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Communication
d’Alain Grosrey
Actes du Colloque
International d’Angers
DHÔTEL
André
Présence secrète de l’Orient
dans Campements d’André Dhôtel
Alain Grosrey
Actes du Colloque International d’Angers
consacré à l’œuvre d’André Dhôtel (6 et 7 déc.1996)
Organisé par le Centre de recherches en littérature et
linguistique de l’Anjou et des Bocages de l'Ouest.
Textes réunis par Georges Cesbron
Presses de l’Université d’Angers, 1998, pp. 43-55.
André Dhôtel © André Boni
SYNOPSIS
Le premier roman d’André Dhôtel porte la saveur d’une enfance
campagnarde et d’une liberté gagnée sur l’école. Ses personnages
importants sont des enfants. Des enfants capables de vivre une
expérience libre des voiles qui masquent la puissance et la douceur de
la plénitude accomplie. Dhôtel nous met sur la piste d'un Orient secret
qui a conservé la cartographie de cette expérience. Cet article tente de
repérer dans Campements des traces de la pensée indo-tibétaine. Par
des glissements successifs, un réseau de continuités se met à jour entre
le terroir ardennais, la Grèce d’Héraclite, l’Orient rimbaldien et
certains aspects du Madhyamaka Chèntong.
MOTS-CLÉS
Orient – nature – plénitude – bouddhisme – madhyamaka
Rimbaud – René Daumal – Héraclite – Lao Tseu –
Étienne Burnouf – Heidegger – Hermann Hesse
– 1 –
Alain Grosrey
e premier roman d’André Dhôtel répond bien à la
proposition de Roland Barthes qui envisageait un texte
comme une forme que l’histoire emploie son temps à
remplir. Umberto Eco a parlé d’“œuvre ouverte” pour
souligner qu’il était possible d’aborder le texte littéraire
comme un ensemble de signes qui nous dit ce que nous
voulons lui faire dire.
Si l’on veut renouveler l’approche critique de l’œuvre
de Dhôtel, en révéler l’extrême profondeur et souligner son
caractère très pertinent en cette fin de XXe
siècle, je crois
qu’il faut l’aborder sous des angles variés, la lire de façon
multiple et respecter le-s intentions de l’auteur qui signalait
à Jérôme Garcin : “ Je n’aime pas une lecture de mes livres,
j’aime des lectures multiples et contradictoires, parce que je
crois qu’un livre n’impose pas une certaine vision au
lecteur, mais qu’il revient à chaque lecteur de trouver lui-
même son chemin. Que ce chemin soit celui de l’auteur ou
non importe peu1
... ”.
1
Jérôme Garcin, L’École buissonnière (entretiens avec André Dhôtel), Éd.
Pierre Horay, 1984, p. 93.
2
Karl Obrist, L’Absence de continuité logique dans l’œuvre d’André Dhôtel,
Thèse de doctorat, Université de Zurich, Juris Drucke + Verlag, 1974.
POUR UNE LECTURE-PÈLERINAGE
La lecture de Campements que je vous propose se veut
une forme de pérégrination ou plutôt un fragment de
pèlerinage dont la reconnaissance de quelques traces d’un
Orient, qui fascinait André Dhôtel, esquisserait les volutes.
Mais de quel Orient s’agit-il ? Est-il seulement question
d’un Orient géographique qui est parfois l’Inde, l’Asie, la
Turquie ? Cette indétermination soulève un problème de
fond qui nous renvoie à la réalité des rapports que Dhôtel
entretenait avec la pensée orientale. Ceux qui, comme Karl
Obrist ou Dominique Aury2
, ont relevé dans son œuvre une
teneur orientale ne semblent l’avoir fait qu’à titre
anecdotique. Il est vrai que Dhôtel a pris soin de cacher
nombre de ses sources et influences.
Ayant interrogé son fils et sa belle-fille sur les rapports
de Dhôtel avec l’Orient et sur l’amitié qui le liait au poète
orientaliste René Daumal3
, je me suis rendu compte que
demeurait un grand nombre d’espaces flous. Peut-on se
contenter d’une remarque anodine sur l’Orient de Pierre
Dominique Aury, “ La Fureur et l’abandon ”, La Nouvelle Revue Française,
n° 28, 1955, pp. 692-696.
3
Au sujet de cette amitié, cf. Jean-Louis Cornuz, André Dhôtel, romancier
du Grand Pays, Idées et Calendes, 1981, p. 141. Daumal était sanskritiste et
passionné par les darçana, ces “ points de vue ” de la pensée hindoue.
L
– 2 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
Loti1
? Que connaissait-il vraiment de la pensée orientale
avant que ne paraisse Campements en 1930 ? La question
demeure en suspens. Difficile de savoir également quand il
rencontra René Daumal dont il défend les positions et
auquel il consacre de belles pages dans Ardennes lointaines.
L’indétermination soulève enfin un problème
méthodologique. En 1955, Dominique Aury2
évoquait à
propos de Dhôtel la sagesse d’un Lao Tseu. Concernant ce
rapport avec le Taoïsme, l’écrivain avouait3
: “ Cette
comparaison avec l’esprit chinois me touche beaucoup,
d’abord parce que l’Orient me fascine, ensuite parce que je
ne connais pas du tout la Chine ”. Il est vrai que si l’identité
des structures psychiques profondes est un ferment propice
à l’élaboration d’analogies variées qui peuvent, en elles-
mêmes, dévoiler l’évidence de la réalité qui les fonde, il
reste beaucoup à faire pour révéler les relations possibles
entre le Taoïsme et la “ pensée dhôtelienne ”.
1
“ Sous le signe de la féerie, je ferai une place particulière à Pierre Loti, qui
parle admirablement de l’Orient, d’Ispahan... ”, in Jérôme Garcin, L’École
buissonnière, op. cit., p. 32.
2
Cf. “ La Fureur et l’abandon ”, op. cit.
3
Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 89.
DE POSSIBLES FILIATIONS
Compte tenu des affinités de Dhôtel avec la philosophie
grecque, je pencherais beaucoup plus pour une parenté avec
une philosophie qui prend racine en terre indienne.
Cependant, faut-il encore pouvoir se débarrasser de
l’hellénocentrisme et ne pas oublier la multiplicité des
échanges qui ont eu lieu à partir des migrations des Indo-
européens, au cours du quatrième millénaire avant notre ère,
bien avant que le roi Alexandre, en 327 av. J.-C., n’ouvre
en grand la route entre les Indes et le monde grec. Mon
propos n’est pas ici de démontrer comment une
connaissance purement discursive, qui accorde une place
prépondérante au langage et à la raison, a pu écarter de son
cercle toute une influence indienne fondée sur l’intuition et
l’expérience4
. J’ose croire que Dhôtel a pressenti ces
filiations. Lui dont le métier fut d’enseigner une pensée dont
la vitalité s’est peu à peu assoupie dans les méandres des
édifices intellectuels qui ont recouvert l’Asie d’un linceul
de silence.
4
À ce sujet, on consultera avec intérêt le livre de Roger-Pol Droit, L’Oubli
de l’Inde. Une amnésie philosophique, P.U.F., 1989 et celui de Serge-
Christophe Kolm, Le Bonheur-liberté. Bouddhisme profond et modernité,
P.U.F., 1982.
– 3 –
Alain Grosrey
Je me propose donc de franchir l’obstacle de
l’hellénocentrisme. Je postule que Dhôtel a, durant son
séjour de quatre ans en Grèce et grâce à ses lectures des
philosophes grecques, reçu très subtilement en héritage
l’imprégnation indienne qu’il n’a certes pas reconnue
explicitement, mais dont il a rendu compte en dressant la
cartographie d’un certain art d’être au monde.
Je postule également, et sa relation avec Daumal tendrait
à le prouver ultérieurement, que l’ère du bouddhisme, qui
s’ouvrit en France avec la parution en 1844 de la
remarquable Introduction à l’histoire du bouddhisme du
grand érudit Étienne Burnouf, ne lui était pas totalement
étrangère. Comment ne pas envisager aussi qu’il ait pris
connaissance du numéro spécial des Cahiers du mois1
datant de 1925 et entièrement consacré aux Appels de
l’Orient. Comment ne pas penser enfin qu’en lisant
Nietzsche, il n’a pas été inspiré par son idéal dionysiaque
qui cache le besoin d’unité et la valeur d’un retour à ce qui
est brut et premier. Or, ce processus d’ouverture à l’unité et
l’expérience silencieuse d’immédiateté qui jalonnent son
œuvre ne sont pas sans rapport avec l’une des
1
Paris, Émile Paul, frères Éditeurs, février-mars 1925.
problématiques soulevées par l’école bouddhiste
Madhyamaka Chèntong.
Dans cette tentative pour capter le souffle oriental qui
traverse Campements, j’ai aperçu des colorations propres à
cette école qui se concrétisa au Tibet au cours du XIVe
siècle dans la lignée Jonangpa, du nom du monastère de
Jonang fondé par Tcholé Namgyal. Reprenant le second
cycle des enseignements de Bouddha Shâkyamuni,
consacré à la vacuité auquel s’ajoute un exposé sur
l’expérience même de la vacuité que colorent la plénitude
et les qualités de l’éveil, cette école entre généralement dans
le cadre du vajrayâna, le “ véhicule de diamant ” ou
bouddhisme tantrique. Le Chèntong est l’une des
perspectives de la Voie du Milieu (Madhyamaka) qui fait
elle-même partie des quatre grandes approches
philosophiques bouddhistes2
.
Ce bref parcours esquisse des contours qui ne
l’apparentent pas à cette volonté de plaquer sur l’œuvre des
éléments propres à une culture exogène. En daignant
“ subtilement s’égarer ”, pour reprendre une expression de
La Rhétorique fabuleuse, des fragments en apparence
2
Le Vaibhâsika (les Particularistes), le Sautrântika (les Tenants des
Discours), le Cittamâtra (les Tenants du Seul Esprit) et le Madhyamaka.
– 4 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
anodins se mettent à rayonner d’une lumière étonnante. Et,
par des glissements successifs, un réseau de continuités se
met à jour entre le terroir ardennais, la Grèce d’Héraclite,
l’Orient rimbaldien et certains aspects du Madhyamaka
Chèntong.
Dans cette perspective, il est clair qu’un tel travail ne
peut être qu’une propédeutique. Si l’on devait procéder à
une “ géologie ” de l’œuvre, on découvrirait, entre les strates
successives qui lui donnent vie, les reflets d’un Orient
intérieur : une pure présence de plénitude qui ne signifie
qu’elle-même.
VOIR AUTREMENT
En prenant appui sur quelques aspects de cette école
bouddhiste et en recourant, de fait, à certains concepts
étrangers à notre langue, on découvre également, par effet
de rétroaction, une nouvelle manière de parler de l’œuvre
de Dhôtel. Si l’apprentissage d’une langue permet de
“ changer d’esprit ” ou de modifier la syntaxe des pensées
discursives, le recours, même minime, à certaines notions
1
Maeterlinck entendait que le cerveau humain est composé d’un lobe
occidental et d’un lobe oriental. Cf. Les Cahiers du mois, op. cit., p. 240.
d’un savoir traditionnel est un outil qui permet de
contourner des fixations conceptuelles et, au-delà,
d’acquérir de nouvelles catégories de représentations fort
utiles pour aborder l’œuvre sous un jour différent.
Je ne crois pas qu’une telle attitude ait déplu à André
Dhôtel, car elle fait écho à cette joie d’exister dont il nous
parle sans cesse. Elle correspond aussi à la recherche
“ d’une trouée tout au fond de notre province ”, comme il se
plaît à l’écrire dans Ardennes lointaines (p. 106). Cette
trouée n’est en rien négation des valeurs qui fondent l’art de
vivre en communion avec le terroir. Elle permet, bien au
contraire, d’en mieux saisir la puissance et la subtilité.
