèle du communiqué
de presse de la ville. C’est bénévolement que les membres de l’association ont encadré la journée et
tenu des stands.
17
Cette année a été marqué par l’inauguration de la stèle crée par Nicolas Cesbron, sculpteur, plasticien
où l’on peut lire sur des plaques gravées les noms et matricules de 213 esclaves. Stèle où les familles
pourront se recueillir, rendre hommage à leurs aïeuls plus seulement le 23 mai mais lorsqu’il le désire.
Un globe composé de lames de métal sur lequel sont fixés les médaillons en émail où sont inscrits les
prénoms. Les matronymes et patronymes inscrit sont ceux de dionysiens d’origine antillaise, de
responsables associatifs d’Ile de France et de membre du CM98 ayant participé au travail de recherche
généalogique pour créer la base donnée du CM98.
Durant la journée les passants ont pu apercevoir les œuvres d’artistes, de stylistes, goûter certaines
spécialités antillaises. Ceux qui le voulaient ont pu assister à de petite conférence sous une tente sur
l’influence du passé esclavagiste des sociétés antillaises aujourd’hui. Cette journée a également été
une tribune pour la lutte contre la drépanocytose, maladie touchant principalement les africains et les
antillais. La radio Outre-mer 1ere avait également sa tente car elle a suivi en direct la journée
permettant aux auditeurs de poser des questions aux dirigeants du CM98.
Entre la cérémonie œcuménique et laïque devait normalement avoir lieu une fresque humaine
représentant la cale d’un bateau négrier. Malheureusement le temps ne nous a pas permis de la réaliser
malgré la présence des volontaires car il fallait se coucher au sol et il pleuvait. J’ai passé deux
semaines a contacté les membres de l’association pour trouver des volontaires et j’ai remarqué que
des familles entières avaient adhérer à l’association et que la grande majorité de ses membres était
issu du Bumidom et donc avait plus de trente ans. Les plus jeunes ont souvent été entrainés par
d’autres membres de leurs familles.
D’ailleurs s’est en famille que les dionysiens se sont présentés à la grille du jardin fermé pour
23 mai 2013, une journée en
mémoire des victimes de
l’esclavage coloniale
18
L’occasion. Le CM98 avait loué les services d’agents de sécurités
mais ce sont des bénévoles qui ont accueilli avec des parapluies les
personnalités politiques, les responsables d’associations et les
membres des familles invités. J’ai participé à l’accueil des élus et
des familles et j’ai également par la force des choses du jouer les
agents de sécurité afin d’empêcher les familles réunis dans le petit jardin de venir trop près de la stèle
avant son inauguration par le ministre de l’Outre-mer Victorin Lurel. Ce-dernier est originaire de la
Guadeloupe, il a été membre et président du conseil régional et il connait très bien les fondateurs du
CM98 d’après ce que j’ai pu constater. D’ailleurs à plusieurs reprises après son discours il a été
interpellé par des bénévoles de l’association qui l’avait connu en Guadeloupe.
Parmi la foule rassemblée autour de la scène, on a pu apercevoir également des artistes comme
Jocelyne Beroard, chanteuse du groupe Kassav. Il y a eu de très nombreux discours, le maire Didier
Paillard, Serge Romana président du CM98, Bally Bagayoko maire adjoint et vice-président du
conseil général du 93, Victorin Lurel ministre de l’Outre-mer. Une heure et quart de discours pendant
lesquels les familles ne pouvaient approcher de ce qu’ils étaient venus voir la stèle honorant leurs
aïeux.
La journée s’est tout de même terminée sur note festive. Les élus et les invités tels que l’ambassadeur
du Congo ont été conviés à partager un petit buffet à la mairie tandis que sur la place un concert
débutait. Dans la petite salle des fêtes qui recevait les invités à la mairie, il était facile de voir à quel
point tout le monde se connaissais. Victorin Lurel a retrouvé de vieille connaissance de la Guadeloupe
et Serge Romana a salué un nombre très important de personnes présentes dans la salle.
Malgré quelques difficultés causées par la pluie, la journée a été festive et réussis. Elle a été l’occasion
pour les passants de voir quelques réalisations d’artistes antillais et pour la communauté Antillaise de
Saint Denis de se retrouver autour d’un lieu pour se remémorer et se réconcilier avec son histoire. La
journée a été gérer dans son ensemble par le CM98. La municipalité a apporté sa pierre à l’édifice en
prêtant des équipements et bien sûre en acceptant que la place face à la maire et à la Basilique des
rois de France se transforment en village antillais.
19
Durant mon stage, j’ai pu observer que la politique mémorielle de la ville de Saint Denis était
particulièrement tournée vers l’histoire coloniale étant donné la forte concentration de personnes
issues de l’immigration à Saint-Denis. En 2008, l’équipe municipale de Didier Paillard s’est engagé
à ouvrir la politique mémorielle de la ville vers les autres et pas seulement sur le roman national.
Jacqueline Pavilla et ses collaborateurs ont œuvré à dynamiser les fêtes liées à la résistance et à la
guerre qui ont tendance à rassembler de moins en moins de personnes à part les anciens combattants.
Pour cela, la municipalité a monté des projets mettant en lien des écoles et des associations d’anciens
combattants. Dans le même temps la délégation à la mémoire a travaillé sur une réponse à donner aux
désirs de reconnaissance des différentes communautés de la ville et il en est ressortis cette journée
partage des mémoires. Chaque année la ville choisis un thème différent lié à l’actualité ou non qui
permet de mettre en avant des pages de l’histoire de la ville ou d’une communauté qui a contribué à
son essor.
Enfin la ville a pérennisé son engagement auprès du CM98 en signant une convention lui permettant
de subventionner l’association et ses actions. Une relation de confiance s’est instaurée entre les
dirigeants de l’association et l’équipe municipale.
