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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ 
INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES 
MÉMOIRE 
pour l’obtention du Diplôme 
Le « binge drinking » : 
UN NOUVEAU MODE D’ALCOOLISATION 
CHEZ LES JEUNES 
Principes et causes d’un phénomène social 
Par Mlle Alicia CHARLES 
Mémoire réalisé sous la direction de 
Madame Alix Philippon
L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
REMERCIEMENTS 
En préambule à ce mémoire, je souhaiterais adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m’ont apporté leur aide et qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de cette étude. 
Je tiens à remercier tout particulièrement Madame Philippon, pour avoir accepté de diriger ce mémoire, pour sa disponibilité à mon égard et pour ses précieux conseils. 
Mes remerciements s’adressent expressément à mes parents qui m’ont apporté un soutien moral constant et inestimable pour accomplir ce travail, à Pierrette Brahmi pour ses recommandations sans pareil ; ainsi qu’à mes amis, dont les échanges m’ont inspiré ce sujet et guidée dans sa réalisation. 
Un grand merci également à Claudine Guiet, pour m’avoir reçue avec tant d’enthousiasme, à certains professeurs de mon cursus scolaire pour leurs encouragements, de même qu’à toutes les personnes ayant aimablement pris le temps de répondre à mon questionnaire.
Mots-clés : 
Binge drinking ; biture express ; alcool ; alcoolisme ; alcoolisation ; jeunes ; socialisation ; culture ; tempérance, postmodernité. 
Résumé : 
Depuis des millénaires, l’alcool agrémente le quotidien des hommes tout en les soumettant à ses dangers. Objet de convoitise et d’aversion, son ambigüité fait sa particularité. Ce paradoxe est questionné plus encore dans ce qui constitue un nouveau phénomène d’alcoolisation chez les jeunes : le « binge drinking ». Le « binge drinking » est un phénomène socialement explicable, qui s’établit petit à petit comme norme de comportement chez les jeunes. Les principes et les causes de nouveau mode de consommation peuvent en partie s'expliquer à la lumière de la culture anglo-saxonne, culture de tempérance. Mais cette hyper-alcoolisation festive des jeunes se doit aussi d’être envisagée dans un contexte plus global ; Le « binge drinking » est propre aux changements de mentalité survenus dans les sociétés occidentales de la fin du XXème siècle.
Sommaire 
CHAPITRE 1 – « BINGE DRINKING » : PRINCIPES ET ACTEURS D’UN PHENOMENE SOCIAL 
SECTION A - QU’EST CE QUE LE « BINGE DRINKING » ? 
I. Eléments de définition 
II. Cadre d’action 
III. L’objet de consommation 
SECTION B - ETUDE SOCIOLOGIQUE DES CONSOMMATEURS 
I. Une spécificité des jeunes 
II. Le « binge drinking » a-t-il un genre ? 
III. Les catégories sociales concernées 
SECTION C- DE LA CONDAMNATION D’UN COMPORTEMENT DEVIANT A LA COMPREHENSION D’UN PHENOMENE SOCIAL. 
I. « Les jeunes ne savent plus boire » 
II. Alcoolisme et « binge drinking » 
III. Au-delà d’un problème d’alcoolisme un phénomène social. 
CHAPITRE 2 - LE « BINGE DRINKING » EN FRANCE, AU CANADA ET AU ROYAUME-UNI : QUAND NOTRE CULTURE INFLUENCE NOTRE MANIERE DE BOIRE. 
SECTION A- LE ROLE DE LA CULTURE ET DE LA SOCIALISATION DANS NOTRE RELATION A L’ALCOOL 
I. L’alcool dans la socialisation 
II. Le « binge drinking », culture dionysiaqueg 
SECTION B - LE « BINGE DRINKING » ; UN PHENOMENE CULTUREL ANGLO-SAXON ? 
I. Une différence notable entre les pays 
II. L’influence de l’histoire : de la tempérance au « binge drinking » 
III. Des modes de consommation différents 
IV. La politique et l’alcool : de l’influence des lois 
CHAPITRE 3 : LE « BINGE DRINKING » AU COEUR DES BOULEVERSEMENTS SOCIAUX DANS LE MONDE OCCIDENTAL DE LA FIN DU XXEME SIECLE 
SECTION A - UNIFORMISATION DES PRATIQUES CULTURELLES : LE « BINGE DRINKING » DANS LA MONDIALISATION 
I. Constat d’une standardisation des manières de boire 
II. La mondialisation ; facteur d’expansion du « binge drinking » 
SECTION B - LE « BINGE DRINKING », UNE CONSEQUENCE DE LA POSTMODERNITE ? 
I. La société individualiste : rapport à soi et aux autres 
II. Stress et incertitudes : la consommation comme oubli du quotidien 
III. Société de loisir et de consommation : toujours plus, toujours plus vite.
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Introduction 
« Avoir 21 ans vient avec la responsabilité légale du “binge drinking”. » 
N’est-il pas étonnant de voir associés les termes « légal » et « binge drinking » dans cette carte d’anniversaire ? A priori non. La possibilité d’acheter et de consommer de l’alcool est en effet légalement autorisée à partir d’un certain âge, 21 ans aux Etats-Unis. Cette carte peut cependant faire sourire par le questionnement qu’elle induit : Est-on enjoint d’être responsable face à la légalité du « binge drinking » ou bien est-on chargé de s’adonner à une consommation excessive dès lors que ceci est rendu légal ? En ceci se trouve toute l’ambivalence de l’alcool. La consommation de boissons alcoolisées est légale et légitimée par des habitudes ancestrales dans bon nombre de pays. Pourtant, deux millions et demi de personnes dans le monde meurent chaque année des causes de l’alcool. L’alcool est le troisième facteur de risque de maladie dans le monde ; c’est le deuxième en Europe et le principal dans les régions du Pacifique occidental et des Amériques.1 Entre comportement déviant et conformité nécessaire, entre facteur d’exclusion sociale et agent socialisateur, l’ambivalence de l’alcool rend difficile son appréhension. 
Que l’illustration de cette carte ne nous trompe pas : si les excès d’alcool sont monnaie courante depuis la naissance de cette substance, il n’en demeure pas moins que le terme « binge drinking » se réfère aujourd’hui à un phénomène contemporain précis, qui constituera le coeur de cette recherche. 
1 World Health Organization, « Alcohol – fact sheet », who.int, [Online], February 2011, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs349/en/index.html
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A - Présentation générale 
« The cross-cultural study of alcohol represents a classic natural experiment: a single species (Homo sapiens), a single drug substance (Ethanol) and a great diversity of behavioural outcomes » 2 
MARSHALL, 1979 
Qu’est-ce que l’alcool ? 
Le terme « alcool » vient de l’arabe « al-kuhl ».3 L’alcool était anciennement un collyre à base de poudre très fine d’antimoine » appelée « khul ». Plus tard, il prendra le sens « d’esprit de vin », c'est-à-dire d’éthanol obtenu par distillation du vin ou d’une autre boisson fermentée. D’après sa terminologie chimique, l’alcool est avant tout un liquide clair contenant essentiellement de l’éthanol, un composé oxygéné dérivant des alcanes et de formule générale CnH2n+1OH. 
Plus concrètement, il a les propriétés d’une drogue.4 Avant d’arriver au foie, l’alcool contenu dans le sang affecte l’ensemble des organes vitaux qui contiennent beaucoup d’eau et ont besoin d’un volume important de sang pour fonctionner. C’est sur le cerveau que les effets sont le plus rapidement observables, l’alcool en restreint plusieurs fonctions en amortissant les centres d’excitation. Les effets peuvent être ressentis en premier lieu de façon favorable, car ils provoquent une réduction du stress ou des inhibitions et créent une sensation de calme ou de stimulation. Cependant cette restriction des fonctions du cerveau a aussi pour conséquences de rendre plus difficile le fait de penser clairement, de prendre des décisions ou d’effectuer toute sorte de tâches. En outre, des effets engourdissants peuvent se faire ressentir, provoquant des troubles de la motricité et de la coordination. 
2 « L’étude comparée de l’alcool représente une expérience naturelle classique : une seule espèce (Homo Sapiens), une seule substance psychotrope (éthanol) et une grande diversité de conséquences comportementales », in MARSHALL, Beliefs, behaviors, & alcoholic beverage, a cross cultural study, University of Michigan, 1979, 
3 World Health Organization, “Global Health Observatory Data Repository”, who.int. [Online] 2011. http://apps.who.int/ghodata/ 
4 Educ’alcool, « Alccol et santé, l’alcool et le corps humain », 2011
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L’affection du cerveau peut également provoquer des vomissements ou une forte déshydratation. Il y a bien sûr plusieurs facteurs qui entrent en jeu et amplifient ou, au contraire, atténuent les effets de l’alcool sur l’organisme. Tout d’abord la quantité consommée entre bien évidemment en compte. Elle ne suffit toutefois pas à expliquer les différences notables entre différents cas observables. Les effets de l’alcool sont plus rapides et conséquents lorsqu’il est absorbé à jeun. De surcroît, la capacité d’élimination diffère d’une personne à l’autre. La taille du foie et le poids corporel sont par exemple des variables qui expliquent une élimination plus lente chez les femmes, les personnes âgées et les adolescents. 
Dans tous les cas, les répercussions de l’alcool peuvent vite devenir dramatiques ; accidents de la route, rapports sexuels non désirés, violences exercées envers soi-même ou envers les autres ou encore comas éthyliques mortels… Loin d’être des cas particuliers, ces exemples sont aussi divers que nombreux. Il ne faut également pas omettre les influences à long terme de ce produit qui peut être la cause d’une anxiété persistante, d’une perturbation du cycle du sommeil ou d’une diminution des capacités sexuelles et sans oublier les conséquences graves sur la santé comme l’accident vasculaire cérébral, l’hypertension artérielle, le cancer du sein ou tout autre cancer…. Comme titre une brochure préventive sur les risques liés à l’alcool, « la gueule de bois est le moindre de vos soucis ».5 
Il n’est plus besoin aujourd’hui de démontrer les effets néfastes de la consommation d’alcool sur l’organisme ou sur la société. Il est alors difficile de comprendre que l’alcool demeure tout de même présent dans la vie quotidienne d’une grande part de la population mondiale. Bien que les politiciens tentent de diminuer son impact sur la population, l’alcool reste un produit culturellement accepté dans de nombreuses régions du monde. A ce titre, un statut particulier, dont ne bénéficient pas les autres substances toxiques, lui est conféré. 
5 Centre de ressources FOCUS, « La gueule de bois est le moindre de vos soucis », campagne du programme FOCUS, Ontario.
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Contrairement aux drogues dites « dures », la consommation de boissons alcoolisées est légale dans de nombreux pays. Bien que les attitudes vis-à-vis de cette substance évoluent dans le temps et l’espace, l’alcool reste dans l’ensemble un objet socialement désirable. Cette ambigüité qui lui est propre nous amène à nous interroger sur ce sujet de la consommation d’alcool. Nous chercherons tout d’abord à mieux cerner cette ambivalence en remontant jusqu’aux origines de cette substance de tout temps convoitée par l’homme. 
Avant de pouvoir parler de l’évolution de la place donnée à l’alcoolisme dans les différentes sciences, il est nécessaire d’en poser les bases par une précision lexicale. L’alcoolisme se définit généralement à la fois par un « abus de boissons alcoolisées » et par « un ensemble de manifestations pathologiques liées à la dépendance à l’égard de l’alcool ».6 La notion de dépendance et donc de régularité de consommation est primordiale dans ce concept d’alcoolisme. Ainsi le Docteur Fouquet, père de l’alcoologie française qui donna son nom à un prix récompensant les recherches dans ce domaine, livra sa célèbre définition du malade alcoolique comme étant « celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de l’alcool ».7 C’est cette définition que nous retiendrons dans cette étude. 
L’Organisation Mondiale de la Santé rappelle cependant que le terme d’alcoolisme a été utilisé selon des significations variables au cours du temps. Lors de l’invention du concept par le médecin suédois Magnus Huss en 1849, l’alcoolisme se référait aux conséquences physiques d’une consommation excessive sur le long terme. De manière plus précise, il fut ensuite vu comme une maladie définie par une perte de contrôle sur la consommation d’alcool, causée par une anormalité biologique préexistante. Plus tard, Elvin Morton Jellinek, médecin américain qui fut l’un des fondateurs de l’alcoologie moderne, utilisa ce terme pour signifier une consommation d’alcool ayant de nombreuses conséquences néfastes, « physiques, psychologiques, ou sociales ; individuelles ou sociétales »8. 
6 « alcoolisme », Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987, 
7 FOUQUET, P., “Le syndrome alcoolique”, Etudes Antialcooliques, 1950 
8 World Health Organization, “Lexicon of alcohol and drug terms”, who.int. [Online], 1994. http://www.who.int/substance_abuse/terminology/who_lexicon/en/
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Cette ambigüité du terme, considéré parfois comme une maladie, parfois plutôt comme un vice, a mené l’Organisation Mondiale de la Santé à lui préférer la formulation de « syndrome de dépendance alcoolique », comme partie intégrante d’un concept plus large de « problèmes liés à l’alcool ». Malgré cette précision lexicale, le milieu médical utilise toujours le mot « alcoolisme » lors de ses diagnostics et le langage courant en fait usage de manière plus ou moins péjorative. 
Par ailleurs, il est important de différencier « l’alcoolisme » de « l’alcoolisation ». Ce concept consiste en une intoxication à l’alcool par une consommation d’une quantité considérable de boissons alcoolisées qui engendre un haut niveau d’alcool dans le sang. Ce terme peut être applicable à un buveur seul ou à la société dans son ensemble. Le mot « Alcoolisation » a été originellement utilisé dans le contexte d’un mode de consommation « à la française », pour impliquer le fait que la consommation était « normative dans des conditions socioculturelles, plutôt que le reflet d’une psychopathologie individuelle. »9 
Une autre notion mérite d’être définie ici : «l’intoxication alcoolique aigüe». Elle représente l’ensemble des symptômes qui apparaissent suite à une consommation de boissons alcoolisées, au moment même de l’ivresse, et qui menacent immédiatement la vie de l’individu.10 
Il était une fois l’alcool 
« Ecrire l’histoire de l’alcool, c’est retracer toute l’histoire de l’humanité. 
Ce produit a été et sera toujours lié au désir de l’homme ». 
Pierre Fouquet (1913-1998), 
Médecin renommé et père de l’alcoologie française. 
L’alcool s’est fait une place confortable dans la vie des hommes, et ce depuis des millénaires. 
9 World Health Organization, Ibid. 
10 « intoxication alcoolique aigüe », Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987
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D’après des études menées par le célèbre archéologue Patrick McGovern11, le premier alcool connu au monde est un breuvage néolithique élaboré il y a environ neuf mille ans, en Chine. 
Les premiers ancêtres du vin et de la bière, localisés en Iran, remontent respectivement à environ 5400 et 3400 av J.-C.. En ces temps-là, l’alcool était considérée comme un « aliment », un « fortifiant », un « remède », voire même un « salaire ». 
McGovern est convaincu que l’ivresse est le propre de l’homme et que les joies de l’enivrement ont très certainement été expérimentées à une date bien antérieure à celle des premières traces archéologiques détenues à ce jour. Les hommes ont pu goûter aux fruits naturellement fermentés car la fermentation est un processus qui peut se déclencher par accident lorsque les levures du fruit consomment le sucre et dégagent ainsi de l’alcool.12 L’archéologue suppose que dès la naissance de l’humanité, il y a cent mille ans, les hommes ont su stabiliser et s’approprier ce processus. La distillation, qui consiste à extraire une partie de l’eau contenu dans l’alcool fermenté de façon à obtenir un liquide à plus haute teneur d’alcool13, a elle été inventée en Chine vers le Ier siècle de notre ère. 
Les boissons alcoolisées ont très tôt été présentes dans les religions partout dans le monde. Ainsi, dans de nombreuses cultures anciennes, on a retrouvé des tombeaux que les proches du défunt remplissaient de boissons et de récipients afin qu’ils puissent boire dans l’au-delà. Les Egyptiens se contentaient quant à eux d’inscrire des recettes de bière sur les parois des sépultures.14 Dans l’Antiquité, un aspect mystique était assigné aux boissons alcooliques du fait que l’on ne comprenait pas ce qui provoquait l’ivresse.15 
11 TUCKER, Abigail, « L'aventurier de l'ivresse perdue », Courrier International, 1-7 déc. 2011, pp.61-66. 
12 Addiction Info Suisse, « L’alcool dans notre société – hier et aujourd’hui », Lausanne, 2011 
13 Ibid 
14 TUCKER, A. op.cit.p.66 
15 Addiction Info Suisse, « L’alcool dans notre société – hier et aujourd’hui », Lausanne, 2011, p.3
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L’alcool était alors consommé en tant que moyen d’entrer en contact avec le monde divin lors des cérémonies religieuses et de certains banquets. L’ambivalence de ce produit était cependant déjà très fortement présente chez les Egyptiens et dans l’Antiquité. Malgré le caractère à la fois nutritionniste et mystique de l’alcool, il suscitait déjà l’objet de préoccupations sanitaires et sociales. 
Au Moyen-âge, les banquets perdent leur signification mystique pour devenir des « orgies sauvages ».16 C’est alors que l’ivresse alcoolique fut considérée comme un vice, d’abord par la Noblesse et l’Eglise, puis par le peuple lui-même. Malgré tout, son utilisation comme boisson courante n’a cessé d’augmenter, entre autre comme substitut à l’eau alors estimée comme impropre à la consommation donc dangereuse pour la santé. L’eau-de-vie était quant à elle préconisée comme un remède ou un fortifiant jusqu’à la fin du XV° siècle. Au début des temps modernes (XVIIème siècle), l’arrivée de nouvelles boissons chaudes et l’assainissement de l’eau ont conduit à une diminution de la quantité d’alcool consommée. Le siècle suivant fut au contraire celui durant lequel les spiritueux ont commencé à poser de graves problèmes sociaux. L’amélioration des techniques de distillations et les dures conditions de travail en furent les causes premières. Il fallut cependant attendre le XIXème siècle pour que le terme d’alcoolisme soit introduit dans le langage médical par le médecin suédois Magnus Huss. 
De par la mise en évidence du problème de l’alcoolisme à partir du milieu du XIXème siècle, et les différentes tentatives de définition qui en résultèrent, les relations à l’alcool évoluèrent dans le monde occidental. L’inquiétude augmenta au sein de la population et des mouvements de tempérance et d’abstinence se mirent en place de façon plus ou moins probante selon les pays. Ces deux mouvements ont exercé une pression politique considérable pour la mise en place des premières législations sur l’alcool. A certains endroits, la prohibition a même été établie, interdisant la fabrication et la vente d’alcool sur le territoire concerné. 
16 Ibid.
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Au début du XXème siècle, le discours dominant le monde occidental est alors celui de la « lutte anti alcoolique ».17 Les buveurs excessifs sont vu comme des « vicieux », des « tarés », voir des « délinquants sociaux ». 
Ce n’est que dans les années 1950 que l’alcoolisme est enfin considéré comme une maladie, avec les premiers discours d’alcoologie18 d’Elvin Morton Jellinek aux Etats-Unis, puis de Pierre Fouquet en France, dont nous avons fait mention dans notre tentative de définition du concept d’alcoolisme. L’idée de « vice » est alors remise en cause mais on reste toutefois seulement dans une approche moralisatrice et médicale. 
L’alcool est-il alors simplement l’objet des sciences de la santé ? L’alcoolique peut-il tout bonnement être considéré comme soit amoral et dépravé, soit malade ? Peut-on faire abstraction du contexte social qui accompagne l’individu dans sa consommation ? « L’alcoolisme reste aujourd’hui encore un objet très largement abandonné aux sciences biomédicales par les spécialistes des sciences de l’homme et de la société ».19 Néanmoins, quelques approches sociologiques et psychologiques apparaissent dès les années 70. Cet objet sociologique s’est construit autour de plusieurs axes. Tout d’abord, les sociologues s’interrogent sur le rapport aux normes culturelles dans les différentes conduites du boire, et mettent ainsi en exergue le rôle non négligeable de la socialisation. Ensuite, ils cherchent à élaborer une catégorisation sociale des consommateurs à partir de statistiques prenant en considération les effets du sexe, de classe sociale ou de génération. Le contrôle social, la relation aux autres ou l’imaginaire social sont d’autres thématiques abordées. En somme, la fin du XXème siècle voit naître une nouvelle manière d’appréhender la consommation de boissons alcoolisées, qui s’attache à définir les déterminants sociaux de ces comportements dans un souci de compréhension du problème d’alcoolisation. 
17 JEANNIN, J.-P., « L’homme et l’alcool : évolution historique des concepts », [En ligne] http://www.sosreseaux.com/outils/entreprise/evolution_concepts.pdf 
18 « Discipline médicale qui envisage l’alcoolisme non seulement sous l’angle somatique et psychique, mais également dans son déterminisme socio-économique et vise à la mis en oeuvre d’une prévention efficace. » in Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987 
19 DRUHLE, M., & CLEMENT, S., « Pour une sociologie de l’alcoolisme et des alcooliques », in D'HOUTAUD, A. & TALEGHANI, M., Sciences sociales et alcool, Paris : L'Harmattan, Col. "Logiques sociales", 1995.
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Le raisonnement est que « si nous comprenons mieux les alcooliques, peut-être notre capacité à les aider sera-t-elle plus efficace ».20 
Ces études ont permis d’établir l’existence d’une influence de la société sur la consommation d’alcool de ses « membres ». C’est le comportement de l’homme au cours du temps qui a fait de l’alcool un objet de sa culture. Le contexte environnant, la culture de l’individu ou encore la pression des pairs influencent sa consommation. C’est pourquoi le rapport à l’alcool est différent d’une société à une autre. Il nous apparait intéressant d’analyser ces corrélations et ces incidences, pour mieux comprendre l’ambigüité de cette substance socialement acceptée et désirée, bien que condamnable par sa nocivité. C’est pourquoi nous choisissons d’axer notre étude selon un angle sociologique et culturel, laissant de côté les considérations médicales, privilégiant une réflexion sur les causes plutôt que sur les conséquences. 
De nos jours, l’alcool fait toujours partie intégrante de la vie des hommes. L’alcoolisme est continuellement au centre des attentions, la dépendance à l’alcool cause aujourd’hui encore de multiples problèmes. Dans un grand nombre de pays, la consommation régulière d’alcool de la population se stabilise, voir diminue, mais les problèmes liés à l’alcool ne diminuent pas pour autant, loin s’en faut. Depuis la fin du XXème siècle on observe une augmentation sans précédent des consommations ponctuelles, tout particulièrement au sein de la jeunesse.21 Un nouveau problème lié à la consommation d’alcool devient alors le sujet de nombreuses recherches : l’alcoolisation massive des jeunes. Les différents acteurs tels que les associations, les politiciens ou les médecins s’inquiètent de cette nouvelle tradition d’alcoolisation festive et extrême, appelée « binge drinking ». Une attention toute particulière est donc portée aujourd’hui sur cette relation des jeunes à l’alcool, sur ce nouveau phénomène, qui comme son origine étymologique l’indique, a pris sa source dans les pays anglo-saxons. 