Quant à l’Orient intérieur, ce lobe oriental pour reprendre
l’expression cher à Maeterlinck1
, il révèle, dans l’union
avec la terre natale, l’actualisation de la part accomplie de
l’homme.
– 5 –
Alain Grosrey
L’AMITIÉ D’HÉRACLITE
Avant d’atteindre le cœur du sujet, il me paraît
indispensable de situer mon propos par rapport à deux faits
essentiels. Le premier a trait à l’intérêt qu’André Dhôtel
porte aux présocratiques alors qu’il se sent en marge d’une
“ certaine tradition cartésienne ” pour reprendre ses propres
termes1
. On sait que “ ces vieux Grecs, comme ils l’ont écrit
eux-mêmes, travaillaient en écoutant la nature même, et en
suivant sa loi ”2
. Leur poésie cosmique, qui doit plus au
respect de la Nature qu’à la méthode expérimentale qui régit
la science moderne et contemporaine, révèle l’attention
qu’ils accordaient aux grandes dichotomies issues de
l’Unité originelle. Héraclite d’Éphèse retient tout
particulièrement l’attention de notre auteur, sans doute
parce que le discours héraclitéen suit la démarche de la
Nature où tout fait écho à tout, où tous les éléments sont en
situation d’interdépendance et sont soumis à la loi de
l’impermanence. Le Fragment 91 évoque justement ce
thème : “ Tu n’entrerais pas deux fois dans le même
fleuve ”. D’un côté, apparaît l’idée du changement
1
Cf. Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 33.
universel ; de l’autre, l’union des contraires : le Même et
l’Autre.
L’impression d’une permanence, d’une forme
d’éternité, semble s’associer aux cycles incessants de la vie
qui sont en eux-mêmes l’expression de l’impermanence.
Certains personnages de ce premier roman, Jacques et
Jeanne en particulier, ressentent assez profondément cette
ambivalence dont les deux termes s’interfécondent. Mais au
fur et à mesure de leur cheminement, cette dualité s’estompe
comme s’ils semblaient comprendre que la réalité du
changement universel était intimement liée à l’union des
contraires. Ils réalisent finalement que tout est composé et
donc voué à être décomposé. Dans la perspective
bouddhiste, il n’existe pas d’entité autonome, permanente
ou éternelle. La compréhension de l’impermanence, au
niveau le plus profond, permet d’aller dans le sens d’un
lâcher-prise et d’une attitude de non-attachement qui est
ouverture et totale disponibilité à l’ici et maintenant.
La pensée d’Héraclite, pont tendu entre l’Orient et
l’Occident, possède cette propriété, essentielle selon
Dhôtel, d’englober aussi bien la poésie, la métaphysique, la
2
Clémence Rannoux, Les Présocratiques in Histoire de la philosophie,
Tome I, La Pléïade, Gallimard, édition de 1990, p. 412.
– 6 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
science que la thaumaturgie. Elle donne ainsi une ampleur
à la philosophie qui d’amour de la sagesse devient “ amour
de la saveur ”, au sens où la dimension savoureuse de la vie
confère à l’homme qui la goûte la sagesse essentielle1
.
L’ombre d’Héraclite plane sur certains passages du
livre. Page 67, par exemple, “ Jacques alla un jour poser des
lignes à la rivière, et il se dit en détachant sa barque : -
Comme tout change... ”. Le titre même de l’ouvrage -
Campements - renvoie au nomadisme, au vagabondage, au
pèlerinage. “ Quel campement ! ”, s’écrie Madame Laizy
(p. 76) quand elle découvre le désordre qui règne dans la
maison de Jacques. Jeanne compare également sa maison à
un “ campement de bohémiens ” (p. 89). On campe aussi en
Asie : “ Gabriel campait quelquefois sous les montagnes
stériles de l’Asie ”, apprend-on à la page 77. C’est tout un
art d’être au monde dont il est question, car le campement
nous renvoie à l’idée d’une existence heureuse dans le
détachement, l’insouciance et le contentement. Il s’agit
également d’une attitude fluide de l’être qu’il convient de
1
J’envisage ici le terme “ sagesse ” en me référant à sa racine étymologique
qui nous renvoie au latin sapiens/sapientis.
2
“ Ce que je cherche seulement, c’est écrire en passant, c’est-à-dire ne
m’arrêter sur rien : au lecteur, s’il le souhaite, de s’arrêter à tel ou tel endroit,
rapprocher du rôle que Dhôtel assigne à l’écriture estimant
qu’il écrit en passant sans jamais réellement se fixer2
.
Le changement trouve dans l’oubli un partenaire de
choix. “ Tout s’oublie ”, annonce le narrateur à la page 53.
L’oubli traduit ici la faculté de rendre absentes les postures
mentales figées et les représentations du monde que l’on
croit à jamais définitives. En s’oubliant soi-même dans la
simplicité et l’humilité, on atteint ce point, semble indiquer
Dhôtel, où les forces qui concourent aux incessantes
dualités s’estompent pour laisser place à une vie qui
s’immerge dans ce que la nature a d’essentiel afin que
devienne possible l’art de se fondre dans l’unité du flux
universel.
(S’)ORIENT(ER)
Le deuxième fait que je souhaite évoquer rapidement
concerne la situation de l’entre-deux guerres, période durant
laquelle Dhôtel rédige justement son premier roman.
mais cela ne me regarde plus. Moi aussi, je peux m’arrêter, mais à condition
que ça ne se voit pas : l’essentiel, c’est le passage. ”, in Jérôme Garcin,
L’École buissonnière, op. cit., p. 46.
– 7 –
Alain Grosrey
L’expérience tragique de la Grande Guerre plonge l’homme
d’Occident dans le désarroi et l’inquiétude. Dès 1919, Paul
Valéry parle de Crise de l’esprit1
. À lire le numéro spécial
des Cahiers du mois de 1925, on se rend compte à quel
point, la conscience européenne traverse un profond
malaise. Alors que le mythe du progrès indéfini commence
sérieusement à chanceler, certains intellectuels se réclament
de l’Asie : c’est le cas de Romain Rolland et de Hermann
Hesse en Allemagne.
La découverte de l’Orient n’a rien de nouveau, mais elle
n’apparaît plus sous l’angle de la simple curiosité ni
d’ailleurs sous celui du mirage de l’exotisme. Il fallait tenter
de se tourner vers l’Asie pour voir si les trésors spirituels,
oubliés de l’Occident, “ n’avaient pas des réponses à offrir
à nos angoisses, des modèles peut-être à nos aspirations ”2
.
La crise des valeurs, la perte du sens de l’existence et la
déflation du christianisme révélé, qui s’accompagna d’une
dépréciation des sacrements, étaient des phénomènes
souvent inhérents à la “ désorientation ”. Concernant ce
dernier point, et à titre anecdotique, l’abbé Garnier
stigmatise assez bien cette situation tant il a l’air égaré dans
1
Expression servant de titre à une méditation philosophique. Cf. La Crise
de l’esprit, Paris, N.R.F., 1er
août 1919.
le monde. C’“ était un paysan qui ne comprenait pas bien
les pensées des hommes, ni celles de Dieu, ni celles de sa
servante ” (p. 38). La situation de chaos et
d’incompréhension s’incarne souvent dans les incertitudes
des personnages, dans leurs hésitations, dans l’exode rural
qui reflète ici la progressive dépréciation de la terre natale
sous la pression des difficultés économiques.
L’une des caractéristiques surprenantes de cette œuvre,
publiée huit ans après le Siddhartha de Hermann Hesse,
réside au prime abord dans l’art d’établir une tension entre
l’enracinement au cœur du terroir et les tentatives pour se
tourner vers un ailleurs lointain, l’Asie et plus
particulièrement la Turquie où vit Gabriel, auquel on
associe la réussite sociale. L’Orient n’est aucunement
auréolé de connotations spirituelles puisqu’il est envisagé
uniquement comme un moyen pour sortir d’une vie
appesantie par les difficultés matérielles. Malgré le rêve
d’une vie meilleure, qui accapare assez longuement l’esprit
de Jeanne et de Jacques, dans un monde où l’un des objectifs
premiers est l’amélioration du statut social, la lutte pour
parvenir à survivre à Saint-Pierre porte en elle la puissance
2
Romain Rolland, Avant-propos au livre de Coomaraswamy, La Danse de
Shiva, 14 essais sur l’Inde, traduit de l’anglais par Madelaine Rolland,
Tradition Universelle, Éditions AWAC, Rennes, 1979, p. 8.
– 8 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
du renoncement au monde qui est l’une des dimensions
propres aux cheminements spirituels orientaux1
.
Partant de deux extrêmes – l’Orient géographique et le
terroir – qu’il fait entrer dans un processus de comparaison
mettant conjointement en scène l’importance de la nature,
Dhôtel semble procéder par glissement. La dualité première
se dissout peu à peu grâce au troisième terme de la
tripartition : la communion avec la nature permettant en
effet de réhabiliter une intelligence première qui place
l’homme en état de résonance harmonieuse avec la
dimension originelle du monde. Ce sont ces modifications
dans les niveaux de perception et de représentation du réel
qu’il est nécessaire d’aborder.
L’ORIENT MENTALISÉ
Dès le début du livre, l’Orient est la terre promise,
l’univers de tous les possibles. Tant que Jacques et Jeanne
1
Ceci dit, il ne faut aucunement dénigrer une lecture chrétienne au profit de
la lecture que je propose. D’ailleurs, si les thèmes chers à Dhôtel sont déjà
esquissés dans Campements, on pourrait également suivre l’idée de Bernard
Jourdan qui affirme dans “ Dhôtel et la foi du charbonnier ” (Critique, mai
1959, pp. 413-427) que les personnages envisagent le monde comme un
“ monastère infini ”. Le mendiant que l’on rencontre à la page 111 et qui dit
se nourrissent de l’espoir d’une vie meilleure, leur
souffrance ne cesse d’être criante et de prendre de
l’ampleur. Pour ceux qui partent, l’Orient est avant tout le
lieu de la réussite et du succès. Pour tous ceux qui restent et
qui aspirent à une existence plus radieuse, l’Orient semble
une trouée lumineuse dans la grisaille de leur existence.
Jacques demande à plusieurs reprises à Gabriel de lui
trouver “ là-bas ” une situation. Mais ce lointain est un tissu
de représentations et d’images auquel sont associés des
climats propices à une plus grande liberté physique, à
l’exaltation du merveilleux et du bien-être. Milot, un des
personnages, pense sans cesse à l’Inde qu’il avait connue
lorsqu’il était soldat et Jacques boit ses paroles avec
attention. On lit les lettres dans lesquelles Gabriel narre ses
aventures en terre orientale et quand il revient au pays, il
raconte ce qu’il a vu ayant compris, nous dit Dhôtel, “ qu’il
ne faut dire à ses amis que les choses qu’on peut voir,
toucher, entendre, tant ils ont peine à croire qu’un tel pays
puisse exister ” (p. 124).
à Jacques : “ On me regarde partir sur la route. On se dit : “ Où va-t-il par
cette chaleur ? ” Quand je réponds : Dieu vous bénisse, les gens pensent :
“ Il y a donc un dieu ; celui-là que nous ne connaissons pas et qui n’est rien
sur la terre doit le savoir ” ”, ce mendiant annonce la figure emblématique
de Saint Benoît-Joseph Labre.
– 9 –
Alain Grosrey
L’Orient alimente tout un imaginaire campagnard. Il a
pour point de départ les livres ou une aquarelle qui
représente un chemin d’Orient. Gabriel a beau dire à
Jacques, qu’“ il y a dans le monde des choses plus belles
que les images pour ceux qui en ont la force ” (p. 14), sa
perception de l’Orient est aussi une reconstruction d’un
inconnu. Une reconstruction car sous le poids de son
ambition et de ses désirs, il ne saisit que des fragments. Rien
d’étonnant à ce que Dhôtel écrive plus tard cette première
phrase du Pays où l’on n’arrive jamais : “ il y a dans le
même pays plusieurs mondes véritablement ”. La diversité
des êtres donne lieu à une pluralité de représentations du
réel. C’est pourquoi, le monde est sans doute “ cela que nous
percevons ”1
.