Le CM98 a fait un travail formidable pour faire connaitre la commémoration du 23 mai et en faire un
évènement national. L’association mobilise ses membres chaque année pour faire de cette journée un
évènement. Le 23 mai est une initiative associative et la ville s’y investit en prêtant les infrastructures
et l’argent nécessaire. Mais il n’y a pas une personne au sein de l’équipe municipale qui ne s’occupe
que de ce genre d’évènement. Moi-même bien qu’étant stagiaire à la ville uniquement en vue de
préparer le 23 mai, je me suis vite rendu compte que c’était l’association qui faisait le gros du travail
et que sans contact avec eux je ne savais pas qu’elle tache effectuer. Heureusement, Franck Salin
membre de la direction du CM98 m’a confié la tâche de contacter tous les membres de l’association
pour préparer la fresque humaine et Isabelle Brun qui s’occupe de la communication m’a également
mise à contribution pour envoyer les communiqués de presse aux contacts presse de l’association.
Le travail du CM98 à Saint-Denis est loin d’être fini selon moi il faudrait d’avantage impliqué le
milieu scolaire pour faire découvrir au plus jeune une période de l’histoire souvent survolé dans les
programmes scolaires. Pour que ce genre de projet puissent être mené à bien, il faudrait qu’un poste
soi crée au sein du secrétariat de l’adjointe au maire délégué à la mémoire et à la vie associative ou à
Conclusion
20
la maison de la vie associative de Saint Denis pour créer un dialogue entre les enseignants et les
associations qui comme le CM98 œuvrent pour la connaissance de l’histoire.
21
Bibliographie
• Brice Catherine, « Monuments : pacificateurs ou agitateurs de mémoire », in Pascal
Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, Les guerres de mémoires. La Découverte « Cahiers
libres », 2008 p. 199-208
• Dufoix Stephane, La reconnaissance au présent : les dimensions temporelles de l'histoire et
de la mémoire », Revue du MAUSS, 2005/2 no 26, p. 137-154. DOI : 10.3917/rdm.026.0137
Échos politiques de l’esclavage colonial, des départements d’outre-mer au cœur de l’État.
"Jean Luc Bonniol
• Jean-Luc Bonniol « Les usages publics de la mémoire de l'esclavage colonial », Matériaux
pour l’histoire de notre temps 1/2007 (N° 85), p. 14-21.
• Quel travail de mémoire(s) pour quelle société ? Migrations société, Vol. 23 n°138
novembre-décembre 2011
• Vergès Françoise, « Esclavage colonial : Quelles mémoires ? Quels héritages ? », in Pascal
Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, Les guerres de mémoires. La Découverte « Cahiers
libres », 2008 p. 155-164
22
Annexes
• Lien vers les 7 portraits mosaïques pour la journée partage de mémoire :
http://www.dailymotion.com/video/xza741_7-portraits-mosaique-journee-de-partage-desmemoires-
2013-decoloniser-les-esprits_news?search_algo=2
• Lien vers l’article du monde sur la journée du 23 mai :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/23/nos-ancetres-
lesesclaves_3415696_3224.html?xtmc=commemoration_23_mai&xtcr=4
• Lien vers les articles d’Outre-mer 1ere :
http://www.la1ere.fr/2011/05/03/10-mai-23-mai-27-avril-une-celebration-multiple-
10627.html
http://www.la1ere.fr/2013/05/21/le-23-mai-pour-commemorer-l-esclavage-dans-l-hexagone-
36303.html
http://www.la1ere.fr/2013/05/22/saint-denis-lieu-fort-de-la-commeoration-de-l-esclavagedans-l-
hexagone-36537.html

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Rapport de stage

  • 1. « Je suis nègre et des tonnes de chaines, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer, pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. » Frantz Fanon RAPPORT DE STAGE : La politique mémorielle de la municipalité de Saint-Denis : la ville et le CM98 « entrepreneurs de mémoire »:
  • 2. 1 CESARIN Axelle L3 science politique N° d’étudiant : 10271823 Directeur de stage : Clemens Zobel Table des matières Introduction ........................................................................................................................................ 2 Les revendications mémorielles de la communauté antillaise ............................................................. 4 La ville de Saint-Denis et la mémoire de l'esclavage........................................................................... 9 Le CM98 entrepreneur de mémoire ................................................................................................... 15 23 mai 2013, une journée en mémoire des victimes de l'esclavage coloniale ................................... 17 Conclusion......................................................................................................................................... 19
  • 3. 2 Introduction La ville de Saint Denis est la plus peuplé de la Seine-Saint-Denis et la troisième ville d'île de France, avec plus de 105 000 habitants. Cette ville accueille de nombreuses nationalités, de nombreuses cultures ce qui est un atout et un enjeu pour sa municipalité. Un atout parce que la ville a une vie culturelle des plus riches et un enjeu parce que l'équipe municipale doit mener son action en prenant en compte les différentes aspirations de leurs concitoyens. Pour la ville, la culture et les cultures participent du vivre ensemble, aide au développement d'une solidarité et d’une convivialité entre les habitants. Le maire actuel de la ville est Didier Paillard, élu pour la première fois en 2004 et réélu en 2008. Il est membre du parti communisme depuis 1971. Son attention particulière à tout ce qui touche au travail de mémoire et à la diversité de la population l'amène à ériger un mémorial de la déportation sous le haut patronage de Simone Veil en avril 2005, à répondre favorablement à la demande de plusieurs associations d'instaurer une cérémonie en hommage aux victimes de l'esclavage en mai 2006, et à inaugurer la place des victimes du 17 octobre 61 en mars 2007. La municipalité met alors en place un partenariat avec l'association qui a porté le projet de cette journée de commémoration, le CM98. Au sein de la municipalité c'est l'adjointe au maire Jacqueline Pavilla ainsi que la chargée de mission Juliette Seydi membre du cabinet du maire qui porte le projet et font le relais avec l'association. Si l'association s'occupe de l'organisation de la journée et à son propre comité de communication, la ville prend elle aussi part à la mise en place de cette journée qui fait désormais parti de son calendrier. Pour la municipalité et le CM98, il s'agit de mettre en avant les victimes de la traite et de l'esclavage, ce qui est une première en France. En effet, les commémorations concernent généralement l'abolition de l'esclavage et mettent en avant le rôle joué par la République dans la libération des esclaves des
  • 4. 3 Antilles françaises. Le 23 mai est l'occasion de mettre en avant les esclaves, d'essayer de mieux connaître leurs vies et de faire découvrir la culture antillaise. J’ai souhaité effectuer mon stage au sein de la mairie de Saint Denis auprès de l’adjointe au maire délégué à la mémoire, à la vie associative et aux personnes âgées, Jacqueline Pavilla en partenariat avec le CM98 afin d’observer la mise en place des cérémonies de cette année qui ont pris une dimension toute particulière en raison de la pose d’une stèle à l’occasion de la cérémonie républicaine et de la présence du ministre de l’Outre-mer pour l’inauguration de celle-ci. Ce stage a été l'occasion de découvrir comment la ville de Saint-Denis de par sa politique mémorielle, légitime l'action du CM98. En quoi le 23 mai et la coopération entre la ville de Saint Denis et l’association CM98, illustre l’apparition de nouveaux « entrepreneurs de mémoire » qui porte les revendications mémorielle d’une communauté, la communauté antillaise au sein de la République ? Dans un premier temps, nous verrons la monter des revendications de reconnaissance mémoriel de la communauté antillaise. Dans un second temps je présenterais les deux acteurs majeurs de mon stage la municipalité de Saint Denis représenté par Mme Jacqueline Pavilla et le CM98. Enfin je ferais un bilan de la journée du 23 mai 2013 qui était l’événement majeur de mon stage.