20 DRUHLE, M., & CLEMENT, S., op.cit. p.40 
21 HIBELL, B, et al., The 2007 ESPAD report : Substance Use Among Students in 35 European Countries. 2007. p.21.
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B - Cadrage du sujet : 
Le « binge drinking » chez les jeunes au Royaume-Uni, 
en France et au Canada. 
Pourquoi le « binge drinking » ? 
Depuis quelques années, le « binge drinking » s’impose dans tous les médias et les discours politiques. Fortement présent dans les pays anglo- saxons et les pays nordiques dès les années 90, le « binge drinking » est ensuite arrivé en France au début des années 2000. Il inquiète et constitue l’un des nouveaux grands problèmes politiques à l’ordre du jour. Il a été à l’origine d’une campagne de lutte menée par le ministère de la santé, qui a abouti en 2009 à l’élaboration d’une loi nommée « loi Bachelot ». Plus récemment, le sujet prit le devant de la scène après le premier accident mortel survenu suite à l’organisation d’un « apéro géant » en mai 2010.22 L’origine des « apéros géants » remonte aux années 1990 mais ce sont l’ampleur pris par ces organisations et la consommation excessive d’alcool qui y est rattachée qui constituent la nouveauté. Les médias mettent cette nouvelle forme d’alcoolisation au centre de réflexions sur les substances psychotropes, sur la délinquance ou sur les jeunes en général. 
Notre réflexion s’axant sur les relations entre l’individu, la société et l’alcool, le « binge drinking » s’est alors imposé à nous comme objet d’étude par son caractère très actuel. Malgré la place donnée à ce phénomène dans les médias et les discours politiques, peu de recul n’a encore pu être pris par rapport à ce problème. Il semble alors intéressant d’axer nos recherches sociologiques sur cette tradition venue d’Angleterre, de façon à avoir une vision claire et précise de ce qui la caractérise et des enjeux qui lui sont attachés. 
22 «Nouvelobs.com, « Un homme meurt lors d’un apéro géant à Nantes », [En ligne], 13 mai 2010. http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20100513.OBS3896/un-homme-meurt-lors-d- un-apero-geant-a-nantes.html
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Par ailleurs, le concept même du « binge drinking », qui consiste à boire beaucoup et vite de façon à être ivre le plus rapidement possible, soulève en nous des interrogations particulières. Il est facile de comprendre que l’on puisse trouver du plaisir à boire de l’alcool. Il est assez aisé de concevoir que le sentiment léger d’ivresse puisse apporter confiance en soi, calme et désinhibition. Mais comment expliquer la volonté de boire des quantités excessives d’alcool dans le seul but spécifique d’un accès à l'état d’ivresse ? Comment comprendre la recherche de l’intoxication alcoolique aigüe pour elle- même ? Pourquoi ne pas se contenter d’une consommation modérée, qui aurait au moins pour bénéfice de limiter les conséquences néfastes à court terme, faute de pouvoir prévaloir l’individu de tout risque de maladie ou de dépendance ? Ce sont ces questionnements qui, au-delà de l’actualité du sujet, nous ont poussés à nous concentrer sur l’étude du « binge drinking ». Ainsi nous essayerons d’établir le lien entre l’individu, la société et la culture dans laquelle il évolue, et l’excès d’alcool. En analysant l’impact de la société sur la consommation des individus, nous tenterons de comprendre certains agents initiateurs de ce nouveau phénomène du « binge drinking ». Bien que notre réflexion s’axe principalement sur l’étude d’une certaine perspective d’explication sociologique et culturelle de ce problème, nous garderons toujours bien à l’esprit les conséquences d’un tel comportement sur la société et sur la santé des individus. 
Pourquoi le Royaume-Uni, la France et le Canada ? 
Pour nous permettre d’examiner au mieux l’impact de la culture sur cette consommation excessive des jeunes, nous avons décidé d’orienter notre réflexion sur trois pays différents : le Royaume-Uni, le Canada et la France. Il y a plusieurs fondements à cette volonté de confronter ces pays dans une même étude. Tout d’abord, peu d’études comparatives ont été menées jusqu’à l’heure sur le sujet du « binge drinking » ; on trouve de plus en plus de statistiques établies au niveau européen, mais les études comparées qualitatives sont très rares. En comparant ces trois pays, nous espérons pouvoir montrer le rôle joué par la culture dans ce nouveau mode de consommation. Il existe en effet de fortes différences culturelles dans les rapports entretenus à l’alcool.
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Ces divergences semblent évidentes lorsque la comparaison concerne deux pays sensiblement différents, comme par exemple un pays oriental de culture musulmane et un pays occidental de culture catholique. Elles le sont beaucoup moins lorsqu’elles s’appliquent à des pays très proches culturellement, comme le sont le Royaume-Uni, le Canada et la France. Or, le « binge drinking » est un phénomène que l’on retrouve principalement dans les pays industrialisés, qui ont des modes de vie relativement similaires. Notre intérêt est donc de faire reposer notre réflexion sur une analyse de trois de ces pays occidentaux, pour essayer de comprendre les modalités d’apparition du « binge drinking ». 
Notre choix part du constat de l’existence de plusieurs types de « culture de l’alcool ». Les pays occidentaux se regroupent principalement selon deux groupes : On distingue d’une part « les cultures ambivalentes », où la consommation d’alcool est autorisée mais pas souhaitée et où les législations sont strictes ; et d’autre part les « cultures permissives » où l’on considère comme normal le fait de boire régulièrement du vin durant les repas, alors que l’ivresse et la consommation inappropriée d’alcool font l’objet de jugements négatifs. Nous souhaiterions alors montrer en quoi cette différence culturelle a joué un rôle dans la naissance el le développement du « binge drinking ». En effet, les pays de « culture ambivalente » sont les premiers à avoir connu ce phénomène, tandis qu’il est apparu plus tard et dans une moindre mesure dans les pays de culture permissive. 
Le « binge drinking » voyant très souvent ses origines et sa pratique assimilées au Royaume-Uni, pays de « culture ambivalente », il nous apparait alors comme l’exemple type à prendre en compte. Etant française, et la France étant un pays de « culture permissive », ce pays trouvait alors indéniablement sa place dans cette analyse. En intégrant le Canada à notre étude, nous souhaiterions pouvoir montrer des similitudes culturelles qui existent avec le Royaume-Uni et permettraient de démontrer le caractère anglo-saxon de ce phénomène. De plus son histoire, pour partie liée à celle de la France, fait de ce pays, à lui tout seul, un lien avec les 2 autres.
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Pourquoi les jeunes ? 
Pour terminer cette introduction, précisons que notre étude portera sur la catégorie sociale des jeunes. Cette orientation se justifie par le fait que le « binge drinking » reste un comportement propre à cette catégorie. Le terme de « jeune » est cependant ambigu. En effet, pendant longtemps, il était peu ou prou synonyme « d’adolescent ». L’adolescence dans nos sociétés occidentales est une période particulièrement trouble du fait des transformations physiques et psychiques de l’enfant qui devient progressivement adulte. Aujourd’hui, la sortie de l’adolescence ne débouche plus forcément sur un statut d’adulte. Depuis 1970 environ, on assiste à l’émergence d’une période intermédiaire entre l’adolescence et la période adulte. Cette nouvelle période résulte principalement de l’allongement de la scolarité, et de la prolongation de la phase d’insertion professionnelle. Ainsi la jeunesse est désormais « une phase d’ambigüité durant laquelle les individus doivent acquérir une position sociale ». 23 Elle est composée de plusieurs groupes d’âges avec une grande diversité de comportements. Pour cette étude nous nous référerons à la catégorie des « jeunes » dans son ensemble, que nous considèrerons comme débutant aux alentours de 13 ans et pouvant aller jusqu’à une trentaine d’années. 
De nombreux ouvrages, rapports et sites internet ont servi de point d’appui à notre réflexion. Pour étayer ces lectures, des questionnaires, ont été réalisés spécialement pour cette étude, puis distribués à des étudiants pouvant apporter des éléments de comparaison de par leur vécu dans les différents pays. 
23 BEITONE, Alain, et al., Sciences sociales. Paris : Dalloz, coll. "Aide Mémoire", 5ème édition 2007. p.266
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C - Hypothèses 
Pour comprendre les rouages du « binge drinking » et en cerner les enjeux, il sera nécessaire dans un premier temps de poser les bases de ce nouveau mode d’alcoolisation (I). 
Le « binge drinking » n’est pas un simple terme journalistique ; il se définit par un cadre précis dont nous essayerons de déterminer les limites. 
Phénomène propre à notre société contemporaine, il ne concerne pour autant qu’une partie de la population. Nous examinerons alors l’existence éventuelle de déterminants sociaux (sexe, catégorie sociale, âge) dans une tentative de catégorisation des « binge drinkers ». 
Par ailleurs, nous nous demanderons si le « binge drinking » est un phénomène d’alcoolisme au sens qui lui a été assigné précédemment. On interrogera le caractère social de ce phénomène. 
Ce constat nous permettra d’aborder dans un deuxième temps la part culturelle empreinte à ce mode de consommation (II). A la question « Pourquoi buvons-nous ? », de nombreuses réponses pourront être apportées. 
Nous avons décidé dans cette étude de mettre en exergue l’influence de la culture et de la socialisation dans notre consommation d’alcool, appuyant ainsi la dimension sociale de cet objet. 
Cette précision nous amènera à nous demander en quoi le phénomène du « binge drinking » peut-il être un produit de la culture anglo-saxonne. Les représentations populaires attribuent en effet aux anglo-saxons ce type de comportement. Nous chercherons donc à vérifier cet imaginaire en comparant le Royaume-Uni, le Canada et la France, dans le but de faire apparaître des éléments propre au Canada et au Royaume-Uni, qui pourraient valider ou non la naissance d’une alcoolisation excessive dans ces pays anglo-saxons. Nous verrons que ces éléments différenciateurs se cristallisent autour de l’opposition entre les « cultures de tempérance » dites « ambivalentes », et les « cultures de non tempérance » dites « permissives ».
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Si l’impact de la culture « ambivalente » anglo-saxonne dans l’apparition du « binge drinking » se trouve avérée par notre étude, un paradoxe se présentera alors à nous : Comment expliquer l’arrivée du phénomène dans une culture « permissive » comme la France ? L’ensemble du monde occidental contemporain semble en effet concerné par ce problème. Pour répondre à cette limite, nous tenterons donc d’examiner l’impact du contexte dans lequel s’est développé ce mode de comportement vis-à-vis de l’alcool (III). 
Le « binge drinking » a réussi à se faire une place dans un monde de plus en plus globalisé, qui a facilité sa diffusion à l’ensemble des pays industrialisés. 
Néanmoins, n’y a-t-il pas une autre explication au fait que cette forme d’alcoolisation affecte principalement les pays les plus industrialisés ? Ne peut- on faire prévaloir une certaine « culture occidentale » qui, dans l’explication d’un tel phénomène, dépasserait le clivage entre « culture ambivalente » et « culture permissive » ? Ce nouveau comportement des jeunes n’est-il pas avant tout inhérent aux bouleversements sociaux survenus à la fin du XXème siècle ? Nous essayerons de le montrer, en analysant l’impact sur ce nouveau rapport à l’alcool qu’ont pu avoir certains changements nés avec la postmodernité.
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Chapitre 1 – « Binge drinking » : principes et acteurs d’un phénomène social 
Que ce soit à la télévision ou dans les journaux, dans les couloirs de l’Etat ou dans les discussions populaires, le « binge drinking » ne cesse de faire parler de lui depuis quelques années. Si ce terme anglo-saxon n’est peut être pas encore connu de tous, difficile d’échapper au constat de ce phénomène d’alcoolisation massive. Les jeunes d’Angleterre ou d’Amérique du Nord sont sombrement réputés pour leurs innombrables excès en termes de consommation d’alcool. Plus récemment, ces excès se manifestent en France. Les hospitalisations dues à des intoxications alcooliques aigües voient leur nombre sensiblement augmenter. Les violences et les accidents consécutifs d’ivresses extrêmes sont en nette hausse également. Face à ce constat, il apparait nécessaire d’essayer de comprendre les déterminants de ce nouveau phénomène. 
En quoi consiste concrètement ce nouveau mode de consommation ? Qui est concerné par ce phénomène ? Peut-on considérer le « binge drinking » comme une nouvelle forme d’alcoolisme ? Nous tâcherons de répondre à toutes ces questions dans un premier chapitre dans lequel nous dessinerons les contours de ce concept. 
Section A - Qu’est ce que le « binge drinking » ? 
Pour débuter cette étude du « binge drinking » chez les jeunes, il semble nécessaire de prendre le temps d’examiner ce qui se cache derrière ce concept. Un concept très utilisé par les médias depuis quelques années mais assez peu compréhensible du fait de l’origine anglaise du terme. Nous ne trouvons pas de définition précise dans les dictionnaires, ce qui fait que tout le monde en parle sans évoquer forcément la même chose.
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La notion de « binge drinking » est en effet communément employée lorsque l’on veut mentionner ce qui semble être une nouvelle façon de boire propre à la jeunesse, comme si l’on pensait que cette appellation suffisait à elle seule à en justifier les causes comme les conséquences. 
I. Eléments de définition 
La sémantique même du terme nous apprend beaucoup sur le phénomène étudié et sur la représentation que l’on en a : le « binge drinking » est un anglicisme, qui signifie littéralement « orgie », « beuverie » et que l’on traduit parfois par « hyper-alcoolisation », « intoxication alcoolique aiguë » ou encore « alcoolisme périodique ». En France, nous utilisons aussi généralement les termes de « biture express », « chaos éthylique » ou encore « alcool défonce ». 
Au terme d’une simple étude sémantique du mot, et de ses diverses traductions, il est possible de mettre en avant la dangerosité de ce phénomène et le caractère négatif d’un tel comportement assimilé à un « chaos ». Notons qu’à l’origine, « binge drinking« était utilisé principalement dans un sens médical, pour désigner une crise périodique de consommation continue d’alcool qui ne s’arrêtait que lorsque le buveur était dans l’incapacité de poursuivre.24 Le terme s’est néanmoins actualisé ces dernières années pour se référer plus généralement à une forte quantité d’alcool ingurgitée dans une occasion précise de consommation. 
Il nous faut alors préciser ce que l’on entend aujourd’hui concrètement par « biture express». A partir de quand peut-on dire que l’on passe d’une alcoolisation à une « hyper-alcoolisation ? ». Si tout le monde s’accorde à définir le « binge drinking » comme une consommation excessive périodique d’alcool, il n’y a pas de consensus sur le nombre de verres qui constitue cette « orgie ». 
24 MCM Research Ltd for Wine Intelligence, WTAG binge-drinking research, Oxford : MCM REsearch Limited, September 2004. p.2
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Le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA)25 des Etats Unis propose la « 5/4 définition » qui veut que soit considéré comme « hyper- alcoolisation » une consommation de cinq verres ou plus chez l’homme ou de quatre verres ou plus chez la femme, sur une durée de deux heures environ. Cette quantité correspond à une alcoolémie égale ou supérieure à 0.8g par litre de sang. Au Royaume Uni, le consensus se fait sur des quantités supérieures puisque l’on parle de 8 unités pour les hommes et de 6 pour les femmes. 
Claudine Guiet,26 coordinatrice de la santé étudiante au service de la promotion de la Santé à Ottawa, insiste sur cette définition « scientifique » du « binge drinking » pour mettre en avant le fait que ce ne sont pas des quantités astronomiques qui sont prises en compte. En effet, la quantité consommée n’est pas le seul élément de la définition du « binge drinking ». 
D’une manière moins formelle, plusieurs éléments sont souvent cités pour définir le « binge drinking ». Dans le rapport conduit par le centre de recherche anglais « MCM Research Ltd »27, quatre points principaux ressortent des interviews de divers policiers, gérants, patrons et employés de bar à qui l’on a demandé de définir ce qu’ils entendaient par « binge drinking » : 
- Le fait de boire avec l’intention d’être ivre 
- Le fait de boire jusqu’à perdre le contrôle de soi 
- Le fait de boire le plus possible dans un temps limité 
- Et le caractère occasionnel de cette consommation abondante. 
A noter que ces personnes interviewées n’ont que très peu décrit ce phénomène en termes d’unité spécifique de consommation, préférant mettre l’accent sur l’état d’esprit et les types de comportements associés à cette forme d’intoxication. 
II. Cadre d’action 
Une simple étude sémantique des termes assignés à ce nouveau mode de consommation nous permet dès lors d’imaginer le cadre dans lequel se déroule le « binge drinking ». 
25 Voir http://www.niaaa.nih.gov/Pages/default.aspx 
26 Voir Annexe 2, entretien avec Claudine Guiet 
27 MCM Research. Op.cit.p.7
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On est loin en effet de la « dégustation », de la consommation d’alcool quotidienne dans un cadre gastronomique. Ces beuveries correspondent à un certain mode de vie ; Le cadre spatio-temporel dans lequel a lieu ce phénomène d’alcoolisation est très significatif. 
1. Temporalité 
Nous l’avons déjà mentionné dans la définition, la notion de temps est primordiale puisque le « binge drinking » correspond à une consommation rapide dans un temps limité et qui se déroule de façon occasionnelle. Disons que globalement les « binge drinkers » s’adonnent à ce genre de consommation une fois par semaine, principalement le week-end. 
Cependant ces chiffres sont très variables et un individu pourra très bien boire de façon excessive trois fois en une semaine ou au contraire très rarement. De même, si le phénomène s’observe principalement le week-end, ceci n’est pas exclusif. On le retrouve aussi beaucoup durant la semaine, lors des soirées étudiantes ou des « soirées promotionnelles » organisées par les bars. En outre, certains évènements spécifiques sont particulièrement propices à ce genre de débordements : les anniversaires, les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon, les soirées d’intégration ou encore pour des raisons moins tangibles comme le jour de paye. Cependant, maintenant, les orgies ont lieu même sans raison spéciale ; toute occasion est bonne pour s’adonner au « binge drinking »28. Quoi qu’il en soit, on n’est effectivement plus dans le cadre d’une consommation quotidienne qui peut venir agrémenter les repas. 
2. Cadre spatial 
Maintenant que l’on a défini un pseudo cadre temporel à notre objet d’étude, posons-nous la question de savoir où et avec qui se passe cette « biture express ». 
28 MCM Research. Op.cit. p.17
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L’une des particularités du « binge drinking » est qu’il renvoie à un usage collectif de l’alcool.29 Il s’exprime principalement dans des cadres festifs, souvent par le biais de jeux, défis et rituels (élément que nous détaillerons à la fin du chapitre). Il est très rare de voir des jeunes se « défoncer » seuls à l’alcool. « L’alcool défonce » est en effet un réel facteur intégrateur. Les lieux où se déroule ce phénomène de « binge drinking » sont doubles. 
Une grande partie de ces excès se déroulent dans des lieux publics, des bars, des boîtes de nuit, mais aussi parfois dehors, dans la rue. A noter à ce sujet la récente loi passée dans certaines villes françaises, interdisant la consommation d’alcool dans la rue. Au Canada, il est même obligatoire de cacher ses bouteilles dans des sacs en papier kraft lorsque l’on est dans des lieux publics. Les lois françaises ont vu le jour à la suite de l’organisation répétée de ce que l’on appelle les « apéros géants », et dont le but est le regroupement de plusieurs milliers de personnes afin de boire ensemble. Cet exemple est significatif du caractère collectif du « binge drinking ». 
Les soirées privées sont également des lieux où la consommation excessive d’alcool est devenue le maître mot. Il suffit de regarder des films ou feuilletons américains pour se faire une idée de ce que sont ces soirées qui sombrent souvent dans l’alcoolisation extrême. 
3. Déroulement des festivités 
Pour finir d’établir le cadre dans lequel a lieu le « binge drinking », il apparaît pertinent de reprendre les différentes étapes de la défonce dégagées par Ngom Ousseynou dans son rapport. Selon lui, les « binge drinkers » cherchent toujours à suivre un processus logique qui correspond à une façon particulière de se défoncer ». 30 Pour commencer, une soirée débute souvent par ce qu’il appelle une « préchauffe », plus connue sous le nom de « before ». 
29 OUSSEYNOU, Ngom, Jeunes et alcool, le binge-drinking en milieu étudiant, Bordeaux : Université Victor Segalen, 2008/2009. p.42 
30 Ibid. p.42
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On se retrouve souvent chez un membre du groupe, on boit principalement des bières ou du vin, parfois on se lance des défis afin d’accélérer les effets de l’alcool. Le but de ces « before » est d’arriver « chaud » à la soirée, de façon à pouvoir être ivre plus vite et sans avoir à débourser des sommes astronomiques dans des bars où l’alcool est bien plus cher. Généralement, la soirée se poursuit dans un bar, une boîte ou chez quelqu’un d’autre, où il y aura plus de monde. Puis elle se termine en « after » pour ceux qui ont tenu jusque là... En Angleterre un phénomène très spécifique peut être observé lorsque les bars sont sur le point de fermer (à 23h) : les gérants font un dernier appel aux clients qui se précipitent pour bénéficier des dernières offres et boire jusqu’à l’ivresse, avant qu’il ne soit trop tard. 
Pour finir, il est important de parler du phénomène de « spectacle post- défonce »31. Par-là, il faut entendre tous les retours d’après soirée, c’est à dire les scènes filmées, les photographies des « binge drinkers » complètement ivres, les échanges sur la soirée par le biais de facebook, les commentaires du lendemain… C’est ce dont parle Claudine Guiet lorsqu’elle mentionne le phénomène du « walk of shame »32, c'est-à-dire le fait de rentrer chez soi le lendemain d’une soirée difficile, vêtu des habits de la veille et de faire face au regard des autres. 
Le déroulement des soirées de défonce est important pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière ce phénomène de « binge drinking ». Il montre à quel point ce phénomène est social plus que médical. On voit ainsi l’importance d’appréhender la définition sous un angle moins scientifique mais plus social et psychologique. 
III. L’objet de consommation 
Vin blanc, vin rouge, rosé, vodka, whisky, bières de toutes sortes… L’étendue du choix s’offrant aux « binge drinkers » est large. Alors quel alcool pour quel consommateur ? 
31 Ibid. p.47 
32 Voir annexe 2 : entretien avec Claudine Guiet
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Si l’on se réfère aux principes du « binge drinking », on aurait tendance à leur faire dire « peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !», comme l’a écrit Alfred de Musset. Néanmoins l’objet de consommation n’est pas anodin dans notre perspective d’étude. 