Nous sommes face à une dialectique du contenu et du
contenant. En effet, dans la majeure partie de l’ouvrage, les
personnages principaux ne cessent de remplir un espace
vide avec des significations qui se situent à l’opposé du sens
infime qu’ils perçoivent dans leur vie à Saint-Pierre.
Fondamentalement, l’Orient n’est pour eux qu’un concept,
un cadre vide qu’ils prennent soin de remplir. Si le contenu
ne rejoint jamais son contenant, toutes les opérations de
1
Formule de Merleau-Ponty. Cf. Phénoménologie de la perception, Avant-
propos, Gallimard, Collection Tel, 1945, réédition de 1990, p. XI.
projection mentale procèdent également par rétroaction.
Plus on remplit le cadre vide, plus on croit pouvoir le saisir
à pleine main, plus la terre sur laquelle on repose devient
inconsistante et vide. Il arrive même un moment où cette
impression de vacuité emplit les deux espaces : celui de
l’être-là et celui de l’être-projectif.
L’Orient géographique s’estompe quand une alchimie
des émotions a été réalisée. Lorsque Dhôtel souligne à la
page 94, à propos de la rudesse de l’hiver, que “ ce qui a été
dur et amer est transformé ”, on peut évoquer par analogie
la mutation de l’état mental de Jacques et de Jeanne le jour
où cette dernière dit à Gabriel : “ nous n’espérons plus
maintenant de bonnes situations (...). La maison de Saint-
Pierre, c’est assez pour nous ” (p. 126). Cette
transformation, Dhôtel l’évoque encore avec plus de force
dans la troisième partie du livre au moment où le narrateur
compare Jacques à un voyageur qui viendrait tout droit de
l’Oural, cette chaîne montagneuse qui trace une frontière
naturelle entre l’Europe et l’Asie. “ Il a vu ce que nous
voudrions tous voir, peut-être la neige du Mont Oural ” (p.
163). Et plus loin, “ cet homme ne vient pas de l’Oural.
C’est l’instituteur de Saint-Pierre, Jacques Brion ”. En
– 10 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
mettant en pratique le contentement, il est devenu l’Autre,
tout en restant le Même au niveau relatif,.
René Daumal écrit dans Le Mont Analogue1
: “ Les
civilisations, dans leur mouvement naturel de
dégénérescence, se meuvent de l’est à l’ouest. Pour revenir
aux sources, on devait aller en sens inverse ”. Il idéalise
quelque peu l’Orient. Dhôtel emploie un procédé plus
subtil, car “ aller en sens inverse ” revient à opérer un travail
de lâcher-prise, de relâchement des tensions et des nœuds
qui ne cessaient d’accroître la douleur de l’existence. “ Aller
en sens inverse ” consiste à renoncer à un monde façonné
par les désirs et l’avoir, à sortir finalement de cette ronde
incessante de l’existence conditionnée dont parle le
bouddhisme. Un tel processus conduit à l’humilité, à la
simplicité, à un mode d’être au monde plus ouvert sur
l’environnement immédiat et les joies simples et
fondamentales qu’il procure. Sans doute est-ce à ce niveau,
au moment où l’être tente de s’abandonner à une forme de
joie élémentaire – une “ joie sans objet ” – , que la nature
1
Gallimard, Collection L’Imaginaire, Paris, 1981, p. 94.
2
“ Mais j’ai dormi si profondément que Dieu m’a pardonné. J’ai dormi, et
j’ai revu, tout au fond du monde, quelques-unes de mes vies fabuleuses. Je
fus d’abord un cristal de roche, ou plutôt une petite pointe de gypse. Alors
le soleil logique calculait soigneusement ses angles avant de pénétrer en
moi, et je lui demandais des comptes, et je lui jouais des tours avec mes
dans son interaction avec l’homme révèle ses vertus
intrinsèques.
UNION, JOIE, ART DE VOIR
Ne voulant pas m’attarder sur ce dernier point, qui a déjà
fait l’objet de nombreux développements, j’insisterai
simplement sur la tripartition : union, joie et art de voir. Ce
premier roman met l’accent sur une vision presque
“ animiste ” du monde au sens où la nature demeure
naturelle et objet de respect parce que les personnages
sentent que tout en elle est vivant. Jacques parle aux forêts
(p.40) ; il formule le vœu de “ renaître dans les lieux connus,
être par exemple un arbre (...) ” (p. 212). Cette idée très
orientale, que l’on retrouve dans un très beau passage de La
Chronique fabuleuse2
, relève ici beaucoup plus de
l’involution que de l’évolution comme s’il était plus
essentiel de se fondre dans une forme de vie antérieure à
impuretés et mes réfractions. Du haut de la colline où j’étais, me parvenait
aussi le reflet de la mer Egée, car cela se passait en Orient. Puis quelqu’un
écrasa du pied la pointe de gypse. Alors je devins regard. Il y avait partout
des choses, et je ne savais pas ce qu’étaient ces choses ”, Mercure de France,
1960, p. 122.
– 11 –
Alain Grosrey
l’homme, et en cela plus proche des origines, que de
reprendre une existence nourrie du vacarme que produisent
les mots, les pensées et les opinions.
La renaissance, thématique particulièrement chère à
l’hindouisme et au bouddhisme, révèle le jeu des continuités
entre les règnes et l’unité même du vivant. La réalisation du
parcours de la conscience favorise en soi la reconnaissance
de l’interdépendance et rend sensible à l’existence des
milliers d’êtres non humains. Elle aboutit finalement à une
expérience de participation intense avec l’ensemble des
formes de vie.
Jacques aspire justement à s’ouvrir silencieusement à la
vraie dimension du monde dont la Nature est l’expression.
Il veut répondre à cette “ loi supérieure qui commande
d’admirer sans comprendre ” (p. 51). Faire corps avec la
Nature donne accès à son intelligence et libère un niveau de
conscience qui ne dépend plus du savoir humain ni de la
compréhension verbale et intellectuelle de la vie. Dhôtel l’a
fort bien pressenti chez Rimbaud quand, dans Rimbaud et
la révolte moderne, il commente la rupture entre la nature
et la surnature, entre une pensée prélogique, dite primitive,
et une pensée catégorielle jugée supérieure parce qu’elle se
fonde sur la raison.
Pour saisir la logique de cette tripartition (union, joie, art
de voir), il faut conserver en arrière-plan deux phrases
essentielles de la page 11 : “ Dans le village, s’élève une
église où il est facile de prier à ceux qui ne savent pas leurs
prières. (...). Quand on s’éloigne, on oublie tout ”. En restant
au cœur du village, on demeure dans un état de présence
authentique au monde où tout arrive par intuition, par
reconnaissance spontanée plutôt que par un apprentissage
fastidieux. Les trois éléments de la tripartition se combinent
alors et entrent en correspondance. On cherche à réduire la
dualité en se mariant et on relève dans la nature le principe
d’unité quand Dhôtel évoque le “ vent (qui) unissait les
ramures ” (p. 34), les “ branches des marronniers (qui)
s’entrelaçaient ” (p. 20), la fumée d’une pipe et celle des
bûches qui “ montent ensemble vers les nuées ” (p. 103), ou
les “ deux peupliers nés d’une même souche ” (p. 218). De
cette expérience d’union ou de communion naît une joie
simple et pure dénuée de tout artifice. “ Lorsque je vois des
myosotis dans les fossés, dit le mendiant à Jacques (p. 111),
cela me fait un grand plaisir ”. Il est fait référence également
à une chanson du moyen âge dont le refrain (“ Vivez dans
la joie ” (p. 81) ) invite à cette harmonieuse participation
avec le vivant. L’auteur nous parle également du bonheur
de rester au foyer et de l’art de lire les signes de la nature
– 12 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
quand sont évoqués ces “ branches neigeuses qui
exprimaient beaucoup de joie ” (p. 25).
Il s’agit bien de retrouver des perceptions qui sont au-
delà de la saisie discursive du monde. L’art de voir est donc
cette capacité à suspendre les discours intérieurs et les
représentations mentales qui sans cesse imposent un
fonctionnement en mode duel : moi/le monde. Cette saisie
immédiate, directe, sans interprétation, Dhôtel l’exprime
quand il écrit : “ Jeanne voit autour d’elle les choses comme
elles existent : le ciel bleu, les feuilles vertes, les pommes
rouges ” (p. 74). L’art de voir consiste en définitive à
réintégrer un état de conscience non-duel qui dissout
spontanément la complexité, les divisions et les ruptures
pour révéler la transparence absolue entre les êtres et les
choses. Avec une attention orientée vers des détails infimes
du monde phénoménal, découvrant ce que d’autres ne
voient jamais, Jacques puise des enseignements dans sa
fréquentation avec les microcosmes. Parallèlement,
s’abandonnant au monde à mesure qu’il oublie ce qui le
limite, il s’ouvre à lui et se laisse envahir par sa dimension
première.
1
Se libérer du connu, textes choisis par Mary Luytens, trad. Carlo Suarès,
Paris, Stock, 1991, rééd. Le Livre de Poche, 1995, pp. 154-55.
Dhôtel a fort bien exprimé ce double mouvement quand
il poétise : “ Autour de la maison la neige descend.
L’ensemble de la neige descend en ses yeux ” (p. 27).
Krishnamurti nous rappelle1
avec intelligence qu’“ on ne
peut inviter le vent, mais on doit laisser la porte ouverte ”.
Dans cet état d’ouverture, de présence et de disponibilité
totale au monde, il n’y a plus d’intérieur ni d’extérieur :
l’être, dans un abandon formidable de tout ce qui le
maintient dans l’auto-isolement, se reconnaît comme étant
Cela, l’univers. “ Voir ”, ne consiste pas seulement à
dépasser l’illusion de la séparation et de l’indépendance,
mais c’est également être capable, semble nous dire Dhôtel,
d’embrasser des perceptions extraordinaires qu’il relate
comme si ces événements étaient tout à fait naturels.
Il faut observer les enfants pour assister à l’art de
franchir les portes transparentes qui s’ouvrent sur la
dimension merveilleuse du monde. Michel et Hélène voient
un jour la Vierge Marie, une autrefois le Christ “ marchant
parmi les fruits tombés qui brillaient dans l’herbe
ténébreuse ” (p. 152). Les enfants n’écoutent même pas
Gabriel Seneur qui raconte ses voyages, car, écrit Dhôtel
(p. 167), “ ils en savaient plus long que lui sur les choses
– 13 –
Alain Grosrey
merveilleuses ”. L’Orient géographique, qui avait tant fait
rêver les adultes, s’estompe dès qu’est retrouvé le regard
que les enfants laissent glisser tendrement sur le monde.
L’enfant incarne alors un niveau de conscience plus
accompli. Au lieu de concevoir le monde, de le plier à des
exigences ou à des désirs, il EST le monde.
L’ORIENT SECRET
À ce stade, la tripartition initiale trouve son
accomplissement. Le secret de cet art perdu par de
nombreux adultes repose dans les yeux de ces enfants qui, à
mon sens, désignent un Orient secret qui prend la couleur
de l’Orient rimbaldien. Dans une “ Saison en Enfer ”,
Rimbaud écrit : “ Vous êtes en Occident, mais libre
d’habiter votre Orient, quelque ancien qu’il vous le
faille, – et d’y habiter bien ”. Dans son Rimbaud et la révolte
moderne, Dhôtel n’a quasiment pas commenté cette phrase
ne voyant dans cet Orient qu’une réminiscence qui s’impose
au poète. On pourrait tenter d’aller plus loin et concevoir
que cet Orient désigne une fonction cognitive qui favorise
le dévoilement, l’éveil qui, écrit encore Rimbaud, “ m’a
donné la vision de la pureté ”.