  • 5. 4 « La mémoire collective est une construction sociale. Elle fait l'objet de réinterprétations diverses, notamment par des groupes qui ont intérêt à la façonner dans un sens qui conforte leurs croyances et/ou leurs intérêts. Elle traduit ainsi des rapports de force entre différentes représentations concurrentes du passé. Elle est également largement orientée par le pouvoir qui, par les commémorations, monuments et autres « lieux de mémoire », sélectionne les représentations du passé et contribue à construire une mémoire institutionnelle. »1 Les pouvoirs publics ont toujours essayé de contrôler les souvenirs communs, les récits communs d’un groupe donné car l’enjeu est la mise en récit de l’identité nationale. Depuis le début de la IIIème République jusqu’à la 1er Guerre Mondiale, l’État avait le monopole de la mémoire publique officielle. La mise en place des grandes commémorations autour de La Révolution française est essentiellement l’œuvre de parlementaires. Après la Grande Guerre, l’État doit composer avec de nouveaux acteurs de la société civile, ceux que Johann Michel2 appelle les « entrepreneurs de mémoire ». Ces « entrepreneurs de mémoire » vont prendre une place de plus en plus importante et de plus en plus décisive dans la mise en place de politique mémoriel. Les anciens combattants d’abord, imposent des commémorations comme celle du 11 novembre grâce à des relais au sein du parlement pendant l’entre-deux guerres. Après la 2nde Guerre Mondiale, il faut reconstruire l’unité nationale et les autorités choisissent de le faire autour du « mythe résistancialiste » : c’est-à-dire que le « roman 1 Définition du Lexique de Science politique, édition Dalloz 2 Philosophe, politiste, professeur de science politique à l’Université de Poitiers et à l’Institut d’études politiques de Paris, chercheur rattaché à l’Institut Marcel Mauss, Ecole des hautes études en sciences sociales Les revendications mémorielles de la communauté antillaise
  • 6. 5 national » est écrit de sorte que l’on donne l’impression que la résistance n’était pas le fait d’une minorité. Mais c’est à la fin du XXème siècle que l’on assiste à l’entrée dans l’espace public de nouveaux acteurs. L’État doit faire face à des demandes mémorielles nouvelles. De nouveaux personnages, de nouvelles pages de l’histoire jusque-là exclu du « roman national » à commencer par les victimes de la Shoah apparaissent. Commémoration, monument aux morts, musée, réparation, progressivement les associations de victimes et de descendant de victimes de la Shoah obtiennent des responsables politiques la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans cette atrocité. Contrairement aux commémorations habituelles qui glorifie les héros de la République ou des évènements marquant de son histoire, les politiques mémorielles lié à la Shoah mettent en avant une nouvelle figure celle de l’innocente victime juive persécuté pour ce qu’il est. Le régime mémoriel de la Shoah, servira de modèle et de justification aux revendications d’autres groupes comme celui des descendants d’esclaves. En effet la question de la mémoire de l’esclavage, a fait son retour dans l’espace public depuis quelques années. Il faut se rappeler que de l’abolition de l’esclavage en 1848 à 1948, l'histoire de de l’esclavage reste très méconnu du grand public. De même, après l’abolition de l’esclavage, dans les îles françaises se met en place une culture de l’oubli du côté des pouvoirs publics. Du côté de l’État, cette « oubli » était nécessaire à la constitution du récit de la Nation unie et glorieuse, dont « l’ethos » collectif prenait justement naissance à l’Abolition, en 1848. L’abolition signifiait pour les nouveaux libres des colonies françaises, l’accession à la citoyenneté qui déboucherait tout naturellement sur la voie de l’assimilation. La figure de l’esclave est effacée au nom de l’idéal républicain d’égalité pour laisser place à celle du citoyen et lorsque l’on parle d’esclavage s’est pour rattacher son abolition par la République sauveuse. « Il n’y a pas d’identité sans mémoire […], si on ampute un groupe donné de sa faculté de se souvenir, il perd de fait sa capacité à construire son « identité narrative », pour employer l’expression de Paul Ricœur ». L’oubli institué autour de la question de l’esclavage en France a pour beaucoup entamer la possibilité pour la communauté antillaise de se construire une mémoire commune.
