1. INTERVIEW
Le design au service
des politiques publiques
Le design n’est pas Pourquoi faut-il, selon vous, repenser des utilisateurs, du décideur jusqu’au bénéfi-
un style. C’est une la manière de concevoir les politiques ciaire final. Sa singularité – par rapport
publiques ? notamment au design industriel – tient au
méthode pour concevoir, La culture en vigueur dans la gestion publique fait qu’il s’appuie sur l’expertise d’usage, qu’il
avec l’utilisateur, des reste fortement marquée par le « nouveau procède d’une démarche de conception créa-
équipements, des management public » inventé dans les années tive associant l’utilisateur ; d’où l’expression
soixante-dix pour développer la performance de co-conception des politiques publiques.
services, des politiques des services publics. Alors que la société a
publiques les plus changé, de même que les agents et les élus, Que peuvent apporter des designers à la
adaptés aux usages. on travaille encore sur le même modèle, avec compréhension des politiques publiques
la même matrice administrative. Les élus locales ?
Objectif : améliorer pensent des lois, mises en œuvre administra- Les designers ont une boîte à outils utile pour
la performance des tivement, avec le citoyen en bout de chaîne. réinterroger les problématiques depuis les
services publics rendus Ce modèle est dépassé, il doit être repensé. usages réels. Ils ont l’habitude des techniques
Au travail « en silo », l’administration doit de prototypage, alors que l’action publique
à l’usager. Et si le substituer le modèle de l’open source, c’est-à- est souvent conçue « en tunnel ». Ils pra-
design et les designers dire une économie de l’échange et du partage tiquent les allers-retours de type «essai-
étaient demain les qui produit de l’efficacité et de la connais- erreur-retour en arrière» utiles à une concep-
acteurs de l’innovation sance. L’expertise traditionnelle doit laisser tion fine des politiques. Ils ont également une
place à une nouvelle approche de l’utilisateur capacité à rendre visibles et tangibles des
au service des des politiques, redonner une place centrale à choses complexes – un processus administra-
politiques publiques ? la question des usages et des usagers, l’élé- tif, un ensemble de données…–, au moyen
Les explications ment clé de la compréhension des enjeux et d’illustrations, de schémas, de maquettes…
de l’élaboration des solutions. Il faut admettre Les visuels remplacent utilement « l’incon-
d’un pionnier également de mettre les politiques publiques tournable » rapport écrit de 300 pages qui
de la démarche au « banc d’essai ». Peut-on aujourd’hui bien clôt habituellement le processus traditionnel
en France, concevoir sans aménager des espaces, du d’ingénierie et de conseil. Il est beaucoup plus
temps et des méthodes nous aidant à réinter- facile de discuter à partir de supports qui
Stéphane Vincent, roger le problème posé, à décaler le regard « tangibilisent » ce que l’on veut obtenir. Aux
délégué général pour imaginer des solutions alternatives, puis techniques du design de service, nous conju-
de la 27e Région. les expérimenter et les tester avec les usa- guons des méthodes issues des sciences
gers ? Google teste bien ses nouveaux services humaines. Elles permettent de mieux com-
avec les usagers. Pourquoi ne pas le faire avec prendre les pratiques réelles des usagers. Et
les politiques publiques, des petites villes puis, convoquer des sociologues, des ethno-
jusqu’à l’État ? Des exemples existent au logues… c’est réintroduire de la pluridiscipli-
Danemark (le Mindlab), au Royaume Unis (le narité dans un univers assez homogène, élus,
SILK), aux États-Unis (Public Policy Lab)… consultants et fonctionnaires ayant finale-
ment des « profils » assez proches.
Comment définir votre nouvelle
approche, le « design de service » ?
La question que nous posons est : « voulons-
DÉCRYPTAGE
nous des politiques publiques mieux conçues ? ».