L’Orient secret est une présence d’absence : absence de
tensions, d’intentions, de désirs, de formations mentales
ordinaires ou de processus de représentation. Plus cette
présence déploie son intensité, plus elle rend possible
l’émergence d’une présence conjointe à soi et au monde. Le
fait d’être empli, imprégné par un paysage évacue, selon le
principe des vases communicants, le trop plein d’idées, de
conceptions et de préjugés. Durant ces instants lumineux,
les personnages semblent s’oublier dans un relâchement qui
les unit au monde.
LA VISION DU MADHYAMAKA CHÈNTONG,
UN CHEMIN DE TRAVERSE
L’ensemble des propos précédents m’amène à évoquer
l’éclairage que peut apporter le Madhyamaka Chèntong.
Mais avant de survoler les tenants et les aboutissants de
cette perspective philosophique, voyons tout d’abord les
trois éléments inhérents à l’œuvre qui m’ont conduit à
emprunter ce chemin de traverse.
J’ai noté tout d’abord que la volonté de rejoindre un
Orient géographique répondait au besoin d’une vie plus
radieuse, plus épanouie, permettant ainsi de réduire les
– 14 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
souffrances auxquelles font face Jeanne et Jacques à Saint-
Pierre. L’existence dans ce village paraît difficile et il m’a
semblé que le portrait qu’en dressait Dhôtel s’apparentait à
l’une des images du samsâra bouddhiste, c’est-à-dire à
l’existence conditionnée par les trois poisons de l’esprit (le
désir, la colère et l’ignorance) qui sont à l’origine, dit le
bouddhisme, de 84 000 types de passion.
Ces multiples voiles qui masquent la réalité primordiale
de l’esprit font naître la polarité ou dualité qui elle-même
génère l’illusion, la connaissance en mode dualiste ou
vijñâna. Cette division entre vijñâna et jñâna, la
connaissance non-duelle ou la Réalité Ultime de l’esprit, est
artificielle. Au vrai, nos expériences alternent constamment
entre ces deux pôles comme si nous possédions en définitive
deux mémoires : une mémoire de l’expérience d’ouverture,
que Dhôtel évoque quand il est question du niveau de
conscience des enfants ou dans ces moments d’extrême
clarté lors de la contemplation d’un paysage par exemple, et
une mémoire souillée qui nous plonge dans les
contingences. Tout l’arrière-plan de l’œuvre souligne en fait
cette confrontation avec les contingences qui génèrent un
sentiment de malheur ou un mal-être.
Le propos du premier cycle de l’enseignement du
Bouddha Shâkyamuni – l’exposé sur les “ quatre nobles
vérités ” – est justement de mettre l’accent sur la réalité de
la souffrance et de son origine.
Le deuxième point concerne la conscience aigüe de
l’impermanence et de l’interdépendance. Une fois le
contentement atteint, le désir de partir en Orient paraît vidé
de l’énergie qui l’animait. Le désir est en cela vide
d’existence propre : il n’existe que dans la relation de la
conscience à son objet. Mais ce vide laisse subitement
apparaître ce que j’ai appelé la “ présence d’absence ”. Un
vide d’illusions adventices ou de conditionnements est alors
un plein de réalité.
Dans cet état de suspension des désirs, Jacques cesse
d’errer dans les projections de son esprit et, dans la
gustation des merveilles de la Nature, il semble en
reconnaître la vacance mais aussi le caractère illimité. Dans
l’interruption du vouloir, s’éteint le devenir. Cessant de
remplir l’espace illusoire qu’entoure le cadre rêvé de
l’Orient géographique, il procède par un travail en creux.
Cessant d’alimenter ses aspirations, prenant la posture de
l’observation silencieuse, il accueille tout l’univers de
Saint-Pierre et recueille en son expérience tout le repos du
monde.
Le troisième point concerne une figure géométrique ou
une structure constituée d’un centre et d’une circonférence :
– 15 –
Alain Grosrey
le mandala. Il synthétise globalement le parcours
qu’effectue l’esprit en proie aux voiles de l’illusion pour
rejoindre son foyer, sa nature profonde, soit jñana, la
connaissance non-duelle. Le centre est l’axe initial à partir
duquel tout procède et vers lequel tout se dissout. Saint-
Pierre, ce haut lieu, le village loin duquel “ on oublie tout ”
et dont “ une chanson du moyen âge disait que l’horizon (...)
était un cercle miraculeux dont la vue faisait croire au
bonheur de rester au foyer ” (p. 81), est cet axe central, lieu
de tous les équilibres, lieu de la mémoire vivante, de
l’expérience d’ouverture à la vraie dimension du monde,
lieu du repos et de la paix qui met en relation les vivants
avec la lignée des ancêtres, lieu enfin d’un accomplissement
possible que la ville, que tous les ailleurs, que ces
périphéries du mandala ne peuvent finalement permettre.
Ces trois caractéristiques laissent transparaître une
possible analogie entre la conception dhôtelienne d’une vie
harmonieuse, telle qu’elle apparaît dans Campements, et
l’approche bouddhiste de la précieuse existence humaine.
En outre, l’importance accordée à l’immédiateté conçue
1
Cf. S. K. Hookham, The Buddha Within. Tathagatagarbha Doctrine
According to the Shentong Interpretation of the Ratnagotravibhaga, State
University of New York Press, 1991. Pour une approche très claire du
Madhyamaka, cf. Tenzin Gyatso (XIVe
Dalaï-Lama), “ La clef du
comme saisie directe du réel qui émerge de la présence
conjointe à soi et au monde souligne, comme je le précisais
en introduction, une caractéristique qu’expose
fréquemment le Madhyamaka Chèntong.
Sans entrer dans les détails d’une philosophie fort
complexe1
prenant appui sur la Prajñâpâramitâ, un texte
traditionnel correspondant au deuxième cycle des
enseignements du Bouddha Shâkyamuni, enseignements
qui exposent la doctrine de la vacuité, on retiendra
essentiellement que le terme “ Chèntong ” se réfère à la
réalité ultime, vide de conceptions erronées. Cette réalité est
appelée jñâna, connaissance non-duelle, ni existante, ni
non-existante, ni les deux à la fois, vide de ce qui lui est
autre mais non dépourvue de qualités – ces qualités, qui sont
celles de l’expérience éveillée, sont dites au-delà des
concepts.
L’Ultime précède l’entrée dans des modalités
spécifiques qui ne cessent de former l’esprit aux habitudes
dualistes. L’être expérimente cet esprit/conscience,
fondamentalement pur, non-complexe, comme impur et
Madhyamaka ” in L’enseignement du Dalaï-Lama, trad. G. Tulku , G.
Dreyfus et A. Ansermet, Paris, Albin Michel, Collection “ Spiritualités
Vivantes ”, Série Bouddhisme tibétain, 1987, pp. 127-177.
– 16 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
complexe. Autrement dit, les habitudes dualistes distordent
la conscience qui est alors formatée pour assumer la
puissance des grandes dichotomies. Dans cette perspective,
l’éveil est l’émergence graduelle ou instantanée de ce pur
esprit des voiles de la confusion. Les facteurs qui permettent
cette émergence ne sont pas liés au doute ou à
l’investigation intellectuels, deux constituants de
l’approche analytique, mais plutôt à une pratique qui
favorise le relâchement des saisies dualistes. L’accès à la
réalisation profonde de la vacuité n’est en cela aucunement
nihiliste puisqu’il s’agit de faire l’expérience de la Réalité
Ultime après avoir compris que ce qui est conditionné est
vide d’existence propre.
Les enfants que Dhôtel met en scène dans Campements
sont justement des exemples frappants de la présence d’une
expérience d’immédiateté qui a le pouvoir d’intégrer dans
une seule et même unité tous les aspects de l’existence. Ils
témoignent de l’ampleur et de la profondeur de cette
expérience dont les adultes ne perçoivent que des fragments
tant ils sont accaparés par les multiples contingences de la
vie sociale. Au cœur du mandala que constitue le village de
Saint-Pierre, loin du monde, loin de l’Asie, la terre porte
encore en elle le charme de l’état d’enfance. En se
promenant dans une Nature qu’il a toujours connue, Jacques
sent qu’il doit renoncer aux dialogues intérieurs incessants
et au mythe d’une liberté illusoire. Ce renoncement est une
offrande, celle de la plénitude du silence. Et cette
expérience plénière l’aide à actualiser en pleine conscience
la perception pure de l’existence. Il regagne ainsi le
territoire de la mémoire primordiale en retrouvant ce qui a
toujours été là : tout le parcours de la périphérie jusqu’au
centre rend compte finalement de la dissolution des
tendances dualistes.
Dans la perspective du Madhyamaka Chèntong,
défendre l’expérience d’immédiateté, revient à soutenir
l’importance d’un retour à ce qui est brut et premier. En
renonçant à l’Orient géographique ou tout simplement à une
vie citadine qui aurait pu s’avérer prometteuse, Jacques et
Michel goûtent à cet esprit/expérience pur, non-complexe et
non-duel. Le petit espace de Saint-Pierre, même s’il est
porteur des caractéristiques qui fondent le samsâra, avec
son lot de misère et d’infortune, rend possible l’émergence
graduelle ou instantanée de ce pur esprit.
– 17 –
Alain Grosrey
CE QUI RÉELLEMENT SE DIT,
EST CE QUE LE LANGAGE TAIT1
.
L’écriture dépouillée de Dhôtel, qui s’ancre dans les
réalités ordinaires de la vie, est, à mon sens, le
prolongement tout autant que le reflet de cette expérience.
Le langage atteint parfois un tel degré d’effacement qu’il se
retourne contre les proliférations verbales pour mieux
désigner la Réalité Ultime qui est là, au bord du chemin, et
que l’on rencontrera peut-être dans ce que le langage ne
pourra jamais traduire. Cette écriture, émergeant de la
matrice du mandala, invite au dépouillement et dresse des
résistances contre tous les processus qui concourent à
l’oubli de la nature fondamentale de l’être.
1
Affirmation d'Octavio Paz in Le Singe grammairien, Skira - Les Sentiers
de la Création, Champs Flammarion, 1972.
LE CHEMIN DES ARDENNES
Dans l’iconographie tibétaine, il existe une
représentation de la roue du devenir, appelée Bavacakra,
qui n’est autre que la roue du samsâra. Un lion féroce porte
une roue sur laquelle figurent, en son centre, les trois
poisons de l’esprit : le désir, la colère et l’ignorance,
respectivement représentés par le coq, le serpent et le
cochon. Autour sont représentés les douze facteurs
interdépendants qui forment un processus de réaction en
chaîne donnant naissance au devenir, à la vie, à la
détérioration et finalement à la mort. Le Madhyamaka
Chèntong propose de retourner la roue, c’est-à-dire
d’abandonner les habitudes dualistes pour permettre à la
vraie nature de l’être de briller avec les qualités inséparables
de l’éveil que sont, entre autres, la compassion, la sagesse
et la vision.
Si Jacques et Jeanne suivent un parcours, il me semble
que ce peut être celui que j’ai essayé d’esquisser. Tous deux
tentent également, par une alchimie intime, de retourner la
roue de leur existence pour en découvrir la face radieuse.
Cette trame romanesque initiale se développe dans tous les
– 18 –
Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel
autres romans comme autant de variations singulières.
Celles-ci reprennent la même aspiration, le même élan pour
tracer les arabesques multiples d’un art d’être au monde qui
s’abolit dans la rencontre avec la transparence universelle.
Le chemin des Ardennes est en cela porteur de la même
poussière que le chemin de Galta qu’emprunta Octavio
Paz1
. Il pourrait aussi faire écho au Chemin de campagne de
Martin Heidegger2
qui “ rassemble ce qui a son être autour
de lui ; et à chacun de ceux qui le suivent, il donne ce qui
lui revient ”.
Alain Grosrey
Docteur d’État | PhD
Chercheur-associé
Université d’Angers
1
Idem. 2
Cf. Questions III, trad. par A. Préau, R. Munier et J. Hervier, Paris,
Gallimard, Collection “ Classiques de philosophie ”, 1966, pp. 9-15.