  • 7. 6 Les antillais après l’accession à la citoyenneté ont dû lutté pour une égalité réelle que la départementalisation devait leur apporter en 1948, cent ans après la révolution. Mais la désillusion face à la persistance de discriminations, des inégalités et du sentiment de ne pas être des « citoyens à part entière » va permettre à des revendications identitaires de se développer. Des mouvements nationalistes émergent et cette mémoire de l’esclavage est mise au service de la politique, qui se situe d’abord à un niveau strictement local. En 1994, l’UNESCO lance son projet « la route de l’esclave » à Ouidah au Bénin qui a pour but une meilleure compréhension des causes et des modalités d’opération ainsi que des enjeux et des conséquences de l’esclavage dans le monde. L’UNESCO dans sa démarche souhaitait mettre en lumière les transformations globales et les interactions culturelles issues de « la plus gigantesque tragédie de l’histoire humaine par l’ampleur et la durée »3 , tout en contribuant à une culture de la paix en favorisant la réflexion sur le pluralisme culturel et la construction des nouvelles identités et citoyennetés. Dans la foulée, en France, le gouvernement Jospin organise en 1998 à Champagney une cérémonie à l’occasion du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Champagney est une place symbolique, puisque c’est le premier village français à s’être préoccupé du sort des esclaves dans son cahier de doléances de 1788. Après un hommage à Victor Schœlcher, artisan de l’abolition, il lance dans un souci de réconciliation nationale, un appel aux jeunes : « Il faut, tout en rappelant la vérité, dépasser les débats, affectés de bonne ou de mauvaise conscience, entre descendants de victimes ou de coupables, qui sont facteurs d’incompréhension en métropole comme outre-mer... Se libérer sans chasser l’autre, défaire ses liens sans opprimer à son tour » ... Une formule-choc résume le propos : « Nous sommes tous nés en 1848. » Pour les collectifs liés à cette histoire, la formulation du passé proposée par le gouvernement fait l’impasse sur un épisode loin d’être glorieux de l’Histoire de France. Elle implique une continuation de l’absorption des descendants d’esclaves en oubliant son droit à la mémoire et l’effacement d’une quelconque responsabilité assumée par l’État concernant son passé esclavagiste. La loi Taubira4 voté en 2001 est une réponse donnée par le gouvernement de l’époque face à la montée des revendications des groupes de descendants d’esclaves. La loi reconnaît ce crime qui connut 3 Citation de Michel Deveau voir le site internet de l’Unesco : http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/dialogue/the-slave-route 4 Loi nº 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l'humanité.
  • 8. 7 autrefois une existence légale sanctionnée par la Nation comme un crime contre l’humanité, mais rappel aussi son abolition par la République. Cette loi reste encore polémique comme toutes les lois touchant à la mémoire. Pour beaucoup la reconnaissance du passé s'accompagne malheureusement d'une absence de reconnaissance au présent. Maryse Condé, membre du comité pour la mémoire de l'esclavage écrit :« Cette attente [de reconnaissance] s'explique par le fait que la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de l'esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 21 mai 2001, l'histoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leur abolition continue d'être largement ignoré, négligée, marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République. » En 2005, le Comité pour la mémoire de l'esclavage, crée à la suite de la loi Taubira, remet son rapport au 1er ministre sur les mémoires de la traite négrières, de l'esclavage et des abolitions. Ce rapport recommande la mise en place d'une journée commémorative. Le défi va être de trouver une date qui convienne à tous car les abolitions ne se sont pas faites en même temps dans les départements d'Outre- mer. C'est le 10 mai, date anniversaire du vote par la représentation nationale unanime de la loi déclarant l'esclavage « crime contre l'humanité », qui sera retenue. Cette initiative a quelque peu apaisé les revendications de la communauté antillaise, mais pour beaucoup ce n'est pas suffisant. Pour Stéphane Dufoix, la reconnaissance des discriminations passés est indispensable surtout s’il y a persistance de ce passé. Et même s’il est certain que le système esclavagiste a disparu en France et dans ses territoires d'Outre-mer, ce passé douloureux a profondément marqué les sociétés antillaises. Selon la théorie de Paul Ricœur, on peut distinguer trois niveaux d'actions distincts, prendre pour soi, avouer et accorder une place à un événement. On peut donc en déduire qu'il y a plusieurs actions possibles : la repentance, la réparation, le rééquilibrage, la restitution, la requalification, la remémoration, la reconstitution et enfin la réconciliation. La première action possible est la repentance, c'est à dire que les responsables de la discrimination ou du traumatisme s'en excusent publiquement. Le plus souvent cette action a lieu à posteriori par le biais des représentants de l’État. Il y a aussi la question de la réparation qui consiste le plus souvent à allouer aux populations victimes ou à leurs descendants une somme d'argent visant à réparer le préjudice subi. On peut effectuer un rééquilibrage c'est à dire prendre acte du passé discriminatoire mais aussi de la persistance des discriminations au présent. Dans les démocraties occidentales cela se traduit sous