Tout d’abord, il faut rappeler que le type d’alcool consommé dépend de la culture du pays. Ainsi les pays de culture anglo-saxonne, comme le Royaume- Uni ou le Canada, ont tendance à boire principalement de la bière (43% pour le Royaume Uni et 53% pour le Canada) alors que la France n’en consomme qu’à hauteur de 17%, la majorité de sa consommation (62%) étant consacrée au vin33. Ainsi un « binge drinker » n’aura pas les mêmes habitudes de consommation selon sa nationalité. 
A côté de la consommation des produits traditionnels, on assiste à l'apparition sur le marché de nouveaux types d'alcool : les pré-mix ou alcopop, qui sont des produits apparus massivement sur le marché dans les années 90.34 Ce terme désigne des mélanges d’alcool fort et de boisson non alcoolisée, fortement dosés et sucrés. Ce marché se décline en différents produits allant des bouteilles déjà mixées, du type des « smirnoff ice », aux « shots » que l’on avale d’un coup. Dans une logique marketing, les alcooliers ont donc développé ces nouvelles boissons prêtes à déguster, à l’aspect et au goût attrayants. Noms et packagings évocateurs, visuels très marqués, tout est fait pour plaire aux jeunes. Ils ont l’avantage de permettre une alcoolisation rapide alors même que le goût très sucré fait oublier que l’on est en train de boire des alcools forts et que l’on peut ainsi atteindre plus vite et plus facilement un état d’ivresse. On retrouve ce type d’alcool en vente dans les commerces mais aussi dans les bars ou discothèques où des offres de plus en plus nombreuses sont faites aux consommateurs. 
33 World Health Organization, “Global status report on alcohol and health 2011”, who.int. [Online], 2011. http://www.who.int/substance_abuse/publications/global_alcohol_report/en/index.html#. 
34 COSSEGAL, V., GUEGUEN, K. et TONEATTI, V., « Prémix et dérivés : Regards croisés des alcooliers et des épidémiologistes », [En ligne] 22 mai 2007. http://intd.cnam.fr/
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Par ailleurs ce type d’alcool révèle une tendance nouvelle : la hausse de la consommation dans la population féminine. Il faut noter qu’il y a une différence dans le type d’alcool consommé, selon qu’on soit un homme ou une femme.35 Les femmes auraient tendance à boire beaucoup plus de pré-mixes et du vin alors que les shooters ou les bières sont généralement associés à une consommation masculine. Les alcooliers ont encore une fois su prendre en compte une demande nouvelle venant d’une consommation grandissante de la part des femmes. On voit en effet apparaître de nombreux alcools dits « pour filles ». Les bouteilles aux motifs attrayants, le goût sucré de ces pré-mixes et leurs publicités mettant en avant des femmes consommatrices sont autant d’éléments d’une stratégie marketing clairement établie pour répondre à cette demande. 
En somme, nous pouvons dire que les alcooliers ont su appréhender les modes de vie des étudiants et des jeunes et adapter leurs produits aux évolutions sociétales et donc à ce phénomène de « binge drinking ». 
Section B - Etude sociologique des consommateurs 
I. Une spécificité des jeunes 
Il est communément admis que le « binge drinking » est un phénomène touchant une population « jeune ». Cependant il est clair que cette notion de jeunesse est vague et imprécise. D’après un bulletin d’information de l’Institute of Alcohol Studies, 36 le « binge drinking » est le mode de consommation normal des 18-24 ans. 
Au Royaume Uni, 80% des hommes et 75% des femmes de cette tranche d’âge affirment avoir déjà bu à l’excès selon les critères subjectifs du « binge drinking ». Ce nombre diminue fortement lorsque l’on interroge les populations plus jeunes. 
35 MCM Research. Op.cit. p.13 
36 Institute of Alcohol Studies, Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010.
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Ce tableau paru dans le bulletin d’information de l’Institue of Alcohol Studies37 fait apparaître l’importance de ce phénomène chez les 18-24 ans par comparaison aux classes d’âges inférieures. 
Le tableau38 ci-dessous montre que le pourcentage de « binge drinkers » est plus grand chez les 18-24 ans que chez les 25-30 ans, que l’on s’appuie sur une définition subjective basée sur une auto évaluation de la fréquence du sentiment d’avoir été très ivre au moins une ou deux fois par mois dans l’année (intoxication based), ou sur une définition plus objective comptabilisant les hommes ayant bu plus de 8 verres, et les femmes ayant ingurgité plus de six unités d’alcool en moyenne, les jours de consommation de la semaine précédant l’enquête (united-based). 
Bien sûr, cela ne signifie pas que le phénomène n’existe pas chez les plus âgés, mais seulement qu’il perd de son importance avec l’âge. De même le « binge drinking » ne commence pas soudainement à 18 ans. Les lycéens sont également touchés avec une probabilité qui croît avec l’âge. Notons que les enquêtes ci-dessus portent sur le Royaume Uni, cependant l’âge concerné est le même dans tous les pays. 
37 HARRINGTON V Home office Research Findings No.125: Underage drinking: findings from the 1998-99 Youth Lifestyles survey, 2000, in Institute of Alcohol Studies, Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010,p.8 
38 RICHARDSON, A; Home Office Research Study 263 : Alcohol, crime and disorder : a study of young adults, in Institute of Alcohol Studies. Op.cit. p.9
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Les étudiants font partie de la part de la population la plus touchée par le problème du « binge drinking ». Loin d’être les seuls parmi les jeunes à être concernés, il n’en demeure pas moins que « l’alcool défonce » semble faire partie intégrante de la vie lycéenne et universitaire. La consommation d’alcool est en effet sans cesse impliquée dans les rapports sociaux entre les étudiants. Beaucoup de jeunes connaissent leur première vraie « cuite » lors des soirées étudiantes ou des week-ends d’intégration. Les étudiants, principalement en grandes écoles mais aussi ailleurs, vivent l’entrée en école comme une libération, une libération du joug familial ou de l’exigence des classes préparatoires françaises. Une fois le nid familial quitté, que ce soit pour les études ou non, il est bien plus facile de s’adonner à ces excès de consommation entre amis : il paraît loin le temps où les parents pouvaient surveiller les moindres sorties et surtout l’état de leurs enfants au retour des soirées. De plus, les étudiants se retrouvent généralement tous en centre-ville ou sur le campus, proches de leurs camarades, ce qui facilite les rencontres autour d’un verre, ou deux… 
II. Le « binge drinking » a-t-il un genre ? 
Le « binge drinking » ne fait pas exception à la règle qui veut que les hommes soient dans l’ensemble de plus grands consommateurs d’alcool que les femmes. Si nous regardons le schéma de l’étude réalisée par l’ESPAD (The European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs)39 nous pouvons voir que la plupart des 35 pays européens connaissent un déséquilibre dans le rapport de consommation entre les hommes et les femmes. Par exemple, en France, 47% des hommes disent avoir, au moins une fois dans les 30 derniers jours, consommé 4 ou 5 verres dans un court délai (définition quantitative du « binge drinking ») alors que les femmes ne sont que 39%. Quatre pays dérogent cependant à la règle : les femmes du Royaume Uni, de Norvège, de Suède et d’Islande sont plus nombreuses que les hommes à avoir expérimenté ce phénomène de « binge drinking » durant le mois précédant l’enquête. 
39 HIBELL, B, et al., op.cit.,p.76
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Notons que le Canada n’apparaît pas dans le schéma ci-dessus, néanmoins une enquête réalisée en 2004 sur les campus canadiens a révélé que les hommes interrogés étaient plus susceptibles que les femmes de déclarer une consommation excessive épisodique.40 
Malgré tout, il faut être prudent avec ces chiffres. En effet, s’il semble important de noter que les femmes boivent globalement moins que les hommes et que ce phénomène est inversé dans plusieurs pays du nord de l’Europe, dont le Royaume Uni, il est également nécessaire d’essayer d’en expliquer les raisons. 
40 Center for Addiction and Mental Health, Enquête sur les campus canadiens, faits saillants, Toronto : s.n., 2004,p2
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Tout d’abord, il est scientifiquement prouvé que les femmes ont un métabolisme qui ne leur permet pas de tenir aussi bien l’alcool que les hommes.41 Ainsi il leur faudra moins de verres pour atteindre un certain niveau d’intoxication. C’est d’ailleurs pour cela que la définition objective du « binge drinking » parle de 5 verres pour les hommes et de 4 pour les femmes. Cette distinction n’est cependant pas suffisante pour refléter cette différence biologique et ainsi une femme pourra être considérée comme « binge drinker » selon la définition subjective du phénomène sans pour autant répondre aux caractéristiques quantitatives prises en compte dans la plupart des sondages. 
En outre, le décalage que l’on observe entre les pratiques des femmes et des hommes peut être dû au fait que l’abus d’alcool chez les filles est socialement mal accepté. Ainsi les processus de socialisation et les normes sexuellement différenciées peuvent expliquer ces usages sexués de l’alcool chez les jeunes.42 La norme semble vouloir réserver aux hommes la possibilité de tirer mérite et admiration d’une consommation excessive d’alcool. L’ivresse des filles est beaucoup plus mal vue. N’a-t-on pas tendance à entendre dire « Une fille qui est ivre, c’est vulgaire»? Alors qu’un garçon aura plus facilement le droit à la reconnaissance de ses amis pour avoir prouvé sa virilité en battant des records de quantité d’alcool consommée ou pour avoir fini le plus soul de la soirée, une fille sera plus honteuse devant une telle situation et n’en tirera que très peu de gloire. De plus le contrôle des parents sur les sorties est plus sévère pour les filles. Elles prennent part beaucoup moins et surtout beaucoup plus tard à des groupes de pairs, dans des contextes qui poussent à la consommation d’alcool. 
41 « A quantité égales d’alcool consommé, les femmes obtiennent une alcoolémie plus élevée que celle des hommes. Ceci s’explique par le fait qu’elles ont un poids corporel inférieur et une proportion plus élevée de gras. Comme leur corps contient moins d’eau, l’alcool se répartit donc dans une moindre quantité de liquide corporel. En outre les femmes ont aussi un foie de taille inférieure à celui des hommes et possèdent de plus petites quantités d’alcool déshydrogénase, ce qui fait qu’une plus grande proportion d’alcool consommé par les femmes reste dans le sang. », in Educ’alcool, op.cit.,p.5) 
42 AMSELLEM-MAINGUY, Yaëlle, « Jeunes et alcool : Consommation en baisse, ivresses occasionnelles en hausse », Jeunesses : études et synthèses n°3, janvier 2011.
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Néanmoins, une autre tendance notable s’ajoute à l’évolution récente des schémas de consommation : l’usage sexué de l’alcool est de moins en moins probant. Ainsi, on a vu que dans certains pays, le « binge drinking » était un phénomène plus féminin que masculin et même là où les garçons continuent à boire plus intensément que les filles, celles-ci semblent en partie rattraper leur retard. L’auteur de L’alcool donne-t-il un genre43 explique l’évolution de la relation entre l’alcool et le sexe féminin. Il mentionne les travaux de Sidsel Eriksen portant sur les femmes et l’alcool au Danemark au tournant du XXème siècle, en insistant sur les transformations sociétales intervenues à cette période-là. En effet, auparavant, boire était un comportement familier seulement chez les hommes et le sexe féminin se voyait attribuer le rôle de la femme distinguée, sobre, qui sait se contrôler et qui est la bonne gardienne de son foyer. Selon Eriksen cette représentation serait une construction délibérée de la société Victorienne pour faire contrepoids face à la hausse inquiétante de la consommation d’alcool chez les hommes. Ainsi la femme se voit offrir le devoir de préserver la société. 
Seulement les choses ont commencé à changer avec l’émergence des courants féministes qui prirent de l’importance au tournant du XX° siècle, particulièrement aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre. Ceci pourrait d’ailleurs en partie expliquer le fait que les Anglaises s’adonnent autant voire plus au « binge drinking » que leurs acolytes masculins. Boire est vu par ces femmes réclamant une libération du joug conjugal, comme une façon d’exprimer leur force nouvelle, leur liberté, leur indépendance et l’égalité des sexes. 
Il y a certes eu des mouvements inverses, qui dénonçaient la consommation d’alcool chez les femmes, leur reprochant une perte de maitrise de soi, les rendant moins respectables et dépourvues de toute féminité. Ceux-ci ont poussé beaucoup de femmes à réserver leur consommation d’alcool à la sphère privée, cachées du regard de la société. Malgré tout, le modèle de consommation s’est radicalement modifié à partir de cette époque. 
43 BECK, F, LEGLEYE, S et SPILKA, S, « L'alcool donne-t-il un genre », Travail, genre et société n°15, 2006, pp. 141-160.
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Boire ne renforce plus forcément la masculinité : plus l’égalité entre les sexes est respectée, comme c’est le cas dans la plupart des pays nordiques et anglo- saxons, et moins la différence de genre sur l’alcoolisation est importante. 
Martin et Moira PLANT44 confirment ces analyses, en s’attachant au cas du Royaume Uni qui serait le pays le plus significatif en ce qui concerne la consommation extrême d’alcool chez les femmes. En effet, 38% des femmes âgées d’une vingtaine d’années participent à ce phénomène de « binge drinking » et 60% de l’alcool consommé par les anglaises de 20 à 29 ans est consommé dans cette optique-là. Les auteurs émettent l’éventualité selon laquelle le Royaume Uni serait un pays où le « binge drinking » chez les femmes serait spécialement important du fait qu’elles bénéficieraient de plus de liberté sociale qu’ailleurs ; une émancipation qui passe entre autres par des salaires plus élevés ou un certain pouvoir légal et politique. En outre, les publicités visant de plus en plus la gente féminine joueraient également un rôle important.45 Les auteurs ajoutent qu’au Royaume Uni, les femmes sont soumises très jeunes à l’image d’un alcool qui serait libérateur et qui leur permettrait de s’exprimer. La situation a bien évolué puisque pendant longtemps, les femmes pouvaient se voir refuser l’entrée dans certains bars. 
Aujourd’hui, une législation contre la discrimination sexuelle a inversé la tendance et les femmes sont parfois même privilégiées par des offres promotionnelles leur faisant bénéficier de prix plus attractifs que pour les hommes. Tout ceci peut expliquer pourquoi la consommation excessive d’alcool chez les femmes a rapidement augmenté depuis une vingtaine d’années. 
En somme, le « binge drinking » est un phénomène qui reste principalement masculin dans la plupart des pays ; cependant, la place des femmes a évolué tout autant que leur rapport à l’alcool. Cette observation est d’autant plus vraie au Royaume Uni, où leur consommation excède celle des hommes. 
44 PLANT, Martin et PLANT, Moira, Binge Britain : Alcohol and the National Response, Oxford : Oxford University Press, 2006,p.44. 
45 Voir « l’objet de consommation» en page 27
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III. Les catégories sociales concernées 
De multiples études statistiques se sont attachées à montrer les déterminants sociaux de la consommation d’alcool. Les catégories sociales ont généralement un rôle à jouer dans la consommation de l’alcool. Ainsi, les ouvriers du XIXème siècle étaient par exemple usuellement associés à une certaine forme d’alcoolisme. Le « binge drinking » est-il lui aussi le propre de certaines catégories sociales ? La profession et le statut social ont-ils un impact sur la consommation ? Le cas particulier des étudiants sera étudié en deuxième partie. 
1. Catégories professionnelles 
L’étude qualitative menée par le MCM 46 explique que le « binge drinking » ne concerne pas un groupe social défini. Toutes les professions et tous les cursus sont concernés. 
Néanmoins, les patrons de bars ayant été interrogés lors de cette enquête ont eu tendance à dire que cette intoxication alcoolique aigüe concernait principalement les classes ouvrières. Ceci est lié au fait que les problèmes de drogue, de cigarette et d’alcool, en général, sont particulièrement récurrents chez les jeunes dont les parents ont un bas salaire, sont séparés ou sont beaucoup moins présents dans la vie de leurs enfants. A ce sens, une étude a été réalisée par Catherine Gosselin et ses collègues du « Groupe de Recherche sur l’Inadaptation Psychosociale chez l’Enfant » de l’université de Montréal47 pour étudier quels étaient les facteurs à l’origine de la consommation ou de la non consommation de cigarette, de drogue et d’alcool à l’adolescence. Parmi les facteurs retenus, la perception d’inadaptation scolaire ou le manque de supervision parentale augmentent la probabilité pour les jeunes de devenir des consommateurs. 
46 MCM Research. Op.cit. .p.19 
47 GOSSELIN, Catherine, et al., « Identification des facteurs liés à la consommation de cigarettes, d'alcool et de drogues à l'adolescence », Journal International de Psychologie, 2000, pp. 46-59.
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Cette étude ne concerne pas le « binge drinking » en particulier mais montre que la situation familiale peut jouer un rôle important dans la consommation de substances psychotropes. Ceci rejoint d’ailleurs l’étude sur le genre et l’alcool qui montrait que les filles avaient tendance à moins boire en partie car elles étaient « surprotégées » par leur parents, qui sont beaucoup moins laxistes sur les sorties qu’avec leurs fils. 
Néanmoins il semblerait que la répartition des consommateurs selon les catégories socioprofessionnelles ne soit pas la même, qu’il s’agisse de « binge drinking » ou d’alcoolisation chronique et que les facteurs de consommation qui sont vrais en général ne sont pas tant significatifs lorsque l’on parle de « biture express ». PLANT confirme ainsi que l’hyper-alcoolisation est une pratique répandue sur l’ensemble du spectre social. Il fait également remarquer que les personnes ayant un haut revenu seront beaucoup plus enclines à consommer régulièrement, dans une logique purement financière. 
Une autre étude 48 montre qu’au Royaume Uni, chez les hommes, ce sont les personnes les moins éduquées qui sont le plus touchées par l’alcool défonce, tandis que chez les femmes, l’inverse se produit. Une conclusion peu ou prou similaire est mise en avant par une étude réalisée par l’Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES) en France. Cette recherche à l’avantage de distinguer les modes de consommation sans risque, à risque ponctuel ou à risque chronique. Si la frontière est parfois facilement franchissable, les « binge drinkers » constituent tout de même principalement la catégorie des risques ponctuels (consommant 6 verres ou plus en une occasion moins d’une fois par mois). On les retrouve aussi parfois dans un profil de consommateur à risque chronique puisqu’il y en a parmi eux qui s’adonnent au « binge drinking » si régulièrement (plus d’une fois par semaine) que le risque s’intensifie. Cependant la consommation à risque chronique correspond plus souvent à un alcoolisme « ordinaire ». 
48 Institute of Alcohol Studies. Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010, p.8
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D’ailleurs l’étude montre que le pourcentage de consommateurs à risque chronique augmente avec l’âge alors que les consommateurs à risque ponctuel sont relativement plus nombreux dans la catégorie des 16-34 ans.49 C’est donc bien dans ce profil de risque ponctuel que l’on retrouve principalement nos « binge drinkers ». 
On remarque alors que les femmes cadres et de professions intermédiaires sont les plus touchées par une alcoolisation excessive plus fréquente. Ceci est cohérent avec d’autres études montrant que cette part de la population féminine développe plus souvent des comportements à risque. L’IRDES émet l’hypothèse selon laquelle cette attitude peut être due à un milieu professionnel qui confère de plus fortes responsabilités, dans un environnement plutôt masculin, avec de nombreuses occasions de convivialité. 
Le lien entre catégorie socio-économique et consommation excessive est plus contrasté chez les hommes. Le risque est plutôt chronique chez les agriculteurs, artisans, commerçants, chefs d’entreprises et dans les familles à bas revenu alors qu’il est beaucoup plus ponctuel parmi les cadres et professions intermédiaires ou ouvriers. 
49 COM-RUELLE, Laure, et al., « Les problèmes d’alcool en France : Quelles sont les populations à risque », Question d'économie de la santé n°129, Janvier 2008, p.4
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Au final, on peut difficilement conclure que le « binge drinking » toucherait plus telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. Cependant il apparaît important de noter que le rapport n’est pas le même que pour les autres types de consommation puisque le « binge drinking » touche des catégories professionnelles qui ont pourtant tendance à moins être sujettes à l’alcoolisme en général. 
2. Le cas particulier des étudiants 
L’une des catégories qui est le plus concernée par ce phénomène du « binge drinking » est la catégorie étudiante. De nombreuses études sur le « binge drinking » concernent la population étudiante, qui semble être la plus exposée. Le terme d’étudiant fait à la fois référence à une tranche d’âge et à une catégorie sociale ; les raisons de l’exposition des étudiants à ce phénomène relèvent des deux. Nous avons déjà mentionné l’impact de l’âge sur ce mode de consommation ; examinons alors les raisons qui peuvent faire que les étudiants soient plus enclins à l’hyper-alcoolisation festive du fait de leur statut. 
On a vu que les étudiants étaient les cibles principales des alcooliers qui, de plus en plus, font leur publicité en sponsorisant des soirées étudiantes. Les excès principaux concernent ces soirées étudiantes ou week-end d’intégration organisés dans le cadre de l’école. Ceci est vrai surtout pour les étudiants du supérieur, que ce soit dans les facultés ou ailleurs. 
Ainsi Claudine Guiet50 nous explique comment les pires abus d’alcool et un grand nombre d’accidents sont constatés lors de la « week 101 » au Canada, aussi appelée « fresh week ». Cette semaine d’intégration se déroule au début de la première année universitaire. De nombreuses activités sont organisées, la plupart impliquant de l’alcool. Ceci est l’équivalent des week-ends d’intégration en France. 
50 Voir Annexe 2 : entretien avec Claudine Guiet
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L’important à retenir est que les élèves de ces écoles se retrouvent dans des cadres propices à la « biture express ». D’après l’auteur de l’article « rites scolaires et rites festifs : les manières de boire dans les grandes écoles »51, l’institution elle-même mettrait inconsciemment à disposition un cadre susceptible d’accueillir ce type d’activités, en insistant sur l’importance de la dimension extrascolaire et en permettant aux élèves d’organiser des soirées ou des week-ends d’intégration qui seront le lieu idéal pour ces excès. L’auteur ajoute que les écoles bénéficiant de campus (ESSEC et Centrale) et jouant le rôle de « microsociété » renforcent d’autant plus ces modes de convivialités. L’enquête réalisée par le CAMH (Center for Addiction and Mental Health) au Canada montre que les modes de consommation étaient liés aux modalités résidentielles.52 Les étudiants vivant sur le campus ont une consommation excessive régulière deux fois supérieures à celle de ceux résidant dans leur famille, hors campus. 