– 19 –
Alain Grosrey
Extrait de la quatrième de couverture
Lire un livre d’André Dhôtel, c’est un peu comme
quitter la plaine où tout semble explicable – sinon
compréhensible – pour s’enfoncer dans la forêt des
incertitudes au trot aventureux du petit cheval blanc
du Pays où l’on n’arrive jamais. Un colloque,
comme le nôtre, se veut naturellement le lieu d’un
cadastrage en règle, il nourrit l’ambition légitime de
dresser la carte d’une œuvre, de l’expliquer, en y
installant forcément de la logique et de la cohérence
parfois davantage qu’elle n’en peut supporter.
Liens
http://bu.univ-angers.fr/taxonomy/term/596
http://bu.univ-angers.fr/zone/Patrimoine/archives-
litteraires/fonds-dhotel-andre
http://www.andredhotel.org/
– 20 –

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Colloque André Dhôtel

  • 1. Communication d’Alain Grosrey Actes du Colloque International d’Angers DHÔTEL André
  • 2. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel Alain Grosrey Actes du Colloque International d’Angers consacré à l’œuvre d’André Dhôtel (6 et 7 déc.1996) Organisé par le Centre de recherches en littérature et linguistique de l’Anjou et des Bocages de l'Ouest. Textes réunis par Georges Cesbron Presses de l’Université d’Angers, 1998, pp. 43-55. André Dhôtel © André Boni SYNOPSIS Le premier roman d’André Dhôtel porte la saveur d’une enfance campagnarde et d’une liberté gagnée sur l’école. Ses personnages importants sont des enfants. Des enfants capables de vivre une expérience libre des voiles qui masquent la puissance et la douceur de la plénitude accomplie. Dhôtel nous met sur la piste d'un Orient secret qui a conservé la cartographie de cette expérience. Cet article tente de repérer dans Campements des traces de la pensée indo-tibétaine. Par des glissements successifs, un réseau de continuités se met à jour entre le terroir ardennais, la Grèce d’Héraclite, l’Orient rimbaldien et certains aspects du Madhyamaka Chèntong. MOTS-CLÉS Orient – nature – plénitude – bouddhisme – madhyamaka Rimbaud – René Daumal – Héraclite – Lao Tseu – Étienne Burnouf – Heidegger – Hermann Hesse – 1 –
  • 3. Alain Grosrey e premier roman d’André Dhôtel répond bien à la proposition de Roland Barthes qui envisageait un texte comme une forme que l’histoire emploie son temps à remplir. Umberto Eco a parlé d’“œuvre ouverte” pour souligner qu’il était possible d’aborder le texte littéraire comme un ensemble de signes qui nous dit ce que nous voulons lui faire dire. Si l’on veut renouveler l’approche critique de l’œuvre de Dhôtel, en révéler l’extrême profondeur et souligner son caractère très pertinent en cette fin de XXe siècle, je crois qu’il faut l’aborder sous des angles variés, la lire de façon multiple et respecter le-s intentions de l’auteur qui signalait à Jérôme Garcin : “ Je n’aime pas une lecture de mes livres, j’aime des lectures multiples et contradictoires, parce que je crois qu’un livre n’impose pas une certaine vision au lecteur, mais qu’il revient à chaque lecteur de trouver lui- même son chemin. Que ce chemin soit celui de l’auteur ou non importe peu1 ... ”. 1 Jérôme Garcin, L’École buissonnière (entretiens avec André Dhôtel), Éd. Pierre Horay, 1984, p. 93. 2 Karl Obrist, L’Absence de continuité logique dans l’œuvre d’André Dhôtel, Thèse de doctorat, Université de Zurich, Juris Drucke + Verlag, 1974. POUR UNE LECTURE-PÈLERINAGE La lecture de Campements que je vous propose se veut une forme de pérégrination ou plutôt un fragment de pèlerinage dont la reconnaissance de quelques traces d’un Orient, qui fascinait André Dhôtel, esquisserait les volutes. Mais de quel Orient s’agit-il ? Est-il seulement question d’un Orient géographique qui est parfois l’Inde, l’Asie, la Turquie ? Cette indétermination soulève un problème de fond qui nous renvoie à la réalité des rapports que Dhôtel entretenait avec la pensée orientale. Ceux qui, comme Karl Obrist ou Dominique Aury2 , ont relevé dans son œuvre une teneur orientale ne semblent l’avoir fait qu’à titre anecdotique. Il est vrai que Dhôtel a pris soin de cacher nombre de ses sources et influences. Ayant interrogé son fils et sa belle-fille sur les rapports de Dhôtel avec l’Orient et sur l’amitié qui le liait au poète orientaliste René Daumal3 , je me suis rendu compte que demeurait un grand nombre d’espaces flous. Peut-on se contenter d’une remarque anodine sur l’Orient de Pierre Dominique Aury, “ La Fureur et l’abandon ”, La Nouvelle Revue Française, n° 28, 1955, pp. 692-696. 3 Au sujet de cette amitié, cf. Jean-Louis Cornuz, André Dhôtel, romancier du Grand Pays, Idées et Calendes, 1981, p. 141. Daumal était sanskritiste et passionné par les darçana, ces “ points de vue ” de la pensée hindoue. L – 2 –
  • 4. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel Loti1 ? Que connaissait-il vraiment de la pensée orientale avant que ne paraisse Campements en 1930 ? La question demeure en suspens. Difficile de savoir également quand il rencontra René Daumal dont il défend les positions et auquel il consacre de belles pages dans Ardennes lointaines. L’indétermination soulève enfin un problème méthodologique. En 1955, Dominique Aury2 évoquait à propos de Dhôtel la sagesse d’un Lao Tseu. Concernant ce rapport avec le Taoïsme, l’écrivain avouait3 : “ Cette comparaison avec l’esprit chinois me touche beaucoup, d’abord parce que l’Orient me fascine, ensuite parce que je ne connais pas du tout la Chine ”. Il est vrai que si l’identité des structures psychiques profondes est un ferment propice à l’élaboration d’analogies variées qui peuvent, en elles- mêmes, dévoiler l’évidence de la réalité qui les fonde, il reste beaucoup à faire pour révéler les relations possibles entre le Taoïsme et la “ pensée dhôtelienne ”. 1 “ Sous le signe de la féerie, je ferai une place particulière à Pierre Loti, qui parle admirablement de l’Orient, d’Ispahan... ”, in Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 32. 2 Cf. “ La Fureur et l’abandon ”, op. cit. 3 Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 89. DE POSSIBLES FILIATIONS Compte tenu des affinités de Dhôtel avec la philosophie grecque, je pencherais beaucoup plus pour une parenté avec une philosophie qui prend racine en terre indienne. Cependant, faut-il encore pouvoir se débarrasser de l’hellénocentrisme et ne pas oublier la multiplicité des échanges qui ont eu lieu à partir des migrations des Indo- européens, au cours du quatrième millénaire avant notre ère, bien avant que le roi Alexandre, en 327 av. J.-C., n’ouvre en grand la route entre les Indes et le monde grec. Mon propos n’est pas ici de démontrer comment une connaissance purement discursive, qui accorde une place prépondérante au langage et à la raison, a pu écarter de son cercle toute une influence indienne fondée sur l’intuition et l’expérience4 . J’ose croire que Dhôtel a pressenti ces filiations. Lui dont le métier fut d’enseigner une pensée dont la vitalité s’est peu à peu assoupie dans les méandres des édifices intellectuels qui ont recouvert l’Asie d’un linceul de silence. 4 À ce sujet, on consultera avec intérêt le livre de Roger-Pol Droit, L’Oubli de l’Inde. Une amnésie philosophique, P.U.F., 1989 et celui de Serge- Christophe Kolm, Le Bonheur-liberté. Bouddhisme profond et modernité, P.U.F., 1982. – 3 –
  • 5. Alain Grosrey Je me propose donc de franchir l’obstacle de l’hellénocentrisme. Je postule que Dhôtel a, durant son séjour de quatre ans en Grèce et grâce à ses lectures des philosophes grecques, reçu très subtilement en héritage l’imprégnation indienne qu’il n’a certes pas reconnue explicitement, mais dont il a rendu compte en dressant la cartographie d’un certain art d’être au monde. Je postule également, et sa relation avec Daumal tendrait à le prouver ultérieurement, que l’ère du bouddhisme, qui s’ouvrit en France avec la parution en 1844 de la remarquable Introduction à l’histoire du bouddhisme du grand érudit Étienne Burnouf, ne lui était pas totalement étrangère. Comment ne pas envisager aussi qu’il ait pris connaissance du numéro spécial des Cahiers du mois1 datant de 1925 et entièrement consacré aux Appels de l’Orient. Comment ne pas penser enfin qu’en lisant Nietzsche, il n’a pas été inspiré par son idéal dionysiaque qui cache le besoin d’unité et la valeur d’un retour à ce qui est brut et premier. Or, ce processus d’ouverture à l’unité et l’expérience silencieuse d’immédiateté qui jalonnent son œuvre ne sont pas sans rapport avec l’une des 1 Paris, Émile Paul, frères Éditeurs, février-mars 1925. problématiques soulevées par l’école bouddhiste Madhyamaka Chèntong. Dans cette tentative pour capter le souffle oriental qui traverse Campements, j’ai aperçu des colorations propres à cette école qui se concrétisa au Tibet au cours du XIVe siècle dans la lignée Jonangpa, du nom du monastère de Jonang fondé par Tcholé Namgyal. Reprenant le second cycle des enseignements de Bouddha Shâkyamuni, consacré à la vacuité auquel s’ajoute un exposé sur l’expérience même de la vacuité que colorent la plénitude et les qualités de l’éveil, cette école entre généralement dans le cadre du vajrayâna, le “ véhicule de diamant ” ou bouddhisme tantrique. Le Chèntong est l’une des perspectives de la Voie du Milieu (Madhyamaka) qui fait elle-même partie des quatre grandes approches philosophiques bouddhistes2 . Ce bref parcours esquisse des contours qui ne l’apparentent pas à cette volonté de plaquer sur l’œuvre des éléments propres à une culture exogène. En daignant “ subtilement s’égarer ”, pour reprendre une expression de La Rhétorique fabuleuse, des fragments en apparence 2 Le Vaibhâsika (les Particularistes), le Sautrântika (les Tenants des Discours), le Cittamâtra (les Tenants du Seul Esprit) et le Madhyamaka. – 4 –
  • 6. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel anodins se mettent à rayonner d’une lumière étonnante. Et, par des glissements successifs, un réseau de continuités se met à jour entre le terroir ardennais, la Grèce d’Héraclite, l’Orient rimbaldien et certains aspects du Madhyamaka Chèntong. Dans cette perspective, il est clair qu’un tel travail ne peut être qu’une propédeutique. Si l’on devait procéder à une “ géologie ” de l’œuvre, on découvrirait, entre les strates successives qui lui donnent vie, les reflets d’un Orient intérieur : une pure présence de plénitude qui ne signifie qu’elle-même. VOIR AUTREMENT En prenant appui sur quelques aspects de cette école bouddhiste et en recourant, de fait, à certains concepts étrangers à notre langue, on découvre également, par effet de rétroaction, une nouvelle manière de parler de l’œuvre de Dhôtel. Si l’apprentissage d’une langue permet de “ changer d’esprit ” ou de modifier la syntaxe des pensées discursives, le recours, même minime, à certaines notions 1 Maeterlinck entendait que le cerveau humain est composé d’un lobe occidental et d’un lobe oriental. Cf. Les Cahiers du mois, op. cit., p. 240. d’un savoir traditionnel est un outil qui permet de contourner des fixations conceptuelles et, au-delà, d’acquérir de nouvelles catégories de représentations fort utiles pour aborder l’œuvre sous un jour différent. Je ne crois pas qu’une telle attitude ait déplu à André Dhôtel, car elle fait écho à cette joie d’exister dont il nous parle sans cesse. Elle correspond aussi à la recherche “ d’une trouée tout au fond de notre province ”, comme il se plaît à l’écrire dans Ardennes lointaines (p. 106). Cette trouée n’est en rien négation des valeurs qui fondent l’art de vivre en communion avec le terroir. Elle permet, bien au contraire, d’en mieux saisir la puissance et la subtilité. Quant à l’Orient intérieur, ce lobe oriental pour reprendre l’expression cher à Maeterlinck1 , il révèle, dans l’union avec la terre natale, l’actualisation de la part accomplie de l’homme. – 5 –