“
Si oui, des disciplines méconnues par le poli- Des disciplines méconnues
tique peuvent apporter une contribution
originale à l’élaboration des politiques peuvent apporter une
publiques. Le design de service, en particu- contribution originale à
è Propos recueillis par lier, rassemble des méthodes qui permettent
d’améliorer l’ensemble d’un processus en l’élaboration des politiques
Jean-Chritophe Poirot
jxpoirot@free.fr prenant comme point de vue toute la chaîne publiques ”
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2. En quoi cette approche est-elle mis cinq jours pour repenser le volet culture
différente des processus participatifs de la carte à puce LycéO, d’abord en enquê-
classiques ? tant sur le terrain à la façon d’apprentis eth-
La démocratie participative se déroule sou- nologues, puis en imaginant des améliora-
vent en périphérie du processus de concep- tions sous la forme de maquettes qu’ils ont
tion lui-même. Elle est cantonnée à un ensuite soumises directement aux établisse-
moment précis du processus, souvent en aval, ments dépositaires de la carte (cinémas, équi-
quand les grandes décisions sont prises, alors pements culturels, lycées), pour en tirer enfin
qu’un travail plus quotidien et plus souterrain cinq changements précis à opérer. En région
serait nécessaire pour répondre aux enjeux Auvergne, ces méthodes ont permis d’inven-
ordinaires des politiques publiques. Le design ter une nouvelle façon de concevoir les mai-
veut, lui, embrasser l’ensemble du processus sons de santé, alors que les projets précédem-
de conception et être au cœur de la décision. ment soumis à la région étaient jugés
Il fait de la participation un moyen – et non décevants, réduits à des démarches architec-
une fin en soi – de parvenir à un but : amélio- turales. Le gouvernement danois s’est servi
rer la qualité de la conception. On ne travaille du design pour réinterroger les pratiques
pas dans une optique quantitative représen- d’achats durables, jugées contre-productives, DR
tative, mais dans une approche de type et inventer une approche plus globale et
recherche de compréhension qualitative, en moins centrées sur des clauses dans des
permettant de libérer la parole des « invi- contrats – une expérience que nous allons
sibles », ces gens que l’on n’entend pas dans mener nous-mêmes avec la région Rhône-
les processus de consultation habituels. Alpes. À Bruxelles, le Comité des Régions se
sert même du design pour repenser le concept Stéphane Vincent
Concrètement, comment ça marche ? de « gouvernance territoriale », perçu comme est le délégué général de la 27e Région.
Nous avons travaillé entre 2009 et 2010 sur trop bureaucratique ; l’objectif est de repartir Créé en 2008, à l’initiative de
une douzaine de politiques régionales, selon du point de vue de ceux qui devront utiliser l’Association des régions de France, ce
laboratoire de transformation publique
le principe de la « résidence », c’est-à-dire cette forme de gouvernance (élus locaux,
explore de nouvelles façons d’améliorer
l’installation sur le terrain (quartier, village, fonctionnaires, citoyens). la conception et la mise
gare, lycée, université, etc.) d’une équipe en œuvre des politiques publiques.
interdisciplinaire durant plusieurs semaines Comment faire pour que la démarche www.la27eregion.fr
étalées sur trois ou quatre mois. La démarche « design » s’inscrive durablement dans
débute par une phase de ré-interrogation des la pratique des collectivités ?
problèmes et de compréhension des pra- Le risque de l’approche gadget – c’est rigolo
tiques. Pour cela, nous pratiquons le travail et ça fait joli dans le tableau – existe, tout
en immersion : nous vivons l’expérience avec comme celui de rendre les agents dépendants
l’usager. Par exemple, lorsque nous avons d’une nouvelle méthode, alors qu’il s’agit de
travaillé pour la région Champagne-Ardennes les aider à transformer leurs pratiques. À
sur « le lycée à haute qualité humaine », nous nous de bien expliquer que le design n’est pas
avons dormi à l’internat du lycée. Un deu- un bidule créatif de plus, mais qu’il est
xième principe d’action réside dans la réali- consubstantiel à la modernisation de la ges-
sation d’un prototype le plus tôt possible tion publique, qu’il permet d’éviter des gas-
dans le processus. Plutôt qu’un rapport en fin pillages, des erreurs récurrentes, des pertes
de parcours, nous produisons des photos, des de temps et d’argent. L’expérience nous
maquettes, des vidéos… Nous proposons éga- prouve que cette approche renouvelle les
lement des simulations sous forme de scéna- façons de penser les questions de transversa-
rios d’usage, des tests qui reconstituent lité, d’évaluation, de prospective… Pour l’ins-
l’expérience de l’utilisateur… Ces outils crire dans la culture de management, nous
constituent le véhicule de la réflexion collec- défendons l’idée de l’installation de labora-
tive ; ils font réagir les gens et c’est l’amélio- toires d’innovation embarqués au sein des
ration progressive du prototype qui conduit collectivités. Depuis 2011, nous aidons plu-
à la solution. À la fin, le travail fait l’objet sieurs régions, via des programmes de
d’une restitution, d’une exposition, d’une recherche-action, à prototyper leur propre
performance. On en tire des enseignements, laboratoire de design et d’innovation.
on « dézoome », on se sert du prototype
comme d’un microlaboratoire d’une politique
plus vaste. DOC
DOC
O
DOC Aller plus loin
Chaque « Résidence » est présentée en détail sur :
Pouvez-vous nous donner des exemples ? http://la27eregion.fr/-Territoires-en-Residences,9
Les applications sont presque illimitées. La 27e Région a publié en 2010, Design des politiques publiques,
,
Accompagnés et formés par nos soins, les la Documentation française.
agents de la région Champagne-Ardenne ont
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