Pour finir, notons que cette importance du phénomène de « binge drinking » chez les étudiants du supérieur valide l’idée selon laquelle ce phénomène ne touche pas spécifiquement les classes sociales inférieures comme cela peut être le cas avec l’alcoolisme en général. Il a en effet été prouvé que plus un enfant va loin dans ses études, plus il y a de probabilité qu’il soit issu d’une classe sociale élevée ; en France, ce sera donc d’autant plus vrai dans les « Grandes écoles ». Or c’est dans ces écoles que la « biture express » sévit le plus. 
Section C- De la condamnation d’un comportement déviant à la compréhension d’un phénomène social. 
Notre vision de l’alcool a évolué au cours du temps. D’abord vu comme un produit d’agrément à l’Antiquité, puis condamné pour son caractère orgiastique dès le moyen Age, il sera surtout considéré comme toxique au XIXème siècle. C’est d’ailleurs à ce moment-là que nait le terme d’alcoolisme. 
51 MASSE, Benjamin, « Rites scolaires et rites festifs : les "manières de boire" dans les grandes écoles », Sociétés Contemporaines n°47, mars 2002, pp. 101-129. 
52 Center for Addiction and Mental Health, op.cit. p.3
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Aujourd’hui, l’ambigüité demeure. Les alcooliques sont condamnés, marginalisés, exclus de la société, pourtant, on ne saurait se défaire de cette substance aux pouvoirs désinhibiteur et socialisant. Alors que depuis quelques années, une attention toute particulière est portée à ce phénomène spectaculaire du « binge drinking », on peut se demander s’il entre dans la catégorie de l’alcoolisme. 
Notre regard est indéniablement attiré par ces alcoolisations festives. Entendant parler des nombreux accidents de voiture, des comas éthyliques ou encore des relations sexuelles non voulues qui surviennent après une consommation excessive d’alcool en soirée, on ne peut qu’être scandalisé ou effrayé par cette nouvelle mode des jeunes. On a du mal, d’un point de vue extérieur, à comprendre ce culte de l’alcool chez les jeunes, ce plaisir pris à finir « à l’envers ». 
Ce qui va nous intéresser, dans cette partie, c’est de voir que les « binge drinkers » ne sont pas simplement des adolescents ou des jeunes adultes déviant de la droite ligne qui leur a été tracée. Au contraire, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, l’anormalité pour les étudiants réside dans la non- consommation de ces substances euphorisantes. Il sera important de noter la diversité de consommation d’alcool chez les jeunes ; si l’on regroupe ce phénomène sous un seul terme, il n’en demeure pas moins qu’il rassemble un grand nombre de réalités, à envisager avec plus ou moins d’inquiétude. Enfin, on tentera de distinguer la part individuelle et la part sociale cachées sous cette biture express. 
I. « Les jeunes ne savent plus boire » 
En Angleterre, le « binge drinking » est vu comme « le fléau du siècle », le « nouveau mal anglais »53. Au Canada, la première réaction des adultes interrogés sur le sujet était de dire, catastrophés, que les jeunes canadiens buvaient excessivement et que c’était un vrai problème de société. 
53 PLANT, op.cit., p.23
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L’alarme est tirée en France également, en témoignent les nombreux reportages effectués sur le sujet, ainsi que la floraison de lois pour limiter ces excès de consommation54. Le discours que l’on retrouve dans les médias ou dans la bouche des hommes d’Etat se veut alarmant, il n’est donc pas étonnant que l’image que l’on a du « binge drinking » soit telle. Par exemple, dans un ouvrage récent intitulé Super Biture55, la quatrième de couverture présentée comme un témoignage direct d’un jeune, utilise une sémantique jouant clairement sur le sentiment d’insécurité : « foudre », « enfer », « victime », « peur »… autant de mots qui fustigent le phénomène du « binge drinking ». 
Peu de personnes sont capables de dire clairement en quoi consiste le « binge drinking », quelles en sont les caractéristiques. Par contre, si l’on parle de la consommation d’alcool chez les jeunes à ces mêmes personnes, il y a fort à parier que presque toutes mentionneront cette hyper-alcoolisation et ses conséquences. Tous ont en tête ce message inquiétant. Bien sûr le discours ne sera pas le même chez les jeunes qui ont eux-mêmes ce comportement que chez les personnes extérieures au fait. 
Une étude réalisée, en 2010, en France, par Thierry Morel et Marie- Xavière Aubertin56, s’attache à laisser la parole à des jeunes, des adultes ou des associations sur ce thème du « binge drinking ». Dans le chapitre consacré à la parole aux adultes, on peut s’apercevoir de ce sentiment d’inquiétude qui est encouragé par les supports médiatiques et les discours alarmistes. Ce sentiment « est un sentiment un peu vague de peur indéfinie, qui ne s’appuie pas sur un constat clairement établi mais sur quelques cas isolés qui persistent dans les mémoires. »57. 
Il n’en demeure pas moins que ce phénomène nouveau provoque l’incompréhension des classes d’âge supérieur. On a une génération nouvelle qui a été socialisée dans des conditions différentes influençant le mode de consommation (Nous en verrons les enjeux dans le chapitre III). 
54 Notons par exemple la loi Bachelot adoptée en France en 2009. 
55 HUGO, L., Super biture : Mon enfer dans le binge drinking. Paris: Jacob-Duvernet, 2008. 
56 MOREL, Thierry et AUBERTIN, Marie-Xavière, Chronique ordinaire d'une alcoolisation festive : les 16-21 ans, no-nos limit(es), Paris : Haut Commissaire à la jeunesse - DJEPVA, 2010.. 
57 Ibid. p.17
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Si nous avons raison de nous inquiéter de ce problème de société, il parait important de nous attacher à comprendre cette culture, de savoir d’où elle vient, d’appréhender son caractère pluriel et de la comparer avec d’autres cultures de l’alcool.58 
II. Alcoolisme et « binge drinking » 
Etre attentif à ne pas stigmatiser les jeunes, n’enlèvent pas pour autant le caractère dangereux et inquiétant du « binge drinking ». Il est tout à fait justifié de porter une attention particulière aux jeunes consommateurs car l’ivresse peut être fatale, Il est inutile de rappeler l’évidence de l’ensemble des conséquences à court et long terme de cette consommation. Les « binge drinkers » sont-ils pour autant à considérer dans la catégorie des alcooliques ? 
1. A partir de quand peut on parler d’une consommation pathologique ? 
Les définitions de l’alcoolisme sont multiples : consommation d’alcool accompagnée par des complications physiques, psychologiques ou sociales ; état de dépendance envers l’alcool ; perte de liberté de s’abstenir de consommer des boissons alcoolisées, etc… 
D’après la définition du médecin Pierre Fouquet retenue en introduction, le malade alcoolique est « celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de boire ». Le Centre d’Information Jeunesse le définit comme un « état de dépendance physique et psychique qui se manifeste par la consommation fréquente de doses relativement élevées de boissons alcoolisées »59. 
58 GUILLEMONT, Juliette, RIGAUD, Alain et DAVID, Hélène, « Jeunes et alcool : quelle prévention », La santé de l'homme n°398, Novembre - décembre 2008, p. 9. 
59 Centre Information Jeunesse, « Cahier du CIJ: Maladies et dépendances – Alcoolisme », site Web CIJ.lu. [En ligne], 12 Février 2010. http://cij.lu/sante/2010/02/cdc-maladies-et- dependances-alcoolisme/
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C’est donc cette dépendance psychique et physique à l’alcool qui est importante ; elle induit un besoin de boire, engendrant un manque et une impression de ne plus pouvoir vivre sans alcool. L’alcoolisme n’est « ni une faiblesse de caractère ni un vice moral, mais une maladie. »60 
Ce qui rend difficile la détection de cette « maladie », c’est que la consommation d’alcool est à l’origine un comportement normal, parfois même valorisé, qui peut devenir anormal si la quantité d’alcool et la fréquence des prises augmentent trop. Il est difficile de définir une quantité à partir de laquelle la consommation deviendrait pathologique puisque cela dépend de ce que l’organisme peut supporter. En outre, l’alcoolisme ne se rapporte pas uniquement à un trop boire mais également à un « mal boire ». « Être alcoolique c’est souffrir du boire »61. La consommation devient problématique lorsque l’alcool influence la vie du consommateur. Ce dernier devient de plus en plus tolérant aux effets de l’alcool, il boit quotidiennement, souvent en cachette, n’arrive plus à se fixer des limites, il perd ses ambitions, se renferme sur lui- même. Il n’arrive plus à revenir à une consommation modérée permettant de boire comme tout le monde. Nous comprenons dès lors qu’il est difficile de dire si le « binge drinking » s’inscrit ou non dans l’alcoolisme. 
2. Le « binge drinker » est-il alcoolique ? 
Si l’on étudie la définition de l’alcoolisme à la lumière de celle du « binge drinking », il nous est possible de relever dès lors un paradoxe qui rendra difficile la réponse à la question. 
En effet, si être alcoolique c’est « souffrir du boire », c’est à la fois trop boire et mal boire, il semblerait alors que le « binge drinking » entre directement dans ce cadre-là. Ce mode de consommation des jeunes s’oppose en effet à une consommation « normale », régulée, saine et parfois même recommandée, comme les amateurs de vin aiment à le rappeler. Elle se fait toujours dans l’excès et la débauche. 
60 Ibid. 
61 Ibid
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La douleur physique ne se fait généralement pas attendre. Pourtant trois grandes raisons nous amènent à penser que les « binge drinker » ne sont pas des alcooliques. 
Tout d’abord, l’une des grandes différences entre l’alcoolisme et le « binge drinking », est le cadre spatio-temporel. Nous avons vu que la « biture express » avait lieu généralement le week-end ou lors des soirées étudiantes. Si la plupart des jeunes sont concernés par cela et si chaque soirée a son lot d’ivresses, de débordements et d’accidents, il n’en demeure pas moins que tous ne sont pas concernés à chaque fois. Il n’est pas rare d’entendre dire « ça faisait longtemps que je ne m’étais pas mis aussi soul !» Alors peut-on parler d’alcoolisme quand il n’y a pas de régularité ? En outre le « binge drinking » est limité au cadre festif alors que l’alcoolique lui pourra « se défoncer n’importe où et n’importe quand ». 62 
Ensuite, l’alcoolisme provoque chez l’individu une sensation de manque obsessionnel plus ou moins forte, qu’il tentera d’assouvir en augmentant et en rapprochant les prises d’alcool. Or, cette définition ne correspond pas aux « binge drinkers » puisque le manque ne fait pas partie des raisons mentionnées par ceux-ci.63 Au contraire, l’influence des pairs joue un rôle important ; un alcoolique n’aura pas besoin de se sentir entouré et poussé par ses amis pour boire. Alors que le « binge drinking » a toujours lieu en groupe, l’alcoolisme répond lui d’un acte solitaire. Ce qui pousse à la défonce ne vient plus de l’extérieur mais de l’intérieur et se fait sur le mode du besoin. 
Enfin, un autre paradoxe tient dans le fait qu’un alcoolique n’arrive plus à revenir à une consommation modérée, ne sait pas se mettre de limite. C’est à priori le cas inquiétant du « binge drinking ». Il semblerait que les jeunes se sentent dans l’obligation de boire dans l’excès ; une fête réussie ne l’est que s’il y a abondance d’alcool. Lorsqu’ils commencent à boire, ils entrent dans une surenchère incessante dans laquelle ils ne connaissent plus de limites. 
62 OUSSEYNOU, N, op cit. p.65 
63 Ibid.,p.64
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Cependant, il est difficile de caractériser comme déviante l’alcoolisation extrême des jeunes, puisque ce comportement constitue la norme au sein du groupe, puisqu’ils obéissent à un certain conformisme.64 L’idée de ne pas pouvoir revenir à une consommation modérée permettant de boire de l’alcool comme tout le monde n’a pas de sens dans l’optique du « binge drinking » puisque tout le monde boit de façon démesurée. C’est celui qui ne participera pas aux jeux, qui refusera un verre de plus qui sera exclu. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’étudier l’alcool en général, et le « binge drinking » en particulier, sous un angle sociologique, dépassant le point de vue médical. 
3. De la pluralité du « binge drinking » 
Avant d’étudier plus en détail la dimension sociale du « binge drinking », il est nécessaire de contrebalancer l’idée selon laquelle le « binge drinking » n’est pas de l’alcoolisme. Comme nous l’avons déjà évoqué, il ne faut pas négliger la dimension plurielle du « binge drinking ». Si une très grande part de la population juvénile est concernée, même parmi celle-ci, tous ne le sont pas à la même échelle. Ainsi, beaucoup ne s’adonneront à la biture express qu’une fois de temps en temps, lors des grandes occasions. En revanche, la notion de « grandes occasions » est très relative. Lorsque les grandes occasions sont les soirées étudiantes ou le fait de fêter une fin de journée de travail, il y a des risques pour que la consommation devienne plus régulière et ainsi plus problématique. Le danger du « binge drinking » est qu’il se déroule dans des temps de convivialité, des temps de fête où tout le monde ou presque entre dans le jeu de l’ivresse. Il est donc difficile de différencier les individus pour qui l’alcool est un problème de ceux pour qui il ne l’est pas. 
Même si l’alcool est consommé dans l’excès avec les conséquences immédiates qui en résultent, on ne pourra pas parler d’alcoolisme chaque fois qu’un individu sera « sur alcoolisé ». Pourtant il y a tout de même des personnes qui vont développer une dépendance à ce genre de consommation. 
64 BECKER, Howard, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié : Paris, 1985 (éd. originale 1963)
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Dans une émission de France Inter, Thierry Morel mentionne l’existence de deux publics : celui occasionnel et celui qui va mal. Il explique que la plupart des adolescents sujets à ce mode de consommation vont bien, qu’ils boivent uniquement pour faire la fête, rechercher les plaisirs, rompre avec le quotidien. Le problème est que nous sommes dans une société où l’on propose cet esprit de fête en permanence. Ce serait l’un des gros points noirs du « binge drinking », car alors certains jeunes rentrent dans cette logique de festivité continue. La fête étant désormais toujours associée à une forte alcoolisation, ils deviennent alors victimes d’une consommation régulière et problématique. 
III. Au-delà d’un problème d’alcoolisme un phénomène social 
Considérer l’alcoolisation comme un fait social semble tomber sous le sens aujourd’hui. Personne n’est étranger au rôle que joue la société dans notre consommation. Pourtant il aura fallu du temps avant que cet objet d’étude ne soit plus la « chasse gardée des sciences biomédicales » et que l’idée selon laquelle « l’étude de l’alcoolisme comme un phénomène social est incontournable »65 fasse son chemin. Parce que l’alcoolisme est un acte qui n’affecte a priori que l’individu, il pourrait paraître qu’il ne dépend que de facteurs individuels et qu’il ne relève donc que de la psychologie. 
Pourtant, si l’on applique la théorie du suicide de Durkheim à l’alcoolisme, celui-ci aussi pourrait s’élever au rang d’institution (au sens Durkheimien : « toutes les croyances et tous les modèles de conduite institués par la collectivité »66). Il peut être considéré comme un fait social et non pas uniquement comme un fait médical.67La consommation d’alcool dépend en effet des sociétés, des périodes historiques, du contexte environnant. 
L’individu agit de façon rationnelle et relationnelle selon des impératifs sociaux. Il a besoin de s’intégrer à la société, d’être accepté par les autres, d’entrer en contact avec les autres individus. 
65 DRULHE M., CLÉMENT S. op.cit., p.19 
66 DURKHEIM, E, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, Collection « Champs », 1988, p.90 
67 DRUHLE M., CLEMENT S. Op.cit. p.2
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Nous verrons en quoi le « binge drinking » porte les caractéristiques d’une expérience sociale, d’une expérience de relation aux autres. 
En outre, l’être socialisé agit conformément aux normes de son univers social. Pour se sentir intégré, il s’attachera à respecter des principes d’actions, des règles implicites. Cette intégration socialisatrice produit ainsi des modes de boire. Nous nous arrêterons donc dans un deuxième temps sur les normes pseudo institutionnalisées du « binge drinking ». 
1. Le « binge drinking » : Une expérience sociale 
Sans développer ici l’ensemble des raisons qui poussent les jeunes à l’hyper-alcoolisation, nous allons tenter d’analyser le poids de l’influence sociale dans l’ingestion d’alcool. Qu’est ce qui amène un jeune à boire ? 
De nombreux facteurs peuvent permettre l’acquisition d’une certaine attitude vis-à-vis de l’alcool68. Il y a d’abord des facteurs affectifs qui poussent à la consommation : par exemple, lorsque l’on voit de façon répétée des personnes agir dans le sens d’une alcoolisation extrême (effet de simple exposition), ou encore si l’on associe l’objet de consommation à un objet désiré (Les publicités jouent sur ce conditionnement, appelé conditionnement pavlovien, en associant par exemple des femmes attirantes à leur produit de consommation). La culture peut également être une source d’influence. Enfin, on agit aussi souvent par imitation, en prenant du recul par rapport au comportement de ses pairs. 
En somme, l’acquisition d’une attitude vis-à-vis de l’alcool est sociale puisqu’elle dépend toujours du contexte environnant qui influence directement ou indirectement nos actions. Cette influence est directe par exemple lorsqu’un ami nous pousse volontairement à boire, lorsque l’on cède à la pression sociale. Mais cette pression sociale n’est pas toujours facilement identifiable. 
68 VALLERAND, R. J., « chapitre 6 : Les attitudes. », Une introduction à la psychologie sociale contemporaine, Montréal : Géatan Morin Editeur, 2006, pp.256-262
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On peut aussi être indirectement influencé par une pression inconsciente que l’on s’impose à nous-mêmes, par crainte du jugement d’autrui ou par reproduction sociale. Tout le monde n’est pas pareillement sensible à cette pression ; elle est plus ou moins fortement inscrite en nous. 
Dans tous les cas, c’est toujours la volonté de se conformer qui pousse à céder à l’influence sociale. Le conformisme est défini comme un changement d’attitude amené par le désir de suivre les croyances ou normes des autres69. C’est une forme d’influence parfois très subtile. Les autres servent de cadre de référence au bon comportement à adopter. Le problème est que l’influence des normes se fait même lorsque l’on n’est pas d’accord avec elle. C’est ce que le psychologue Solomon Asch a voulu montrer dans l’expérience portant son nom durant laquelle il demandait à plusieurs personnes de dire parmi 3 lignes droites, laquelle ressemblait la plus à une quatrième. La réalité physique était évidente mais les cinq participants précédents, complices de l’examinateur, choisissaient tous la même mauvaise réponse. Asch a montré que 37% des participants se sont conformés à cette majorité incorrecte. L’intérêt de cette étude est de montrer l’impact puissant du conformisme sur la décision des individus au sein d’un groupe. 
Expérience d’Asch, 1951 
Ainsi, même si l’on connaît les méfaits de l’alcool, même si l’on ne pense pas que cette hyper-alcoolisation soit la bonne solution, il n’est pas impossible que l’on s’adonne au « binge drinking » simplement par conformisme, par peur des conséquences négatives. 
69 VALLERAND, R. J., « chapitre 11 : Les influences sociales », Op.cit.n pp. 461-486
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Alors nous nous conformons à ce mode d’alcoolisation par désir de ressembler aux autres, par besoin de leur approbation et inversement par peur de l’exclusion. Nous nous conformons du fait de l’influence des normes sociales. 
2. La logique de sociabilité 
Le « binge drinking » étant un fait social répandu dans une grande part de la population des adolescents et jeunes adultes, on peut comprendre que ce phénomène aille en grandissant par effet de conformisme. Mais, outre l’idée selon laquelle faire comme tout le monde aide à la sociabilité, en quoi le « binge drinking » est-il en lui-même un facteur de cette sociabilité ? 
A priori, il semble admis par tous que l’alcool puisse jouer un rôle intégrateur. En effet, ses vertus désinhibitrices permettent aux jeunes les plus timides d’aller à la rencontre de l’autre et de se faire une place dans un groupe. Il est cependant moins évident de voir ce rôle intégrateur dans le « binge drinking ». En effet, la relation avec l’alcool est différente de celle consistant dans un simple échange autour d’un verre ; elle est beaucoup plus individuelle. On a beau être entouré de toutes les personnes de la fête, lorsque l’on est « ivre mort », on ne peut pas dire que l’on se trouve dans le meilleur état pour créer des liens avec d’autres personnes. 
Pourtant il semblerait que cet « alcool défonce » permette paradoxalement la sociabilité. Nous avons remarqué précédemment que c’est uniquement en groupe que se défoncent les étudiants.70 Au-delà du mimétisme « l’alcool défonce » joue donc un rôle intégrateur.71 L’étudiant qui retrouve son groupe d’amis autour d’une bouteille de vodka, ou d’un jeu d’alcool, se procure ainsi une place dans le groupe. 
Au contraire celui qui ne participe pas à celui-ci sera exclu, puisque l’ensemble des soirées tourne autour de cette pratique. En outre, être capable de boire à l’excès aide à être bien vu. 
70 Voir « Cadre d’action » en page 24 
71 OUSSEYNOU, N., Op cit. p.26
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C’est plutôt « has been » de refuser un verre, alors qu’au contraire, c’est celui qui finit le plus ivre qui sera considéré comme le roi de la soirée et aura droit le lendemain à voir ses « exploits » exposés sur les réseaux sociaux, accompagnés de commentaires admiratifs. 
De plus, alors que l’on pourrait croire que les conséquences immédiates néfastes d’une alcoolisation aigüe sont un obstacle à la sociabilité recherchée par les jeunes, il s’avère que celles-ci sont en fait parfois un but car, à ce moment-là, le jeune se sent soutenu par les personnes qui l’entourent.72 A la question « Pourquoi les jeunes continuent-ils à boire même lorsque les choses commencent à mal tourner ? », le sociologue américain Thomas Vander Ven répond que ce moment-là rapproche les buveurs, puisqu’ils auront tendance à s’entraider, à prendre soin les uns des autres. Comme il l’explique dans cette interview de la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), il est important de voir le « binge drinking » comme un acte social, une activité collective et non individuelle. 
3. Rites et rituels 
Nous avons vu précédemment que le « binge drinking » se rapportait à un usage collectif de l’alcool. Cet usage est fait de règles, de rites codifiés, ce qui en fait une de ses particularités. En effet, il y a une certaine attente sociale qui se cache derrière ce phénomène, et que l’on ne retrouve pas dans l’alcoolisme en général, puisque la consommation d’un alcoolique est beaucoup plus individuelle que collective. Non seulement le « binge drinking » passe par un ensemble de « rites codifiés »73, mais en outre, ce phénomène en lui-même devient un rituel, un rituel de passage. 