  • 7. Alain Grosrey L’AMITIÉ D’HÉRACLITE Avant d’atteindre le cœur du sujet, il me paraît indispensable de situer mon propos par rapport à deux faits essentiels. Le premier a trait à l’intérêt qu’André Dhôtel porte aux présocratiques alors qu’il se sent en marge d’une “ certaine tradition cartésienne ” pour reprendre ses propres termes1 . On sait que “ ces vieux Grecs, comme ils l’ont écrit eux-mêmes, travaillaient en écoutant la nature même, et en suivant sa loi ”2 . Leur poésie cosmique, qui doit plus au respect de la Nature qu’à la méthode expérimentale qui régit la science moderne et contemporaine, révèle l’attention qu’ils accordaient aux grandes dichotomies issues de l’Unité originelle. Héraclite d’Éphèse retient tout particulièrement l’attention de notre auteur, sans doute parce que le discours héraclitéen suit la démarche de la Nature où tout fait écho à tout, où tous les éléments sont en situation d’interdépendance et sont soumis à la loi de l’impermanence. Le Fragment 91 évoque justement ce thème : “ Tu n’entrerais pas deux fois dans le même fleuve ”. D’un côté, apparaît l’idée du changement 1 Cf. Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 33. universel ; de l’autre, l’union des contraires : le Même et l’Autre. L’impression d’une permanence, d’une forme d’éternité, semble s’associer aux cycles incessants de la vie qui sont en eux-mêmes l’expression de l’impermanence. Certains personnages de ce premier roman, Jacques et Jeanne en particulier, ressentent assez profondément cette ambivalence dont les deux termes s’interfécondent. Mais au fur et à mesure de leur cheminement, cette dualité s’estompe comme s’ils semblaient comprendre que la réalité du changement universel était intimement liée à l’union des contraires. Ils réalisent finalement que tout est composé et donc voué à être décomposé. Dans la perspective bouddhiste, il n’existe pas d’entité autonome, permanente ou éternelle. La compréhension de l’impermanence, au niveau le plus profond, permet d’aller dans le sens d’un lâcher-prise et d’une attitude de non-attachement qui est ouverture et totale disponibilité à l’ici et maintenant. La pensée d’Héraclite, pont tendu entre l’Orient et l’Occident, possède cette propriété, essentielle selon Dhôtel, d’englober aussi bien la poésie, la métaphysique, la 2 Clémence Rannoux, Les Présocratiques in Histoire de la philosophie, Tome I, La Pléïade, Gallimard, édition de 1990, p. 412. – 6 –
  • 8. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel science que la thaumaturgie. Elle donne ainsi une ampleur à la philosophie qui d’amour de la sagesse devient “ amour de la saveur ”, au sens où la dimension savoureuse de la vie confère à l’homme qui la goûte la sagesse essentielle1 . L’ombre d’Héraclite plane sur certains passages du livre. Page 67, par exemple, “ Jacques alla un jour poser des lignes à la rivière, et il se dit en détachant sa barque : - Comme tout change... ”. Le titre même de l’ouvrage - Campements - renvoie au nomadisme, au vagabondage, au pèlerinage. “ Quel campement ! ”, s’écrie Madame Laizy (p. 76) quand elle découvre le désordre qui règne dans la maison de Jacques. Jeanne compare également sa maison à un “ campement de bohémiens ” (p. 89). On campe aussi en Asie : “ Gabriel campait quelquefois sous les montagnes stériles de l’Asie ”, apprend-on à la page 77. C’est tout un art d’être au monde dont il est question, car le campement nous renvoie à l’idée d’une existence heureuse dans le détachement, l’insouciance et le contentement. Il s’agit également d’une attitude fluide de l’être qu’il convient de 1 J’envisage ici le terme “ sagesse ” en me référant à sa racine étymologique qui nous renvoie au latin sapiens/sapientis. 2 “ Ce que je cherche seulement, c’est écrire en passant, c’est-à-dire ne m’arrêter sur rien : au lecteur, s’il le souhaite, de s’arrêter à tel ou tel endroit, rapprocher du rôle que Dhôtel assigne à l’écriture estimant qu’il écrit en passant sans jamais réellement se fixer2 . Le changement trouve dans l’oubli un partenaire de choix. “ Tout s’oublie ”, annonce le narrateur à la page 53. L’oubli traduit ici la faculté de rendre absentes les postures mentales figées et les représentations du monde que l’on croit à jamais définitives. En s’oubliant soi-même dans la simplicité et l’humilité, on atteint ce point, semble indiquer Dhôtel, où les forces qui concourent aux incessantes dualités s’estompent pour laisser place à une vie qui s’immerge dans ce que la nature a d’essentiel afin que devienne possible l’art de se fondre dans l’unité du flux universel. (S’)ORIENT(ER) Le deuxième fait que je souhaite évoquer rapidement concerne la situation de l’entre-deux guerres, période durant laquelle Dhôtel rédige justement son premier roman. mais cela ne me regarde plus. Moi aussi, je peux m’arrêter, mais à condition que ça ne se voit pas : l’essentiel, c’est le passage. ”, in Jérôme Garcin, L’École buissonnière, op. cit., p. 46. – 7 –
  • 9. Alain Grosrey L’expérience tragique de la Grande Guerre plonge l’homme d’Occident dans le désarroi et l’inquiétude. Dès 1919, Paul Valéry parle de Crise de l’esprit1 . À lire le numéro spécial des Cahiers du mois de 1925, on se rend compte à quel point, la conscience européenne traverse un profond malaise. Alors que le mythe du progrès indéfini commence sérieusement à chanceler, certains intellectuels se réclament de l’Asie : c’est le cas de Romain Rolland et de Hermann Hesse en Allemagne. La découverte de l’Orient n’a rien de nouveau, mais elle n’apparaît plus sous l’angle de la simple curiosité ni d’ailleurs sous celui du mirage de l’exotisme. Il fallait tenter de se tourner vers l’Asie pour voir si les trésors spirituels, oubliés de l’Occident, “ n’avaient pas des réponses à offrir à nos angoisses, des modèles peut-être à nos aspirations ”2 . La crise des valeurs, la perte du sens de l’existence et la déflation du christianisme révélé, qui s’accompagna d’une dépréciation des sacrements, étaient des phénomènes souvent inhérents à la “ désorientation ”. Concernant ce dernier point, et à titre anecdotique, l’abbé Garnier stigmatise assez bien cette situation tant il a l’air égaré dans 1 Expression servant de titre à une méditation philosophique. Cf. La Crise de l’esprit, Paris, N.R.F., 1er août 1919. le monde. C’“ était un paysan qui ne comprenait pas bien les pensées des hommes, ni celles de Dieu, ni celles de sa servante ” (p. 38). La situation de chaos et d’incompréhension s’incarne souvent dans les incertitudes des personnages, dans leurs hésitations, dans l’exode rural qui reflète ici la progressive dépréciation de la terre natale sous la pression des difficultés économiques. L’une des caractéristiques surprenantes de cette œuvre, publiée huit ans après le Siddhartha de Hermann Hesse, réside au prime abord dans l’art d’établir une tension entre l’enracinement au cœur du terroir et les tentatives pour se tourner vers un ailleurs lointain, l’Asie et plus particulièrement la Turquie où vit Gabriel, auquel on associe la réussite sociale. L’Orient n’est aucunement auréolé de connotations spirituelles puisqu’il est envisagé uniquement comme un moyen pour sortir d’une vie appesantie par les difficultés matérielles. Malgré le rêve d’une vie meilleure, qui accapare assez longuement l’esprit de Jeanne et de Jacques, dans un monde où l’un des objectifs premiers est l’amélioration du statut social, la lutte pour parvenir à survivre à Saint-Pierre porte en elle la puissance 2 Romain Rolland, Avant-propos au livre de Coomaraswamy, La Danse de Shiva, 14 essais sur l’Inde, traduit de l’anglais par Madelaine Rolland, Tradition Universelle, Éditions AWAC, Rennes, 1979, p. 8. – 8 –
  • 10. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel du renoncement au monde qui est l’une des dimensions propres aux cheminements spirituels orientaux1 . Partant de deux extrêmes – l’Orient géographique et le terroir – qu’il fait entrer dans un processus de comparaison mettant conjointement en scène l’importance de la nature, Dhôtel semble procéder par glissement. La dualité première se dissout peu à peu grâce au troisième terme de la tripartition : la communion avec la nature permettant en effet de réhabiliter une intelligence première qui place l’homme en état de résonance harmonieuse avec la dimension originelle du monde. Ce sont ces modifications dans les niveaux de perception et de représentation du réel qu’il est nécessaire d’aborder. L’ORIENT MENTALISÉ Dès le début du livre, l’Orient est la terre promise, l’univers de tous les possibles. Tant que Jacques et Jeanne 1 Ceci dit, il ne faut aucunement dénigrer une lecture chrétienne au profit de la lecture que je propose. D’ailleurs, si les thèmes chers à Dhôtel sont déjà esquissés dans Campements, on pourrait également suivre l’idée de Bernard Jourdan qui affirme dans “ Dhôtel et la foi du charbonnier ” (Critique, mai 1959, pp. 413-427) que les personnages envisagent le monde comme un “ monastère infini ”. Le mendiant que l’on rencontre à la page 111 et qui dit se nourrissent de l’espoir d’une vie meilleure, leur souffrance ne cesse d’être criante et de prendre de l’ampleur. Pour ceux qui partent, l’Orient est avant tout le lieu de la réussite et du succès. Pour tous ceux qui restent et qui aspirent à une existence plus radieuse, l’Orient semble une trouée lumineuse dans la grisaille de leur existence. Jacques demande à plusieurs reprises à Gabriel de lui trouver “ là-bas ” une situation. Mais ce lointain est un tissu de représentations et d’images auquel sont associés des climats propices à une plus grande liberté physique, à l’exaltation du merveilleux et du bien-être. Milot, un des personnages, pense sans cesse à l’Inde qu’il avait connue lorsqu’il était soldat et Jacques boit ses paroles avec attention. On lit les lettres dans lesquelles Gabriel narre ses aventures en terre orientale et quand il revient au pays, il raconte ce qu’il a vu ayant compris, nous dit Dhôtel, “ qu’il ne faut dire à ses amis que les choses qu’on peut voir, toucher, entendre, tant ils ont peine à croire qu’un tel pays puisse exister ” (p. 124). à Jacques : “ On me regarde partir sur la route. On se dit : “ Où va-t-il par cette chaleur ? ” Quand je réponds : Dieu vous bénisse, les gens pensent : “ Il y a donc un dieu ; celui-là que nous ne connaissons pas et qui n’est rien sur la terre doit le savoir ” ”, ce mendiant annonce la figure emblématique de Saint Benoît-Joseph Labre. – 9 –