  • 9. 8 deux formes, le multiculturalisme « qui récuse la théorie de l'assimilation à la culture dominante du pays, mais proclame de surcroît l'égalité, l'égale dignité et l'incommensurabilité de toutes les cultures »5 . Ou encore sous la forme de la « discrimination positive » qui consiste à mettre en place des politiques préférentielles à l'égard de certains groupes victimes de discrimination visant à assurer leur représentativité et leur visibilité sociale. La restitution a été illustrée après la seconde guerre mondiale lorsque les biens saisis par les nazis aux juifs ont été restitué aux victimes ou à leurs descendants. Paul Ricœur parle également de la requalification par exemple reconnaître les évènements en Algérie comme fait de guerre. La remémoration est ce qui est le plus réclamé lorsqu'un groupe lutte pour la reconnaissance de son histoire. C'est le fait de se souvenir, d'assumer le passé et de refuser le silence. Ce n'est pas toujours accompagné de repentance. La reconnaissance des faits permet de ne pas oublier. Le fait de bâtir des monuments, des musées et de mettre en place des commémorations en sont une parfaite illustration. La reconstitution pose un problème car elle révèle une tension entre mémoire et histoire. L'historien se doit de prendre du recul et de garder son objectivité. Il ne doit pas présenter une version orienté ou polémique des faits. De ce fait, Ernest Renan défendait l'idée que l'historien met en danger l'unité de la nation en exhumant le passé divisé. La reconnaissance passe aussi par le savoir. Et enfin la réconciliation qui demande une mémoire apaisée. La plupart du temps, les politiques mémoriels sont un mélange de toutes ces actions possibles. La ville de Saint Denis a pris le parti depuis 2008 d'accueillir les célébrations du 23 mai en mettant à disposition du CM98 des fonds ainsi que les services et infrastructures nécessaire à la réalisation de cette journée. Saint-Denis montre par son implication dans l'organisation de cette journée de commémoration, son engagement sur la question de la mémoire. Engagement qui s'est intensifié lors du renouvellement de l'équipe municipale en 2008. 5 Dufoix Stephane, La reconnaissance au présent : les dimensions temporelles de l'histoire et de la mémoire », Revue du MAUSS, 2005/2 no 26, p. 137-154. DOI : 10.3917/rdm.026.0137
  • 10. 9 Lors de sa campagne pour les élections municipale, Didier Paillard, l'actuel maire de la ville de Saint Denis et son équipe municipale donc se sont engagés à répondre aux demandes croissantes de reconnaissance de diverses communautés qui vivent à Saint Denis. Déjà avant 2008, la municipalité avait fait le choix de mettre en avant sa diversité culturelle, en soutenant des initiatives associatives notamment celle des associations d'anciens combattants qui ont abouti par exemple à la réalisation d'une nouvelle stèle dans le carré des fusillés au cimetière de la ville. Les initiatives de l'équipe municipale sur la question de la mémoire correspondent à un engagement du contrat d'action communal. Le maire et son équipe ont décidé de construire leurs propres réponses aux demandes pressantes de reconnaissance de diverses communautés sans attendre qu'une directive du pouvoir centrale amorce les choses. Le maire choisit donc en 2008 de créer une délégation à la mémoire dont la maire adjointe Jacqueline Pavilla va prendre la tête. Cette délégation réfléchit aux modalités de mise en œuvre de cet engagement municipale. En prenant compte des aspirations de leurs concitoyens à commémorer des évènements propres à leurs communautés, la municipalité ne cherche pas à s'enfermer dans le communautarisme ou dans la nostalgie mais à les faire partager au plus grand nombre. Tout ceci dans le but de créer une plus grande cohésion sociale sans pour autant instrumentaliser ou réécrire l'histoire. Pour Jacqueline Pavilla, un travail continue sur la mémoire de la ville dans la diversité de ses composantes peut être facteur de cohésion sociale et contribuer à la construction d'une ville pour tous. Lorsque la maire-adjointe déléguée à la mémoire prend ses fonctions, elle a à cœur de porter les revendications particulières de sa communauté. En effet, Jacqueline Pavilla avant d'être maire adjointe, était une militante impliquée dans la vie de la communauté antillaise. Elle a notamment été membre de l'association Bay Lanmen6 , association qui proposait diverses activités aux enfants aussi bien qu'au parent notamment de la danse traditionnelle antillaise, le gwo ka. Son nom figure sur la
  • 11. 10 liste des membres du CM98, association qui porte le projet du 23 mai. Le fait quel soit si impliqué dans la vie de sa communauté et qu'elle entre au conseil municipal a certainement faciliter la mise en place de la journée du 23 mai. Lors du colloque organisé par la ville de Saint-Denis en avril 2011 à l'Université Paris 8- Vincennes, la maire-adjointe a déclaré : « Quand le maire de Saint-Denis m'a confié cette délégation à la Mémoire, je dois reconnaître que mon regard sur la question était non pas réducteur, mais le regard propre à une personne qui revendiquait au nom d'une mémoire particulière »6 Bien sûre, Mme Pavilla ne s'est pas contenté de porter les aspirations des antillais de Saint-Denis. Avec sa délégation, elle a recommandé au conseil municipal la création d'une journée partage des mémoires pendant laquelle chaque année, serait mise à l'honneur chaque année une page de l’histoire différente qui a eu un impact sur la ville ou qui concerne une partie de la population. La première édition de cette journée a eu lieu en 2009 et le thème était “descendant d’esclaves et de colonisés“. L’édition 2013 a eu pour thème, “ pour la citoyenneté, décoloniser les esprits “. Le but de cette journée était de rassembler le plus grand nombre autour d’une question qui concerne tout le monde. Ce thème a été choisi car à l’heure où l’Etat a reconnu plusieurs crimes coloniaux comme le massacre du 17 octobre 1961, il a semblé pertinent à Jacqueline Pavilla et à ses collaborateurs de réfléchir aux conséquences de la colonisation. Il été prévu que certains établissements scolaires de la ville participent à la journée en menant des projets avec leurs élèves. Malheureusement, cela ne s’est pas fait malgré des rencontres entre les enseignants, les associations et les représentants de la municipalité. 6 7Migrations sociétémémoires 2013, Vol. XXIII, n°138, novembre-décembre 2011, revue bimestrielle du CIEMI