72 VANDER VEN, Thomas, “ Interview : Why Campus Binge drinking won't stop”, [interv.] cbcradio, 9th september, 2011 
73 OUSSEYNOU, op.cit. p.33
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Le Binge Drinking - Alicia Charles

  • 1. AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES MÉMOIRE pour l’obtention du Diplôme Le « binge drinking » : UN NOUVEAU MODE D’ALCOOLISATION CHEZ LES JEUNES Principes et causes d’un phénomène social Par Mlle Alicia CHARLES Mémoire réalisé sous la direction de Madame Alix Philippon
  • 2. L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
  • 3. REMERCIEMENTS En préambule à ce mémoire, je souhaiterais adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m’ont apporté leur aide et qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de cette étude. Je tiens à remercier tout particulièrement Madame Philippon, pour avoir accepté de diriger ce mémoire, pour sa disponibilité à mon égard et pour ses précieux conseils. Mes remerciements s’adressent expressément à mes parents qui m’ont apporté un soutien moral constant et inestimable pour accomplir ce travail, à Pierrette Brahmi pour ses recommandations sans pareil ; ainsi qu’à mes amis, dont les échanges m’ont inspiré ce sujet et guidée dans sa réalisation. Un grand merci également à Claudine Guiet, pour m’avoir reçue avec tant d’enthousiasme, à certains professeurs de mon cursus scolaire pour leurs encouragements, de même qu’à toutes les personnes ayant aimablement pris le temps de répondre à mon questionnaire.
  • 4. Mots-clés : Binge drinking ; biture express ; alcool ; alcoolisme ; alcoolisation ; jeunes ; socialisation ; culture ; tempérance, postmodernité. Résumé : Depuis des millénaires, l’alcool agrémente le quotidien des hommes tout en les soumettant à ses dangers. Objet de convoitise et d’aversion, son ambigüité fait sa particularité. Ce paradoxe est questionné plus encore dans ce qui constitue un nouveau phénomène d’alcoolisation chez les jeunes : le « binge drinking ». Le « binge drinking » est un phénomène socialement explicable, qui s’établit petit à petit comme norme de comportement chez les jeunes. Les principes et les causes de nouveau mode de consommation peuvent en partie s'expliquer à la lumière de la culture anglo-saxonne, culture de tempérance. Mais cette hyper-alcoolisation festive des jeunes se doit aussi d’être envisagée dans un contexte plus global ; Le « binge drinking » est propre aux changements de mentalité survenus dans les sociétés occidentales de la fin du XXème siècle.
  • 5. Sommaire CHAPITRE 1 – « BINGE DRINKING » : PRINCIPES ET ACTEURS D’UN PHENOMENE SOCIAL SECTION A - QU’EST CE QUE LE « BINGE DRINKING » ? I. Eléments de définition II. Cadre d’action III. L’objet de consommation SECTION B - ETUDE SOCIOLOGIQUE DES CONSOMMATEURS I. Une spécificité des jeunes II. Le « binge drinking » a-t-il un genre ? III. Les catégories sociales concernées SECTION C- DE LA CONDAMNATION D’UN COMPORTEMENT DEVIANT A LA COMPREHENSION D’UN PHENOMENE SOCIAL. I. « Les jeunes ne savent plus boire » II. Alcoolisme et « binge drinking » III. Au-delà d’un problème d’alcoolisme un phénomène social. CHAPITRE 2 - LE « BINGE DRINKING » EN FRANCE, AU CANADA ET AU ROYAUME-UNI : QUAND NOTRE CULTURE INFLUENCE NOTRE MANIERE DE BOIRE. SECTION A- LE ROLE DE LA CULTURE ET DE LA SOCIALISATION DANS NOTRE RELATION A L’ALCOOL I. L’alcool dans la socialisation II. Le « binge drinking », culture dionysiaqueg SECTION B - LE « BINGE DRINKING » ; UN PHENOMENE CULTUREL ANGLO-SAXON ? I. Une différence notable entre les pays II. L’influence de l’histoire : de la tempérance au « binge drinking » III. Des modes de consommation différents IV. La politique et l’alcool : de l’influence des lois CHAPITRE 3 : LE « BINGE DRINKING » AU COEUR DES BOULEVERSEMENTS SOCIAUX DANS LE MONDE OCCIDENTAL DE LA FIN DU XXEME SIECLE SECTION A - UNIFORMISATION DES PRATIQUES CULTURELLES : LE « BINGE DRINKING » DANS LA MONDIALISATION I. Constat d’une standardisation des manières de boire II. La mondialisation ; facteur d’expansion du « binge drinking » SECTION B - LE « BINGE DRINKING », UNE CONSEQUENCE DE LA POSTMODERNITE ? I. La société individualiste : rapport à soi et aux autres II. Stress et incertitudes : la consommation comme oubli du quotidien III. Société de loisir et de consommation : toujours plus, toujours plus vite.
  • 6. Page 6 Introduction « Avoir 21 ans vient avec la responsabilité légale du “binge drinking”. » N’est-il pas étonnant de voir associés les termes « légal » et « binge drinking » dans cette carte d’anniversaire ? A priori non. La possibilité d’acheter et de consommer de l’alcool est en effet légalement autorisée à partir d’un certain âge, 21 ans aux Etats-Unis. Cette carte peut cependant faire sourire par le questionnement qu’elle induit : Est-on enjoint d’être responsable face à la légalité du « binge drinking » ou bien est-on chargé de s’adonner à une consommation excessive dès lors que ceci est rendu légal ? En ceci se trouve toute l’ambivalence de l’alcool. La consommation de boissons alcoolisées est légale et légitimée par des habitudes ancestrales dans bon nombre de pays. Pourtant, deux millions et demi de personnes dans le monde meurent chaque année des causes de l’alcool. L’alcool est le troisième facteur de risque de maladie dans le monde ; c’est le deuxième en Europe et le principal dans les régions du Pacifique occidental et des Amériques.1 Entre comportement déviant et conformité nécessaire, entre facteur d’exclusion sociale et agent socialisateur, l’ambivalence de l’alcool rend difficile son appréhension. Que l’illustration de cette carte ne nous trompe pas : si les excès d’alcool sont monnaie courante depuis la naissance de cette substance, il n’en demeure pas moins que le terme « binge drinking » se réfère aujourd’hui à un phénomène contemporain précis, qui constituera le coeur de cette recherche. 1 World Health Organization, « Alcohol – fact sheet », who.int, [Online], February 2011, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs349/en/index.html
  • 7. Page 7 A - Présentation générale « The cross-cultural study of alcohol represents a classic natural experiment: a single species (Homo sapiens), a single drug substance (Ethanol) and a great diversity of behavioural outcomes » 2 MARSHALL, 1979 Qu’est-ce que l’alcool ? Le terme « alcool » vient de l’arabe « al-kuhl ».3 L’alcool était anciennement un collyre à base de poudre très fine d’antimoine » appelée « khul ». Plus tard, il prendra le sens « d’esprit de vin », c'est-à-dire d’éthanol obtenu par distillation du vin ou d’une autre boisson fermentée. D’après sa terminologie chimique, l’alcool est avant tout un liquide clair contenant essentiellement de l’éthanol, un composé oxygéné dérivant des alcanes et de formule générale CnH2n+1OH. Plus concrètement, il a les propriétés d’une drogue.4 Avant d’arriver au foie, l’alcool contenu dans le sang affecte l’ensemble des organes vitaux qui contiennent beaucoup d’eau et ont besoin d’un volume important de sang pour fonctionner. C’est sur le cerveau que les effets sont le plus rapidement observables, l’alcool en restreint plusieurs fonctions en amortissant les centres d’excitation. Les effets peuvent être ressentis en premier lieu de façon favorable, car ils provoquent une réduction du stress ou des inhibitions et créent une sensation de calme ou de stimulation. Cependant cette restriction des fonctions du cerveau a aussi pour conséquences de rendre plus difficile le fait de penser clairement, de prendre des décisions ou d’effectuer toute sorte de tâches. En outre, des effets engourdissants peuvent se faire ressentir, provoquant des troubles de la motricité et de la coordination. 2 « L’étude comparée de l’alcool représente une expérience naturelle classique : une seule espèce (Homo Sapiens), une seule substance psychotrope (éthanol) et une grande diversité de conséquences comportementales », in MARSHALL, Beliefs, behaviors, & alcoholic beverage, a cross cultural study, University of Michigan, 1979, 3 World Health Organization, “Global Health Observatory Data Repository”, who.int. [Online] 2011. http://apps.who.int/ghodata/ 4 Educ’alcool, « Alccol et santé, l’alcool et le corps humain », 2011
  • 8. Page 8 L’affection du cerveau peut également provoquer des vomissements ou une forte déshydratation. Il y a bien sûr plusieurs facteurs qui entrent en jeu et amplifient ou, au contraire, atténuent les effets de l’alcool sur l’organisme. Tout d’abord la quantité consommée entre bien évidemment en compte. Elle ne suffit toutefois pas à expliquer les différences notables entre différents cas observables. Les effets de l’alcool sont plus rapides et conséquents lorsqu’il est absorbé à jeun. De surcroît, la capacité d’élimination diffère d’une personne à l’autre. La taille du foie et le poids corporel sont par exemple des variables qui expliquent une élimination plus lente chez les femmes, les personnes âgées et les adolescents. Dans tous les cas, les répercussions de l’alcool peuvent vite devenir dramatiques ; accidents de la route, rapports sexuels non désirés, violences exercées envers soi-même ou envers les autres ou encore comas éthyliques mortels… Loin d’être des cas particuliers, ces exemples sont aussi divers que nombreux. Il ne faut également pas omettre les influences à long terme de ce produit qui peut être la cause d’une anxiété persistante, d’une perturbation du cycle du sommeil ou d’une diminution des capacités sexuelles et sans oublier les conséquences graves sur la santé comme l’accident vasculaire cérébral, l’hypertension artérielle, le cancer du sein ou tout autre cancer…. Comme titre une brochure préventive sur les risques liés à l’alcool, « la gueule de bois est le moindre de vos soucis ».5 Il n’est plus besoin aujourd’hui de démontrer les effets néfastes de la consommation d’alcool sur l’organisme ou sur la société. Il est alors difficile de comprendre que l’alcool demeure tout de même présent dans la vie quotidienne d’une grande part de la population mondiale. Bien que les politiciens tentent de diminuer son impact sur la population, l’alcool reste un produit culturellement accepté dans de nombreuses régions du monde. A ce titre, un statut particulier, dont ne bénéficient pas les autres substances toxiques, lui est conféré. 5 Centre de ressources FOCUS, « La gueule de bois est le moindre de vos soucis », campagne du programme FOCUS, Ontario.
  • 9. Page 9 Contrairement aux drogues dites « dures », la consommation de boissons alcoolisées est légale dans de nombreux pays. Bien que les attitudes vis-à-vis de cette substance évoluent dans le temps et l’espace, l’alcool reste dans l’ensemble un objet socialement désirable. Cette ambigüité qui lui est propre nous amène à nous interroger sur ce sujet de la consommation d’alcool. Nous chercherons tout d’abord à mieux cerner cette ambivalence en remontant jusqu’aux origines de cette substance de tout temps convoitée par l’homme. Avant de pouvoir parler de l’évolution de la place donnée à l’alcoolisme dans les différentes sciences, il est nécessaire d’en poser les bases par une précision lexicale. L’alcoolisme se définit généralement à la fois par un « abus de boissons alcoolisées » et par « un ensemble de manifestations pathologiques liées à la dépendance à l’égard de l’alcool ».6 La notion de dépendance et donc de régularité de consommation est primordiale dans ce concept d’alcoolisme. Ainsi le Docteur Fouquet, père de l’alcoologie française qui donna son nom à un prix récompensant les recherches dans ce domaine, livra sa célèbre définition du malade alcoolique comme étant « celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de l’alcool ».7 C’est cette définition que nous retiendrons dans cette étude. L’Organisation Mondiale de la Santé rappelle cependant que le terme d’alcoolisme a été utilisé selon des significations variables au cours du temps. Lors de l’invention du concept par le médecin suédois Magnus Huss en 1849, l’alcoolisme se référait aux conséquences physiques d’une consommation excessive sur le long terme. De manière plus précise, il fut ensuite vu comme une maladie définie par une perte de contrôle sur la consommation d’alcool, causée par une anormalité biologique préexistante. Plus tard, Elvin Morton Jellinek, médecin américain qui fut l’un des fondateurs de l’alcoologie moderne, utilisa ce terme pour signifier une consommation d’alcool ayant de nombreuses conséquences néfastes, « physiques, psychologiques, ou sociales ; individuelles ou sociétales »8. 6 « alcoolisme », Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987, 7 FOUQUET, P., “Le syndrome alcoolique”, Etudes Antialcooliques, 1950 8 World Health Organization, “Lexicon of alcohol and drug terms”, who.int. [Online], 1994. http://www.who.int/substance_abuse/terminology/who_lexicon/en/
  • 10. Page 10 Cette ambigüité du terme, considéré parfois comme une maladie, parfois plutôt comme un vice, a mené l’Organisation Mondiale de la Santé à lui préférer la formulation de « syndrome de dépendance alcoolique », comme partie intégrante d’un concept plus large de « problèmes liés à l’alcool ». Malgré cette précision lexicale, le milieu médical utilise toujours le mot « alcoolisme » lors de ses diagnostics et le langage courant en fait usage de manière plus ou moins péjorative. Par ailleurs, il est important de différencier « l’alcoolisme » de « l’alcoolisation ». Ce concept consiste en une intoxication à l’alcool par une consommation d’une quantité considérable de boissons alcoolisées qui engendre un haut niveau d’alcool dans le sang. Ce terme peut être applicable à un buveur seul ou à la société dans son ensemble. Le mot « Alcoolisation » a été originellement utilisé dans le contexte d’un mode de consommation « à la française », pour impliquer le fait que la consommation était « normative dans des conditions socioculturelles, plutôt que le reflet d’une psychopathologie individuelle. »9 Une autre notion mérite d’être définie ici : «l’intoxication alcoolique aigüe». Elle représente l’ensemble des symptômes qui apparaissent suite à une consommation de boissons alcoolisées, au moment même de l’ivresse, et qui menacent immédiatement la vie de l’individu.10 Il était une fois l’alcool « Ecrire l’histoire de l’alcool, c’est retracer toute l’histoire de l’humanité. Ce produit a été et sera toujours lié au désir de l’homme ». Pierre Fouquet (1913-1998), Médecin renommé et père de l’alcoologie française. L’alcool s’est fait une place confortable dans la vie des hommes, et ce depuis des millénaires. 9 World Health Organization, Ibid. 10 « intoxication alcoolique aigüe », Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987
  • 11. Page 11 D’après des études menées par le célèbre archéologue Patrick McGovern11, le premier alcool connu au monde est un breuvage néolithique élaboré il y a environ neuf mille ans, en Chine. Les premiers ancêtres du vin et de la bière, localisés en Iran, remontent respectivement à environ 5400 et 3400 av J.-C.. En ces temps-là, l’alcool était considérée comme un « aliment », un « fortifiant », un « remède », voire même un « salaire ». McGovern est convaincu que l’ivresse est le propre de l’homme et que les joies de l’enivrement ont très certainement été expérimentées à une date bien antérieure à celle des premières traces archéologiques détenues à ce jour. Les hommes ont pu goûter aux fruits naturellement fermentés car la fermentation est un processus qui peut se déclencher par accident lorsque les levures du fruit consomment le sucre et dégagent ainsi de l’alcool.12 L’archéologue suppose que dès la naissance de l’humanité, il y a cent mille ans, les hommes ont su stabiliser et s’approprier ce processus. La distillation, qui consiste à extraire une partie de l’eau contenu dans l’alcool fermenté de façon à obtenir un liquide à plus haute teneur d’alcool13, a elle été inventée en Chine vers le Ier siècle de notre ère. Les boissons alcoolisées ont très tôt été présentes dans les religions partout dans le monde. Ainsi, dans de nombreuses cultures anciennes, on a retrouvé des tombeaux que les proches du défunt remplissaient de boissons et de récipients afin qu’ils puissent boire dans l’au-delà. Les Egyptiens se contentaient quant à eux d’inscrire des recettes de bière sur les parois des sépultures.14 Dans l’Antiquité, un aspect mystique était assigné aux boissons alcooliques du fait que l’on ne comprenait pas ce qui provoquait l’ivresse.15 11 TUCKER, Abigail, « L'aventurier de l'ivresse perdue », Courrier International, 1-7 déc. 2011, pp.61-66. 12 Addiction Info Suisse, « L’alcool dans notre société – hier et aujourd’hui », Lausanne, 2011 13 Ibid 14 TUCKER, A. op.cit.p.66 15 Addiction Info Suisse, « L’alcool dans notre société – hier et aujourd’hui », Lausanne, 2011, p.3
  • 12. Page 12 L’alcool était alors consommé en tant que moyen d’entrer en contact avec le monde divin lors des cérémonies religieuses et de certains banquets. L’ambivalence de ce produit était cependant déjà très fortement présente chez les Egyptiens et dans l’Antiquité. Malgré le caractère à la fois nutritionniste et mystique de l’alcool, il suscitait déjà l’objet de préoccupations sanitaires et sociales. Au Moyen-âge, les banquets perdent leur signification mystique pour devenir des « orgies sauvages ».16 C’est alors que l’ivresse alcoolique fut considérée comme un vice, d’abord par la Noblesse et l’Eglise, puis par le peuple lui-même. Malgré tout, son utilisation comme boisson courante n’a cessé d’augmenter, entre autre comme substitut à l’eau alors estimée comme impropre à la consommation donc dangereuse pour la santé. L’eau-de-vie était quant à elle préconisée comme un remède ou un fortifiant jusqu’à la fin du XV° siècle. Au début des temps modernes (XVIIème siècle), l’arrivée de nouvelles boissons chaudes et l’assainissement de l’eau ont conduit à une diminution de la quantité d’alcool consommée. Le siècle suivant fut au contraire celui durant lequel les spiritueux ont commencé à poser de graves problèmes sociaux. L’amélioration des techniques de distillations et les dures conditions de travail en furent les causes premières. Il fallut cependant attendre le XIXème siècle pour que le terme d’alcoolisme soit introduit dans le langage médical par le médecin suédois Magnus Huss. De par la mise en évidence du problème de l’alcoolisme à partir du milieu du XIXème siècle, et les différentes tentatives de définition qui en résultèrent, les relations à l’alcool évoluèrent dans le monde occidental. L’inquiétude augmenta au sein de la population et des mouvements de tempérance et d’abstinence se mirent en place de façon plus ou moins probante selon les pays. Ces deux mouvements ont exercé une pression politique considérable pour la mise en place des premières législations sur l’alcool. A certains endroits, la prohibition a même été établie, interdisant la fabrication et la vente d’alcool sur le territoire concerné. 16 Ibid.
  • 13. Page 13 Au début du XXème siècle, le discours dominant le monde occidental est alors celui de la « lutte anti alcoolique ».17 Les buveurs excessifs sont vu comme des « vicieux », des « tarés », voir des « délinquants sociaux ». Ce n’est que dans les années 1950 que l’alcoolisme est enfin considéré comme une maladie, avec les premiers discours d’alcoologie18 d’Elvin Morton Jellinek aux Etats-Unis, puis de Pierre Fouquet en France, dont nous avons fait mention dans notre tentative de définition du concept d’alcoolisme. L’idée de « vice » est alors remise en cause mais on reste toutefois seulement dans une approche moralisatrice et médicale. L’alcool est-il alors simplement l’objet des sciences de la santé ? L’alcoolique peut-il tout bonnement être considéré comme soit amoral et dépravé, soit malade ? Peut-on faire abstraction du contexte social qui accompagne l’individu dans sa consommation ? « L’alcoolisme reste aujourd’hui encore un objet très largement abandonné aux sciences biomédicales par les spécialistes des sciences de l’homme et de la société ».19 Néanmoins, quelques approches sociologiques et psychologiques apparaissent dès les années 70. Cet objet sociologique s’est construit autour de plusieurs axes. Tout d’abord, les sociologues s’interrogent sur le rapport aux normes culturelles dans les différentes conduites du boire, et mettent ainsi en exergue le rôle non négligeable de la socialisation. Ensuite, ils cherchent à élaborer une catégorisation sociale des consommateurs à partir de statistiques prenant en considération les effets du sexe, de classe sociale ou de génération. Le contrôle social, la relation aux autres ou l’imaginaire social sont d’autres thématiques abordées. En somme, la fin du XXème siècle voit naître une nouvelle manière d’appréhender la consommation de boissons alcoolisées, qui s’attache à définir les déterminants sociaux de ces comportements dans un souci de compréhension du problème d’alcoolisation. 17 JEANNIN, J.-P., « L’homme et l’alcool : évolution historique des concepts », [En ligne] http://www.sosreseaux.com/outils/entreprise/evolution_concepts.pdf 18 « Discipline médicale qui envisage l’alcoolisme non seulement sous l’angle somatique et psychique, mais également dans son déterminisme socio-économique et vise à la mis en oeuvre d’une prévention efficace. » in Grand Larousse en 5 volumes, Libraire Larousse, 1987 19 DRUHLE, M., & CLEMENT, S., « Pour une sociologie de l’alcoolisme et des alcooliques », in D'HOUTAUD, A. & TALEGHANI, M., Sciences sociales et alcool, Paris : L'Harmattan, Col. "Logiques sociales", 1995.
  • 14. Page 14 Le raisonnement est que « si nous comprenons mieux les alcooliques, peut-être notre capacité à les aider sera-t-elle plus efficace ».20 Ces études ont permis d’établir l’existence d’une influence de la société sur la consommation d’alcool de ses « membres ». C’est le comportement de l’homme au cours du temps qui a fait de l’alcool un objet de sa culture. Le contexte environnant, la culture de l’individu ou encore la pression des pairs influencent sa consommation. C’est pourquoi le rapport à l’alcool est différent d’une société à une autre. Il nous apparait intéressant d’analyser ces corrélations et ces incidences, pour mieux comprendre l’ambigüité de cette substance socialement acceptée et désirée, bien que condamnable par sa nocivité. C’est pourquoi nous choisissons d’axer notre étude selon un angle sociologique et culturel, laissant de côté les considérations médicales, privilégiant une réflexion sur les causes plutôt que sur les conséquences. De nos jours, l’alcool fait toujours partie intégrante de la vie des hommes. L’alcoolisme est continuellement au centre des attentions, la dépendance à l’alcool cause aujourd’hui encore de multiples problèmes. Dans un grand nombre de pays, la consommation régulière d’alcool de la population se stabilise, voir diminue, mais les problèmes liés à l’alcool ne diminuent pas pour autant, loin s’en faut. Depuis la fin du XXème siècle on observe une augmentation sans précédent des consommations ponctuelles, tout particulièrement au sein de la jeunesse.21 Un nouveau problème lié à la consommation d’alcool devient alors le sujet de nombreuses recherches : l’alcoolisation massive des jeunes. Les différents acteurs tels que les associations, les politiciens ou les médecins s’inquiètent de cette nouvelle tradition d’alcoolisation festive et extrême, appelée « binge drinking ». Une attention toute particulière est donc portée aujourd’hui sur cette relation des jeunes à l’alcool, sur ce nouveau phénomène, qui comme son origine étymologique l’indique, a pris sa source dans les pays anglo-saxons. 20 DRUHLE, M., & CLEMENT, S., op.cit. p.40 21 HIBELL, B, et al., The 2007 ESPAD report : Substance Use Among Students in 35 European Countries. 2007. p.21.