  • 11. Alain Grosrey L’Orient alimente tout un imaginaire campagnard. Il a pour point de départ les livres ou une aquarelle qui représente un chemin d’Orient. Gabriel a beau dire à Jacques, qu’“ il y a dans le monde des choses plus belles que les images pour ceux qui en ont la force ” (p. 14), sa perception de l’Orient est aussi une reconstruction d’un inconnu. Une reconstruction car sous le poids de son ambition et de ses désirs, il ne saisit que des fragments. Rien d’étonnant à ce que Dhôtel écrive plus tard cette première phrase du Pays où l’on n’arrive jamais : “ il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement ”. La diversité des êtres donne lieu à une pluralité de représentations du réel. C’est pourquoi, le monde est sans doute “ cela que nous percevons ”1 . Nous sommes face à une dialectique du contenu et du contenant. En effet, dans la majeure partie de l’ouvrage, les personnages principaux ne cessent de remplir un espace vide avec des significations qui se situent à l’opposé du sens infime qu’ils perçoivent dans leur vie à Saint-Pierre. Fondamentalement, l’Orient n’est pour eux qu’un concept, un cadre vide qu’ils prennent soin de remplir. Si le contenu ne rejoint jamais son contenant, toutes les opérations de 1 Formule de Merleau-Ponty. Cf. Phénoménologie de la perception, Avant- propos, Gallimard, Collection Tel, 1945, réédition de 1990, p. XI. projection mentale procèdent également par rétroaction. Plus on remplit le cadre vide, plus on croit pouvoir le saisir à pleine main, plus la terre sur laquelle on repose devient inconsistante et vide. Il arrive même un moment où cette impression de vacuité emplit les deux espaces : celui de l’être-là et celui de l’être-projectif. L’Orient géographique s’estompe quand une alchimie des émotions a été réalisée. Lorsque Dhôtel souligne à la page 94, à propos de la rudesse de l’hiver, que “ ce qui a été dur et amer est transformé ”, on peut évoquer par analogie la mutation de l’état mental de Jacques et de Jeanne le jour où cette dernière dit à Gabriel : “ nous n’espérons plus maintenant de bonnes situations (...). La maison de Saint- Pierre, c’est assez pour nous ” (p. 126). Cette transformation, Dhôtel l’évoque encore avec plus de force dans la troisième partie du livre au moment où le narrateur compare Jacques à un voyageur qui viendrait tout droit de l’Oural, cette chaîne montagneuse qui trace une frontière naturelle entre l’Europe et l’Asie. “ Il a vu ce que nous voudrions tous voir, peut-être la neige du Mont Oural ” (p. 163). Et plus loin, “ cet homme ne vient pas de l’Oural. C’est l’instituteur de Saint-Pierre, Jacques Brion ”. En – 10 –
  • 12. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel mettant en pratique le contentement, il est devenu l’Autre, tout en restant le Même au niveau relatif,. René Daumal écrit dans Le Mont Analogue1 : “ Les civilisations, dans leur mouvement naturel de dégénérescence, se meuvent de l’est à l’ouest. Pour revenir aux sources, on devait aller en sens inverse ”. Il idéalise quelque peu l’Orient. Dhôtel emploie un procédé plus subtil, car “ aller en sens inverse ” revient à opérer un travail de lâcher-prise, de relâchement des tensions et des nœuds qui ne cessaient d’accroître la douleur de l’existence. “ Aller en sens inverse ” consiste à renoncer à un monde façonné par les désirs et l’avoir, à sortir finalement de cette ronde incessante de l’existence conditionnée dont parle le bouddhisme. Un tel processus conduit à l’humilité, à la simplicité, à un mode d’être au monde plus ouvert sur l’environnement immédiat et les joies simples et fondamentales qu’il procure. Sans doute est-ce à ce niveau, au moment où l’être tente de s’abandonner à une forme de joie élémentaire – une “ joie sans objet ” – , que la nature 1 Gallimard, Collection L’Imaginaire, Paris, 1981, p. 94. 2 “ Mais j’ai dormi si profondément que Dieu m’a pardonné. J’ai dormi, et j’ai revu, tout au fond du monde, quelques-unes de mes vies fabuleuses. Je fus d’abord un cristal de roche, ou plutôt une petite pointe de gypse. Alors le soleil logique calculait soigneusement ses angles avant de pénétrer en moi, et je lui demandais des comptes, et je lui jouais des tours avec mes dans son interaction avec l’homme révèle ses vertus intrinsèques. UNION, JOIE, ART DE VOIR Ne voulant pas m’attarder sur ce dernier point, qui a déjà fait l’objet de nombreux développements, j’insisterai simplement sur la tripartition : union, joie et art de voir. Ce premier roman met l’accent sur une vision presque “ animiste ” du monde au sens où la nature demeure naturelle et objet de respect parce que les personnages sentent que tout en elle est vivant. Jacques parle aux forêts (p.40) ; il formule le vœu de “ renaître dans les lieux connus, être par exemple un arbre (...) ” (p. 212). Cette idée très orientale, que l’on retrouve dans un très beau passage de La Chronique fabuleuse2 , relève ici beaucoup plus de l’involution que de l’évolution comme s’il était plus essentiel de se fondre dans une forme de vie antérieure à impuretés et mes réfractions. Du haut de la colline où j’étais, me parvenait aussi le reflet de la mer Egée, car cela se passait en Orient. Puis quelqu’un écrasa du pied la pointe de gypse. Alors je devins regard. Il y avait partout des choses, et je ne savais pas ce qu’étaient ces choses ”, Mercure de France, 1960, p. 122. – 11 –
  • 13. Alain Grosrey l’homme, et en cela plus proche des origines, que de reprendre une existence nourrie du vacarme que produisent les mots, les pensées et les opinions. La renaissance, thématique particulièrement chère à l’hindouisme et au bouddhisme, révèle le jeu des continuités entre les règnes et l’unité même du vivant. La réalisation du parcours de la conscience favorise en soi la reconnaissance de l’interdépendance et rend sensible à l’existence des milliers d’êtres non humains. Elle aboutit finalement à une expérience de participation intense avec l’ensemble des formes de vie. Jacques aspire justement à s’ouvrir silencieusement à la vraie dimension du monde dont la Nature est l’expression. Il veut répondre à cette “ loi supérieure qui commande d’admirer sans comprendre ” (p. 51). Faire corps avec la Nature donne accès à son intelligence et libère un niveau de conscience qui ne dépend plus du savoir humain ni de la compréhension verbale et intellectuelle de la vie. Dhôtel l’a fort bien pressenti chez Rimbaud quand, dans Rimbaud et la révolte moderne, il commente la rupture entre la nature et la surnature, entre une pensée prélogique, dite primitive, et une pensée catégorielle jugée supérieure parce qu’elle se fonde sur la raison. Pour saisir la logique de cette tripartition (union, joie, art de voir), il faut conserver en arrière-plan deux phrases essentielles de la page 11 : “ Dans le village, s’élève une église où il est facile de prier à ceux qui ne savent pas leurs prières. (...). Quand on s’éloigne, on oublie tout ”. En restant au cœur du village, on demeure dans un état de présence authentique au monde où tout arrive par intuition, par reconnaissance spontanée plutôt que par un apprentissage fastidieux. Les trois éléments de la tripartition se combinent alors et entrent en correspondance. On cherche à réduire la dualité en se mariant et on relève dans la nature le principe d’unité quand Dhôtel évoque le “ vent (qui) unissait les ramures ” (p. 34), les “ branches des marronniers (qui) s’entrelaçaient ” (p. 20), la fumée d’une pipe et celle des bûches qui “ montent ensemble vers les nuées ” (p. 103), ou les “ deux peupliers nés d’une même souche ” (p. 218). De cette expérience d’union ou de communion naît une joie simple et pure dénuée de tout artifice. “ Lorsque je vois des myosotis dans les fossés, dit le mendiant à Jacques (p. 111), cela me fait un grand plaisir ”. Il est fait référence également à une chanson du moyen âge dont le refrain (“ Vivez dans la joie ” (p. 81) ) invite à cette harmonieuse participation avec le vivant. L’auteur nous parle également du bonheur de rester au foyer et de l’art de lire les signes de la nature – 12 –
  • 14. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel quand sont évoqués ces “ branches neigeuses qui exprimaient beaucoup de joie ” (p. 25). Il s’agit bien de retrouver des perceptions qui sont au- delà de la saisie discursive du monde. L’art de voir est donc cette capacité à suspendre les discours intérieurs et les représentations mentales qui sans cesse imposent un fonctionnement en mode duel : moi/le monde. Cette saisie immédiate, directe, sans interprétation, Dhôtel l’exprime quand il écrit : “ Jeanne voit autour d’elle les choses comme elles existent : le ciel bleu, les feuilles vertes, les pommes rouges ” (p. 74). L’art de voir consiste en définitive à réintégrer un état de conscience non-duel qui dissout spontanément la complexité, les divisions et les ruptures pour révéler la transparence absolue entre les êtres et les choses. Avec une attention orientée vers des détails infimes du monde phénoménal, découvrant ce que d’autres ne voient jamais, Jacques puise des enseignements dans sa fréquentation avec les microcosmes. Parallèlement, s’abandonnant au monde à mesure qu’il oublie ce qui le limite, il s’ouvre à lui et se laisse envahir par sa dimension première. 1 Se libérer du connu, textes choisis par Mary Luytens, trad. Carlo Suarès, Paris, Stock, 1991, rééd. Le Livre de Poche, 1995, pp. 154-55. Dhôtel a fort bien exprimé ce double mouvement quand il poétise : “ Autour de la maison la neige descend. L’ensemble de la neige descend en ses yeux ” (p. 27). Krishnamurti nous rappelle1 avec intelligence qu’“ on ne peut inviter le vent, mais on doit laisser la porte ouverte ”. Dans cet état d’ouverture, de présence et de disponibilité totale au monde, il n’y a plus d’intérieur ni d’extérieur : l’être, dans un abandon formidable de tout ce qui le maintient dans l’auto-isolement, se reconnaît comme étant Cela, l’univers. “ Voir ”, ne consiste pas seulement à dépasser l’illusion de la séparation et de l’indépendance, mais c’est également être capable, semble nous dire Dhôtel, d’embrasser des perceptions extraordinaires qu’il relate comme si ces événements étaient tout à fait naturels. Il faut observer les enfants pour assister à l’art de franchir les portes transparentes qui s’ouvrent sur la dimension merveilleuse du monde. Michel et Hélène voient un jour la Vierge Marie, une autrefois le Christ “ marchant parmi les fruits tombés qui brillaient dans l’herbe ténébreuse ” (p. 152). Les enfants n’écoutent même pas Gabriel Seneur qui raconte ses voyages, car, écrit Dhôtel (p. 167), “ ils en savaient plus long que lui sur les choses – 13 –
  • 15. Alain Grosrey merveilleuses ”. L’Orient géographique, qui avait tant fait rêver les adultes, s’estompe dès qu’est retrouvé le regard que les enfants laissent glisser tendrement sur le monde. L’enfant incarne alors un niveau de conscience plus accompli. Au lieu de concevoir le monde, de le plier à des exigences ou à des désirs, il EST le monde. L’ORIENT SECRET À ce stade, la tripartition initiale trouve son accomplissement. Le secret de cet art perdu par de nombreux adultes repose dans les yeux de ces enfants qui, à mon sens, désignent un Orient secret qui prend la couleur de l’Orient rimbaldien. Dans une “ Saison en Enfer ”, Rimbaud écrit : “ Vous êtes en Occident, mais libre d’habiter votre Orient, quelque ancien qu’il vous le faille, – et d’y habiter bien ”. Dans son Rimbaud et la révolte moderne, Dhôtel n’a quasiment pas commenté cette phrase ne voyant dans cet Orient qu’une réminiscence qui s’impose au poète. On pourrait tenter d’aller plus loin et concevoir que cet Orient désigne une fonction cognitive qui favorise le dévoilement, l’éveil qui, écrit encore Rimbaud, “ m’a donné la vision de la pureté ”. L’Orient secret est une présence d’absence : absence de tensions, d’intentions, de désirs, de formations mentales ordinaires ou de processus de représentation. Plus cette présence déploie son intensité, plus elle rend possible l’émergence d’une présence conjointe à soi et au monde. Le fait d’être empli, imprégné par un paysage évacue, selon le principe des vases communicants, le trop plein d’idées, de conceptions et de préjugés. Durant ces instants lumineux, les personnages semblent s’oublier dans un relâchement qui les unit au monde. LA VISION DU MADHYAMAKA CHÈNTONG, UN CHEMIN DE TRAVERSE L’ensemble des propos précédents m’amène à évoquer l’éclairage que peut apporter le Madhyamaka Chèntong. Mais avant de survoler les tenants et les aboutissants de cette perspective philosophique, voyons tout d’abord les trois éléments inhérents à l’œuvre qui m’ont conduit à emprunter ce chemin de traverse. J’ai noté tout d’abord que la volonté de rejoindre un Orient géographique répondait au besoin d’une vie plus radieuse, plus épanouie, permettant ainsi de réduire les – 14 –