  • 12. 11 Cette année j’ai participé à la préparation de cette journée et j’ai également accepté de témoigner en tant que jeune d’origine guadeloupéenne. Pour préparer cette journée, j’ai rejoint l’équipe de la maison de la vie associative de Saint Denis. Ma mission a consisté à trier les photos remises par les différentes associations sollicitées comme voix d’Elle Rebelle, l’association franco tamoule mais aussi de particuliers qui le souhaitaient. J’ai remarqué qu’il y avait en grande majorité des photos de familles issues du Maghreb, des photos de leurs vies là-bas et des photos de leurs vies ici. Juliette Seydi, membre du cabinet du maire a prêté pratiquement toute les photos de familles d’Afrique noire et des Antilles car elle s’est rendu en Afrique avec le maire et que son gendre est originaire des Antilles. Cette exposition photo était l’initiative de Nadya Bou Abdelli, chargé des évènements à la Maison de la vie associative. Malheureusement la municipalité n’avait pas prévu cette exposition et donc nous n’avons pas eu les supports pour exposer les photos dans les meilleures conditions dans la salle de la Légion d’honneur. Nous avons donc préparé cette exposition avec les moyens du bord et le rendu a été apprécié par tous les participants. La Journée Partage des mémoires réunis des dionysiens autour du maire, de l’adjointe au maire Mme Pavilla et de plusieurs intervenant notamment Viviane Roelle-Romana7 et Curtis-Robert Young8 . La matinée a été marquée par la projection des interviews de jeunes descendant de colonisé. Lorsque les deux techniciens du service télévisuels de la ville m’ont demandé ce que je savais de la colonisation. Je me suis rendu compte qu’avant le Lycée, je n’en savais pas grand-chose et qu’après j’en ai appris bien plus à l’Université car j’avais accès à l’histoire du côté des colonisés. Je me suis aussi rendu compte qu’en tant qu’antillaise, je ne me suis jamais représenté comme une enfant de colonisé ou de colonisateur. En effet, les antillais sont les descendants d’esclaves africains emmenés de force de l’autre côté de l’océan atlantique. Et lorsqu’ils ont perdu leurs statuts d’objet, ils sont devenus des citoyens de la République sans en avoir tous les avantages. La colonisation en tant qu’« extension de la souveraineté d’un Etat sur des territoires et des populations situés en dehors de ses 7 Docteur en psycho-ethnologie responsable pédagogique à l'université populaire du CM98 8 Historien et Président de l'association Art Métis 6 Exposition photo dans la salle de la Légion d’honneur pour la Journée partage des mémoires
  • 13. 12 frontières nationales »9 soutenu par un discours sur l’infériorité de certains peuples et la nécessité de leur apporter la civilisation, n’a pas eu lieu de la même façon dans les îles. Il y a bien eu colonisation mais elle s’est faite sur des îles dont la population a été exterminée ou était pratiquement inexistante. Bien qu’il y ait eu et qu’il reste des inégalités liées à la couleur10 aux Antilles, cela ne s’est jamais fait sous couvert de la colonisation. Pendant l’échange entre les jeunes interviewer et les dionysiens, on nous a demandé si on avait l’impression que notre esprit était colonisé. Si Arlindo d’origine cap verdienne a répondu de façon catégorique que ce n’était pas le cas, j’ai eu plus de mal à répondre à cette question. Le thème de la journée « pour la citoyenneté, décolonisons les esprits » trop abstrait a rapidement dévié sur un débat sur la discrimination et l’égalité des chances car pour beaucoup les discriminations sont les conséquences bien souvent de la décolonisation. J’ai ainsi fait la remarque suivante : quand on m’interpelle pour connaître ma nationalité et que je réponds que je suis française, on me demande souvent mais de quelle origine et dans ce cas-là ma réponse est de la Guadeloupe. Mais la Guadeloupe fait partie intégrante de la France, mais la méconnaissance de ce département et de son histoire est affligeante la plupart du temps. La matinée s’est terminée sur la conclusion qu’il était important de ne pas faire de raccourci en prenant pour excuse le passé pour expliquer totalement le présent. D’importantes avancées ont été faites pour promouvoir la diversité culturelle et l’égalité des chances, le travail de la municipalité de Saint-Denis a d’ailleurs été salué. L’après-midi, une table ronde a réunis les intervenants. Entouré de photos de famille issue de l’immigration, nous avons discuté premièrement du débat de la matinée. Puis les intervenants ont donné leur avis sur la colonisation. Ce qui est ressortit des discussions de la journée c'est qu’il y a au sein de la population dionysienne une sorte de frustration face au manque de reconnaissance de leurs histoires surtout lorsque la colonisation est en question. Pour beaucoup cette histoire coloniale a encore des répercussions sur leur vie et celle de leurs enfants. Les médias présentent souvent le 93 comme un département violent mais ne montrent jamais assez les initiatives comme celle-ci qui permettent un vrai dialogue autour des valeurs de la République. Il 9 Colonialisme, page 72, Définition tiré du lexique de Science politique, Vie et institutions politiques, ed. Dalloz 10 Voir documentaire les derniers maîtres de la Martinique Romain Bolzinger diffusé par canal +, le 6 février 2009 e pleine crise sociale Table ronde de la journée partage des mémoires 2013
  • 14. 13 s'agit en effet de faire une place dans la mémoire institutionnelle pour de nouvelles représentations du passé. Cette journée a également été l’occasion d’introduire l’évènement du 23 mai Pour Johann Michel, professeur de science politique à l’Université de Poitiers et à l’Institut d’études politiques de Paris, deux catégories de ce que l’on appelle les « entrepreneurs de mémoire » ont réussis à formuler les grammaires propres au « régimes victimo-mémoriel » en dehors de l’appareil de l’Etat : les associations de victimes de la Shoah et les associations qui défense la mémoire de l’esclavage. Le régime mémoriel de la Shoah a servi de modèle pour d’autres groupes luttant pour la reconnaissance de crime commis à leur encontre. Le Cm98 a œuvré depuis la fin des années 90, pour la mémoire des esclaves noirs victimes de la traite et de l’esclavage. Ils ont réussi à faire entrer l’esclavage dans la matrice du « régime victimo-mémoriel » et surtout à faire apparaitre clairement la figure de l’esclave aux yeux du public. Grâce au travail de cette association, une cérémonie républicaine rendant hommage aux victimes de l’esclavage colonial a lieu chaque année dans le prolongement des cérémonies célébrant l’abolition.