  • 15. Page 15 B - Cadrage du sujet : Le « binge drinking » chez les jeunes au Royaume-Uni, en France et au Canada. Pourquoi le « binge drinking » ? Depuis quelques années, le « binge drinking » s’impose dans tous les médias et les discours politiques. Fortement présent dans les pays anglo- saxons et les pays nordiques dès les années 90, le « binge drinking » est ensuite arrivé en France au début des années 2000. Il inquiète et constitue l’un des nouveaux grands problèmes politiques à l’ordre du jour. Il a été à l’origine d’une campagne de lutte menée par le ministère de la santé, qui a abouti en 2009 à l’élaboration d’une loi nommée « loi Bachelot ». Plus récemment, le sujet prit le devant de la scène après le premier accident mortel survenu suite à l’organisation d’un « apéro géant » en mai 2010.22 L’origine des « apéros géants » remonte aux années 1990 mais ce sont l’ampleur pris par ces organisations et la consommation excessive d’alcool qui y est rattachée qui constituent la nouveauté. Les médias mettent cette nouvelle forme d’alcoolisation au centre de réflexions sur les substances psychotropes, sur la délinquance ou sur les jeunes en général. Notre réflexion s’axant sur les relations entre l’individu, la société et l’alcool, le « binge drinking » s’est alors imposé à nous comme objet d’étude par son caractère très actuel. Malgré la place donnée à ce phénomène dans les médias et les discours politiques, peu de recul n’a encore pu être pris par rapport à ce problème. Il semble alors intéressant d’axer nos recherches sociologiques sur cette tradition venue d’Angleterre, de façon à avoir une vision claire et précise de ce qui la caractérise et des enjeux qui lui sont attachés. 22 «Nouvelobs.com, « Un homme meurt lors d’un apéro géant à Nantes », [En ligne], 13 mai 2010. http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20100513.OBS3896/un-homme-meurt-lors-d- un-apero-geant-a-nantes.html
  • 16. Page 16 Par ailleurs, le concept même du « binge drinking », qui consiste à boire beaucoup et vite de façon à être ivre le plus rapidement possible, soulève en nous des interrogations particulières. Il est facile de comprendre que l’on puisse trouver du plaisir à boire de l’alcool. Il est assez aisé de concevoir que le sentiment léger d’ivresse puisse apporter confiance en soi, calme et désinhibition. Mais comment expliquer la volonté de boire des quantités excessives d’alcool dans le seul but spécifique d’un accès à l'état d’ivresse ? Comment comprendre la recherche de l’intoxication alcoolique aigüe pour elle- même ? Pourquoi ne pas se contenter d’une consommation modérée, qui aurait au moins pour bénéfice de limiter les conséquences néfastes à court terme, faute de pouvoir prévaloir l’individu de tout risque de maladie ou de dépendance ? Ce sont ces questionnements qui, au-delà de l’actualité du sujet, nous ont poussés à nous concentrer sur l’étude du « binge drinking ». Ainsi nous essayerons d’établir le lien entre l’individu, la société et la culture dans laquelle il évolue, et l’excès d’alcool. En analysant l’impact de la société sur la consommation des individus, nous tenterons de comprendre certains agents initiateurs de ce nouveau phénomène du « binge drinking ». Bien que notre réflexion s’axe principalement sur l’étude d’une certaine perspective d’explication sociologique et culturelle de ce problème, nous garderons toujours bien à l’esprit les conséquences d’un tel comportement sur la société et sur la santé des individus. Pourquoi le Royaume-Uni, la France et le Canada ? Pour nous permettre d’examiner au mieux l’impact de la culture sur cette consommation excessive des jeunes, nous avons décidé d’orienter notre réflexion sur trois pays différents : le Royaume-Uni, le Canada et la France. Il y a plusieurs fondements à cette volonté de confronter ces pays dans une même étude. Tout d’abord, peu d’études comparatives ont été menées jusqu’à l’heure sur le sujet du « binge drinking » ; on trouve de plus en plus de statistiques établies au niveau européen, mais les études comparées qualitatives sont très rares. En comparant ces trois pays, nous espérons pouvoir montrer le rôle joué par la culture dans ce nouveau mode de consommation. Il existe en effet de fortes différences culturelles dans les rapports entretenus à l’alcool.
  • 17. Page 17 Ces divergences semblent évidentes lorsque la comparaison concerne deux pays sensiblement différents, comme par exemple un pays oriental de culture musulmane et un pays occidental de culture catholique. Elles le sont beaucoup moins lorsqu’elles s’appliquent à des pays très proches culturellement, comme le sont le Royaume-Uni, le Canada et la France. Or, le « binge drinking » est un phénomène que l’on retrouve principalement dans les pays industrialisés, qui ont des modes de vie relativement similaires. Notre intérêt est donc de faire reposer notre réflexion sur une analyse de trois de ces pays occidentaux, pour essayer de comprendre les modalités d’apparition du « binge drinking ». Notre choix part du constat de l’existence de plusieurs types de « culture de l’alcool ». Les pays occidentaux se regroupent principalement selon deux groupes : On distingue d’une part « les cultures ambivalentes », où la consommation d’alcool est autorisée mais pas souhaitée et où les législations sont strictes ; et d’autre part les « cultures permissives » où l’on considère comme normal le fait de boire régulièrement du vin durant les repas, alors que l’ivresse et la consommation inappropriée d’alcool font l’objet de jugements négatifs. Nous souhaiterions alors montrer en quoi cette différence culturelle a joué un rôle dans la naissance el le développement du « binge drinking ». En effet, les pays de « culture ambivalente » sont les premiers à avoir connu ce phénomène, tandis qu’il est apparu plus tard et dans une moindre mesure dans les pays de culture permissive. Le « binge drinking » voyant très souvent ses origines et sa pratique assimilées au Royaume-Uni, pays de « culture ambivalente », il nous apparait alors comme l’exemple type à prendre en compte. Etant française, et la France étant un pays de « culture permissive », ce pays trouvait alors indéniablement sa place dans cette analyse. En intégrant le Canada à notre étude, nous souhaiterions pouvoir montrer des similitudes culturelles qui existent avec le Royaume-Uni et permettraient de démontrer le caractère anglo-saxon de ce phénomène. De plus son histoire, pour partie liée à celle de la France, fait de ce pays, à lui tout seul, un lien avec les 2 autres.
  • 18. Page 18 Pourquoi les jeunes ? Pour terminer cette introduction, précisons que notre étude portera sur la catégorie sociale des jeunes. Cette orientation se justifie par le fait que le « binge drinking » reste un comportement propre à cette catégorie. Le terme de « jeune » est cependant ambigu. En effet, pendant longtemps, il était peu ou prou synonyme « d’adolescent ». L’adolescence dans nos sociétés occidentales est une période particulièrement trouble du fait des transformations physiques et psychiques de l’enfant qui devient progressivement adulte. Aujourd’hui, la sortie de l’adolescence ne débouche plus forcément sur un statut d’adulte. Depuis 1970 environ, on assiste à l’émergence d’une période intermédiaire entre l’adolescence et la période adulte. Cette nouvelle période résulte principalement de l’allongement de la scolarité, et de la prolongation de la phase d’insertion professionnelle. Ainsi la jeunesse est désormais « une phase d’ambigüité durant laquelle les individus doivent acquérir une position sociale ». 23 Elle est composée de plusieurs groupes d’âges avec une grande diversité de comportements. Pour cette étude nous nous référerons à la catégorie des « jeunes » dans son ensemble, que nous considèrerons comme débutant aux alentours de 13 ans et pouvant aller jusqu’à une trentaine d’années. De nombreux ouvrages, rapports et sites internet ont servi de point d’appui à notre réflexion. Pour étayer ces lectures, des questionnaires, ont été réalisés spécialement pour cette étude, puis distribués à des étudiants pouvant apporter des éléments de comparaison de par leur vécu dans les différents pays. 23 BEITONE, Alain, et al., Sciences sociales. Paris : Dalloz, coll. "Aide Mémoire", 5ème édition 2007. p.266
  • 19. Page 19 C - Hypothèses Pour comprendre les rouages du « binge drinking » et en cerner les enjeux, il sera nécessaire dans un premier temps de poser les bases de ce nouveau mode d’alcoolisation (I). Le « binge drinking » n’est pas un simple terme journalistique ; il se définit par un cadre précis dont nous essayerons de déterminer les limites. Phénomène propre à notre société contemporaine, il ne concerne pour autant qu’une partie de la population. Nous examinerons alors l’existence éventuelle de déterminants sociaux (sexe, catégorie sociale, âge) dans une tentative de catégorisation des « binge drinkers ». Par ailleurs, nous nous demanderons si le « binge drinking » est un phénomène d’alcoolisme au sens qui lui a été assigné précédemment. On interrogera le caractère social de ce phénomène. Ce constat nous permettra d’aborder dans un deuxième temps la part culturelle empreinte à ce mode de consommation (II). A la question « Pourquoi buvons-nous ? », de nombreuses réponses pourront être apportées. Nous avons décidé dans cette étude de mettre en exergue l’influence de la culture et de la socialisation dans notre consommation d’alcool, appuyant ainsi la dimension sociale de cet objet. Cette précision nous amènera à nous demander en quoi le phénomène du « binge drinking » peut-il être un produit de la culture anglo-saxonne. Les représentations populaires attribuent en effet aux anglo-saxons ce type de comportement. Nous chercherons donc à vérifier cet imaginaire en comparant le Royaume-Uni, le Canada et la France, dans le but de faire apparaître des éléments propre au Canada et au Royaume-Uni, qui pourraient valider ou non la naissance d’une alcoolisation excessive dans ces pays anglo-saxons. Nous verrons que ces éléments différenciateurs se cristallisent autour de l’opposition entre les « cultures de tempérance » dites « ambivalentes », et les « cultures de non tempérance » dites « permissives ».
  • 20. Page 20 Si l’impact de la culture « ambivalente » anglo-saxonne dans l’apparition du « binge drinking » se trouve avérée par notre étude, un paradoxe se présentera alors à nous : Comment expliquer l’arrivée du phénomène dans une culture « permissive » comme la France ? L’ensemble du monde occidental contemporain semble en effet concerné par ce problème. Pour répondre à cette limite, nous tenterons donc d’examiner l’impact du contexte dans lequel s’est développé ce mode de comportement vis-à-vis de l’alcool (III). Le « binge drinking » a réussi à se faire une place dans un monde de plus en plus globalisé, qui a facilité sa diffusion à l’ensemble des pays industrialisés. Néanmoins, n’y a-t-il pas une autre explication au fait que cette forme d’alcoolisation affecte principalement les pays les plus industrialisés ? Ne peut- on faire prévaloir une certaine « culture occidentale » qui, dans l’explication d’un tel phénomène, dépasserait le clivage entre « culture ambivalente » et « culture permissive » ? Ce nouveau comportement des jeunes n’est-il pas avant tout inhérent aux bouleversements sociaux survenus à la fin du XXème siècle ? Nous essayerons de le montrer, en analysant l’impact sur ce nouveau rapport à l’alcool qu’ont pu avoir certains changements nés avec la postmodernité.
  • 21. Page 21 Chapitre 1 – « Binge drinking » : principes et acteurs d’un phénomène social Que ce soit à la télévision ou dans les journaux, dans les couloirs de l’Etat ou dans les discussions populaires, le « binge drinking » ne cesse de faire parler de lui depuis quelques années. Si ce terme anglo-saxon n’est peut être pas encore connu de tous, difficile d’échapper au constat de ce phénomène d’alcoolisation massive. Les jeunes d’Angleterre ou d’Amérique du Nord sont sombrement réputés pour leurs innombrables excès en termes de consommation d’alcool. Plus récemment, ces excès se manifestent en France. Les hospitalisations dues à des intoxications alcooliques aigües voient leur nombre sensiblement augmenter. Les violences et les accidents consécutifs d’ivresses extrêmes sont en nette hausse également. Face à ce constat, il apparait nécessaire d’essayer de comprendre les déterminants de ce nouveau phénomène. En quoi consiste concrètement ce nouveau mode de consommation ? Qui est concerné par ce phénomène ? Peut-on considérer le « binge drinking » comme une nouvelle forme d’alcoolisme ? Nous tâcherons de répondre à toutes ces questions dans un premier chapitre dans lequel nous dessinerons les contours de ce concept. Section A - Qu’est ce que le « binge drinking » ? Pour débuter cette étude du « binge drinking » chez les jeunes, il semble nécessaire de prendre le temps d’examiner ce qui se cache derrière ce concept. Un concept très utilisé par les médias depuis quelques années mais assez peu compréhensible du fait de l’origine anglaise du terme. Nous ne trouvons pas de définition précise dans les dictionnaires, ce qui fait que tout le monde en parle sans évoquer forcément la même chose.
  • 22. Page 22 La notion de « binge drinking » est en effet communément employée lorsque l’on veut mentionner ce qui semble être une nouvelle façon de boire propre à la jeunesse, comme si l’on pensait que cette appellation suffisait à elle seule à en justifier les causes comme les conséquences. I. Eléments de définition La sémantique même du terme nous apprend beaucoup sur le phénomène étudié et sur la représentation que l’on en a : le « binge drinking » est un anglicisme, qui signifie littéralement « orgie », « beuverie » et que l’on traduit parfois par « hyper-alcoolisation », « intoxication alcoolique aiguë » ou encore « alcoolisme périodique ». En France, nous utilisons aussi généralement les termes de « biture express », « chaos éthylique » ou encore « alcool défonce ». Au terme d’une simple étude sémantique du mot, et de ses diverses traductions, il est possible de mettre en avant la dangerosité de ce phénomène et le caractère négatif d’un tel comportement assimilé à un « chaos ». Notons qu’à l’origine, « binge drinking« était utilisé principalement dans un sens médical, pour désigner une crise périodique de consommation continue d’alcool qui ne s’arrêtait que lorsque le buveur était dans l’incapacité de poursuivre.24 Le terme s’est néanmoins actualisé ces dernières années pour se référer plus généralement à une forte quantité d’alcool ingurgitée dans une occasion précise de consommation. Il nous faut alors préciser ce que l’on entend aujourd’hui concrètement par « biture express». A partir de quand peut-on dire que l’on passe d’une alcoolisation à une « hyper-alcoolisation ? ». Si tout le monde s’accorde à définir le « binge drinking » comme une consommation excessive périodique d’alcool, il n’y a pas de consensus sur le nombre de verres qui constitue cette « orgie ». 24 MCM Research Ltd for Wine Intelligence, WTAG binge-drinking research, Oxford : MCM REsearch Limited, September 2004. p.2
  • 23. Page 23 Le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA)25 des Etats Unis propose la « 5/4 définition » qui veut que soit considéré comme « hyper- alcoolisation » une consommation de cinq verres ou plus chez l’homme ou de quatre verres ou plus chez la femme, sur une durée de deux heures environ. Cette quantité correspond à une alcoolémie égale ou supérieure à 0.8g par litre de sang. Au Royaume Uni, le consensus se fait sur des quantités supérieures puisque l’on parle de 8 unités pour les hommes et de 6 pour les femmes. Claudine Guiet,26 coordinatrice de la santé étudiante au service de la promotion de la Santé à Ottawa, insiste sur cette définition « scientifique » du « binge drinking » pour mettre en avant le fait que ce ne sont pas des quantités astronomiques qui sont prises en compte. En effet, la quantité consommée n’est pas le seul élément de la définition du « binge drinking ». D’une manière moins formelle, plusieurs éléments sont souvent cités pour définir le « binge drinking ». Dans le rapport conduit par le centre de recherche anglais « MCM Research Ltd »27, quatre points principaux ressortent des interviews de divers policiers, gérants, patrons et employés de bar à qui l’on a demandé de définir ce qu’ils entendaient par « binge drinking » : - Le fait de boire avec l’intention d’être ivre - Le fait de boire jusqu’à perdre le contrôle de soi - Le fait de boire le plus possible dans un temps limité - Et le caractère occasionnel de cette consommation abondante. A noter que ces personnes interviewées n’ont que très peu décrit ce phénomène en termes d’unité spécifique de consommation, préférant mettre l’accent sur l’état d’esprit et les types de comportements associés à cette forme d’intoxication. II. Cadre d’action Une simple étude sémantique des termes assignés à ce nouveau mode de consommation nous permet dès lors d’imaginer le cadre dans lequel se déroule le « binge drinking ». 25 Voir http://www.niaaa.nih.gov/Pages/default.aspx 26 Voir Annexe 2, entretien avec Claudine Guiet 27 MCM Research. Op.cit.p.7
  • 24. Page 24 On est loin en effet de la « dégustation », de la consommation d’alcool quotidienne dans un cadre gastronomique. Ces beuveries correspondent à un certain mode de vie ; Le cadre spatio-temporel dans lequel a lieu ce phénomène d’alcoolisation est très significatif. 1. Temporalité Nous l’avons déjà mentionné dans la définition, la notion de temps est primordiale puisque le « binge drinking » correspond à une consommation rapide dans un temps limité et qui se déroule de façon occasionnelle. Disons que globalement les « binge drinkers » s’adonnent à ce genre de consommation une fois par semaine, principalement le week-end. Cependant ces chiffres sont très variables et un individu pourra très bien boire de façon excessive trois fois en une semaine ou au contraire très rarement. De même, si le phénomène s’observe principalement le week-end, ceci n’est pas exclusif. On le retrouve aussi beaucoup durant la semaine, lors des soirées étudiantes ou des « soirées promotionnelles » organisées par les bars. En outre, certains évènements spécifiques sont particulièrement propices à ce genre de débordements : les anniversaires, les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon, les soirées d’intégration ou encore pour des raisons moins tangibles comme le jour de paye. Cependant, maintenant, les orgies ont lieu même sans raison spéciale ; toute occasion est bonne pour s’adonner au « binge drinking »28. Quoi qu’il en soit, on n’est effectivement plus dans le cadre d’une consommation quotidienne qui peut venir agrémenter les repas. 2. Cadre spatial Maintenant que l’on a défini un pseudo cadre temporel à notre objet d’étude, posons-nous la question de savoir où et avec qui se passe cette « biture express ». 28 MCM Research. Op.cit. p.17
  • 25. Page 25 L’une des particularités du « binge drinking » est qu’il renvoie à un usage collectif de l’alcool.29 Il s’exprime principalement dans des cadres festifs, souvent par le biais de jeux, défis et rituels (élément que nous détaillerons à la fin du chapitre). Il est très rare de voir des jeunes se « défoncer » seuls à l’alcool. « L’alcool défonce » est en effet un réel facteur intégrateur. Les lieux où se déroule ce phénomène de « binge drinking » sont doubles. Une grande partie de ces excès se déroulent dans des lieux publics, des bars, des boîtes de nuit, mais aussi parfois dehors, dans la rue. A noter à ce sujet la récente loi passée dans certaines villes françaises, interdisant la consommation d’alcool dans la rue. Au Canada, il est même obligatoire de cacher ses bouteilles dans des sacs en papier kraft lorsque l’on est dans des lieux publics. Les lois françaises ont vu le jour à la suite de l’organisation répétée de ce que l’on appelle les « apéros géants », et dont le but est le regroupement de plusieurs milliers de personnes afin de boire ensemble. Cet exemple est significatif du caractère collectif du « binge drinking ». Les soirées privées sont également des lieux où la consommation excessive d’alcool est devenue le maître mot. Il suffit de regarder des films ou feuilletons américains pour se faire une idée de ce que sont ces soirées qui sombrent souvent dans l’alcoolisation extrême. 3. Déroulement des festivités Pour finir d’établir le cadre dans lequel a lieu le « binge drinking », il apparaît pertinent de reprendre les différentes étapes de la défonce dégagées par Ngom Ousseynou dans son rapport. Selon lui, les « binge drinkers » cherchent toujours à suivre un processus logique qui correspond à une façon particulière de se défoncer ». 30 Pour commencer, une soirée débute souvent par ce qu’il appelle une « préchauffe », plus connue sous le nom de « before ». 29 OUSSEYNOU, Ngom, Jeunes et alcool, le binge-drinking en milieu étudiant, Bordeaux : Université Victor Segalen, 2008/2009. p.42 30 Ibid. p.42
  • 26. Page 26 On se retrouve souvent chez un membre du groupe, on boit principalement des bières ou du vin, parfois on se lance des défis afin d’accélérer les effets de l’alcool. Le but de ces « before » est d’arriver « chaud » à la soirée, de façon à pouvoir être ivre plus vite et sans avoir à débourser des sommes astronomiques dans des bars où l’alcool est bien plus cher. Généralement, la soirée se poursuit dans un bar, une boîte ou chez quelqu’un d’autre, où il y aura plus de monde. Puis elle se termine en « after » pour ceux qui ont tenu jusque là... En Angleterre un phénomène très spécifique peut être observé lorsque les bars sont sur le point de fermer (à 23h) : les gérants font un dernier appel aux clients qui se précipitent pour bénéficier des dernières offres et boire jusqu’à l’ivresse, avant qu’il ne soit trop tard. Pour finir, il est important de parler du phénomène de « spectacle post- défonce »31. Par-là, il faut entendre tous les retours d’après soirée, c’est à dire les scènes filmées, les photographies des « binge drinkers » complètement ivres, les échanges sur la soirée par le biais de facebook, les commentaires du lendemain… C’est ce dont parle Claudine Guiet lorsqu’elle mentionne le phénomène du « walk of shame »32, c'est-à-dire le fait de rentrer chez soi le lendemain d’une soirée difficile, vêtu des habits de la veille et de faire face au regard des autres. Le déroulement des soirées de défonce est important pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière ce phénomène de « binge drinking ». Il montre à quel point ce phénomène est social plus que médical. On voit ainsi l’importance d’appréhender la définition sous un angle moins scientifique mais plus social et psychologique. III. L’objet de consommation Vin blanc, vin rouge, rosé, vodka, whisky, bières de toutes sortes… L’étendue du choix s’offrant aux « binge drinkers » est large. Alors quel alcool pour quel consommateur ? 31 Ibid. p.47 32 Voir annexe 2 : entretien avec Claudine Guiet
  • 27. Page 27 Si l’on se réfère aux principes du « binge drinking », on aurait tendance à leur faire dire « peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !», comme l’a écrit Alfred de Musset. Néanmoins l’objet de consommation n’est pas anodin dans notre perspective d’étude. Tout d’abord, il faut rappeler que le type d’alcool consommé dépend de la culture du pays. Ainsi les pays de culture anglo-saxonne, comme le Royaume- Uni ou le Canada, ont tendance à boire principalement de la bière (43% pour le Royaume Uni et 53% pour le Canada) alors que la France n’en consomme qu’à hauteur de 17%, la majorité de sa consommation (62%) étant consacrée au vin33. Ainsi un « binge drinker » n’aura pas les mêmes habitudes de consommation selon sa nationalité. A côté de la consommation des produits traditionnels, on assiste à l'apparition sur le marché de nouveaux types d'alcool : les pré-mix ou alcopop, qui sont des produits apparus massivement sur le marché dans les années 90.34 Ce terme désigne des mélanges d’alcool fort et de boisson non alcoolisée, fortement dosés et sucrés. Ce marché se décline en différents produits allant des bouteilles déjà mixées, du type des « smirnoff ice », aux « shots » que l’on avale d’un coup. Dans une logique marketing, les alcooliers ont donc développé ces nouvelles boissons prêtes à déguster, à l’aspect et au goût attrayants. Noms et packagings évocateurs, visuels très marqués, tout est fait pour plaire aux jeunes. Ils ont l’avantage de permettre une alcoolisation rapide alors même que le goût très sucré fait oublier que l’on est en train de boire des alcools forts et que l’on peut ainsi atteindre plus vite et plus facilement un état d’ivresse. On retrouve ce type d’alcool en vente dans les commerces mais aussi dans les bars ou discothèques où des offres de plus en plus nombreuses sont faites aux consommateurs. 33 World Health Organization, “Global status report on alcohol and health 2011”, who.int. [Online], 2011. http://www.who.int/substance_abuse/publications/global_alcohol_report/en/index.html#. 34 COSSEGAL, V., GUEGUEN, K. et TONEATTI, V., « Prémix et dérivés : Regards croisés des alcooliers et des épidémiologistes », [En ligne] 22 mai 2007. http://intd.cnam.fr/
  • 28. Page 28 Par ailleurs ce type d’alcool révèle une tendance nouvelle : la hausse de la consommation dans la population féminine. Il faut noter qu’il y a une différence dans le type d’alcool consommé, selon qu’on soit un homme ou une femme.35 Les femmes auraient tendance à boire beaucoup plus de pré-mixes et du vin alors que les shooters ou les bières sont généralement associés à une consommation masculine. Les alcooliers ont encore une fois su prendre en compte une demande nouvelle venant d’une consommation grandissante de la part des femmes. On voit en effet apparaître de nombreux alcools dits « pour filles ». Les bouteilles aux motifs attrayants, le goût sucré de ces pré-mixes et leurs publicités mettant en avant des femmes consommatrices sont autant d’éléments d’une stratégie marketing clairement établie pour répondre à cette demande. En somme, nous pouvons dire que les alcooliers ont su appréhender les modes de vie des étudiants et des jeunes et adapter leurs produits aux évolutions sociétales et donc à ce phénomène de « binge drinking ». Section B - Etude sociologique des consommateurs I. Une spécificité des jeunes Il est communément admis que le « binge drinking » est un phénomène touchant une population « jeune ». Cependant il est clair que cette notion de jeunesse est vague et imprécise. D’après un bulletin d’information de l’Institute of Alcohol Studies, 36 le « binge drinking » est le mode de consommation normal des 18-24 ans. Au Royaume Uni, 80% des hommes et 75% des femmes de cette tranche d’âge affirment avoir déjà bu à l’excès selon les critères subjectifs du « binge drinking ». Ce nombre diminue fortement lorsque l’on interroge les populations plus jeunes. 35 MCM Research. Op.cit. p.13 36 Institute of Alcohol Studies, Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010.