  • 16. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel souffrances auxquelles font face Jeanne et Jacques à Saint- Pierre. L’existence dans ce village paraît difficile et il m’a semblé que le portrait qu’en dressait Dhôtel s’apparentait à l’une des images du samsâra bouddhiste, c’est-à-dire à l’existence conditionnée par les trois poisons de l’esprit (le désir, la colère et l’ignorance) qui sont à l’origine, dit le bouddhisme, de 84 000 types de passion. Ces multiples voiles qui masquent la réalité primordiale de l’esprit font naître la polarité ou dualité qui elle-même génère l’illusion, la connaissance en mode dualiste ou vijñâna. Cette division entre vijñâna et jñâna, la connaissance non-duelle ou la Réalité Ultime de l’esprit, est artificielle. Au vrai, nos expériences alternent constamment entre ces deux pôles comme si nous possédions en définitive deux mémoires : une mémoire de l’expérience d’ouverture, que Dhôtel évoque quand il est question du niveau de conscience des enfants ou dans ces moments d’extrême clarté lors de la contemplation d’un paysage par exemple, et une mémoire souillée qui nous plonge dans les contingences. Tout l’arrière-plan de l’œuvre souligne en fait cette confrontation avec les contingences qui génèrent un sentiment de malheur ou un mal-être. Le propos du premier cycle de l’enseignement du Bouddha Shâkyamuni – l’exposé sur les “ quatre nobles vérités ” – est justement de mettre l’accent sur la réalité de la souffrance et de son origine. Le deuxième point concerne la conscience aigüe de l’impermanence et de l’interdépendance. Une fois le contentement atteint, le désir de partir en Orient paraît vidé de l’énergie qui l’animait. Le désir est en cela vide d’existence propre : il n’existe que dans la relation de la conscience à son objet. Mais ce vide laisse subitement apparaître ce que j’ai appelé la “ présence d’absence ”. Un vide d’illusions adventices ou de conditionnements est alors un plein de réalité. Dans cet état de suspension des désirs, Jacques cesse d’errer dans les projections de son esprit et, dans la gustation des merveilles de la Nature, il semble en reconnaître la vacance mais aussi le caractère illimité. Dans l’interruption du vouloir, s’éteint le devenir. Cessant de remplir l’espace illusoire qu’entoure le cadre rêvé de l’Orient géographique, il procède par un travail en creux. Cessant d’alimenter ses aspirations, prenant la posture de l’observation silencieuse, il accueille tout l’univers de Saint-Pierre et recueille en son expérience tout le repos du monde. Le troisième point concerne une figure géométrique ou une structure constituée d’un centre et d’une circonférence : – 15 –
  • 17. Alain Grosrey le mandala. Il synthétise globalement le parcours qu’effectue l’esprit en proie aux voiles de l’illusion pour rejoindre son foyer, sa nature profonde, soit jñana, la connaissance non-duelle. Le centre est l’axe initial à partir duquel tout procède et vers lequel tout se dissout. Saint- Pierre, ce haut lieu, le village loin duquel “ on oublie tout ” et dont “ une chanson du moyen âge disait que l’horizon (...) était un cercle miraculeux dont la vue faisait croire au bonheur de rester au foyer ” (p. 81), est cet axe central, lieu de tous les équilibres, lieu de la mémoire vivante, de l’expérience d’ouverture à la vraie dimension du monde, lieu du repos et de la paix qui met en relation les vivants avec la lignée des ancêtres, lieu enfin d’un accomplissement possible que la ville, que tous les ailleurs, que ces périphéries du mandala ne peuvent finalement permettre. Ces trois caractéristiques laissent transparaître une possible analogie entre la conception dhôtelienne d’une vie harmonieuse, telle qu’elle apparaît dans Campements, et l’approche bouddhiste de la précieuse existence humaine. En outre, l’importance accordée à l’immédiateté conçue 1 Cf. S. K. Hookham, The Buddha Within. Tathagatagarbha Doctrine According to the Shentong Interpretation of the Ratnagotravibhaga, State University of New York Press, 1991. Pour une approche très claire du Madhyamaka, cf. Tenzin Gyatso (XIVe Dalaï-Lama), “ La clef du comme saisie directe du réel qui émerge de la présence conjointe à soi et au monde souligne, comme je le précisais en introduction, une caractéristique qu’expose fréquemment le Madhyamaka Chèntong. Sans entrer dans les détails d’une philosophie fort complexe1 prenant appui sur la Prajñâpâramitâ, un texte traditionnel correspondant au deuxième cycle des enseignements du Bouddha Shâkyamuni, enseignements qui exposent la doctrine de la vacuité, on retiendra essentiellement que le terme “ Chèntong ” se réfère à la réalité ultime, vide de conceptions erronées. Cette réalité est appelée jñâna, connaissance non-duelle, ni existante, ni non-existante, ni les deux à la fois, vide de ce qui lui est autre mais non dépourvue de qualités – ces qualités, qui sont celles de l’expérience éveillée, sont dites au-delà des concepts. L’Ultime précède l’entrée dans des modalités spécifiques qui ne cessent de former l’esprit aux habitudes dualistes. L’être expérimente cet esprit/conscience, fondamentalement pur, non-complexe, comme impur et Madhyamaka ” in L’enseignement du Dalaï-Lama, trad. G. Tulku , G. Dreyfus et A. Ansermet, Paris, Albin Michel, Collection “ Spiritualités Vivantes ”, Série Bouddhisme tibétain, 1987, pp. 127-177. – 16 –
  • 18. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel complexe. Autrement dit, les habitudes dualistes distordent la conscience qui est alors formatée pour assumer la puissance des grandes dichotomies. Dans cette perspective, l’éveil est l’émergence graduelle ou instantanée de ce pur esprit des voiles de la confusion. Les facteurs qui permettent cette émergence ne sont pas liés au doute ou à l’investigation intellectuels, deux constituants de l’approche analytique, mais plutôt à une pratique qui favorise le relâchement des saisies dualistes. L’accès à la réalisation profonde de la vacuité n’est en cela aucunement nihiliste puisqu’il s’agit de faire l’expérience de la Réalité Ultime après avoir compris que ce qui est conditionné est vide d’existence propre. Les enfants que Dhôtel met en scène dans Campements sont justement des exemples frappants de la présence d’une expérience d’immédiateté qui a le pouvoir d’intégrer dans une seule et même unité tous les aspects de l’existence. Ils témoignent de l’ampleur et de la profondeur de cette expérience dont les adultes ne perçoivent que des fragments tant ils sont accaparés par les multiples contingences de la vie sociale. Au cœur du mandala que constitue le village de Saint-Pierre, loin du monde, loin de l’Asie, la terre porte encore en elle le charme de l’état d’enfance. En se promenant dans une Nature qu’il a toujours connue, Jacques sent qu’il doit renoncer aux dialogues intérieurs incessants et au mythe d’une liberté illusoire. Ce renoncement est une offrande, celle de la plénitude du silence. Et cette expérience plénière l’aide à actualiser en pleine conscience la perception pure de l’existence. Il regagne ainsi le territoire de la mémoire primordiale en retrouvant ce qui a toujours été là : tout le parcours de la périphérie jusqu’au centre rend compte finalement de la dissolution des tendances dualistes. Dans la perspective du Madhyamaka Chèntong, défendre l’expérience d’immédiateté, revient à soutenir l’importance d’un retour à ce qui est brut et premier. En renonçant à l’Orient géographique ou tout simplement à une vie citadine qui aurait pu s’avérer prometteuse, Jacques et Michel goûtent à cet esprit/expérience pur, non-complexe et non-duel. Le petit espace de Saint-Pierre, même s’il est porteur des caractéristiques qui fondent le samsâra, avec son lot de misère et d’infortune, rend possible l’émergence graduelle ou instantanée de ce pur esprit. – 17 –
  • 19. Alain Grosrey CE QUI RÉELLEMENT SE DIT, EST CE QUE LE LANGAGE TAIT1 . L’écriture dépouillée de Dhôtel, qui s’ancre dans les réalités ordinaires de la vie, est, à mon sens, le prolongement tout autant que le reflet de cette expérience. Le langage atteint parfois un tel degré d’effacement qu’il se retourne contre les proliférations verbales pour mieux désigner la Réalité Ultime qui est là, au bord du chemin, et que l’on rencontrera peut-être dans ce que le langage ne pourra jamais traduire. Cette écriture, émergeant de la matrice du mandala, invite au dépouillement et dresse des résistances contre tous les processus qui concourent à l’oubli de la nature fondamentale de l’être. 1 Affirmation d'Octavio Paz in Le Singe grammairien, Skira - Les Sentiers de la Création, Champs Flammarion, 1972. LE CHEMIN DES ARDENNES Dans l’iconographie tibétaine, il existe une représentation de la roue du devenir, appelée Bavacakra, qui n’est autre que la roue du samsâra. Un lion féroce porte une roue sur laquelle figurent, en son centre, les trois poisons de l’esprit : le désir, la colère et l’ignorance, respectivement représentés par le coq, le serpent et le cochon. Autour sont représentés les douze facteurs interdépendants qui forment un processus de réaction en chaîne donnant naissance au devenir, à la vie, à la détérioration et finalement à la mort. Le Madhyamaka Chèntong propose de retourner la roue, c’est-à-dire d’abandonner les habitudes dualistes pour permettre à la vraie nature de l’être de briller avec les qualités inséparables de l’éveil que sont, entre autres, la compassion, la sagesse et la vision. Si Jacques et Jeanne suivent un parcours, il me semble que ce peut être celui que j’ai essayé d’esquisser. Tous deux tentent également, par une alchimie intime, de retourner la roue de leur existence pour en découvrir la face radieuse. Cette trame romanesque initiale se développe dans tous les – 18 –
  • 20. Présence secrète de l’Orient dans Campements d’André Dhôtel autres romans comme autant de variations singulières. Celles-ci reprennent la même aspiration, le même élan pour tracer les arabesques multiples d’un art d’être au monde qui s’abolit dans la rencontre avec la transparence universelle. Le chemin des Ardennes est en cela porteur de la même poussière que le chemin de Galta qu’emprunta Octavio Paz1 . Il pourrait aussi faire écho au Chemin de campagne de Martin Heidegger2 qui “ rassemble ce qui a son être autour de lui ; et à chacun de ceux qui le suivent, il donne ce qui lui revient ”. Alain Grosrey Docteur d’État | PhD Chercheur-associé Université d’Angers 1 Idem. 2 Cf. Questions III, trad. par A. Préau, R. Munier et J. Hervier, Paris, Gallimard, Collection “ Classiques de philosophie ”, 1966, pp. 9-15. – 19 –
  • 21. Alain Grosrey Extrait de la quatrième de couverture Lire un livre d’André Dhôtel, c’est un peu comme quitter la plaine où tout semble explicable – sinon compréhensible – pour s’enfoncer dans la forêt des incertitudes au trot aventureux du petit cheval blanc du Pays où l’on n’arrive jamais. Un colloque, comme le nôtre, se veut naturellement le lieu d’un cadastrage en règle, il nourrit l’ambition légitime de dresser la carte d’une œuvre, de l’expliquer, en y installant forcément de la logique et de la cohérence parfois davantage qu’elle n’en peut supporter. Liens http://bu.univ-angers.fr/taxonomy/term/596 http://bu.univ-angers.fr/zone/Patrimoine/archives- litteraires/fonds-dhotel-andre http://www.andredhotel.org/ – 20 –