  • 15. 14 Le CM98, "entrepreneur de mémoire" L’association CM98 est une parfaite illustration de que l’on appelle un « entrepreneur de mémoire » selon Johann Michel. C’est une association crée en 1999 par les organisateurs de la Marche du 23 mai 1998. A l’occasion du cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage environs 40 000 Antillais et sympathisants ont effectué une marche silencieuse de la place de la République à la place de la Nation. Cette manifestation avait pour but d’honorer leurs aïeux esclaves. Serge Romana, Emmanuel Gordien, Gilles Gabon, Frédérique Gabon, Franck Salin et Viviane Roelle-Romana en sont les fondateurs. L’association a pour objectif de traiter des problèmes identitaires et mémoriels des Antillais en vue de permettre une meilleure insertion de leur communauté au sein de la République. Lors de l’organisation de la marche, les diverses associations présente ce sont rendu compte qu’il n’existait aucun lieu pour honorer la mémoire de leurs ancêtres. Aussitôt certains proposent de donner une messe car la plupart des membres de la communauté Antillo-guyanaise sont chrétiens. Et dans la tradition chrétienne surtout aux Antilles, une messe est toujours donnée en l’honneur du défunt. Mais cet aspect religieux des choses aurait certainement confiné l’évènement au sein de la communauté antillaise et ce n’était pas l’objectif voulu. Pour les membres de l’association, la société antillaise a hérité de certains aspects du mode de fonctionnement des sociétés esclavagistes. Enfaite l’identité antillaise s’est construite dans cette société esclavagiste. Pour rendre ces figures d’esclaves moins abstraite, l’association se lance dans un travail généalogique qui donnera lieu à un mémorial itinérant sur lequel figure les noms des esclaves, leurs matricules et surtout les noms de famille qui leurs ont été attribué par la République. Ce mémorial est itinérant et déplacé dans les villes àMémorial itinérant à Saint Denis 2013
  • 16. 15 forte concentration antillaise. C’est ainsi que les membres de la communauté antillaise peuvent retrouver le nom d’un aïeul. Avec la mise en place d’une convention avec la ville de Saint-Denis en 2008, qui institue le 23 mai à Saint Denis, l’association met en place un rituel. Chaque année depuis, une cérémonie œcuménique est donnée à la Basilique de Saint-Denis en hommage aux victimes de la traite et de l’esclavage. Durant cette cérémonie, les noms donnés aux esclaves en 1848 sont psalmodiés. Une cérémonie laïque et républicaine réuni ensuite membre du CM98, sympathisant et représentant de l’Etat. Le CM98 a été subventionné par la ville de Saint Denis à hauteur de 20 000 euros cette année mais également par la Plaine Commune et l’Etat. La Stèle étant posé dans le jardin face à la Basilique et à la mairie, l’accord de Plaine Commune11 était nécessaire. La présence du ministre de l’Outre-mer et de Madame George Pau-Langevin, Ministre déléguée à la Réussite éducative a également nécessité une sécurité accrue que le CM98 s’est chargé d’organisé avec les ministères concernés. Le 23 mai reste une initiative associative, il est donc normal que le dialogue se fasse surtout entre le ministère et la direction de l’association. Enfin Une délégation de la ville des Abymes en Guadeloupe et une délégation de la ville de Pointe noire au Congo jumelées entre elles dernièrement autour des questions mémorielles ainsi que l’ambassadeur du Congo en France, ont également fait le déplacement. Le CM98 a pour principale interlocuteur au sein de la municipalité l’adjointe au maire Jacqueline Pavilla et Juliette Seydi chargé de mission au sein du cabinet du maire. Dans le cadre de mon stage, j’ai demandé à être bien sûre mise à contribution pour aider le CM98 à organiser les derniers préparatifs car la journée était déjà prête dans l’ensemble. J’ai donc participé à la mise en place du Brick, fresque humaine représentant la cale d’un bateau négrier en aidant l’association à joindre ses membres. Les organisateurs souhaitaient avoir une centaine de participants mais malheureusement le fait que le 23 mai soit un jeudi a empêché un bon nombre de membre et sympathisant de faire le déplacement. D’ailleurs la plupart du temps lorsqu’on me disait non s’était parce que la personne contactée ne pouvait pas être là à cause du travail ou parce qu’en raison de son âge la personne était incapable de se mettre au sol et de se relever. J’ai eu une dame de 84 ans qui m’a dit : « ma chère, 11 Établissement public de coopération intercommunale, Plaine Commune regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis : Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse. 408 000 habitants vivent aujourd'hui sur les quelques 5 000 hectares du territoire, soit la moitié de la surface de Paris. Victorin Lurel, l'ambassadeur du congo et son épouse
  • 17. 16 dieu sait que je soutiens le CM98 mais là je ne pourrais pas me baisser et me relever et mon mari non plus ». C’est l’équipe dirigeante et les fidèles depuis des années, hommes et femmes de confiance qui ont mené à bien la préparation de la journée du 23 mai 2013. Le comité de communication de l’association a ainsi fait parvenir un communiqué de presse à ses contacts en parallèle du communiqué de presse de la ville. C’est bénévolement que les membres de l’association ont encadré la journée et tenu des stands.
  • 18. 17 Cette année a été marqué par l’inauguration de la stèle crée par Nicolas Cesbron, sculpteur, plasticien où l’on peut lire sur des plaques gravées les noms et matricules de 213 esclaves. Stèle où les familles pourront se recueillir, rendre hommage à leurs aïeuls plus seulement le 23 mai mais lorsqu’il le désire. Un globe composé de lames de métal sur lequel sont fixés les médaillons en émail où sont inscrits les prénoms. Les matronymes et patronymes inscrit sont ceux de dionysiens d’origine antillaise, de responsables associatifs d’Ile de France et de membre du CM98 ayant participé au travail de recherche généalogique pour créer la base donnée du CM98. Durant la journée les passants ont pu apercevoir les œuvres d’artistes, de stylistes, goûter certaines spécialités antillaises. Ceux qui le voulaient ont pu assister à de petite conférence sous une tente sur l’influence du passé esclavagiste des sociétés antillaises aujourd’hui. Cette journée a également été une tribune pour la lutte contre la drépanocytose, maladie touchant principalement les africains et les antillais. La radio Outre-mer 1ere avait également sa tente car elle a suivi en direct la journée permettant aux auditeurs de poser des questions aux dirigeants du CM98. Entre la cérémonie œcuménique et laïque devait normalement avoir lieu une fresque humaine représentant la cale d’un bateau négrier. Malheureusement le temps ne nous a pas permis de la réaliser malgré la présence des volontaires car il fallait se coucher au sol et il pleuvait. J’ai passé deux semaines a contacté les membres de l’association pour trouver des volontaires et j’ai remarqué que des familles entières avaient adhérer à l’association et que la grande majorité de ses membres était issu du Bumidom et donc avait plus de trente ans. Les plus jeunes ont souvent été entrainés par d’autres membres de leurs familles. D’ailleurs s’est en famille que les dionysiens se sont présentés à la grille du jardin fermé pour 23 mai 2013, une journée en mémoire des victimes de l’esclavage coloniale
  • 19. 18 L’occasion. Le CM98 avait loué les services d’agents de sécurités mais ce sont des bénévoles qui ont accueilli avec des parapluies les personnalités politiques, les responsables d’associations et les membres des familles invités. J’ai participé à l’accueil des élus et des familles et j’ai également par la force des choses du jouer les agents de sécurité afin d’empêcher les familles réunis dans le petit jardin de venir trop près de la stèle avant son inauguration par le ministre de l’Outre-mer Victorin Lurel. Ce-dernier est originaire de la Guadeloupe, il a été membre et président du conseil régional et il connait très bien les fondateurs du CM98 d’après ce que j’ai pu constater. D’ailleurs à plusieurs reprises après son discours il a été interpellé par des bénévoles de l’association qui l’avait connu en Guadeloupe. Parmi la foule rassemblée autour de la scène, on a pu apercevoir également des artistes comme Jocelyne Beroard, chanteuse du groupe Kassav. Il y a eu de très nombreux discours, le maire Didier Paillard, Serge Romana président du CM98, Bally Bagayoko maire adjoint et vice-président du conseil général du 93, Victorin Lurel ministre de l’Outre-mer. Une heure et quart de discours pendant lesquels les familles ne pouvaient approcher de ce qu’ils étaient venus voir la stèle honorant leurs aïeux. La journée s’est tout de même terminée sur note festive. Les élus et les invités tels que l’ambassadeur du Congo ont été conviés à partager un petit buffet à la mairie tandis que sur la place un concert débutait. Dans la petite salle des fêtes qui recevait les invités à la mairie, il était facile de voir à quel point tout le monde se connaissais. Victorin Lurel a retrouvé de vieille connaissance de la Guadeloupe et Serge Romana a salué un nombre très important de personnes présentes dans la salle. Malgré quelques difficultés causées par la pluie, la journée a été festive et réussis. Elle a été l’occasion pour les passants de voir quelques réalisations d’artistes antillais et pour la communauté Antillaise de Saint Denis de se retrouver autour d’un lieu pour se remémorer et se réconcilier avec son histoire. La journée a été gérer dans son ensemble par le CM98. La municipalité a apporté sa pierre à l’édifice en prêtant des équipements et bien sûre en acceptant que la place face à la maire et à la Basilique des rois de France se transforment en village antillais.