  • 29. Page 29 Ce tableau paru dans le bulletin d’information de l’Institue of Alcohol Studies37 fait apparaître l’importance de ce phénomène chez les 18-24 ans par comparaison aux classes d’âges inférieures. Le tableau38 ci-dessous montre que le pourcentage de « binge drinkers » est plus grand chez les 18-24 ans que chez les 25-30 ans, que l’on s’appuie sur une définition subjective basée sur une auto évaluation de la fréquence du sentiment d’avoir été très ivre au moins une ou deux fois par mois dans l’année (intoxication based), ou sur une définition plus objective comptabilisant les hommes ayant bu plus de 8 verres, et les femmes ayant ingurgité plus de six unités d’alcool en moyenne, les jours de consommation de la semaine précédant l’enquête (united-based). Bien sûr, cela ne signifie pas que le phénomène n’existe pas chez les plus âgés, mais seulement qu’il perd de son importance avec l’âge. De même le « binge drinking » ne commence pas soudainement à 18 ans. Les lycéens sont également touchés avec une probabilité qui croît avec l’âge. Notons que les enquêtes ci-dessus portent sur le Royaume Uni, cependant l’âge concerné est le même dans tous les pays. 37 HARRINGTON V Home office Research Findings No.125: Underage drinking: findings from the 1998-99 Youth Lifestyles survey, 2000, in Institute of Alcohol Studies, Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010,p.8 38 RICHARDSON, A; Home Office Research Study 263 : Alcohol, crime and disorder : a study of young adults, in Institute of Alcohol Studies. Op.cit. p.9
  • 30. Page 30 Les étudiants font partie de la part de la population la plus touchée par le problème du « binge drinking ». Loin d’être les seuls parmi les jeunes à être concernés, il n’en demeure pas moins que « l’alcool défonce » semble faire partie intégrante de la vie lycéenne et universitaire. La consommation d’alcool est en effet sans cesse impliquée dans les rapports sociaux entre les étudiants. Beaucoup de jeunes connaissent leur première vraie « cuite » lors des soirées étudiantes ou des week-ends d’intégration. Les étudiants, principalement en grandes écoles mais aussi ailleurs, vivent l’entrée en école comme une libération, une libération du joug familial ou de l’exigence des classes préparatoires françaises. Une fois le nid familial quitté, que ce soit pour les études ou non, il est bien plus facile de s’adonner à ces excès de consommation entre amis : il paraît loin le temps où les parents pouvaient surveiller les moindres sorties et surtout l’état de leurs enfants au retour des soirées. De plus, les étudiants se retrouvent généralement tous en centre-ville ou sur le campus, proches de leurs camarades, ce qui facilite les rencontres autour d’un verre, ou deux… II. Le « binge drinking » a-t-il un genre ? Le « binge drinking » ne fait pas exception à la règle qui veut que les hommes soient dans l’ensemble de plus grands consommateurs d’alcool que les femmes. Si nous regardons le schéma de l’étude réalisée par l’ESPAD (The European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs)39 nous pouvons voir que la plupart des 35 pays européens connaissent un déséquilibre dans le rapport de consommation entre les hommes et les femmes. Par exemple, en France, 47% des hommes disent avoir, au moins une fois dans les 30 derniers jours, consommé 4 ou 5 verres dans un court délai (définition quantitative du « binge drinking ») alors que les femmes ne sont que 39%. Quatre pays dérogent cependant à la règle : les femmes du Royaume Uni, de Norvège, de Suède et d’Islande sont plus nombreuses que les hommes à avoir expérimenté ce phénomène de « binge drinking » durant le mois précédant l’enquête. 39 HIBELL, B, et al., op.cit.,p.76
  • 31. Page 31 Notons que le Canada n’apparaît pas dans le schéma ci-dessus, néanmoins une enquête réalisée en 2004 sur les campus canadiens a révélé que les hommes interrogés étaient plus susceptibles que les femmes de déclarer une consommation excessive épisodique.40 Malgré tout, il faut être prudent avec ces chiffres. En effet, s’il semble important de noter que les femmes boivent globalement moins que les hommes et que ce phénomène est inversé dans plusieurs pays du nord de l’Europe, dont le Royaume Uni, il est également nécessaire d’essayer d’en expliquer les raisons. 40 Center for Addiction and Mental Health, Enquête sur les campus canadiens, faits saillants, Toronto : s.n., 2004,p2
  • 32. Page 32 Tout d’abord, il est scientifiquement prouvé que les femmes ont un métabolisme qui ne leur permet pas de tenir aussi bien l’alcool que les hommes.41 Ainsi il leur faudra moins de verres pour atteindre un certain niveau d’intoxication. C’est d’ailleurs pour cela que la définition objective du « binge drinking » parle de 5 verres pour les hommes et de 4 pour les femmes. Cette distinction n’est cependant pas suffisante pour refléter cette différence biologique et ainsi une femme pourra être considérée comme « binge drinker » selon la définition subjective du phénomène sans pour autant répondre aux caractéristiques quantitatives prises en compte dans la plupart des sondages. En outre, le décalage que l’on observe entre les pratiques des femmes et des hommes peut être dû au fait que l’abus d’alcool chez les filles est socialement mal accepté. Ainsi les processus de socialisation et les normes sexuellement différenciées peuvent expliquer ces usages sexués de l’alcool chez les jeunes.42 La norme semble vouloir réserver aux hommes la possibilité de tirer mérite et admiration d’une consommation excessive d’alcool. L’ivresse des filles est beaucoup plus mal vue. N’a-t-on pas tendance à entendre dire « Une fille qui est ivre, c’est vulgaire»? Alors qu’un garçon aura plus facilement le droit à la reconnaissance de ses amis pour avoir prouvé sa virilité en battant des records de quantité d’alcool consommée ou pour avoir fini le plus soul de la soirée, une fille sera plus honteuse devant une telle situation et n’en tirera que très peu de gloire. De plus le contrôle des parents sur les sorties est plus sévère pour les filles. Elles prennent part beaucoup moins et surtout beaucoup plus tard à des groupes de pairs, dans des contextes qui poussent à la consommation d’alcool. 41 « A quantité égales d’alcool consommé, les femmes obtiennent une alcoolémie plus élevée que celle des hommes. Ceci s’explique par le fait qu’elles ont un poids corporel inférieur et une proportion plus élevée de gras. Comme leur corps contient moins d’eau, l’alcool se répartit donc dans une moindre quantité de liquide corporel. En outre les femmes ont aussi un foie de taille inférieure à celui des hommes et possèdent de plus petites quantités d’alcool déshydrogénase, ce qui fait qu’une plus grande proportion d’alcool consommé par les femmes reste dans le sang. », in Educ’alcool, op.cit.,p.5) 42 AMSELLEM-MAINGUY, Yaëlle, « Jeunes et alcool : Consommation en baisse, ivresses occasionnelles en hausse », Jeunesses : études et synthèses n°3, janvier 2011.
  • 33. Page 33 Néanmoins, une autre tendance notable s’ajoute à l’évolution récente des schémas de consommation : l’usage sexué de l’alcool est de moins en moins probant. Ainsi, on a vu que dans certains pays, le « binge drinking » était un phénomène plus féminin que masculin et même là où les garçons continuent à boire plus intensément que les filles, celles-ci semblent en partie rattraper leur retard. L’auteur de L’alcool donne-t-il un genre43 explique l’évolution de la relation entre l’alcool et le sexe féminin. Il mentionne les travaux de Sidsel Eriksen portant sur les femmes et l’alcool au Danemark au tournant du XXème siècle, en insistant sur les transformations sociétales intervenues à cette période-là. En effet, auparavant, boire était un comportement familier seulement chez les hommes et le sexe féminin se voyait attribuer le rôle de la femme distinguée, sobre, qui sait se contrôler et qui est la bonne gardienne de son foyer. Selon Eriksen cette représentation serait une construction délibérée de la société Victorienne pour faire contrepoids face à la hausse inquiétante de la consommation d’alcool chez les hommes. Ainsi la femme se voit offrir le devoir de préserver la société. Seulement les choses ont commencé à changer avec l’émergence des courants féministes qui prirent de l’importance au tournant du XX° siècle, particulièrement aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre. Ceci pourrait d’ailleurs en partie expliquer le fait que les Anglaises s’adonnent autant voire plus au « binge drinking » que leurs acolytes masculins. Boire est vu par ces femmes réclamant une libération du joug conjugal, comme une façon d’exprimer leur force nouvelle, leur liberté, leur indépendance et l’égalité des sexes. Il y a certes eu des mouvements inverses, qui dénonçaient la consommation d’alcool chez les femmes, leur reprochant une perte de maitrise de soi, les rendant moins respectables et dépourvues de toute féminité. Ceux-ci ont poussé beaucoup de femmes à réserver leur consommation d’alcool à la sphère privée, cachées du regard de la société. Malgré tout, le modèle de consommation s’est radicalement modifié à partir de cette époque. 43 BECK, F, LEGLEYE, S et SPILKA, S, « L'alcool donne-t-il un genre », Travail, genre et société n°15, 2006, pp. 141-160.
  • 34. Page 34 Boire ne renforce plus forcément la masculinité : plus l’égalité entre les sexes est respectée, comme c’est le cas dans la plupart des pays nordiques et anglo- saxons, et moins la différence de genre sur l’alcoolisation est importante. Martin et Moira PLANT44 confirment ces analyses, en s’attachant au cas du Royaume Uni qui serait le pays le plus significatif en ce qui concerne la consommation extrême d’alcool chez les femmes. En effet, 38% des femmes âgées d’une vingtaine d’années participent à ce phénomène de « binge drinking » et 60% de l’alcool consommé par les anglaises de 20 à 29 ans est consommé dans cette optique-là. Les auteurs émettent l’éventualité selon laquelle le Royaume Uni serait un pays où le « binge drinking » chez les femmes serait spécialement important du fait qu’elles bénéficieraient de plus de liberté sociale qu’ailleurs ; une émancipation qui passe entre autres par des salaires plus élevés ou un certain pouvoir légal et politique. En outre, les publicités visant de plus en plus la gente féminine joueraient également un rôle important.45 Les auteurs ajoutent qu’au Royaume Uni, les femmes sont soumises très jeunes à l’image d’un alcool qui serait libérateur et qui leur permettrait de s’exprimer. La situation a bien évolué puisque pendant longtemps, les femmes pouvaient se voir refuser l’entrée dans certains bars. Aujourd’hui, une législation contre la discrimination sexuelle a inversé la tendance et les femmes sont parfois même privilégiées par des offres promotionnelles leur faisant bénéficier de prix plus attractifs que pour les hommes. Tout ceci peut expliquer pourquoi la consommation excessive d’alcool chez les femmes a rapidement augmenté depuis une vingtaine d’années. En somme, le « binge drinking » est un phénomène qui reste principalement masculin dans la plupart des pays ; cependant, la place des femmes a évolué tout autant que leur rapport à l’alcool. Cette observation est d’autant plus vraie au Royaume Uni, où leur consommation excède celle des hommes. 44 PLANT, Martin et PLANT, Moira, Binge Britain : Alcohol and the National Response, Oxford : Oxford University Press, 2006,p.44. 45 Voir « l’objet de consommation» en page 27
  • 35. Page 35 III. Les catégories sociales concernées De multiples études statistiques se sont attachées à montrer les déterminants sociaux de la consommation d’alcool. Les catégories sociales ont généralement un rôle à jouer dans la consommation de l’alcool. Ainsi, les ouvriers du XIXème siècle étaient par exemple usuellement associés à une certaine forme d’alcoolisme. Le « binge drinking » est-il lui aussi le propre de certaines catégories sociales ? La profession et le statut social ont-ils un impact sur la consommation ? Le cas particulier des étudiants sera étudié en deuxième partie. 1. Catégories professionnelles L’étude qualitative menée par le MCM 46 explique que le « binge drinking » ne concerne pas un groupe social défini. Toutes les professions et tous les cursus sont concernés. Néanmoins, les patrons de bars ayant été interrogés lors de cette enquête ont eu tendance à dire que cette intoxication alcoolique aigüe concernait principalement les classes ouvrières. Ceci est lié au fait que les problèmes de drogue, de cigarette et d’alcool, en général, sont particulièrement récurrents chez les jeunes dont les parents ont un bas salaire, sont séparés ou sont beaucoup moins présents dans la vie de leurs enfants. A ce sens, une étude a été réalisée par Catherine Gosselin et ses collègues du « Groupe de Recherche sur l’Inadaptation Psychosociale chez l’Enfant » de l’université de Montréal47 pour étudier quels étaient les facteurs à l’origine de la consommation ou de la non consommation de cigarette, de drogue et d’alcool à l’adolescence. Parmi les facteurs retenus, la perception d’inadaptation scolaire ou le manque de supervision parentale augmentent la probabilité pour les jeunes de devenir des consommateurs. 46 MCM Research. Op.cit. .p.19 47 GOSSELIN, Catherine, et al., « Identification des facteurs liés à la consommation de cigarettes, d'alcool et de drogues à l'adolescence », Journal International de Psychologie, 2000, pp. 46-59.