  • 20. 19 Durant mon stage, j’ai pu observer que la politique mémorielle de la ville de Saint Denis était particulièrement tournée vers l’histoire coloniale étant donné la forte concentration de personnes issues de l’immigration à Saint-Denis. En 2008, l’équipe municipale de Didier Paillard s’est engagé à ouvrir la politique mémorielle de la ville vers les autres et pas seulement sur le roman national. Jacqueline Pavilla et ses collaborateurs ont œuvré à dynamiser les fêtes liées à la résistance et à la guerre qui ont tendance à rassembler de moins en moins de personnes à part les anciens combattants. Pour cela, la municipalité a monté des projets mettant en lien des écoles et des associations d’anciens combattants. Dans le même temps la délégation à la mémoire a travaillé sur une réponse à donner aux désirs de reconnaissance des différentes communautés de la ville et il en est ressortis cette journée partage des mémoires. Chaque année la ville choisis un thème différent lié à l’actualité ou non qui permet de mettre en avant des pages de l’histoire de la ville ou d’une communauté qui a contribué à son essor. Enfin la ville a pérennisé son engagement auprès du CM98 en signant une convention lui permettant de subventionner l’association et ses actions. Une relation de confiance s’est instaurée entre les dirigeants de l’association et l’équipe municipale. Le CM98 a fait un travail formidable pour faire connaitre la commémoration du 23 mai et en faire un évènement national. L’association mobilise ses membres chaque année pour faire de cette journée un évènement. Le 23 mai est une initiative associative et la ville s’y investit en prêtant les infrastructures et l’argent nécessaire. Mais il n’y a pas une personne au sein de l’équipe municipale qui ne s’occupe que de ce genre d’évènement. Moi-même bien qu’étant stagiaire à la ville uniquement en vue de préparer le 23 mai, je me suis vite rendu compte que c’était l’association qui faisait le gros du travail et que sans contact avec eux je ne savais pas qu’elle tache effectuer. Heureusement, Franck Salin membre de la direction du CM98 m’a confié la tâche de contacter tous les membres de l’association pour préparer la fresque humaine et Isabelle Brun qui s’occupe de la communication m’a également mise à contribution pour envoyer les communiqués de presse aux contacts presse de l’association. Le travail du CM98 à Saint-Denis est loin d’être fini selon moi il faudrait d’avantage impliqué le milieu scolaire pour faire découvrir au plus jeune une période de l’histoire souvent survolé dans les programmes scolaires. Pour que ce genre de projet puissent être mené à bien, il faudrait qu’un poste soi crée au sein du secrétariat de l’adjointe au maire délégué à la mémoire et à la vie associative ou à Conclusion
  • 21. 20 la maison de la vie associative de Saint Denis pour créer un dialogue entre les enseignants et les associations qui comme le CM98 œuvrent pour la connaissance de l’histoire.
  • 22. 21 Bibliographie • Brice Catherine, « Monuments : pacificateurs ou agitateurs de mémoire », in Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, Les guerres de mémoires. La Découverte « Cahiers libres », 2008 p. 199-208 • Dufoix Stephane, La reconnaissance au présent : les dimensions temporelles de l'histoire et de la mémoire », Revue du MAUSS, 2005/2 no 26, p. 137-154. DOI : 10.3917/rdm.026.0137 Échos politiques de l’esclavage colonial, des départements d’outre-mer au cœur de l’État. "Jean Luc Bonniol • Jean-Luc Bonniol « Les usages publics de la mémoire de l'esclavage colonial », Matériaux pour l’histoire de notre temps 1/2007 (N° 85), p. 14-21. • Quel travail de mémoire(s) pour quelle société ? Migrations société, Vol. 23 n°138 novembre-décembre 2011 • Vergès Françoise, « Esclavage colonial : Quelles mémoires ? Quels héritages ? », in Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, Les guerres de mémoires. La Découverte « Cahiers libres », 2008 p. 155-164
  • 23. 22 Annexes • Lien vers les 7 portraits mosaïques pour la journée partage de mémoire : http://www.dailymotion.com/video/xza741_7-portraits-mosaique-journee-de-partage-desmemoires- 2013-decoloniser-les-esprits_news?search_algo=2 • Lien vers l’article du monde sur la journée du 23 mai : http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/23/nos-ancetres- lesesclaves_3415696_3224.html?xtmc=commemoration_23_mai&xtcr=4 • Lien vers les articles d’Outre-mer 1ere : http://www.la1ere.fr/2011/05/03/10-mai-23-mai-27-avril-une-celebration-multiple- 10627.html http://www.la1ere.fr/2013/05/21/le-23-mai-pour-commemorer-l-esclavage-dans-l-hexagone- 36303.html http://www.la1ere.fr/2013/05/22/saint-denis-lieu-fort-de-la-commeoration-de-l-esclavagedans-l- hexagone-36537.html