  • 36. Page 36 Cette étude ne concerne pas le « binge drinking » en particulier mais montre que la situation familiale peut jouer un rôle important dans la consommation de substances psychotropes. Ceci rejoint d’ailleurs l’étude sur le genre et l’alcool qui montrait que les filles avaient tendance à moins boire en partie car elles étaient « surprotégées » par leur parents, qui sont beaucoup moins laxistes sur les sorties qu’avec leurs fils. Néanmoins il semblerait que la répartition des consommateurs selon les catégories socioprofessionnelles ne soit pas la même, qu’il s’agisse de « binge drinking » ou d’alcoolisation chronique et que les facteurs de consommation qui sont vrais en général ne sont pas tant significatifs lorsque l’on parle de « biture express ». PLANT confirme ainsi que l’hyper-alcoolisation est une pratique répandue sur l’ensemble du spectre social. Il fait également remarquer que les personnes ayant un haut revenu seront beaucoup plus enclines à consommer régulièrement, dans une logique purement financière. Une autre étude 48 montre qu’au Royaume Uni, chez les hommes, ce sont les personnes les moins éduquées qui sont le plus touchées par l’alcool défonce, tandis que chez les femmes, l’inverse se produit. Une conclusion peu ou prou similaire est mise en avant par une étude réalisée par l’Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES) en France. Cette recherche à l’avantage de distinguer les modes de consommation sans risque, à risque ponctuel ou à risque chronique. Si la frontière est parfois facilement franchissable, les « binge drinkers » constituent tout de même principalement la catégorie des risques ponctuels (consommant 6 verres ou plus en une occasion moins d’une fois par mois). On les retrouve aussi parfois dans un profil de consommateur à risque chronique puisqu’il y en a parmi eux qui s’adonnent au « binge drinking » si régulièrement (plus d’une fois par semaine) que le risque s’intensifie. Cependant la consommation à risque chronique correspond plus souvent à un alcoolisme « ordinaire ». 48 Institute of Alcohol Studies. Binge drinking - nature, prevalence and causes. ST Yves (UK): s.n., 2010, p.8
  • 37. Page 37 D’ailleurs l’étude montre que le pourcentage de consommateurs à risque chronique augmente avec l’âge alors que les consommateurs à risque ponctuel sont relativement plus nombreux dans la catégorie des 16-34 ans.49 C’est donc bien dans ce profil de risque ponctuel que l’on retrouve principalement nos « binge drinkers ». On remarque alors que les femmes cadres et de professions intermédiaires sont les plus touchées par une alcoolisation excessive plus fréquente. Ceci est cohérent avec d’autres études montrant que cette part de la population féminine développe plus souvent des comportements à risque. L’IRDES émet l’hypothèse selon laquelle cette attitude peut être due à un milieu professionnel qui confère de plus fortes responsabilités, dans un environnement plutôt masculin, avec de nombreuses occasions de convivialité. Le lien entre catégorie socio-économique et consommation excessive est plus contrasté chez les hommes. Le risque est plutôt chronique chez les agriculteurs, artisans, commerçants, chefs d’entreprises et dans les familles à bas revenu alors qu’il est beaucoup plus ponctuel parmi les cadres et professions intermédiaires ou ouvriers. 49 COM-RUELLE, Laure, et al., « Les problèmes d’alcool en France : Quelles sont les populations à risque », Question d'économie de la santé n°129, Janvier 2008, p.4
  • 38. Page 38 Au final, on peut difficilement conclure que le « binge drinking » toucherait plus telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. Cependant il apparaît important de noter que le rapport n’est pas le même que pour les autres types de consommation puisque le « binge drinking » touche des catégories professionnelles qui ont pourtant tendance à moins être sujettes à l’alcoolisme en général. 2. Le cas particulier des étudiants L’une des catégories qui est le plus concernée par ce phénomène du « binge drinking » est la catégorie étudiante. De nombreuses études sur le « binge drinking » concernent la population étudiante, qui semble être la plus exposée. Le terme d’étudiant fait à la fois référence à une tranche d’âge et à une catégorie sociale ; les raisons de l’exposition des étudiants à ce phénomène relèvent des deux. Nous avons déjà mentionné l’impact de l’âge sur ce mode de consommation ; examinons alors les raisons qui peuvent faire que les étudiants soient plus enclins à l’hyper-alcoolisation festive du fait de leur statut. On a vu que les étudiants étaient les cibles principales des alcooliers qui, de plus en plus, font leur publicité en sponsorisant des soirées étudiantes. Les excès principaux concernent ces soirées étudiantes ou week-end d’intégration organisés dans le cadre de l’école. Ceci est vrai surtout pour les étudiants du supérieur, que ce soit dans les facultés ou ailleurs. Ainsi Claudine Guiet50 nous explique comment les pires abus d’alcool et un grand nombre d’accidents sont constatés lors de la « week 101 » au Canada, aussi appelée « fresh week ». Cette semaine d’intégration se déroule au début de la première année universitaire. De nombreuses activités sont organisées, la plupart impliquant de l’alcool. Ceci est l’équivalent des week-ends d’intégration en France. 50 Voir Annexe 2 : entretien avec Claudine Guiet
  • 39. Page 39 L’important à retenir est que les élèves de ces écoles se retrouvent dans des cadres propices à la « biture express ». D’après l’auteur de l’article « rites scolaires et rites festifs : les manières de boire dans les grandes écoles »51, l’institution elle-même mettrait inconsciemment à disposition un cadre susceptible d’accueillir ce type d’activités, en insistant sur l’importance de la dimension extrascolaire et en permettant aux élèves d’organiser des soirées ou des week-ends d’intégration qui seront le lieu idéal pour ces excès. L’auteur ajoute que les écoles bénéficiant de campus (ESSEC et Centrale) et jouant le rôle de « microsociété » renforcent d’autant plus ces modes de convivialités. L’enquête réalisée par le CAMH (Center for Addiction and Mental Health) au Canada montre que les modes de consommation étaient liés aux modalités résidentielles.52 Les étudiants vivant sur le campus ont une consommation excessive régulière deux fois supérieures à celle de ceux résidant dans leur famille, hors campus. Pour finir, notons que cette importance du phénomène de « binge drinking » chez les étudiants du supérieur valide l’idée selon laquelle ce phénomène ne touche pas spécifiquement les classes sociales inférieures comme cela peut être le cas avec l’alcoolisme en général. Il a en effet été prouvé que plus un enfant va loin dans ses études, plus il y a de probabilité qu’il soit issu d’une classe sociale élevée ; en France, ce sera donc d’autant plus vrai dans les « Grandes écoles ». Or c’est dans ces écoles que la « biture express » sévit le plus. Section C- De la condamnation d’un comportement déviant à la compréhension d’un phénomène social. Notre vision de l’alcool a évolué au cours du temps. D’abord vu comme un produit d’agrément à l’Antiquité, puis condamné pour son caractère orgiastique dès le moyen Age, il sera surtout considéré comme toxique au XIXème siècle. C’est d’ailleurs à ce moment-là que nait le terme d’alcoolisme. 51 MASSE, Benjamin, « Rites scolaires et rites festifs : les "manières de boire" dans les grandes écoles », Sociétés Contemporaines n°47, mars 2002, pp. 101-129. 52 Center for Addiction and Mental Health, op.cit. p.3
  • 40. Page 40 Aujourd’hui, l’ambigüité demeure. Les alcooliques sont condamnés, marginalisés, exclus de la société, pourtant, on ne saurait se défaire de cette substance aux pouvoirs désinhibiteur et socialisant. Alors que depuis quelques années, une attention toute particulière est portée à ce phénomène spectaculaire du « binge drinking », on peut se demander s’il entre dans la catégorie de l’alcoolisme. Notre regard est indéniablement attiré par ces alcoolisations festives. Entendant parler des nombreux accidents de voiture, des comas éthyliques ou encore des relations sexuelles non voulues qui surviennent après une consommation excessive d’alcool en soirée, on ne peut qu’être scandalisé ou effrayé par cette nouvelle mode des jeunes. On a du mal, d’un point de vue extérieur, à comprendre ce culte de l’alcool chez les jeunes, ce plaisir pris à finir « à l’envers ». Ce qui va nous intéresser, dans cette partie, c’est de voir que les « binge drinkers » ne sont pas simplement des adolescents ou des jeunes adultes déviant de la droite ligne qui leur a été tracée. Au contraire, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, l’anormalité pour les étudiants réside dans la non- consommation de ces substances euphorisantes. Il sera important de noter la diversité de consommation d’alcool chez les jeunes ; si l’on regroupe ce phénomène sous un seul terme, il n’en demeure pas moins qu’il rassemble un grand nombre de réalités, à envisager avec plus ou moins d’inquiétude. Enfin, on tentera de distinguer la part individuelle et la part sociale cachées sous cette biture express. I. « Les jeunes ne savent plus boire » En Angleterre, le « binge drinking » est vu comme « le fléau du siècle », le « nouveau mal anglais »53. Au Canada, la première réaction des adultes interrogés sur le sujet était de dire, catastrophés, que les jeunes canadiens buvaient excessivement et que c’était un vrai problème de société. 53 PLANT, op.cit., p.23
  • 41. Page 41 L’alarme est tirée en France également, en témoignent les nombreux reportages effectués sur le sujet, ainsi que la floraison de lois pour limiter ces excès de consommation54. Le discours que l’on retrouve dans les médias ou dans la bouche des hommes d’Etat se veut alarmant, il n’est donc pas étonnant que l’image que l’on a du « binge drinking » soit telle. Par exemple, dans un ouvrage récent intitulé Super Biture55, la quatrième de couverture présentée comme un témoignage direct d’un jeune, utilise une sémantique jouant clairement sur le sentiment d’insécurité : « foudre », « enfer », « victime », « peur »… autant de mots qui fustigent le phénomène du « binge drinking ». Peu de personnes sont capables de dire clairement en quoi consiste le « binge drinking », quelles en sont les caractéristiques. Par contre, si l’on parle de la consommation d’alcool chez les jeunes à ces mêmes personnes, il y a fort à parier que presque toutes mentionneront cette hyper-alcoolisation et ses conséquences. Tous ont en tête ce message inquiétant. Bien sûr le discours ne sera pas le même chez les jeunes qui ont eux-mêmes ce comportement que chez les personnes extérieures au fait. Une étude réalisée, en 2010, en France, par Thierry Morel et Marie- Xavière Aubertin56, s’attache à laisser la parole à des jeunes, des adultes ou des associations sur ce thème du « binge drinking ». Dans le chapitre consacré à la parole aux adultes, on peut s’apercevoir de ce sentiment d’inquiétude qui est encouragé par les supports médiatiques et les discours alarmistes. Ce sentiment « est un sentiment un peu vague de peur indéfinie, qui ne s’appuie pas sur un constat clairement établi mais sur quelques cas isolés qui persistent dans les mémoires. »57. Il n’en demeure pas moins que ce phénomène nouveau provoque l’incompréhension des classes d’âge supérieur. On a une génération nouvelle qui a été socialisée dans des conditions différentes influençant le mode de consommation (Nous en verrons les enjeux dans le chapitre III). 54 Notons par exemple la loi Bachelot adoptée en France en 2009. 55 HUGO, L., Super biture : Mon enfer dans le binge drinking. Paris: Jacob-Duvernet, 2008. 56 MOREL, Thierry et AUBERTIN, Marie-Xavière, Chronique ordinaire d'une alcoolisation festive : les 16-21 ans, no-nos limit(es), Paris : Haut Commissaire à la jeunesse - DJEPVA, 2010.. 57 Ibid. p.17
  • 42. Page 42 Si nous avons raison de nous inquiéter de ce problème de société, il parait important de nous attacher à comprendre cette culture, de savoir d’où elle vient, d’appréhender son caractère pluriel et de la comparer avec d’autres cultures de l’alcool.58 II. Alcoolisme et « binge drinking » Etre attentif à ne pas stigmatiser les jeunes, n’enlèvent pas pour autant le caractère dangereux et inquiétant du « binge drinking ». Il est tout à fait justifié de porter une attention particulière aux jeunes consommateurs car l’ivresse peut être fatale, Il est inutile de rappeler l’évidence de l’ensemble des conséquences à court et long terme de cette consommation. Les « binge drinkers » sont-ils pour autant à considérer dans la catégorie des alcooliques ? 1. A partir de quand peut on parler d’une consommation pathologique ? Les définitions de l’alcoolisme sont multiples : consommation d’alcool accompagnée par des complications physiques, psychologiques ou sociales ; état de dépendance envers l’alcool ; perte de liberté de s’abstenir de consommer des boissons alcoolisées, etc… D’après la définition du médecin Pierre Fouquet retenue en introduction, le malade alcoolique est « celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de boire ». Le Centre d’Information Jeunesse le définit comme un « état de dépendance physique et psychique qui se manifeste par la consommation fréquente de doses relativement élevées de boissons alcoolisées »59. 58 GUILLEMONT, Juliette, RIGAUD, Alain et DAVID, Hélène, « Jeunes et alcool : quelle prévention », La santé de l'homme n°398, Novembre - décembre 2008, p. 9. 59 Centre Information Jeunesse, « Cahier du CIJ: Maladies et dépendances – Alcoolisme », site Web CIJ.lu. [En ligne], 12 Février 2010. http://cij.lu/sante/2010/02/cdc-maladies-et- dependances-alcoolisme/
  • 43. Page 43 C’est donc cette dépendance psychique et physique à l’alcool qui est importante ; elle induit un besoin de boire, engendrant un manque et une impression de ne plus pouvoir vivre sans alcool. L’alcoolisme n’est « ni une faiblesse de caractère ni un vice moral, mais une maladie. »60 Ce qui rend difficile la détection de cette « maladie », c’est que la consommation d’alcool est à l’origine un comportement normal, parfois même valorisé, qui peut devenir anormal si la quantité d’alcool et la fréquence des prises augmentent trop. Il est difficile de définir une quantité à partir de laquelle la consommation deviendrait pathologique puisque cela dépend de ce que l’organisme peut supporter. En outre, l’alcoolisme ne se rapporte pas uniquement à un trop boire mais également à un « mal boire ». « Être alcoolique c’est souffrir du boire »61. La consommation devient problématique lorsque l’alcool influence la vie du consommateur. Ce dernier devient de plus en plus tolérant aux effets de l’alcool, il boit quotidiennement, souvent en cachette, n’arrive plus à se fixer des limites, il perd ses ambitions, se renferme sur lui- même. Il n’arrive plus à revenir à une consommation modérée permettant de boire comme tout le monde. Nous comprenons dès lors qu’il est difficile de dire si le « binge drinking » s’inscrit ou non dans l’alcoolisme. 2. Le « binge drinker » est-il alcoolique ? Si l’on étudie la définition de l’alcoolisme à la lumière de celle du « binge drinking », il nous est possible de relever dès lors un paradoxe qui rendra difficile la réponse à la question. En effet, si être alcoolique c’est « souffrir du boire », c’est à la fois trop boire et mal boire, il semblerait alors que le « binge drinking » entre directement dans ce cadre-là. Ce mode de consommation des jeunes s’oppose en effet à une consommation « normale », régulée, saine et parfois même recommandée, comme les amateurs de vin aiment à le rappeler. Elle se fait toujours dans l’excès et la débauche. 60 Ibid. 61 Ibid
  • 44. Page 44 La douleur physique ne se fait généralement pas attendre. Pourtant trois grandes raisons nous amènent à penser que les « binge drinker » ne sont pas des alcooliques. Tout d’abord, l’une des grandes différences entre l’alcoolisme et le « binge drinking », est le cadre spatio-temporel. Nous avons vu que la « biture express » avait lieu généralement le week-end ou lors des soirées étudiantes. Si la plupart des jeunes sont concernés par cela et si chaque soirée a son lot d’ivresses, de débordements et d’accidents, il n’en demeure pas moins que tous ne sont pas concernés à chaque fois. Il n’est pas rare d’entendre dire « ça faisait longtemps que je ne m’étais pas mis aussi soul !» Alors peut-on parler d’alcoolisme quand il n’y a pas de régularité ? En outre le « binge drinking » est limité au cadre festif alors que l’alcoolique lui pourra « se défoncer n’importe où et n’importe quand ». 62 Ensuite, l’alcoolisme provoque chez l’individu une sensation de manque obsessionnel plus ou moins forte, qu’il tentera d’assouvir en augmentant et en rapprochant les prises d’alcool. Or, cette définition ne correspond pas aux « binge drinkers » puisque le manque ne fait pas partie des raisons mentionnées par ceux-ci.63 Au contraire, l’influence des pairs joue un rôle important ; un alcoolique n’aura pas besoin de se sentir entouré et poussé par ses amis pour boire. Alors que le « binge drinking » a toujours lieu en groupe, l’alcoolisme répond lui d’un acte solitaire. Ce qui pousse à la défonce ne vient plus de l’extérieur mais de l’intérieur et se fait sur le mode du besoin. Enfin, un autre paradoxe tient dans le fait qu’un alcoolique n’arrive plus à revenir à une consommation modérée, ne sait pas se mettre de limite. C’est à priori le cas inquiétant du « binge drinking ». Il semblerait que les jeunes se sentent dans l’obligation de boire dans l’excès ; une fête réussie ne l’est que s’il y a abondance d’alcool. Lorsqu’ils commencent à boire, ils entrent dans une surenchère incessante dans laquelle ils ne connaissent plus de limites. 62 OUSSEYNOU, N, op cit. p.65 63 Ibid.,p.64
  • 45. Page 45 Cependant, il est difficile de caractériser comme déviante l’alcoolisation extrême des jeunes, puisque ce comportement constitue la norme au sein du groupe, puisqu’ils obéissent à un certain conformisme.64 L’idée de ne pas pouvoir revenir à une consommation modérée permettant de boire de l’alcool comme tout le monde n’a pas de sens dans l’optique du « binge drinking » puisque tout le monde boit de façon démesurée. C’est celui qui ne participera pas aux jeux, qui refusera un verre de plus qui sera exclu. C’est pour cette raison qu’il est primordial d’étudier l’alcool en général, et le « binge drinking » en particulier, sous un angle sociologique, dépassant le point de vue médical. 3. De la pluralité du « binge drinking » Avant d’étudier plus en détail la dimension sociale du « binge drinking », il est nécessaire de contrebalancer l’idée selon laquelle le « binge drinking » n’est pas de l’alcoolisme. Comme nous l’avons déjà évoqué, il ne faut pas négliger la dimension plurielle du « binge drinking ». Si une très grande part de la population juvénile est concernée, même parmi celle-ci, tous ne le sont pas à la même échelle. Ainsi, beaucoup ne s’adonneront à la biture express qu’une fois de temps en temps, lors des grandes occasions. En revanche, la notion de « grandes occasions » est très relative. Lorsque les grandes occasions sont les soirées étudiantes ou le fait de fêter une fin de journée de travail, il y a des risques pour que la consommation devienne plus régulière et ainsi plus problématique. Le danger du « binge drinking » est qu’il se déroule dans des temps de convivialité, des temps de fête où tout le monde ou presque entre dans le jeu de l’ivresse. Il est donc difficile de différencier les individus pour qui l’alcool est un problème de ceux pour qui il ne l’est pas. Même si l’alcool est consommé dans l’excès avec les conséquences immédiates qui en résultent, on ne pourra pas parler d’alcoolisme chaque fois qu’un individu sera « sur alcoolisé ». Pourtant il y a tout de même des personnes qui vont développer une dépendance à ce genre de consommation. 64 BECKER, Howard, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié : Paris, 1985 (éd. originale 1963)
  • 46. Page 46 Dans une émission de France Inter, Thierry Morel mentionne l’existence de deux publics : celui occasionnel et celui qui va mal. Il explique que la plupart des adolescents sujets à ce mode de consommation vont bien, qu’ils boivent uniquement pour faire la fête, rechercher les plaisirs, rompre avec le quotidien. Le problème est que nous sommes dans une société où l’on propose cet esprit de fête en permanence. Ce serait l’un des gros points noirs du « binge drinking », car alors certains jeunes rentrent dans cette logique de festivité continue. La fête étant désormais toujours associée à une forte alcoolisation, ils deviennent alors victimes d’une consommation régulière et problématique. III. Au-delà d’un problème d’alcoolisme un phénomène social Considérer l’alcoolisation comme un fait social semble tomber sous le sens aujourd’hui. Personne n’est étranger au rôle que joue la société dans notre consommation. Pourtant il aura fallu du temps avant que cet objet d’étude ne soit plus la « chasse gardée des sciences biomédicales » et que l’idée selon laquelle « l’étude de l’alcoolisme comme un phénomène social est incontournable »65 fasse son chemin. Parce que l’alcoolisme est un acte qui n’affecte a priori que l’individu, il pourrait paraître qu’il ne dépend que de facteurs individuels et qu’il ne relève donc que de la psychologie. Pourtant, si l’on applique la théorie du suicide de Durkheim à l’alcoolisme, celui-ci aussi pourrait s’élever au rang d’institution (au sens Durkheimien : « toutes les croyances et tous les modèles de conduite institués par la collectivité »66). Il peut être considéré comme un fait social et non pas uniquement comme un fait médical.67La consommation d’alcool dépend en effet des sociétés, des périodes historiques, du contexte environnant. L’individu agit de façon rationnelle et relationnelle selon des impératifs sociaux. Il a besoin de s’intégrer à la société, d’être accepté par les autres, d’entrer en contact avec les autres individus. 65 DRULHE M., CLÉMENT S. op.cit., p.19 66 DURKHEIM, E, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, Collection « Champs », 1988, p.90 67 DRUHLE M., CLEMENT S. Op.cit. p.2
  • 47. Page 47 Nous verrons en quoi le « binge drinking » porte les caractéristiques d’une expérience sociale, d’une expérience de relation aux autres. En outre, l’être socialisé agit conformément aux normes de son univers social. Pour se sentir intégré, il s’attachera à respecter des principes d’actions, des règles implicites. Cette intégration socialisatrice produit ainsi des modes de boire. Nous nous arrêterons donc dans un deuxième temps sur les normes pseudo institutionnalisées du « binge drinking ». 1. Le « binge drinking » : Une expérience sociale Sans développer ici l’ensemble des raisons qui poussent les jeunes à l’hyper-alcoolisation, nous allons tenter d’analyser le poids de l’influence sociale dans l’ingestion d’alcool. Qu’est ce qui amène un jeune à boire ? De nombreux facteurs peuvent permettre l’acquisition d’une certaine attitude vis-à-vis de l’alcool68. Il y a d’abord des facteurs affectifs qui poussent à la consommation : par exemple, lorsque l’on voit de façon répétée des personnes agir dans le sens d’une alcoolisation extrême (effet de simple exposition), ou encore si l’on associe l’objet de consommation à un objet désiré (Les publicités jouent sur ce conditionnement, appelé conditionnement pavlovien, en associant par exemple des femmes attirantes à leur produit de consommation). La culture peut également être une source d’influence. Enfin, on agit aussi souvent par imitation, en prenant du recul par rapport au comportement de ses pairs. En somme, l’acquisition d’une attitude vis-à-vis de l’alcool est sociale puisqu’elle dépend toujours du contexte environnant qui influence directement ou indirectement nos actions. Cette influence est directe par exemple lorsqu’un ami nous pousse volontairement à boire, lorsque l’on cède à la pression sociale. Mais cette pression sociale n’est pas toujours facilement identifiable. 68 VALLERAND, R. J., « chapitre 6 : Les attitudes. », Une introduction à la psychologie sociale contemporaine, Montréal : Géatan Morin Editeur, 2006, pp.256-262
  • 48. Page 48 On peut aussi être indirectement influencé par une pression inconsciente que l’on s’impose à nous-mêmes, par crainte du jugement d’autrui ou par reproduction sociale. Tout le monde n’est pas pareillement sensible à cette pression ; elle est plus ou moins fortement inscrite en nous. Dans tous les cas, c’est toujours la volonté de se conformer qui pousse à céder à l’influence sociale. Le conformisme est défini comme un changement d’attitude amené par le désir de suivre les croyances ou normes des autres69. C’est une forme d’influence parfois très subtile. Les autres servent de cadre de référence au bon comportement à adopter. Le problème est que l’influence des normes se fait même lorsque l’on n’est pas d’accord avec elle. C’est ce que le psychologue Solomon Asch a voulu montrer dans l’expérience portant son nom durant laquelle il demandait à plusieurs personnes de dire parmi 3 lignes droites, laquelle ressemblait la plus à une quatrième. La réalité physique était évidente mais les cinq participants précédents, complices de l’examinateur, choisissaient tous la même mauvaise réponse. Asch a montré que 37% des participants se sont conformés à cette majorité incorrecte. L’intérêt de cette étude est de montrer l’impact puissant du conformisme sur la décision des individus au sein d’un groupe. Expérience d’Asch, 1951 Ainsi, même si l’on connaît les méfaits de l’alcool, même si l’on ne pense pas que cette hyper-alcoolisation soit la bonne solution, il n’est pas impossible que l’on s’adonne au « binge drinking » simplement par conformisme, par peur des conséquences négatives. 69 VALLERAND, R. J., « chapitre 11 : Les influences sociales », Op.cit.n pp. 461-486
  • 49. Page 49 Alors nous nous conformons à ce mode d’alcoolisation par désir de ressembler aux autres, par besoin de leur approbation et inversement par peur de l’exclusion. Nous nous conformons du fait de l’influence des normes sociales. 2. La logique de sociabilité Le « binge drinking » étant un fait social répandu dans une grande part de la population des adolescents et jeunes adultes, on peut comprendre que ce phénomène aille en grandissant par effet de conformisme. Mais, outre l’idée selon laquelle faire comme tout le monde aide à la sociabilité, en quoi le « binge drinking » est-il en lui-même un facteur de cette sociabilité ? A priori, il semble admis par tous que l’alcool puisse jouer un rôle intégrateur. En effet, ses vertus désinhibitrices permettent aux jeunes les plus timides d’aller à la rencontre de l’autre et de se faire une place dans un groupe. Il est cependant moins évident de voir ce rôle intégrateur dans le « binge drinking ». En effet, la relation avec l’alcool est différente de celle consistant dans un simple échange autour d’un verre ; elle est beaucoup plus individuelle. On a beau être entouré de toutes les personnes de la fête, lorsque l’on est « ivre mort », on ne peut pas dire que l’on se trouve dans le meilleur état pour créer des liens avec d’autres personnes. Pourtant il semblerait que cet « alcool défonce » permette paradoxalement la sociabilité. Nous avons remarqué précédemment que c’est uniquement en groupe que se défoncent les étudiants.70 Au-delà du mimétisme « l’alcool défonce » joue donc un rôle intégrateur.71 L’étudiant qui retrouve son groupe d’amis autour d’une bouteille de vodka, ou d’un jeu d’alcool, se procure ainsi une place dans le groupe. Au contraire celui qui ne participe pas à celui-ci sera exclu, puisque l’ensemble des soirées tourne autour de cette pratique. En outre, être capable de boire à l’excès aide à être bien vu. 70 Voir « Cadre d’action » en page 24 71 OUSSEYNOU, N., Op cit. p.26
  • 50. Page 50 C’est plutôt « has been » de refuser un verre, alors qu’au contraire, c’est celui qui finit le plus ivre qui sera considéré comme le roi de la soirée et aura droit le lendemain à voir ses « exploits » exposés sur les réseaux sociaux, accompagnés de commentaires admiratifs. De plus, alors que l’on pourrait croire que les conséquences immédiates néfastes d’une alcoolisation aigüe sont un obstacle à la sociabilité recherchée par les jeunes, il s’avère que celles-ci sont en fait parfois un but car, à ce moment-là, le jeune se sent soutenu par les personnes qui l’entourent.72 A la question « Pourquoi les jeunes continuent-ils à boire même lorsque les choses commencent à mal tourner ? », le sociologue américain Thomas Vander Ven répond que ce moment-là rapproche les buveurs, puisqu’ils auront tendance à s’entraider, à prendre soin les uns des autres. Comme il l’explique dans cette interview de la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), il est important de voir le « binge drinking » comme un acte social, une activité collective et non individuelle. 3. Rites et rituels Nous avons vu précédemment que le « binge drinking » se rapportait à un usage collectif de l’alcool. Cet usage est fait de règles, de rites codifiés, ce qui en fait une de ses particularités. En effet, il y a une certaine attente sociale qui se cache derrière ce phénomène, et que l’on ne retrouve pas dans l’alcoolisme en général, puisque la consommation d’un alcoolique est beaucoup plus individuelle que collective. Non seulement le « binge drinking » passe par un ensemble de « rites codifiés »73, mais en outre, ce phénomène en lui-même devient un rituel, un rituel de passage. 72 VANDER VEN, Thomas, “ Interview : Why Campus Binge drinking won't stop”, [interv.] cbcradio, 9th september, 2011 73 OUSSEYNOU, op.cit. p.33